Audition de M. Antoine FLAHAULT,
directeur de l'Ecole des hautes
études en santé publique
(mercredi 28 avril 2010)
M. François Autain, président - La séance est ouverte.
Après cette interruption de nos travaux parlementaires, nous reprenons la suite de nos auditions avec M. Antoine Flahault, directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Antoine Flahault prête serment.
M. François Autain, président - Je vous remercie.
Je vous aurais posé des questions peut-être concernant les conflits d'intérêts, mais je vois que sur le premier document que vous aviez l'intention de projeter, vous avez indiqué que vous n'aviez aucun conflit d'intérêts. Je vous laisse répondre sur cette question de conflit d'intérêts.
M. Antoine Flahault - Merci, monsieur le président. Je n'ai aucun conflit d'intérêts direct ; j'ai un conflit d'intérêts indirect : un membre de ma famille est salarié du syndicat des entreprises du médicament (LEEM), depuis 1994.
M. François Autain, président - Je souhaite vous poser une question avant que vous ne vous exprimiez, concernant votre présence, si cela est exact, comme membre du conseil d'administration de l'Alliance pour la recherche et l'innovation des industries de santé (ARIIS), qui est l'ancien conseil scientifique du syndicat de l'industrie pharmaceutique. Cela n'est peut-être pas un lien d'intérêts, mais ne peut pas être considéré non plus comme un lien de désintérêt. Comme vous ne l'avez jamais signalé et que je l'ai trouvé sur Internet, je voulais savoir si c'était exact et si on pouvait en parler : dans quelles conditions exercez-vous ces fonctions, à quel titre avez-vous été nommé, etc. ?
M. Antoine Flahault - Je ne suis pas membre du conseil d'administration de l'ARIIS. Je n'ai jamais siégé à un conseil d'administration de cet organisme. Donc c'est faux. La chose qui est exacte, c'est que j'ai été membre du conseil d'administration du LEEM Recherche, ce qui ne représente pas, pour moi, un conflit d'intérêts. Pour qu'il y ait conflit d'intérêts, il faut qu'il y ait intérêts et je n'ai jamais obtenu le moindre intérêt financier, ni direct, ni indirect du LEEM Recherche.
J'ai été membre du LEEM Recherche, aux côtés d'ailleurs de la présidente de l'Institut Pasteur, du directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), au titre de ma fonction de directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique. En revanche, ce LEEM Recherche s'est dissous et doit se transformer en un autre établissement. Je serai peut-être contacté et ouvert pour y participer mais, aujourd'hui, je n'ai jamais siégé à un conseil d'administration de cet établissement.
M. François Autain, président - Il faudra vous rapprocher du LEEM. J'ai sous les yeux la liste des membres experts du sous-collège, qui s'appelle maintenant l'ARIIS. Votre nom figure aux côtés d'un certain nombre d'autres. Il faudrait que vous fassiez passer une rectification, parce qu'il est dommage que votre nom y figure alors que vous n'en faites pas partie. Vous n'en faites donc pas partie ?
M. Antoine Flahault - Je n'en fais pas partie. Je n'ai jamais donné mon accord, ni écrit ni verbal, pour en faire partie.
M. François Autain, président - Les industries pharmaceutiques ont l'air de ne pas en tenir compte. Ils ne vous ont rien demandé ?
M. Antoine Flahault - Encore une fois, je n'ai jamais donné mon avis, ni oral ni écrit, pour en faire partie.
M. François Autain, président - C'est curieux. Il faut que vous vérifiiez absolument ça.
M. Antoine Flahault - Ce n'est pas très étonnant, parce que c'est pour eux la succession du LEEM Recherche.
M. François Autain, président - Dont vous faisiez partie.
M. Antoine Flahault - C'est ce que j'ai dit.
M. François Autain, président - Jusqu'à quelle date ?
M. Antoine Flahault - J'étais au conseil d'administration du LEEM Recherche jusqu'à la fin de son existence légale. Je crois que cela a été supprimé il y a quelques mois.
M. François Autain, président - Je l'ai sous les yeux. C'est très récent, c'est le 26 février 2010. Donc, jusqu'au 26 février 2010, vous avez fait partie du LEEM Recherche.
M. Antoine Flahault - J'étais un expert dans le conseil d'administration du LEEM Recherche.
M. François Autain, président - Ils n'ont fait que transférer ce qui existait avant. Donc, maintenant, c'est fini.
M. Antoine Flahault - Je n'ai pas dit que c'était fini, j'ai dit que cela n'avait pas commencé.
M. François Autain, président - Mais cela peut commencer.
M. Antoine Flahault - Cela peut tout à fait commencer. Les partenariats public/privé sont importants à maintenir et il est clair que, aux côtés du directeur général de l'INSERM ou du directeur de l'Institut Pasteur, j'étudierai une éventuelle adhésion à cet organisme.
M. François Autain, président - A propos de ce partenariat public/privé, nous avons auditionné M. Didier Tabuteau, qui est directeur de la chaire santé de l'Institut d'études politiques de Paris et directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santé à l'école dont vous assurez la direction. Il nous a indiqué qu'il existait un partenariat entre l'Institut d'études politiques, la chaire santé, le groupe IPSEN et Sanofi Aventis, pour le fonctionnement de la chaire santé.
Dans le cadre de la réforme qui est en cours à l'Ecole des hautes études en santé publique à Rennes, il y a des projets de partenariat avec l'Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC). Vous cherchez à vous rapprocher de la Générale de santé. Je voulais savoir s'il existait des projets de partenariat avec l'industrie pharmaceutique.
M. Antoine Flahault - Nous avons divers types de partenariat pour les formations que nous conduisons à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) : nous avons des formations initiales, des formations continues et des formations à la recherche et pour la recherche (par exemple, dans le cadre de doctorats). Pour cela, nous avons mis en place des partenariats avec des organismes de formation, qu'ils soient publics, privés ou universitaires, ou avec des grandes écoles, c'est-à-dire tout l'éventail des formations qui sont disponibles dans notre pays.
Je ne fais pas de séparation particulière entre les formations qui sont publiques et les formations privées. Ainsi, nous avons construit déjà un partenariat avec l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) Europe, « Sup de Co Europe », pour la formation continue, dans le cadre d'un executive health MBA (c'est une formation qui est entièrement dispensée en langue anglaise). Nous avons également construit un partenariat avec HEC, l'école des Hautes études commerciales, qui est la seule école qui dispose d'une école doctorale dans le domaine du management. Donc, notre réseau doctoral appuie ses formations doctorales sur ce partenariat avec HEC.
Puis nous envisageons un partenariat avec l'ESSEC, une école de commerce à Cergy, en région parisienne, pour le management dans les formations initiales. Vous me parlez d'un autre type de partenariat ?
M. François Autain, président - Avec l'industrie pharmaceutique.
M. Antoine Flahault - Aujourd'hui, nous n'avons pas de partenariat direct avec l'industrie pharmaceutique, mais nous serions tout à fait ouverts à cette idée pour certains projets. Par ailleurs, nous avons des chercheurs qui peuvent répondre à des appels d'offres ou essayer d'obtenir des contrats de recherche avec l'industrie pharmaceutique.
La notion de conflit d'intérêts est une notion qui, dans le domaine scientifique, est clairement gérée et exige qu'elle soit rendue transparente. Par exemple, M. Didier Tabuteau, à Sciences Po, a construit un partenariat avec des industriels pour le financement de sa chaire. L'Institut d'études politiques de Paris est également un organisme de droit public, grand établissement, comme l'EHESP (d'ailleurs, on fait partie du même pôle de recherche et d'enseignement supérieur public). Donc nous pourrions envisager des partenariats public/privé. Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) mentionne d'ailleurs l'EHESP parmi les acteurs publics avec lesquels le secteur privé pourrait envisager un partenariat.
