Audition de M. Christian PERRONNE,
président de la commission
spécialisée maladies transmissibles
du Haut Conseil de la
santé publique
(mercredi 2 juin 2010)
M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. le professeur Christian Perronne, président de la commission spécialisée maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Christian Perronne prête serment.
M. François Autain, président - Je vous remercie.
Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, de nous faire connaître, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Christian Perronne - Je n'ai pas de conflit d'intérêts, sauf des invitations à des congrès que j'ai déclarées au HCSP et que j'avais déclarées à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) également. J'ai déjà eu des conflits d'intérêts sur les antibiotiques mais qui n'avaient rien à voir avec la grippe ; je les ai déclarés à l'AFSSAPS il y a quelques années.
M. François Autain, président - Vous avez donc la parole pour un exposé liminaire.
M. Christian Perronne - Merci de me donner l'occasion d'éclaircir les choses avec vous.
Ce retour d'expérience sur la pandémie grippale est important. Cela permettra peut-être d'améliorer le processus décisionnel dans l'avenir. Je pense en tout cas que la vision politique est essentielle.
Je suis professeur en maladies infectieuses. J'ai siégé au Conseil supérieur d'hygiène publique dont j'ai pris la présidence de la section maladies transmissibles en 2001. J'ai eu en même temps la charge de la présidence du Comité technique des vaccinations (CTV). En 2007, le Conseil supérieur d'hygiène publique a disparu après la création du HCSP. J'ai alors arrêté mes fonctions et ai été élu président de la commission spécialisée maladies transmissibles du HCSP. Pour ne pas cumuler les mandats, j'ai laissé la présidence du CTV à M. Daniel Floret, qui a été élu à ce poste.
Nous avons eu à gérer, depuis 2001, maints problèmes de santé publique aigus - bioterrorisme, charbon, variole, épidémies de méningite et de SRAS - touchant aux maladies infectieuses ou concernant la politique vaccinale.
Dès 2001, je me suis attelé à améliorer certaines procédures relatives à la gestion des conflits d'intérêts. Avec MM. Thanh Leluong, qui est maintenant à l'Institut de veille sanitaire (InVS), et Daniel Levy-Bruhl, nous étions allés à Londres étudier le fonctionnement d'une instance britannique analogue, afin de voir comment améliorer les choses.
Les déclarations publiques commençaient à se développer mais n'étaient pas toujours systématiques ni réactualisées. C'est depuis cette époque que l'on demande, au début de chaque séance du Conseil supérieur d'hygiène publique (CHSP) et du HCSP, à chaque expert de signaler ses éventuels conflits sur les sujets inscrits à l'ordre du jour.
Nous nous étions en outre inspirés de la grille de l'AFSSAPS en distinguant les conflits majeurs et les conflits mineurs, les premiers justifiant une abstention lors de la délibération finale du vote. Au début, les choses étaient un peu difficiles mais, progressivement, les experts ont parfaitement admis de parler de plus en plus librement de leurs conflits d'intérêts, accepté de sortir de la salle et de ne pas voter. Cela a été mis en place peu de temps après le début de ma présidence
J'ai également beaucoup travaillé avec M. Thanh Leluong pour que des professionnels autres que des pédiatres siègent dans les comités - sociologues, juristes, économistes de la santé, sages-femmes, médecins généralistes, représentants de la revue Prescrire - afin de faire en sorte que les experts désireux de dissimuler des conflits d'intérêts se trouvent minoritaires.
Le fonctionnement par étages du HCSP, de ses commissions spécialisées et du CTV va dans le même sens.
Depuis 2001, on ne peut d'ailleurs reprocher à ces structures d'avoir fait preuve d'une grande souplesse vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique. La meilleure illustration en est que de nombreux vaccins reconnus par l'Agence européenne du médicament et par l'AFSSAPS, qui ont une AMM (autorisation de mise sur le marché), n'ont pas été recommandés en France par ces instances. Le Prevenar, vaccin contre le pneumocoque des nourrissons, a d'abord été ciblé avant d'être généralisé pour avoir un certain recul quant à sa tolérance, contrairement aux Etats-Unis, qui l'avaient généralisé ; les vaccins contre le zona, la varicelle ou le rotavirus ne sont toujours pas recommandés de façon universelle en France, alors qu'ils le sont aux Etats-Unis notamment. On a fini par recommander le méningocoque C mais cela a donné lieu à plusieurs années de discussions.
Nous n'avons donc pas la réputation d'être un comité très perméable aux voeux de l'industrie pharmaceutique. Nous avons toujours analysé les dossiers avec beaucoup de sérieux. C'est donc une preuve de l'indépendance du fonctionnement de ces structures vis-à-vis des vaccins.
Il faut rester très prudent face aux polémiques et à la théorie du complot de l'industrie. Je comprends les réserves qui peuvent s'exprimer mais les industriels sont plus intéressés par un vaccin pérenne vendu en grande quantité pendant dix ou quinze ans que par un vaccin destiné à faire face à une crise ponctuelle : peut-être vont-ils faire un chiffre d'affaires important sur le moment mais cela risque de désorganiser la structure. Les industriels sont des gens sérieux qui font des vaccins de très bonne qualité. Ce sont des partenaires indispensables mais qui n'ont pas une vocation philanthropique. Gérer une crise comme la pandémie n'est pas dans leur fonctionnement habituel ; ils demandent donc une aide financière aux Etats.
