II. LES PERSPECTIVES EN MATIÈRE DE SANTÉ : UN DÉFI POUR LES POUVOIRS PUBLICS ET DONC POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Les pouvoirs publics se trouvent aujourd'hui confrontés à la nécessité d'assurer le maintien d'une offre de soins à la hauteur de la demande des citoyens.

Le nombre de professionnels de santé en France n'a pourtant jamais été aussi élevé. En 2009, notre pays comptait en effet 216 000 médecins, contre 50 000 au début des années 60 et 140 000 au début des années 80. Qui plus est, en termes de densité médicale (nombre de médecins rapporté au nombre d'habitants), il n'a rien à envier aux autres pays développés : la densité moyenne nationale, de 290 médecins pour 100 000 habitants, y est deux fois plus importante qu'aux États-Unis et la France devance sur ce point la plupart des États membres de l'Union européenne.

En réalité, notre pays est sous la menace d'une crise de l'offre de soins qui, loin d'être purement arithmétique, doit s'apprécier dans au moins trois dimensions :

- dans le temps, puisque, sur le plan purement statistique, la situation d'aujourd'hui, apparemment satisfaisante, porte en elle les germes d'une évolution préoccupante ;

- par discipline, puisque, au-delà des données globales, plusieurs branches souffrent ou souffriront bientôt d'une pénurie de professionnels ;

- par territoire, puisque la répartition géographique des professionnels conduit à la formation de véritables déserts médicaux.

A ces éléments, relatifs à l'offre de soins, s'ajoute une évolution à la hausse de la demande qui ne peut qu'amplifier le creusement du « déficit médical ».

A. DES PERSPECTIVES D'ENSEMBLE FORT PRÉOCCUPANTES

1. Le scenario annoncé d'une baisse de la densité médicale...

L'année 2010 a vu pour la première fois baisser (de 2 %) le nombre de médecins en activité régulière.

Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), le nombre de médecins en activité devrait diminuer de 10 % au cours des quinze prochaines années. Compte tenu, de surcroît, de l'augmentation de la population française, la densité médicale retrouverait ainsi un niveau proche de celui du milieu des années 80.

La décision des pouvoirs publics de relever à 8 000, à compter de 2011, le numerus clausus des étudiants en médecine (soit un niveau jamais atteint depuis la fin des années 70), ne modifiera pas de sitôt cette tendance : du fait de la durée des études, une telle décision ne produira d'effets que dans une dizaine d'années.

Le fait est que le monde médical connaît un phénomène de vieillissement : 42 % des médecins libéraux avaient plus de 55 ans en 2010, si bien que les départs à la retraite seront, dans les prochaines années, plus nombreux que les entrées dans la profession.

2. ...aggravée par la diminution du « temps médical disponible »

Les médecins consacrent en moyenne de moins en moins de temps à des tâches de santé, du fait d'une double évolution.

a) Une diminution du temps de travail global

Elle peut notamment s'expliquer par trois facteurs :

- un « effet générationnel » : les nouvelles générations semblent désireuses de se consacrer davantage que leurs « anciens » à la vie familiale ou aux loisirs. M. Jacques Blanc a notamment, lors de son audition par votre rapporteur, mis l'accent sur le fait que, en France, nombre de médecins exercent dans à temps partiel ;

- la forte féminisation des effectifs : représentant désormais 39 % des effectifs inscrits au tableau de l'Ordre des médecins, les femmes devraient en constituer 50 % en 2020 et 53,9 % en 2030. Or, dans un rapport rédigé à la demande du Président de la République sur la « définition d'un nouveau modèle de la médecine libérale » , le Dr Michel Legmann, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, notait en 2010 que les femmes « produisent 30 % de soins de moins que les hommes 1 ( * ) , vraisemblablement en raison de leurs contraintes familiales » ;

