2. Le scrutin « à l'allemande » : compensation, proportionnalité, personnalisation et contrôle politique

Le dispositif proposé

Le mode d'élection des députés au Bundestag allemand est un mode de scrutin mixte dans lequel la moitié des 656 députés (328 députés dans 328 circonscriptions) est élue au scrutin majoritaire uninominal à un tour et l'autre moitié à la représentation proportionnelle au travers de listes présentées au niveau des Länder par les formations politiques.

L'électeur dispose de deux voix. La première voix lui permet d'élire un député, dans le cadre d'une circonscription. La seconde voix lui permet de choisir une liste présentée par un parti au niveau du Land.

Les « secondes voix » seront totalisées au niveau fédéral puis décomptées Land par Land pour la répartition proportionnelle des sièges attribués aux différents partis dans le Bundestag. Une fois le calcul opéré, un parti se verra donc attribuer x sièges dans chacun des Länder, le total des sièges obtenus Land par Land constituant le total des sièges auquel le parti aura droit au Bundestag.

On aurait pu imaginer que l'électeur allemand ne dispose que d'une seule voix : le vote au scrutin majoritaire uninominal dans les circonscriptions constituant aussi l' « assiette » de la répartition des sièges à la proportionnelle. Le même vote serait alors décompté de deux manières différentes. Mais cela impliquerait que chaque parti présente un candidat dans toutes les circonscriptions.

Les sièges obtenus par un parti sont attribués en priorité aux candidats de ce parti élus au scrutin majoritaire uninominal.

Ainsi, la moitié des sièges du Bundestag sera constituée d'élus de proximité choisis directement par l'électeur dans le cadre du scrutin majoritaire, l'autre moitié étant utilisée pour assurer à chaque parti, par compensation, le nombre de sièges auquel la représentation proportionnelle lui donne droit.

Le système allemand comporte enfin une disposition essentielle qui peut être considérée comme un correctif majoritaire : la clause d'exclusion des 5 %. En effet, un parti doit avoir obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au niveau fédéral (ou trois sièges directs) pour concourir à la répartition proportionnelle.

Ce système est appliqué à l'élection des membres de l'assemblée parlementaire. Un mode de scrutin équivalent est appliqué pour l'élection des membres des assemblées délibérantes des Länder 8 ( * ) .

Souvent cité en exemple, l'intérêt de ce système électoral réside dans la combinaison d'un scrutin majoritaire et d'un scrutin proportionnel. Son étude permet donc de comparer le mode de scrutin proposé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux avec un autre scrutin mixte , fondé sur des modalités différentes d'expression du suffrage (deux bulletins), de décompte des voix et de répartition des sièges mais qui ne comporte qu'un seul tour de scrutin. Elle permettra également d'éviter les comparaisons inexactes avec le mode de scrutin allemand.

a) L'analyse du mode de scrutin au regard des règles constitutionnelles
(1) L'analyse au regard du principe d'égalité devant le suffrage

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de souligner que ce principe constitue le fondement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière électorale.

Selon cette jurisprudence, le découpage des circonscriptions électorales doit être réalisé selon un principe essentiellement démographique.

Le respect de ce principe pourrait être assuré lors de la définition des nouvelles circonscriptions électorales nécessaires à l'élection des conseillers territoriaux . Si l'on retient l'hypothèse que ces circonscriptions seront déterminées dans le cadre départemental (un canton pour la part majoritaire, le département pour la part proportionnelle), la nouvelle carte électorale devrait donc s'attacher à réduire les inégalités démographiques existantes entre les cantons.

(2) L'analyse au regard de l'intelligibilité de la loi et de la lisibilité du scrutin

L'application d'un tel mode de scrutin pour l'élection des conseillers territoriaux soulèverait des difficultés techniques, mais aussi politiques. Ce mode de scrutin est en effet étranger à la culture politique française, son appropriation par les candidats et les électeurs demanderait du temps en raison de sa complexité.

Selon l'étude d'impact, la complexité de ce mode de scrutin serait liée à l'existence d'un double bulletin de vote. Pourtant, si le recours à ce double bulletin est régulièrement évoqué par les constitutionnalistes qui analysent le mode de scrutin proposé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux, c'est pour souligner que ce mode de scrutin serait sans doute plus lisible avec l'attribution d'un second bulletin de vote à chaque électeur . L'argument avancé par l'étude d'impact a donc une portée limitée.

La lisibilité du scrutin pourrait également être analysée au regard des règles de répartition des sièges. En examinant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on peut constater que le mode de scrutin régional adopté en 2003, dont les modalités de répartition des sièges apparaissent particulièrement complexes aux yeux d'un large public, n'avait pas été censuré, mais assorti d'une réserve d'interprétation.

b) L'analyse du mode de scrutin au regard de l'objectif de représentation des territoires

Parmi les difficultés soulevées par l'application de ce mode de scrutin se pose la question du choix de la circonscription électorale.

Pour être pertinent, ce mécanisme a besoin d'être appliqué sur un nombre de sièges suffisant. Le département devrait donc constituer la circonscription électorale de base. Seuls les départements disposant d'un nombre important de conseillers territoriaux pourraient éventuellement recourir à ce mode de scrutin dans le cadre de circonscriptions infradépartementales.