Il est du devoir du directeur, de la politique de l'école, du conseil d'administration, d'essayer de trouver des modes de financement transparents, reposant sur une convention juridique expliquant clairement l'indépendance des enseignants-chercheurs qui viendraient travailler dans le cadre de ces chaires. Même si elles n'existent pas aujourd'hui, qu'il y ait dans l'avenir ce type de partenariat nous semble souhaitable.
M. François Autain, président - Vous pensez donc que le financement de certaines études par l'industrie pharmaceutique ne porte pas atteinte à l'indépendance de l'enseignement qui pourrait être dispensé à cette occasion ?
M. Antoine Flahault - Les choses sont toujours plus compliquées.
M. François Autain, président - Il s'agit d'enseignement.
M. Antoine Flahault - Aujourd'hui, je n'ai pas directement l'expérience de la participation du secteur pharmaceutique dans l'enseignement. En revanche, j'en ai l'expérience dans la recherche. Dans la recherche, elle est assez clairement codifiée, y compris dans les règles de publication. Je ne dis pas qu'elle ne pose pas de problème, elle peut en poser. Il peut y avoir un certain nombre d'intérêts divergents entre les intérêts industriels et les intérêts de santé publique. Cela doit être posé sur la table clairement.
Maintenant, le laboratoire qui fournit des médicaments, des vaccins ou des tests biologiques aux patients ou aux personnes qui en sont bénéficiaires est un partenaire avec lequel il convient de travailler et d'entretenir des liens. Par ailleurs, le fait que soient proposés des enseignements, par exemple sur le secteur des industries de santé, me semble important. C'est ce que fait l'ESSEC notamment.
Ce sont des enseignements qu'il est peut-être tout à fait intéressant de dispenser à nos élèves, car ils vont travailler dans des centres hospitalo-universitaires (CHU), où ils vont être eux-mêmes à l'origine de partenariats public/privé, notamment avec l'industrie pharmaceutique. Le fait de leur donner une connaissance et une culture du milieu de l'industrie pharmaceutique me paraît faire partie de leur formation.
M. François Autain, président - Je comprends que vous ne recherchiez pas la participation des CHU, puisqu'ils n'ont pas d'argent. Mais on aurait pu considérer que ces structures auraient apporté beaucoup aux élèves de ces écoles.
M. Antoine Flahault - Elles apportent beaucoup.
M. François Autain, président - Pas sous cette forme.
M. Antoine Flahault - Elles apportent beaucoup. Je ne pense pas que le secteur public ou l'hôpital universitaire soient les mieux placés pour expliquer comment fonctionnent les industries de santé dans notre pays. Je préfère que ce soit des professionnels des industries de santé qui viennent expliquer eux-mêmes leur métier. En revanche, tous nos élèves font des stages dans le secteur hospitalier.
M. François Autain, président - C'est évident, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'il est obligatoire que ce soit les industries de santé qui financent elles-mêmes cet enseignement.
M. Antoine Flahault - Je n'ai pas envie de financer des enseignements dispensés par les industriels du médicament. Ils peuvent en effet financer ces enseignements.
M. François Autain, président - Cela peut avoir une conséquence sur l'indépendance de l'enseignement qui est dispensé. Cela étant dit, nous allons aborder le véritable sujet de notre entretien, à savoir la grippe. Vous avez la parole pour votre exposé liminaire. Ensuite, je passerai la parole à monsieur le rapporteur et aux commissaires.
M. Antoine Flahault - Je vous remercie.
La première diapositive montre une carte que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a produite le 27 avril 2009, à une période où émergeait un nouveau virus, appelé H1N1, avec des caractéristiques différentes du virus H1N1 saisonnier qui circulait jusqu'à présent. Très vite, aux Etats-Unis et au Canada, ce virus a pu être identifié et des décès ont été enregistrés au Mexique. Le 27 avril, l'Espagne était déjà atteinte.
Il s'est répandu extrêmement rapidement, beaucoup plus rapidement que le dernier épisode en date, qui était le SRAS - syndrome respiratoire aigu sévère -, qui avait émergé dans le sud-est asiatique, notamment en Chine et au Vietnam et qui avait fait le tour de la planète en quelques semaines, mais dont il avait fallu attendre la fin complète pour avoir les premières publications scientifiques sur ce sujet. Avec la grippe A (H1N1)v, ça n'a pas été le cas.
L'alerte a été donnée extrêmement rapidement par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui n'a pas failli dans ce domaine, ce qui est assez exceptionnel, parce qu'au Mexique (qui est un pays plutôt développé, mais qui n'a pas le développement des Etats-Unis), on pouvait craindre que des virus de la grippe auraient pu ne pas être isolés aussi rapidement. L'alerte a donc été donnée très rapidement. Les publications scientifiques sont également apparues rapidement.
A partir de la courbe épidémique initiale enregistrée au Mexique et transmise à l'OMS, nous avons pu rapidement calculer le R0, le taux de reproduction de base de l'épidémie. C'est une estimation épidémiologique un peu technique : c'est le nombre de cas secondaires qui sont générés par un cas initial. C'est une signature du virus en question. On avait besoin de cela pour savoir d'emblée si on avait affaire à un virus de la grippe normal ou extrêmement contagieux, comme on a pu l'entendre à cette époque.
Les virus ont des potentiels épidémiologiques différents. L'un des plus forts, c'est celui de la rougeole, son R0 est de vingt. Vous mettez un enfant dans une crèche où personne ne serait vacciné, il contaminerait vingt autres personnes à lui seul. Pour la grippe, c'est toujours inférieur à deux. Dans le cas de la grippe A (H1N1)v, il est de 1,4. Autrement dit, dès le début du mois de mai, on pouvait dire que l'on avait affaire à une grippe normale. C'était une grippe qui n'était pas extrêmement contagieuse.
Le 18 mai, nous avons fait état d'un article de l'INSERM et de l'INRA, qui était une simulation théorique, réalisée sur ordinateur, des scenarii possibles de cette pandémie. L'OMS n'avait alors pas encore dit qu'il s'agissait d'une pandémie, nous étions dans la simulation de scénarii de ce que pourrait donner la future pandémie si elle se développait et de ce que pourrait être son impact.
Nous avons ainsi simulé différents scenarii à partir desquels on pouvait mesurer l'impact de telle ou telle mesure : par exemple, si on vaccinait la population à partir de tel moment, si on utilisait des masques, si on utilisait des mesures de restriction de transports aériens. Tout cela pouvait être simulé facilement sur ordinateur.
Evidemment, ces simulations ne doivent pas être prises pour argent comptant, on est sur de la prévision. En plus, en épidémiologie, le facteur humain peut être important et nous pouvons tout à fait faillir dans nos prévisions. Ce ne sont pas des prédictions comme le lever de la lune ou l'horaire des marées.
Dans le scénario moyen, la couverture immunitaire (pas vaccinale, parce qu'il y a aussi l'immunité naturelle) est de l'ordre de 15 %. Il faut se replacer en septembre 2009, c'est-à-dire à partir du moment où nous pensions que seraient disponibles les premières doses de vaccin. Pour l'hémisphère Sud, on estimait qu'entre juillet et octobre 2009, il allait y avoir une première vague (nous sommes en mai), qui sera suivie par une deuxième vague en mai-juin 2010. Cela restait encore de la prévision, mais nous pensions que l'hémisphère Sud allait connaître deux demi-vagues : une première petite demi-vague, suivie d'une deuxième demi-vague, d'à peu près la même ampleur.
