RAPPORT N° 179 - L'EVALUATION DE LA RECHERCHE SUR LA GESTION DES DECHETS NUCLEAIRES A HAUTE ACTIVITE - TOME II : LES DECHETS MILITAIRES
M. Christian BATAILLE, Député
OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES - RAPPORT N° 179 - 1997/1998
Table des matières
- INTRODUCTION
-
Première partie :
LA GESTION DES DÉCHETS GÉNÉRÉS PAR
LA FABRICATION ET L'ENTRETIEN
DES ARMES NUCLÉAIRES-
Chapitre I
UN DOSSIER ENCORE MAL CONNU
MALGRÉ DE RÉELS EFFORTS EN FAVEUR
D'UNE PLUS GRANDE TRANSPARENCE -
Chapitre II
LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA GESTION DES DÉCHETS SONT SÉRIEUX MAIS PAS INSURMONTABLES- 1°/ RAPPEL DU FONCTIONNEMENT DES ARMES NUCLÉAIRES
-
2°/ LES DÉCHETS CONTENANT DU PLUTONIUM
- A/ Le plutonium est un élément radioactif particulièrement dangereux
- B/ Les conséquences de l'arrêt de la production de plutonium militaire
- C/ Les déchets de haute activité entreposés sur le site de Valduc
- D/ Les déchets et effluents évacuables sur des centres de stockage
- E/ Les efforts de la DAM pour réduire le volume et l'activité de ses déchets
- 3°/ LES DÉCHETS TRITIÉS
-
Chapitre III
LE DÉMANTÈLEMENT DES ANCIENNES INSTALLATIONS ET L'ASSAINISSEMENT DES SITES VONT GÉNÉRER UNE GRANDE QUANTITÉ DE DÉCHETS POUR LESQUELS IL N'EXISTE PAS ENCORE DE FILIÈRE D'ÉVACUATION
-
Chapitre I
-
Deuxième partie :
LES ESSAIS NUCLÉAIRES-
Chapitre I
POURQUOI A-T-ON PROCÉDÉ À DES ESSAIS
D'ARMES NUCLÉAIRES ? -
Chapitre II
LES PREMIERS ESSAIS FRANÇAIS AU SAHARA :
1960-1966 -
Chapitre III
LE CENTRE D'EXPÉRIMENTATIONS DU PACIFIQUE :
1966-1996 -
Chapitre IV
L'IMPACT DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS
DANS LE PACIFIQUE -
Chapitre V
LES ATOLLS DE MURUROA ET DE FANGATAUFA CONSTITUENT DES SITES DE STOCKAGE DE DÉCHETS RADIOACTIFS QU'IL FAUDRA GÉRER EN TANT QUE TELS
-
Chapitre I
-
CONCLUSION GÉNÉRALE
ET RECOMMANDATIONS - EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE
- ANNEXE
N° 541
N° 179
____ ___
ASSEMBLÉE NATIONALE
SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
____________________________________ ____________________________________
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée
nationale Annexe au Procès-verbal de la séance
le 15 décembre 1997 du 17 décembre 1997
________________________
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
________________________
RAPPORT
sur
L'ÉVOLUTION DE LA RECHERCHE
SUR LA GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES
À HAUTE ACTIVITÉ
par
M. Christian BATAILLE,
Député
Tome II : Les déchets militaires
__________ __________
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.
Vice-Président de l'Office.
Énergie
INTRODUCTION
Dans le premier rapport de l'Office que j'avais
consacré à la gestion des déchets nucléaires
à haute activité
1(
*
)
, j'avais
annoncé que, devant l'ampleur de la tâche qui m'avait
été confiée, je renonçais à traiter du
problème des déchets d'origine militaire.
J'étais toutefois parfaitement conscient que cette question allait un
jour ou l'autre donner lieu à un débat et j'avais pris soin de
noter en préambule que :
"le nucléaire militaire
produit des déchets pour lesquels des problèmes de gestion se
posent à l'évidence [...] et il faudra un jour que les
responsables s'expliquent sur ce qu'ils ont fait et sur ce qu'ils vont faire
des déchets qui résultent du programme nucléaire militaire
français et le Parlement ne devra pas, à notre avis, rester
inactif dans ce domaine."
Depuis cette date, la reprise, en 1995, des essais nucléaires
français mais aussi les nouvelles alarmantes venues de l'ex-URSS ont
contribué à donner une importance nouvelle à ce
problème qui n'intéressait, jusque-là, en France, qu'un
cercle très restreint de spécialistes et d'opposants aux armes
nucléaires.
Alors qu'aux Etats-Unis, la gestion et surtout le nettoyage des sites
nucléaires militaires constituent un enjeu politique primordial, en
France, les élus mais aussi l'ensemble de la population n'attachaient
guère d'importance à ce sujet. Cette quasi-indifférence
qui a prévalu pendant très longtemps paraît d'autant plus
étonnante que l'implantation des laboratoires souterrains de l'Agence
nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a
suscité et suscite encore des débats passionnés.
Il faut bien reconnaître que chercher à s'informer sur le
programme nucléaire militaire français n'est pas chose facile
à partir du moment où les responsables des Armées ou de la
Direction des Applications Militaires (DAM) du Commissariat à l'Energie
Atomique, pour des raisons évidentes, maintiennent un maximum
d'informations sous le "secret défense".
Ce secret est-il toujours justifié ? Il est bien difficile à
un profane de porter une appréciation sur ce sujet. S'il apparaît
évident qu'il y a quantité de données qui ne peuvent
être rendues publiques, à une époque où les risques
de dissémination des armes nucléaires n'ont jamais
été aussi sérieux, il n'en demeure pas moins que l'usage
du secret défense a certainement été un peu trop extensif
surtout quand il s'agissait de la protection de l'environnement ou de la
santé publique. Aujourd'hui, toutefois, les rejets des INB-S sont
publiés et consultables sur le serveur Magnuc.
D'autres pays, et en particulier les Etats-Unis, ont eu ces dernières
années une conception beaucoup moins restrictive du secret
défense, même quand la révélation de certaines
affaires risquait d'entacher gravement la réputation de leurs
organisations militaires.
Il est évident, et nous reverrons cette question notamment dans le
chapitre consacré aux essais nucléaires, qu'un certain nombre de
dossiers pourraient désormais être ouverts sans danger.
Je dois toutefois à la vérité de souligner dès le
début de ce rapport que j'ai reçu de tous les responsables, aussi
bien des Armées que du CEA, un accueil parfait et qu'à
l'évidence, certains d'entre eux considéraient que la visite d'un
parlementaire leur fournissait l'occasion de montrer enfin ce qu'ils avaient
fait pour gérer aussi correctement que possible les déchets
nucléaires produits par leurs installations.
Toutes les questions posées ont reçu des réponses
même si, parfois, on nous a demandé de ne pas en faire état
publiquement par la suite. Mais ces questions étaient-elles les bonnes
et couvraient-elles toute l'ampleur du problème ? Il est
très difficile de le savoir quand il s'agit, comme c'est le cas pour le
présent rapport, du premier document parlementaire sur la question. Sans
base de référence et de départ et pratiquement sans
documentation préalable, il est en effet très difficile de savoir
si certains aspects du dossier n'ont pas échappé à notre
enquête et si tous les problèmes nous ont bien été
signalés.
Je pense toutefois qu'un certain climat de confiance s'est peu à peu
établi et que les responsables du programme nucléaire militaire
français ont bien compris, surtout depuis l'arrêt définitif
des essais nucléaires, que la France devait, à son tour, admettre
qu'un certain degré de transparence était nécessaire et
qu'il devrait être désormais possible de discuter du
problème des déchets nucléaires calmement et sans
controverses inutiles.
Comme cela avait été le cas pour mes précédents
rapports sur les déchets nucléaires civils, j'ai tenté
d'aborder ce dossier sans aucun parti pris ni a priori. Dans un rapport de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, il n'était, bien entendu, pas question de porter un
jugement sur le programme nucléaire français. Il appartient
à d'autres instances parlementaires de juger si la fabrication des armes
nucléaires et les essais réalisés sur ces armes
étaient moralement, scientifiquement, économiquement et surtout
politiquement justifiés.
Dans le cadre de cette étude, une seule question a véritablement
retenu notre attention : comment gérer, dans les meilleures
conditions possibles, les déchets générés par la
fabrication des armes nucléaires ?
Que le programme de dissuasion nucléaire ait été une
erreur ou une réussite ne change rien à cette donnée
fondamentale : aujourd'hui, les déchets existent et il faut
s'assurer qu'ils n'auront de conséquences dommageables, ni pour
l'environnement, ni pour la santé humaine.
L'arrêt définitif des essais nucléaires va réduire
de façon considérable la production des déchets mais n'y
mettra pas fin totalement. Le maintien en l'état des armes existantes
nécessite des opérations qui doivent être
régulièrement répétées et qui
entraînent la production de déchets plus ou moins actifs.
Ce premier rapport parlementaire consacré aux déchets d'origine
militaire sera loin d'être totalement exhaustif. Certains aspects ont
été volontairement laissés de côté pour le
moment. C'est le cas par exemple :
- de certains effluents liquides ou gazeux qui peuvent être
rejetés par les différentes installations militaires,
- des stockages de matériels déclassés (boussoles,
viseurs, ...) faiblement radioactifs mais qui ne peuvent être
acceptés dans les centres de stockage de l'ANDRA en raison de la
présence de radium et surtout de tritium,
- des déchets et des combustibles usés provenant de la
propulsion nucléaire des sous-marins. Malgré une très
intéressante visite à l'Ile Longue, j'ai estimé que
les problèmes liés au démantèlement des
réacteurs des sous-marins concernaient avant tout les commissions de la
Défense des deux assemblées.
Qu'on ne voie dans cette limitation -que j'espère provisoire- du champ
d'étude une quelconque autocensure ; il s'agit en
réalité, beaucoup plus prosaïquement, d'un problème
de temps et de moyens.
Fidèle à la méthode qui a été la mienne
jusqu'ici, je me suis en effet efforcé, dans un domaine aussi sujet
à polémiques, de ne pas porter de jugement sur des faits que je
n'ai pas constatés moi-même ou sur des personnes que je n'ai pas
rencontrées.
Ce qui importait avant tout dans cette première étude,
c'était de montrer qu'il était possible, à un
non-militaire, de commencer à explorer un domaine qui avait pratiquement
échappé jusque-là aux investigations et au contrôle
du Parlement.
Aux Etats-Unis, le nettoyage des installations nucléaires militaires et
la gestion des déchets qui s'y trouvent est devenu un enjeu politique de
premier plan et, depuis une dizaine d'années, le Département de
l'Energie et le Congrès s'affrontent sur ce thème.
Il aurait donc été singulier que le Parlement français
reste totalement en dehors de ce débat. Il reste désormais
à souhaiter que cette première tentative d'exploration d'un
sujet, ô combien difficile !, soit jugée comme telle et
qu'elle ouvre la voie à d'autres travaux qui viendront la
compléter et peut-être même la corriger.
La seconde partie du rapport est plus particulièrement consacrée
à l'étude des déchets qui pourraient subsister sur les
sites des essais nucléaires après la décision de la France
d'arrêter définitivement l'expérimentation, en vraie
grandeur, de ses bombes atomiques.
A cette fin, je me suis rendu avec mes collègues Claude Birraux,
député UDF de Haute-Savoie, et Serge Poignant,
député RPR de Loire-Atlantique, à Mururoa et à
Fangataufa en passant par Tahiti, où nous avons pu rencontrer les
autorités civiles et militaires de la Polynésie française.
Les responsables militaires et ceux de la Direction des Applications Militaires
du CEA nous ont fourni des réponses très circonstanciées
à toutes les questions que nous leur avons posées mais, là
aussi, comme cela a été précédemment indiqué
pour les sites de la Métropole, peut-être n'avons nous pas
posé les bonnes questions, faute de pouvoir confronter les informations
officielles avec d'autres sources de renseignements.
J'avais volontairement retardé la publication du compte rendu de
cette mission, dans l'espoir de pouvoir disposer des rapports des experts de
l'Agence Internationale de l'Energie Atomique qui ont longtemps
enquêté sur le Centre d'Expérimentations du Pacifique.
Malheureusement, la publication de ces rapports n'est toujours pas intervenue
et elle n'est maintenant annoncée que pour le courant de l'année
1998.
Toutes les observations et les recommandations sur le CEP
présentées dans ce rapport le sont donc sous réserve des
résultats du travail d'expertise et d'enquête entrepris par l'AIEA
et pourraient être revues au cas où ces résultats ne
correspondraient pas aux renseignements qui nous ont été fournis.
Je dois enfin préciser que les conclusions que j'ai émises sur
l'impact des essais nucléaires français dans le Pacifique me sont
personnelles et ne sauraient en rien engager les deux autres collègues
qui ont participé à cette mission.
Première partie :
LA GESTION DES
DÉCHETS GÉNÉRÉS PAR
LA FABRICATION ET
L'ENTRETIEN
DES ARMES NUCLÉAIRES
Qu'elle soit civile ou militaire, l'utilisation de la
radioactivité produit à l'évidence des déchets. Il
n'y a d'ailleurs pratiquement pas d'activité humaine qui n'en produise
pas.
La différence entre les déchets nucléaires et les autres
rebuts domestiques ou industriels tient à la durée de leur
nocivité, qui peut aller jusqu'à des millions d'années, et
à leur quasi-indestructibilité.
Quels que soient les efforts entrepris pour tenter de les banaliser, les
déchets nucléaires ne seront jamais, aux yeux de l'opinion
publique, des déchets comme les autres.
Etant donné le mystère qui a longtemps présidé
à toutes les activités liées à l'utilisation de
l'énergie nucléaire, le problème des déchets
générés par ces activités n'a toutefois fait
irruption dans le grand public que relativement récemment. C'est
seulement au cours des années 1970 que certaines personnes, surtout aux
Etats-Unis, ont commencé à prendre conscience que la gestion des
déchets contaminés par la radioactivité posait un
problème qui n'avait peut-être pas été
jusque-là correctement traité.
De nombreux sociologues se sont interrogés sur les raisons de cette
soudaine prise de conscience sans apporter de réponse
véritablement convaincante, d'autant que ce phénomène a
commencé à apparaître bien avant les deux accidents majeurs
du nucléaire civil : Three Miles Island en 1982 et
Tchernobyl en 1986.
Que les craintes de l'opinion publique vis-à-vis des déchets
nucléaires soient justifiées ou pas, la résistance des
populations concernées à l'implantation des sites de stockage
montre bien qu'il s'agit désormais d'un problème majeur.
Même si, en France, la situation est nettement moins tendue que dans
certains pays voisins, on constate que l'avis des experts ne suffit plus
à rassurer nos concitoyens désorientés par toutes les
controverses sur l'aval du cycle nucléaire.
Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays comme les Etats-Unis
ou la Russie, ces controverses ont, en France, avant tout concerné les
déchets civils issus des centrales d'EDF. Notre pays, qui s'est pourtant
doté de l'arme nucléaire depuis 1960, a pratiquement
occulté ce problème jusqu'à une date très
récente.
Après des années de gestion purement technocratique, le dossier
des déchets nucléaires civils commence enfin à faire
l'objet d'un véritable débat public. En revanche, celui des
déchets d'origine militaire reste entre les mains de quelques
spécialistes, tous liés par le secret défense, mais qui
doivent eux aussi rendre des comptes à la population et à ses
représentants.
Chapitre I
UN DOSSIER ENCORE MAL
CONNU
MALGRÉ DE RÉELS EFFORTS EN FAVEUR
D'UNE PLUS GRANDE
TRANSPARENCE
Depuis quelque temps, on commence à admettre dans notre
pays que la gestion des déchets radioactifs n'est plus une question
purement scientifique et technique à traiter uniquement entre
spécialistes. Mais, pour que ce dossier soit géré en
tenant compte des impératifs sociologiques et politiques, il est
indispensable que le public puisse avoir un accès aussi large que
possible à l'information.
Dans le secteur du nucléaire civil, la situation tend à
s'améliorer et des progrès significatifs ont été
enregistrés au cours de ces dernières années. La
population ne peut toutefois pas s'intéresser à un
problème dont elle n'a même pas connaissance, ce qui a
été longtemps le cas pour les déchets radioactifs
d'origine militaire.
La parution d'un livre sur "Les déchets nucléaires militaires
français" de Bruno Barillot et Mary Davis
2(
*
)
, suivie peu après d'une émission de
Jean-Marie Cavada "La marche du siècle" sur le même sujet,
à laquelle j'ai d'ailleurs participé, ont contribué
à attirer l'attention du grand public sur un problème qui, il
faut bien le reconnaître, ne mobilisait pas les foules jusque-là.
Les Français sont-ils pour autant désormais mieux informés
sur ce dossier ?
On peut malheureusement en douter.
Le livre de Bruno Barillot et de Mary Davis constitue la somme de plusieurs
années de recherches documentaires en France et aux Etats-Unis. Il a
permis de révéler certains aspects pratiquement ignorés de
tous sur les activités de la Direction des Applications Militaires du
CEA et du ministère de la Défense. Cet ouvrage m'a
été d'un secours précieux dans la préparation de
mon enquête. Néanmoins, le parti pris
délibérément antinucléaire de ses auteurs a quelque
peu nui à l'objectivité de leur travail. A force de vouloir trop
prouver la justesse de leurs thèses de départ, ils ont fini par
jeter la suspicion sur une partie de leurs affirmations.
Quant à l'émission "La marche du siècle", qui
n'était pas une des meilleures de cette série pourtant
excellente, elle a certainement contribué à obscurcir un
débat déjà assez difficile pour les néophytes, tout
en provoquant dans les centres du CEA et chez les militaires concernés
des perturbations dont les effets sont encore perceptibles aujourd'hui.
1°/ LE "SECRET DÉFENSE" EST-IL TOUJOURS JUSTIFIÉ ?
Il ne faut pas se faire d'illusion, l'information ne sera
jamais totalement libre dans le domaine de l'armement nucléaire.
Bien que nous ne soyons plus dans le contexte de la guerre froide, un certain
nombre de données restent "sensibles" et doivent être
protégées de l'indiscrétion des autres états ou des
groupes terroristes.
La prolifération des armes nucléaires dite horizontale,
c'est-à-dire l'accès à l'arme nucléaire de pays qui
en sont encore dépourvus, constitue une menace réelle et
sérieuse qui doit être prise en considération dès
qu'on aborde ce domaine.
C'est donc à juste titre qu'un certain nombre d'informations font
l'objet d'une classification qui comprend trois niveaux de protection :
- "très secret défense"
- "secret défense"
- et "confidentiel défense".
Selon le décret du 12 mai 1981, la mention "très secret
défense" est réservée aux informations dont la divulgation
serait de nature à nuire à la défense nationale et
à la sûreté de l'Etat, et c'est le Premier ministre
lui-même qui définit les critères et les modalités
de la protection des informations classifiées sous ce titre.
La mention "secret défense" est réservée aux informations
dont la divulgation serait de nature à nuire à la défense
nationale et à la sûreté de l'Etat.
La mention "confidentiel défense", quant à elle, est
réservée aux informations qui ne présentent pas en
elles-mêmes un caractère secret mais dont la connaissance, la
réunion ou l'exploitation peuvent conduire à la divulgation d'un
secret intéressant la défense nationale et la sûreté
de l'Etat.
Dans des conditions fixées par le Premier ministre, chaque ministre
définit, pour les services dont il a la charge, les critères, les
modalités de la protection des informations classifiées "secret
défense" et "confidentiel défense".
Dans ces conditions, nul ne peut accéder à des informations
protégées s'il n'a pas reçu une autorisation
préalable. De plus, certains documents qui ne sont pas classifiés
peuvent cependant faire l'objet d'une "diffusion restreinte" qui
limite encore
les possibilités d'accès du grand public à l'information
sur les questions militaires.
Afin de renforcer encore la protection des informations dans le domaine des
armes nucléaires, le décret du 11 décembre 1963, qui
définit le statut des installations nucléaires de base, dites
INB, prévoit dans son article 17 que
"les installations
nucléaires de base intéressant la défense nationale,
classées secrètes par le Premier ministre, sur proposition du
ministre des Armées, cessent d'être soumises, à compter de
la décision du classement, aux dispositions du présent
décret"
.
Ainsi les installations nucléaires de base relevant de la défense
nationale, les INB-S (S pour secrètes), sont-elles soumises à un
statut et à un régime de contrôle particuliers.
Les principales dispositions de la loi du 19 juillet 1976 relative aux
installations classées pour la protection de l'environnement ne
s'appliquent pas aux installations relevant du ministre de la Défense
et, en particulier, leur inspection est assurée par des inspecteurs
désignés par le ministre de la Défense, à qui ils
adressent leurs rapports.
La surveillance des INB-S, relevant du ministre de l'Industrie, est
confiée au Haut Commissaire à l'énergie atomique par une
instruction ministérielle de février 1996. Il est pour cela
assisté d'un Directeur délégué à la
Sûreté nucléaire, de Commissions de sûreté,
d'un corps d'inspecteurs et de l'appui technique de l'IPSN. Il est par ailleurs
le conseiller scientifique du CEA.
Cette organisation particulière des INB-S dispense leur création
d'enquête publique (décret du 5 juillet 1985). Cependant, les
rejets dans l'environnement y sont soumis
(décret n° 95-540 du 4 mai 1995). Quant aux
Commissions locales d'information (CLI), elles ne sont pas imposées aux
INB-S par la directive du Premier ministre de 1981. Cependant, les sites de
Marcoule, Pierrelatte et, récemment, de Valduc sont pourvus de
structures d'information du type CLI.
On conçoit très bien que tout ce qui touche à la
fabrication ou à l'entretien des armes proprement dits doit être
soigneusement protégé, mais doit-il en être de même
pour les informations relatives aux déchets ou aux rejets des
INB-S ?
Les déchets et les rejets sont en effet, à un moment ou à
un autre, destinés à sortir de l'enceinte des installations
militaires et peuvent donc avoir des répercussions sur l'environnement
et même, éventuellement, sur la santé humaine. Il ne serait
dès lors pas anormal que les populations concernées puissent
avoir accès à un minimum d'informations et que leurs
représentants légaux puissent exercer un certain contrôle
sur les opérations en cours ou prévues.
Selon les responsables du CEA ou du ministère de la Défense, si
des informations précises étaient fournies sur les déchets
et les rejets des INB-S, il existerait un risque de voir certains
spécialistes, non autorisés, remonter jusqu'à des
données qui doivent être impérativement tenues
secrètes. Ce serait ainsi le cas, par exemple, de la composition
isotopique des déchets.
Les responsables du CEA, sentant bien qu'il y avait là un
problème, n'ont pas été hostiles à la
création d'instances d'information du public, qui ne sont cependant pas
totalement alignées sur les Commissions locales d'information.
Tracer la limite entre ce qui relève véritablement du "secret ou
du confidentiel défense" et les informations que les populations
concernées sont en droit d'obtenir ne sera certes pas facile. Selon les
responsables du CEA, la réglementation de sûreté applicable
aux INB-S est calquée sur les mêmes standards que celle des INB,
à l'exception de ce qui pourrait entraîner la divulgation
d'informations classifiées. Toutefois, il faudrait certainement
commencer par déclassifier quantité de données qui n'ont
été considérées comme secrètes que par la
force de l'habitude, et en particulier admettre que tout ce qui sort d'une
INB-S (déchets, rejets, ...) doit être totalement transparent.
D'ores et déjà, les déchets perdent leur caractère
"défense" dès qu'ils sortent des INB-S mais encore faut-il qu'on
dispose d'exutoires réglementaires, ce qui est loin d'être le cas
pour beaucoup d'entre eux.
Les services du Haut Commissaire veillent à leur sortie des centres
dès que cela est possible techniquement et réglementairement
mais, comme on le verra dans la suite du présent rapport, dans de
nombreux cas il n'existe pas, à l'heure actuelle, de solution.
Aux Etats-Unis, où les impératifs de défense sont tout
aussi importants qu'en France, il est possible d'obtenir de nombreux rapports
qui seraient, chez nous, considérés comme strictement
confidentiels. Le programme de "clean up" (voir encadré
ci-après) a été non seulement débattu dans le
détail mais pratiquement déterminé par le Congrès
américain, qui pour cela disposait de tous les renseignements
nécessaires et qui a procédé à de nombreuses
auditions auxquelles aucun responsable n'aurait pu se soustraire.
Le programme américain
Environnement management
(EM) ou "clean up"
Ce programme, lancé en 1989, est destiné
à financer la réhabilitation des sites militaires du
Département de l'énergie (DOE) et la gestion des déchets
radioactifs qui s'y trouvent.
122 sites sont concernés et les déchets qui doivent être
identifiés, triés et reconditionnés appartiennent à
toutes les catégories.
En 1995, la demande de crédits pour ce programme a été de
6 280 millions de dollars dont 83 % étaient
destinés au "clean up" purement militaire, soit environ
28 milliards de francs pour une année !
Ainsi le nettoyage des sites militaires, puis la gestion des déchets qui
y seront récupérés, représentent un montant de
crédits supérieur à ceux qui seront affectés aux
activités de défense proprement dites du DOE.
Selon les responsables de ce programme, la réhabilitation totale des
sites militaires devrait prendre 40 ans et coûter au total de 200
à 300 milliards de dollars.
Ces sommes paraissent absolument exorbitantes mais l'accumulation, dans des
conditions souvent inquiétantes, de déchets radioactifs pose des
problèmes sérieux aussi bien pour les personnes qui travaillent
sur les sites que pour l'environnement en général.
Ainsi, à Savannah River, des cuves contenant du plutonium et d'autres
déchets de haute activité risquent de fuir. A Rocky Flat, des
substances radioactives chimiquement instables doivent être
traitées d'urgence. Quant au plus célèbre de ces sites,
Hanford, il suffit de se référer au compte rendu de la visite de
M. Claude Birraux pour son rapport à l'Office sur la
sûreté des installations nucléaires
3(
*
)
pour se rendre compte de l'importance et de l'urgence
de cette réhabilitation.
Malgré ces considérables efforts financiers, le DOE se heurte
à de nombreuses difficultés techniques et prend du retard sur de
nombreuses opérations.
Il apparaît de plus en plus clairement que tous les problèmes
n'ont pas été correctement évalués au départ
et que les technologies nécessaires pour les résoudre sont encore
souvent loin d'être au point.
Le Département de l'énergie des Etats-Unis publie
régulièrement un inventaire détaillé des
déchets nucléaires entreposés sur l'ensemble des sites
civils mais aussi militaires.
4(
*
)
Le tableau reproduit ci-après donne par exemple pour le site de Hanford,
pour chaque radionucléide, la forme (liquide, boues, ...) et
l'activité (en Curies) des déchets qui se sont accumulés
depuis 1945 dans les installations militaires qui ont produit une grande partie
du plutonium et l'uranium utilisé pour la fabrication des armes
nucléaires américaines.
De la même manière, un rapport publié en 1991 par l'Office
of Technology Assessment du Congrès (aujourd'hui disparu) donne toutes
les indications disponibles sur le volume, l'activité et la localisation
des déchets nucléaires d'origine militaire.
5(
*
)
Pourquoi la très grande transparence qui règne aux Etats-Unis sur
les déchets nucléaires militaires ne serait-elle pas transposable
en France ?
Les déchets qui proviennent de la production ou de l'entretien des armes
actuellement entreposées sur les sites de Marcoule, Pierrelatte et
Valduc, devront un jour rejoindre des sites de stockage, souterrains ou en
surface, dépendant de l'ANDRA et donc purement civils. Il ne serait donc
pas anormal que le "secret défense" soit levé de façon
à ce qu'un inventaire complet de ces déchets puisse être
réalisé et publié dès maintenant.
Je propose donc que la charge de la preuve soit en quelque sorte
renversée : toutes les informations relatives aux déchets et
aux rejets des INB-S doivent devenir publiques, à l'exception de celles
pour lesquelles les responsables du CEA ou du ministère de la
Défense pourront démontrer que leur divulgation risquerait de
nuire gravement aux impératifs de la défense nationale.