Ils ont ainsi exercé, dans tous les pays, une pression pour que l'on modifie les cibles de la recommandation vaccinale saisonnière. Nous ne leur avons jamais cédé. Ils souhaitaient abaisser de 65 à 55 ans l'âge de la vaccination afin d'augmenter la production des chaînes de fabrication en cas de pandémie. Nous n'en avons pas été officiellement saisis, mais nous l'avons été pour l'extension de la vaccination à tous les enfants de France. Nous avions donné un avis défavorable car ces recommandations ne nous semblaient pas justifiées sur les plans épidémiologique et scientifique.
M. François Autain, président - Le CTV a également été saisi et a donné la même réponse.
M. Christian Perronne - En effet. Je le présidais à l'époque.
Nous avons eu un point de « désaccord amical » avec le Sénat, qui avait souhaité rendre obligatoire la vaccination de tous les professionnels travaillant en établissement de santé. Nous avions réagi en disant que c'était peut-être excessif s'agissant de la grippe saisonnière.
M. François Autain, président - C'était dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2006.
M. Christian Perronne - Nous n'étions pas contre s'il s'était agi d'une pandémie sévère mais cela représentait des millions de gens. Nous trouvions la cible disproportionnée. M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, avait admis ces arguments et avait suspendu par voie réglementaire, l'application du texte adopté à l'initiative du Sénat.
Pour en revenir à la pandémie grippale actuelle, d'une façon générale, toutes les maladies infectieuses sont imprévisibles, plus encore la grippe. On connaît les taux de mortalité habituels pour un microbe connu. Pour ce qui est de la grippe, celle de 1918 a été fort sévère. D'autres l'ont été moins. Certaines « pandémiettes » ont avorté certaines années. Le virus de la grippe paraît toujours « gentil » au début ; on ne sait comment il peut évoluer : il peut aussi bien demeurer gentil que muter et devenir méchant. Aucun expert au monde n'est capable de dire comment la grippe peut évoluer.
M. François Autain, président - On s'en est aperçu !
M. Christian Perronne - Les chiffres initiaux étaient alarmants. Moi-même, qui suis plutôt optimiste, j'étais inquiet. La rapidité d'extension était vraisemblablement liée aux transports aériens en provenance du Mexique.
La détermination de la mortalité initiale variait la même semaine de un pour dix mille à un pour cent. En fait, si le nombre de morts était à peu près connu, personne n'avait d'idée du nombre de cas réels.
Autrement dit, le dénominateur était incertain, alors qu'il est capital pour évaluer la mortalité. En juillet, les épidémiologistes réunis à l'OMS restaient prudents et refusaient d'exclure une fourchette supérieure de mortalité de 1 %. Or, sur 60 millions de Français, cela peut être très important.
A l'époque, on n'avait pas encore le retour d'expérience de l'hémisphère Sud. Fin août-début septembre, on a quand même été partiellement rassuré, la mortalité étant assez proche de celle observée pour la grippe saisonnière. Cela a cependant confirmé le comportement pandémique du virus. S'il faisait plutôt moins de morts, il avait un comportement inhabituel et pouvait tuer des jeunes en bonne santé.
Les données virologiques montraient que les récepteurs étaient plus bas dans les voies respiratoires et qu'ils pouvaient attaquer le poumon profond. Il fallait donc rester en alerte.
L'Australie et l'Argentine ont connu, de façon très courte, des périodes très difficiles. Les services de réanimation étaient saturés. Ils ont dû pratiquer des réanimations extracorporelles sur des personnes jeunes. Des activités de chirurgie ont été déprogrammées dans certains hôpitaux. Fort heureusement, cette situation n'ayant pas duré trop longtemps, celle-ci a pu être gérée convenablement. On a compté deux cents décès en Australie, pour environ 20 millions d'habitants. Ramené à la population française, cela représente entre six cents et huit cents décès. On m'a fait valoir que, dans l'hémisphère Nord, l'hiver est plus froid. Des mutations ne risquaient-elles pas d'intervenir ? En fait, il n'y a eu que 300 décès.
Même si la mortalité globale était assez faible, un taux d'attaque de 20 à 40 % pouvait représenter beaucoup de décès parmi les jeunes, même si la virulence et la mortalité globale n'augmentaient pas. Ceci a été confirmé par la suite on le verra.
J'en viens à la recommandation vaccinale proprement dite. On y avait travaillé avant mais, lorsque nous avons été saisis, on nous a surtout demandé d'établir un ordre de priorité des populations à vacciner. Nous avions déjà des idées sur les facteurs de risque. Nous avons pu les affiner avec les données du Canada, des Etats-Unis, du Mexique. Notre grille de priorité a été reprise un peu partout dans le monde.
Fallait-il vacciner tout le monde ? C'est une question plus du ressort des politiques que des experts. La réponse dépend de ce qu'un pays peut dépenser, de la marge de risque que peut accepter la société.
Certes, le Comité consultatif national d'éthique avait dit que chaque Français devait avoir accès au vaccin. A l'OMS, en juillet, Mme Margaret Chan avait beaucoup insisté sur l'équité Nord-Sud en disant que les pays riches avaient de quoi payer les vaccins, qu'il aurait été normal qu'ils aident les pays du Sud, plus pauvres et que si le virus devenait méchant, il aurait été légitime qu'ils donnent une partie de leur production. Beaucoup de laboratoires ont d'ailleurs joué le jeu en donnant 10 % de leur production à l'OMS pour les pays pauvres. Il s'agissait d'une discussion délicate, dans le cadre de la solidarité Nord-Sud, qui poussait les pays riches à produire des vaccins pour aider les pays pauvres.