En ce qui concerne l'hémisphère Nord, nous disions, dès le mois de mai, qu'il y aurait une vague à peu près d'ampleur analogue, mais un peu supérieure à celle connue dans l'hémisphère Sud, qui allait arriver entre novembre et décembre et être totalement terminée avant la fin du mois de janvier, et ne recommencerait plus. Notre modèle ne prévoyait qu'une seule vague, qui allait être précoce pendant l'automne et qui se terminerait au tout début de l'année.
Ces prévisions, en termes de dynamique épidémique, ont à peu près été celles observées. Nous avons, pour simuler cela, utilisé des données relatives aux transports aériens réguliers entre cinquante-deux grandes métropoles du monde.
Dans deux interviews publiées, l'une le 6 mai dans le journal Le Monde , l'autre le 2 mai dans le journal Libération , nous avons, avec M. Eric Favreau, présenté au grand public, ce qui est le devoir des professeurs de santé publique, nos travaux scientifiques sur ces scenarii. A ce moment-là, nous pouvions tabler sur trois scenarii potentiels. Le premier est un scénario de type pandémie du SRAS, quelque chose qui tournerait en « eau de boudin », qui s'étiolerait de lui-même. Ce scénario était arrivé pour le SRAS et pouvait donc se produire pour ce nouveau virus.
Nous ne favorisions pas ce scénario, parce que le SRAS est une maladie très « bruyante », provoquant des pneumopathies qui imposent des hospitalisations dans l'immense majorité des cas. Aucun cas asymptomatique n'est généralement décelé. Le SRAS est donc facilement identifiable sur un tarmac d'aéroport ; on est capable d'identifier des malades très fébriles et on peut éviter ainsi sa propagation. Au contraire, le virus de la grippe, qui est un virus normal, avec une vitesse de propagation normale, est difficilement identifiable compte tenu de nombreux cas asymptomatiques. Les contrôles sanitaires aux frontières sont inefficaces et le virus se répand dans la population. Donc nous ne pensons pas que ce scénario se déroulera.
Le scénario dont on entend beaucoup parler à cette époque (où l'on veut annuler les vols à destination et en provenance du Mexique, etc.) est le scénario de la grippe espagnole de 1918, un scénario catastrophiste prévoyant des millions de morts. Nous ne pensions pas que ce scénario devait être retenu.
Nous évoquions plutôt le troisième scénario : « une pandémie des temps modernes ». Nous le privilégiions, parce que les deux dernières pandémies que nous avons connues, celle de 1957 et celle de 1968 relevaient de cette catégorie : une grande partie de la population sera affectée ; aucune mesure barrière ne sera véritablement efficace et la mortalité sera assez voisine de celle des épidémies de grippe saisonnière, pour lesquelles on paie un assez lourd tribut, elle sera amplifiée mécaniquement par le fait que plus de personnes seront atteintes.
Nous évoquions l'idée qu'il pourrait y avoir, mécaniquement, - comme il y a 6 millions de cas de grippe saisonnière et 6 000 décès -, 30 millions de cas et 30 000 décès. Nous évoquions cela parmi les scenarii possibles.
Tout le problème de la virulence restera en revanche intact jusqu'au mois d'août. Pour ne pas faire d'anachronisme, il convient de se rappeler qu'à ce moment, nous disposions à peine des premières données sur l'hémisphère Sud.
Nous nous rendons compte alors que cette grippe H1N1 présente des caractéristiques habituelles dans sa propagation, mais qu'elle a une spécificité : elle tue des personnes jeunes, adultes, sans aucun facteur de risque.
En outre, si, dans le cas de la grippe saisonnière, un décès pour un million de malades est dû à un syndrome de détresse respiratoire aiguë - soit en France, 5 à 6 cas pour 6 millions de malades chaque année - on a constaté que ce taux s'élevait, dans le cas du virus A (H1N1)v, à un décès pour 10 000 cas, soit un taux de mortalité directement due au virus lui-même cent fois plus élevé que celui de la grippe saisonnière -, comme je l'indiquai dans un entretien accordé au journal Le Monde .
M. François Autain, président - Vous parlez bien de l'interview du Monde du 29 août, avec un titre...
M. Antoine Flahault - Je ne suis pas responsable du titre. Le titre n'est pas faux, mais il parle de la mortalité directe. Et je maintiens que la mortalité directe était cent fois supérieure.
M. François Autain, président - Vous avez jeté la panique, non ?
M. Antoine Flahault - La grande difficulté - je le reconnais - est peut-être la compréhension des phénomènes. De quoi meurt-on de la grippe et comment meurt-on de la grippe ? On meurt de mortalité directe, c'est le virus qui vous tue, c'est exceptionnel, une fois par million (c'est écrit dans l'article). Pour le virus H1N1, ce n'est pas un par million, c'est un par dix mille, c'est bien cent fois plus. C'est un virus qui a une mortalité directe très supérieure au virus de la grippe saisonnière. En revanche, la mortalité indirecte semble très inférieure et cela, personne ne pouvait, au mois d'août, le dire et semble même inférieure à celle de la grippe saisonnière. Qu'est-ce que la mortalité indirecte ? C'est très important, je me permettrai d'insister dessus.
Aucune série n'avait été publiée, avant la grippe A (H1N1)v, sur la mortalité directe liée à la grippe. Les premières séries vont être publiées par les Néo-zélandais et les Australiens en novembre 2009.
Ces études statistiques montrent que le nombre de décès rapporté au nombre de cas d'hospitalisations en réanimation est de l'ordre de 10 % chez les sujets âgés de 18 ans à 70 ans et plus. Ce taux varie peu selon l'âge dans cette population, mais est inférieur chez les enfants.
La grande difficulté va toujours être d'évaluer la virulence. On n'a pas beaucoup de difficulté pour détecter, ni pour montrer la propagation dans le monde d'un virus, mais on en a en revanche pour évaluer sa virulence. Dans le fond, qu'entend-on par mortalité, quel est le risque lié à cette grippe H1N1 ? Des études montrent des corrélations très claires entre les isolements de virus saisonniers, H3N2 par exemple, et les décès ou les hospitalisations, enregistrés au moment du pic épidémique de grippe saisonnière. Il s'agit de la mortalité indirecte.
Pourquoi je parle de mortalité indirecte ? Il y a en France, statistiquement, 6 000 décès en moyenne chaque année à cause de la grippe saisonnière. Qu'est-ce que ça veut dire « à cause » ? Est-ce que ça veut dire que les médecins repèrent 6 000 personnes qui décèdent à cause de la grippe saisonnière ? La réponse est non. Les médecins ne repèrent, en moyenne, que 600 décès par grippe saisonnière, qui sont mentionnés dans les registres de décès.
Autrement dit, vous avez une mortalité que l'on observe statistiquement sur les courbes de décès car, à chaque fois que passe une épidémie de grippe dans le pays, vous avez un excès de mortalité, toutes causes confondues, qui est de 6 000 décès par rapport aux années précédentes où, pendant les mêmes périodes, il n'y avait pas d'épidémie de grippe. Les médecins ne voient que 10 % de cette mortalité, puisqu'il n'y a que 600 certificats de décès qui sont rapportés.
