II. LES PROPOSITIONS POUR UNE DEUXIÈME CHAMBRE EUROPÉENNE
Au terme de cette revue des idées avancées au fil des ans à propos d'une deuxième chambre européenne, on peut dégager les raisons essentielles qui conduisent à recommander la mise en place du bicaméralisme dans les institutions de l'Union européenne.
D'abord, mieux ancrer l'Europe dans chaque pays . Déjà aujourd'hui, les institutions européennes paraissent lointaines, voire inaccessibles, pour les citoyens des quinze Etats membres. Cela ne pourra que s'accentuer dans une Europe à vingt-cinq ou à trente Etats membres. Le rôle d'intercesseur, de médiateur, d'exutoire parfois, que joue le parlementaire national dans chaque pays ne peut être assumé aujourd'hui par les députés européens. L'instauration d'une deuxième chambre permettrait de restaurer le lien entre les parlements nationaux et les institutions européennes qui s'est relâché en 1979 avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct.
Ensuite, associer de manière plus harmonieuse petits et grands Etats à la construction européenne . Le Conseil européen de Nice a montré l'écart qui s'était creusé entre les visions des petits et des grands Etats à l'égard du système institutionnel de l'Union. La crainte de n'être plus représenté au sein de la Commission, la baisse de l'importance relative au sein du Parlement européen, les effets de la repondération des voix au Conseil ont provoqué un raidissement de la plupart des Etats les moins peuplés de l'Union, qui ont évoqué le spectre du « directoire des grands ». Là encore, la mise en place d'une deuxième chambre où tous les Etats membres seraient représentés à égalité serait de nature à favoriser un consensus entre les Etats membres.
Enfin, assurer un meilleur équilibre . Un meilleur équilibre au sein des institutions de l'Union en premier lieu . Le Parlement européen, assemblée unique élue au suffrage universel direct, a considérablement alourdi son poids dans le triangle institutionnel, notamment à l'égard de la Commission. L'équilibre ne risque-t-il pas de se rompre à jamais et le Parlement européen pourra-t-il toujours résister aux tentations du régime d'assemblée ? La présence d'une deuxième chambre serait de nature à rééquilibrer l'ensemble institutionnel en plaçant, à côté du Parlement européen un peu déconnecté du quotidien, un élément de pondération directement relié aux réalités nationales. Un meilleur équilibre aussi entre l'Union et les Etats membres grâce à une attention plus soutenue à une application constante du principe de subsidiarité. Les institutions actuelles de l'Union, naturellement portées à la centralisation, seraient contrebalancées par une deuxième chambre qui, par sa composition, serait davantage encline à privilégier la décentralisation.
L'Europe ne doit pas être laissée aux seuls spécialistes . Cela est vrai pour les parlementaires, comme pour les ministres ou pour les fonctionnaires. Le Parlement européen, lorsqu'il était composé de parlementaires nationaux, comprenait de nombreux responsables éminents des forces politiques des différents Etats membres. Cela est moins aisé depuis l'élection au suffrage universel direct, et le Parlement européen tend à n'être plus composé que de parlementaires qui s'occupent de l'Europe et d'elle seule tout au long de l'année, se détachant par là même des contextes politiques nationaux. Une deuxième chambre européenne aurait sans doute pour effet de favoriser la participation de parlementaires nationaux éminents aux débats européens.
Mais, pour la deuxième chambre européenne, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres éléments du débat sur les institutions européennes ou sur l'avenir de l'Union, le même terme recouvre des significations très différentes, ce qui a pour effet d'entraîner des confusions et de compliquer singulièrement les discussions. C'est pourquoi il ne suffit pas de se prononcer en faveur d'une deuxième chambre européenne, mais il faut expliquer quelle deuxième chambre européenne est susceptible de répondre le mieux à ces deux objectifs que sont, d'une part, la démocratisation de l'Union, et, d'autre part, la meilleure association des Etats à l'Union. Qu'on l'appelle Sénat européen, Chambre des Etats, Chambre des Nations, Comité des Parlements ou Congrès, il convient donc de dessiner les caractéristiques principales de cette assemblée, c'est-à-dire sa composition et ses compétences.
A. QUELS MEMBRES ?
1. Des parlementaires nationaux
Nous avons vu que trois propositions ont été formulées pour le mode de désignation de ses membres : des représentants des parlements nationaux, des représentants des régions, des représentants des gouvernements.
Cette dernière hypothèse correspondrait à un changement complet des institutions de l'Union. En effet, le Conseil des ministres deviendrait la deuxième Chambre ; la Commission assumerait seule l'exécutif de l'Union, que ce soit pour les affaires communautaires, pour la politique étrangère, pour la défense ou pour les questions de justice et de police ; enfin, le Conseil européen disparaîtrait purement et simplement. On peut douter qu'il soit judicieux de couper ainsi les gouvernements nationaux de l'exécutif de l'Union. Comment croire en effet que les gouvernements allemand, britannique ou français, pour ne prendre que ces trois exemples, se sentiront impliqués et liés par les décisions d'un exécutif dont ils ne seront pas partie prenante. On peut se demander aussi si faire de la Commission le Gouvernement de l'Union répond au souhait de rapprocher les institutions européennes des citoyens. Mais, au surplus, ont doit constater qu'une telle deuxième Chambre ne règlerait en rien la question du déficit démocratique de l'Union. On peut même penser qu'une telle solution aurait pour effet d'aggraver l'incompréhension des citoyens pour les institutions européennes et qu'elle les en éloignerait encore davantage.