Table 2.16. Representative radionuclide composition (Ci) of current HLW at HANF
|
|
|
|
|
Capsules |
|
Radionuclide |
Liquid |
Sludge |
Salt cake |
Slurry |
90 Sr -90 Y |
137 Cs -137m Ba |
14 C |
1.87E+03 |
|
2.50E+03 |
6.67E+02 |
|
|
55 Fe |
|
|
|
4.75E+03 |
|
|
59 Ni |
|
|
|
9.06E+00 |
|
|
60 Co |
|
3.22E+03 |
|
1.03E+04 |
|
|
63 Ni |
|
3.08E+05 |
|
1.05E+03 |
|
|
79 Se |
|
|
|
6.58E+01 |
|
|
89 Sr |
|
|
|
9.05E-06 |
|
|
90 Sr |
4.13E+05 |
5.10E+07 |
2.20E+06 |
1.09E+07 |
2.45E+07 |
|
90 Y |
4.13E+05 |
5.10E+07 |
2.20E+06 |
1.09E+07 |
2.45E+07 |
|
91 Y |
|
|
|
6.68E-04 |
|
|
93 Zr |
|
9.70E+03 |
|
3.21E+02 |
|
|
93m Nb |
|
8.21E+03 |
|
1.18E+02 |
|
|
95 Zr |
|
|
|
7.10E-03 |
|
|
95 Nb |
|
|
|
1.57E-02 |
|
|
95m Nb |
|
|
|
5.24E-05 |
|
|
99 Tc |
1.79E+04 |
|
|
1.43E+04 |
|
|
103 Ru |
|
|
|
1.64E-09 |
|
|
103m Rh |
|
|
|
1.47E-09 |
|
|
106 Ru |
|
9.81E+00 |
|
3.04E+05 |
|
|
106 Rh |
|
9.81E+00 |
|
3.04E+05 |
|
|
107 Pd |
|
|
|
8.21E+00 |
|
|
110m Ag |
|
|
|
1.64E+01 |
|
|
110 Ag |
|
|
|
2.17E-01 |
|
|
113m Cd |
|
|
|
3.74E+03 |
|
|
113 Sn |
|
|
|
7.92E-02 |
|
|
115m Cd |
|
|
|
2.04E-10 |
|
|
119m Sn |
|
|
|
2.92E+02 |
|
|
121m Sn |
|
|
|
6.39E+01 |
|
|
123 Sn |
|
|
|
1.76E+00 |
|
|
123m Te |
|
|
|
5.99E-06 |
|
|
124 Sb |
|
|
|
4.48E-08 |
|
|
125 Sb |
|
|
|
2.96E+05 |
|
|
125m Te |
|
|
|
7.22E+04 |
|
|
126 Sn |
|
|
|
1.04E+02 |
|
|
126 Sb |
|
|
|
1.46E+01 |
|
|
126m Sb |
|
|
|
1.15E+02 |
|
|
127m Te |
|
|
|
6.68E-01 |
|
|
127 Te |
|
|
|
6.54E-01 |
|
|
129m Te |
|
|
|
8.20E-14 |
|
|
129 I |
|
|
|
2.65E-01 |
|
|
134 Cs |
|
|
|
1.49E+05 |
|
|
Table 2.16 (continued)
|
|
|
|
|
Capsules |
|
Radionuclide |
Liquid |
Sludge |
Salt cake |
Slurry |
90 Sr -90 Y |
137 Cs -137m Ba |
135 Cs |
|
|
|
5.91E+01 |
|
|
137 Cs |
9.80E+06 |
3.61E+06 |
3.65E+06 |
1.62E+07 |
|
5.55E+07 |
137m Ba |
9.27E+06 |
3.41E+06 |
3.46E+06 |
1.53E+07 |
|
5.25E+07 |
141 Ce |
|
|
|
8.29E-13 |
|
|
144 Ce |
|
|
|
4.63E+05 |
|
|
144 Pr |
|
|
|
4.61E+05 |
|
|
144m Pr |
|
|
|
5.54E+03 |
|
|
147 Pm |
|
|
|
6.18E+06 |
|
|
148 Pm |
|
|
|
4.98E-12 |
|
|
148m Pm |
|
|
|
8.84E-11 |
|
|
151 Sm |
|
8.33E+05 |
|
2.03E+05 |
|
|
152 Eu |
|
|
|
5.41E+02 |
|
|
153 Gd |
|
|
|
1.07E-01 |
|
|
154 Eu |
|
|
|
6.75E+04 |
|
|
155 Eu |
|
|
|
9.90E+04 |
|
|
160 Tb |
|
|
|
9.71E-07 |
|
|
234 U |
|
|
|
1.23E+00 |
|
|
235 U |
|
|
|
5.18E-02 |
|
|
236 U |
|
|
|
1.08E-01 |
|
|
238 U |
|
|
|
9.46E-01 |
|
|
237 Np |
2.55E-03 |
|
|
4.51E+01 |
|
|
238 Np |
|
|
|
2.17E-01 |
|
|
238 Pu |
|
|
|
3.67E+02 |
|
|
239 Pu |
|
2.20E+04 |
|
3.28E+03 |
|
|
240 Pu |
|
5.29E+03 |
|
8.85E+02 |
|
|
241 Pu |
|
5.25E+04 |
|
3.35E+04 |
|
|
242 Pu |
|
|
|
8.68E-02 |
|
|
241 Am |
7.36E+02 |
4.53E+04 |
|
5.24E+04 |
|
|
242 Am |
|
|
|
4.31E+01 |
|
|
242m Am |
|
|
|
4.33E+01 |
|
|
243 Am |
|
|
|
7.16E+00 |
|
|
242 Cm |
|
|
|
3.65E+01 |
|
|
244 Cm |
|
1.57E+02 |
|
1.29E+03 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Total |
1.99E+07 |
1.10E+08 |
1.15E+07 |
6.21E+07 |
4.90E+07 |
1.08E+08 |
|
|
|
|
|
|
|
Specific
|
7.9E-01 |
2.4E+00 |
1.2E-01 |
6.6E-01 |
4.5E+04 |
4.4E+04 |
2°/ UN PROGRÈS IMPORTANT : L'EXTENSION DE L'INVENTAIRE DE L'ANDRA AUX SITES MILITAIRES
La loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des
déchets radioactifs, très largement inspirée par le
premier rapport de l'Office sur ce sujet, a prévu que l'Agence nationale
pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) serait, entre autres
tâches, chargée de
"répertorier l'état et la
localisation de tous les déchets radioactifs se trouvant sur le
territoire national"
.
En 1997, l'ANDRA a publié son cinquième rapport et on peut
maintenant juger de l'importance de cette disposition, apparemment anodine,
mais qui a permis de restaurer une certaine confiance envers les
autorités chargées du nucléaire et qui a très
largement contribué à désamorcer un grand nombre de
polémiques qui n'auraient pas manqué de se développer sans
cet effort de transparence.
Grâce à ces rapports, les choses sont plus claires et l'on peut
désormais considérer que la quasi-totalité des
déchets radioactifs sont décrits, répertoriés et
localisés avec précision.
On peut regretter que la Commission des Communautés, d'habitude si
prompte à se saisir de tous les problèmes, parfois même
hors de ses compétences, ne rende pas ce type d'inventaire obligatoire
dans tous les pays membres de l'Union européenne.
Les trois premiers rapports de l'ANDRA étaient très largement
incomplets puisqu'ils ne comportaient aucune indication sur les sites
militaires alors que les INB-S dépendant du CEA y figuraient.
Cette anomalie a été corrigée dans l'édition de
1996, pour laquelle les établissements relevant directement du
ministère de la Défense nationale ont établi des fiches de
synthèse sur l'ensemble de leurs déchets radioactifs. Seul le
site de Mururoa continue à échapper à ce recensement, mais
cette question sera développée dans la deuxième partie du
présent rapport.
Alors qu'en 1996, le rapport de l'ANDRA avait identifié 29 sites
relevant de la Défense nationale où des déchets
radioactifs sont stockés, l'édition de 1997 en recense 45.
L'importance de ces différents stockages est très variable
puisqu'ils peuvent receler soit quelques vieux instruments luminescents, soit
des résidus de retraitement de très haute activité.
Bien que non classée comme site militaire dans l'inventaire de l'ANDRA,
il faut également citer la décharge de classe 1 de
Pontailler-sur-Saône, où sont entreposées, de façon
conforme à la réglementation, les boues provenant de la station
d'épuration du Centre de Valduc dont les activités sont presque
uniquement militaires.
Comme on peut le constater dans l'inventaire de l'ANDRA, près de la
moitié de ces sites de stockage ne contiennent en fait que des
déchets faiblement radioactifs constitués de boussoles et de
dispositifs de visée nocturne dont les cadrans étaient peints
avec de la peinture au radium et au tritium pour faciliter la vision nocturne.
Tous ces matériels radioluminescents, dont l'usage est aujourd'hui
abandonné, devraient être bientôt regroupés dans un
établissement centralisateur à Saint-Priest.
A première vue, il peut paraître quelque peu dérisoire de
recenser ainsi des stockages de vieux matériels autrefois d'usage
courant et contenant 5 à 6 Gigabecquerels (1 GBq =
10
9
Becquerels), et de les mettre sur le même plan que
celui de Marcoule où les colis de verre de retraitement
représentent à eux seuls 286 000 Térabecquerels
(1 TBq = 10
12
Becquerels).
Il n'empêche que grâce à l'effort de classification
exigé par l'inventaire de l'ANDRA, tous les déchets, même
relativement peu dangereux, ont été identifiés et qu'ils
vont être regroupés et stockés convenablement. Au moment
où de nombreuses installations militaires vont être fermées
et abandonnées définitivement, il n'était pas inutile de
faire cet état des lieux. De multiples exemples en France mais surtout
à l'étranger nous ont montré dans le passé que la
mémoire des stockages de déchets se perd très facilement,
et que des objets radioactifs qui auraient dû être isolés
définitivement se retrouvent entre les mains d'enfants ou de
ferrailleurs inconscients du danger.
Dans la suite du présent rapport, il ne sera fait état que des
sites où l'activité des déchets impose de prendre des
précautions tout à fait particulières pour leur gestion.
L'inventaire de l'ANDRA se devait, quant à lui, d'être aussi
exhaustif que possible pour prévenir toute possibilité de
contamination mais aussi pour éviter la répétition de
prétendus "scoops" sur les dangers des déchets cachés.
En ce qui concerne les déchets de faible ou moyenne activité
constitués de matériels de visée et de boussoles
réformés, il serait souhaitable que le regroupement
envisagé sur un seul site de stockage, spécialement
aménagé pour les recevoir, soit accéléré de
façon à ce que le prochain inventaire de l'ANDRA présente
une situation plus lisible de la réalité des déchets
d'origine militaire.
3°/ LA MISE EN PLACE DU "PLAN DÉCHETS" DE LA DAM
Depuis près de six ans, le CEA s'est doté d'une
direction des déchets destinée à mettre en oeuvre le plan
d'assainissement des sites, l'Administrateur général de
l'époque, M. Philippe Rouvillois, ayant estimé à
juste titre qu'il s'agissait là d'une mesure tout à fait
prioritaire.
Grâce à l'obstination du premier responsable de cette nouvelle
direction, M. Robert Lallement, le plan d'assainissement a
été rapidement opérationnel, en particulier pour le
traitement des déchets anciens, qui n'avaient pas toujours, dans les
premières années d'existence du CEA, fait l'objet d'une gestion
très rigoureuse.
A raison de 400 MF de crédits par an, le programme prévu a
été respecté, si bien que les grandes opérations de
rattrapage devraient être terminées en l'an 2000.
En raison du cloisonnement entre les activités civiles et militaires du
CEA, la Direction des déchets n'a cependant pas été
chargée de la gestion des déchets de la DAM sauf quand ceux-ci
quittent le CEA pour aller en stockage définitif à l'ANDRA ou en
entreposage temporaire à Cadarache en attendant un éventuel
stockage en couches géologiques profondes.
La DAM, bien qu'autonome, a toutefois participé à l'effort
général d'assainissement des sites nucléaires. Dès
1986, un "plan déchets" a défini les grandes lignes d'une
politique globale de gestion des déchets radioactifs et planifié
à moyen et à long terme la mise en place des moyens
matériels nécessaires.
Le programme de la DAM a été élaboré sous la forme
d'un plan quinquennal glissant, révisé annuellement, autour des
grands objectifs suivants :
- extraire des déchets, avant de les stocker, le maximum
d'émetteurs alpha ;
- ne produire, autant que possible, que des déchets "A"
stockables
en surface dans le centre de l'Aube de l'ANDRA ;
- minimiser les volumes et optimiser le remplissage des fûts
destinés au stockage ;
- exclure totalement toute production de déchets non
transportables ;
- ne plus accepter de solutions temporaires.
Pour que ces objectifs puissent être atteints, il a fallu que l'ensemble
des opérateurs dans les différents sites acceptent de profondes
mutations dans leurs méthodes de travail et qu'ils procèdent
notamment au tri à la source de tous les éléments
radioactifs récupérables dans les déchets.
Même si la quantité de déchets à traiter par la
DAM n'a aucune mesure avec celle qui est produite par les centrales
nucléaires, les problèmes posés par la gestion de ces
déchets n'en sont pas moins réels et doivent faire l'objet d'un
traitement sérieux.
Comme il ne m'était pas matériellement possible de visiter la
totalité de ces sites, j'ai décidé, pour cette
première enquête, de me limiter aux installations où sont
entreposés les déchets les plus encombrants et les plus
actifs : Marcoule, Valduc, l'Ile Longue, Pierrelatte, Cadarache et
Bruyères-le-Châtel.
Chapitre II
LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA
GESTION DES DÉCHETS SONT SÉRIEUX MAIS PAS INSURMONTABLES
Cette partie du présent rapport consacrée aux
déchets radioactifs militaires ne doit donc être
considérée que comme une première tentative pour explorer
un domaine jusque-là inconnu des civils et même des responsables
politiques, sur lequel il n'existe pratiquement aucune documentation en langue
française.
A la lecture de l'inventaire de l'ANDRA, le problème des déchets
radioactifs d'origine militaire apparaît comme très limité
et en tout état de cause relativement facile à gérer.
Sur le terrain, les choses se révèlent un peu plus
compliquées, mais la situation française ne semble en rien
comparable à celle des Etats-Unis où le nettoyage des sites
militaires, le "clean up", va constituer un des plus coûteux
programmes fédéraux jamais entrepris.
En 1938, quand Leo Szilard, physicien hongrois, et Enrico Fermi, physicien
italien, tous deux réfugiés aux Etats-Unis, persuadés que
la fabrication d'une bombe atomique était possible, tentèrent
d'alerter le Gouvernement américain, leurs démarches
restèrent vaines.
Malgré une lettre personnelle envoyée, à la même
époque, par Albert Einstein au Président Roosevelt, il fallut
attendre 1942 pour qu'une équipe de scientifiques de haut niveau soit
regroupée, sous l'égide de Robert Oppenheimer, dans le but
d'utiliser les acquis scientifiques théoriques existant pour la
fabrication d'une arme nucléaire.
En dépit des nombreux problèmes pratiques qui se posèrent,
en août 1945, une bombe atomique, qui n'avait d'ailleurs pas fait l'objet
d'essai préalable, fut larguée sur la ville japonaise d'Hiroshima.
Parallèlement aux travaux qui étaient ainsi
réalisés, une autre équipe sous la direction de Gleen
Seeborg démontrait que le plutonium était encore plus facile
à utiliser que l'uranium. Quelques jours avant le bombardement
d'Hiroshima, les militaires américains avaient d'ailleurs fait exploser,
au Nouveau-Mexique, une bombe au plutonium du même type que celle qui
devait être ensuite lancée sur Nagasaki et entraîner la mort
de 80 000 personnes.
Ainsi, en moins de trois ans, on était passé de la théorie
à la pratique et l'humanité était entrée dans
l'ère nucléaire.
Quatre années plus tard, l'Union soviétique faisait à son
tour exploser sa première bombe atomique, marquant ainsi le début
de la course aux armements nucléaires.
En France, contrairement à ce que l'on pense souvent, dans les
années qui suivirent la seconde guerre mondiale, ce furent avant tout
les applications civiles de production d'énergie qui retinrent
l'attention des responsables politiques et des chercheurs. Bien que
prévues dès 1945, lors de la création du CEA par le
Général de Gaulle, les applications militaires
n'intéressaient alors que quelques individualités et de
façon quasi clandestine.
Empêtrée dans des conflits classiques en Indochine, puis en
Algérie, l'armée française, selon les documents
actuellement disponibles, ne portait qu'un intérêt très
limité au concept de dissuasion nucléaire.
De l'avis de tous les historiens, c'est indubitablement le
Général Gallois qui, dans les années 1950, réussit
à sensibiliser certains de ses collègues et certains responsables
politiques aux problèmes que posait l'apparition des armes
nucléaires. La crise de Suez devait accélérer la prise de
conscience des transformations qui imposaient l'existence des armements
atomiques.
Selon un ouvrage récent de MM. Marcel Duval et Yves
Le Baut
7(
*
)
, c'est le 11 avril
1958, c'est-à-dire un mois et demi avant le retour du
Général de Gaulle, que Félix Gaillard, Président du
Conseil, prit la décision, qui devait toutefois rester secrète,
de préparer une première série d'explosions
expérimentales qui devraient avoir lieu au début de 1960.
Ce programme fut confirmé par le Général de Gaulle
pratiquement dès son retour au pouvoir et, en février 1960, la
première bombe atomique française devait être testée
au polygone de tir de Reggane. Il fallut, en revanche, attendre 1968 pour que
la première bombe thermonucléaire française explose au
Centre d'expérimentation du Pacifique.
Pendant toute cette époque, en France comme dans tous les autres pays
qui développaient des armements nucléaires, la question des
déchets que cette activité allait immanquablement produire n'a
pas été au centre des préoccupations des responsables
techniques ou politiques.
Le contexte de guerre froide dans lequel on vivait alors a servi à
justifier toutes les imprudences et toutes les négligences. Aujourd'hui,
comme on l'a vu précédemment, les Etats-Unis, avec le programme
"Clean up", mais surtout l'ex-URSS paient chèrement l'absence de
précautions qui a prévalu pendant toute la période
initiale de création des armements nucléaires.
La France, qui est entrée beaucoup plus tard dans le cercle des
puissances nucléaires, n'a apparemment pas commis d'erreurs aussi graves
que celles qui ont été commises au début de l'ère
nucléaire aux Etats-Unis ou en URSS.
Il n'en demeure pas moins que la Direction des Applications Militaires du CEA
(DAM) se trouve aujourd'hui confrontée à un certain nombre de
problèmes qui, sans être apparemment insurmontables, n'en
requièrent pas moins la mise en oeuvre de mesures spécifiques.
1°/ RAPPEL DU FONCTIONNEMENT DES ARMES NUCLÉAIRES
Contrairement à ce que l'on pense
généralement, en France, ce ne sont pas les militaires mais les
personnels de la Direction des Applications Militaires du CEA qui ont la charge
d'étudier, de fabriquer et surtout désormais d'entretenir les
charges nucléaires de la force de dissuasion.
Les activités de la DAM étant, pour leur presque-totalité,
couvertes par le "secret défense", les informations relatives aux
armes
nucléaires françaises sont quasi inexistantes et n'ont fait
l'objet d'aucune étude d'ensemble accessible au grand public ou aux
représentants du Parlement.
Pour tenter de comprendre comment fonctionnent les armes nucléaires et
par voie de conséquence quelles sortes de déchets cette
fabrication est susceptible de produire, il faut donc se référer
à des documents d'origine américaine, comme l'ouvrage de
M. Kosta Tsipis
8(
*
)
, qui date
malheureusement de plus de dix ans.
Il est d'ailleurs étonnant que, dans notre pays, on ne puisse pas
accéder normalement à des éléments d'information
qui ne sont plus considérés comme secrets dans d'autres pays
comme les Etats-Unis, et cela près de quarante ans après la
première explosion d'une arme nucléaire française.
Malgré le caractère fragmentaire et incomplet des connaissances
dont on dispose, il a paru utile de décrire brièvement les
techniques utilisées pour la fabrication des armes nucléaires,
puisque ces techniques sont à la source des déchets qu'il faut
aujourd'hui gérer.
A/ Les bombes A et la fission nucléaire
Utilisée en 1945 à Hiroshima, ce type de bombe
repose sur la fission de noyaux d'uranium. On utilise pour cela de
l'uranium 235, beaucoup plus rare dans la nature que son isotope,
l'uranium 238, mais qui a la particularité d'être fissile,
c'est-à-dire que les noyaux de ce matériau sont susceptibles de
se scinder sous l'effet d'un bombardement de neutrons en produisant de nouveaux
neutrons qui iront à leur tour provoquer la fission d'autres noyaux. Ce
phénomène, appelé "réaction en chaîne",
entraîne un considérable dégagement d'énergie, la
réaction en chaîne se poursuivant inexorablement, de façon
exponentielle, en quelques fractions de seconde.
Les bombes A sont constituées de deux blocs d'uranium 235, chacun
de ces blocs devant être inférieur à une taille minimum,
"la masse critique", pour éviter que la réaction en chaîne
se produise spontanément. La mise à feu va donc consister
à rapprocher les deux blocs d'uranium 235, à l'aide d'un
explosif classique, de façon à ce que la masse soit suffisante
pour déclencher la réaction en chaîne.
Il est également possible d'utiliser un autre matériau fissile,
le plutonium 239, mais celui-ci ne se trouve pas dans la nature et doit
être obtenu à partir du combustible irradié des centrales
nucléaires.
B/ Les bombes H et la fusion nucléaire
La bombe H, encore appelée bombe à
hydrogène ou bombe thermonucléaire, fonctionne selon le principe
de la fusion nucléaire. Le combustible nucléaire se compose, en
principe, de deutérium et de tritium, deux éléments
à noyaux légers qu'il faudra rapprocher pour en former un plus
lourd.
Pour annihiler les phénomènes de répulsion entre les
noyaux, il faut des pressions et des températures extraordinairement
élevées qui ne peuvent être obtenues que grâce
à l'explosion préalable d'une bombe à fission.
Une fois la réaction de fusion amorcée, les émissions de
neutrons vont entraîner la fission des masses d'uranium et de plutonium
qui constituent l'enveloppe de la bombe. On a donc ainsi une réaction en
trois étapes, fission-fusion-fission, qui libère une
quantité d'énergie considérable. La première arme
à fusion nucléaire a été testée à
Eniwetok en 1952.
Les principes fondamentaux du fonctionnement des armes nucléaires,
décrits sommairement ci-dessus, n'ont semble-t-il pas connu
d'évolution notable depuis les années 1950 mais de nombreuses
améliorations techniques ont été apportées au fil
des années pour rendre ces armes plus fiables, plus
légères et malheureusement plus puissantes.
C/ Les principaux éléments utilisés dans la fabrication des armes nucléaires
Pour la fabrication des armes nucléaires, les cinq
éléments suivants sont principalement utilisés :
- l'uranium 235,
- l'uranium 238,
- le plutonium 239,
- le tritium,
- et le deutérium.
Ce sont donc ces mêmes éléments qui se retrouvent dans les
déchets produits aussi bien au stade de la recherche qu'à celui
de la fabrication et de l'entretien des charges nucléaires.
Par rapport aux déchets provenant des centrales nucléaires, les
déchets produits dans les installations de la DAM présentent
plusieurs aspects spécifiques.
Tout d'abord, alors que les déchets "civils" provenant des centrales
et
surtout des usines de retraitement contiennent essentiellement des
émetteurs de rayonnements gamma,
les déchets de la DAM sont
presque uniquement contaminés par des émetteurs alpha
.
Les précautions à prendre sont donc différentes ; en
effet, les rayonnements alpha sont arrêtés par une simple feuille
de papier, ce qui permet leur manipulation dans de simples boîtes
à gant, alors que les rayonnements gamma imposent de lourdes protections
en béton ou en plomb. En revanche, la très forte
radiotoxicité du plutonium oblige à se garantir contre tout
risque de contamination humaine interne même par des quantités
extrêmement faibles.
La seconde particularité des déchets d'origine militaire par
rapport aux déchets civils, c'est leur faible quantité.
Selon
les sources disponibles, les quantités d'uranium et de plutonium
nécessaires à la fabrication d'une arme nucléaire sont
très faibles : environ 15 kg d'uranium 235 ou 5 kg
de plutonium 239. A titre de comparaison, il faut savoir que le coeur d'un
réacteur à eau sous pression de 900 MW contient environ
72 tonnes d'uranium.
Selon l'Institute for Energy and Environmental Research du Maryland, le poids
total de plutonium militaire mondial s'élèverait à
270 tonnes contre plus de 1 000 tonnes pour le plutonium civil.
Il s'agit bien entendu d'estimations approximatives, aucun pays sauf les
Etats-Unis ne dévoilant le chiffre de sa production militaire, mais les
ordres de grandeur doivent cependant correspondre à la
réalité.
Logiquement, si les quantités d'éléments radioactifs
utilisés dans les productions militaires sont relativement faibles, les
quantités de déchets qui en résulteront seront elles aussi
assez faibles.
Les problèmes de gestion et de stockage de ces déchets seront
donc sans aucune commune mesure avec ceux que vont poser les déchets
civils :
"Les déchets radioactifs proviennent pour l'essentiel
des centrales nucléaires de production d'électricité et
des usines de préparation et de retraitement des combustibles (environ
85 %), le reste (environ 15 %) provient de l'utilisation de
radioéléments dans les centres de recherche, l'industrie et la
médecine, ainsi que la production et l'entretien de l'armement
nucléaire."
9(
*
)
Ces quelques remarques sur l'importance relative des déchets d'origine
militaire n'a pas pour but de minimiser les dangers qu'ils peuvent
présenter, mais simplement de relativiser les problèmes qui vont
se poser à ceux qui sont chargés de les gérer.
2°/ LES DÉCHETS CONTENANT DU PLUTONIUM
Le plutonium est un élément artificiel, qui
n'existe plus dans la nature, obtenu dans le coeur des réacteurs
nucléaires par la transformation, sous l'effet du flux de neutrons,
d'une partie de l'uranium qui compose le combustible.
Ainsi, en France, les réacteurs d'EDF produisent chaque année
environ onze tonnes de plutonium.
Il existe plusieurs isotopes
10(
*
)
du
plutonium : Pu 238, 239, 240, 241, 242, 243.
Si tous les isotopes du plutonium sont fissibles, c'est-à-dire
susceptibles d'éclater sous un flux de neutrons rapides, le plutonium
239 est également fissile, c'est-à-dire susceptible
d'éclater sous l'action de neutrons thermiques à faible
énergie. Pour la fabrication des armes nucléaires, on utilise
principalement du plutonium 239, considéré comme du
plutonium de "qualité militaire".
Il serait certainement possible de fabriquer des armes avec du plutonium
"civil" mais, selon les experts, la fabrication serait plus complexe
et les
effets plus incertains. Il serait également possible de produire du
plutonium 239 dans des réacteurs civils ordinaires en
déchargeant le combustible au bout de quelques jours d'utilisation, mais
une telle pratique est formellement prohibée par le Traité de
non-prolifération et l'Agence Internationale de l'Energie Atomique
(AIEA) de Vienne surveille étroitement les centrales et les usines de
retraitement pour éviter tout risque de fraude.
A/ Le plutonium est un élément radioactif particulièrement dangereux
Les différents isotopes du plutonium sont avant tout
des émetteurs de rayonnements alpha. Ces rayonnements alpha n'ont qu'une
très faible force de pénétration : une simple feuille
de papier suffit à les arrêter.
Quand on visite les installations de la DAM, après avoir pendant
longtemps fréquenté les sites nucléaires "civils", on est
au départ surpris de constater que les précautions prises pour
manipuler les éléments radioactifs sont apparemment beaucoup
moins contraignantes que celles qui sont exigées en présence
d'émetteurs de rayonnements gamma, dont il faut se protéger par
des fortes épaisseurs de béton ou de plomb.
La manipulation du plutonium et des objets qu'il a contaminés se fait en
effet dans des boîtes à gants où les opérateurs sont
simplement protégés par des vitres et par le latex de leurs gants.
Cette apparente facilité des manipulations ne doit cependant pas
faire oublier que le plutonium fait partie du groupe des
radioéléments les plus dangereux, et qu'il doit être
utilisé avec la plus extrême prudence et en respectant les
règles de protection adéquates.
Le plutonium est tout d'abord dangereux parce qu'il a une durée de vie
très longue, la période ou demi-vie du Pu 239 étant
en effet de 24 000 ans, ce qui signifie qu'à l'issue de cette
période, la moitié seulement des atomes de plutonium auront
disparu en se transformant en d'autres éléments.
Mais c'est surtout sa très forte toxicité qui rend le plutonium
particulièrement dangereux quand il pénètre dans un
organisme vivant soit par ingestion, soit par inhalation, soit encore par une
blessure de la peau. En cas de contamination interne, la radiotoxicité
du plutonium ne se répartit pas de façon uniforme au sein de
l'organisme mais se concentre sur quelques organes : les poumons, le foie
et le squelette. Comme tous les métaux lourds, le plutonium
présente aussi une forte toxicité chimique qui agit, elle aussi,
sur certains organes : reins, système nerveux, ....
Comme l'a fort justement rappelé la CRII-RAD
11(
*
)
:
"Tous les radioéléments n'ont
pas la même radiotoxicité. L'inhalation de 100 Becquerels de
plutonium 239 ne délivrera pas la même quantité
d'énergie aux tissus que celle de 100 Becquerels de
césium 137 ou de 100 Becquerels de potassium [...] il a donc
fallu établir pour chaque radionucléide des Limites Annuelles
d'Incorporation (LAI) spécifiques."
De nouvelles LAI ont été recalculées en 1991 en prenant en
compte les nouvelles limites de dose et les nouveaux facteurs de
pondération des tissus recommandés par la Commission
Internationale de Protection Radiologique (CIPR 60).
Toute manipulation du plutonium présente des risques importants et doit
se faire avec un maximum de précautions. Il est donc regrettable que
certains spécialistes du nucléaire cherchent à quelque peu
banaliser l'usage du plutonium en minimisant ses dangers. On ne peut, par
exemple, que rester effaré devant un passage d'un rapport de l'Agence
pour l'Energie Nucléaire de l'OCDE où l'on affirme
tranquillement, en le soulignant, que
"le plutonium est loin d'être la
matière exceptionnellement dangereuse que l'on s'imagine
communément"
12(
*
)
.
En revanche, l'Institut de Protection et de Sûreté
Nucléaire (IPSN) reconnaissait, dans une note de 1996 sur la
radioprotection dans le cycle du plutonium, que l'utilisation de cet
élément comporte
"les situations les plus complexes en ce qui
concerne les risques radiologiques pour le personnel"
.
Même si le texte qui entoure cette affirmation montre bien que le
plutonium est une matière toxique qu'il faut manipuler avec
précaution, cette phrase, dans un ouvrage qui peut être
répandu dans le grand public, est pour le moins malheureuse.
Pour que les choses soient bien claires, j'aurais préféré
que le plutonium ne soit jamais découvert mais, à partir du
moment où il existe, le principal est désormais de veiller au
respect strict des précautions dans son utilisation et d'empêcher
que les déchets qu'il contamine puissent à un moment quelconque
présenter une menace pour l'environnement ou la santé humaine.
B/ Les conséquences de l'arrêt de la production de plutonium militaire
A partir du moment où des traités internationaux
interdisaient d'obtenir du plutonium destiné à des usages
militaires à partir d'installations civiles, le plutonium de
qualité militaire a été, en France, produit dans des
réacteurs graphite/gaz, G1, G2, G3, spécialement conçus
pour cet usage sur le site du CEA à Marcoule.
Ces réacteurs sont arrêtés et en cours de
démantèlement. La France ne produit donc plus de plutonium
à usage militaire, les stocks existants étant
considérés comme suffisants.
Par voie de conséquence, il n'y a plus de déchets
contaminés par le plutonium produits au niveau de l'extraction de cet
élément mais le problème du démantèlement
des anciennes installations, qui fera l'objet de développements
ultérieurs, est loin d'être totalement résolu.
L'arrêt de la production de plutonium, bénéfique par
certains aspects, a cependant une contrepartie : l'obligation de recycler
périodiquement le plutonium contenu dans le stock d'armes existantes. La
principale opération de recyclage consiste en l'élimination de
l'américium provenant de la décroissance naturelle du
plutonium 241.
En effet, si les armes nucléaires sont essentiellement composées
de plutonium 239, dont la période est suffisamment longue pour
qu'il demeure inchangé, elles comportent également des isotopes
à période plus courte, dont le plutonium 241 qui se
désintègre en produisant de l'américium 241
neutrophage, ce qui réduit l'efficacité des armes.
L'élimination périodique de l'américium est donc une
obligation pour maintenir les armes à leur niveau de puissance initial.
Cette opération nécessite de porter le plutonium au-delà
de son point de fusion et de le placer dans un bain de chlorures alcalins
ensemencés en ions plutonium. Ces ions plutonium vont se réduire
au contact de l'américium en redonnant du plutonium métallique
alors que l'américium oxydé reste dans le bain de chlorures
alcalins.
Si l'arrêt de la production et l'instauration d'un circuit fermé
du plutonium militaire ont supprimé la création de déchets
au stade initial, ils n'en ont pas moins conduit à déplacer le
problème vers l'aval car on se retrouve désormais avec :
- des stocks d'américium, qui n'ont pas à l'heure actuelle
d'utilisation ou de destination et qui doivent donc être
considérés comme des déchets très dangereux,
- des déchets technologiques résultant des opérations
de retraitement, dont une partie n'est pas évacuable sur les centres de
stockage actuels.
Le fonctionnement en cycle fermé présente toutefois un avantage
indéniable :
l'impossibilité de se fournir en plutonium
nouveau fait que cet élément est devenu rare et cher et que les
responsables ont donc désormais tout intérêt à en
récupérer le maximum et à minimiser les déchets
.
En principe, la fabrication des armes nucléaires ne devrait conduire
à évacuer, vers les centres de stockage définitif, que de
très faibles quantités de plutonium, sans commune mesure avec ce
qui pourrait résulter par exemple du non-retraitement de tout ou partie
du combustible irradié provenant des centrales électriques.