Il y a donc énormément de décès qui ne sont jamais vus par les médecins, qui ne sont jamais rapportés dans les bases de données et qui sont cette mortalité en excès, qui est en fait très semblable à celle enregistrée pendant la canicule ou le chikungunya à l'île de la Réunion et qui ne correspond pas exactement aux certificats de décès, mais à ce que l'on appelle cet excès de mortalité dû à la grippe. Elle est extrêmement corrélée à la grippe, elle est corrélée dans tous les pays où elle est observée et elle est totalement corrélée à l'intensité de la grippe saisonnière.
Nous n'avions donc aucune raison de penser raisonnablement, en septembre 2009, que cette mortalité indirecte ne surviendrait pas. Ça n'avait rien de catastrophiste de penser qu'elle surviendrait avec le même taux que pour la grippe saisonnière. Nous n'avions donc pas de raison de penser que la grippe H1N1 donnerait moins de mortalité en excès que la grippe saisonnière. Nous n'avions que cette base-là pour raisonner. Nous disions uniquement : il y aura le même taux de mortalité, un cas pour mille de décès par grippe H1N1. Nous ne voyions pas à cette époque comment nous pouvions dire cela différemment. L'Institut de veille sanitaire (InVS) disait d'ailleurs : « Il y aura entre 3 000 et 96 000 décès, selon les différentes hypothèses de virulence ou de taux d'impact. »
Voici peut-être une clé qui nous permet de comprendre aujourd'hui pourquoi la mortalité en excès a été, en nombre absolu, inférieure à la grippe saisonnière. Finalement, le résultat et la grande surprise de cette grippe ont été que la mortalité a été très inférieure, même à celle de la grippe saisonnière, ce qui peut s'expliquer par le fait que les personnes âgées bénéficiaient d'une immunité naturelle contre le virus A (H1N1)v qui, en revanche, a frappé de façon plus importante des personnes jeunes.
Or, la mortalité dite indirecte de la grippe saisonnière, ce sont essentiellement, comme le montrent certaines études sur le virus H3N2 saisonnier, des personnes très âgées, très malades qui, à l'occasion d'une infection par le virus de la grippe, décompensent une maladie préexistante (une maladie de Parkinson, une insuffisance cardiaque, une insuffisance respiratoire) à laquelle est imputé leur décès. Le médecin ne va très souvent pas mentionner l'affection par la grippe, soit parce qu'il ne l'aura même pas constatée, soit parce qu'elle sera passée au second plan de la maladie connue, très grave, du patient en fin de vie. Vous n'avez pas ce phénomène avec le virus H1N1, car une grande partie des personnes très âgées ont été protégées par leur immunité naturelle contre ce virus pandémique.
Les résultats d'une étude réalisée aux Etats-Unis, à partir de données issues de 122 villes nord-américaines sur cette fameuse mortalité par pneumonie et par grippe, illustrent le concept de mortalité indirecte et de mortalité en excès. En 2008, où il y a une forte épidémie de grippe H3N2, il y a une mortalité en excès qui crève le seuil saisonnier habituel. En 2009-2010, à partir du mois de septembre, alors même qu'on est au creux de la courbe, c'est-à-dire à la sortie de l'été, il y a une mortalité en excès. Il y a donc bien eu aussi, avec le H1N1, une mortalité en excès.
Un article important, paru dans Nature , présente trois façons qu'ont les Etats-Unis aujourd'hui d'évaluer la mortalité liée à la grippe H1N1, au cours de l'automne-hiver derniers. La première, ce sont les décès tels qu'ils ont été rapportés à l'OMS, l'équivalent de nos 300 décès français environ, ce qui est assez peu par rapport à la mortalité associée aux épidémies causées par les virus H1N1 ou H3N2 saisonniers ou par les pandémies de grippe de 1968 ou 1957.
Une autre estimation prend en compte certains décès qui n'avaient pas été répertoriés.
La troisième est l'application nouvelle du concept d'excès de mortalité. La mortalité en excès a été évaluée à 44 100 décès pour les Etats-Unis, pour cette pandémie de H1N1.
Ce panel montre un réajustement de la notion de mortalité. De quoi parle-t-on quand on parle de la mortalité H1N1 pandémique et de la mortalité saisonnière ou liée au virus H3N2 de 1968 ? On ne parle pas de la même chose, parce que les décès ne sont pas survenus à la même période. En 1968, comme dans les dernières saisons, il s'agit d'une mortalité de personnes extrêmement âgées, de plus de 90 ans, qui ont une espérance de vie extrêmement faible. Si vous calculez le nombre d'années de vie perdues par cette pandémie 1968 et que vous le comparez avec le nombre d'années de vie perdues dans le cadre de la grippe A (H1N1)v qui a souvent touché des adultes jeunes, vous vous apercevez que le nombre d'années de vie perdues en 2009-2010 est à peu près équivalent à celui de 1968, un peu supérieur, et un peu inférieur à celui de 1957.
On a bien eu affaire à une pandémie des temps modernes dont l'impact sanitaire n'a pas été en réalité très différent de celui de 1968.
Ce sont les premières estimations qui sont fournies aujourd'hui par les Etats-Unis. Je ne serais pas surpris (même si elles ne sont pas parues encore en Europe) que nous ayons affaire en Europe à un phénomène similaire.
En termes de coûts, les économistes chiffrent entre 0,4 et 0,7 % du PIB du Mexique l'impact de la pandémie. Rapporté au PIB français, cela représenterait 12 milliards d'euros perdus, sans les mesures qui ont été prises.
Un autre élément démontre qu'il y a eu une « signature de pandémie » et que l'on n'a pas eu affaire à une souche virale « ordinaire » : la disparition des virus saisonniers. En effet, après chaque pandémie, il est constaté que le virus pandémique fait disparaître la circulation des virus saisonniers. Par exemple, en 1957, le virus H2N2 a fait disparaître le H1N1 de la circulation. Quand H3N2 est arrivé en 1968, il a fait disparaître H2N2 de la circulation. C'est ce qui se passe également aujourd'hui : il n'y a plus de virus circulant H3N2 saisonnier ou H1N1 saisonnier. C'est une signature pandémique qui montre que nous n'avons pas affaire à une souche qui est une simple petite souche de grippe et qui aurait eu juste une petite existence en 2009. On a affaire à une pandémie qui déplace complètement l'écologie virale des virus de la grippe de type A.
« Penser que les vaccins sont arrivés trop tard » , c'est le titre d'un des numéros de la revue Nature . Les vaccins arrivent le 22 septembre, alors que toute l'histoire est passée, mais c'est l'histoire de l'Australie. Personne, en effet, ne pensait qu'un vaccin aurait pu être disponible en Australie pour le début de leur première vague. Nous pensons qu'ils auront affaire à une deuxième vague l'hiver prochain, c'est-à-dire en mai ou juin prochain.
Le vaccin est arrivé, il a été plus ou moins utilisé par la population des différents pays, pratiquement avec insuccès dans tous les pays, sauf le Canada, la Hongrie et la Suède, où les taux de vaccination sont très supérieurs à ceux de la France. Cette pandémie des temps modernes ressemble beaucoup à celle de 1968, puisque pratiquement l'ensemble des pays de la planète ont été contaminés par le virus. Le virus a presque complètement remplacé le précédent.
L'impact sur la mortalité est différent, le visage de cette pandémie est différent, on a affaire à du H1N1 qui s'attaque plus aux jeunes, à des jeunes adultes, des femmes enceintes, des gens qui ont des facteurs de risque comme le diabète, l'asthme et les insuffisances cardiaques. Elle entraîne, en termes de nombre d'années de vie perdues, quelque chose qui est assez proche de ce que l'on a connu en 1968 et 1957.