Mais, dans un département qui ne compterait qu'entre 15 et 20 conseillers territoriaux, seule la moitié d'entre eux serait élue dans un canton. Dans ce contexte, aucun élu ne disposerait d'un ancrage territorial fort. Le découpage électoral formerait des cantons de très grande superficie, sans unité en termes de bassin de vie, ce qui ne favorise pas la formation d'un lien de proximité entre l'élu et la circonscription.

Par ailleurs, la moitié des sièges serait pourvue par l'intermédiaire d'un scrutin de liste départemental, sans que les élus ne représentent un territoire. Votre rapporteur avait déjà souligné lors de l'analyse du mode de scrutin proposé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux les effets négatifs de la dose de proportionnelle limitée à 20 % au regard de la représentation des territoires. Il ne peut que réitérer cette observation lorsque cette même dose atteint 50 %.

Votre rapporteur émet donc une appréciation négative sur les effets de ce mode de scrutin au regard de la représentation des territoires .

c) L'analyse du mode de scrutin au regard du pluralisme

Ce mode de scrutin est susceptible de favoriser l'expression du pluralisme politique.

A première vue, l'attribution de deux bulletins de vote à chaque électeur permet de dissocier le choix d'un homme et d'un parti et de favoriser la représentation des diverses sensibilités politiques.

Cette observation semble pouvoir être confirmée par un bref regard du paysage politique allemand. Pas moins de cinq partis politiques sont représentés au sein du Parlement, ou des Länder (CDU-CSU, SPD, FDP, Verts, Die Linke). Une comparaison, toute chose égale par ailleurs, avec le système britannique, qui recourt à un mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour, montre que le système mixte allemand favorise une meilleure prise en compte des différents courants d'opinion politique.

L'étude d'impact jointe au projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux apporte un bémol à ce constat. Elle estime que le recours à ce mode de scrutin empêcherait une représentation satisfaisante des petites formations. Cette remarque nous apparaît comme fondée. Compte tenu du faible nombre de sièges distribué à la proportionnelle, notamment dans les départements les moins peuplés, la répartition proportionnelle profiterait en priorité aux formations les plus importantes. Votre rapporteur a déjà évoqué cet effet lors de son analyse du mode de scrutin proposé par le Gouvernement.

d) L'analyse du mode de scrutin au regard de l'objectif de parité

Au regard de l'objectif de parité, ce mécanisme électoral dispose des qualités traditionnellement accordées au scrutin de liste. Ce constat doit cependant, là encore, être nuancé.

En effet, la moitié des sièges sont répartis au scrutin uninominal dans le cadre d'une circonscription. Sur cette partie de l'élection, seuls des mécanismes complémentaires sont susceptibles de permettre la poursuite de l'objectif de parité, par l'exemple l'obligation pour le candidat de choisir un suppléant de sexe opposé.

Seul le scrutin de liste permettrait de contribuer à l'objectif de parité du fait de l'obligation d'une alternance dans la présentation des candidats .

A l'évidence, il est donc difficile de dire si un tel mode de scrutin constituera un avantage par rapport au droit actuel qui mélangeait déjà un scrutin majoritaire (les cantonales) et un scrutin de liste (les régionales).

e) L'analyse du mode de scrutin au regard de l'objectif de gouvernance

Le mode de scrutin à l'allemande, pour reprendre l'expression de l'étude d'impact, ne favorise pas « mécaniquement l'émergence d'une majorité de gestion ».

Ainsi, lors de la précédente législature, l'Allemagne a été gouvernée par une grande coalition, regroupant les deux principaux partis politiques du pays, traditionnellement adversaires.

Le recours à des coalitions entre formations politiques représentant des sensibilités proches (la CDU et le FPD, ou le SPD et les Verts), en concurrence lors du scrutin, peut également être constaté au niveau régional.

Ce mode de scrutin permet de distinguer clairement les concurrents en présence ainsi que d'identifier, dans chacun des camps en présence, celui qui a vocation à le diriger (le chancelier au niveau fédéral, ou les ministres présidents des Länder).

La formation d'une majorité est possible dans la cadre de la circonscription électorale. Dans l'hypothèse que nous avons retenue, elle se formerait ainsi au niveau départemental.

Utilisé pour l'élection des conseillers territoriaux, ce mode de scrutin n'offrirait, par contre, aucune garantie pour favoriser l'émergence d'une majorité au sein de l'assemblée régionale. L'absence de mécanisme électoral de dimension régionale explique cette situation.

Conclusion

Ce mode de scrutin présente des mécanismes très intéressants au regard de la représentation des sensibilités politiques et de l'objectif de parité.

Il souffre néanmoins d'un défaut majeur, celui de ne pas permettre une représentation optimale des territoires .

Cela tient au fait que la moitié des conseillers territoriaux seraient élus au niveau départemental, au scrutin de liste, et ne bénéficieraient ainsi d'aucun véritable ancrage territorial. Le mode de désignation de ces candidats peut en outre se traduire par une absence totale de représentation de certaines parties d'un département.

Ce mécanisme constitue un défaut trop important pour envisager le recours à ce mode de scrutin .

* 8 Cf. annexe p. 180 et suivantes.

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