C/ Les déchets de haute activité entreposés sur le site de Valduc
Sur le centre de la DAM à Valduc, il y a actuellement
257 casiers contenant les bains de sels ayant servi à l'extraction
de l'américium. Pour le moment, ces casiers restent entreposés
dans les locaux du centre sans qu'on puisse prévoir quelle pourra
être leur destination définitive.
Théoriquement, on pourrait envisager de séparer
l'américium et les traces de plutonium restantes des sels d'extraction,
ces derniers pouvant alors être évacués vers un centre de
stockage de surface. Une telle opération, si elle se
révélait techniquement possible, aurait un coût financier
certain et entraînerait aussi une augmentation des rejets d'effluents,
des quantités de déchets technologiques et des doses
éventuellement reçues par les personnels.
La DAM hésite donc actuellement entre la concentration de
l'américium et l'évacuation future de l'ensemble des bains, sous
des formes restant à définir, vers les éventuels stockages
souterrains. Pour le moment, ces bains de sels chargés en
américium ne figurent pas à l'inventaire de l'ANDRA, ce qui
signifie que la DAM hésite encore à les considérer comme
des déchets définitifs. Le plus important est effectivement de ne
pas créer de situation irréversible et de laisser la porte
ouverte à toutes les solutions possibles.
Des effluents très actifs sont également entreposés
à Valduc. Le stock actuel est de 3,5 m
3
. En 1996,
2,1 m
3
de ces effluents très actifs ont
été évacués sur Marcoule en vue de leur
vitrification. Les capacités d'entreposage à Valduc sont
prévues pour durer jusqu'en 2003.
Pour ces effluents très actifs, des procédés d'extraction
pourraient aussi être envisagés, mais serait-il raisonnable de
prévoir des équipements très spécialisés
pour traiter d'aussi faibles quantités d'effluents ?
Ces opérations de recyclage des armes nucléaires
génèrent d'autres déchets dont l'activité est
relativement faible mais à vie très longue, ce qui les exclut
d'office du stockage en surface dans le centre de l'Aube de l'ANDRA. Entrent
dans cette catégorie :
- 45 m
3
de déchets stables de
retraitement,
- 82 m
3
de déchets enrobés dans
du béton (dont la production est arrêtée),
- 3,2 m
3
de déchets enrobés dans du
bitume (dont la production est arrêtée),
- 2,5 m
3
de déchets provenant du tri de
déchets anciens (opération TRIRAD).
La plupart de ces déchets à haute activité pourraient
prendre place un jour dans un stockage profond si celui-ci était
décidé en 2006 par le Parlement conformément à la
loi du 30 décembre 1991.
Les quantités en cause sont extrêmement modestes en comparaison
des déchets à haute activité provenant du retraitement du
combustible des centrales ; il n'en demeure pas moins que ces
déchets risquent de poser quelques problèmes en raison de leur
hétérogénéité et de la diversité de
leurs conditionnements.
L'ANDRA est actuellement en train d'élaborer ses concepts de stockage
pour un éventuel centre souterrain mais, dans l'inventaire et les
prévisions de la nature et du volume des colis, il est
précisé que ces études sont faites
"hors colis du
CEA"
. Face aux 45 000 colis de déchets vitrifiés
"civils" prévus, il est certain que les quelques m
3
qui
pourraient provenir du CEA paraissent insignifiants, il ne faudrait cependant
pas qu'ils soient oubliés dans les réflexions actuelles sur la
définition des concepts de stockages profonds.
A partir des renseignements fournis par la DAM, il n'est pas possible de
déterminer les quantités exactes de plutonium résiduel qui
va se retrouver sous forme de déchet à l'issue des
opérations de retraitement des armes.
Des sources américaines non vérifiables citées par
Bruno Barillot et Mary Davis
13(
*
)
font
état d'une perte de 500 g de déchets pour 3 à
4 kg de plutonium recyclé. Si cela était le cas en France,
on pourrait s'interroger sur la durée du système actuel
d'utilisation du plutonium en cycle fermé. L'ampleur des pertes sous
forme de déchet conduirait en effet rapidement à
l'épuisement des ressources en plutonium à moins que les stocks
soient considérables, ce que votre rapporteur n'est pas en état
d'infirmer ou de confirmer, ces données étant, bien entendu,
couvertes par le "secret défense".
D/ Les déchets et effluents évacuables sur des centres de stockage
Toutes les opérations de recyclage du plutonium
génèrent des déchets technologiques (gants,
éléments de boîtes à gants, filtres,
cotons, ...).
Il s'agit de déchets certes contaminés par des traces
d'émetteurs alpha, mais dont l'activité est réputée
suffisamment faible pour permettre leur stockage en surface. Depuis l'origine,
ces déchets sont expédiés dans les centres de stockage de
l'ANDRA, d'abord au centre de la Manche, puis au centre de l'Aube.
C'est ainsi que partent du CEA-DAM vers l'ANDRA chaque année :
- 130 à 170 m
3
de fûts de déchets
solides,
- 100 à 150 m
3
de caissons,
- 20 m
3
de fûts de résidus
d'insolubilisation.
Pour être admis au centre de stockage en surface de l'ANDRA, les colis de
déchets doivent répondre à des exigences bien
précises et, en particulier, leur activité ne doit pas
dépasser 3,7 Gigabecquerels (0,1 Curie) par tonne.
Depuis 1983, la DAM a expédié près de
5 000 m
3
de déchets à l'ANDRA, d'abord au
centre de la Manche puis, depuis son ouverture, au centre de l'Aube.
La quantité de plutonium qui est partie avec ces déchets vers les
centres de stockage est évaluée à environ 9 kg, ce
qui représente une activité de 27 Térabecquerels
(750 Curies). En 1984, les normes d'acceptation des déchets
à l'ANDRA ont été rendues plus sévères et,
depuis 1985, la quantité de plutonium expédiée n'a plus
été que de 2,5 kg, soit 8 Térabecquerels
(216 Curies).
Certains déchets qui ne répondaient pas aux normes de l'ANDRA ont
été expédiés vers le centre de Cadarache qui
dépend du CEA.
Depuis 1985, ce site, qui n'est pas à proprement parler un centre de
stockage mais plutôt un centre de recherche, a reçu près de
500 m
3
de déchets conditionnés dans des
fûts. Ces fûts ont ensuite été compactés et
enrobés de béton. L'ensemble de ces expéditions
représente 7,4 kg de plutonium ainsi évacué, soit
22,7 Térabecquerels (614 Curies).
Comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises,
l'évacuation de ces déchets contenant du plutonium ne pose pas de
problèmes techniques très compliqués. Etant donné
la faible pénétration des rayonnements alpha, ces déchets
sont simplement conditionnés sous une double enveloppe de PVC
très résistant et ensuite placés dans des fûts, il
n'y a donc là rien de comparable avec la manipulation des verres et des
colis de déchets provenant des usines de retraitement.
Il n'en demeure pas moins que ces quantités de plutonium,
16,3 kg en tout, sont loin d'être négligeables et on peut
légitimement s'interroger sur la compatibilité entre des
stockages de surface sensés être de courte durée
(3 siècles) et la durée d'activité du
plutonium 239 dont la période ou demi-vie est de
24 110 ans, même si la limitation à
10
-2
Curies par tonne, imposée par l'ANDRA, permet de
penser qu'il n'y aura pas d'impact sanitaire.
E/ Les efforts de la DAM pour réduire le volume et l'activité de ses déchets
Conscients des problèmes que pose l'évacuation
ou l'entreposage sur ses sites des déchets contaminés par du
plutonium, mais aussi parce que cet élément est devenu rare
depuis l'arrêt de sa production, les responsables de la DAM ont entrepris
de sérieux efforts pour réduire le volume et si possible
l'activité de ses déchets.
Lors de ses rencontres avec ces responsables, votre rapporteur a eu
l'impression que la gestion des déchets était désormais
devenue, dans le secteur militaire du CEA, une préoccupation majeure
directement suivie par le Haut Commissaire à l'Energie Atomique.
Comme dans les autres pays nucléarisés, il n'en a certainement
pas toujours été ainsi, la guerre froide ayant souvent servi
d'excuse pour couvrir bien des négligences et des imprudences, ce qui
explique les opérations de reprise des déchets anciens qui n'ont
toutefois en France aucune commune mesure avec le "clean up"
entrepris aux
Etats-Unis.
a) La mesure du plutonium contenu dans les déchets
L'amélioration de la mesure des quantités de
plutonium contenues dans les déchets constituait un préalable
à toute réorganisation de leur gestion. Pour obtenir des
résultats fiables et rapides, le centre de Valduc s'est doté
d'une cellule entièrement automatisée destinée à
faire les dosages du plutonium contenu dans les déchets ou les produits
retraitables.
Il s'agissait d'un problème complexe puisqu'il était prévu
de faire jusqu'à 8 000 analyses non destructives par an sur
des éléments particulièrement
hétérogènes :
- déchets technologiques faiblement contaminés (gants,
vinyles, sacs, ...),
- produits issus du retraitement considérés comme "pauvres",
- mais aussi des résidus "riches" en plutonium
récupérable.
La grande variété des isotopes du plutonium rendait cette
tâche encore plus délicate.
(graphique Expéditions déchets - Cadarache)
Selon les responsables de la DAM
14(
*
)
:
"La fiabilité du système est
excellente et répond parfaitement aux exigences permanentes de
comptabilité précise du plutonium dans les installations de
retraitement."
Une nouvelle chaîne de mesure des déchets devrait être
lancée en 1997.
b) La reprise des déchets anciens (TRIRAD)
Egalement conscients que tout n'avait pas été
fait dans le passé pour réduire le volume des déchets, les
responsables de la DAM à Valduc ont décidé de reprendre
les stocks anciens de déchets afin de les trier et de les reconditionner.
Cette opération appelée TRIRAD, qui devrait se terminer en 2001,
permettra de résorber les 240 m
3
de déchets
entreposés dans des fûts sur le site avant que le tri à la
source soit instauré. Fin 1997, il ne devrait plus rester que
100 m
3
de ces déchets à traiter. Si les
opérations sont relativement longues, c'est que le tri s'effectue,
manuellement, dans des boîtes à gants, pièce par
pièce.
Une fois triés, éventuellement décontaminés et
reconditionnés, 90 % des déchets peuvent être
envoyés à l'ANDRA.
Comme votre rapporteur a pu le constater, cette opération, certainement
assez coûteuse, est efficace et permet de réduire
considérablement le stock de déchets non évacuables
à l'ANDRA, elle n'apporte cependant pas de solution pour les 10 %
de déchets restants, qui devront être maintenus sur le site ou
évacués à Cadarache.
c) Le traitement des déchets liquides
Les déchets sous forme liquide posent un
problème particulier car l'ANDRA ne les accepte pas tels quels dans son
centre de stockage de l'Aube.
Depuis 1993, les effluents radioactifs liquides subissent donc un tri à
la source pour séparer, grâce à des circuits
sélectifs :
- les effluents très actifs (activité supérieure
à 4 500 Becquerels par cm
3
) qui sont
vitrifiés et qui suivront le sort des déchets à haute
activité,
- des autres effluents qui pourront être envoyés sur une
installation d'évaporation, les résidus de cette opération
étant ensuite enrobés dans du béton pour être
expédiés à l'ANDRA.
Les huiles lourdes contaminées sont envoyées à Cadarache
pour être brûlées dans des installations
spécialisées. Le stock initial d'huiles à traiter
était de 11 m
3
, il reste aujourd'hui
6 m
3
à brûler.
d) L'incinérateur de déchets alpha
La DAM a décidé de se doter, dans un premier
temps sur le site de Valduc, d'incinérateurs destinés à
réduire le volume des déchets organiques (latex,
néoprène, cellulose, ...) trop contaminés par des
émetteurs alpha pour être évacués en l'état
vers l'ANDRA.
Les recherches qui ont été conduites depuis 1980 grâce
à une installation pilote à Marcoule ont permis de commencer la
construction de cet équipement en 1994, l'autorisation de construire
n'ayant été délivrée qu'en 1992. La mise en service
devrait avoir lieu en avril 1998 si tous les essais et surtout si tous les
contrôles qui sont actuellement en cours se révèlent
satisfaisants.
Contrairement à ce que votre rapporteur avait pu imaginer, il ne s'agit
pas d'un simple équipement annexe, mais d'une véritable usine
aussi imposante que complexe.
L'incinérateur de Valduc devrait permettre de traiter de 80 à
100 m
3
de déchets solides et combustibles par an en
plusieurs campagnes car il faudra, pendant les périodes de
fonctionnement, assurer une alimentation régulière des fours. Ces
opérations telles qu'elles sont prévues sont relativement
complexes et se déroulent en plusieurs étapes.
Il faudra tout d'abord trier les déchets pour éliminer jusqu'aux
plus faibles particules de métal, puis ensuite les broyer en fragments
de quelques centimètres.
Le traitement thermique comportera lui même trois stades
différents :
- une pyrolyse à 550° dans un four rotatif,
- les brais résultant de la précédente
opération sont ensuite calcinés à 900° dans un four
tournant jusqu'à l'obtention de cendres fines,
- les cendres sont ensuite conditionnées automatiquement dans de
petits conteneurs en acier qui seront ensuite placés dans des fûts
de stockage.
Pour compléter ces installations, il existe des équipements de
traitement des gaz pour que les rejets dans l'atmosphère soient
conformes aux normes en vigueur pour les émissions de poussières
et surtout de chlore.
L'incinération des déchets organiques permettra donc de
réduire les volumes des déchets, d'un facteur de l'ordre de 25,
et de concentrer le plutonium qu'ils contenaient.
Dans les conditions de fonctionnement prévues, l'incinérateur de
Valduc devrait produire de 600 à 760 kg de cendres et de 300
à 350 kg de poussières par an.
Pour le moment, les fûts de 200 litres contenant les conteneurs de
cendres seront entreposés dans un bâtiment ventilé et
filtré sur le centre de Valduc.
Sur le devenir lointain de ces cendres, rien n'a encore été
décidé. Il serait certainement possible de
récupérer le plutonium qu'elles contiennent, 1 kg par an
environ, mais cette opération serait, selon les responsables de la DAM,
beaucoup trop coûteuse.
Dans ces conditions, la DAM a donc demandé et obtenu une autorisation
d'entreposage à Valduc en attendant une solution définitive comme
peut-être leur conditionnement dans des verres.
Les poussières, quant à elles, devraient pouvoir, après
d'ultimes contrôles, être envoyées à l'ANDRA.
Actuellement, fin 1997, la DAM procède à des qualifications
"froides", c'est-à-dire avec des déchets ne contenant pas
d'éléments radioactifs.
Quelles conclusions peut-on tirer de la politique de la DAM sur la gestion des
déchets contaminés par le plutonium ?
Un effort réel a été fait pour séparer les
déchets faiblement contaminés, évacuables à
l'ANDRA, des déchets "riches" en plutonium pour lesquels il y aura
soit
récupération de cet élément, qui a pris une valeur
certaine depuis l'arrêt des unités de production, soit entreposage
temporaire à Valduc ou à Cadarache.
Dans ce dernier cas, il n'y a pas de solution définitive qui soit
actuellement prévue. La réduction des volumes est réelle
mais elle conduit à transformer peu à peu Cadarache en centre
"d'entreposage de longue durée en vue d'un éventuel stockage
profond"
.
15(
*
)
Dans ces conditions, il faut continuer les efforts en vue d'une gestion
rigoureuse du plutonium pour arriver à en recycler le maximum. Des
impératifs techniques, financiers et humains (les risques de
contamination) imposent cependant des limites au recyclage. Il y a donc un
équilibre à trouver entre la valorisation du plutonium et son
stockage définitif. Pour le moment, le plus important est de ne pas
créer de situations irréversibles qu'on pourrait un jour
regretter.
3°/ LES DÉCHETS TRITIÉS
Si les déchets contaminés par le plutonium
constituent le souci principal des responsables de la gestion des
déchets de la DAM, la présence de tritium dans les installations
de fabrication ou de maintenance des armes nucléaires n'en pose pas
moins toute une série de problèmes souvent très difficiles
et parfois même impossibles à résoudre.
Si le tritium fait moins peur que le plutonium, ce n'est cependant pas une
raison suffisante pour en minimiser les dangers, comme c'est le cas assez
fréquemment chez les responsables d'installations qui produisent et qui
relâchent ce radionucléide.
Pour un non-spécialiste, le tritium présente toute une
série de particularités le distinguant des autres
éléments radioactifs. L'Institut de Protection et de
Sûreté Nucléaire (IPSN) vient heureusement de publier une
étude
16(
*
)
aussi claire que
concise, qui permet de mieux comprendre les problèmes que posent les
déchets tritiés et les rejets de tritium dans l'environnement.
A/ La spécificité des déchets tritiés
Le tritium 3H est un isotope radioactif de l'hydrogène
qui a été découvert en 1934 par le célèbre
physicien Lord Rutherford.
Sa période de décroissance ou demi-vie est de 12,4 ans, ce
qui le distingue immédiatement du plutonium 239 dont la
période est de 24 000 ans. Le tritium est donc un
radionucléide à vie courte puisqu'il en disparaît chaque
année naturellement 5,6 % en formant de l'hélium 3. Cette
décroissance rapide constitue donc un élément plutôt
favorable pour la gestion des déchets qui contiennent du tritium en
éliminant toutes les incertitudes qui pèsent sur le stockage
à long terme. Le tritium est d'ailleurs très fréquemment
utilisé comme marqueur dans des expériences scientifiques en
raison de sa courte vie.
Second élément favorable, par rapport à d'autres
radionucléides : la force de pénétration de son
rayonnement bêta est très limitée, 5 mm dans l'air, ce
qui fait que les cellules des tissus humains ne sont pratiquement pas
atteintes, même à la suite d'un contact rapproché, tant
qu'il n'y a pas de pénétration à l'intérieur de
l'organisme.
Si certains tentent parfois de "banaliser" l'usage du tritium, c'est
aussi en
raison de son origine. Le tritium peut en effet, à la différence
du plutonium, avoir une origine naturelle. Produit par une réaction des
rayonnements cosmiques sur les atomes d'hydrogène de l'atmosphère
ou à l'intérieur même de la couche terrestre par
réaction de neutrons sur certaines roches, le tritium est présent
dans l'atmosphère, dans les eaux et même dans les espèces
vivantes et cela en l'absence de toute production résultant des
activités humaines.
Selon l'UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations-Unies pour
l'étude des effets des radiations, le tritium naturel
représenterait de 2,8 à 3,7 kg, ce qui correspondrait,
compte tenu de sa décroissance naturelle, à une production
annuelle de 0,15 à 0,20 kg par an.
En réalité, le tritium présent dans l'environnement
provient surtout des activités humaines. Toujours selon l'UNSCEAR, les
seuls essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère auraient
produit environ 650 kg de tritium qui serait en voie de disparition, les
derniers essais importants, à l'air libre, ayant eu lieu en 1963.
Depuis l'arrêt des essais, le tritium provient avant tout des
réacteurs, soit que ceux-ci soient utilisés pour la production
d'électricité, soit qu'ils soient spécialement
conçus pour produire ce radionucléide, en particulier pour des
usages militaires.
Il est très difficile de limiter les rejets de tritium par les
centrales, les usines de retraitement et les réacteurs
dédiés à cette production, car une des principales
spécificités du tritium par rapport à presque tous les
autres radionucléides est de se présenter sous trois formes
différentes :
- solide inclus dans des métaux, des produits organiques ou
minéraux,
- liquide essentiellement sous forme d'eau tritiée,
- gazeux sous forme de tritium gazeux ou encore de vapeur d'eau
tritiée.
Il faut toutefois noter que les déchets tritiés solides ou
liquides émettent en permanence des effluents gazeux, ce qui rend leur
stockage particulièrement difficile.
Comme il s'agit d'un radionucléide dont les rayonnements sont peu
pénétrants, à vie courte, qui peut être produit
naturellement et dont il est très difficile de limiter les rejets
gazeux, la tentation a toujours été très forte de ne pas
lui appliquer les mêmes normes de protection que pour les autres
éléments radioactifs et d'avoir une attitude beaucoup plus
laxiste vis-à-vis de sa dissémination dans l'environnement.
Il n'en demeure pas moins que le tritium, corps radioactif, présente
pour la santé humaine des dangers incontestables qu'il convient de ne
jamais oublier.
B/ Les dangers de la contamination interne par le tritium
Si, comme on l'a vu précédemment, la
pénétration des rayonnements émis par le tritium ne peut
atteindre que les cellules les plus superficielles de la peau, l'ingestion,
à l'intérieur du corps, de ce radionucléide pourrait avoir
des conséquences graves. En effet, à la suite d'absorption
d'aliments ou d'eau contaminés par le tritium, une partie de cet
élément peut passer dans le sang. Il en va de même en cas
d'inhalation de gaz tritié.
A l'heure actuelle, on ne semble pas disposer de données très
précises sur les conséquences sanitaires de l'ingestion ou de
l'inhalation de tritium :
"Il n'existe pas de données
épidémiologiques humaines à partir desquelles il serait
possible d'estimer, même approximativement, le risque de cancer chez
l'homme dû à l'exposition au tritium seul."
17(
*
)
Certaines études ont toutefois montré de façon très
nette que, chez des animaux, l'exposition ou l'injection de tritium
entraînait une importante augmentation des cancers.
L'estimation du risque de cancer chez l'homme exposé au tritium repose
donc, pour le moment, sur les résultats des expériences animales,
ces expériences ayant été conduites avec des doses
relativement faibles mais malgré tout très largement
supérieures aux expositions professionnelles non accidentelles ou aux
doses que pourraient recevoir les populations proches d'une installation
rejetant du tritium.
Le résultat de ces expériences mais aussi la
description
18(
*
)
de deux cas de
décès attribués à une exposition au tritium, sans
toutefois que ces décès soient dus à des cancers, nous
imposent d'appliquer strictement le principe de précaution et de tout
mettre en oeuvre pour réduire au maximum l'exposition au tritium des
travailleurs et des populations.
La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a, dans ses
recommandations, pris en compte les risques que pouvaient présenter
l'ingestion, l'inhalation ou l'absorption par la peau de tritium. Au fur et
à mesure que les connaissances sur les effets potentiels du tritium
s'affinaient, ces recommandations ont été ajustées.
L'appréciation de la validité des normes
préconisées par la CIPR est très difficile et même
pratiquement impossible pour un profane. La radioprotection, qui
intéresse pourtant l'ensemble des travailleurs du nucléaire et
les populations concernées, ne peut malheureusement être comprise
que par quelques spécialistes. La radioprotection fait en effet appel
à
"un ensemble unique et sophistiqué de concepts, de
principes, de techniques de prévention et de maîtrise des risques
radiologiques"
19(
*
)
qui ne cessent
d'évoluer pour inclure des situations d'exposition aux rayonnements qui
n'étaient pas assez prises en compte dans le passé.
Les facteurs qui influencent la fréquence des cancers sont liés
aux caractéristiques de l'irradiation mais aussi à celles des
personnes exposées. Il faut donc tenir compte de la dose de radiation,
de la nature des rayonnements ionisants (alpha, gamma, bêta), du
débit selon lequel la dose a été délivrée
mais surtout de la partie du corps qui a été irradiée. A
cela il faut ajouter que la radiosensibilité diffère
également selon le sexe et l'âge, les jeunes enfants et les
adolescents étant plus sensibles aux effets des rayonnements que les
adultes dans la force de l'âge.
Quelle conclusion peut-on tirer de ces remarques sur la difficulté pour
le grand public d'avoir accès aux règles et aux normes de
radioprotection ?
A partir du moment où des installations civiles ou militaires manipulent
et donc ne peuvent éviter de rejeter du tritium, ce radionucléide
se retrouvera dans l'eau atmosphérique, dans les eaux de surface et dans
les nappes phréatiques proches de ces installations à des
concentrations supérieures à ce que l'on observe dans le reste du
territoire.
Il convient donc, dans ces zones concernées, de mettre en place des
dispositifs incontestables, pluralistes et publics, d'évaluation des
doses susceptibles d'être délivrées aux personnes
exposées.
Affirmer, comme le font les responsables des installations rejetant du tritium,
que les rejets sont très inférieurs aux autorisations qui leur
ont été accordées par décret ne suffit plus
à rassurer les populations concernées. Si, comme ils le
prétendent, il est impossible d'échapper aux rejets de tritium,
toutes les précautions doivent être prises pour en limiter au
maximum l'importance mais aussi pour en mesurer l'impact sur l'environnement et
la santé humaine.
Les autorités responsables des installations nucléaires,
qu'elles soient civiles ou militaires, doivent être conscientes que les
rejets de tritium dans l'environnement risquent de devenir dans les
années à venir un problème majeur et certainement un des
principaux axes de la contestation antinucléaire.
L'étude radioécologique qui va être conduite à La
Hague, sous la direction de l'Institut de Protection et de Sûreté
Nucléaire (IPSN) mais qui comprendra également des experts
étrangers et des représentants d'associations de protection de
l'environnement, constitue un exemple qui devrait peu à peu être
étendu à tous les sites, y compris ceux de la DAM, où des
rejets de radioéléments peuvent légitimement
inquiéter les populations avoisinantes, comme l'a d'ailleurs
demandé le Haut Commissaire à l'énergie atomique.
Il convient en effet d'évaluer sereinement et en toute
objectivité les doses de radioactivité reçues par les
populations, qu'elles soient d'origine nucléaire, médicale ou
naturelle, pour tenter d'instaurer un vrai débat sur des bases admises
par tous et avant que des situations de crise puissent se développer.
C/ La gestion des déchets tritiés
Le centre de Valduc, chargé de la production et de la
maintenance des sous-ensembles des armes nucléaires, est
particulièrement concerné par le problème des
déchets tritiés, à tel point qu'il a été
décidé d'y entreposer également ceux qui ont
été produits par les autres centres du CEA.
Par rapport à d'autres déchets contenant des
radionucléides, les déchets tritiés, qu'ils soient sous
forme solide ou liquide, présentent l'inconvénient majeur de
dégazer, c'est-à-dire de produire en continu des effluents gazeux
qui vont, en l'absence de confinement, se répandre dans
l'atmosphère environnante. Une fois dans l'atmosphère, le tritium
à l'état gazeux se transforme en grande partie en eau
tritiée en présence de l'air ou de la vapeur d'eau.
La classification des déchets va donc se faire en fonction de la teneur
en tritium des matériaux concernés, car il y a une
corrélation étroite entre cette teneur et le taux de
dégazage qui en résulte.
-- Les déchets à forte teneur en tritium sont, dans toute la
mesure du possible, traités pour en réduire à la fois le
volume et l'activité.
Le retraitement a aussi un intérêt économique car on a tout
intérêt à minimiser les pertes de tritium. En effet, depuis
l'arrêt de la production de plutonium, les réacteurs
Célestin de la COGEMA situés à Marcoule, qui produisent
également le tritium utilisé par la DAM, ne fonctionnent plus
qu'en marche alternée.
Les déchets métalliques sont fondus dans un four à vide
qui permet, en fin d'opération, de récupérer de l'eau
tritiée. Les lingots qui sont obtenus ne provoquent pratiquement plus de
dégazage mais ils restent quand même entreposés sur le site
de Valduc.
Les déchets organiques sont traités dans des installations
d'étuvage à la vapeur sèche qui permettent là aussi
de recueillir de l'eau tritiée. Ces déchets sont en final
compactés et conditionnés.
Ces opérations ont l'avantage de réduire le volume et
l'activité des déchets mais il faut bien voir qu'en contrepartie,
elles conduisent à un déchet liquide : de l'eau faiblement
tritiée (de 10 à 500 Curies au litre).
C'est là tout le paradoxe de la gestion des déchets
tritiés : il est souvent possible de les traiter et en quelque
sorte de les nettoyer, mais les techniques employées conduisent
obligatoirement à la production d'eau tritiée qui sera presque
aussi difficile à gérer. Il faut également se souvenir que
toutes ces opérations ne sont pas neutres sur le plan de la
radioprotection et qu'elles peuvent toujours entraîner des risques pour
les opérateurs chargés de les conduire.
-- Les déchets qui restent entreposés sur le site de Valduc
peuvent être classés en trois catégories distinctes :
· les déchets technologiques conditionnés en
fûts dont le taux de dégazage est relativement important (entre
1,85 et 55 Mégabecquerels par fût).
3 032 fûts de 100 et de 200 litres de cette
catégorie sont provisoirement entreposés sur le site de Valduc,
ce qui représente environ 580 m
3
;
· les déchets ayant un très faible taux de
dégazage (1,85 Mégabecquerels par fût), il s'agit en
grande partie de déchets technologiques dont l'activité est
à la limite de détection des moyens de mesure. Il y en a
actuellement 2 915 fûts de 100 et 200 litres à
Valduc, ce qui représente environ 550 m
3
;
· les ferrailles qui ont un très faible taux de
dégazage, leur activité surfacique étant comprise entre
3,7 et 37 Becquerels par cm
2
;
· les eaux tritiées représentent environ
800 litres.
Sont également entreposés à Valduc des huiles et des
mercures contenant du tritium.
Faute de solution de stockage définitive, tous ces déchets
restent provisoirement entreposés dans des bâtiments du centre de
Valduc :
· le bâtiment 055 construit sur une dalle de béton
avec un dispositif pour recueillir d'éventuelles eaux de ruissellement.
Il s'agit d'un hangar tout à fait ordinaire mais muni d'extracteurs
d'air surmontés de cheminées pouvant assurer un taux de
renouvellement de 15 volumes par heure. Selon la DAM, les rejets
atmosphériques de ce bâtiment représenteraient environ
10 % du total des rejets de tritium du centre de Valduc. Dans ce
bâtiment 055 sont entreposés 3 200 fûts ;
· le bâtiment 058, lui aussi construit sur une dalle de
béton avec un dispositif pour recueillir les éventuelles eaux de
ruissellement, est de construction plus simple et n'est pas doté de
moyens de ventilation artificielle. Les 3 200 fûts qui y sont
entreposés ont un taux de dégazage inférieur à ceux
du bâtiment 055 ;
· les ferrailles, 50 tonnes au total, sont simplement
déposées sur une aire bétonnée non
protégée mais les eaux de lixiviation sont cependant
régulièrement contrôlées ;
· les eaux tritiées restent entreposées dans des
flacons en polyéthylène à l'intérieur même
des bâtiments de production.
La DAM reconnaît que certains des fûts ainsi entreposés
"sont altérés"
et qu'il faudra les reconditionner.
Les critères d'acceptabilité des colis de déchets
tritiés par l'ANDRA sont très sévères et excluent
de fait pour le moment tout envoi vers le centre de stockage de l'Aube.
L'ANDRA impose en effet des normes très strictes qui portent à la
fois sur l'activité massique des colis et sur le taux de
dégazage. Le rayonnement bêta émis par le tritium
étant trop peu énergétique, on ne peut mesurer la
quantité de tritium qui serait contenue dans un colis ou dans un
fût de déchets. Il existe bien une méthode de mesure par
calorimétrie mais la limite de détection est 1 000 fois
plus élevée que la limite imposée par l'ANDRA.