Je vous remercie de votre attention.
M. François Autain, président - Je vous remercie de cet exposé argumenté et je passe la parole à monsieur le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Je vais revenir sur l'évaluation du risque et la décision publique. Vous avez écrit sur votre site Internet : « l'improbable vaccin pour tous » . Vous dites : « Nous attendions un virus H5N1 si différent, si dangereux, que l'analogie avec la grippe saisonnière semblait presque hors sujet, voire sans intérêt. Aujourd'hui, nous mesurons à quel point s'être préparé au pire H5N1 n'était pas d'une grande utilité pour affronter le moindre H1N1 qui, qui plus est, ne sera peut-être pas si moindre que cela. »
Selon vous, la préparation à des risques de grande ampleur a-t-elle empêché de prendre en compte le caractère moins grave de cette pandémie ? Y a-t-il eu, à votre sens, une application excessive du principe de précaution dans la gestion de la pandémie ? Quelle différence faites-vous entre principe de précaution et principe de prévention ? Quelle aurait dû être, selon vous, le mode d'évaluation du risque pandémique ? C'est ma première question, j'en ai six qui suivent.
M. Antoine Flahault - J'ai longtemps cru que « qui pouvait le plus pouvait le moins ». Je pensais, pendant longtemps, que se préparer au pire (parce que H5N1 aurait été le pire, avec une mortalité de l'ordre de 60 %) pourrait nous aider à nous préparer à une pandémie plus habituelle, comme celle de 1968 ou celle survenue en 2009-2010.
Je l'ai longtemps cru, pourquoi ? Parce que c'était le virus de la grippe, qu'il était sensible au Tamiflu, parce que la préparation, le financement de ces « usines d'armement » que sont les laboratoires pharmaceutiques (usine d'armement pour la vie, pour préparer des vaccins) allaient être utiles quel que soit le virus. J'ai longtemps cru aussi que les mesures de prévention et de précaution (fermeture des écoles et des usines, port des masques) pourraient être adaptées en fonction du type de virus, qu'il s'agissait juste d'une question de curseur.
En réalité, pour poursuivre les analogies guerrières (toute l'épidémiologie est d'ailleurs empreinte d'images guerrières : la « lutte » contre les épidémies, les « campagnes » de vaccination, les « Sentinelles », etc.), on est un peu dans la même situation que lors de la guerre en Irak : on envoie des chars pour lutter contre le H5N1, alors qu'on est face à une guérilla urbaine contre laquelle il faudrait lutter avec des armes plus affûtées et une stratégie militaire très différente.
M. François Autain, président - Les armes de destruction massive.
M. Antoine Flahault - En effet, on va être extrêmement pénalisé par une « artillerie » lourde, qui ne sera pas très utile, avec une très grande difficulté à adapter au jour le jour notre stratégie en fonction des informations qui arrivent. Au fond, nous ne savons pas bien encore nous préparer à faire face à ce genre de pandémie qui n'est pas gravissime alors que nous avons des chances qu'il s'en produise d'autres du même genre dans l'avenir. Nous ne savons pas bien lutter de façon souple contre ces petites « guérillas urbaines », qui imposent cependant de doper des outils sophistiqués, par exemple dans le domaine des moyens de réanimation. Il faudrait aussi une certaine « plasticité » du plateau médical.
Finalement, les pays qui ont été probablement les plus performants sont ceux qui ont été les plus souples (nous publions des études sur cette question), et ceux dont la population (on parlait de la Suède et de la Hongrie) n'est pas trop importante.
M. François Autain, président - Vous ne citez pas la Pologne.
M. Antoine Flahault - La Pologne n'a pas utilisé du tout de vaccin. Je cite la Hongrie, parce qu'elle est voisine de la Pologne, mais elle a un taux de vaccination très élevé. La Pologne n'a pas du tout appliqué le principe de précaution. Quelle est la différence entre principe de précaution et principe de prévention ? Le principe de précaution s'applique lorsque vous manquez de connaissance. Le politique doit gérer la situation d'incertitude. Vous n'avez pas de connaissance de la part de vos chercheurs ou pas suffisamment, pour déployer des mesures de prévention. Vous ne pouvez déployer des mesures de prévention que lorsque vous voulez prévenir un risque avéré. Lorsque le risque est hypothétique, vous allez éventuellement mettre en marche un dispositif de précaution.
M. François Autain, président - Il n'est pas hypothétique.
M. Antoine Flahault - Le risque est hypothétique au mois de mai.
M. François Autain, président - De moins en moins hypothétique.
M. Antoine Flahault - Toute la progression des connaissances va faire que le risque va devenir de moins en moins hypothétique et que certaines mesures de prévention vont s'avérer inefficaces ou ne seront pas prises (les masques ne seront pas déployés).
M. François Autain, président - Il aurait peut-être fallu réviser le plan.
M. Antoine Flahault - Il fallait réviser le plan, il a été révisé successivement. Je ne suis pas en charge de la gestion du risque, donc je répondrai moins bien sur ces questions. Il relevait, par exemple, de l'application du principe de précaution, de commander deux doses pour tous les citoyens : les dossiers d'autorisation de mise sur le marché déposés auprès de l'Agence européenne du médicament (EMA) prévoyaient deux doses.
A partir du moment où l'EMA préconise une utilisation de deux doses (car la seule autorisation de mise sur le marché n'a été donnée que pour deux doses), je ne vois pas comment le pouvoir politique peut se permettre de dire : « Vous ne donnez qu'une dose ». Jusqu'en septembre, l'EMA considère qu'il faut garder deux doses.
M. François Autain, président - Vous avez dit que si on avait voulu injecter toutes ces doses à la population, il aurait fallu un an. On est en train de commander des doses, alors que l'on sait pertinemment qu'on ne pourra pas les administrer, donc il y a un véritable problème.
M. Antoine Flahault - Sur le plan de la stratégie immunitaire, comme l'a indiqué monsieur le rapporteur, j'ai toujours pensé que les connaissances scientifiques actuelles son insuffisantes pour préconiser une vaccination de masse. Si nous voulions nous préparer à la vaccination de masse, nous aurions pu, pendant toutes les grippes saisonnières.
Mais on n'a jamais tenté de lutter de façon massive contre les épidémies de grippe saisonnière, malgré les 6 000 décès par an. La seule chose que l'on ait tentée, c'est de le faire en protégeant les personnes à risque. La stratégie de lutte contre la grippe n'a toujours été qu'une protection des personnes à risque, d'ailleurs mal évaluée. Il y a une très forte controverse dans la littérature scientifique à ce sujet : il n'y a pas d'essais organisés de façon suffisante qui montrent que vacciner les personnes âgées contre la grippe saisonnière est quelque chose de totalement efficace.
On peut donc dire que, pour la grippe A (H1N1)v, il n'existait pas de connaissances solides permettant d'apprécier l'efficacité d'une stratégie vaccinale de masse. Seuls nos modèles mathématiques le montraient. Le modèle que j'ai publié indique que l'immunisation de 30 % de la population (et pas 100 %), est suffisante pour enrayer une pandémie. Mais c'est un travail théorique reposant uniquement sur de la modélisation, dont on sait qu'elle est sujette à caution.
Or, aucune mesure de stratégie de prévention ne peut reposer uniquement sur des travaux théoriques ; je le dis, alors que c'est moi qui ai produit ces travaux. Il faut absolument associer à ces travaux théoriques des travaux de recherche clinique montrant que, en effet, la vaccination de 30 % de la population d'une région française permettrait de réduire le pic épidémique observé dans cette région par rapport à celui des régions voisines, par exemple.
