C. DEUX RÉUSSITES À ÉTENDRE EN MÉTROPOLE
Parmi les sujets abordés par la mission au cours de ses rencontres et visites à La Réunion, deux méritent particulièrement d'être développés. Leurs réussites en font en effet des exemples qui pourraient être utilement repris en métropole.
1. Les actions de lutte contre l'alcool
La mission a consacré une part importante de son temps à l'étude des moyens mis en oeuvre à La Réunion pour lutter contre l'alcool et plus particulièrement à la lutte contre le syndrome d'alcoolisation foetale.
Deux chiffres illustrent la gravité du problème à La Réunion : l'alcool est en cause dans près de la moitié des accidents de la route et le syndrome d'alcoolisation foetale (Saf) est la première cause des déficiences mentales constatées.
Cette consommation d'alcool élevée s'inscrit dans un contexte historique et culturel particulier lié à une « culture du rhum ». Avec l'abolition de l'esclavage, la liberté s'est aussi exprimée comme la possibilité de boire de l'alcool. Bien des années plus tard, le rhum, boisson populaire, est toujours présent comme l'un des emblèmes de l'île. Les alcools forts occupent une place prépondérante dans la consommation locale même si, en volume, c'est la bière qui est la plus consommée.
La consommation de boissons alcoolisées fait partie des usages ponctuant la vie sociale (fêtes, rituels religieux...). On prête aussi à l'alcool de nombreuses qualités agissant sur le corps ou sur le moral, « l'alcool-médicament ». Il est aussi considéré comme normal pour un travailleur de force de boire son « p'tit rhum » avant de partir et le soir en rentrant du travail.
Néanmoins, d'un usage festif et toléré et de pratiques sociales reconnues aux mésusages et à l'excès, les limites sont vite franchies. L'alcoolisation nocive dans le cadre de la famille est une réalité sociale. En outre, l'alcoolisation précoce des jeunes devient un problème préoccupant de santé publique.
Aussi, diverses autorités réunionnaises ont-elles souhaité engager une politique plus active de prévention de la consommation d'alcool.
a) Le groupe de travail régional de lutte contre l'alcoolisme
A la suite du vote de la loi du 9 août 2004 de santé publique et sans attendre l'adoption du plan régional de santé publique, les acteurs régionaux de l'île ont décidé de lancer une large action régionale de lutte contre l'alcoolisme. Trois raisons essentiellement ont justifié ce choix prioritaire :
- la gravité des conséquences d'une consommation d'alcool non maîtrisée à La Réunion : taux élevé de mortalité due à l'alcool, indice de violence conjugale supérieur à celui de la métropole, forte présence du syndrome d'alcoolisation foetale ;
- son lien étroit avec deux des cinq priorités nationales : le plan national de lutte contre le cancer qui prévoit plusieurs objectifs dans le domaine de la prévention et le plan national de lutte pour limiter l'impact de la violence, des comportements à risque et des conduites addictives ;
- une réponse au moins partielle au problème de la maltraitance aux femmes et aux enfants, soit à l'une des trois priorités de santé publique à La Réunion, définie dès 1998 lors de la première conférence régionale de santé.
