IV. L'IMPACT DÉSTABILISATEUR DE LA GUERRE D'AFGHANISTAN SUR L'INDE ET LE PAKISTAN

Les attentats du 11 septembre et la guerre en Afghanistan ont eu des conséquences très graves sur la situation intérieure du Pakistan, sur la situation au Cachemire et donc sur les relations indo-pakistanaises, provoquant l'une des plus graves tensions entre les deux pays depuis la crise de Kargil en 1999.

A. UN TOURNANT DÉCISIF POUR LE PAKISTAN

Les attentats du 11 septembre et la guerre menée en Afghanistan contre Al Qaïda par les Etats-Unis ont constitué un véritable bouleversement pour le Pakistan, conduisant celui-ci à réévaluer sa politique étrangère et la place de la religion dans l'identité nationale.

1. Un tournant décisif dans la politique étrangère

. Les raisons de l'implication pakistanaise en Afghanistan

L'implication du Pakistan en Afghanistan obéit à des motivations complexes et multiples d'ordre ethnique, stratégique, diplomatique et économique. Tout d'abord, la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan, héritée de la période coloniale, ne s'appuie sur aucune réalité physique ou humaine. La frontière divise deux groupes ethniques du Pakistan : les Pathans et les Balouches, pour qui la frontière n'a pas ou peu de réalité. Certaines tribus du Nord-Ouest du Pakistan passeraient même la frontière selon les saisons pour assurer un pâturage au bétail. Cette frontière a donc été contestée dès 1947 par l'Afghanistan, qui, dirigé à l'époque par un roi de la dynastie Durani d'origine pachtoune, souhaitait réunifier les territoires pachtounes sous son autorité et se trouvait l'allié de revers naturel de l'Inde. L'enjeu ethnique est réapparu au cours du conflit contre l'Union soviétique puis à nouveau au moment de la prise de pouvoir par les Talibans à partir du Pakistan, celui-ci préférant un Afghanistan sous son influence lui permettant d'exploiter la présence pachtoune au-delà de sa frontière.

Ensuite, l'implication du Pakistan en Afghanistan s'explique par des raisons stratégiques. En conflit avec l'Inde, le Pakistan se devait, d'une part, d'éliminer tout risque d'alliance de revers et, d'autre part, essayer d'acquérir une certaine « profondeur stratégique » pour compenser le déséquilibre des forces entre les deux pays et le fait que ses centres vitaux se situent à proximité de la frontière indienne. Cet objectif a été continuellement poursuivi de 1979 à septembre 2001. Il est la principale justification du soutien pakistanais apporté aux moudjahidin afghans contre les Soviétiques puis aux Talibans à partir du milieu des années 1990.

Les motivations pakistanaises sont enfin diplomatiques et économiques. La chute de l'Union soviétique et l'indépendance des pays musulmans d'Asie centrale a semblé offrir un champ diplomatique nouveau pour le Pakistan. Le gouvernement pakistanais a pensé, au début des années 1990, pouvoir y jouer un rôle majeur de « puissance islamique », trouvant des appuis diplomatiques lui permettant de contrebalancer la puissance indienne. Ce projet diplomatique dans lequel un Afghanistan sous influence était une tête de pont, était complété par un grand dessein économique visant à faire du Pakistan le débouché maritime des richesses économiques, notamment pétrolières et gazières, des pays d'Asie centrale. La possible réalisation de réseaux de transports d'hydrocarbures par la société américaine Unocal est ainsi apparue au moment de la prise du pouvoir par les Talibans comme une des raisons du soutien accordé dans un premier temps aux Talibans et au Pakistan par les Etats-Unis. Le Pakistan et l'Arabie Saoudite étaient d'ailleurs parmi les rares pays à avoir reconnu l'autorité des Talibans.

C'est donc cette politique afghane menée depuis plus de vingt ans par l'ensemble des gouvernements pakistanais avec le soutien dans une large mesure, et de l'Arabie Saoudite qui a été complètement remise en cause par les attentats du 11 septembre et la volonté des Etats-Unis de mener la guerre en Afghanistan contre les Talibans et l'organisation terroriste Al Qaïda.

. Le choix de l'alliance américaine au risque d'une déstabilisation interne

Le gouvernement du général Musharraf, soumis à des pressions américaines très fortes a très rapidement choisi de mener le combat contre le terrorisme au côté des Etats-Unis, en mettant à leur disposition l'espace aérien pakistanais et des bases au sol. Il les a également assurés de son soutien pour contrôler la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan. Assumant ce choix difficile et se désolidarisant des Talibans, le Pakistan a pu obtenir rapidement la levée des sanctions diplomatiques et économiques qui le frappaient depuis les essais nucléaires de 1998 et qui avaient été aggravées après le coup d'Etat de 1999. Il a également pu obtenir la poursuite et l'augmentation de l'aide internationale, lui permettant de faire face à ses échéances financières alors que le pays était confronté à un important afflux de réfugiés afghans et à une grave crise économique liée au conflit.

Cependant, ce revirement de politique étrangère, qui s'est traduit par des mutations au sein de l'armée et notamment à la tête des services secrets militaires, a provoqué d'importantes tensions politiques qui se sont traduites par des attentats contre des personnalités étrangères ou des intérêts étrangers. C'est dans cette perspective que l'on doit comprendre la prise d'otage et l'assassinat du journaliste américains Daniel Pearl, puis l'attentat à la grenade dans un temple protestant du quartier diplomatique d'Islamabad en mars 2002 et enfin les terribles attentats à Karachi contre les employés de DCN en mai et en juin devant le Consulat des Etats-Unis.

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