En tant qu'expert des maladies infectieuses, je ne suis pas le meilleur spécialiste de ces sujets.
M. François Autain, président - Aucune donnée scientifique ne recommande, pour une pandémie comme celle du H1N1, la vaccination de toute la population.
M. Christian Perronne - A l'époque, on ne savait pas. Toutes les pandémies grippales ont commencé gentiment.
M. François Autain, président - Faites-vous référence aux trois pandémies du XX e siècle ?
M. Christian Perronne - Oui, la première vague n'a pas toujours été méchante, c'est souvent la seconde qui l'a été davantage. A l'époque, on n'avait pas les données en temps réel et l'on ne connaissait les données de mortalité que deux ou trois ans après. Dans le cas présent, la grande nouveauté a été que l'on se fondait sur l'information disponible en temps réel.
En tant qu'expert, lorsque les autorités de santé du pays ont dit qu'elles se préparaient à vacciner éventuellement tous les Français, on était relativement en phase avec cette vision car on ne pouvait prévoir ce qui allait se passer.
M. François Autain, président - On ne vous a jamais demandé de vous prononcer sur le nombre de vaccins à acheter. Vous en avez été simplement informés.
M. Christian Perronne - Non, mais l'avis ne nous a pas choqués. Je ne veux pas me désolidariser. On ne savait pas ce qui allait se passer.
M. François Autain, président - L'achat de 94 millions de doses ne vous a donc pas choqué ? La faisabilité n'était tout de même pas évidente !
M. Christian Perronne - La faisabilité a été un autre problème et je me rends maintenant compte qu'il était difficile à gérer.
On était parti sur deux doses, suivant les données de la littérature scientifique, toutes les études ayant été faites sur le H5N1. On ne pouvait alors sortir de ce schéma.
M. François Autain, président - Pourquoi ? Le H5N1 est différent du H1N1 !
M. Christian Perronne - On ne le savait pas à l'époque ! On a actualisé les informations au fur et à mesure.
M. François Autain, président - Pour le profane, un H5N1 est très différent d'un H1N1 tandis qu'un H1N1 est peu différent d'un autre H1N1. Ce ne sont pas des cassures mais des variations. On peut donc s'imaginer que ce qui était nécessaire pour le H5N1 ne le sera pas pour le H1N1. On aurait dû au contraire se rapporter aux autres H1N1. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait-?
M. Christian Perronne - On n'avait pas de données scientifiques...
M. François Autain, président - Vous les aviez avec un variant.
M. Christian Perronne - Il n'avait pas le même comportement.
M. François Autain, président - Le fait que l'on attendait le H5N1 et que ce soit le H1N1 a complètement perturbé le monde scientifique. On a continué sur la lancée comme s'il s'agissait d'un H5N1 - d'où les deux injections.
M. Christian Perronne - Le jour où on a eu connaissance des études qui montraient que l'on avait une bonne protection avec une seule injection, on a décidé de recommander une seule dose. L'Agence européenne du médicament (EMA) n'avait pas encore changé son avis, l'AFSSAPS attendait l'avis de l'Agence européenne du médicament... Nous avions estimé que, dans l'urgence, l'important était que tout le monde ait une dose et décidé, si les deux doses n'étaient plus justifiées sur le plan scientifique, de le dire immédiatement, ce que nous avons fait.
Le problème est que l'on a toujours rendu ces avis au fil de l'eau en fonction de l'arrivée des données scientifiques.
M. François Autain, président - Je trouve dommage que l'on n'ait pas fait référence aux autres virus H1N1 plutôt qu'au H5N1. Si l'on s'était moins préparé, on aurait peut-être eu de meilleurs réflexes.
M. Christian Perronne - Peut-être...
Quant aux délires antivaccinaux sur Internet, ils étaient incontrôlables. On parlait de poison dans le vaccin, de virus virulent, de complot. Les adjuvants étaient des substances lipidiques assez anodines qui pouvaient stimuler l'immunité dans le cas de certaines maladies. Les immunologistes pouvaient émettre des réserves théoriques mais le débat dans les médias autour de l'adjuvant est devenu incontrôlable et il a fallu laisser passer la vague.
J'ai reçu des copies de mails effarants, envoyés aux syndicats d'infirmiers, dès le début septembre : on y prétendait que ce vaccin n'avait pas été étudié, qu'ils allaient servir de cobayes ; les syndicats d'infirmiers, en proie au malaise actuel que traverse cette profession, ont pris cela comme argent comptant et ont relayé le message à l'intention de tous leurs membres. Dans mon propre service, 100 % des médecins étaient vaccinés alors que les infirmières l'étaient minoritairement.
Il y a eu aussi l'affaire du Guillain-Barré. On constate à présent qu'il y en a plutôt moins chez les vaccinés que chez les non-vaccinés, le syndrome de Guillain-Barré résultant plus d'une complication de la grippe.
Je reste cependant optimiste et je pense que la confiance des Français dans le vaccin n'est pas entamée...
M. François Autain, président - En êtes-vous sûr ?
M. Christian Perronne - Je le crois. Ces affaires ont en fait été contreproductives. Certaines personnes ont des réticences à propos des vaccins, dont je veux bien discuter, mais il existe aussi des extrémistes qui se sont discrédités.
