SÉQUENCE 2 - NOS MOYENS SONT-ILS ADAPTÉS AUX MENACES ACTUELLES ?
M. Serge VINÇON, Président -
Je vous propose de passer à notre deuxième thème : les moyens de la dissuasion nucléaire et leur adaptation aux menaces actuelles.
L'une des questions majeures qui revient à ce propos est celle du poids financier du nucléaire, qui a d'ailleurs notablement évolué ces quinze dernières années, par rapport aux besoins des forces conventionnelles. Mais pour répondre à cette question, il faut bien entendu examiner la justification de nos différents programmes nucléaires militaires.
Devons nous conserver deux composantes ?
En quoi les améliorations apportées par nos nouveaux missiles sont-elles nécessaires ?
Quelles sont les adaptations apportées à nos armes pour répondre à notre doctrine, qui ne privilégie plus l'hypothèse de frappes massives ?
Enfin, quel est le rôle de la simulation numérique et quelle garantie nous apporte-t-elle par rapport aux essais ?
Introduction au débat : général Henri BENTÉGEAT, M. Daniel VERWAERDE
Général Henri BENTEGEAT, chef d'état-major des Armées -
Nos moyens sont-ils adaptés ?
Face aux menaces présentes et avenir, on peut dire que le chef des armées a approuvé un modèle d'armée pour 2015 régulièrement actualisé. Ce modèle repose sur un équilibre entre quatre fonctions traditionnelles : prévention, protection, projection-action et dissuasion.
Le discours du 19 janvier 2006 du Président de la République apporte une clarification importante. La dissuasion est la forme ultime de la prévention. Pour prévenir un conflit majeur ou un chantage sur nos intérêts fondamentaux, nous disposons d'une capacité de renseignement autonome, de forces pré positionnées à l'extérieur et de notre force nucléaire.
Les forces nucléaires représentent 20 % de nos crédits d'investissement et, tous crédits confondus, seulement 8 % de l'ensemble du budget de la défense. Il est abusif de dire que la dissuasion handicape nos capacités d'action conventionnelle. Le niveau de nos forces nucléaires est limité à la stricte suffisance, c'est-à-dire notre capacité à menacer un adversaire éventuel, notre capacité de lui infliger des dommages inacceptables. Dans le cadre de la stricte suffisance, nous avons abandonné, en 1996, la composante sol-sol du plateau d'Albion, les missiles préstratégiques Hades et démantelé le Centre d'expérimentation du Pacifique.
Les deux composantes de nos forces nucléaires, sous-marine et aérienne, sont l'une et l'autre indispensables pour assurer la permanence et la crédibilité de notre dissuasion.
Nos sous-marins garantissent non seulement la permanence mais également la capacité de frappe en second. Cela signifie que leur indétectabilité leur confère une certaine invulnérabilité. Même si une frappe massive nucléaire était appliquée sur le territoire français, nos sous-marins ne seraient pas touchés et seraient en mesure de répliquer avec cette capacité de menacer de tirs en retour qu'eux seuls peuvent nous donner. Les sous-marins sont les seuls, grâce à l'allonge de leur missile balistique, à pouvoir frapper sur la plus grande partie du globe.
Nos avions, équipés du nouveau missile ASMP-A (Air-sol-moyenne portée - amélioré), ont une capacité distincte de frappe de précision, qui permettrait de détruire des centres de pouvoir d'une puissance régionale. Ceci me paraît très important car c'est la question qui m'est souvent posée : pourquoi ne pas renoncer à la composante aérienne ? Les Britanniques n'ont qu'une composante : les sous-marins nucléaires, mais il faut dire que leurs sous-marins nucléaires sont équipés de missiles Trident infiniment plus précis que nos missiles balistiques. La deuxième capacité de notre force aérienne est une capacité dite « de gesticulation ». Le fait de mettre en alerte nos forces aériennes et de déplacer le porte-avions en charge d'avions équipés de l'arme nucléaire nous donne la possibilité de faire comprendre à l'adversaire éventuel que les choses deviennent sérieuses.