A partir du moment où les colis sont composés
d'éléments hétérogènes dont la teneur en
tritium est très variable, il n'existe pas pour le moment de
méthode permettant de "caractériser" un colis ou un fût de
déchets tritiés pour lui permettre de rejoindre le centre de
stockage en surface de l'ANDRA. Il est en revanche possible de mesurer le taux
de dégazage mais cela ne répond qu'à une des deux
conditions posées par l'ANDRA. Des études sont en cours pour
mesurer la teneur en tritium d'un colis ou d'un fût mais elles n'ont
toujours pas donné de résultat probant.
Comme le reconnaît la DAM :
"Les déchets tritiés
n'ont pas aujourd'hui de solution d'entreposage définitif car nous ne
pouvons pas répondre aux conditions d'évacuation vers l'ANDRA,
les activités massiques de cet ordre ne pouvant pas être
mesurées."
Aucune évacuation n'ayant été jusqu'ici autorisée,
"les déchets tritiés solides produits par la DAM (85 %)
et par les autres centres du CEA (15 %) sont entreposés sur le site
de Valduc d'une façon réversible, généralement en
fûts métalliques dans des bâtiments ventilés dont les
rejets sont contrôlés en permanence. La capacité
d'entreposage actuelle des 3 entrepôts du site de Valduc est de
1 760 m3. Le stock accumulé depuis 1975 est de
1 250 m
3
et la production annuelle moyenne est de l'ordre
de 50 m
3
."
20(
*
)
Les responsables de la DAM estiment donc qu'ils ont de la marge et ne
s'inquiètent donc pas outre mesure, la solution de l'entreposage
à Valduc leur paraissant, pour le moment, ne pas poser de
difficultés majeures.
Il n'en demeure pas moins que le site de Valduc n'a pas le statut de centre
de stockage et qu'il faudra bien un jour ou l'autre trouver une destination
définitive pour l'ensemble des déchets tritiés.
A la demande de M. Dautray, le Haut Commissaire à l'Energie
Atomique, un groupe de travail sur "Le devenir des déchets
tritiés" a été mis en place. Il devrait présenter
bientôt des propositions relatives :
- aux moyens d'évaluer les quantités de tritium contenues
dans des colis ou des fûts,
- à la recherche d'"exutoires" pour les déchets
tritiés (rejets, entreposage, stockage, ...)
- à l'élaboration d'un inventaire détaillé de
ces déchets actuels ou à venir.
Pour le moment toutefois, et faute de mieux, la création d'un nouveau
bâtiment d'entreposage à Valduc est à l'étude.
Certains ont envisagé la création d'un centre de stockage
spécialement dédié au tritium, avec des moyens de
confinement qui permettraient de limiter le dégazage et surtout de le
contrôler régulièrement. Sur le plan du principe,
l'idée de la création d'un centre de déchets
tritiés est intéressante, tout comme celle de la création
d'un centre destiné aux déchets radifères. On oublie
toutefois le problème de la localisation.
Votre rapporteur, qui a
conduit la médiation pour l'implantation des laboratoires de l'ANDRA,
est bien placé pour savoir que les problèmes d'acceptation, par
les populations concernées, de toute installation en rapport avec les
déchets radioactifs ne sont pas simples mais qu'ils conditionnent la
faisabilité de tout projet de ce type.
Beaucoup de spécialistes regrettent toujours que l'immersion en mer des
déchets tritiés soit désormais interdite par la Convention
de Londres. La mer contenant naturellement du tritium, la dilution des
quantités contenues dans les déchets n'aurait eu,
paraît-il, aucune conséquence. Il est inutile de se lamenter sur
cette situation. L'immersion de déchets a été, à
juste titre, interdite ; il n'y a donc pas lieu de continuer à
discuter d'une solution qui est totalement et définitivement
écartée.
Votre rapporteur, alerté par des courriers et par certains ouvrages
comme celui de Bruno Barillot et Mary Davis
21(
*
)
, s'est inquiété des pratiques qui
auraient existé à Valduc, où des déchets
tritiés auraient été brûlés à l'air
libre sans précautions particulières. Selon certains, cette
technique quelque peu rudimentaire aurait conduit à expédier dans
l'atmosphère plusieurs milliers de Curies, contaminant ainsi
l'environnement avoisinant.
Sur place, votre rapporteur a constaté que cette pratique avait
cessé mais, sur les conditions dans lesquelles cette opération
avait été conduite et sur ses conséquences
éventuelles, il ne peut que s'en remettre à la note qui lui a
été fournie par la DAM :
"BRÛLAGE DE DÉCHETS TRITIÉS
Des déchets tritiés ont été brûlés sur
une aire aménagée, de 1968 à 1975.
43 opérations ont été effectuées. Elles ont
porté sur 335 m
3
de déchets divers.
Ces opérations s'accompagnaient de campagnes de mesures dans
l'environnement :
- contrôles atmosphériques,
- contrôles de végétaux,
- contrôles surfaciques du foyer après brûlage,
- contrôles des cendres,
- contrôles des eaux.
Des campagnes de mesures ont été réalisées
après l'arrêt des opérations, notamment en 1978 et 1981.
Aujourd'hui, l'activité de la nappe phréatique à
proximité immédiate du foyer est d'environ 4 000 Bq/l,
l'activité massique des végétaux prélevés
sur l'emplacement de brûlage varie entre 190 et 2 500 Bq/kg
frais.
ÉVOLUTIONS :
En terme de conséquence sanitaire pour un individu qui consommerait
toute l'année l'eau de la nappe prélevée au voisinage du
lieu de brûlage, l'équivalent de dose annuel engagé serait
de l'ordre de 0,07 mSv (7 mrem) soit l'équivalent de
10 jours supplémentaires d'irradiation naturelle.
L'activité de l'eau prélevée au voisinage du site de
brûlage est 40 fois supérieure à l'activité des
prélèvements effectués dans les nappes de l'environnement
du site de Valduc."
D/ Les rejets gazeux
Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de
déchets, ce rapport ne saurait passer sous silence le problème du
rejet de tritium sous forme gazeuse par les installations de la DAM.
C'est en effet la question qui préoccupe les populations proches de ces
installations même si elle n'est pas spécifique aux installations
militaires, les usines de retraitement étant également de plus en
plus souvent mises en cause pour l'importance de leurs rejets de tritium.
Comme cela a été souligné précédemment, les
déchets tritiés ont la particularité de produire, de
façon continue, des effluents gazeux et le tritium gazeux a
naturellement tendance à se transformer à son tour en eau
tritiée, qui va contaminer l'environnement proche de la source
d'émission. Il s'agit d'un phénomène physique contre
lequel on ne peut rien faire, la seule solution étant de se doter
d'équipements permettant de confiner le tritium sous toutes ses formes,
gazeuses ou liquides.
Les installations de la DAM que nous avons visitées sont toutes
équipées de barrières multiples destinées à
piéger le tritium à l'intérieur du système de
production ou de retraitement, et des efforts certains ont été
entrepris par les responsables de la DAM pour limiter au maximum les rejets de
gaz tritiés mais, selon les termes mêmes d'un de ces
responsables :
"On ne peut échapper aux rejets de
tritium."
Les pouvoirs publics ont pris en compte cette impossibilité d'assurer un
confinement total et ont par voie de conséquence autorisé, dans
certaines limites, les rejets d'effluents radioactifs gazeux.
Ainsi pour le centre d'étude de Bruyères-le-Châtel, dans la
région parisienne, dont les activités sont en voie de transfert
à Valduc, l'arrêté du 3 mai 1995 prévoit que
"l'activité annuelle des effluents gazeux rejetés par
l'ensemble des installations ne doit pas dépasser
1 850 Térabecquerels (50 Kilocuries) pour le
tritium"
.
22(
*
)
Ces rejets ne doivent pas comporter d'émetteurs alpha et
l'arrêté décrit avec précision les
équipements dont doit se doter le centre ainsi que les procédures
de contrôle qui doivent être mises en oeuvre.
Pour le centre de Valduc, un arrêté, également du
3 mai 1995, prévoit que
"l'activité annuelle des
effluents radioactifs gazeux rejetés par l'ensemble des installations du
centre ne doit pas dépasser :
1 850 Térabecquerels (50 Kilocuries) pour le tritium,
40 Térabecquerels (1 Kilocurie) pour les gaz autres que le tritium,
750 Mégabecquerels (20 Millicuries) pour les halogènes
gazeux et les aérosols,
75 Mégabecquerels (2 Millicuries) pour les
radioéléments émetteurs alpha"
.
23(
*
)
Contrairement au centre de Bruyères-le-Châtel dont les
installations nucléaires sont en cours de démantèlement,
le centre de Valduc, qui est lui en pleine activité, a été
autorisé à rejeter sous forme gazeuse quelques émetteurs
alpha, les quantités sont certes minimes mais les effets des
émetteurs alpha sur la santé humaine sont beaucoup plus graves
que ceux du tritium.
Bien entendu, les limites imposées par ces deux décrets
doivent être considérées comme un maximum qu'il faut
s'efforcer de ne pas atteindre, l'activité rejetée devant rester
toujours aussi basse que possible.
Le tableau ci-après
24(
*
)
montre
bien qu'heureusement, les rejets effectifs restent bien en deçà
des limites autorisées, en moyenne moins de 30 % des autorisations.
La DAM s'est engagée à réduire d'un facteur 2 les
rejets atmosphériques de tritium du centre de Valduc d'ici l'an 2000 par
rapport aux valeurs constatées en 1995, en passant de 21 600
à 10 800 Curies par an.
La question primordiale est de savoir si ces rejets gazeux, aussi faibles
soient-ils, vont avoir un impact sur l'environnement et par voie de
conséquence sur la santé humaine.
Les décrets du 3 mai 1995 relatifs aux rejets des centres de
Bruyères-le-Châtel et de Valduc prévoient, avec un grand
luxe de détails, les conditions dans lesquelles doit se faire la
surveillance de l'environnement.
Le point le plus intéressant dans cet ensemble de mesures, c'est que
l'Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) a
compétence pour définir les conditions dans lesquelles
s'exerceront les contrôles. Si la surveillance est assurée par
l'exploitant lui-même, elle s'exerce toutefois dans le cadre d'un
programme réglementé et contrôlé par l'OPRI en
conformité avec les autorisations fixées par un
arrêté pour chacun des centres, et cela malgré le fait que
ces installations soient classées Installations Nucléaires de
Base-Secrètes (INB-S) et qu'elles échappent théoriquement
aux procédures applicables aux simples INB civiles.
Créé par un décret du 19 juillet 1994, l'OPRI, qui
succède à l'ancien SCPRI, comme l'avait demandé à
de multiples reprises l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, est un établissement public à
caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du
ministre de la Santé et du ministre du Travail. Cet organisme est
chargé de toutes les missions d'expertise, de surveillance et de
contrôle propres à assurer la protection des populations contre
les rayonnements ionisants.
Face à des campagnes d'insinuations qui cherchent à
déstabiliser l'OPRI et à jeter la suspicion sur la
sincérité de ses travaux, votre rapporteur tient à
réaffirmer que, jusqu'à preuve du contraire, il accorde toute sa
confiance aux dirigeants et aux personnels de l'OPRI pour faire passer les
impératifs de santé publique et de protection des populations
avant toute autre considération.
Pour chacun des sites, le programme de surveillance mis en oeuvre par les
responsables du centre sous le contrôle de l'OPRI comprend la
surveillance :
- de l'atmosphère,
- des eaux de surface et des eaux réceptrices,
- de la végétation,
- du lait recueilli dans les fermes voisines.
En cas de besoin, ces analyses de routine peuvent être
complétées par des mesures plus fines ou portant sur d'autres
composantes de l'environnement.
Pour un centre comme celui de Valduc où sont désormais
regroupées la majeure partie des activités de la DAM, les
résultats en 1996 étaient les suivants :
Pour le
tritium :
|
1996 |
Comparaison avec 1992 |
Eaux de surface
(en Becquerels par litre) |
99 |
122 |
Eaux réceptrices
(en Becquerels par litre) |
sans objet |
300 |
Végétation
(herbes,
thym,
salade, en Becquerels par kg) |
26 |
45 |
Lait
(en Becquerels par litre) |
64 |
91 |
Le principal radionucléide détecté au
voisinage du centre de Valduc, comme d'ailleurs autour de celui de
Bruyères-le-Châtel, est le tritium, mais le niveau moyen de
contamination des quatre éléments analysés
décroît régulièrement au fil des années.
Si les données relatives à la présence de tritium dans les
eaux réceptrices du centre de Valduc sont considérées
comme sans objet, c'est que ce centre n'a pas d'autorisation de rejets
d'effluents radioactifs liquides.
Comme nous avons pu le constater, un très gros effort a
été réalisé à Valduc pour éviter tout
rejet d'eau contaminée ou non à l'extérieur du
périmètre surveillé. Deux réseaux traitant
séparément les eaux contaminées et les eaux usées
des bâtiments non nucléaires ont été mis en place.
Les eaux susceptibles d'être contaminées sont envoyées vers
des installations de retraitement, où les éléments actifs
sont récupérés sous forme de boues alors que les eaux
restantes sont évaporées. Les eaux d'usage commun après
traitement dans une station biologique classique sont envoyées dans cinq
bassins d'épandage successifs, où elles s'évaporent peu
à peu. Il faut toutefois noter que les déchets gazeux qui
retombent sous forme d'eau tritiée contaminent légèrement
l'eau de ces bassins, de l'ordre de 300 Becquerels par litre, les eaux de
pluie pouvant parfois atteindre un niveau de 10 000 Becquerels par
litre.
Il y a quelque temps, une polémique avait commencé à se
développer au sujet d'une prétendue décharge
secrète de déchets radioactifs située à Pontailler
en Côte-d'Or. Renseignements pris, il est exact que 74 tonnes de
boues contaminées par différents radionucléides (Pu, Am,
U...) provenant des anciens bassins de décantation de Valduc ont
été déversées en 1987 dans une décharge de
classe 1. Cette opération avait été autorisée
par le SCPRI car elle ne concernait que des effluents très
légèrement contaminés (10 Becquerels par gramme au
maximum).
La décharge de Pontailler n'a rien de secret puisqu'elle figure à
la page 71 de l'inventaire de l'ANDRA (édition 1997) avec la
mention :
"74 tonnes de boues déposées en 1987 qui
contiennent des traces d'uranium et de transuraniens
(< 10 Becquerels par gramme)"
. En décembre 1992 et en
mars 1995, des contrôles radiologiques ont conclu qu'
"il n'y avait pas
de contamination observée"
. Ces deux contrôles ont
été effectués, non pas par des services officiels
dépendants de la DAM, mais par la CRII-RAD.
Chapitre III
LE DÉMANTÈLEMENT DES
ANCIENNES INSTALLATIONS ET L'ASSAINISSEMENT DES SITES VONT
GÉNÉRER UNE GRANDE QUANTITÉ DE DÉCHETS POUR
LESQUELS IL N'EXISTE PAS ENCORE DE FILIÈRE D'ÉVACUATION
La Direction des Applications Militaires du CEA se trouve
aujourd'hui confrontée à un important problème de
démantèlement d'installations et même de centres entiers
qui n'ont désormais plus d'utilité.
Certaines de ces installations doivent s'arrêter parce qu'elles sont
parvenues au terme de leur existence normale et que leur conservation
au-delà des limites raisonnables risquerait de poser des
problèmes de sûreté mais aussi des problèmes de
rentabilité.
D'autres installations sont appelées à disparaître non pas
tant en raison de leur obsolescence que de leur implantation
géographique. Le CEA, que ses activités soient civiles ou
militaires, se trouve en effet confronté à l'expansion de
l'agglomération parisienne qui vient peu à peu entourer des
installations qui avaient, à l'origine, été
implantées en pleine campagne. Tout en annonçant que toutes les
précautions sont toujours prises pour éviter une contamination de
l'environnement avoisinant, les responsables du CEA reconnaissent qu'il ne
serait pas raisonnable de conserver des installations nucléaires
d'envergure au milieu de centres urbains.
Dans le secteur militaire du CEA, la mise à l'arrêt de certaines
installations se justifie aussi par les révisions qui ont affecté
la stratégie générale d'utilisation de l'arme
nucléaire. Comme cela a été indiqué
précédemment, la France est désormais dotée d'un
arsenal nucléaire stable qui ne doit en principe plus évoluer en
quantité. L'arrêt définitif des essais nucléaires
fait qu'il n'y aura plus qu'à maintenir en état l'arsenal
existant. Le stock de matières fissiles dont la France dispose
actuellement est considéré comme suffisant, d'autant qu'il sera
possible de récupérer et de réutiliser les têtes des
missiles Hadès et les têtes des missiles du plateau d'Albion.
S'il faut se féliciter de voir la course au surarmement enregistrer au
moins une certaine pause, ce changement de stratégie entraîne, sur
le plan de la gestion des déchets nucléaires, toute une
série de conséquences que la DAM se doit de prendre en compte.
Des multiples contacts que nous avons pu avoir avec les responsables de la DAM
et des organismes qui étaient associés à la production des
armes nucléaires, il ressort clairement qu'il existe une réelle
volonté de nettoyer tous les sites et toutes les installations devenues
inutiles.
Les actions de démantèlement constituent désormais un des
impératifs principaux de la politique du CEA. L'expérience qui
sera ainsi acquise sur des installations de petite ou de moyenne taille sera
certainement très utile lorsqu'il faudra commencer à
démanteler les centrales nucléaires ou certaines usines de
l'amont et de l'aval du cycle nucléaire civil.
Les actions de démantèlement en cours dans les centres de la DAM
concernent aussi bien des installations de recherche comme celle de
Bruyères-le-Châtel, que des usines et des réacteurs de
production de matières fissiles comme à Pierrelatte ou à
Marcoule. Le démantèlement du Centre d'expérimentation du
Pacifique fera l'objet de développements particuliers dans la seconde
partie du présent rapport.
1°/ LE DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS DE BRUYÈRES-LE-CHÂTEL
Situé à une trentaine de kilomètres au
sud de Paris, le centre de Bruyères-le-Châtel, plus
communément appelé B III, se retrouve aujourd'hui dans une
zone urbanisée. Ce centre a constitué le coeur historique de la
production d'armes nucléaires en France. C'est en effet dès 1955,
sous l'autorité du Professeur Yves Rocard, qu'ont été
installés les laboratoires de recherche qui devaient conduire à
la mise au point des premières armes nucléaires françaises.
Ce premier centre, de ce qui devait devenir plus tard la DAM, regroupait un
grand nombre d'activités de recherche assez diverses mais principalement
orientées vers les technologies des matériaux nucléaires,
surtout depuis la fermeture des centres de Vaujours et de Limeil.
Depuis 1996, les principales activités du centre de
Bruyères-le-Châtel sont peu à peu transférées
vers le centre de Valduc qui devrait à terme regrouper la recherche, la
production d'armes et le traitement des matières radioactives. Ne
resteront à Bruyères-le-Châtel que des laboratoires de
recherche fondamentale et des bureaux administratifs.
Si, dans le passé, les installations de B III ont produit des
déchets qui étaient évacués :
- soit vers l'ANDRA pour les plus faiblement actifs,
- soit vers Cadarache pour les plus contaminés,
- ou vers Valduc pour ceux qui contenaient du tritium,
il y a eu aussi une importante production de déchets très
faiblement actifs, dits déchets TFA, qui restaient sur place faute
d'exutoire possible. Ce centre ne devrait plus, selon ses responsables,
"produire de nouveaux déchets dès que le démontage des
installations déclassées sera terminé"
.
Il reste en effet à se débarrasser des équipements,
principalement des boîtes à gants et une fonderie, devenus
inutiles, ce qui implique de multiples opérations de
décontamination.
Toutefois, certains équipements resteront en place "sous cocon" au cas
où il y aurait des problèmes dans une des chaînes de
production ou de retraitement de Valduc. Selon toute vraisemblance, ces zones
ne seront pas décontaminées mais resteront en l'état.
Comme votre rapporteur a pu le constater sur place, le
démantèlement des équipements, contaminés par le
plutonium ou l'uranium, est une opération longue, difficile et
coûteuse qui requiert un maximum de précautions. Deux
opérateurs munis de combinaisons maintenues en surpression doivent
pénétrer à l'intérieur de l'enceinte et, tout
d'abord, démonter manuellement les outillages qui sont soit
récupérés pour être réutilisés en
milieu nucléaire, soit fondus dans des installations
spécialisées. Il faut ensuite décontaminer les surfaces,
puis compacter et conditionner les déchets en vue de leur
évacuation. Une installation spéciale dite "salle de casse" a
été installée dans les locaux de B III.
Au début de 1997, il y avait en entreposage dans les installations de
traitement du site de Bruyères-le-Châtel :
- 98 m
3
de déchets solides destinés au
centre de stockage de l'Aube de l'ANDRA et de déchets solides trop
actifs pour être envoyés à l'ANDRA et qui devront
être entreposés à Cadarache, qui représentent une
activité de 1,5 Térabecquerel en émetteurs
alpha ;
- 50 m
3
d'effluents aqueux,
- 12 m
3
de déchets tritiés qui seront, comme
on l'a vu précédemment, faute de solution définitive,
regroupés et entreposés temporairement à Valduc.
Depuis 1991, la DAM a entrepris, comme à Valduc, une opération de
reconditionnement des anciens déchets qui ne correspondaient plus aux
spécifications de l'ANDRA. Dans des boîtes à gants de la
chaîne CD2 sont donc séparés les déchets
éligibles à l'ANDRA de ceux qui seront entreposés à
Cadarache, ou encore retraités à Valduc quand leur teneur en
radionucléides rend cette opération intéressante.
2°/ L'ASSAINISSEMENT DU COMPLEXE DE MARCOULE
Véritable berceau du nucléaire français,
le complexe de Marcoule regroupe des installations du CEA, de la COGEMA, de
Melox, Phénix et même d'activités diverses comme les
équipements pour les analyses médicales.
Ce centre n'est pas uniquement tourné vers des applications militaires
mais on y trouvait, entre autres, les réacteurs G1, G2, G3,
principalement destinés à la production de plutonium, les deux
réacteurs Célestin essentiellement orientés vers la
production de tritium, et l'usine UP1 qui assurait le retraitement du
combustible de G1, G2 et G3 en récupérant le plutonium de
qualité militaire.
Le site de Marcoule est entré dans une phase de restructuration profonde
du fait de l'arrêt de la plus grande partie des activités purement
militaires.
De nombreuses installations civiles subsistent (atelier de vitrification des
déchets, four électrique pour fondre les déchets
métalliques, station de traitement des effluents, incinérateur de
déchets TFA...), des laboratoires expérimentaux se
développent (Atalante pour les expériences sur les
déchets, unité de recherche sur les réactifs
médicaux...), l'usine Melox destinée à la fabrication du
MOX est entrée en service ; mais il n'en demeure pas moins que les
mutations que connaît le bassin d'emplois de Marcoule préoccupent
à juste titre les travailleurs de la région, qui doutent que la
garantie de l'emploi puisse être assurée à long terme.
Ayant eu l'occasion de rencontrer, au sujet de l'implantation
éventuelle d'un laboratoire souterrain de l'ANDRA, les organisations
syndicales et les élus concernés, j'ai à plusieurs
reprises insisté auprès des autorités compétentes
pour que les restructurations en cours, tout à fait nécessaires,
ne conduisent pas à une perte de capacité mais à une
réorientation programmée et déterminée vers
d'autres activités en fonction des nouvelles donnes de l'industrie
nucléaire française.
Sur le plan des activités militaires du centre de Marcoule, la situation
est actuellement la suivante :
- le réacteur G1 a été mis à l'arrêt en
1968 ;
- le réacteur G2 a été fermé
définitivement en 1980 et le réacteur G3 en 1984 ;
- l'usine UP1 doit cesser son activité de retraitement à la
fin de 1997 ;
- seuls resteront en service les réacteurs Célestin I et II
qui assurent la production de tritium pour la DAM, aucune décision
n'ayant été prise à ce jour sur leur avenir.
A/ La mise en place du groupement d'intérêt économique CODEM
Compte tenu de l'importance des opérations de
démantèlement qui sont entreprises mais aussi compte tenu de
l'imbrication des intérêts entre les trois partenaires
concernés, CEA-DAM, COGEMA et EDF, le 24 mai 1996 a été
constitué un GIE dénommé CODEM (COnditionnement des
déchets et DEMantèlement de Marcoule). Dans ce GIE, le CEA
représente 45 parts, EDF également 45 parts et la
COGEMA 10 parts.
Grâce à cette structure, il y aura donc un pôle unique de
décision, de contrôle et de financement qui s'exprimera, en
principe d'une seule voix, face aux opérateurs chargés des
travaux de démantèlement et d'assainissement. Il faut toutefois
noter que l'opérateur principal est la COGEMA, qui se trouve donc
être représenté également dans l'instance de
décision.
La création de cette structure "ad hoc" était aussi
justifiée par l'ampleur de l'opération et par son coût. On
estime en effet à 37 milliards de francs, répartis sur une
quarantaine d'années, le budget total de ce programme.
Pour 1997, le budget du CODEM a été de 360 millions de
francs, ce qui, pour ses responsables, marque
"l'engagement
irréversible des trois partenaires dans ce projet"
.
Comme le faisait remarquer les organisations syndicales de Marcoule, il ne
reste plus désormais qu'à trouver la trentaine de milliards
restants !
Pour le moment, ces crédits servent essentiellement à financer
des études mais le début des opérations proprement dites
devrait pouvoir avoir lieu, comme prévu, au début de 1998.
Comme on pouvait s'y attendre, la répartition des dépenses entre
les trois parties concernées a donné lieu à d'âpres
discussions.
EDF avait provisionné en prévision de l'arrêt des
réacteurs G1, G2 et G3 qui lui fournissaient du courant. En effet, ces
trois réacteurs essentiellement destinés à la production
de plutonium de qualité militaire, exploités par la COGEMA,
étaient aussi des réacteurs électrogènes d'une
puissance non négligeable (250 Mégawatts).
Si EDF, entreprise fonctionnant sous des règles comptables commerciales,
avait dès l'origine prévu le coût de l'arrêt de ces
réacteurs, il n'en va pas de même pour le ministère de la
Défense qui devrait assurer la moitié de la dépense.
L'annualité des crédits budgétaires se prête mal, en
effet, au financement d'opérations lourdes et longues de type
industriel, qui nécessiteraient la constitution de provision ou au moins
d'un échéancier pluriannuel précis et définitif.
En tout état de cause, le ministère de la Défense, qui
était le principal bénéficiaire de l'activité de
ces installations, doit payer, mais l'évolution actuelle des
crédits de ce département et en particulier de ses crédits
"nucléaires" qui ont diminué, en francs constants, de près
de la moitié en cinq ans, risque de poser quelques problèmes.
Devant le coût, que certains qualifient de pharaonique, il est permis de
se demander jusqu'à quel niveau il serait raisonnable de conduire les
opérations de démantèlement.
B/ Les niveaux de démantèlement
La correspondance entre le niveau souhaitable et le niveau
possible de démantèlement constitue une question délicate
qui soulève, comme pour tout ce qui touche au nucléaire, des
passions pas toujours justifiées. Comme l'a très bien
montré Claude Birraux dans son rapport de l'Office
25(
*
)
, il existe plusieurs stratégies possibles et
surtout de nombreuses zones d'ombre sur les limites souhaitables du
démantèlement selon les différents types d'INB ou d'INB-S.
La France a adopté le classement en trois niveaux de
démantèlement proposé par l'AIEA :
- le niveau 1 consiste à enlever les matières
nucléaires, à les envoyer soit vers le retraitement soit vers les
centres de stockage, puis à fermer hermétiquement le
bâtiment tout en continuant cependant à contrôler la
radioactivité à l'intérieur et dans l'environnement ;
- au niveau 2, on procède à la libération partielle
de l'installation en enlevant tous les matériels facilement
démontables et en réduisant la zone confinée au
minimum ;
- le niveau 3 correspond à la libération totale et
inconditionnelle du site, qui doit redevenir utilisable sans restriction, les
anglophones parlant à ce propos de la théorie du
green
field
: "le retour à la prairie".
Dans la pratique, ces distinctions ne sont pas aussi nettes que dans les
documents théoriques et on parle même parfois de niveau 1
renforcé lors de certaines opérations de
démantèlement.
Il semble désormais admis que le CEA et les opérateurs qu'il
emploie sont techniquement en mesure de réaliser des opérations
de démantèlement jusqu'au niveau 3. C'est ainsi que six
réacteurs de recherche et six laboratoires et usines du secteur civil
ont été totalement démantelés, mais il s'agissait
d'installations de petite taille et souvent de faible activité
radioactive.
Aujourd'hui, les grandes opérations de démantèlement qui
commencent à être entreprises posent des problèmes d'un
tout autre ordre.
Ainsi, en 1993, le CEA indiquait pour le réacteur G1 que
"le
niveau 2 a été atteint à l'exception de l'exutoire et
de certains filtres"
et que le CEA étudiait
"l'éventualité de démanteler G1 jusqu'au
niveau 3"
26(
*
)
. En 1996, le
CEA
indiquait toujours :
"Le réacteur G1 [...] est aujourd'hui
démantelé au niveau 2 à l'exception de l'exutoire de
la cheminée et de certains filtres. Le CEA étudie
l'éventualité de démanteler G1 jusqu'au
niveau 3."
En trois ans, la situation n'avait donc guère
évolué et le niveau 3 reste donc un simple objectif à
atteindre dans un futur plus ou moins proche mais toujours non défini.
En réalité, doit-on dans tous les cas systématiquement
tenter d'atteindre le niveau ultime de démantèlement ?
Comme le faisait remarquer M. Birraux dans son rapport
précité, le démantèlement n'a pas pour but de faire
disparaître la radioactivité mais simplement de la déplacer
pour mieux la contrôler, et de prévenir ainsi tout danger de
contamination de l'environnement et des populations proches.
A partir du moment où la radioactivité est contenue de
façon sûre dans un bâtiment lui-même inclus dans une
enceinte protégée et surveillée, on peut
légitimement se demander s'il est bien nécessaire d'entreprendre
des opérations coûteuses et risquées pour les personnels
chargés de les conduire, dans le seul but de transférer la
radioactivité résiduelle dans un centre de stockage.
En ce qui concerne les centrales, il apparaît effectivement raisonnable
d'attendre, pour engager les dernières phases du
démantèlement, que la décroissance naturelle de la
radioactivité rende ces opérations moins dangereuses. Un
démantèlement ne constitue jamais, en effet, une opération
anodine et sans risque.
Le CEA a choisi, à juste titre, de démanteler totalement, sans
attendre, les installations qui risquent de se détériorer ou qui
contiennent des éléments à vie très longue pour
lesquelles la décroissance naturelle de la radioactivité ne
serait obtenue que beaucoup trop tard par rapport à la résistance
des bâtiments.
Sur le site de Marcoule, il n'est toutefois envisagé de
démanteler les anciennes installations du secteur militaire que
jusqu'à un niveau 2 pour les placer en état de
sûreté passive qui ne nécessitera plus qu'une surveillance
réduite, le niveau 3 restant un objectif toujours possible mais non
urgent.
On peut comprendre, pour une ancienne centrale isolée comme celle de
Brennilis, que les populations se prononcent pour un
démantèlement accéléré jusqu'au
niveau 3. En revanche, dans le cas d'installations situées sur un
site qui restera consacré aux activités nucléaires, et
donc surveillé, un démantèlement total
accéléré ne devra être envisagé que si des
considérations techniques impératives l'imposent.