M. François Autain, président - On trouve des extrémistes des deux côtés !
M. Christian Perronne - La vaccination reste la meilleure action de santé publique.
M. François Autain, président - Pour la grippe également ?
M. Christian Perronne - Pour la grippe, c'est plus nuancé.
Quant aux mesures d'hygiène, elles ont été très utiles. On en a vu l'impact lorsqu'on s'est aperçu qu'il y avait moins de virus respiratoires autres que la grippe cette année, les gens ayant peut-être plus fait attention à l'hygiène, à l'isolement, au lavage des mains, qui ont pu contribuer à la gestion de l'épidémie.
J'ai été envoyé en mission en Ukraine au début de l'épidémie, en novembre. En quatre jours, quatre médecins et des infirmières étaient décédés de la grippe ! Ils n'avaient aucun moyen de protection, pas de Tamiflu, pas d'hygiène particulière. Toute cette éducation a donc contribué à une bonne gestion ; c'était la première fois que des recommandations ont aussi fortement porté sur les mesures de prévention.
Le Tamiflu a suscité beaucoup de polémiques. Pour certaines, il était génial ; pour d'autres, il n'a servi à rien. Ces polémiques ne tiennent pas compte d'un fait scientifique : le Tamiflu ne fonctionne bien que si on le donne tôt - moins de 48 heures après l'apparition des symptômes.
Quand le donner ? Cela fait dix ans qu'on en discute, bien avant la pandémie ! S'il était facile à prescrire, tous les médecins le prescriraient pour une grippe. La grippe ne comporte aucun test de diagnostic rapide ; quand quelqu'un pense avoir la grippe, tousse, a de la fièvre, il a neuf chances sur dix d'avoir un autre virus et le Tamiflu n'aura aucune action !
Nous avons toujours été réticents à prescrire le Tamiflu en période habituelle, les médecins risquant d'en prescrire pour rien en l'absence de tests de diagnostics rapides fiables.
Tant que la pandémie n'avait pas démarré en France, on a plutôt freiné l'utilisation du Tamiflu, pour ne pas qu'il soit prescrit à tort et à travers et pour ne pas épuiser les stocks pour de simples rhumes.
A la fin novembre, lorsque le pic pandémique s'est accéléré, les recommandations ont changé et on a conseillé aux médecins de prescrire du Tamiflu à tout le monde. Il ne s'agissait pas d'un revirement mais on sait que, lors d'un pic épidémique de grippe, huit ou neuf patients sur dix ont une véritable grippe. Il vaut donc mieux traiter un ou deux patients pour rien et que le médicament ait statistiquement tout son effet.
Pour ce qui est de la prévention, nous sommes restés prudents. Toutes les modélisations prévoyaient des stratégies de prophylaxie que l'on a vite abandonnées lorsqu'on s'est rendu compte qu'elles n'arrêteraient rien. Les Anglais, eux, avaient inondé les écoles de Tamiflu en juillet avant de revenir en arrière ! On avait vu que les premiers cas de résistance survenaient chez ceux qui avaient bénéficié d'un traitement prophylactique, la demi-dose prévenant mal la sélection des mutants, on a conseillé des traitements préemptifs - une pleine dose pour des patients à hauts risques ou dans l'entourage d'un cas. Cela n'a pas mal fonctionné mais ces changements de mesures ont entraîné une certaine confusion.
M. François Autain, président - Les généralistes n'ont en effet pas toujours compris le message.
M. Christian Perronne - Je reconnais que ce n'est pas facile.
Lorsque le pic est finalement arrivé, on était bien préparé. Les Français, après avoir vu les morts à la télévision, ont même fait la queue dans les centres de vaccination. Les choses ont changé lorsque le pic est retombé. La confiance est revenue. Les médecins généralistes, qui avaient éprouvé beaucoup de réticences au début vis-à-vis du vaccin, ont parfaitement joué leur rôle et pris les patients en charge quand cela a été nécessaire. Ils ont prescrit du Tamiflu et ont dirigé les malades sévères vers l'hôpital.
Les hôpitaux étaient très bien préparés. Les services de réanimation disposaient de beaucoup de matériel. Certains, comme à Marseille, ont connu un afflux de malades. Des réanimateurs toujours en activité, qui ont été mes maîtres, m'ont dit qu'ils n'avaient jamais vu cela de toute leur carrière.
Le nombre total de jeunes atteints de la grippe A (H1N1)v n'était pas gigantesque mais les encéphalites rencontrées chez les enfants impressionnaient les médecins qui les traitaient. Dans un hôpital proche de Garches, un enfant a eu une partie du poumon détruite et en conservera des séquelles définitives. Ce sont donc des complications très graves et cela a été difficile à gérer. Lors du congrès annuel des maladies infectieuses, qui a lieu à Paris début décembre, tous les médecins présents étaient inquiets.
Le soufflé est ensuite retombé de façon un peu surprenante. A posteriori , on s'est aperçu que certaines personnes possédaient des anticorps avant même la pandémie. Beaucoup étaient donc protégés. C'est ce qui a expliqué la chute du virus, qui était difficile à prévoir mais il existait toujours un risque de seconde vague.