Une inflexion majeure dans notre concept de dissuasion et dans l'adaptation de nos moyens a été annoncée par le Président de la République, le 8 juin 2001, et explicitée dans son discours du 19 janvier 2006. Il s'agit bien de la dissuasion à l'égard des puissances régionales, qui ne repose plus sur une menace anticipée contre les populations mais sur une menace précise de destruction des principaux centres de gouvernement ou de l'armée, ou même des principales capacités économiques d'un pays, avec une très forte limitation des retombées collatérales sur les populations. La crédibilité même de notre menace par rapport à ces puissances régionales implique que les pertes de population de ces pays soient limitées si l'on veut que notre adversaire la prenne en considération. Aujourd'hui, très peu des gouvernements concernés, dans ces Etats souvent en marge de la communauté internationale, se soucient de la survie de leur population. Dans les opinions publiques occidentales, il serait inimaginable d'annoncer qu'en rétorsion à une frappe de missiles sur Paris tuant un millier de personnes, nous décidions de frapper une puissance régionale en entraînant la mort de millions de personnes.
Pour être capable de détruire ces centres de pouvoir, nous avons des armes très précises avec une énergie modulable pour éviter les dégâts collatéraux, sans pour autant en arriver à la solution des armes miniaturisées. Cette évolution vise à maintenir la crédibilité de notre dissuasion, mais ce n'est en aucun cas une évolution vers une doctrine d'emploi sur le champ de bataille de l'arme nucléaire. Nous avons pris soin de limiter vers le bas la puissance des armes que nous conservons de telle manière que personne n'ait jamais pour principe d'oublier que l'arme nucléaire est, par essence, différente. Depuis Hiroshima et Nagasaki, cette conviction est ancrée dans tous les esprits et dans l'opinion publique. Il est important pour moi que cette distinction continue d'exister. L'arme nucléaire ne doit pas, pour nous, devenir une arme du champ de bataille. C'est ce que nous nous efforçons de maintenir à la base de notre concept. Nos moyens restent adaptés à une menace de dommages inacceptables et non pas à l'emploi au cours d'une bataille entre deux pays.
M. Daniel VERWAERDE, Directeur des armes nucléaires CEA-DAM -
Je vais compléter ce qu'a dit le Général Bentégeat en me plaçant sur un plan un peu plus technique.
Je voudrais tout d'abord rappeler qu'aujourd'hui la crédibilité est assurée, dans une large mesure, grâce aux décisions prises en 1995 et surtout à la grande cohérence de ces décisions qui sont au nombre de cinq. Cette cohérence a d'ailleurs été soulignée par plusieurs Etats dotés de l'arme nucléaire, lors de certains cénacles internationaux auxquels j'ai eu l'occasion de participer.
1/ La première décision visait à réaliser une ultime campagne d'essais nucléaires. Cette campagne a, en particulier, permis de valider expérimentalement le concept de charge nucléaire robuste qui est garantissable par la simulation.
2/ La seconde décision de 1995 est la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires assortie de l'option zéro et, comme corollaire, le démantèlement lui aussi complet du Centre d'Expérimentation du Pacifique ;
3/ La troisième décision prévoyait le développement du programme « simulation »;
4/ La quatrième décision est le maintien du concept de suffisance, avec, en particulier, la réduction à deux du nombre de composantes de la dissuasion, la composante aéroportée et la composante sous-marine ;
5/ La cinquième décision a été l'arrêt de la production de matières fissiles avec, là encore, pour corollaire, le démantèlement, qui est en cours, des usines de Pierrelatte et de Marcoule.
Nous ne produisons plus, aujourd'hui, de matière nucléaire très enrichie, donc destinée aux armes, qu'il s'agisse de plutonium ou d'uranium très enrichi. Nous vivons sur le stock actuel que nous recyclons, ce qui est bien le corollaire de la stricte suffisance.
Aussi, aujourd'hui, la pérennité de la dissuasion française s'inscrit désormais, d'une part, dans le respect du traité d'interdiction complète des essais nucléaires et, d'autre part, dans la nécessité, pour pérenniser la dissuasion, de répondre à une loi inéluctable de la physique et de la technologie, à savoir le vieillissement des armes en service.