Tant que la vocation nucléaire du site de Marcoule ne sera pas remise en
cause, les opérations de démantèlement doivent avoir
essentiellement pour objectif d'assurer une sécurité maximum sans
chercher à atteindre la perfection.
Cette position raisonnable est d'autant plus justifiée que bien des
problèmes, en aval du démantèlement, restent à
résoudre en particulier pour l'évacuation de certains
déchets.
La volonté de maintenir, grâce au démantèlement, un
certain volant d'activité sur les centres est certes louable mais elle
ne doit pas conduire à engager des opérations complexes sans
s'être auparavant assuré la maîtrise de la gestion des
déchets qu'elles produisent. Les sites du CEA ne doivent pas se
transformer subrepticement en centre d'entreposage à long terme de
déchets pour lesquels on n'a pas encore trouvé de solution
définitive.
C/ L'arrêt de l'usine UP1 et des installations associées et le programme MAD
Le site de Marcoule avait initialement été
créé pour assurer l'approvisionnement de notre défense en
plutonium de qualité militaire.
Dans ce but avaient été construits trois réacteurs G1, G2
et G3, à uranium naturel, modérés au graphite et refroidis
au gaz (UNGG). Afin de retraiter le combustible extrait de ces
réacteurs, l'usine UP1 a été mise en service en 1958 et a
produit son premier gramme de plutonium le 21 juillet 1958. Cette usine de
retraitement n'avait toutefois pas qu'une utilité purement militaire
puisqu'elle a dû, à partir de 1970, retraiter aussi les
combustibles provenant de réacteurs de la filière civile UNGG.
En 1975, les installations de production de combustible nucléaire qui
relevaient initialement du CEA ont été transférées
par simple décret (décret n° 75-1250 du
29 septembre 1975) à la COGEMA.
Les besoins en plutonium de la Défense nationale étant
désormais satisfaits, l'arrêt de l'usine UP1 et de toutes les
installations de la COGEMA nécessaires au retraitement a
été programmé pour la fin de l'année 1997. La
fermeture d'UP1 était d'autant plus inéluctable que ses
activités civiles avaient elles aussi disparu avec l'arrêt, en
1994, de la dernière centrale UNGG française et l'incendie de la
centrale espagnole de Vandellos qui appartenait à la même
filière et dont les combustibles étaient également
retraités à Marcoule.
En plus de la fermeture déjà effective des trois réacteurs
G1, G2 et G3, c'est donc tout un ensemble complexe d'installations qu'il va
falloir désormais "assainir" sur le site de Marcoule. Pour se faire
une
idée de l'ampleur de la tâche à réaliser, voici la
liste des installations concernées par des opérations de
démantèlement ou d'assainissement telle qu'elle est
présentée par la CEA :
«- Les ateliers de production
qui
regroupent six
ensembles :
.
installation de "dégainage G1"
utilisée pour le
dégainage et le stockage du magnésium des premiers combustibles
du réacteur G1, elle a ensuite servi à l'entreposage des paniers
de dissolution des combustibles G1, G2, G3 ;
.
l'atelier "dégainage"
dont les fonctions comprennent la
réception, l'entreposage et la préparation de dissolution des
combustibles irradiés, le traitement et la réexpédition
des emballages de transport externes, le stockage des déchets de
structure des combustibles et des déchets de traitement des eaux ;
.
l'installation "MAR 400"
dont les fonctions,
identiques
à celles de l'atelier "dégainage", sont utilisées pour les
combustibles à retraiter issus de la filière UNGG ;
.
"l'usine UP1"
utilisée pour la dissolution des
combustibles, la séparation des éléments U, Pu, produits
de fission et actinides des combustibles et leur transformation en nitrate
d'uranyle, en oxyde de plutonium ou plutonium métallique et en solution
nitrique concentrée de produits de fission et d'actinides ;
.
l'installation "stockages liquides des produits de
fission"
regroupe les cuves contenant les solutions nitriques concentrées de
produits de fission et leurs équipements divers ;
.
l'Atelier de Vitrification et d'entreposage des verres (AVM)
où est mis en oeuvre le procédé de vitrification des
solutions ; les verres obtenus étant entreposés dans des
fosses en béton ventilées.
Les ateliers de production avec leurs équipements
annexes sont constitués d'une soixantaine de bâtiments et ouvrages
de tailles diverses.
- Les ateliers dits de supports
qui
sont composés de
cinq installations :
.
la Station de Traitement des Effluents Liquides (STEL)
gère l'ensemble des effluents liquides produits sur le site ;
.
l'Atelier de Conditionnement et d'entreposage des Déchets
Solides (CDS)
collecte, contrôle, conditionne et entrepose et/ou
expédie à l'ANDRA l'ensemble des déchets solides produits
à Marcoule ;
.
l'Atelier de Décontamination du Matériel (ADM)
est
utilisé pour la collecte et le traitement du matériel
contaminé de l'établissement ;
.
l'Atelier de Décontamination du Linge (ADL)
traite les
vêtements de l'ensemble du personnel ;
.
le laboratoire de contrôle, chimie analytique des
procédés et d'assistance en chimie industrielle
est
utilisé pour les activités des 2 unités de retraitement du
site (l'usine UP1 de COGEMA et l'Atelier Pilote de Marcoule du CEA/VALRHO).
Les ateliers supports avec l'ensemble de leurs
équipements regroupent une quarantaine d'ouvrages et bâtiments du
site.»
La maîtrise du programme de mise à l'arrêt définitif
de l'usine UP1 et des installations qui y sont associées (programme MAD)
a été confiée au CODEM qui assurera donc la coordination
de l'ensemble des opérations et des moyens de financement. Le CODEM
devra en particulier approuver les stratégies proposées par la
COGEMA qui sera le principal opérateur, passer les marchés et
obtenir les financements nécessaires.
Après l'arrêt de l'usine, prévu pour la fin de 1997, il
faudra tout d'abord procéder au rinçage des circuits et des
équipements. La COGEMA a souhaité que cette phase du programme
soit entreprise immédiatement avec l'ancien personnel de l'usine qui
aura gardé la mémoire du fonctionnement de l'installation. Cette
solution aura également l'avantage d'assurer un emploi aux travailleurs
que la fermeture d'UP1 va libérer et qu'il aurait fallu, sans cela,
reclasser dans d'autres fonctions.
Une fois les rinçages terminés, si tout se déroule comme
prévu, les opérations de mise à l'arrêt proprement
dites pourront commencer. Elles seront suivies d'une période de
"surveillance active" pendant laquelle pourra commencer le programme
de
démantèlement (programme DEM) jusqu'au niveau 2. Il sera
alors possible de passer à une situation de "surveillance passive". Un
démantèlement au niveau 3 n'est pas à ce jour
programmé, ni même encore envisagé.
Bien entendu, chacune des phases de ces programmes fera l'objet d'un rapport de
sûreté et devra être autorisée par les
autorités compétentes. A l'issue du démantèlement
au niveau 2, vers 2029, les installations concernées devraient
passer du statut d'installations nucléaires de base (INB) au statut de
simples installations classées pour la protection de l'environnement
(ICPE).
Quel jugement peut-on porter, à l'heure actuelle, sur l'ensemble de ces
programmes de démantèlement ?
Il faut tout d'abord réaffirmer que ces opérations de
démantèlement étaient nécessaires ; il
n'était pas question, en effet, de laisser des installations inutiles
mais potentiellement dangereuses en l'état avec le risque de voir leurs
protections se dégrader au fil des années. Sur ce dossier, comme
sur celui des déchets, il ne serait en effet pas admissible de
transmettre aux générations futures des problèmes que nous
sommes en état de régler, même si ce n'est que
partiellement, dès à présent.
Il ne s'agit certainement pas, comme l'affirme un peu vite le CEA, de remettre
les sites dans un état aussi proche que possible de leur état
initial, ce qui correspondrait au niveau 3 de démantèlement,
mais plus simplement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que
ces installations ne présentent plus de dangers dès lors qu'elles
continuent à être incluses dans un périmètre
nucléaire étroitement surveillé.
Le démantèlement au niveau 3 est techniquement possible, le
CEA a déjà procédé à plusieurs
opérations de ce type mais il s'agissait soit de très petites
installations (réacteurs de recherche et maquettes), soit
d'installations très contaminées par du plutonium pour lesquelles
l'attente n'aurait pas permis d'obtenir une décroissance significative
de la radioactivité.
Le CEA a également acquis une certaine expérience des grandes
opérations de démantèlement jusqu'au niveau 2
(réacteurs Rapsodie de Cadarache, réacteurs G1, G2, G3 de
Marcoule). Ce savoir-faire permet de penser que ces futurs
démantèlements se dérouleront dans de bonnes conditions
bien qu'on ne soit jamais à l'abri d'un accident, comme cela a
été le cas en 1994 où une explosion de sodium dans la cuve
de l'ancien réacteur Rapsodie a entraîné la mort d'un
travailleur et une longue suspension des travaux.
Dans son dernier rapport
27(
*
)
, la
Direction de la sûreté des installations nucléaires qui, il
faut le rappeler, n'a pas compétence dans le secteur militaire,
soulignait, à propos des démantèlements d'installations
civiles, que
"la taille des chantiers de démantèlement et le
type de travaux à mettre en oeuvre, essentiellement de
déconstruction, conduisent les exploitants nucléaires à
faire appel à la sous-traitance à des entreprises
extérieures. L'Autorité de sûreté reste attentive
à ce que cette organisation, qui peut conduire à une
spécialisation bénéfique des acteurs, n'entraîne pas
cependant une déresponsabilisation des exploitants nucléaires qui
en dernier ressort restent seuls comptables du bon déroulement des
travaux."
Il ne s'agit pas ici de faire un procès d'intention aux responsables
de l'assainissement de Marcoule mais simplement de rappeler que l'ampleur des
travaux à effectuer ne doit en aucun cas conduire à faire appel
à des entreprises peu qualifiées pour ce type de travail ou
à des personnels insuffisamment formés. Toutes les
opérations qui peuvent présenter un risque pour les populations
ou pour les travailleurs concernés doivent être confiées
à des techniciens ayant une expérience confirmée du
travail en milieu radioactif.
3/ LA GESTION DES DÉCHETS PROVENANT DE L'EXPLOITATION ET DU DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS DE MARCOULE
Comme le rappelait fort justement l'inventaire national des
déchets radioactifs établi en 1997 par l'ANDRA :
"Plus de
90 % de la radioactivité répertoriée sur le
territoire français est concentrée sur les deux seuls sites de
La Hague et de Marcoule."
De fait, la lecture des trois pages de cet inventaire consacrées au site
de Marcoule laisse quelque peu perplexe et conduit à se demander si le
site de Marcoule ne s'est pas, peu à peu, transformé en centre de
stockage de déchets radioactifs.
Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à nous inquiéter d'une
éventuelle dérive de la vocation de certains centres du CEA. La
Direction de la sûreté des installations nucléaires, dans
son rapport pour l'année 1996, notait à propos des "solutions
d'attente" que le CEA a été contraint de mettre en oeuvre pour
entreposer temporairement les déchets pour lesquels il n'existe à
l'heure actuelle aucune solution :
"De telles opérations
présentent néanmoins un risque, que la DSIN s'attache à
éviter : que ces solutions provisoires se transforment par
passivité en solutions définitives."
Tous les déchets entreposés à Marcoule ne proviennent pas
d'activités liées à la force de dissuasion
française, et la répartition entre les déchets provenant
des activités "civiles" et ceux qui ont été produits dans
le cadre des programmes militaires est pratiquement impossible à faire.
De nombreuses installations ont, en effet, été utilisées
conjointement pour la production d'électricité et pour la
fourniture du plutonium, de l'uranium et du tritium destinés à la
fabrication des armes. Le Haut Commissaire s'attache d'ailleurs à
ce que tous les déchets d'origine civile rejoignent les installations
civiles régies par la DSIN.
Si la gestion des déchets d'ores et déjà entreposés
sur le site de Marcoule pose des problèmes, les opérations de
démantèlement en cours ou à venir risquent de venir encore
aggraver la situation car, comme le note la DSIN dans son rapport
d'activité pour 1996 :
"Le démantèlement des
installations nucléaires est à l'origine d'une quantité
importante de déchets sans commune mesure avec les quantités
produites en exploitation."
A/ L'inventaire des déchets
Les trois réacteurs G1, G2 et G3, essentiellement
destinés à la production de plutonium de qualité militaire
mais qui fournissaient également du courant à EDF, sont donc
aujourd'hui totalement arrêtés et démantelés
jusqu'au niveau 2.
Le démantèlement de ces installations n'a, à notre
connaissance, pas posé de problèmes particuliers, aucun incident
n'ayant été signalé pendant la durée des travaux.
Il reste toutefois maintenant à gérer les déchets qui
ont été générés par le fonctionnement de ces
réacteurs et les déchets qui résultent de leur
démantèlement et, devant l'ampleur de la tâche, on peut
légitimement se demander si ce n'est pas après le
démantèlement de niveau 3 que commenceront à se poser
les véritables problèmes.
Les déchets provenant du retraitement des combustibles
irradiés
sont de loin les plus difficiles à gérer car
la radioactivité qu'ils contiennent est considérable et ne
décroîtra que très lentement.
Ces déchets sont essentiellement constitués de produits de
fission issus de la fragmentation des noyaux d'uranium et de plutonium pendant
la durée de fonctionnement des réacteurs. Ils représentent
99,8 % de la radioactivité contenue dans la masse du combustible,
mais seulement 3 % de cette même masse.
Après le retraitement, ils se présentent sous la forme d'une
solution acide qu'il faut entreposer dans des cuves spécialement
conçues. Comme il est impossible de conserver très longtemps des
déchets à haute activité sous forme liquide, on
procède à leur vitrification selon les mêmes techniques qui
sont utilisées à l'usine de la COGEMA de La Hague.
Comme ces déchets n'ont, à l'heure actuelle, aucun stockage
définitif possible, ils restent entreposés "provisoirement" dans
des puits ventilés à l'intérieur même de l'atelier
de vitrification (AVM).
A l'heure actuelle, les puits de l'installation AVM contiennent :
- 2 557 conteneurs de verres,
- 114 conteneurs de déchets technologiques,
- 172 m
3
de produits de fission en solution.
La radioactivité contenue dans cet entreposage est de :
- 24 Pétabecquerels en émetteurs alpha,
- 5,8 Exabecquerels en émetteurs bêta et gamma.
Afin de bien évaluer l'importance de cette radioactivité, il faut
rappeler que :
- le Pétabecquerel représente
10
15
Becquerels,
- et l'Exabecquerel 10
18
Becquerels.
Bien entendu, tous ces déchets ne sont pas d'origine militaire car
l'usine de retraitement UP1 retraitait, outre les combustibles provenant de G1,
G2 et G3, des combustibles extraits de réacteurs de la filière
UNGG, des combustibles de provenances diverses (réacteurs
Célestin, surgénérateurs Phénix...) et même,
selon certaines sources, quelques combustibles d'origine
étrangère.
Que deviendraient, à terme, ces déchets de très haute
activité entreposés "provisoirement" dans un atelier qui ne doit
en aucun cas devenir un centre de stockage définitif, d'autant plus que
cet établissement doit fermer définitivement en 2001 ?
Leur sort est intimement lié à l'aboutissement des recherches
prévues dans la loi du 30 décembre 1991.
Si un stockage en couches géologiques profondes ou en surface doit
être un jour réalisé, ces déchets pourraient
être confiés à l'ANDRA. Se poserait d'ailleurs alors un
problème de facturation car on ne sait pas quel critère, le
m
3
ou l'activité, pourrait être retenu pour ces
déchets relativement peu volumineux mais de très haute et de
très longue activité.
Le graphite
qui servait à modérer ces réacteurs
constitue également un déchet. L'inventaire de l'ANDRA, comme le
montre le tableau ci-après, indique que sont actuellement
entreposées, toujours "provisoirement", 3 600 tonnes de
graphite des réacteurs G1, G2 et G3, ce qui représente une
activité totale estimée à 900 Térabecquerels.
De son côté, EDF aurait, dans ses anciennes centrales UNGG, un
stock de 20 000 tonnes de graphite contaminé. Il serait donc
rationnel de rechercher une solution globale pour l'ensemble du stock de
graphite contaminé en France. Des expériences sont en cours pour
procéder à son incinération, ce qui réduirait les
volumes des cendres à envoyer en stockage définitif en surface ou
en souterrain. Toutefois, comme ce graphite contient beaucoup de tritium, il
faudrait auparavant résoudre le problème des rejets gazeux dans
l'atmosphère.
Le graphite, qu'il soit resté dans les bâtiments des
réacteurs ou qu'il ait été entreposé, doit
être répertorié en tant que déchet comme le fait
d'ailleurs l'inventaire de l'ANDRA, en contradiction sur ce point avec des
documents du CEA-DAM qui annonce 800 tonnes de graphite seulement dans
l'inventaire des déchets de Marcoule en ne prenant pas en compte les
empilements laissés, pour le moment, dans les réacteurs.
La DSIN et l'autorité de sûreté des INB-S, conscientes du
problème posé par les graphites, examinent actuellement des
solutions de stockage au sein d'un groupe de travail.
Les ferrailles
: le démantèlement des trois
réacteurs G1, G2 et G3 a généré d'importantes
quantités de ferrailles. Pour les traiter, le CEA a installé
à proximité des anciennes installations un four électrique
dont l'exploitation a commencé en 1992. Ce four a également
été employé pour traiter des déchets
métalliques provenant d'autres centres du CEA et en particulier de
Saclay.
Selon l'inventaire de l'ANDRA, seraient actuellement entreposés à
Marcoule les déchets métalliques suivants en provenance des
anciens réacteurs :
- 4 060 tonnes de lingots et blocs de fonte,
- 1 062 tonnes de fonte en conteneurs,
- 549 tonnes de crasses de fusion en fûts ou en
blocs,
- 4 tonnes de poussières de fusion.
Les lingots et blocs de fonte provenant de la fusion sont entreposés en
surface quand ils ne contiennent que des émetteurs alpha, mais certains
déchets métalliques plus irradiants contenant des
émetteurs bêta et gamma ont été conditionnés
dans des conteneurs et entreposés dans des puits en attente d'un
éventuel stockage profond.
En plus de ces déchets métalliques déjà
traités, il reste aussi des déchets métalliques en
l'état, dont 2 900 tonnes d'aciers activés, sans qu'on
puisse savoir exactement s'ils sont ou non en attente de fusion. Le CEA a en
effet l'intention de transférer ses activités de fusion des
métaux contaminés à la société SOCODEI, qui
installe un four à l'entrée du site de Marcoule. Cette
installation, dénommée CENTRACO, destinée à traiter
les déchets faiblement radioactifs par fusion ou incinération, a
été cofinancée par COGEMA et EDF.
Ce rapide inventaire des déchets en provenance des seuls
réacteurs G1, G2, G3, montre que le problème du
démantèlement ne s'arrête pas avec la déconstruction
des anciennes installations. Bien que le démantèlement ne soit
jamais en lui-même une opération anodine, on peut
considérer que les véritables difficultés commencent avec
la fin des travaux.
Que va-t-on faire en effet des déchets pour lesquels il n'existe pas
à l'heure actuelle de solution de stockage définitif, soit que
leur activité soit trop élevée pour le stockage en
surface, soit au contraire que leur contamination soit trop faible pour faire
l'objet d'un stockage encombrant et coûteux dans le centre de
l'ANDRA ?
En l'absence de solution pour les déchets A et B et pour les
déchets très faiblement radioactifs, le site de Marcoule se
transforme peu à peu en centre de stockage de déchets, ce qui
n'était pas dans sa vocation initiale, et la situation va encore empirer
avec le démantèlement d'UP1, de ses installations satellites et
des réacteurs Célestin.
B/ La reprise et le conditionnement des déchets et le programme RCD
Consciente du fait que, depuis quarante ans, les
déchets générés par les activités civiles ou
militaires du centre de Marcoule n'avaient peut-être pas
été toujours été gérés selon les
règles actuellement en vigueur, la COGEMA a mis en oeuvre un programme
de reprise et de conditionnement des déchets, le programme RCD.
Il s'agit, dans le cadre de ce programme, de reprendre des déchets
anciens, de les trier, éventuellement de les traiter et enfin de les
reconditionner. A l'issue de ces opérations, les déchets doivent
être soit évacués sur le centre de stockage en surface de
l'ANDRA soit, faute d'autre solution, remis en entreposage temporaire sur le
site même de Marcoule.
Une grande partie de ces déchets anciens qui étaient jusqu'ici
entreposés dans l'Atelier de Conditionnement et d'entreposage des
Déchets Solides (CDS) va donc y retourner en attendant de leur trouver
une destination finale.
Dans les casemates et les fosses du CDS ou dans celles de la Station de
Traitement des Effluents liquides, on dénombrait ainsi :
- 59 829 fûts d'enrobés bitumineux de moyenne
activité,
- 1 200 m
3
de déchets technologiques
alpha (contenant environ 46 kg de plutonium),
- 3 400 m
3
de déchets bêta.
Il s'agit, soit de déchets "de procédé" provenant de
l'exploitation des réacteurs et de l'usine UP1, soit de déchets
"technologiques" résultant d'opérations de maintenance.
Après traitement, les déchets les moins actifs
(catégorie A) sont envoyés au centre de stockage de surface
de l'ANDRA. Ainsi, en 1996, le secteur "Armées" de Marcoule a
envoyé à l'ANDRA 240 colis de déchets
représentant 1 037 m
3
.
Il n'en demeure pas moins que la quantité de déchets "en attente"
sur le site de Marcoule reste considérable. Si ces déchets n'ont
pas été envoyés à l'ANDRA, c'est parce qu'ils ne
remplissaient pas les conditions draconiennes posées par cet organisme
pour accepter des colis qui, il faut le rappeler, doivent pouvoir être
stockés en surface et pour une durée de quelques siècles
seulement. Une partie d'entre eux vont donc être triés et
reconditionnés ; une installation spéciale, l'enceinte
pilote de reprise des fûts bitumés, a d'ailleurs été
conçue pour procéder à ces opérations.
Pour mener à bien le programme RCD, la construction de deux
bâtiments nouveaux est envisagée :
- l'un destiné au traitement et au conditionnement des
déchets (TCD),
- le second pour l'entreposage intermédiaire polyvalent (EIP).
A l'occasion de cette reprise des déchets anciens, il serait parfois
intéressant de concentrer la radioactivité et de faire passer
certains déchets de la catégorie B à la
catégorie A. Cette solution permettrait de réduire
considérablement les volumes et assurerait une meilleure
sûreté des stockages, les verres étant beaucoup plus
faciles et beaucoup plus sûrs à stocker que les colis
bitumés à partir du moment, toutefois, où l'on disposera
d'une solution pour le stockage définitif ou la transmutation des
déchets à haute activité, ce qui n'est pas le cas pour le
moment.
En l'absence de solution définitive, comme le note la
DSIN
28(
*
)
:
"Les différents
producteurs doivent gérer l'héritage du passé et les
"erreurs" perpétrées faute d'exutoire, il s'agit notamment du
travail de reprise et de conditionnement de déchets anciens,
déchets mal identifiés, mal conditionnés,
entreposés dans des conditions peu satisfaisantes au regard des normes
actuelles...."
La DSIN n'a pas, il faut le rappeler, compétence pour tout ce qui
concerne la défense nationale mais, dans le cas de Marcoule où
les activités militaires et civiles sont étroitement
imbriquées, c'est à juste titre que cet organisme a
demandé au CEA de faire le point, dans le cadre de son plan
d'assainissement, sur tous les équipements et toutes les installations
de traitement et d'entreposage des déchets car
"un certain nombre de
ces installations sont anciennes et nécessitent une mise à niveau
au plan de la sûreté"
.
Votre rapporteur, après avoir visité l'Atelier de
Conditionnement et d'entreposage des Déchets Solides, le CDS, estime que
l'entreposage actuel dans de simples fûts, dont quelques-uns sont en
mauvais état ou dans des fosses situées à
l'extérieur, ne correspond plus à nos conceptions actuelles de la
sûreté mais aussi de la sécurité des installations
nucléaires. Le programme d'assainissement du site de Marcoule est donc
une priorité et ne doit, en aucun cas, être ralenti quelles que
soient les difficultés budgétaires du CEA ou les controverses sur
la répartition des charges financières entre la Défense
nationale, le CEA et la COGEMA.
C/ L'absence de solution pour le stockage des déchets très faiblement radioactifs
Comme on vient de le voir, le démantèlement des
installations destinées à répondre aux besoins de la
Défense nationale va entraîner la production d'une masse
importante de déchets qui peuvent se répartir en quatre
catégories.
Il y a tout d'abord les déchets C, à haute activité
et à vie très longue, qui se présentent dans la majeure
partie des cas sous une forme vitrifiée. Ces déchets, bien
identifiés et bien contrôlés, sont pour le moment
entreposés sur les sites de production dans l'attente d'une solution
actuellement recherchée dans le cadre de la loi du
30 décembre 1991.
Viennent ensuite les déchets B d'activité moyenne mais
contenant des éléments à vie longue, et notamment des
émetteurs alpha, ce qui leur interdit l'accès au centre de
stockage en surface de l'ANDRA. Ces déchets, le plus souvent
conditionnés en fûts bitumés, sont en général
bien identifiés mais, dans quelques cas, leur conditionnement s'est
détérioré au fil des années et devra être
repris. La destination finale des déchets de moyenne activité
à vie longue fait également l'objet de recherches dans la cadre
de la loi de 1991.
Pour les déchets A, de faible et moyenne activité à
vie courte, il n'y a en revanche pas de problème, car ils peuvent
être admis au centre de stockage en surface dès lors qu'ils
répondent aux normes très strictes fixées par l'ANDRA, ce
qui impose parfois, pour les plus anciens, un nouveau tri et un
reconditionnement.
Malgré les clarifications apportées par la loi de 1991 et par
l'ouverture du centre de stockage en surface de l'Aube, il reste trois
catégories de déchets pour lesquelles aucune solution n'est,
à l'heure actuelle, définitivement arrêtée.
Il s'agit tout d'abord de déchets souvent de faible activité,
mais contenant soit du radium soit du tritium, et donc susceptibles de
dégazer. La conception du centre de stockage de l'Aube,
entièrement cerné de galeries de surveillance souterraines,
interdit en effet d'y placer des déchets produisant des gaz qui
pourraient envahir ces galeries et présenter un danger pour les
travailleurs appelés à y circuler.
Restent enfin les déchets de très faible activité, dits
déchets TFA, provenant essentiellement du démantèlement de
réacteurs et d'installations nucléaires diverses, qui ne
présentent qu'un taux d'activité de quelques Becquerels par
gramme mais qui sont cependant suffisamment radioactifs pour ne pas être
envoyés dans les décharges ordinaires.
Si la distinction entre les différentes catégories de
déchets A, B et C telle qu'elle est présentée
ci-dessus est relativement claire, il est beaucoup plus difficile de tracer une
frontière précise entre les déchets A et les
déchets considérés comme non radioactifs et qui peuvent
donc être banalisés. Il faut tout d'abord se souvenir que la
radioactivité est présente dans tous les éléments
existant sur notre terre et qu'il ne peut donc pas, par voie de
conséquence, exister de déchets de radioactivité nulle. Un
kilo de granite ordinaire peut en effet avoir une activité de
200 Becquerels au kilo et l'eau de mer de 13 Becquerels par litre.
Comme le notait déjà Jean-Yves Le Déaut dans un
rapport de l'Office publié en 1992
29(
*
)
,
la réglementation sur ce sujet est mal
adaptée, incertaine et parfois même contradictoire. En 1994, le
responsable des déchets à la DSIN était encore plus
catégorique et relevait que la gestion des déchets TFA
était
"révélatrice d'un certain nombre
d'insuffisances : insuffisance de stratégie clairement
formalisée et identifiée, insuffisances réglementaires,
insuffisances de procédures, insuffisance de
rigueur"
.
30(
*
)
Depuis lors, aucun progrès notable n'a été
enregistré dans ce domaine, un groupe de travail de la DSIN y
réfléchit mais rien de tangible n'est pour le moment sorti de ces
réflexions.
Si la recherche d'un exutoire pour les déchets TFA ne semble pas
être considérée comme une priorité, c'est qu'ils
n'ont posé jusqu'ici aucun problème véritablement crucial,
les exploitants se contentant de les laisser en attente sur les sites, à
proximité des installations démantelées.
Il n'en sera certainement pas de même dans les années à
venir. En effet, selon les prévisions de l'ANDRA, les volumes attendus
de déchets de toutes catégories devraient être les
suivantes :
|
Volumes attendus |
Activité (en Térabecquerels) |
|
|
d'ici 2020 (en m3) |
|
et |
Haute activité à vie longue |
6 000 |
5 000 000 |
1 000 000 000 |
Moyenne activité à vie longue |
90 000 |
500 000 |
17 000 000 |
Faible et moyenne activité à vie courte |
500 000 |
250 |
30 000 |
Très faible activité |
250 000 |
3 |
Il s'agit là de tous les déchets
nucléaires, civils et militaires confondus, mais l'exemple du
démantèlement des installations travaillant pour la
Défense nationale à Marcoule, qui est en avance sur le
démantèlement des installations destinées à la
production d'électricité, montre bien que, très
rapidement, on ne pourra plus se contenter des solutions provisoires en vigueur
jusqu'à maintenant.
A l'heure actuelle sont déjà entreposés sur le site de
Marcoule les déchets TFA suivants :
- 4 000 tonnes de fonte en lingots
(dont 100 % Défense)
- 13 000 tonnes de fonte et d'acier
(dont 40 % Défense)
- 4 300 tonnes de plomb
(dont 40 % Défense)
- 2 600 tonnes de béton
(dont 40 % Défense)
- 11 800 tonnes de déchets divers
(dont 40 % Défense)
- 15 000 tonnes de gravats (dont 40 %
Défense).
La répartition entre les déchets provenant des activités
civiles et ceux produits par les activités liées à la
Défense nationale ne résulte que d'estimations grossières,
les déchets perdant, quand il s'agit de les gérer, leur
identité d'origine.
Sans vouloir anticiper sur les conclusions du groupe de travail des experts de
la DSIN, il convient de rappeler un certain nombre de principes sur lesquels
j'estime qu'il ne serait pas souhaitable de revenir.
Les responsables des installations à démanteler, mais aussi
certaines instances internationales, envisagent de fixer un seuil en
deçà duquel un déchet provenant d'un site nucléaire
ne serait pas considéré comme radioactif et pourrait donc
être géré comme n'importe quel autre déchet. Bien
que l'idée d'un seuil de banalisation ou de libération, comme le
prévoit la Directive Euratom du 13 mai 1986 pour les déchets
dont l'activité se rapproche de la radioactivité naturelle,
puisse apparaître comme théoriquement séduisante, il
convient de s'y opposer pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, quelques exemples récents nous montrent que le
contrôle en continu d'une masse importante de déchets
hétérogènes est très difficile à
réaliser et que des intermédiaires peu scrupuleux peuvent
profiter de cette difficulté technique pour envoyer dans des
décharges ordinaires des déchets contenant des points chauds.