Enfin, le dernier point que je voulais souligner concerne la divergence relative à la mortalité à travers le monde que je ne comprends pas aujourd'hui. Il y a trois fois moins de morts en France qu'en Australie. Pourquoi ? On n'en sait rien ! On répertorie 300 morts en France contre 10 837 morts aux Etats-Unis. Je n'ai pas d'explications. Il est vrai qu'ils se sont plus penchés sur l'excès de mortalité. Je trouve que les épidémiologistes devraient réaliser un travail sur ces chiffres, très différents d'un pays voisin à l'autre.
M. François Autain, président - On ne peut dire que la vaccination ait été très différente entre les Etats-Unis et la France. On a plutôt davantage vacciné aux Etats-Unis qu'ici.
M. Christian Perronne - Les fiches de décès dus à la grippe n'étaient retenues que lorsque la grippe constituait le diagnostic principal du décès. Je suis un peu surpris par ces chiffres.
Les chiffres présentés récemment par l'OMS font état d'une mortalité supérieure de 1,5 à celle de 1968 pour la tranche d'âge 15-24 ans et de trois à quatre fois plus élevée que pour les grippes saisonnières mais sur une tranche d'âge limitée, avec moins de mortalité chez les personnes âgées que pour une grippe saisonnière. Le chiffre total était donc moins inquiétant que d'habitude mais le virus a atteint des jeunes de 15-24 ans, dont un quart environ n'avait pas de facteur de risque particulier.
Les maladies infectieuses, par définition, sont imprévisibles - surtout la grippe. A l'époque, on ne pouvait, en toute quiétude, abandonner les Français au hasard du destin. Il existait une marge d'incertitude. Pour reprendre une phrase de mon collègue virologiste Dominique Dormont, malheureusement décédé, « plus l'incertitude scientifique est grande, plus il faut agir large quitte à réduire progressivement les précautions au fur et à mesure des connaissances » .
M. François Autain, président - Le problème est qu'on ne les a pas réduites !
M. Christian Perronne - Le problème est que les dépenses étaient engagées avant, même si des commandes ont été annulées.
Notre ligne directrice était d'adapter en temps réel notre attitude et les experts n'ont pas chômé. C'était une période difficile ; on a essayé de faire du mieux que l'on pouvait pour protéger les Français.
M. François Autain, président - Notre rapporteur étant exceptionnellement absent, je dois me substituer à lui.
J'ai cherché les liens d'intérêts des membres de votre commission ; il m'a semblé qu'ils n'étaient pas très rigoureux ni conformes à la législation en vigueur.
En effet, la consultation des déclarations d'intérêts, publiées par le HCSP, ne permet de connaître les liens d'intérêts que de neuf membres sur les dix-neuf de la commission « maladies transmissibles » - j'exclus les quatre membres de droit. Quid des dix autres ? Vous ont-ils fait parvenir leurs déclarations et n'ont-elles pas été publiées ou ne l'ont-ils pas fait, alors qu'ils le doivent ? La preuve en est que l'un d'eux déclare ne pas avoir de lien d'intérêts.
M. Christian Perronne - Il faudrait voir avec le secrétariat du Haut Conseil. Auparavant, le Conseil supérieur d'hygiène était plus ou moins intégré à la Direction générale de la santé (DGS) ; beaucoup de monde travaillait donc pour lui. Dans l'esprit du législateur et du politique, le HCSP devait être indépendant. Cette création étant intervenue dans une période de restrictions, beaucoup moins de moyens ont été alloués au HCSP et les personnes chargées du secrétariat étaient noyées sous le travail. Beaucoup de retard a été pris sur un certain nombre de dossiers scientifiques et les aspects purement administratifs n'ont peut-être pas été gérés de façon optimale.
Lors de la crise relative au vaccin contre l'hépatite B, on a poursuivi toute la soirée un membre qui n'avait pas rendu sa déclaration pour qu'il la donne avant la réunion du lendemain.
On m'a personnellement envoyé un formulaire que j'ai été incapable de remplir. Je l'ai donc fait sur papier libre. A chaque fois que je suis allé à un congrès, j'ai envoyé un mail au secrétariat pour les prévenir que j'étais invité par tel ou tel laboratoire. Je ne suis pas sûr que tout cela ait été répertorié sur le site mais, à chaque séance, on demande à ceux qui ont un conflit d'intérêts de s'identifier. Souvent, il est notifié dans les avis qu'un membre ou deux n'ont pas voté du fait d'un conflit d'intérêts.
M. François Autain, président - A ce sujet, sur la dizaine d'avis publiés par le HCSP, deux seulement comportent des indications concernant les modalités de délibération, celui du 7 septembre et celui du 29 janvier, où apparaissent très nettement les modalités de vote au CTV. Le 7 septembre, 19 personnes sur 20 étaient présentes et 4 n'ont pas participé au vote du fait de conflits d'intérêts. Pour ce qui est de la commission « maladies transmissibles », 14 personnes sur 19 étaient présentes et 2 n'ont pas voté du fait de conflits d'intérêts.
Il en est de même pour l'avis du 29 janvier mais pas des autres. Pourquoi ?
M. Christian Perronne - Auparavant, on ne le faisait pas figurer dans l'avis final publié sur Internet, s'agissant d'une procédure interne de régulation. Cela figurait dans le rapport interne mais lorsque la pandémie prenait des proportions importantes, on a estimé qu'il était préférable de faire tout de suite état des conflits d'intérêts, afin qu'on ne nous accuse pas d'agir en catimini.
Il est vrai que l'on aurait peut-être pu le faire avant. On a essayé d'améliorer les choses en marchant...