Ce groupe de travail est une instance de concertation large, ouverte à l'ensemble des acteurs concernés par l'alcool à La Réunion : Etat (préfecture), conseil général, conseil régional, rectorat, caisse générale de sécurité sociale, Drass, direction départementale de la sécurité publique, direction générale des douanes, direction départementale de la concurrence, gendarmerie nationale, procureurs, agence nationale de prévention de l'alcoolisme, agence départementale de l'insertion, services d'addictologie et de psychiatrie des hôpitaux, comité départemental d'éducation pour la santé, association Entreprise et prévention, association de lutte contre l'alcoolisme foetal, médecine du travail, association réunionnaise d'orientation familiale, Medef, CGPME, union des métiers d'industrie hôtelière, restaurants, débits de boissons, importateurs et industriels, syndicat des importateurs et du commerce, distributeurs et grandes surfaces, fédération interprofessionnelle des alcools de canne, etc. Depuis sa mise en place en octobre 2004, le groupe de travail s'est réuni en moyenne une fois par mois. La période 2004-2005 a permis d'élaborer un programme d'action orienté autour de trois axes : la prévention et le soin, l'application de la législation et l'accès aux produits alcoolisés. Ces actions seront mises en place au cours de la période 2005-2006 et une évaluation sera effectuée utilisant les indicateurs définis au niveau national - âge moyen d'initiation à l'alcool, prévalence des comportements d'ivresse répétée et proportion des femmes enceintes qui consomment de l'alcool pendant leurs grossesses - ainsi qu'un indicateur régional - la proportion des accidents routiers graves impliquant l'alcool. Au nombre des actions retenues peuvent notamment être signalées : - une enquête de santé sur les adolescents devant faire apparaître leur comportement face à l'alcool, au tabac et autres drogues ; - une intervention auprès des élèves de 5 ème consistant en une demi-journée de prévention et d'information sur l'alcool, le tabac et la drogue ; - des actions auprès des établissements distribuant de l'alcool, comme le contrôle des camions-bars et stations services situés à proximité des établissements scolaires ou l'installation d'éthylomètres dans les discothèques ; - la mise en place d'alternatives à la consommation d'alcool dans les discothèques ; - l'organisation d'actions de communication communes et concertées entre les principaux acteurs de l'éducation et de la prévention à La Réunion, et notamment l'organisation d'une semaine régionale de prévention contre l'alcoolisme comprenant une campagne presse-radio-télévision, des actions en direction des professionnels de santé et l'organisation d'un colloque ; - la création d'un groupement interprofessionnel rassemblant les importateurs, les distributeurs et les producteurs locaux de produits alcoolisés, afin de permettre la contractualisation d'une démarche commune de santé publique. |
La réalité et l'ampleur des résultats déjà atteints font de cette initiative du conseil régional de La Réunion un exemple qui pourrait certainement être utilement repris dans certaines régions de métropole.
La participation des membres de la mission à l'une des réunions de ce groupe de travail a permis de mesurer la réelle motivation de l'ensemble des acteurs concernés, de constater la grande qualité des échanges entre des intervenants aux objectifs extrêmement divers, voire opposés, et d'apprécier la manière particulièrement constructive d'aborder le sujet.
b) La prévention du syndrome d'alcoolisation foetale
A La Réunion, le Saf est la première cause de retard mental non génétique. Il affecte 10 % des enfants en institutions spécialisées.
Le Saf est la forme grave des effets toxiques de l'alcool sur le foetus. Il comporte un retard de croissance, des malformations et surtout une atteinte cérébrale s'exprimant par des troubles cognitifs majeurs et des troubles comportementaux. Sous une forme atténuée, l'atteinte cérébrale, qui est en tout état de cause réelle, se traduit par des altérations du développement, des difficultés des apprentissages scolaires, des troubles du caractère et du comportement générateurs de conduites d'exclusion sociale. Liées à l'alcoolisation de la mère pendant la grossesse, ces difficultés ne sont toutefois pas toujours décelées à la naissance et apparaissent souvent plusieurs années après.
Or, la consommation d'alcool pendant la grossesse est totalement évitable.
C'est pourquoi, face à cet état des lieux préoccupant et à un contexte fréquent de précarité et de marginalisation, les divers acteurs médico-pédago-psycho-sociaux concernés par ces situations ont décidé, en septembre 2001, de créer un réseau pluridisciplinaire et de proximité pour prévenir l'alcoolisation pendant la grossesse.
L'association Réunisaf - réseau de prévention du syndrome d'alcoolisation foetale - ainsi créée, notamment à l'initiative du Dr Denis Lamblin, a choisi de mettre au centre du dispositif l'aide à la famille et s'est fixée pour objectif de réduire en moins de cinq ans de moitié le nombre d'enfants atteints.
Les premières évaluations des actions menées font apparaître : une baisse du nombre des enfants porteurs du Saf, des signalements plus précoces des femmes enceintes malades de l'alcool, une abstinence de plus de la moitié des mères adressées au réseau, une diminution du nombre d'enfants placés par mesure administrative ou judiciaire pour les situations suivies par le réseau, enfin des économies de coût de santé 1 ( * ) .
Au cours de leur séjour à La Réunion, les membres de la mission ont participé à plusieurs actions organisées par Réunisaf : le témoignage de mères d'enfants atteints du Saf devant 250 élèves de 3 ème du collège Simon Lucas à l'Etang Salé, un séminaire de proximité destiné à la population de la commune du Tampon, une sortie dans le cirque de Cilaos de mères suivies par le réseau.