Choisir les membres de la deuxième Chambre parmi les représentants des régions pourrait sembler séduisant. Mais, comme l'a montré le fonctionnement du Comité des régions, cette idée s'est heurtée à l'inexistence d'un fait régional homogène au sein de l'Union. Tout sépare les régions selon les Etats membres auxquels elles appartiennent, que ce soit la taille, que ce soient les compétences ou que ce soit l'influence ; certains Etats membres sont même dépourvus d'un échelon régional.
Dès lors, il apparaît clairement que la deuxième chambre doit être composée de représentants des parlements nationaux . Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est la solution préconisée par la très grande majorité de ceux qui ont participé au débat sur le bicaméralisme européen. L'Union ne peut continuer de se développer avec l'acceptation de ses peuples que si ses institutions parviennent à maintenir un lien constant entre le niveau européen et le niveau national. Ce lien existe au sein de l'exécutif européen avec la Commission et le Conseil ; il a été rompu au sein du législatif avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct et il ne peut être rétabli que par la coexistence d'une assemblée élue au suffrage universel direct et d'une assemblée composée de représentants des parlements nationaux.
2. Une répartition égalitaire entre Etats
Deux propositions ont été avancées : soit une répartition égalitaire entre les Etats, à l'image du Sénat américain, soit une représentation de un à deux selon la population des Etats membres, à l'image du Bundesrat allemand. J'ai moi-même longtemps hésité sur ce point et l'on peut trouver des arguments convaincants en faveur de l'une comme de l'autre de ces deux options. Mais, finalement, je crois qu'il est préférable de retenir une répartition égalitaire entre Etats.
D'abord parce qu'une des compétences principales de cette deuxième Chambre doit être de veiller à l'application du principe de subsidiarité et que, pour cette mission qui touche à la répartition des actions entre les Etats et l'Union, il est logique que tous les Etats, quelle que soit leur taille, soient placés sur un pied d'égalité.
Ensuite, parce que les querelles qui ont déchiré les Quinze depuis la Conférence intergouvernementale qui a préparé le traité d'Amsterdam jusqu'au Conseil européen de Nice ont montré combien les petits Etats étaient traumatisés par la crainte d'être relégués à l'arrière plan et de ne plus guère compter dans les institutions de l'Union. Or, autant il pouvait paraître nécessaire de procéder à une repondération des voix au sein du Conseil, autant il semble inutile de minorer la place des plus petits Etats au sein d'une deuxième Chambre. Il apparaît donc que les inconvénients psychologiques d'une répartition inégalitaire l'emporteraient de beaucoup sur les avantages en termes de juste représentation.
3. Une certaine simplification
Dernier point à propos de la composition de la deuxième chambre : convient-il de simplifier les institutions et de regrouper entre elles plusieurs assemblées ? Il va de soi qu'un tel regroupement permettrait d'apporter une réponse à ceux qui estiment que la création d'une deuxième chambre européenne alourdirait les institutions européennes.
Dès lors que la deuxième chambre est composée de représentants des parlements nationaux, la fusion avec le Comité économique et social ou le Comité des régions n'est pas envisageable.
Il ne paraît guère possible non plus d'envisager un regroupement avec les délégations nationales auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. D'abord en raison de la représentation égalitaire des Etats au sein de la deuxième Chambre, alors que le nombre des représentants au sein de l'Assemblée du Conseil de l'Europe diffère selon les Etats. Ensuite parce que les questions traitées dans ces deux instances sont de nature différente. Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne sont des organisations qui ont chacune leur sphère de compétences et le recoupement entre les deux est très limité. Enfin, parce que ma propre expérience m'amène à constater que, si une organisation très rigoureuse de mon temps me permet de remplir à la fois ma mission de sénateur et celle de membre de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, il me serait à l'évidence impossible d'y adjoindre une troisième mission au sein d'un Sénat européen.
En revanche, il apparaît aujourd'hui que l'Assemblée de l'UEO doit connaître à brève échéance une transformation importante en raison du transfert à l'Union européenne des fonctions opérationnelles de l'UEO et, comme il ne paraît guère possible de transférer les compétences de l'Assemblée de l'UEO au Parlement européen puisque le financement de la politique de défense demeure essentiellement un financement national, il semble logique de confier à la deuxième chambre européenne les missions actuellement exercées par l'Assemblée de l'UEO .
Enfin, depuis 1989, des représentants des parlements nationaux se retrouvent chaque semestre au sein de la COSAC et la répartition de ces parlementaires nationaux y est égalitaire. On pourrait donc sans difficultés retenir l'idée que la COSAC viendrait se fondre dans la deuxième chambre européenne . En quelque sorte, on pourrait dire que la COSAC aurait été ainsi un peu la préfiguration de cette deuxième chambre.
De ce fait, la création d'une deuxième chambre européenne ne se traduirait pas par une complication du système institutionnel puisque la deuxième chambre se substituerait à une assemblée existante, l'assemblée de l'UEO, et à une quasi assemblée naissante, la COSAC. Sans doute le Comité économique et social et le Comité des régions subsisteraient-ils aux côtés des deux assemblées parlementaires européennes. Mais ces deux Comités, qui, aux termes des traités, ont vocation à être « consultés » par le Conseil ou par la Commission, ont essentiellement pour but, dans l'optique d'une bonne gouvernance, de favoriser la concertation entre l'Union et la société civile qui s'exprime tant par le biais des organisations professionnelles que par celui des forces régionales ; ils ne peuvent donc être mis sur le même plan que des assemblées parlementaires rassemblant des élus des peuples de l'Union.