L'affaire de la société Radiacontrôle,
révélée en 1993 par la CRII-RAD et jugée en
1996
31(
*
)
, montre qu'il ne s'agit pas d'un
risque purement théorique et que des opérations de traitement de
déchets confiées à des sociétés
négligeantes ou malhonnêtes peuvent donner lieu à des
fraudes regrettables.
En second lieu, l'existence d'un seuil de banalisation des déchets,
comme le soulignait le directeur général de l'ANDRA, M. Yves
Kaluzny,
"pourrait conduire à des pratiques de dilution des
déchets de façon à se placer au-dessous du seuil
fatidique"
32(
*
)
. Il suffit en
effet de
mélanger une faible quantité de déchets fortement
contaminés avec une grande masse de produits neutres pour obtenir une
activité massique moyenne au-dessous de ce seuil. Ce risque de
"dilution" de la radioactivité n'est pas non plus théorique car
cette pratique avait été envisagée notamment pour
l'évacuation des déchets de l'usine Rhône-Poulenc de
La Rochelle, ceux-ci devant être mélangés à des
résidus miniers des anciennes installations de l'Ecarpière.
Enfin, devant le peu de garanties qu'on pourrait leur apporter, il faudrait
s'attendre à une vive réaction des populations concernées
qui apprendraient, et on peut compter sur certaines associations pour les en
informer, qu'une décharge prévue à l'origine pour
accueillir des déchets ordinaires reçoit des déchets
radioactifs pas toujours bien identifiés et contrôlés.
Dans l'état actuel de nos connaissances techniques et compte tenu de
la sensibilité particulière d'une partie de la population
à ces problèmes, il convient donc que les déchets,
même très faiblement radioactifs, soient stockés
définitivement dans des installations où ils pourront être
soumis à une gestion spécifique, ce qui permettrait d'obtenir une
traçabilité totale de leur origine à leur destination
finale.
Pour cela, il faudrait mettre en place :
- des centres de stockage "dédiés" s'inspirant des
décharges industrielles de classe 1 mais adaptés au stockage
ou de déchets TFA ou de déchets tritiés ou encore de
déchets radifères. Ces centres de stockage devraient être
placés sous la responsabilité exclusive de l'ANDRA et soumis
à la réglementation des INB ;
- des filières adaptées pour le recyclage de certains
éléments TFA et notamment de certaines ferrailles, à la
condition expresse que le produit de ces recyclages ne puisse être
réemployé qu'à l'intérieur d'un site
nucléaire classé en INB.
Dans bien des cas, ces précautions se révéleront sans
doute inutiles ou superflues mais la réglementation doit être
élaborée, dans un secteur aussi sensible, non pas en fonction des
situations normales mais en tenant compte des erreurs et des dérives
toujours possibles.
Les opérations d'assainissement des anciennes installations de Marcoule
pourraient constituer, pour tout ce qui concerne la gestion des déchets
TFA, une expérience intéressante à condition qu'il soit
décidé dès à présent :
- de faire une évaluation précise des quantités et
des différentes catégories de déchets TFA qui
résulteront des opérations de démantèlement,
- de présenter une étude technico-économique des
solutions envisagées pour le stockage définitif de ces
déchets,
- de prévoir les modifications réglementaires
nécessaires pour le mise en place des solutions retenues.
Faute d'un tel programme et en l'absence de tout exutoire
réglementairement ou socialement possible, on continuera à
utiliser le site de Marcoule comme centre d'entreposage plus ou moins
provisoire de déchets, les solutions transitoires risquant bien souvent
de se transformer, par passivité, en solution définitive ainsi
que le redoutait le directeur de la DSIN dans son dernier rapport
d'activité.
Une fois de plus, le problème crucial sera celui de la localisation de
la ou des futures décharges de TFA, il est à parier en effet que
certains des écologistes qui acceptent aujourd'hui l'idée de la
création de stockages pour les déchets de très faible
activité prendront la tête de la contestation dès que
l'emplacement d'un site sera annoncé.
Dans cette affaire, comme dans tous les dossiers qui concernent les
déchets radioactifs, c'est aux responsables politiques d'exprimer
clairement leur volonté de trouver dès maintenant des solutions
raisonnables et de ne pas laisser aux générations futures le soin
de gérer les problèmes que nous avons créés.
4°/ L'ASSAINISSEMENT DE L'ETABLISSEMENT DE PIERRELATTE
L'uranium extrait des mines est un mélange de plusieurs
isotopes dont les principaux, l'uranium 238 et l'uranium 235, se
trouvent en général dans les proportions de 99,3 % pour le
premier et de 0,7 % pour le second. Or la Défense nationale, comme
les activités nucléaires civiles d'ailleurs, ne sont
intéressées que par l'uranium 235.
Il faut donc procéder à l'enrichissement de l'uranium naturel en
le séparant en deux fractions, l'une très enrichie en
uranium 235 et l'autre appauvrie en uranium 235 mais riche en
uranium 238.
Le procédé d'enrichissement par diffusion gazeuse utilisé
jusqu'à maintenant en France consiste à faire passer un
composé sous forme gazeuse d'uranium naturel, l'hexaflorure d'uranium,
à travers une succession de barrières poreuses qui vont peu
à peu séparer les deux isotopes, chaque barrière laissant
passer un peu plus d'uranium 235 que d'uranium 238.
Pour obtenir l'uranium fortement enrichi dont avait besoin la Défense
nationale, on a créé en 1958 l'Etablissement de Pierrelatte,
transféré en 1976 à la COGEMA et situé à
côté de l'usine Eurodif, qui assure l'enrichissement de l'uranium
destiné aux centrales nucléaires.
L'arrêt en 1996 de la production d'uranium hautement enrichi
destiné à la Défense nationale a immanquablement
entraîné la fermeture de l'Etablissement de Pierrelatte. Le
26 mai 1997, un protocole d'accord a été signé entre
l'Administrateur général du CEA et le Président-directeur
général de la COGEMA pour fixer les modalités de cette
fermeture.
Ce protocole définit notamment
"les principes généraux
devant régir l'organisation du programme de mise à l'arrêt
définitif et de démantèlement des quatre usines
d'enrichissement militaire du site de Pierrelatte, ainsi que de leurs
installations associées.
Les principes définis dans ce protocole doivent permettre de
réaliser le démantèlement des installations
correspondantes dans les meilleures conditions de sécurité, de
coût et de délai, tout en utilisant au mieux les moyens et les
compétences du personnel de COGEMA.
Dans ce cadre, le CEA, propriétaire des installations et agissant pour
le compte du ministère de la Défense, assure la maîtrise
d'ouvrage du programme. Il contrôle à ce titre la
réalisation confiée au maître d'oeuvre, de façon
à s'assurer du respect des objectifs contractuels de performance,
coût et délai. COGEMA, exploitant nucléaire du site de
Pierrelatte, en est le maître d'oeuvre et assure, à ce titre, la
gestion et la conduite du programme. COGEMA sera également le
fournisseur principal dans la réalisation du programme."
Il faut noter que, dans les années 1980, trois autres usines (basse,
moyenne et très haute, appartenant au même ensemble) avaient
déjà été fermées et se trouvent aujourd'hui
dans la situation de "mise à l'arrêt définitif".
L'usine haute, la dernière usine d'enrichissement d'uranium à des
fins militaires, est aujourd'hui également arrêtée, les
opérations de mise à l'arrêt définitif et de
récupération des matières nucléaires devant se
terminer à la fin de l'année 1997. Les travaux sont
confiés à la COGEMA, devenue simple prestataire de services.
C'est également la COGEMA qui doit conduire le chantier de
démantèlement qui devrait commencer en 1998 pour une durée
de six à sept ans, le coût de l'ensemble des travaux étant
estimé, aujourd'hui, à plus de 1,8 milliard de francs.
La rapidité d'exécution de ces travaux dépendra
étroitement de l'évolution des budgets de la Défense
nationale mais il y a des opérations, nécessaires pour assurer la
sécurité du site, qui ne pourront de toute façon pas
être différées.
A/ Les déchets générés par le démantèlement des usines d'enrichissement
La décontamination doit tout d'abord permettre
d'enlever, par trempage, tout l'uranium présent dans les installations.
L'uranium résiduel ainsi récupéré, ainsi que
l'uranium déjà enrichi représentant "l'en cours" de
fabrication, constitueront un stock restant à la disposition de la
Défense nationale et ne peuvent donc pas être
considérés comme des déchets.
Les opérations de démantèlement proprement dites des
usines d'enrichissement devraient, selon la DAM, produire les déchets
suivants :
- Métaux non contaminés
. aciers des structures : 15 000 tonnes
. cuivre : 700 tonnes
- Déchets destinés à l'ANDRA
. fûts de 200 litres : de 10 000 à
15 000 fûts (dont 5 000 fûts de déchets
technologiques)
- Déchets très faiblement radioactifs (TFA) de moins d'un
Becquerel par gramme : 11 700 tonnes.
Le problème de l'évacuation des barrières qui servaient
à la séparation isotopique qui ne sont pas mentionnées
dans le tableau ci-dessus va se poser car, selon les informations recueillies
sur place, celles-ci, qui devraient normalement être
considérées comme un déchet, continuent à
être couvertes par le secret défense et devraient donc pour le
moment rester sur place.
Aux déchets issus du démantèlement s'ajoutent les
déchets d'exploitation et de maintenance entreposés sur le site
et que l'ANDRA a répertoriés dans son dernier inventaire (voir
tableau ci-après).
B/ L'entreposage de l'uranium appauvri
La séparation isotopique de l'uranium naturel conduit
à produire d'importantes quantités d'uranium appauvri
composé principalement d'uranium 238, qui constitue un sous-produit
sans utilité dans les conditions actuelles des techniques.
Pour obtenir un kilo d'uranium enrichi à 90 %, il faut en effet
utiliser 212 kg d'uranium naturel, ce qui conduit en fin de processus
à la production de 211 kg d'uranium appauvri.
Selon certaines sources, il faudrait en moyenne 15 kg d'uranium enrichi
pour fabriquer une tête nucléaire. Si la France a, selon les
indications données par le Président de la République lors
d'une conférence de presse en 1993, environ 600 têtes
nucléaires auxquelles il faut ajouter les 192 utilisées lors
des essais, on peut estimer que les seules activités militaires
d'enrichissement auraient conduit à produire plus de
2 500 tonnes d'uranium appauvri.
L'uranium appauvri, qu'il provienne des activités d'enrichissement
civiles ou militaires, est actuellement "entreposé" sur le site de
Pierrelatte sous forme d'hexaflorure d'uranium (UF 6) ou d'oxyde d'uranium
(U3 O8).
Selon la COGEMA, il faut bien parler d'entreposage et non de stockage car
l'uranium appauvri ne serait pas un déchet, l'inventaire des
déchets radioactifs de l'ANDRA ne comporte d'ailleurs aucune indication
sur cet entreposage.
Un document de la COGEMA, intitulé "L'entreposage de l'oxyde d'uranium
appauvri", précise que
"l'oxyde d'uranium appauvri est une
véritable matière première valorisable par l'application
à l'échelle industrielle de nouvelles techniques d'enrichissement
en cours d'étude ou lorsque les auditions du marché le
permettront"
.
De fait, il est probable que les nouvelles techniques d'enrichissement, en
particulier par laser, actuellement en cours de développement,
pourraient permettre de faire ressortir de l'uranium appauvri les quelques
quantités d'uranium 235 qui s'y trouvent encore mais, pour le
moment, ce sous-produit reste entreposé sur place après
récupération du fluor contenu dans l'UF 6 pour obtenir,
d'une part, de l'acide fluorhydrique qui sera utilisé et, d'autre part,
de l'oxyde d'uranium U3 O8 plus facile à conserver. L'UF 6 est
en effet très corrosif et réagit en présence de
l'eau ; il doit donc être conservé dans des conteneurs
spéciaux qui nécessitent un entretien régulier,
onéreux et qui mobilisent des surfaces très importantes.
En 1990, le site de Pierrelatte avait été autorisé
à entreposer 100 000 tonnes d'uranium sous forme d'UF 6.
Nous n'avons pas d'information sur les limites d'entreposage de l'U3 O8
mais, en 1993, une publication de la COGEMA
33(
*
)
notait déjà que
"les
capacités d'entreposage liées à cette usine W (de
transformation de l'UF 6 en U3 O8) sont aujourd'hui
insuffisantes"
.
La COGEMA avait envisagé de transférer ces produits sur un site
à Miramas mais l'arrêté préfectoral a
été annulé par le tribunal administratif. La COGEMA a
alors proposé de créer un centre d'entreposage sur le carreau
d'une ancienne usine de concentration de minerai d'uranium à Bessines,
ce qui aurait permis de maintenir quelques personnes en activité
après l'arrêt de l'extraction et du traitement du minerai. Comme
on pouvait s'y attendre, ce projet a été très vivement
attaqué par les associations écologistes qui ont introduit des
recours contre l'arrêté préfectoral autorisant
l'opération. En juin 1996, le tribunal administratif de Limoges a
rejeté la requête des écologistes mais les oppositions au
projet sont toujours aussi virulentes même si elles n'émanent que
d'une minorité de la population.
Il faut reconnaître, sans vouloir entrer dans les polémiques
entretenues par les opposants au nucléaire, que cette affaire n'est pas
très claire.
Selon la COGEMA, en effet, l'uranium appauvri ne constitue pas un
déchet. La loi du 13 juillet 1992 relative à
l'élimination des déchets est cependant fort explicite à
ce sujet :
"Est considéré comme un déchet ultime,
un déchet qui n'est plus susceptible d'être traité dans les
conditions techniques et économiques du moment."
Si on se
réfère à cette loi, l'uranium appauvri est bien un
déchet puisque ses détenteurs n'en ont aucune utilisation
possible "dans les conditions techniques et économiques du moment".
De toute façon, si l'uranium appauvri avait un quelconque
intérêt économique dans un avenir prévisible, on le
conserverait sous sa forme primitive d'UF 6 et on n'engagerait pas des
frais certainement élevés pour le transformer en un
composé
"extrêmement stable"
destiné à un
"stockage de très longue durée"
.
34(
*
)
De la même manière, si ce sous-produit était
véritablement réutilisable, il serait inutile de le
transférer de la Vallée du Rhône jusque dans le Limousin.
Il serait préférable de la laisser à proximité des
usines où il serait susceptible de subir un deuxième cycle
d'enrichissement.
En fait, tout repose sur la définition du déchet. Selon les
normes actuelles, un produit actuellement inutilisable et pour lequel on
recherche un site de stockage à très long terme ne constitue pas
un déchet s'il existe une possibilité, même très
hypothétique, de le voir un jour revenir comme matière
première.
En revanche, si cette possibilité ne se réalise jamais, cette
matière première se trouvera alors reléguée au rang
de déchet ultime.
Deuxième partie :
LES ESSAIS
NUCLÉAIRES
Une remarque liminaire s'impose : il n'entrait pas dans
le cadre de ma mission de rapporteur d'un Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de porter un
quelconque jugement sur la politique de défense qui a été
suivie pendant les quarante dernières années.
Qu'on approuve ou non cette politique, les faits sont là : la
France a procédé à plus de 200 explosions
expérimentales et ces essais ont conduit inévitablement à
la dispersion de substances radioactives dans l'environnement et à la
production de déchets qui vont subsister pendant des siècles,
quand ce n'est pas pendant des millénaires.
Notre responsabilité est donc, aujourd'hui, de nous assurer que les
conséquences de ces essais nucléaires seront les plus faibles
possibles sur l'environnement et sur la santé humaine, et que les
déchets seront gérés au mieux pour préserver les
conditions de vie des générations futures.
Nous sommes les héritiers d'une situation que nous n'aurions
peut-être pas souhaitée mais, bon gré mal gré, nous
devons désormais en supporter les conséquences et réparer,
dans la limite du possible, les erreurs qui ont pu être commises dans les
premiers temps de l'utilisation de l'atome, que ces utilisations aient
été civiles ou militaires.
Chapitre I
POURQUOI A-T-ON PROCÉDÉ
À DES ESSAIS
D'ARMES NUCLÉAIRES ?
Depuis janvier 1994, dans le cadre de la Conférence du
désarmement des Nations-Unies, des négociations ont
été conduites en vue de la conclusion du Traité
d'Interdiction Complète des Essais Nucléaires.
Malgré la complexité des négociations, on peut aujourd'hui
raisonnablement espérer qu'on n'assistera plus, dans aucune partie du
monde, à une reprise des explosions même pour des essais d'armes
de très faible énergie.
La France, qui a signé, en 1996, le Traité d'Interdiction
Complète des Essais Nucléaires, a commencé
immédiatement à démanteler le Centre
d'Expérimentations du Pacifique, opération qui sera très
prochainement achevée.
Cela ne veut malheureusement pas dire que la France comme les autres puissances
va renoncer à son armement nucléaire, cela signifie simplement
que l'on dispose désormais de techniques de simulation qui permettent de
faire l'économie des essais en puissance réelle.
La mise en oeuvre du programme de simulation devrait en effet permettre
d'obtenir, en laboratoire, des informations qui ne pouvaient être
obtenues jusqu'ici que par l'expérimentation directe.
Si la simulation est aujourd'hui possible, c'est en grande partie grâce
aux progrès enregistrés dans la capacité des ordinateurs,
mais c'est surtout grâce à la mise au point du laser
mégajoule qui permet l'inflammation et la combustion de matières
thermonucléaires à une micro-échelle.
Ce programme de simulation, qui devrait débuter en 2006 à
puissance réduite puis en 2010 à pleine puissance, est
très ambitieux et dès lors très coûteux puisqu'il
pourrait, selon les estimations actuelles, s'élever à près
de 16 milliards de francs.
Si on a procédé jusqu'à maintenant à des essais en
vraie grandeur, c'est que les phénomènes extraordinairement
complexes qui régissent le fonctionnement des armes nucléaires ne
pouvaient être étudiés qu'au cours d'expériences
permettant d'obtenir des températures, des pressions et des vitesses
comparables à celles qu'on aurait obtenues en faisant exploser une arme
réelle.
A partir du moment où la France avait décidé de se doter
d'armes nucléaires, les essais étaient nécessaires.
Comme le notait M. Lucien Michaud, un des responsables de la Direction des
Applications Militaires (DAM) du CEA
35(
*
)
:
"Un engin nucléaire est un objet trop
complexe pour être simplement conçu par le calcul sans aucune mise
au point expérimentale. Sans confirmation possible par
l'expérience, aucune innovation scientifique ou technologique n'aurait
pu être introduite dans les armes dont nous disposons, aucune arme
nouvelle n'aurait pu être créée."
Il faut d'ailleurs remarquer que tous les pays qui se sont dotés de
l'arme atomique ont procédé à de multiples essais :
- 1 057 aux Etats-Unis,
- 715 en URSS,
- 45 en Grande-Bretagne,
- 46 en Chine.
Avec les 210 essais français, on arrive ainsi à un total de
plus de 2 000 explosions expérimentales dans le monde.
Comme dans tous les autres secteurs de la recherche, les résultats des
expériences ont servi à concevoir des engins plus puissants, plus
précis ou répondant mieux aux attentes des utilisateurs et, dans
ce cas particulier, aux demandes spécifiques des militaires.
L'énergie dégagée par une explosion n'est, de fait, pas le
seul paramètre intéressant. Les moyens de mesure de plus en plus
sophistiqués qui ont été utilisés permettaient en
effet d'obtenir de nombreuses autres indications telles que la
température, la pression, les flux de déplacement des
éléments ou encore les réactions de ces différents
éléments entre eux. Tous ces paramètres scrupuleusement
enregistrés devaient permettre, une fois comparés aux
prévisions théoriques, soit de valider soit de modifier les
processus de fabrication des armes.
Engagées dans une course sans fin pour augmenter la puissance de leurs
armes, les grandes puissances ne pouvaient pas renoncer aux essais. A partir du
moment où on acceptait de rentrer dans une logique de compétition
entre états et entre blocs, il fallait obligatoirement faire progresser
la puissance et l'efficacité de ses armes pour ne pas prendre de retard
sur les autres.
Ainsi la France, en une trentaine d'années, est passée de la
simple bombe A aux bombes à fission renforcée pour en
arriver comme les autres aux bombes H utilisant les réactions
thermonucléaires. Dans le même temps, notre pays a dû
également s'adapter à l'évolution des différents
vecteurs : bombardiers, fusées à moyenne puis à
longue portée, sous-marins lance-missiles, chars Pluton, ..., et
pour chacun des types d'armes adaptées aux différents vecteurs,
des essais spécifiques ont dû être organisés.
Malgré les précautions prises, il est indéniable que
tous ces essais ont entraîné des retombées radioactives et
ont généré des déchets. La seule manière
d'éviter les conséquences écologiques et sanitaires de ces
essais aurait été de renoncer aux armes nucléaires. Il
aurait fallu pour cela initier une autre politique de défense, mais ceci
relève d'un autre débat qui n'a pas sa place dans le
présent rapport.
Comme l'ensemble de ces recherches a été et reste encore
aujourd'hui couvert par le "secret défense", on ne peut
qu'espérer que tous les essais ont été réellement
utiles sans toutefois pouvoir en apporter la preuve.
La polémique sur la reprise des essais nucléaires français
en 1995 a bien montré qu'il est quasi impossible d'avoir sur ce sujet
une position scientifiquement établie si on ne fait pas partie du
cénacle restreint des spécialistes de la Direction des
Applications Militaires du CEA (DAM).
Le contrôle démocratique de ces activités est assez
illusoire, on est en effet obligé soit de faire confiance aux seuls
experts agréés, soit de remettre en cause en bloc tout le
système.
Malgré une indéniable bonne volonté des militaires de la
DIRCEN et des experts de la DAM, nous avons dû, nous aussi, nous
contenter des rares sources d'information publiées et en particulier des
trois tomes réalisés sous le timbre conjoint de la DIRCEN et du
CEA/DAM, intitulés "Les atolls de Mururoa et de Fangataufa", le
premier
tome de cet ouvrage collectif traitant de la géologie, de la
pétrologie et de l'hydrogéologie de ces atolls, le
deuxième tome plus spécifiquement des expérimentations
nucléaires et le troisième du milieu vivant et de son
évolution.
Le quatrième et dernier tome qui devait être publié en 1997
aurait dû traiter
"du bilan de la radioactivité sur les sites
et en Polynésie française, du suivi médical des personnels
ayant travaillé ou séjourné sur les sites"
; il
aurait par conséquent constitué une source de renseignements
très utile pour notre enquête. Sa parution ne semble toutefois
plus être à l'ordre du jour et certains estiment même que
l'ouvrage devrait s'en tenir aux trois tomes déjà parus.
On ne peut que le regretter. La qualité scientifique des trois premiers
tomes et, il faut le reconnaître, un certain souci de la
vérité qui avait présidé à leur
rédaction, laissaient espérer que nous pourrions disposer
d'informations officielles sur les points qui restent les plus sensibles dans
l'opinion publique. Il serait vraiment dommage, surtout après
l'arrêt définitif des essais, que les pouvoirs publics n'acceptent
pas de faire un bilan sérieux de leurs conséquences sur
l'environnement et éventuellement sur la santé humaine.
Il faut toutefois reconnaître que la France a demandé qu'une
mission d'experts de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA)
enquête à Mururoa et à Fangataufa. Cette mission
présidée par une personnalité américaine
incontestée, Mme Gail de Planque, ancien membre de la NRC, remettra
en principe ses conclusions au début de l'année 1998.
Au cas où le rapport de l'AIEA révélerait des faits
graves ou en totale contradiction avec les positions officielles, je prends
dès aujourd'hui l'engagement de proposer à l'Office de rouvrir ce
dossier et d'organiser un débat public et ouvert à la presse
comme ceux qui ont déjà eu lieu sur des sujets sensibles tels que
les nouvelles normes de radioprotection ou le fonctionnement de
Superphénix.
J'ai, pour éviter toute confusion des genres, volontairement
renoncé à rencontrer les experts de l'AIEA. Ceux-ci doivent en
effet pouvoir travailler en toute indépendance, mais nous nous
réservons la possibilité, le cas échéant, de leur
demander de venir éclairer la représentation nationale
française une fois leur rapport publié.
De 1960 à 1996, la France aura procédé à plus de
200 essais nucléaires sur trois sites différents et avec des
techniques variées puisque toutes les solutions connues ont
été successivement utilisées : tirs à partir
d'une tour, en galerie, sur des barges flottantes, sous ballons captifs et
enfin tirs souterrains au fond de puits de grande profondeur.
Officiellement, ces évolutions dans les techniques de tir ont
été justifiées par le souci de réduire au maximum
les conséquences des essais sur l'environnement et sur la santé
humaine. En réalité, on s'aperçoit qu'il a fallu aussi
très largement tenir compte des circonstances politiques et en
particulier de la pression des Etats voisins des polygones de tir, pression qui
n'a jamais cessé pour atteindre son paroxysme lors de la reprise des
essais en 1995.
Dès le départ, les essais nucléaires français ont
eu des répercussions, souvent difficiles à gérer, sur
l'environnement diplomatique de la France qui a dû, à de
nombreuses reprises, s'opposer à des pays amis et en particulier
à des puissances qui avaient elles-mêmes procédé
à des essais ou qui avaient accepté d'en accueillir sur leur sol.
En revanche, la contestation intérieure est toujours restée
très limitée et n'a, en tout cas, jamais atteint la grande masse
de la population. Le problème des conséquences des essais
nucléaires est resté quasiment ignoré du grand public qui
n'y a attaché qu'une importance toute relative, peut-être parce
que les champs de tirs utilisés se trouvaient très
éloignés de la Métropole. La seule véritable
contestation a en effet été le fait d'une partie de la population
de la Polynésie française qui aurait pu se trouver directement
concernée par les retombées éventuelles de ces
expériences.
Chapitre II
LES PREMIERS ESSAIS FRANÇAIS AU
SAHARA :
1960-1966
En 1957, lorsqu'il est apparu qu'il était désormais indispensable de procéder à des expérimentations en vraie grandeur, le Commandement Interarmées des Armes Spéciales décida de créer un champ de tir à Reggane, au centre du Sahara et à 700 kilomètres au sud de Colomb-Béchar.
1°/ LES ESSAIS AÉRIENS À REGGANE
Le premier essai, Gerboise bleue du 13 février 1960,
ainsi que les trois suivants : Gerboise blanche du 1er avril 1960,
Gerboise rouge du 27 décembre 1960 et Gerboise verte du 25 avril 1961,
ont été effectués à partir d'une tour. Selon
certaines indications, et en particulier celles du physicien Yves Rocard qui
assistait à ces expériences
36(
*
)
, les
explosions
"eurent lieu à
100 mètres d'altitude, la moitié supérieure de la
boule de feu orientée vers l'air libre et la moitié
inférieure vers le sol tout proche"
.
S'ils ont bien été réalisés dans ces conditions,
les quatre essais aériens de Reggane ont été à
l'évidence très polluants.
En effet, de l'aveu même des autorités responsables des
essais :
"Pour des explosions à faible altitude, la terre,
l'eau, des débris divers sont aspirés et forment une colonne
verticale entre le sol et la sphère de gaz chauds qui prend l'aspect
d'un nuage."
37(
*
)
Les aérosols fortement radioactifs produits par l'explosion restent en
suspension dans la troposphère ou dans la stratosphère pendant
des années mais
"les fractions lourdes, aérosols d'un
diamètre supérieur à 50 microns, se déposent
assez rapidement..."
37
Le rapport annuel du CEA de 1960 montre d'ailleurs l'existence d'une zone
contaminée de 150 km de long environ et les instructions remises
aux participants de l'opération Gerboise bleue précisaient bien
les conditions dans lesquelles on pouvait entrer et sortir de
"la zone
contaminée"
.
38(
*
)
Cela confirme
bien que certaines régions proches du lieu du tir devaient receler une
dose significative de radioactivité.
A notre connaissance, l'Algérie, depuis son indépendance, n'a
jamais fourni d'information sur une éventuelle pollution radioactive de
la région de Reggane. Il est vrai que la puissance des vents sahariens
et les phénomènes d'érosion ont dû disperser les
éléments radioactifs sur une très grande surface, ce qui
rendrait aujourd'hui les contrôles pratiquement inopérants.
2°/ LES ESSAIS EN GALERIE AU HOGGAR
En 1961, on décida d'abandonner les essais
aériens à Reggane. La position de la France devenait de plus en
difficile car les trois autres puissances nucléaires de l'époque,
Etats-Unis, URSS et Grande-Bretagne, avaient, dès 1958,
décidé de suspendre leurs essais.
Les tirs aériens français faisaient dès lors l'objet de
critiques de plus en plus vives de la part des pays africains situés
à la périphérie du Sahara. Ceux-ci ne comprenaient pas en
effet qu'on continue à utiliser une technique à l'évidence
polluante malgré toutes les précautions prises pour minimiser les
retombées.
Les responsables des essais décidèrent donc, à cette
époque, de s'orienter vers des tirs souterrains qui devaient permettre
de "piéger" dans la roche la plus grande partie des
éléments radioactifs produits par les explosions. La solution
retenue fut celle de tirs en galerie, celles-ci étant creusées
horizontalement dans un massif granitique du Hoggar, le Tan Afella.
Les engins à tester étaient placés au fond de galeries
horizontales
"longues de 800 à 1 200 mètres à
partir de leur entrée au niveau de la plaine"
39(
*
)
. Ces galeries se terminaient en colimaçon pour
casser le souffle des explosions et étaient refermées par un
bouchon de béton.
La sécurité des explosions était de cette façon
notablement améliorée puisqu'une grande partie de la
radioactivité restait contenue dans la cavité formée par
le tir.
Elle n'était cependant pas totale, les produits de fission volatiles ou
gazeux pouvaient en effet s'échapper sous l'effet de la pression, soit
par la galerie principale, soit par les conduits annexes utilisés pour
le passage des câbles des systèmes de mesure et de contrôle.
C'est ce qui devait arriver le 1er mai 1962, où un nuage radioactif
s'est échappé de la galerie de tir :
"on a vu ainsi
sortir de la base même de la montagne un minuscule nuage tout rouge qui
grossit rapidement, le nuage s'en vint à passer sur un
dépôt de vieux pneus qui prirent feu aussitôt ajoutant une
âcre fumée noire à ce qui s'échappait de la
montagne"
.
40(
*
)
Un certain nombre de personnalités, dont deux ministres, qui assistaient
aux essais, ainsi que plusieurs militaires, durent être
décontaminés bien que les autorités aient toujours soutenu
que le taux maximum de radioactivité n'avait jamais
dépassé les limites admises pour les professionnels
exposés.
De novembre 1961 à février 1966, treize tirs en galerie ont
été effectués. Ce système semblait donner toute
satisfaction mais les accords d'Evian ayant prévu que la France devait
abandonner ses expériences au Sahara, la France a dû se mettre
à la recherche d'un autre site.
Sur la question des déchets qui auraient pu résulter des
campagnes d'essais réalisés au Sahara, il n'existe aucune
donnée précise. Les installations ont certainement
été démantelées mais, comme le regrette Bruno
Barillot :
"Peu de détails ont été donnés
sur la nature de ce démantèlement, sur les éventuelles
opérations de décontamination effectuées sur le site, la
destination des déchets produits au cours des expériences et par
les opérations de démantèlement"
.