De quoi dispose la France pour répondre à cette volonté de pérenniser la dissuasion ? Nous disposons de trois atouts :
- premier atout : le patrimoine que représentent les 210 essais nucléaires passés et, en particulier, les acquis irremplaçables de la dernière campagne en matière de concept de charge nucléaire robuste ;
- deuxième atout, qui n'est pas négligeable, c'est tout simplement le savoir-faire et, en particulier, le savoir-faire des équipes du CEA/DAM et des industriels français qui, en matière d'industrie d'armement nucléaire, sont, je crois, au meilleur niveau ;
- troisième atout : le développement du programme « simulation » au rythme souhaité.
Vous savez que la France a fait le choix, compte tenu du caractère très pointu des armes actuellement en service, de ne pas les refabriquer à l'identique, parce qu'elles sont justement très optimisées, donc nécessitent un essai nucléaire pour être garanties. Nous avons fait le choix de nous appuyer, pour les renouveler, sur le concept d'arme robuste. La stratégie de renouvellement, aujourd'hui, repose, là encore, sur trois points :
- le premier point de notre stratégie est bien le concept de charge robuste que nous avons testé lors de la dernière campagne 1995-1996 ; d'autres puissances, notamment les Etats-Unis, sont venues à cette idée une dizaine d'année après nous, puisque, dès 1996, nous étions les premiers à souhaiter pérenniser la dissuasion via ce concept de système robuste.
- le second élément stratégique, très important pour être crédible, c'est que nous validons les différences que présentent les armes, par exemple la TNA (Tête nucléaire aéroportée) par rapport aux systèmes testés en 1996, grâce au programme « simulation », dimensionné à cet effet ;
- le troisième élément, c'est la nécessité de démontrer que les experts, les concepteurs d'armes, comme nous les appelons, sont certifiés et compétents, car ils ont la responsabilité de garantir que les armes nucléaires fonctionnent, qu'elles sont sûres et fiables.
Voilà les trois éléments sur lesquels nous devons travailler.
Et le programme « simulation » est construit dans cette perspective. Il est constitué de trois volets, et non pas uniquement par la construction du laser mégajoule. C'est avant tout un programme de physique et de mathématiques, puisque le premier des trois volets est :
- un volet de simulation numérique qui permet de reproduire par le calcul les différentes étapes du fonctionnement d'une arme nucléaire. La reproduction par le calcul nécessite de multiplier par 10 000, d'ici à 2010, la puissance de calcul installée en 1996, quand nous avons pris la décision de passer à la simulation. C'est donc en ordinateurs que nous nous équipons progressivement ;
- le deuxième volet est la physique des armes : la physique théorique destinée à améliorer les modèles de physique mis en oeuvre par la simulation numérique de manière à ce que celle-ci soit suffisamment prédictive. Autre point important de ce volet de physique des armes, c'est la possibilité de mesurer en permanence la capacité de la simulation numérique à garantir les armes. Nous le faisons au travers de la réinterprétation des essais nucléaires passés. Il ne faut pas oublier qu'il est indispensable, pour que la simulation ait un sens, de détenir un patrimoine d'essais nucléaires.
- le troisième volet, tout aussi important : la validation expérimentale qui s'appuie sur deux outils : d'un côté, l'installation de radiographie AIRIX dans le camp de Moronvilliers en Champagne-Ardenne et, d'autre part, le Laser Mégajoule, construit en Aquitaine, qui permettra de qualifier la capacité des concepteurs d'armes à maîtriser la modélisation du fonctionnement des armes dans le domaine du thermonucléaire.
Le programme « simulation » se différencie par exemple du programme américain par le fait qu'il est dimensionné pour permettre de garantir les armes, déduites de la charge robuste, telles que la TNA ou la TNO, et non pas pour des charges très optimisées. Le programme « simulation » français est strictement dimensionné pour permettre de garantir la fiabilité et surtout la sûreté des armes robustes dès leur mise en service, pendant toute leur durée de vie et pendant leur démantèlement.