M. Alain Milon, rapporteur - L'idée de proposer un vaccin à toute personne désireuse de se faire vacciner a été présentée comme un choix éthique par le ministre de la santé. Il a cependant été indiqué à notre commission d'enquête par M. Bruno Lina, que la vaccination avait commencé si tard qu'elle s'était effectuée « à la limite de l'intérêt individuel ». Vous l'avez d'ailleurs constaté aussi dans vos schémas.
La même situation ne risque-t-elle pas de se retrouver pour toute pandémie grippale, compte tenu des délais incompressibles d'élaboration et de mise à disposition des vaccins ? Quelle est, dès lors, la justification d'une politique de vaccination massive ? Quelle politique alternative pourrait-on envisager ?
M. Antoine Flahault - On est extrêmement gâté et parfois extrêmement injuste dans nos évaluations, lorsqu'il s'agit de la mise sur le marché d'un nouveau vaccin. Je ne connais pas d'exemple, en-dehors de celui de la grippe, où les fabricants sont capables de produire en un temps si court de telles quantités de vaccins pour de telles quantités de population, en plus, avec certainement beaucoup de profits (les industries d'armement s'enrichissent également quand il y a des guerres). Ce sont des armes pour protéger des vies. Je ne connais pas d'exemple autre, que ce soit le Sida, la dingue. Aujourd'hui, nous sommes en butte à des verrous technologiques, scientifiques qui nous empêchent de trouver, puis de produire des vaccins en quantité suffisante.
M. François Autain, président - Quand on dit en quantité suffisante, j'ai vu que l'on avait fabriqué un milliard de doses de vaccin et il y en a eu 200 millions qui ont été utilisés. C'est bizarre, non ?
M. Antoine Flahault - L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a demandé aux industriels du médicament de fabriquer un milliard de doses. On a tous dit à l'époque que cela serait scandaleux que les plus pauvres ne puissent pas bénéficier de ces vaccins. Vous trouvez une industrie qui a été calibrée pour fabriquer des vaccins pour toute la planète et, après, vous allez le reprocher.
M. François Autain, président - Je ne le reproche pas, je le constate.
M. Antoine Flahault - Pas vous, monsieur le président, mais on va l'entendre, voire le reprocher, dans la littérature, aux fabricants de vaccins (que je n'ai pas à défendre par ailleurs, je dis juste que ce sont des bons auxiliaires de santé publique). Ces fabricants de vaccin, s'ils sont capables de mettre à disposition sur le marché, en quelques mois, des quantités extrêmement importantes pouvant couvrir 20 ou 30 % de la planète, je dis que c'est un saut quantitatif extrêmement appréciable dans la perspective d'une nouvelle pandémie. On a eu une sorte de répétition. Peut-être que les fabricants seront échaudés à la prochaine campagne.
Le génie biologique a montré qu'il avait aussi ses limites et que, parfois, la production ne suivait pas la cadence que nous aurions espérée. Les vaccins ne sont pas arrivés à la vitesse que l'on a souhaitée au début. Malgré tout, on a à disposition un stock de vaccins, qui sera d'ailleurs utile pour la vague de l'hémisphère Sud et pour la vague qui reviendra dans l'hémisphère Nord.
M. François Autain, président - Vous faites encore des prévisions. Vous n'avez pas peur de vous tromper ?
M. Antoine Flahault - Si, j'ai toujours peur de me tromper. Simplement, il n'y a jamais eu d'année sans épidémie de grippe dans tout un pays, depuis 25 ans que nous surveillons les virus grippaux. Donc cela m'étonnerait qu'il n'y ait plus d'épidémie de grippe, mais vous pouvez faire la prévision qu'il n'y aura plus jamais d'épidémie de grippe sur la terre. Je ne fais pas cette prévision.
M. François Autain, président - Etes-vous d'accord avec le professeur Bruno Lina, pour dire que cette vaccination n'a pas été utile, à titre de protection individuelle, pour ceux qui l'ont reçue ?
M. Antoine Flahault - Je ne suis pas d'accord avec lui.
M. Alain Milon, rapporteur - Je ne pense pas que M. Bruno Lina ait dit que c'était complètement inutile. Il a dit que c'était à la limite de la protection individuelle.
M. François Autain, président - Est-ce que vous êtes d'accord avec ce terme, qui est évidemment différent de celui d'inutile ?
M. Antoine Flahault - A la différence d'un politique (domaine dans lequel je n'ai aucune expertise), l'opinion d'un scientifique sur cette question n'a pas un intérêt énorme. Ce qui serait intéressant, ce serait d'avoir une évaluation scientifique de l'efficacité de la vaccination. Je n'ai pas vu, à ce jour, de travaux montrant ou démontrant l'efficacité de cette vaccination.
Je suis presque sûr que des publications vont sortir et vont nous permettre de quantifier l'impact que cette vaccination a pu avoir à un niveau individuel et sur quelle partie de la population. Si cette vaccination a permis d'éviter des syndromes de détresse respiratoire aigüe chez certaines femmes enceintes par exemple (on dit que, en France, il y a très peu de femmes enceintes qui ont été atteintes par rapport à l'hémisphère Sud), on aura un gain que l'on pourra mesurer. C'est pour cela que je ne suis pas d'accord sur ce point avec le professeur Bruno Lina, s'il l'a dit. Je ne suis pas d'accord, parce que je n'ai pas vu les études disant que cette stratégie est inefficace.
M. François Autain, président - Vous pensez qu'il anticipe ou, en tout cas, qu'il risque de se tromper.
M. Alain Milon, rapporteur - En dehors même des questions que peut poser l'évolution de la définition des pandémies donnée par l'OMS, ne doit-on pas s'interroger, en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires, sur le caractère opérationnel d'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité ?
M. Antoine Flahault - Merci, monsieur le rapporteur. Ce débat me fait penser à une question de M. le président sur le titre de mon article publié par le journal Le Monde et sur ma propre responsabilité. Il est sain que le public et les politiques s'emparent de ces questions, notamment questionnent les scientifiques sur leur communication. Cette question que vous me posez sur le mot pandémie m'évoque la même chose.
Le mot pandémie vient du grec « pan », qui signifie « ensemble » et c'est une contraction de l'épidémie. Donc c'est une épidémie dans le monde. Ce que nous avons vu, c'est la signature d'une pandémie H1N1. L'idée qu'une pandémie était en route, nos modèles l'ont montrée dès le début du mois de mai, avant même que l'OMS ne déclare le passage au niveau 6 du plan pandémique.
Le mot pandémie véhicule des frayeurs et des craintes. Lorsque j'étais responsable du réseau Sentinelles à l'INSERM, mes homologues britanniques me disaient : « Tu as de la chance, en France, de pouvoir dire à la télévision qu'il y a une épidémie de grippe. » En Angleterre, c'est interdit de dire : « There is an influenza epidemic. » On doit dire : « An influenza outbreak. » On doit dire « outbreak » ; je ne sais pas traduire ça en français. En France, on dit « épidémie », on n'a pas peur de ce mot. En Angleterre, on ne dit pas « épidémie ». On ne doit pas prononcer ce mot.
Donc l'épidémiologiste anglais se restreint : il ne va pas dire à la presse un mot qui est effrayant. Peut-être que vous avez raison. Moi, le mot pandémie ne me gêne pas, parce qu'il s'applique véritablement à la situation épidémiologique que l'on voit. Mais vous avez peut-être raison, la perception qu'ont pu avoir les Français autour du mot pandémie a sans doute été différente. Je n'ai pas de difficulté à dire que, dès le mois de mai ou juin, on était face à une pandémie.