41(
*
)
Après sept années d'expériences diverses, les deux sites
de Reggane et d'In Eker ont été remis à
l'Algérie sans qu'aucune modalité de contrôle et de suivi
de la radioactivité n'ait été prévue. Les
circonstances politiques qui ont conduit à l'abandon de ces deux sites
peuvent expliquer l'indifférence avec laquelle on a alors traité
ces problèmes. Il n'en demeure pas moins qu'on a fait preuve d'une
certaine légèreté, pour ne pas dire plus ; même
si les régions en cause sont très peu peuplées, les
quelques nomades qui y vivent ou qui y passent auraient pu avoir droit à
un peu plus de considération.
Chapitre III
LE CENTRE D'EXPÉRIMENTATIONS DU
PACIFIQUE :
1966-1996
Déterminée à poursuive les essais
nucléaires mais obligée de quitter le Sahara, la France devait
impérativement trouver un nouveau site qui réponde à un
certain nombre de conditions et qui soit en particulier vide de population et
éloigné de toute grande concentration urbaine.
Dès 1962, en prévision de ce transfert, le Centre
d'Expérimentations du Pacifique (CEP) avait été
créé et les atolls de Mururoa et de Fangataufa avaient
été retenus comme sites potentiels. En janvier 1964 avait
également été créée la Direction des Centres
d'Expérimentation Nucléaire (DIRCEN) qui devait être
chargée de la construction puis de l'exploitation de ces deux nouveaux
sites de tir.
En février de cette même année, la Commission permanente de
l'Assemblée territoriale de Polynésie cède gratuitement
à la France les deux atolls de Mururoa et Fangataufa dans les conditions
suivantes :
"Art. 1 - Sont cédés gratuitement, en toute
propriété, par le Territoire à l'Etat, pour les besoins du
Centre d'Expérimentations du Pacifique, les atolls domaniaux de Mururoa
et de Fangataufa, situés dans l'Archipel du Tuamotu.
Cette cession est consentie sous la réserve que l'Etat fera son affaire
personnelle, au nom et pour le compte du Territoire qui lui donne tous les
pouvoirs à cet effet, de l'éviction éventuelle de la
société Tahitia, actuelle locataire de l'atoll de Mururoa, sans
que ledit Territoire puisse être inquiété, ni mis en cause
à cette occasion.
En cas de cessation des activités du Centre d'Expérimentations du
Pacifique, les atolls de Mururoa et de Fangataufa feront d'office retour
gratuit au domaine du Territoire dans l'état où ils se trouveront
à cette époque, sans dédommagement ni réparation
d'aucune sorte de la part de l'Etat.
Les bâtiments qui s'y trouveront édifiés à cette
même époque ainsi que le matériel laissé sur place
deviendront propriété du Territoire sans indemnité..."
Ce document manifestement rédigé à la hâte, son
style en atteste, n'a pas été soumis à l'Assemblée
territoriale et n'a été adopté, au sein de la Commission
restreinte, que par trois voix contre deux.
Il faut également remarquer que la cession des atolls a
été formalisée en février 1964 alors que
l'occupation avait commencé dès 1963, le site de Mururoa ayant
été initialement loué à une petite
société tahitienne d'exploitation du coprah.
Si le transfert de propriété a été aussi facile,
c'est en effet en grande partie parce que ces deux îles n'étaient
que très épisodiquement occupées (quelques semaines par
an) par des travailleurs chargés de récolter le coprah. Trop
isolés et manquant d'eau potable, les deux atolls de Mururoa et de
Fangataufa n'ont jamais connu de peuplement permanent, contrairement à
ce qui s'est passé avec les centres d'expérimentation
américains dans les îles du Pacifique. Il n'y a donc pas eu
d'expulsion de population et, par voie de conséquence, pas d'anciens
habitants en droit de réclamer une quelconque indemnité
d'expropriation.
Comme on le verra à la fin de ce chapitre, l'imprécision, pour ne
pas dire plus, de l'acte de cession ne facilite pas, en revanche, les
conditions de retour au Territoire de Polynésie français des
anciennes installations du CEP.
1°/ LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES UTILISÉES POUR LES ESSAIS AÉRIENS
Alors que la France avait déjà
l'expérience des essais souterrains en galeries, les premières
expériences réalisées à Mururoa et à
Fangataufa le seront soit à partir d'une barge flottant au milieu de
l'atoll, soit sur la terre ferme, soit encore dans la dernière
période à partir de ballons captifs ou d'avion.
Comment peut-on justifier l'abandon des essais souterrains qui permettent de
confiner la radioactivité au profit d'essais réalisés dans
l'atmosphère et qui entraînent obligatoirement la dispersion d'une
grande quantité d'éléments radioactifs ?
Il semble que la seule explication valable soit l'impossibilité
technique à laquelle étaient confrontés les responsables
du CEP qui ne disposaient pas, dans les années 1960, des moyens
nécessaires pour forer des puits de tir à grande profondeur.
Le retour aux tirs en galerie a un temps été envisagé et
des travaux d'exploration ont même été entrepris dans
l'île d'Eiao au nord de l'Archipel des Marquises
42(
*
)
mais les difficultés de liaison entre cette
île et Tahiti et l'inadaptation de la géologie ont rapidement
conduit à abandonner ce projet.
A/ Les essais sur barge
En 1966 et en 1967, quatre essais ont été effectués à partir de barges ancrées dans le lagon. Ces barges placées devant un blockhaus abritant le matériel d'enregistrement et de contrôle étaient entièrement détruites à chaque expérimentation, ce qui obligeait à mettre en place de nouvelles structures à chaque opération. De l'avis des spécialistes, ce sont ces tirs sur barges qui ont entraîné la plus importante contamination des sites : "Le tir sur barge a l'inconvénient d'entraîner une contamination locale suffisante pour gêner la reprise des travaux sur l'atoll..." 43( * ) Le Directeur des services de protection radiologique du CEA reconnaissait d'ailleurs que : "Si nous n'avions pas effectué de tirs sur barge, nous aurions aujourd'hui des lagons impeccables." 44( * )
B/ Les largages à partir d'avions
En 1966, 1973 et 1974, trois expérimentations ont été effectuées à partir d'avions en vol dans des zones éloignées de Mururoa respectivement de 85, 26 et 17 kilomètres. Ces essais avaient l'avantage de reproduire assez exactement les conditions réelles d'utilisation des armes nucléaires.
C/ Les essais de sécurité
Peu d'informations sont disponibles sur cette catégorie
d'essais destinée à s'assurer que les armes nucléaires ne
s'amorceraient pas d'elles-mêmes pendant les périodes de stockage
et de transport. Il est donc nécessaire de vérifier que les
charges, surtout quand elles sont embarquées à bord d'avions,
sont "autosûres" et qu'elles n'exploseront pas de façon
accidentelle, tout en conservant leurs capacités d'utilisation.
Si ces essais de sécurité ne provoquent pas, en principe, de
déclenchement de la réaction en chaîne, ils peuvent
néanmoins entraîner une certaine dispersion des matières
fissiles qui composent les engins à tester.
Selon certaines sources, le CEP aurait
"exécuté douze
expérimentations de ce type à Mururoa"
45(
*
)
mais, selon d'autres, quinze essais de ce type
auraient, en fait, été effectués.
Apparemment, ces essais ont été effectués sur le sol des
atolls, puis en sous-sol, et un ouvrage récent, pourtant peu critique
envers l'activité du CEP, révèle que :
"Cinq
essais de sécurité eurent ainsi lieu dans la zone appelée
Colette, à Mururoa. Si les réactions en chaîne ne se
produisirent pas, ce dont on se doutait d'ailleurs, en revanche, la dispersion
d'éléments radioactifs dangereux composant les charges
nucléaires, comme le plutonium, fut très importante, et
l'intégralité de la zone dut être bitumée par la
suite pour être réutilisée."
46(
*
)
D/ Les essais sous ballons captifs
Les essais à partir des barges s'étant
révélés particulièrement polluants, les
responsables du CEP ont alors cherché un moyen de réduire
l'impact des essais aériens.
En effet, si le tir est effectué sur le sol ou à partir d'une
barge, la boule de feu créée par l'explosion, qui peut atteindre
jusqu'à 500 mètres de rayon pour les engins les plus
puissants, se heurte aux matériaux présents et à l'eau du
lagon qui sont alors vaporisés et mélangés aux gaz chauds.
Si on arrive à faire exploser l'engin à une hauteur suffisante et
en tout cas supérieure au rayon de la boule de feu, il n'y a pas
d'interaction avec le sol ou avec l'eau, ce qui limite les retombées
radioactives.
Pour réaliser ces essais en hauteur, on a fait appel à une
technologie quelque peu oubliée, celle des ballons captifs. De l'aveu
même des responsables du CEP, ce ne fut pas sans mal car la stabilisation
d'un ballon à une altitude qui variait de 200 à
800 mètres devait être parfaite pour que les
différents dispositifs de mesure puissent fonctionner correctement.
Le premier essai d'un engin thermonucléaire, Canopus, a
été effectué sous ballon le 24 août 1968
à Fangataufa et selon le Professeur Yves Rocard,
"à une
altitude de 500 mètres ou plus"
. Cette altitude,
"pour une
bombe thermonucléaire qui dépasse la mégatonne,
était à peu près correcte pour tirer des bombes aussi
propres que possible"
.
47(
*
)
2°/ LE RETOUR AUX ESSAIS SOUTERRAINS
Comme cela s'était déjà produit au
Sahara, les essais aériens français dans le Pacifique ont
déclenché de très vives réactions chez
différents Etats de cette région.
Les protestations de ces Etats, dont certains, comme l'Australie, avaient
pratiqué ou accueilli des essais nucléaires aériens,
étaient très certainement disproportionnées par rapport
aux dangers réels. Il faut en effet rappeler que, par rapport à
Mururoa :
- la Nouvelle-Zélande se trouve à 4 700 km,
- l'Australie à 6 900 km,
- le Pérou à 6 600 km,
- et les Etats-Unis à plus de 6 500 km.
Même si le gouvernement français a toujours
considéré ces protestations comme dénuées de toute
base scientifique, il a été amené à renoncer
à nouveau aux essais aériens et à revenir en 1975 à
des tirs souterrains.
Depuis 1971, cette possibilité était à l'étude mais
elle posait des problèmes financiers et techniques difficiles à
résoudre.
La création d'un champ de tir aux Marquises ou en Métropole ayant
été abandonnée, la seule solution qui restait était
d'organiser les tirs souterrains à partir des deux atolls
déjà utilisés pour les essais aériens. Quand on
voit sur place l'étroitesse de la bande de terre émergée,
on comprend qu'il s'agissait là d'un véritable défi
technique dont les conséquences n'avaient certainement pas, au
départ, été toutes parfaitement prévues.
Si les Américains et les Russes avaient pu disposer de vastes
étendues désertiques dans lesquelles les champs de tir proprement
dits ne représentaient qu'une très faible surface, il fallait en
effet, à Mururoa, faire cohabiter sur quelques kilomètres
carrés à la fois les polygones de tir, les équipements de
surveillance et de mesure et la base de vie sur laquelle devaient
séjourner plusieurs milliers de personnes : militaires, techniciens
du CEA et employés polynésiens.
Mais, plus que la question de place, c'est la géologie même des
atolls qui a suscité le plus d'interrogations et de craintes.
A/ La structure géologique des atolls
Comme tous les autres atolls du Pacifique, les îles de
Mururoa et de Fangataufa ont été constituées sous l'effet
de phénomènes volcaniques.
Leur formation est, en effet, désormais attribuée à
l'existence de "points chauds" qui, en générant du magma, ont peu
à peu créé un édifice volcanique solidaire du
plancher océanique.
Lorsque cet édifice a été proche de la surface de la mer,
des éruptions explosives ou simplement effusives ont accumulé des
matériaux sur le socle original, ce qui a fini par former des massifs
volcaniques émergés du type de ceux qui existent dans les
"îles hautes" comme Tahiti ou Bora-Bora.
Dans d'autres cas cependant, la dérive de la plaque océanique a
décalé les points chauds par rapport aux massifs volcaniques
qu'ils avaient créés avant que ceux-ci aient atteint une taille
très importante. Dès lors, l'érosion aurait
condamné ces îles à la disparition si les coraux n'avaient
pas entrepris une seconde phase d'édification.
En simplifiant un peu, on peut donc considérer que les atolls du type de
ceux de Mururoa et de Fangataufa sont constitués de trois formations
géologiques différentes :
- du fond de l'océan à quelques centaines de mètres
au-dessous du niveau de la mer, il existe une première formation due au
volcanisme sous-marin constituée de basaltes ou de roches qui en
dérivent ;
- au-dessus se trouve une deuxième couche qui a été
constituée par le volcanisme aérien ;
- et enfin la partie supérieure, sur une épaisseur qui varie
de 130 à 450 mètres à Mururoa, est constituée
d'une couverture carbonatée (calcaires et dolomites) composée de
débris d'organismes vivants qui se sont accumulés, au fil des
siècles, sur les formations sous-jacentes.
Contrairement aux essais aériens où l'on compte sur la dispersion
de la radioactivité, la logique des tirs souterrains consiste à
confiner au maximum tous les éléments radioactifs dans la roche
où ces tirs sont effectués. Celle-ci doit donc répondre
à trois conditions précises :
- être susceptible de résister aux chocs résultant des
explosions ;
- ne pas présenter de failles importantes ;
- ne permettre qu'une très faible circulation des eaux.
Selon les responsables du CEP, les études géologiques entreprises
dès le début des essais aériens avaient
démontré que le socle basaltique de ces atolls
"se prête
parfaitement à de telles expériences"
.
48(
*
)
On peut toutefois se demander ce qui serait arrivé si ces
reconnaissances géologiques avaient conduit à conclure que la
géologie de ce site n'était absolument pas appropriée.
Toujours selon les responsables des essais, le premier forage n'a
été, en fait, réalisé qu'en 1974, soit quelques
mois seulement avant le premier tir souterrain. Ce premier forage a
révélé
"la présence dans certaines zones de
niveaux argileux fracturés ou karstifiés, observés lors
des forages de reconnaissance ; et le manque d'expérience sur le
comportement des niveaux massifs ont amené à tuber ce premier
forage sur toute sa hauteur soit environ 600 m"
.
49(
*
)
Certains commentateurs n'ont pas manqué de faire remarquer que la
France, qui ne disposait pas d'autres solutions, devait de toute façon
s'adapter aux conditions géologiques de son seul site disponible et que
les impératifs politiques et économiques devaient finalement
l'emporter sur toute autre considération géologique ou technique.
D'ailleurs, comme le fait remarquer M. Bruno Barillot
50(
*
)
, si des études géologiques ont bien
été entreprises à Mururoa dès l'installation du CEP
sur ce site, il n'en a certainement pas été de même
à Fangataufa car toutes les études citées par la DIRCEN
sur cet atoll sont postérieures à 1988 alors que les deux
premiers essais souterrains à partir de cette île datent de 1975
(Achille 5 juin 1975 et Hector 26 novembre 1975).
B/ Les problèmes posés par les tirs souterrains
Contrairement aux essais aériens où la
dispersion de la radioactivité est censée assurer
l'innocuité des essais, l'objectif principal, en matière de
sécurité, va être pour les expérimentations
souterraines de chercher à confiner au maximum les
éléments radioactifs dans la formation géologique
utilisée.
Cette formation devant être apte à piéger le plus longtemps
possible les radioéléments, il n'était donc pas question
d'utiliser la couche supérieure constituée de calcaires qui
présente des textures diverses parfois très poreuses ou mal
consolidées. Le socle basaltique des atolls a en revanche
été considéré comme ayant
"une
perméabilité très faible"
.
51(
*
)
Les remontées éventuelles de radioactivité ne pouvant se
produire que s'il y a circulation des eaux souterraines, la notion de
perméabilité de la roche est donc essentielle. Or, selon les
géologues :
"la perméabilité des roches
volcaniques est faible à très faible et la vitesse maximale de
circulation de l'eau dans le massif à l'état naturel est de
l'ordre du mètre par an."
52(
*
)
Les conclusions des géologues montrent bien que le basalte est une roche
plutôt favorable pour accueillir les expérimentations souterraines
mais elles soulignent aussi que la circulation des eaux, même dans une
roche d'apparence aussi compacte, n'est jamais nulle et que les
résultats obtenus se réfèrent à
"un état
naturel"
qui ne sera plus celui de la roche après de multiples
explosions.
Un autre avantage des formations basaltiques est également mis en avant
par les responsables des essais et considéré comme
déterminant pour ce genre d'expérimentation : sous l'effet
de la chaleur des explosions, les basaltes fondent et forment des verres qui
piègent la plus grande partie des radioéléments.
La comparaison entre ces verres naturels et ceux qui sont utilisés pour
le conditionnement des déchets nucléaires issus des usines de
retraitement est souvent présentée comme une preuve de la
très grande sécurité de la méthode utilisée.
Selon les responsables des essais, ce serait en effet environ 98 % des
éléments radioactifs d'une période supérieure
à trente ans qui resteraient ainsi piégés dans la roche
fondue au fond de la cavité formée par l'explosion.
La violence de l'explosion entraîne en effet, en quelques fractions de
seconde, la formation d'une vaste cavité (12 mètres de rayon
pour une explosion de 1 kilotonne à - 600 mètres).
Dans un deuxième temps, la roche située à la partie
supérieure de cette cavité s'effondre pour créer ce que
l'on appelle improprement, puisqu'il n'y a pas de débouché
à la surface, une cheminée d'effondrement remplie par les
éboulis rocheux. Cette zone d'effondrement, selon la nature de la roche
et la force de l'explosion, pourrait atteindre de quelques fois le rayon de la
cavité initiale à près de 300 mètres.
Quelle que soit la taille de la chemine d'effondrement, il faut bien entendu
qu'il reste une épaisseur suffisante de roche saine jusqu'à la
surface pour que le confinement des radioéléments reste effectif.
De la même façon, il faut que le bouchon de ciment (de 100
à 200 mètres) qui assure le colmatage du puits soit
suffisant pour empêcher toute remontée des
radioéléments volatiles et gazeux.
Si toutes ces conditions sont remplies, les responsables du CEP estiment que
les résidus piégés dans la lave du fond de la
cavité mettront un temps tel pour revenir dans l'océan ou
à la surface qu'ils seront alors inoffensifs du fait de la
décroissance naturelle de la radioactivité et du faible flux
migratoire des radioéléments.
Le problème qui se posait aux responsables des essais était donc
d'atteindre une profondeur suffisante pour que le tir puisse avoir lieu dans la
formation basaltique en laissant, entre la cavité qui résulterait
de l'explosion et la formation calcaire supérieure, une épaisseur
suffisante de roche saine pour constituer un véritable "couvercle".
Or le puits à réaliser pour permettre la descente des engins
à tester devait avoir de 1,5 à 2 mètres de
diamètre et sur une profondeur de 600 à plus de
1 000 mètres. Ces forages à grand diamètre et
à grande profondeur ont nécessité la construction d'outils
spéciaux, aucune industrie n'utilisant ce genre de technique.
Pour des raisons évidentes de contraintes techniques, les premiers
forages et donc les premières expérimentations ont
été effectués à partir de la zone de terre
émergée qui entoure le lagon central des atolls.
Il fallut cependant rapidement se rendre à l'évidence : la
poursuite de tels tirs allait conduire à une catastrophe. En effet, les
calcaires de la couche superficielle se tassaient et des pans entiers du flanc
de l'atoll se détachaient et glissaient au fond de la mer.
Le tassement de la couronne corallienne n'affectait pas, en principe, les
conditions de sécurité des essais puisque ce
phénomène se limitait aux formations superficielles mais il
risquait à terme d'augmenter l'exposition des installations et des
hommes aux effets des tempêtes, les parties émergées des
atolls ne dépassant que de 2 à 3 mètres au maximum le
niveau de l'océan.
Quant au détachement des couches supérieures des flancs des
atolls, ses conséquences pouvaient être encore plus dangereuses
car il entraînait la formation d'un véritable tsunami. C'est
d'ailleurs ce qui s'est passé en 1979, où la vague
créée par le glissement de plusieurs millions de mètres
cubes de matériaux a submergé une partie de l'atoll de Mururoa.
En conséquence, en 1979, il a été décidé que
les forages seraient désormais effectués au centre de l'atoll,
c'est-à-dire dans le lagon lui-même. Il a fallu pour cela
construire des barges de forage tout à fait spéciales ; ce
sont d'ailleurs ces barges qui viennent d'être achetées par des
Australiens, ce qui est quand même assez surprenant quand on se souvient
des campagnes hystériques des Australiens contre les essais
nucléaires français.
Si le premier tir à partir du lagon a été effectué
en 1981, ce n'est qu'en 1987 que cette technique a pu être
appliquée à la totalité des essais.
3°/ LE STOCKAGE DES DÉCHETS
Les éléments radioactifs qui restent
piégés dans la lave au fond des cavités après les
explosions ne sont pas les seuls déchets radioactifs stockés
à Mururoa. Cet aspect du fonctionnement du CEP, bien que signalé
dans le rapport Atkinson, a, semble-t-il, été longtemps quelque
peu occulté et ce n'est qu'en 1995 que le ministère de la
Défense reconnaîtra dans un document du SIRPA
53(
*
)
qu'il existe deux puits spécialement
creusés pour y enfouir les déchets produits par les manipulations
qui précèdent ou qui suivent les essais.
Bien que stockés ensemble, ces déchets présentent des
différences notables quant à leur origine, leur composition et
leur activité radioactive.
A/ Les déchets technologiques
Comme tous les laboratoires qui manipulent des substances
radioactives, qu'ils soient civils ou militaires, les différentes
installations du CEP ont accumulé, au fil des années, des
déchets dits "technologiques" qui sont constitués par des
équipements usagés (filtres, gants, vêtements de
protection, outillages, ...).
Bien qu'étant, en principe, faiblement contaminés, ces
déchets ne peuvent rejoindre les décharges industrielles
ordinaires et doivent faire l'objet d'un traitement spécial. La
production de ce type de déchets, pourtant inhérente à
toutes les utilisations et manipulations de substances radioactives, n'a
été mentionnée que très tardivement dans les
documents relatifs au fonctionnement du CEP. Il faut en effet attendre le
rapport Atkinson en 1983 pour apprendre que
"les opérations de
routine"
54(
*
)
entraînent la
production chaque année d'environ 0,4 m
3
de
déchets solides de faible activité. Toujours selon ce rapport,
ces déchets étaient conditionnés et compactés dans
des fûts qui contenaient chacun environ 0,4 Mégabecquerels
(10 Microcuries) en émetteurs alpha et 0,2 Gigabecquerels
(5 Millicuries) en émetteurs bêta/gamma.
En Métropole, la DAM évacue ses déchets de
catégorie A (faible et moyenne activité bêta/gamma)
vers le Centre de l'Aube de l'Agence nationale pour la gestion des
déchets radioactifs (ANDRA), les déchets B (contenant des
émetteurs alpha de faible activité mais à vie longue)
étant entreposés temporairement sur le site du CEA de Cadarache.
Les procédures prévues pour le stockage définitif des
déchets A du CEA dans le Centre de l'ANDRA sont relativement
contraignantes :
"Après divers traitements pour réduire leur volume et
concentrer l'activité, leur conditionnement dans un colis
agréé est effectué. Le colis obtenu est mesuré avec
précision. Ensuite, une fiche signalétique complète est
établie par l'unité qui l'a fabriqué. Cette "carte
d'identité" est introduite dans le réseau informatique de
l'Andra, grâce à un terminal implanté dans cette
unité. Les renseignements communiqués à l'Andra
permettront à cet organisme de valider l'accueil du colis en site de
stockage de surface, en lui attribuant un numéro et un code-barre qui
est retransmis, via le réseau informatique, au centre producteur. Le
repérage du colis étant effectué, celui-ci est
entreposé sur place en attendant sa prise en charge par l'Andra, au
centre de stockage de l'Aube."
55(
*
)
Les documents auxquels nous avons pu avoir accès ne nous permettent pas
de savoir si des procédures identiques ont été suivies
à Mururoa.
Depuis l'adoption en 1986 d'un "plan déchets", la DAM a fait de
notables
efforts pour recenser les déchets radioactifs provenant des INB-S, le
dernier inventaire de l'ANDRA comporte 45 fiches de synthèse
concernant 61 établissements relevant du ministère de la
Défense et 8 fiches sur les centres d'étude et de production
du CEA impliqués dans les recherches et la fabrication des armes
nucléaires généralement soumises au régime des
INB-S. Toutefois aucune de ces fiches ne concerne le CEP, qui n'a pas le statut
d'INB-S et qui est resté à l'écart de l'inventaire
national de l'ANDRA.
B/ Les déchets provenant des forages de prélèvement
Pour compléter les informations fournies pendant
l'expérimentation par les systèmes électriques et
électroniques de mesure reliés à l'engin à tester
par des câbles, on procédait après chaque tir à un
prélèvement d'échantillons de la roche fondue au fond des
cavités. Pour cela, on effectuait un nouveau forage, de plus faible
diamètre, à partir d'un endroit décalé par rapport
au puits de tir. Dès que l'engin de forage atteignait la hauteur de la
cavité, sa direction était déviée pour atteindre la
zone où s'étaient concentrées les laves activées
par les radioéléments qu'elles contenaient.
Pour mettre en oeuvre ce procédé qui risquait de mettre en
contact des milieux hautement contaminés avec la biosphère, il
fallait prendre de très nombreuses précautions. Un système
d'obturation empêchait la remontée des gaz radioactifs et des
fluides provenant des cavités, et un tubage sur toute la hauteur du
puits permettait d'éviter la contamination des terrains et du lagon lors
de la remontée des carottes de lave.
Une fois à la surface, les carottes "actives" prélevées
peu de temps après le tir devaient être manipulées avec
beaucoup de précautions car elles présentaient une
activité radioactive très importante.
Contrairement aux déchets technologiques, les résidus,
après analyse de ces carottes, constituaient des déchets à
haute activité qui devaient être traités comme tels, ce que
confirment les responsables des essais :
"les carottes
présentant une activité radiologique sont aussitôt
conditionnées dans des conteneurs en plomb"
.
56(
*
)
Selon les responsables du CEA, cette radioactivité décroît
toutefois rapidement dans l'année qui suit pour atteindre une
activité inférieure à 10 Curies par tonne en
émetteurs bêta et gamma.
Que sont devenus les déchets résultant des activités de
forages de prélèvement ?
Une partie d'entre eux se trouve apparemment en Métropole où
auraient été effectuées certaines analyses des carottes,
le reste ainsi que les équipements qui ont servi à obtenir ces
carottes ont certainement dû rester sur place.
Bien entendu, toutes les données sur les déchets provenant des
carottages sont couvertes par le secret militaire puisqu'on est au coeur
même de la technologie des armes nucléaires.
C/ Les puits de stockage
Dès 1983, le rapport Atkinson signalait que les
déchets solides obtenus à Mururoa étaient compactés
dans des fûts contenant chacun
"moins de
0,4 Mégabecquerels en émetteurs alpha et
0,2 Gigabecquerels en émetteurs bêta/gamma"
. Il
était également précisé que
"ces fûts
étaient ensuite enterrés dans le basalte en les laissant tomber
dans un puits de forage de 1,2 km de profondeur"
.
57(
*
)
Le rapport Atkinson indiquait également que l'emplacement de ce puits
destiné au stockage des déchets avait été choisi
avec soin dans une zone où la limite entre le basalte et le calcaire
était bien définie et qu'une fois rempli, ce puits serait
soigneusement scellé et qu'à l'intérieur du puits, chaque
fût avait été enfoui dans du béton.
Forts de ces indications, les experts australiens et
néo-zélandais estimaient que
"quand le puits servant de
décharge serait abandonné, le flux de circulation des eaux serait
identique à celui qui existe dans le basalte qui n'a pas
été perturbé par des forages"
.
23
Ils
estimaient également qu'à partir du moment où le plutonium
devait être l'élément contaminant le plus
représenté, ce dépôt souterrain de déchets
"n'aurait que peu d'importance, maintenant et dans le futur, en
comparaison
avec la radioactivité résiduelle, et en particulier celle des
transuraniens, qui résultait des essais souterrains"
.
Lors de notre visite à Mururoa, nous avons pu constater que ce
n'était pas un mais deux puits qui avaient été
forés pour servir de décharge.
Le puits n° 1 a été définitivement obturé
à 115 mètres de la surface alors que le puits n° 3
(le puits n° 2 n'a jamais été foré) est toujours
accessible jusqu'à une profondeur de - 662 mètres. Le
puits n° 3 devrait encore servir lors des opérations de
démantèlement et recevoir quelques dizaines de nouveaux
fûts.
Selon les responsables du centre, l'ensemble des déchets qui ont ainsi
été enfouis ne représenterait au total qu'une très
faible activité radioactive comparable à celle des entreposages
de surface de l'ANDRA, c'était également l'opinion des experts du
rapport Atkinson qui estimaient en conclusion que les décharges de
déchets radioactifs
"n'ont pas de conséquence radiologique ou
environnementale identifiable"
.
58(
*
)
Dans un ouvrage collectif publié en 1995 sous le patronage du ministre
de la Défense, il est précisé que
"la
compatibilité de ces déchets est répertoriée avec
le numéro d'identification de chaque colis, son poids, son contenu et
son activité et qu'un contrôle de radioactivité est
régulièrement assuré"
.
59(
*
)
Qu'une comptabilité des fûts qui ont été enfouis
dans les deux puits ait été tenue apparaît comme tout
à fait plausible mais on voit mal comment on peut actuellement
procéder à des "contrôles de radioactivité" sur des
déchets qui se trouvent parfois à plus de
1 000 mètres de profondeur et ce d'autant plus que le puits
n° 1 a été définitivement scellé !
Pouvait-on éviter d'enfouir ces déchets qui sont par là
même devenus incontrôlables ? Il ne semble pas que les
responsables du CEP aient eu d'autres possibilités. Le retour en
Métropole pour les confier à l'ANDRA aurait posé trop de
problèmes techniques et économiques et le stockage en surface,
solution retenue en Métropole, n'était pas souhaitable en raison
des dangers de submersion de l'atoll par des tsunamis ou lors des grandes
tempêtes. En mars 1981, une tempête d'une puissance tout à
fait extraordinaire a arraché les plaques de bitume qui recouvraient les
zones contaminées par certains essais et, selon certains
témoignages rapportés par Bruno Barillot et par le rapport
Atkinson, auraient également emporté et dispersé dans le
lagon des fûts contenant des déchets radioactifs.
Techniquement, l'enfouissement des déchets était donc
peut-être la "moins mauvaise solution", elle était en tout
état de cause préférable aux déversement en haute
mer qui ont été pratiqués par certains pays avant la mise
en application de la Convention de Londres qui interdit toute immersion de
substances radioactives.