M. François Autain, président - Avez-vous l'intention de continuer à le faire ?
M. Christian Perronne - Nous allons bien entendu le faire systématiquement.
M. François Autain, président - Je n'ai pas relevé de mentions d'un vaccin ou d'un médicament particulier : ceci aurait pourtant permis à l'expert qui avait des liens avec le fabricant de ne pas participer au vote. Ce n'est pas très clair.
M. Christian Perronne - Les experts le précisent en séance. Il est vrai qu'on ne fait pas figurer dans le compte rendu les raisons du conflit d'intérêts. La participation non rémunérée à un conseil scientifique ponctuellement pour un congrès ne constitue pas forcément un conflit d'intérêts majeur. Or un membre du HCSP participe au conseil scientifique du Groupe d'expertise et d'information sur la grippe (GEIG), manifestation annuelle organisée par l'industrie pharmaceutique. Bien qu'il le fasse à titre bénévole, on a considéré, dans le contexte de la grippe, qu'il s'agissait d'un conflit majeur, alors que nous ne l'aurions pas considéré comme un conflit majeur dans d'autres circonstances.
En cas de conflit majeur, on écoute la position de l'intéressé, qui peut être un expert excellent dans le domaine considéré ; puis, lors du débat final, il se retire et ne participe pas au vote.
M. François Autain, président - Comment la décision de recourir à la vaccination de tous ceux qui le souhaitaient a-t-elle été prise ? Cette décision vous paraît-elle fondée scientifiquement ?
M. Christian Perronne - C'est ce que j'ai dit : il s'agissait plus de considérations politiques et éthiques...
M. François Autain, président - Cela ne vous concerne pas...
M. Christian Perronne - C'est pour cela qu'on avait émis la possibilité.
M. François Autain, président - Sur le plan scientifique, vous n'avez pas à entrer dans ces considérations.
M. Christian Perronne - Un pays peut n'établir qu'une liste des groupes de population à risques, estimant ne pas avoir assez d'argent pour acheter des vaccins. A une certaine époque, le Président de la République Jacques Chirac avait dit que s'il existait une menace pandémique, l'Etat ferait tout pour donner les moyens de prévention à l'ensemble des Français. Il existait donc une réflexion politique indépendante de la nôtre ; nous n'étions donc pas là pour dire qu'il ne fallait pas vacciner tous les Français. Il s'agissait d'établir une liste de publics prioritaires. Si les politiques estiment que c'est possible sur les plans éthique et financier, nous avions dit qu'il nous semblait illégitime de prévoir des vaccins pour toute la population si le virus tournait mal. C'est à ce moment qu'il fallait le prévoir et non à la dernière minute.
On ne s'est donc pas désolidarisé des décisions politiques, apparues en temps réel, en fonction des données.
M. François Autain, président - Finalement, vous vous êtes conformés à la décision de nature politique prise par le Gouvernement concernant l'achat des vaccins - d'autant qu'on ne sait pas, sur le plan scientifique, quel pourcentage de la population vacciner pour enrayer l'épidémie.
M. Christian Perronne - Les chiffres diffèrent beaucoup d'un épidémiologiste à l'autre.
M. François Autain, président - Ne peut-on pas également s'interroger sur la faisabilité d'une politique de vaccination de masse dans un pays comme le nôtre ? En particulier, le taux d'acceptation du vaccin, de l'ordre de 75 %, à partir duquel les commandes de vaccins ont été calibrées, n'était-il pas irréaliste ?
M. Christian Perronne - La faisabilité était un sujet difficile. Il n'est pas très courant que les vaccins soient administrés par les médecins libéraux ; dans d'autres pays, comme l'Angleterre, on le fait dans les dispensaires. La France, comme les Etats-Unis, a choisi le système libéral. Il fallait donc convaincre les médecins libéraux, qui étaient partagés...
M. François Autain, président - Vous n'aviez pas à les convaincre !
M. Christian Perronne - Certains médecins craignaient d'être mobilisés pour la vaccination et de ne plus avoir le temps de s'occuper de leurs malades, considérant que leur cabinet n'avait, en outre, pas la surface nécessaire pour réaliser deux salles d'attente. La logistique était très compliquée. Tous les médecins n'étaient pas d'accord. Puis, la décision politique est intervenue et on ne nous a pas demandé notre avis concernant l'organisation des centres de vaccination qui, en cas de crise très grave, étaient bien adaptés. Lorsque le pic est retombé, ils se sont révélés suradaptés.
M. François Autain, président - Vous dites que l'on était dans l'incertitude : on a quand même eu la chance d'arriver après l'hémisphère Sud.
M. Christian Perronne - Les services de réanimation étaient saturés, certains jeunes étaient morts et on ne savait pas si le virus allait muter. En novembre, on commençait à décrire quelques mutations qui, fort heureusement, ne se sont pas transmises, mais personne ne savait comment cela allait évoluer.
M. François Autain, président - Si le virus avait muté, le vaccin demeurait-il encore valable ?
M. Christian Perronne - Oui, probablement.
M. François Autain, président - Comment pouvez-vous l'affirmer alors que vous êtes très pessimiste - et je vous comprends - concernant la mutation du virus ! Votre optimisme concernant le vaccin me surprend ! J'aurais plutôt tendance, comme vous, à dire qu'on ne peut savoir.
M. Christian Perronne - Si un virus mute avec un vaccin non adjuvé, alors le vaccin risque de ne plus être très efficace.