M. François Autain, président - La prochaine fois, il effrayera moins. Ils se rappelleront de la dernière pandémie et se diront que, finalement, ce n'était pas si grave. Mais, à ce moment-là, cela sera peut-être grave.
M. Alain Milon, rapporteur - Dernière question en ce qui me concerne : quel regard portez-vous sur l'organisation de la campagne de vaccination sur notre territoire ? Les médecins généralistes ont-ils été, selon vous, suffisamment associés à l'organisation de la campagne de vaccination ?
M. Antoine Flahault - Ils n'y ont pas été associés. On est presque en inclusion, par rapport à votre première question. Dans le fond, on se trouve face à un plan qui avait été conçu - et que j'aurais tout à fait soutenu dans le cas d'une pandémie grave - pour une menace tellement grave que les médecins devaient se consacrer aux soins de leurs patients et les salles d'attente ne devaient pas mélanger des gens en quête de vaccination et des gens potentiellement atteints d'un virus extrêmement mortel ou extrêmement fréquemment mortel.
M. François Autain, président - Dans les gymnases, vous pensez qu'il n'y avait pas ce risque de contagion ? Cela n'avait rien à voir avec la salle de consultation. La différence pour moi n'était pas absolument évidente, mais maintenant que vous me l'indiquez, je la comprends mieux. Il fallait qu'un expert me le dise, sinon j'aurais eu du mal à comprendre cette subtilité.
M. Antoine Flahault - Si vous prenez une maladie comme le SRAS ou la grippe H5N1, elle est tellement « bruyante » qu'il n'y a pas de personnes asymptomatiques. Donc, dans un gymnase, si vous mettez des gens qui viennent pour une vaccination et qui n'ont pas de signes cliniques, vous n'avez pas de risque de contamination.
En revanche, la grippe H1N1 est asymptomatique dans au moins la moitié des cas. Donc, dans un gymnase, il y a des risques de contamination avec la grippe H1N1, parce que vous avez des gens qui demandent la vaccination mais qui, sans le savoir, sont déjà porteurs du virus. Avec le plan H5N1, il était logique de penser aux gymnases. Dans le cas de la grippe H1N1, tout cela aurait pu être repensé.
Mme Marie-Thérèse Hermange - Je vous avais parlé, à plusieurs reprises, du politique confronté à un risque hypothétique et qui doit le gérer avec le principe de précaution. Il est sain que le politique s'intéresse à la question. Mais ce risque hypothétique est élaboré à partir de données et de modèles mathématiques, totalement normés, qui circulent entre les experts, mais qui ne sont pas de compréhension aisée pour l'opinion publique. Parmi vos modèles mathématiques, faites-vous plusieurs hypothèses de modélisation ?
Je suis toujours frappée d'une analyse que j'ai lue récemment, qui précise que l'on a des normes qui sont élaborées par des experts et qui fonctionnent en cercle restreint. La norme fonctionne en cercle restreint, mais après, le politique et la population doivent gérer une situation donnée, à partir de votre modèle, que vous seul comprenez. Et quand le modèle explose, parce que la population s'interroge (comme nous ici), on se dit qu'on aurait pu mettre en place un autre modèle.
Je m'interroge sur ces paradigmes qui fonctionnent uniquement entre experts, et qui nous arrivent pour nous dire que, par exemple, la grippe H1N1 constitue une pandémie, alors que le paludisme n'en est pas une, alors que l'on peut considérer qu'il en est une. Je suis très gênée par le fait qu'il y ait un modèle qui circule, sans savoir selon quelles hypothèses il a été construit.
M. Antoine Flahault - Je pense qu'il y a trois grands types de champs qui sont schématiquement couverts par les modèles mathématiques. Il y a les champs d'astrophysique, qui vous disent l'heure de la marée, que la lune se lèvera à 20 heures 02 et 34 secondes en 2050 à Paris, par exemple. Ces modèles ont une précision prédictive tout à fait acceptée, acceptable. Les expériences que nous en avons montrent que l'on peut s'y reporter, même sans comprendre l'ensemble des données astrophysiques et des théories qui sont sous-jacentes.
Le deuxième type de modèle, c'est le modèle météorologique : modèle de prévision des cyclones, avec une prévision de l'ordre de la dizaine de kilomètres, qui indique exactement, jour après jour, à plusieurs jours d'avance, la trajectoire présumée du cyclone. Vous pouvez être un paysan sans connaissance de la dynamique des fluides et être capable de comprendre qu'il faut évacuer la ferme que vous habitez pour vous mettre à l'abri en cas d'alerte. Ces modèles se trompent assez peu, mais on a vu malgré tout qu'ils peuvent se tromper de quelques kilomètres ou ne pas convaincre les politiques en charge de la gestion du risque ou les populations.
La troisième catégorie est la catégorie des modèles du secteur économique et du secteur épidémiologique. Ces modèles reposent, d'une part, sur des théories (comme tous les modèles, c'est leur objectif) simplificatrices, d'autre part, sur une compréhension des phénomènes largement imparfaite. Il n'y a pas d'épidémiologiste ou d'économiste qui dirait le contraire. En troisième lieu, ils font intervenir une donnée totalement incontrôlable (fort heureusement) : le facteur humain. Ce qui n'est pas le cas des deux autres catégories.
Autrement dit, ces modèles ne sont pas là pour dire la vérité. Quel est l'épidémiologiste ou l'économiste qui pourrait prétendre qu'il va dire la vérité ? Il ne prédit pas l'avenir. L'astrophysicien prédit l'avenir. Le météorologue prédit l'avenir, avec plus ou moins de succès.
M. François Autain, président - Je ferai une petite différence entre l'économiste et l'expert de santé publique. L'économiste ne voit pas venir les crises, alors que l'expert en santé publique a tendance à les inventer. Mais vous avez raison de le rapprocher de ces sciences humaines que sont l'économie et la médecine.
Mme Marie-Christine Blandin - Est-ce que vous n'avez pas l'impression que virologues et épidémiologistes étaient dans les starting - blocks depuis plus de dix ans, qu'ils étaient un peu comme le Président Bush qui voulait faire la guerre et qui a fini par dire : « Il y a des armes de destruction massive » . Ils voulaient lancer le plan pandémique, enfin cela allait arriver et ils ont fini par identifier un réassortiment somme toute banal comme le virus très dangereux.
Je suis interpellée par les travaux actuels de M. Bruno Lina, qui essaye de marier les souches H5N1 et A (H1N1)v. On lui a posé la question : qu'est-ce que cela va vous apporter ? N'y a-t-il pas eu finalement un certain « désir de pandémie » parmi les scientifiques et les chercheurs ?
Ma deuxième question est la suivante : dans votre exposé, j'ai découvert l'émergence d'une nouvelle unité, le nombre d'années de vie perdues. Cette unité est passionnante, parce que toutes les modélisations, tous les comptages, toutes les observations montrent que ce n'était pas si grave que ça. Si on raisonne à partir des quelques jeunes qui sont décédés, on a des chiffres importants, avec le nombre d'années de vie perdues. Du coup, est-ce que la rédaction du plan pandémie de départ n'était pas calée sur le risque de rupture de la continuité de la vie économique ? Est-ce que ce n'est pas ça qui a motivé « le calibrage » de ce plan pandémie, la peur de la rupture d'activité en France, de la perte économique bien plus que la perte de vie ?