- une crise du modèle traditionnel de la médecine libérale tel que nous le connaissons depuis la Seconde Guerre mondiale. De plus en plus de jeunes médecins optent pour l'exercice de leur profession dans un cadre salarial : des hôpitaux aux dispensaires, en passant par les maisons de retraite, les offres d'emplois ne manquent pas ; en outre, dans un contexte marqué par une très forte « judiciarisation » des relations médecin-patient, le statut de salarié offre une relative protection en transférant vers l'employeur la responsabilité civile en cas d'accident thérapeutique. On observe également un attrait de plus en plus grand de l'exercice de la médecine sous le statut de remplaçant, plus rémunérateur et plus intéressant en termes de gestion du temps que l'exercice en cabinet. Alors que, pendant longtemps, environ la moitié des jeunes diplômés se destinaient immédiatement à l'exercice de leur profession sous forme libérale, ils n'étaient plus que 8,5 % en 2010 ; deux tiers d'entre eux avaient opté pour le statut de salarié et un quart pour celui de remplaçant. A ce phénomène s'ajoute le fait que de nombreux médecins confirmés (5 000 en 2010) « dévissent leur plaque » pour faire des choix identiques à la fin leur carrière professionnelle. Or, les médecins libéraux déclarent travailler en moyenne entre 52 et 60 heures par semaine, soit des durées nettement supérieures à celles effectuées par leurs collègues salariés et par des remplaçants.

On notera que ces différents facteurs agissent les uns sur les autres, s'entretenant mutuellement : l'attrait croissant du salariat, par exemple, s'explique aussi par le souci des jeunes générations de se ménager du temps libre et par la féminisation des effectifs (puisque, comme le note le Dr Michel Legmann, « cette féminisation s'accommode assez mal du niveau médiocre de protection sociale dont bénéficient les professions libérales, notamment en cas de congés de maternité » .

Cette « soif de temps libre » , au demeurant bien compréhensible, touche certes l'ensemble des métiers , et notamment les secteurs d'activité traditionnellement organisés sur un mode libéral (architectes, notaires, avocats, experts comptables...). Elle résonne cependant d'un écho particulier dans le secteur de la santé, où le praticien a affaire non pas à un client, mais à un patient ; la relation qui unit le premier au second est humaine avant d'être professionnelle ; le temps que le médecin choisit de ne plus consacrer à son métier ne retentit pas simplement, comme dans la plupart des autres professions libérales, sur le niveau de ses revenus, mais sur sa relation avec le patient qui peut mal vivre - a fortiori s'il souffre de sa maladie- cet arbitrage entre temps libre et temps de soins en faveur du premier. Le professeur François-Bernard Michel, membre de l'Académie nationale de médecine, développant une thèse d'un ancien président de celle-ci, le professeur Denys Pellerin, a récemment consacré de très remarquables écrits à cette évolution de l'humanisme médical, qui a longtemps caractérisé la médecine en France, vers le consumérisme médical : à la relation médecin-patient s'est substituée une relation prestataire de service-client .

b) Une diminution, au sein même du temps de travail global, de la part consacrée aux soins stricto sensu

On estime ainsi qu'un généraliste exerçant en libéral consacre 20 % de son temps de travail à des activités annexes : tâches administratives (comptabilité, télétransmission des actes, gestion des bénéficiaires de la CMU...), formation continue, réception de visiteurs médicaux ou délégués de l'assurance maladie, rédaction de certificats médicaux... Comme l'écrit le professeur François-Bernard Michel, « l'agenda quotidien du médecin hospitalier n'a plus rien de commun aujourd'hui avec ce qu'il était voilà une vingtaine d'années. Au temps médical de soins, d'enseignement et de recherche, s'est superposé un temps de tâches administratives, obligatoire et prégnant, et qui obère de plus en plus ses journées au détriment du temps consacré aux malades » .

Cette forme de « bureaucratisation du métier » , pour reprendre l'expression du Dr Michel Legmann, est en outre, sous certains de ses aspects (contrôle plus ou moins tatillon des organismes de protection sociale, par exemple), mal vécue par certains professionnels, ce qui n'encourage guère l'éclosion des vocations.


* 1 Reprenant une estimation donnée par le président de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé, M. le professeur Yvon Berland, entendu le 3 octobre 2007 par la commission des Affaires sociales du Sénat.

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