Pourquoi l'adjuvant avait-il été mis en avant en plus du fait qu'il pouvait permettre de produire plus de vaccins ? On avait démontré pour le H5N1, avec la souche Vietnam Singapour Indonésie, que lorsque celle-ci variait avec le temps, avec un adjuvant puissant, - même si la souche n'était pas exactement la même - le vaccin restait actif. Un objectif majeur était de privilégier les adjuvants afin de ne pas se retrouver avec des stocks de vaccins inefficaces si la souche variait pendant l'automne.
M. François Autain, président - C'est un risque que les Etats-Unis ont pris.
M. Christian Perronne - Ils ne l'ont pas choisi !
M. François Autain, président - Ah si !
M. Christian Perronne - Non ! C'est ce qu'ils ont prétendu. On peut toujours refaire l'histoire a posteriori mais les laboratoires américains n'avaient pas de brevet d'adjuvant, ne voulant pas dépendre des laboratoires européens, détenteurs des brevets. Ils étaient ennuyés car, sans adjuvant, ils ne pouvaient produire suffisamment de vaccins pour toute la population si le virus avait mal tourné.
M. François Autain, président - En tout cas, ils ont vacciné sans adjuvant.
M. Christian Perronne - Oui, ils n'avaient pas le choix.
M. François Autain, président - Ils ont pu vacciner bien avant nous puisqu'ils ont eu les vaccins en septembre. On n'a donc pas eu de chance !
M. Christian Perronne - Cela étant, il y a eu 300 morts en France et 10 800 morts aux Etats-Unis.
M. François Autain, président - C'est en effet ce que vous venez de nous dire.
La lutte contre la grippe H1N1 a découlé de la préparation contre l'éventualité d'une grippe H5N1, dont on prévoyait qu'elle serait très grave. Comment expliquer l'adaptation très lente de la stratégie vaccinale à la réalité des faits ?
M. Christian Perronne - La stratégie s'est adaptée au jour le jour, en fonction des données de la science. Il fallait que les laboratoires aient le temps d'adapter la souche et mener un minimum d'études complémentaires pour vérifier que cela fonctionnait avant de changer les recommandations.
C'est ce qui a été fait très régulièrement ; dès qu'on a su qu'une dose était suffisante, on l'a fait savoir quasiment en temps réel, avant l'Agence européenne du médicament.
M. François Autain, président - Quelle est votre définition d'une pandémie grippale ?
M. Christian Perronne - La pandémie se répand sur tous les continents. Certes, il existe des discussions sur les critères de gravité mais, historiquement, on avait toujours les résultats de mortalité deux ou trois ans après. Dans le cas présent, la gestion s'est faite en temps réel et a démontré qu'une épidémie ou une pandémie de grippe peut être d'abord bénigne et se révéler plus meurtrière lors de la deuxième vague.
Beaucoup d'experts ont choisi de ne pas se focaliser sur l'aspect a priori bénin, le virus pouvant changer en cours de route. Il avait surtout dès le départ un comportement pandémique. Même si le nombre de morts n'a pas été énorme, il a tué des jeunes sans facteurs de risque, contrairement aux cas précédents.
Il est très difficile de trouver des critères objectifs pour déterminer si ce virus, qui fait a priori peu de dégâts, va changer. Je n'ai pas les moyens scientifiques de le prévoir aujourd'hui On peut débattre du fait de savoir s'il faut inclure ou non les critères de gravité. Je pense que l'OMS a adapté ses recommandations pour faciliter la stratégie mais je reconnais que c'est un point difficile.
M. François Autain, président - Etes-vous d'accord avec cette définition : « Une pandémie grippale correspond à une forte augmentation au niveau mondial, dans l'espace et le temps, du nombre de cas et de leur gravité du fait de l'apparition d'un nouveau virus grippal de type A doté de caractères phénotypiques inédits, résultant d'une modification génétique majeure et contre lequel la population mondiale n'est pas protégée » ?
M. Christian Perronne - Oui, mais ces définitions, lorsqu'elles ont été élaborées, ont souvent été validées a posteriori quand tout était terminé.
La grande nouveauté réside dans le fait que tout a été vécu en temps réel. Fin avril, on ne parlait pas de la pandémie ; l'alerte lancée à Mexico a eu lieu du jour au lendemain. Tous les services d'épidémiologie ont ensuite donné des chiffres au jour le jour très variables. A posteriori , on s'est aperçu qu'il existait beaucoup de formes inapparentes. Les dénominateurs étaient toujours faux, empêchant de connaître exactement le chiffre de mortalité, qui a varié sans arrêt. Il était extrêmement difficile de prévoir ce qui allait se passer. Ce qui était clair - et qui a fait consensus chez les experts - est que ce virus avait un comportement inhabituel.
M. François Autain, président - Souscrivez-vous à cette définition ?
M. Christian Perronne - J'y souscris, en sachant que la gravité ne peut être que validée a posteriori .
M. François Autain, président - Vous y souscrivez donc tout en n'y souscrivant pas.
M. Christian Perronne - C'est cela.
M. François Autain, président - Cette définition ne convient pas du tout au H1N1 !
M. Christian Perronne - Dans cinquante ans, il se peut qu'une épidémie démarre apparemment de façon bénigne et entraîne une hécatombe six mois à un an plus tard.
M. François Autain, président - Cette définition figure dans le rapport du HCSP. C'est pourquoi je trouve qu'il y a quelques contradictions entre ce qui est écrit et ce qui est fait !