Le calendrier de la simulation n'est pas défini par rapport à tel ou tel jalon physique futur dont on aurait besoin pour tel ou tel système d'armes. Il est défini pour permettre aux concepteurs actuels, qui ont la compétence dans le domaine du thermonucléaire, de certifier les nouvelles équipes qui auront à apporter la garantie de la sûreté des armes. Le calendrier du programme « simulation » est essentiellement lié à un facteur humain de départ à la retraite des concepteurs actuels qui ont connu les essais, plus qu'à une problématique technique.
Aujourd'hui, cette cohérence dans la stratégie française trouve un écho aux Etats-Unis. En 2005, ce pays a décidé en effet de lancer des études pour définir des concepts de charges robustes.
Nous sommes aujourd'hui dix ans après le lancement du programme de simulation, qui a démarré en 1996, quand nous avons réalisé, le 29 janvier 1996, le dernier essai. Tous les jalons techniques du programme « simulation » ont été acquis depuis, qu'il s'agisse de la mise en marche de la machine de radiographie AIRIX, ou encore des super calculateurs dont le dernier en date, fourni par la société Bull, fait 60 000 milliards d'opérations par seconde, de 14 chiffres par 14 chiffres. Néanmoins, un calcul peut prendre parfois des dizaines d'heures, voire une centaine d'heures.
Je terminerai par le laser. Le prototype du laser, la Ligne d'Intégration Laser (LIL), a été réceptionné comme prévu en 2002 et a permis de valider entre 2002 et 2004 toute la technologie utilisée dans le laser. Il est devenu maintenant un instrument de physique des armes. Je dirai enfin que ces étapes de la simulation ont également été franchies dans le respect des délais et des budgets puisque nous tenons le budget de la simulation à environ 3 %.
Débat
M. Josselin de ROHAN -
Les moyens financiers actuellement dévolus au nucléaire militaire sont-ils suffisants pour garantir la crédibilité de notre dissuasion ?
M. Xavier PINTAT -
La presse a récemment mentionné la capacité de nos armes nucléaires à privilégier l'effet électromagnétique permettant de neutraliser les systèmes électroniques d'un adversaire potentiel, tout en minimisant les effets de souffle ou de chaleur. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet ? Cela entre-t-il dans le scénario de « l'ultime avertissement » ?
S'agissant de la complémentarité entre nos deux composantes, pourriez-vous nous préciser, d'une part, quelles sont les principales différences entre le missile balistique tiré depuis un SNLE et le missile balistique tiré depuis un avion et, d'autre part, quels sont les rôles respectifs des composantes aérienne et aéroportée, notamment dans le cas d'une frappe d'ultime avertissement ?
Il faut souligner, Monsieur Verwaerde, la grande avancée de notre pays en matière de charge robuste, qui tient une grande part dans la crédibilité de notre dissuasion. Pouvez-vous évoquer les retombées de ce programme de simulation en matière de recherche civile ?
M. André DULAIT -
A propos de la mise en oeuvre des nouvelles charges robustes dont vous avez parlé, la presse a dit qu'elles étaient plus lourdes et plus volumineuses, résultant de la simulation. Je voudrais comprendre pourquoi la simulation a rendu ces têtes plus lourdes et volumineuses ? Ce changement physique n'est-il pas un handicap pour la capacité d'emport du SNLE ou pour son fonctionnement en général ?
Général Henri BENTÉGEAT -
Les moyens financiers dévolus au nucléaire militaire représentent 3 milliards d'euros par an en investissements. Cette somme est suffisante aujourd'hui, non seulement pour maintenir mais aussi pour moderniser, à échéance raisonnable, l'ensemble de nos moyens nucléaires. Cette modernisation sera concrétisée par la mise en service, à partir de 2010, du nouveau missile balistique M51 qui équipera nos sous-marins nucléaires. Cela nous a permis de renouveler la totalité de nos sous-marins nucléaires sur une période de 15 ans et, à partir de la fin de l'année 2008, de remplacer notre missile air-sol moyenne portée par un missile du même type mais plus perfectionné.
Cette somme est-elle excessive ? La question m'est régulièrement posée dans l'enceinte militaire. Si le niveau de ressources financières inscrit au budget de la défense reste comparable à celui que nous avons aujourd'hui, cet effort est parfaitement supportable. Si nos ressources venaient à diminuer, la question du maintien du niveau de modernisation et de suffisance de l'ensemble de nos moyens se posera. Personnellement, je pense que c'est prendre un risque important pour l'avenir que de réduire l'effort consenti pour la force nucléaire.