Ces manifestations ont montré l'importance du travail en réseau et la nécessité d'encourager la poursuite de ces actions.
Une meilleure prise de conscience des risques liés à la consommation de l'alcool au cours de la grossesse est en effet une priorité, comme l'a déjà affirmé votre commission des Affaires sociales en soutenant l'initiative d'Anne-Marie Payet, sénatrice de La Réunion, conduisant à rendre obligatoire sur les étiquettes des boissons alcoolisées un message de prévention à destination des femmes enceintes, ce message devant naturellement être suffisamment visible et explicite.
2. Une seconde chance grâce au service militaire adapté
La jeunesse réunionnaise, dans un environnement de chômage élevé et de problèmes sociaux importants est, plus encore qu'en métropole, confrontée à l'échec scolaire, aux difficultés d'une bonne orientation professionnelle et au problème de l'insertion sur le marché du travail.
Le service militaire adapté, institué au milieu des années soixante à La Réunion, s'avère être une réponse particulièrement efficace pour une partie de la jeunesse réunionnaise. Il offre en effet une seconde chance, des possibilités de formation rapide et pratique, enfin une très bonne insertion sur le marché du travail, local comme métropolitain.
Créé le 21 décembre 1960 à l'initiative de Michel Debré, Premier ministre, pour répondre aux graves troubles socio-économiques des Antilles, le service militaire adapté a été étendu le 1 er novembre 1965 à La Réunion. En quarante ans, il a permis de former plus de 20.000 jeunes et de réaliser près de 500 chantiers. Sa devise est « apprendre à réussir ». Il a pour objet de préparer les jeunes réunionnais à une meilleure insertion dans la vie active par une formation professionnelle adaptée à leur aspiration, leur capacité et au marché de l'emploi. Il a aussi pour ambition d'aider les jeunes de l'île à retrouver des repères et à acquérir un savoir-être par la formation et la pédagogie militaire. Enfin, il participe à la mise en valeur de La Réunion par le biais des chantiers d'application ainsi qu'aux plans de défense et d'aides au service public, notamment en période cyclonique.
Il recrute environ 600 volontaires, jeunes gens ou jeunes
filles âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, n'ayant pu
s'inscrire dans un cycle classique de formation, en raison de
difficultés sociales ou scolaires. Il contribue ainsi à donner
à ces jeunes une seconde chance en leur attribuant un diplôme, en
constituant une passerelle vers d'autres organismes de formation ou en leur
permettant de trouver un premier emploi.
Aujourd'hui, le SMA à La Réunion dispose de quatre centres de formation professionnelle dispensant des savoir-faire dans dix-neuf métiers liés à l'agriculture, au bâtiment et travaux publics, au transport, à la sécurité et à la restauration. La formation dure douze mois répartis entre un mois de formation militaire, dix mois de formation professionnelle comprenant un apprentissage théorique, les chantiers d'application, les stages en entreprise, la remise à niveau scolaire et le travail sur le « savoir-être », enfin un mois consacré à la recherche d'emploi. |
La visite de l'un des centres de formation du SMA à La Réunion, à Saint-Pierre, a convaincu votre mission de la justesse de la décision du Gouvernement de transposer ce dispositif en métropole, compte tenu notamment du fort taux de réussite de l'insertion professionnelle des jeunes concernés et en rappelant que ceux-ci sont au départ tous en situation d'échec social ou scolaire.
La Réunion
Témoignage de Noéma, mère d'un enfant atteint du syndrome d'alcoolisation foetale, devant les élèves de 3ème du collège Simon Lucas de l'Etang-Salé.
Manifestation organisée par l'association Réunisaf
(photos : Guy Fischer)
La délégation autour de la présidente du conseil général de La Réunion, Mme Nassimah Dindar
La délégation devant la mairie de Cilaos avec M. Paul Techer, maire, et Mme Anne-Marie Payet, deuxième adjointe, sénatrice de La Réunion
(photos : Guy Fischer)
* 1 Eviter un enfant porteur d'un Saf représente une économie estimée de 600.000 à 5 millions d'euros.