M. Christian Perronne - L'OMS a validé le fait qu'il y a eu une surmortalité reconnue dans la tranche d'âge des 15-24 ans. On peut le valider a posteriori .
M. François Autain, président - Mais il ne s'agit pas d'une définition qui correspond avec celle de l'OMS.
M . Christian Perronne - Dans l'histoire, chaque pandémie a été très différente.
M. François Autain, président - Et cela continue.
M. Christian Perronne - On ne pourra jamais prévoir au départ comment un phénomène va tourner.
M. François Autain, président - Les phénomènes de pandémies graves sont-ils les plus fréquents dans l'histoire ?
M. Christian Perronne - On les compte sur les doigts d'une main, de façon espacée ; il y aura d'autres épisodes. Je ne peux pas faire de scénario. Cette pandémie est rentrée très vite dans l'ordre. Je ne pense pas qu'elle soit majeure étant donné le contexte mais je ne connais aucun scientifique capable de faire une prévision fiable.
M. François Autain, président - Pourtant, ils n'ont guère arrêté d'en faire durant toute cette pandémie. Certains ont même publié en 2005 un livre retentissant qui annonçait une pandémie qui devait faire 500 000 morts. Je me demande même si l'un des auteurs n'est pas membre de votre commission ! Ils n'ont pas arrêté de se tromper ! Il faut donc espérer que cela cesse.
M. Christian Perronne - Beaucoup d'experts n'ont pas adhéré aux messages alarmistes. Dans nos messages aux médias, j'ai toujours dit que ce virus n'avait pas l'air d'être plus méchant qu'un virus saisonnier, à la différence qu'il pouvait tuer des jeunes et qu'on ne savait pas si des mutations n'allaient pas apparaître à l'automne. C'était le message constant qui revenait.
M. François Autain, président - Il n'y aura donc pas de deuxième vague ? Quittons-nous sur une note optimiste !
M. Christian Perronne - Les études ont montré que beaucoup de gens disposaient d'anticorps protecteurs ; il y a donc peu de risque que l'on connaisse une grande vague épidémique - sauf si le virus mutait mais on n'est pas pour l'instant dans cette probabilité.
Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez évoqué des pressions auxquelles le Haut Conseil a résisté.
Les laboratoires vous ont-ils invité à changer les cibles vaccinales concernant la prochaine campagne de vaccination antigrippale ?
M. Christian Perronne - Les recommandations officielles sont sur le site du Haut Conseil et ont été publiées hier dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire.
Comme tous les ans, il y a trois virus dans le vaccin saisonnier ; un des virus sera le H1N1 pandémique sans adjuvant. On a gardé la même cible que le vaccin saisonnier habituel - personnes de plus de 65 ans et celles présentant des facteurs de risques.
Mme Marie-Christine Blandin - Les laboratoires vous ont-ils invité à changer de cibles ?
M. Christian Perronne - Non, pas du tout. Nous avons parallèlement recommandé aux personnes non vaccinées présentant des facteurs de risque de se faire vacciner avec le vaccin monovalent dont on dispose dans les stocks actuels mais on n'a pas recommandé de vaccination systématique de tous les enfants - sauf ceux présentant des facteurs de risques.
Si le virus se réactive et qu'il existe une nouvelle vague à la rentrée, il sera toujours temps de voir mais, pour l'instant, cela ne nous semble pas justifié au vu des données épidémiologiques.
Mme Christine Blandin - Vous avez dit que deux doses étaient superflues presque avant l'Agence européenne. Pourquoi ne pas avoir utilisé les données scientifiques du Center for Disease Control (CDC) d'Atlanta, qui étaient disponibles le 15 septembre ?
M. Christian Perronne - Il faut avoir des données suffisantes pour pouvoir prendre une telle décision.
Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez qualifié de « délires » les campagnes contre les adjuvants ou les craintes de syndrome de Guillain-Barré. Appliquez-vous ce terme au Thiomersal, qui a été rendu nécessaire par le conditionnement en dix doses, alors que le site de l'AFSSAPS - dans des pages aujourd'hui disparues - recommandait l'abandon du mercure dans tous les vaccins ?
M. Christian Perronne - Le Thiomersal est un très vieux conservateur qui garde des traces de mercure ; il en existe depuis des décennies dans nombre de vaccins. Vous en avez tous reçus lorsque vous étiez jeunes - moi aussi ! Nous ne sommes pas tous devenus autistes ou encéphalopathes. Des milliards de gens dans le monde ont reçu du Thiomersal. Depuis quinze à vingt ans, la purification des vaccins est bien meilleure et il n'est plus nécessaire d'ajouter un conservateur aux vaccins, qui sont maintenant vendus dans la seringue.
J'étais donc très content que l'on supprime des traces de métal dans les vaccins. C'est plus écologique et j'en avais discuté depuis des années avec l'industrie, en recommandant d'éliminer petit à petit ce genre de produit. Même si on n'a jamais rapporté d'effets délétères, c'est un principe théorique.
Il y avait cependant urgence pour produire des flacons multidoses et l'industrie a été contrainte par la législation d'utiliser le conservateur employé pendant des années. Cela ne m'a pas choqué. Il existait un certain recul par rapport au Thiomersal. Que l'AFSSAPS ait estimé qu'il était mieux de ne plus en mettre n'est pas contradictoire.
M. François Autain, président - Je vous remercie de vous être prêté à ces questions.