A propos de la capacité d'impulsion électro-magnétique, il s'agit d'une frappe à très haute altitude, de l'ordre de plusieurs dizaines de kilomètres au-dessus du sol, qui aurait pour effet, dans un rayon déterminé, de détruire tous les composants électroniques et informatiques, sans retombée radioactive ni effet de souffle.
Dans quel cas peut-on envisager d'employer cette menace ? On pense effectivement à l'ultime avertissement qui est un concept ancien, tout à fait essentiel aujourd'hui dans notre concept de dissuasion, pour deux raisons. La première raison est de nature psychologique. Je ne crois pas que nous puissions proposer au Président de la République, qui est seul décideur de l'emploi des moyens nucléaires, le « tout ou rien ». Il faut qu'il ait la possibilité d'avertir que nous passons au « tout ». Tous ces modes d'avertissement sont planifiés par nos services, et l'impulsion électro-magnétique est le mode le moins dommageable pour l'adversaire. La deuxième raison pour laquelle il est impératif de réfléchir en termes d'ultime avertissement, est que, vis-à-vis des puissances régionales, il peut être nécessaire de restaurer la dissuasion. S'ils n'ont pas compris que la dissuasion nucléaire permet d'atteindre le coeur de leurs intérêts vitaux, il faut le leur faire comprendre d'une manière ou d'une autre et rien ne peut mieux le faire que l'ultime avertissement.
Sur la complémentarité de nos deux composantes, dans mon esprit et, de manière très concrète et pratique, dans toutes nos planifications, elles participent l'une et l'autre aux mêmes missions dans lesquelles elles sont complémentaires. Il n'y a pas d'affectation de la composante aérienne à l'ultime avertissement. C'est un instrument privilégié de dissuasion vis-à-vis des puissances régionales parce que la précision de ces armes est telle qu'elles peuvent effectivement détruire l'ensemble des centres de pouvoir d'un pays, avec des dégâts collatéraux très limités, contrairement à l'arme balistique sous-marine qui n'a pas la même précision. Vis-à-vis de ce type de puissances, la composante sous-marine peut, elle aussi, sans difficulté, détruire un certain nombre de centres économiques car le nombre de têtes par missile est modulable. Pour nous, les deux composantes seraient simultanément engagées dans la dissuasion quel qu'en soit le scénario.
M. Daniel VERWAERDE -
La charge robuste, terme qu'il ne faut surtout pas comprendre comme « rustique » doit être précisée ; elle délivre des effets identiques à ceux des armes actuellement en service. Par rapport à celles-ci, elle peut être qualifiée de charge « pardonnante », c'est-à-dire que, par conception, elle est moins sensible aux évolutions physiques des matériaux ou aux petites évolutions indispensables à la militarisation de la formule testée. Nous l'avons rendue pardonnante grâce à des éléments spécifiques de conception qui permettent, par rapport à des évolutions de paramètres ou des phénomènes physiques, de rendre le fonctionnement plus stable. En contrepartie, la charge robuste, à performance identique, est plus lourde que les charges actuellement en service. Ces charges robustes, comme les futures TNO (tête nucléaire océanique), sont associées au nouveau missile M51 dont la capacité d'emport de charge utile est plus importante que celle du missile M45. .
Le travail que nous conduisons avec l'Etat-major des armées consiste, bien entendu, à se placer dans un contexte de stricte suffisance, que nous assurons, avec ces charges un peu plus lourdes et avec le missile M51. Le caractère pardonnant de ces charges robustes présente pour nous l'avantage de pouvoir garantir, sans essais nucléaires, leur fonctionnement et leurs évolutions. Nos industriels et la Délégation générale pour l'armement ont pu compenser l'augmentation de poids de ces charges par ailleurs plus volumineuses en fabriquant un missile plus puissant.