M. Antoine Flahault - Il y a eu une pandémie en 1968-1969. Cette pandémie a causé 30 000 décès. Personne ne s'en souvient. Cela n'a laissé aucune trace, ni dans les médias de l'époque, ni dans l'imaginaire collectif. Donc l'idée qu'une pandémie revienne était très attendue par les virologues et les épidémiologistes.
Est-ce qu'on la désirait ? Je vous comprends, mais chacun fait son métier. Est-ce que les politiques désirent des troubles pour venir les sauver ? On peut tout instrumentaliser de cette façon. C'est une façon très cynique de voir les choses. Chacun peu avoir son interprétation des choses. Est-ce que les laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à avoir des malades pour faire des bénéfices ?
M. François Autain, président - Oui.
M. Antoine Flahault - Sans pouvoir me prononcer sur le désir de pandémie, je peux me prononcer sur le fait que tous les virologues et les épidémiologistes savaient qu'une pandémie allait survenir. J'ai dit qu'il y avait une signature pandémique. Vous pouvez l'appeler comme vous voulez, c'est une pandémie, le paludisme est une forme de pandémie, mais qui ne couvre pas l'ensemble de l'humanité, parce que les pays du Nord, actuellement, sont protégés contre le paludisme par le développement. Le paludisme n'atteint pas les pays développés du Nord ou du Sud. La dingue n'est pas une pandémie car elle ne concerne que la bande intertropicale.
La pandémie, c'est un terme épidémiologique et « pan » veut dire tout, le monde entier. Le monde entier est concerné par le virus H1N1. Il y a un article qui est paru, il y a deux ans, qui a montré que la mortalité liée à la grippe, comme pour toutes les maladies infectieuses, n'a fait que baisser depuis le début du XX e siècle.
M. François Autain, président - C'est une bonne nouvelle, il faut le dire. Essayez de nous donner le moral. A force d'entendre des experts nous dire que le ciel va nous tomber sur la tête.
M. Antoine Flahault - Pourquoi baisse-t-elle ? Elle baisse grâce aux gens qui prennent des mesures pour qu'elle baisse. Elle ne baisse pas pour rien. Elle ne baisse pas parce qu'on n'applique pas le principe de précaution. Elle baisse parce qu'un système de santé permet de soigner les malades. Elle baisse parce qu'on a des vaccins, des médicaments.
M. François Autain, président - Bien sûr. Je suis d'accord.
M. Antoine Flahault - On peut toujours penser qu'il ne sert à rien d'essayer de prévoir. On peut penser que nos modèles ne servent à rien. Les modèles n'étaient pas si faux, mais ils ont prévu quelque chose qui n'était pas simplement décelable en 1968. Ce n'est pas très vieux, 1968, et pourtant, en 1968, on n'a pas Internet, on n'a pas de réseau de surveillance, ni d'Institut de veille sanitaire ou autres instituts qui permettent de mesurer en temps réel.
Quand a-t-on vu qu'il y avait eu 30 000 morts en 1968 ? Après 2003. Après l'événement de la canicule, des chercheurs de l'INSERM ont revisité les courbes de mortalité. Ils se sont aperçus qu'il y avait eu des surmortalités à certaines périodes de l'année, notamment en 1968-1969. C'était passé complètement inaperçu. Aujourd'hui, cette pandémie a été extrêmement médiatisée, elle a été mise en lumière parce que l'on dispose d'instruments de mesure beaucoup plus efficaces qu'en 1968.
M. François Autain, président - Quel jugement portez-vous sur ces personnes, qui ne sont pas des experts, qui ont porté un jugement sur cette pandémie, totalement différent de celui qui a été porté par vous notamment et d'autres de vos confrères et qui s'est révélé, avec le temps, être finalement la vérité ? Est-ce qu'ils ne se sont pas trompés parce qu'ils avaient peu de connaissances ou qu'ils connaissaient mal le sujet ? Peut-être que vous considérez que vous ne vous êtes pas trompé ?
M. Antoine Flahault - Je pensais qu'il y aurait eu 30 000 morts et il y en a eu 300. Donc je me suis trompé.
M. François Autain, président - Pour quelle raison est-ce que vous vous êtes trompé ? Ces gens-là, un urologue, comme dirait Mme la ministre de la santé, et un professeur en retraite spécialisé dans les maladies tropicales, ce sont les deux qui ne se sont pas trompés. C'est assez étrange qu'ils ne se soient pas trompés et que ceux qui sont là pour ne pas se tromper se soient tous trompés. Je ne vous demande pas une réponse, mais peut-être que vous avez un début de réponse. En tout cas, il y a quelque chose de totalement étrange. Est-ce qu'on a perdu de vue les réalités ? Est-ce que les experts ne sont pas suffisamment en contact avec la réalité ?
Ma deuxième question est la suivante : est-ce que, à un moment ou à un autre, vous avez été consulté à titre officiel ou officieux par le Gouvernement, à quelque niveau que ce soit, étant donné que vous ne faites pas partie, à ma connaissance, des structures du Haut Conseil de la santé publique, des comités, etc. ?
M. Alain Milon, rapporteur - Etes-vous sûr de ne pas vous tromper en disant que le H1N1 va prendre la place des autres ?
M. Antoine Flahault - Je ne suis pas sûr de ne pas me tromper en faisant des prévisions. La prévision, par essence, est une science extrêmement compliquée et complexe. Le fait que la prévision soit erronée est, à mon avis, très utile, au contraire. C'est utile, parce que cela permet de regarder pourquoi nous nous sommes trompés.
J'ai essayé de vous montrer que la grande erreur qui avait fait penser que la mortalité absolue serait identique à celle de la grippe saisonnière était due au fait que nous avions mélangé les virus H1N1 saisonnier et H3N2 saisonnier dans notre interprétation. Pour nous, le fait de nous tromper est quelque chose qui est attendu. Les scientifiques ne sont pas là pour prédire l'avenir. Nous ne sommes pas des devins. Je l'ai toujours dit, depuis le début de mes prévisions. Je n'ai pas donné de prévisions avec autre chose que des conditionnels et des marges d'incertitude et d'erreur. Je les ai toujours accompagnées de trois scenarii.
M. François Autain, président - Ce n'est pas ce qui est apparu à la lecture des articles.
M. Antoine Flahault - Je n'ai pas dit ou écrit une seule fois qu'il y aurait 30 000 morts sans mettre un conditionnel.
M. François Autain, président - L'article du Monde m'a traumatisé.
M. Antoine Flahault - Il n'y a pas un mot de l'article du Monde que je renie aujourd'hui. En revanche, le point que je trouve particulièrement intéressant, c'est que nous sommes dans un sujet où la liberté d'expression scientifique est extrêmement importante et je trouve ça très bien. Que des gens non scientifiques puissent s'exprimer sur un débat comme celui-ci montre que notre débat est ouvert. Certaines communautés scientifiques sont beaucoup plus fermées. Il y a une voix beaucoup plus officielle et fermée pour certains débats scientifiques.
Nous sommes dans un débat scientifique ouvert, ce qui a été plutôt quelque chose de bien. Les gens ont pu dire que l'événement n'était rien, certains ont même pu dire qu'il n'y avait pas de pandémie et ils ont le droit et la possibilité de s'exprimer, sans qu'on les mette sur un bûcher.
M. François Autain, président - Vous n'avez pas répondu à ma deuxième question.
M. Antoine Flahault - Je n'ai pas eu de contact officiel avec les milieux gouvernementaux.
M. François Autain, président - Merci, monsieur le directeur, d'avoir répondu avec autant de précision aux questions qui vous ont été posées.