Monsieur le président Pintat, le programme « simulation » a beaucoup de retombées civiles. Il a été inscrit, dès son origine, par le ministère de la défense, dans la volonté d'obtenir un maximum de retombées civiles, pour deux raisons :
- tout d'abord, pour une raison de crédibilité : le concept de simulation est généralisable à de nombreux domaines de la recherche civile et de l'industrie. Plutôt que de classifier un tel concept, aider à ce qu'il soit appliqué à ces domaines civils est un élément fort de crédibilité de la dissuasion. L'idée consiste à se dire que si la méthode, strictement identique, est valable pour des avions, des fusées et pour toutes sortes de sujets industriels ou de recherche, elle peut l'être également pour des armes. La décision qu'a prise la ministre de la défense d'ouvrir ces moyens exceptionnels de simulation est donc très intéressée, si je puis dire ;
- ensuite, puisqu'il s'agit de l'argent de la Nation, cela permet, d'une part, de pérenniser notre dissuasion et, d'autre part, d'obtenir des retombées financières ou scientifiques immédiates pour notre économie et notre recherche.
Ce sont ainsi des moyens exceptionnels qui peuvent bénéficier à nos astrophysiciens, à nos chercheurs civils, aux personnes qui conçoivent de nouveaux matériaux, etc.... Les méthodes et notamment les moyens informatiques que nous mettons au point sont tout à fait utilisables par l'industrie civile.
Pour prendre un premier exemple d'ouverture, nous avons, dans le cadre des pôles de compétitivité, créé des projets concrets comme la « Route des lasers » en Aquitaine. Ce projet, développé à côté du laser Mégajoule s'inscrit dans un pôle de compétitivité qui a été labélisé. Et aujourd'hui, on voit pousser « comme des champignons », dans une zone industrielle complètement ouverte, un certain nombre d'industries qui travaillent au profit du grand laser et qui, partant de nos recherches en physique, vont pouvoir développer des produits commercialisables, notamment dans l'imagerie, dans le diagnostic, dans l'utilisation des lasers et de la lumière d'une manière générale... Cette nouvelle zone industrielle, aidée par les collectivités locales et nationales, va permettre la création, d'ici 4 ou 5 ans, d'environ 650 emplois directs sur site, et deux à trois fois ce nombre en emplois induits. Cela contribue à asseoir notre dissuasion dans le contexte national.
Pour citer un deuxième exemple, je voudrais évoquer le projet Tér@tec. En tant que professeur d'analyse numérique dans une grande école d'ingénieur et spécialiste de la simulation numérique, je suis particulièrement fier que les moyens de calcul du centre CEA à Bruyères-le-Châtel aient été ouverts de manière à faire diffuser cette simulation numérique dans la recherche civile et dans l'industrie. En termes de recherche, cette démarche pourrait avoir pour conséquence de faciliter la création d'un grand centre de calcul européen, cofinancé par la recherche civile, de grands industriels et par le CEA , qui a également, je le rappelle une mission de transfert entre recherche et industrie.
Enfin, le dernier point à noter de ce projet d'ouverture est son inscription au sein d'un pôle de compétitivité de niveau mondial : Systematic. Nous essayons d'inciter les fabricants d'ordinateurs à développer leur technologie non seulement aux Etats-Unis, au Japon ou à Taïwan, mais aussi en France, et à venir s'implanter dans la zone industrielle Ter@tec près de Bruyères-le-Chatel afin de bénéficier du produit de nos recherches, et de la possibilité de tester leurs idées sur place. Cinquante emplois ont ainsi déjà été créés.
Les équipes « défense » ont largement contribué à mettre au point ce processus, en épaulant la société Bull notamment, qui a réussi à se hisser au niveau des principales sociétés mondiales dans le domaine du calcul scientifique. Cela a été rendu possible par des transferts du savoir de la défense vers l'industrie de l'informatique. Bull a globalement réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 40 à 50 millions d'euros qui, à l'horizon 2008, pourrait atteindre 250 millions d'euros et générer 300 à 400 emplois directs, ainsi que par deux ou trois fois ce nombre chez ses sous-traitants.
Il y a donc une interconnexion forte entre les moyens que nous développons pour la simulation, et leur utilisation par la recherche et l'industrie civiles, en prenant soin de ne pas être proliférant c'est-à-dire en maintenant un contrôle très stricte des transferts de technologies.