Chapitre IV
L'IMPACT DES ESSAIS NUCLÉAIRES
FRANÇAIS
DANS LE PACIFIQUE
Comme tous les pays qui ont procédé à des
essais d'armes nucléaires, la France a cherché à
protéger au maximum toutes les données relatives à ces
essais. De leur côté, les opposants aux armements
nucléaires n'ont pas cessé de réclamer plus de
transparence, en particulier pour tout ce qui concerne les effets sur
l'environnement et sur la santé humaine des explosions nucléaires.
Deux logiques s'affrontent et il est bien difficile pour un observateur qui se
veut impartial de dire où doit se situer la limite entre le secret
défense et le droit à l'information des citoyens.
Quelles sont les informations qui mettent véritablement en péril
la défense nationale ? Cette question est d'autant plus difficile
à résoudre que seules quelques personnes habilitées savent
ce qu'il y a véritablement dans les dossiers et décident en leur
âme et conscience de ce qui peut être ou non
révélé à l'extérieur.
Les responsables du CEP ont certainement parfois abusé du secret
défense pour retenir des informations qui concernaient pourtant toutes
les personnes qui vivaient sur ou à proximité des sites
d'expérimentations. Il ne faut toutefois pas oublier que les experts de
la mission Atkinson ont souligné dans la préface de leur rapport
que
"la visite de scientifiques sur un site d'expérience militaire
d'un autre pays doit être considérée comme un exemple
unique"
60(
*
)
et que la France
vient,
volontairement, de se soumettre à une expertise complète
réalisée par des experts étrangers mandatés par
l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA).
La connaissance de l'impact réel sur l'environnement et
éventuellement sur la santé humaine des essais français
dans le Pacifique souffre de certaines lacunes, mais les multiples missions
d'experts qui ont été admis à visiter Mururoa et
Fangataufa permettent néanmoins de commencer à se faire une
idée assez précise de ce qui s'est réellement passé
sur ces deux atolls de 1966 à 1996 et des conséquences qui
pourraient résulter des différents essais qui s'y sont
déroulés.
1°/ LES CONSÉQUENCES DES ESSAIS AÉRIENS
Malgré toutes les précautions prises, en
particulier en surveillant étroitement les phénomènes
météorologiques, nul ne peut nier que les essais aériens
ont eu des conséquences néfastes sur les milieux environnants.
Toute explosion nucléaire à l'air libre, qu'elle résulte
de la fusion ou de la fission de l'atome, entraîne un considérable
dégagement d'énergie qui entraîne à son tour des
retombées de particules radioactives.
On peut limiter ces retombées, comme on vient de le voir, en
réduisant l'interaction avec le sol, mais on ne peut les supprimer
totalement. Le contact, dans la dernière phase de l'explosion, entre la
sphère de gaz chauds et l'air ambiant plus froid produit une colonne
ascendante qui aspire des éléments arrachés au sol, les
résidus de l'engin lui-même et de son support (ballon, nacelle,
câbles, ...). Les éléments les plus lourds vont retomber
immédiatement et localement, c'est-à-dire dans une zone allant de
quelques kilomètres à plusieurs centaines de kilomètres en
fonction des conditions météorologiques. Les particules les plus
légères vont s'élever à plusieurs kilomètres
d'altitude et vont rester en suspension dans la troposphère et
même dans la stratosphère. Ces fines particules radioactives vont
se déplacer, pendant des années, au gré des mouvements des
masses d'air avant de retomber un peu partout sur la planète.
Il y a eu dans le monde plus de 500 essais aériens dont les traces
ne sont pas encore complètement disparues aujourd'hui. La France a
contribué à cette forme de pollution et ses 45 essais
aériens, peut-être parce qu'ils sont survenus après
l'arrêt de ce type d'expérimentation par les autres nations, ont
été très mal ressentis par les populations
concernées.
Pouvait-on faire autrement et se passer de cette phase
d'expérimentation ? Les responsables du CEP estiment, bien entendu,
que la France devait continuer ses expériences en attendant la mise au
point de techniques moins polluantes qu'elle devait développer seule,
les nations alliées ne lui ayant apporté dans ce domaine aucune
aide.
Quel a été l'impact réel des essais aériens sur les
sites des tirs et dans l'ensemble des zones géographiques proches ?
La vérité est difficile à connaître. Entre les
responsables du CEP définitivement et résolument optimistes qui
constatent
"l'absence d'effets significatifs de nos essais nucléaires
sur le milieu polynésien"
61(
*
)
,
et certains écologistes qui décrivent une situation apocalyptique
en déformant au besoin les faits et les citations, il est difficile de
se faire une opinion.
Dans quelques mois, la mission d'experts de l'AIEA présidée
par Mme E. Gail de Planque rendra ses conclusions ;
espérons que ces travaux réalisés en toute
indépendance mettront fin aux controverses.
En attendant les résultats de cette mission, les seules données
qui ne portent pas à discussion, du moins chez tous ceux qui acceptent
de débattre sereinement et sans arrière-pensées de ces
questions, sont celles qui ont été fournies par le rapport dit
"rapport Atkinson" en 1983.
A cette date, le gouvernement français avait en effet accepté
qu'une mission composée de cinq experts de haut niveau
néo-zélandais et australiens se rende à Mururoa. Cette
mission était dirigée par M. H. R. Atkinson, ancien
directeur du Laboratoire national d'étude des radiations de
Nouvelle-Zélande.
Cette mission, qui a reconnu que
"la visite d'experts scientifiques
dans une
zone d'expérimentation militaire d'une autre nation devait être
considérée comme unique"
62(
*
)
et
qu'elle avait reçu de la part des
autorités françaises un accueil parfait et toute l'aide technique
qu'elle avait souhaitée, a présenté un certain nombre de
conclusions sur l'impact des essais aériens.
A/ sur le site de Mururoa
La mission Atkinson constate tout d'abord que
"le
niveau de
la radioactivité ambiante sur la base de vie de l'atoll de Mururoa est
en général plus basse que partout ailleurs dans le monde et que
les traces des retombées des essais aériens sont
détectables seulement à un niveau très loin en dessous de
ceux qui ont une signification en terme de santé"
.
63(
*
)
La très faible radioactivité du corail expliquerait ce
phénomène à première vue assez surprenant.
Le satisfecit donné par les experts néo-zélandais et
australiens doit cependant être relativisé. En effet, ceux-ci
n'ont pas été autorisés à prélever des
échantillons dans les parties Nord et Ouest de l'atoll, ni dans le
sédiment du lagon, alors que ce sont justement les zones où ont
eu lieu les essais aériens.
On ne peut que regretter la frilosité des autorités militaires
qui se sont sans doute une fois de plus abritées derrière le
sempiternel "secret défense", mais on peut aussi s'interroger sur
l'attitude des experts qui ont accepté de présenter des
conclusions qu'ils savaient pertinemment tronquées et peut-être
même faussées.
Lors de la visite de la mission de l'Office à Mururoa, les
autorités responsables des essais ont d'ailleurs reconnu qu'il
subsistait trois zones où la radioactivité du sol restait
importante. Ces portions de l'atoll en forme de "plume" ne
représentent
toutefois pas une surface considérable. Il faut souhaiter que la mission
de l'AIEA ait pu s'y rendre et procéder aux analyses nécessaires
pour mettre définitivement fin aux ambiguïtés actuelles.
Si le document publié par la DIRCEN et le CEA/DAM cité
précédemment décrit très bien les effets physiques
(onde thermique, effet de souffle, ...) sur le milieu naturel des atolls,
les problèmes liés aux retombées radioactives sont
repoussés au tome IV de cet ouvrage, dont on attend malheureusement
toujours la publication :
"les zones localisées au voisinage des
trois polygones d'essais ont subi, de manière répétitive,
les effets les plus importants ; les retombées radioactives, leur
impact sur l'environnement, ainsi que ceux des rayonnements nucléaires,
ont été limités (
cf. tome
IV
)"
.
64(
*
)
Il est assez paradoxal de constater que nous disposons d'informations
précises sur les effets physiques des essais aériens dont les
conséquences, nous avons pu le constater in situ, ont pratiquement
disparu alors que l'impact des retombées radioactives, dont les
conséquences se font encore certainement sentir aujourd'hui, restent
entourées d'un certain flou, pour ne pas dire plus !
Pourquoi ne pas reconnaître clairement ce qui est ? Les
impératifs de la défense nationale ont conduit à porter
des atteintes parfois graves à l'environnement et peut-être
même à la santé humaine. Il ne serait que temps d'en faire
le constat le plus honnêtement possible, d'en tirer les
conséquences et d'y porter remède quand cela est encore
possible.
Etait-il véritablement nécessaire d'attendre la publication du
rapport des experts de l'AIEA pour connaître
"le bilan de la
radioactivité sur les sites et en Polynésie
française"
? Il semblerait que la
"volonté de
transparence"
qui avait présidé à la publication des
trois premiers tomes de l'ouvrage de la DIRCEN et du CEA/DAM se soit quelque
peu évaporée quand il s'est agi de parler des retombées
radioactives et de leurs conséquences sur l'environnement et la
santé humaine.
B/ sur les régions voisines
L'étude des retombées à longue distance
des particules radioactives pourrait faire l'objet à elle seule d'un
rapport entier.
Le présent rapport devant être consacré aux
problèmes posés par les déchets nucléaires, nous ne
ferons donc que quelques allusions aux retombées radioactives en dehors
des sites de tir.
Aujourd'hui, plus de vingt ans après la fin de la dernière
campagne d'essais aériens, les effets de ces essais, dans l'ensemble de
la Polynésie, sont encore perceptibles bien que le taux de
radioactivité artificielle soit aujourd'hui assez faible et en constante
diminution.
A partir du moment où on admet qu'après un essai
atmosphérique, les particules radioactives les plus fines peuvent rester
en suspension dans l'atmosphère ou la troposphère pendant des
années et que leurs retombées peuvent se produire un peu partout
sur l'ensemble de la planète, il devient difficile d'attribuer les
variations de la radioactivité artificielle à telle ou telle
campagne de tir et donc à telle ou telle nation.
Toutefois, en 1983, le rapport Atkinson se risquait à présenter
une évaluation :
"Pour la zone tempérée de
l'hémisphère Sud, qui inclut la Nouvelle-Zélande, la
contribution la plus importante de l'exposition des populations aux
retombées radioactives provient des produits de fission à vie
longue émis par les essais aériens de l'hémisphère
Nord. Environ 20 % de ces produits de fission à vie longue peuvent
être attribués aux essais aériens réalisés
sur les atolls de Mururoa et de Fangataufa..."
65(
*
)
Le rapport Atkinson précise également que
"les doses de
radiations reçues par les populations de Polynésie
française du fait de la radioactivité naturelle ou artificielle
sont plus basses que le niveau moyen mondial."
Ces conclusions résolument optimistes sont, bien entendu, contredites
par les opposants aux essais nucléaires et notamment par Bruno Barillot
dans son ouvrage "Les essais nucléaires
français".
66(
*
)
Nous ne sommes pas en mesure, et ce n'est d'ailleurs pas l'objectif du
présent rapport, de trancher entre ces positions divergentes.
On peut toutefois se référer aux travaux de l'IPSN, qui dispose
depuis plusieurs années d'un laboratoire spécialisé dans
l'étude de la radioactivité en Polynésie. Ce laboratoire,
situé à Tahiti, constatait en 1995 que
"les seuls
radionucléides détectés dans les
prélèvements marins et terrestres de l'hémisphère
Sud sont des éléments à vie longue qui sont mesurés
à des niveaux très bas et souvent inférieurs à la
limite de détection."
L'IPSN fait également remarquer que
"la valeur de la radioactivité artificielle en Polynésie
française mesurée en 1995 correspond à moins 1 % de
l'exposition due à la radioactivité
naturelle."
67(
*
)
Ce rapport de l'IPSN, sur lequel s'appuient les positions officielles sur les
effets des essais, appelle cependant plusieurs remarques.
Tout d'abord, les constats effectués ces dernières années
ne font, comme l'IPSN l'indique d'ailleurs très clairement, que prendre
en compte
"l'évolution dans l'hémisphère Sud qui se
caractérise par une diminution progressive de la radioactivité
depuis l'arrêt des essais nucléaires atmosphériques"
.
Pour se faire une idée plus précise de l'impact qu'ont pu avoir
les essais aériens français, il faudrait donc analyser l'ensemble
des publications du bureau de l'IPSN de Tahiti. Les données ainsi
relevées par l'IPSN devraient également être
comparées à celles qui ont été publiées
chaque année par le Comité scientifique des Nations-Unies pour
l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR).
Une analyse critique de ces différents relevés pourrait donc
être effectuée par des experts.
La collaboration d'experts qualifiés est indispensable car il s'agit
d'un sujet très compliqué où les erreurs
d'interprétation peuvent entraîner chez les populations
concernées des réactions imprévisibles. Tout le
problème est de trouver des experts qualifiés et impartiaux,
reconnus et acceptés par toutes les parties. Le terme "impartiaux" est
employé à dessein au lieu d'"indépendants", ce dernier
terme étant désormais pour les écologistes synonyme
"d'opposants au nucléaire".
Ainsi, pour les opposants aux essais nucléaires français,
l'indépendance de IPSN, simple service du CEA, est souvent mise en
question. Pour ceux qui ont eu à travailler avec cet organisme, et cela
a été le cas de plusieurs rapporteurs de l'Office, cette
indépendance ne fait néanmoins aucun doute.
Bien que des collaborations régulières aient eu lieu avec la
DIRCEN, il faut remarquer que l'IPSN, organisme pourtant tout ce qu'il y a
de plus officiel, n'a jamais été autorisé à mesurer
l'évolution de la radioactivité sur les sites de Mururoa et de
Fangataufa ! Il y a là une situation anormale à laquelle
nous proposerons de mettre fin dans nos conclusions.
La dernière remarque porte sur l'impact qu'auraient pu avoir les essais
aériens sur la santé des Polynésiens et en particulier sur
celle des travailleurs du CEP. Il semblerait, malheureusement, que les
études épidémiologiques aient été d'une
consternante insuffisance, ce qui, aujourd'hui, permet toutes les
interprétations même les plus aberrantes où, comme dans un
film allemand présenté sur ARTE, toutes les maladies et toutes
les anomalies génétiques constatées en Polynésie
étaient attribuées aux conséquences des essais
aériens.
Si ces dérives existent, c'est en grande partie en raison de l'attitude
des responsables politiques qui ont accepté que les autorités
militaires exercent un contrôle de plus en plus étendu, y compris
sur la santé des populations civiles. Nous ne voulons pas mettre en
question ni les compétences, ni l'honnêteté des
médecins militaires, mais il fallait bien s'attendre à ce que les
opposants aux essais contestent leurs travaux.
Aujourd'hui les essais sont terminés, le Centre
d'Expérimentations du Pacifique disparaît, il n'y a donc plus
aucune raison que le secret subsiste pour tout ce qui concerne la santé
des populations et des travailleurs du Centre.
Rappelons-le une fois encore : la mission qui nous a été
confiée par l'Office était d'étudier les problèmes
posés par les déchets nucléaires militaires, les
conséquences des retombées des essais aériens n'entrent
donc pas dans notre champ de compétence au sens strict. Notre
enquête nous a toutefois amenés à prendre conscience des
questions que se pose, tout à fait naturellement, une partie des
populations concernées.
Ne serait-il pas temps, dans ces conditions, de faire un bilan sérieux
et définitif des conséquences éventuelles sur
l'environnement et sur la santé humaine des essais aériens
réalisés à Mururoa et à Fangataufa de 1966 à
1974 ?
En l'absence d'une telle démarche, il y a fort à parier que cette
question continuera à empoisonner encore longtemps la vie politique de
la Polynésie et les rapports entre ce territoire et la Métropole.
2°/ LES RISQUES À LONG TERME DES ESSAIS SOUTERRAINS
S'il est évident que les essais aériens peuvent
présenter des risques aussi bien pour l'environnement que pour la
santé humaine, la dangerosité des essais souterrains est beaucoup
plus controversée. Il faut d'ailleurs noter que le passage aux essais
souterrains n'a pas enrayé la contestation par les Etats voisins du
Pacifique et par certaines organisations d'écologistes, bien loin de
là !
De 1975, début des essais souterrains, à 1986, 78 essais
souterrains ont été effectués directement dans la couronne
corallienne (dont deux à Fangataufa).
De 1981 à 1995, on a procédé à 62 tirs
à partir du lagon (dont six à Fangataufa).
Ces tirs souterrains, s'ils n'ont pas entraîné de pollution
radioactive immédiate, ont cependant, à l'évidence,
créé une quantité appréciable de déchets
radioactifs qui sont restés, en principe, piégés dans la
formation basaltique.
Nous sommes donc en présence, à Mururoa et à
Fangataufa, de véritables sites de stockage de déchets
radioactifs à haute activité et à vie longue.
Même si les responsables des essais préfèrent toujours
parler de résidus d'expérimentation, on doit regarder la
réalité en face : la nature de ces résidus n'est pas
fondamentalement différente de celle des déchets qui sont obtenus
à l'issue du retraitement des combustibles usés des centrales
nucléaires.
La liste et surtout les quantités de radionucléides qui
résultent des 137 essais souterrains effectués à
Mururoa et à Fangataufa sont, comme on pouvait s'y attendre, encore
tenues secrètes ; elles auraient toutefois été
communiquées à la mission de l'AIEA sous une forme qui
préserve la confidentialité des opérations passées.
Lors de notre visite au CEP, les responsables présents nous ont
cependant fourni quelques indications montrant, selon eux, que les
quantités de déchets en question ne seraient en rien comparables
à celles qui proviennent de l'utilisation civile de l'atome. Il y aurait
en effet dans le sous-sol des deux atolls :
- 150 kg d'éléments radioactifs bêta et gamma,
soit l'équivalent de trois "verres" de l'usine de La Hague ;
- 600 kg d'éléments alpha, soit l'équivalent de
14 colis civils.
Comme ces radioéléments sont dilués dans plus de
10 millions de tonnes de lave créée par les explosions,
l'activité massique de ces déchets serait extrêmement
faible, de l'ordre de 0,02 Curie par tonne en émetteurs alpha et
inférieure à un Curie par tonne en émetteurs bêta et
gamma, donc très proche de l'activité des déchets
présents dans le Centre de stockage de la Manche que l'ANDRA est en
train de fermer définitivement.
Toujours selon les responsables des essais, une explosion de 10 kilotonnes
dans une roche de densité moyenne entraînerait la formation de
8 000 tonnes de roche fondue, qui se solidifierait rapidement en se
transformant en une sorte de lave. Ils estiment que l'ensemble des essais
souterrains aurait entraîné la formation de 10 millions de
tonnes de lave ; la dilution des radioéléments dans cette
énorme quantité de lave ferait que l'activité de ces
déchets serait 10 000 fois plus faible que celle des verres
issus du retraitement.
Sur ce point comme sur bien d'autres dans cette étude, nous devons nous
contenter des explications officielles sans avoir de véritables
possibilités de recoupement avec d'autres sources.
La quantité de radioactivité qui subsiste après une
explosion semble toutefois être une donnée parfaitement connue des
responsables puisqu'il est affirmé que
"la mesure de la dilution dans
la roche fondue des éléments radioactifs issus de l'explosion
permet de déduire la masse de cette roche"
.
68(
*
)
Après chaque explosion on procédait en effet, grâce
à un forage spécial dévié, à un
prélèvement de carottes de lave qui permettait d'effectuer un
véritable diagnostic de l'expérience qui venait d'être
réalisée.
En ce qui concerne la composition des déchets piégés dans
la lave basaltique, en l'absence de données précises, semble-t-il
toujours couvertes par le secret militaire, on ne peut que se
référer à des informations assez approximatives et
fournies par des opposants aux armements nucléaires.
Selon certaines publications, anciennes
69(
*
)
ou plus récentes
70(
*
)
, on devrait retrouver après chaque
explosion :
- des produits de fission résultant de la
désintégration du plutonium et de l'uranium au cours de
l'explosion. Appartiennent à cette catégorie le
Césium 137, le Strontium 90 et 89, l'Iode 131 ainsi
qu'une vingtaine d'autres éléments. De nombreuses mesures
effectuées après les expériences atmosphériques sur
des substances variées (plantes, lait, os humains, thyroïde
humaine, ...) ont apporté la preuve de la retombée de ces
éléments dont certains, si leur concentration est
élevée, peuvent être particulièrement dangereux pour
la santé humaine ;
- de l'Uranium 235, du Plutonium 239 et du tritium qui
composaient initialement l'engin à tester et qui ne sont pas
rentrés dans la réaction, en d'autres termes qui n'ont pas
été consommés lors de l'explosion car le rendement n'est
jamais parfait. En plus de leur dangerosité intrinsèque, ces
éléments posent également un problème grave en
raison de leur durée de vie extrêmement longue. Ainsi, il faudrait
attendre 240 000 ans pour que l'activité du plutonium soit
divisée par 1 000 et puisse par conséquent être
considérée comme négligeable ;
- des métaux ordinaires (fer, zinc, manganèse, ...) qui
constituaient l'enveloppe et le conteneur de l'engin, ainsi que son support.
Ces métaux ont été activés par le flux de neutrons
produit par l'explosion.
On a également noté, dans le cas des expériences
aériennes, la présence de Carbone 14 radioactif qui
résulte de la capture de neutrons par les noyaux d'azote de l'air
ambiant.
Comme on le voit, il ne semble pas y avoir de différence de nature entre
les radioéléments produits lors d'une explosion et ceux qu'on
retrouve dans la phase ultime du retraitement des combustibles
usés : ce sont tous des déchets qui auront une vie
très longue, ce qui les rendra potentiellement dangereux pendant des
siècles et même des millénaires.
A partir du moment où on reconnaît que les atolls de Mururoa et
de Fangataufa constituent bien des sites de stockage de déchets
radioactifs, une question essentielle se pose : les formations
géologiques utilisées seront-elles capables d'assurer, sur le
long terme, un confinement suffisant des radionucléides qu'elles
contiennent ?
En d'autres termes, existe-t-il un risque de voir un jour les
éléments radioactifs, actuellement enfouis dans le socle
basaltique des atolls, remonter à la surface et contaminer
l'environnement ?
A/ La capacité des roches à contenir la radioactivité
Comme cela a été indiqué
précédemment, les puits de tir ont été forés
à une assez grande profondeur (600 à
1 100 mètres) de façon à atteindre le socle
basaltique des atolls.
Si le rapport Atkinson rappelle que
"Mururoa est l'atoll qui a
été le plus intensément étudié dans le
monde"
71(
*
)
, il n'en demeure pas
moins
que sa structure s'est révélée beaucoup plus complexe
qu'on aurait pu le croire a priori. Le socle basaltique initialement
façonné par des émissions de lave s'est en effet peu
à peu transformé sous l'effet de l'eau qui l'a
imprégné.
Les multiples forages effectués ont pu mettre en évidence qu'il
existait dans la formation basaltique, pourtant réputée
homogène et compacte, tout un processus de circulation des eaux
provoqué par les échanges thermiques entre les eaux froides de
l'océan et la roche réchauffée par la géothermie
terrestre.
Selon les géologues, cette circulation interne des eaux a
entraîné une transformation progressive de la roche originale et
l'apparition de roches secondaires de type argileux. Pour les responsables des
essais, cette évolution, bien loin d'être inquiétante,
aurait tout au contraire contribué à renforcer les
qualités de la roche :
"Ces minéraux secondaires ont
conduit à un colmatage progressif des réseaux de circulation (des
eaux) et sont à l'origine de la faible perméabilité du
massif."
72(
*
)
Contrairement à ce qui est prévu pour le stockage souterrain des
déchets civils, la formation géologique constitue la seule
barrière susceptible d'empêcher la migration des
radionucléides ; il n'existe pas, et pour cause, de
barrières ouvragées et de conteneurs qui devraient constituer,
dans les stockages prévus en Métropole, des précautions
supplémentaires pour protéger les déchets.
B/ La circulation des eaux
Tous les auteurs s'accordent pour considérer que de par
leur structure originelle, puis du fait de leur "argilisation", les
laves qui
constituent le socle des atolls n'ont qu'une très faible
perméabilité. Cela ne signifie pas pour autant que l'eau est
totalement absente de ces roches :
"Les formations géologiques
sont saturées par une eau d'origine marine qui va se déplacer
sous l'influence du seul moteur significatif à l'intérieur du
massif : la machine thermique dont la source chaude est le flux
géothermique terrestre à l'aplomb de l'atoll et dont la source
froide est l'océan."
73(
*
)
La chaleur de l'écorce terrestre induit un mouvement naturel de
circulation des eaux, les eaux chaudes moins denses remontant vers la surface
et étant peu à peu remplacées par des eaux plus froides
venant de l'océan à travers les flancs de l'atoll.
Le problème qui se pose est donc de savoir à quelle vitesse se
déplacent les eaux qui remontent vers la surface et qui seraient donc
susceptibles de ramener des éléments radioactifs du fond des
cavités de tir vers la surface et la biosphère.
Cette vitesse est fonction de la perméabilité de la roche qui
peut varier de 10
-3
mètres par seconde pour les
formations les plus perméables comme le sable par exemple, à
10
-13
mètres par seconde pour les roches les plus
compactes comme les argiles franches, la limite entre les roches
perméables et imperméables étant en général
fixée par les géologues à
10
-9
mètres par seconde.
Les forages réalisés à Mururoa montrent que la formation
basaltique profonde dans laquelle étaient réalisés les
tirs est relativement compacte et homogène et que sa forte composante
argileuse lui confère une perméabilité très faible
comprise en 10
-7
et 10
-11
mètres par seconde.
Les formations géologiques situées plus près de la
surface, et en particulier la couche de calcaire d'origine corallienne, sont en
revanche beaucoup plus perméables, de l'ordre de
10
-4
mètres par seconde, ce qui permet une circulation
rapide des eaux en leur sein.
Selon un modèle établi par la DIRCEN pour l'atoll de Mururoa, la
vitesse maximum de circulation des eaux serait :
- de 1 cm par an pour les formations géologiques profondes,
- et de 1 cm par jour dans les formations calcaires
supérieures.
Le rapport Atkinson indique, toutefois, que
"la perméabilité
est suffisante pour que puissent être envisagés des flux
comparables au 1 mètre par an comme cela avait été
estimé dans le rapport Tazieff"
.
74(
*
)
Entre 1 centimètre et 1 mètre par an, la marge
d'incertitude est donc considérable mais l'explication a peut-être
été apportée par le rapport Cousteau, qui attire assez
justement l'attention sur
"l'hétérogénéité des structures tant au
niveau de la structure globale de l'île que celle de chacune des
entités géologiques et des éléments qui les
constituent"
et qui conclut que
"chaque forage est un cas
particulier et
doit donc être réajusté en fonction de la
réalité géologique mise en évidence à cette
occasion"
.
75(
*
)
L'incertitude quant à la vitesse de migration des éléments
radioactifs qui pourraient se trouver dans les eaux souterraines se trouve
renforcée par l'absence de données précises sur les
profondeurs auxquelles ont été effectués les
différents tirs. En effet, si le toit de certaines des cheminées
formées à la suite des explosions, et qui peuvent atteindre
plusieurs centaines de mètres de hauteur, se trouve à
proximité des formations calcaires, la migration des
éléments initialement piégés dans la lave pourrait
se faire dans des délais relativement courts, du moins à
l'échelle des temps géologiques. Or il semblerait que certaines
des premières expérimentations aient été
effectuées à une assez faible profondeur avec, par voie de
conséquence, une cheminée relativement proche des couches
superficielles qui ne peuvent en aucun cas, tous les experts semblent d'accord
sur ce point, servir à retenir la radioactivité. En effet, selon
le rapport Atkinson :
"Le temps de passage de l'eau à travers le
corail est inférieur à 10 ans"
.
76(
*
)
C/ Les fracturations de la roche dues aux essais
Les développements qui précèdent se
réfèrent à des formations géologiques intactes qui
n'ont pas été soumises aux perturbations engendrées par
les explosions. Même si ces explosions ont été relativement
de faible puissance, moins de 150 kilotonnes alors que certains essais
aériens comme Canopus ou Procyon ont dépassé les
1 000 kilotonnes, il n'en demeure pas moins que l'énergie
dégagée a entraîné des modifications certainement
assez importantes de la structure des roches voisines de la cavité.
Non seulement l'explosion produit, comme on vient de le voir, une
cheminée qui peut atteindre plusieurs centaines de mètres, mais
"jusqu'à 90 ou 100 mètres on peut avoir
théoriquement des fractures en cisaillement [...] mais ces fractures
n'ont jamais été clairement
observées"
.
77(
*
)
La méconnaissance de l'étendue et de l'importance de ces
éventuelles fracturations de la roche (ou l'absence d'informations
communiquées sur ce sujet) ont laissé le champ libre à
toutes les interprétations possibles.
Ainsi, pour le rapport Atkinson :
"Les roches volcaniques ont
été sévèrement altérées dans les
zones environnant les points d'explosion. Il existe des possibilités de
chevauchement de zones de fractures adjacentes ou d'extension de
précédentes zones de fractures par des essais suivants. Le bilan
des données disponibles suggère que l'intégrité de
l'ensemble de la structure de la roche volcanique n'a pas été
altérée. Cependant les données essentielles des tests de
contrôle n'ont pas été rendues disponibles pour
l'inspection."
78(
*
)
Ces remarques ont été faites en 1984 mais dans un article
récent, M. Pierre Vincent, de l'Observatoire de Physique du
Globe de Clermont-Ferrand, soutient que les réseaux de fractures qui
entourent les différentes cavités pourraient entrer en
communication et ainsi
"ouvrir le système permettant une migration
progressive des éléments radioactifs dans l'océan et dans
l'atmosphère"
, voire provoquer
"une ouverture brutale du
système par glissement d'un flanc de l'île dans la
mer"
.
79(
*
)
Pour appuyer cette hypothèse, Le Monde avait même publié
une carte de Mururoa prétendument secrète sur laquelle figurent
quatre fissures traversant totalement la couronne corallienne. Toujours selon
Le Monde, ces fractures auraient été comblées avec du
ciment. Lors de sa visite à Mururoa, votre rapporteur n'a pas
constaté l'existence de ces
"fractures rebouchées"
, il
aurait d'ailleurs été étonnant que des travaux de cette
importance, qui auraient nécessité des milliers de tonnes de
ciment, aient pu passer inaperçues aux yeux des milliers de personnes
qui ont résidé sur l'atoll.
En 1995, la revue scientifique britannique Nature a présenté
l'avis d'un expert anglais qui, sans s'être jamais rendu sur place,
diagnostiquait l'effondrement de l'atoll de Mururoa. Toutefois, dans le
même numéro de Nature
80(
*
)
,
deux autres spécialistes anglais et américain jugeaient cette
hypothèse tout à fait improbable et estimaient qu'elle ne
reposait sur aucune information véritable, l'un d'eux ajoutant
même :
"Je ne pense pas que les Français cherchent
à détruire leur principal site d'essai."
Comme on pouvait s'y attendre, les responsables des essais contestent
vigoureusement toutes les prévisions catastrophiques sur la
solidité de l'atoll. Pour M. Yves Caristan, chef du
Laboratoire de détection et de géophysique du CEA qui avait
été créé et dirigé par le Professeur Yves
Rocard :
"des éboulis et une fragmentation se forment dans
l'entourage immédiat de l'explosion mais au-delà de ces zones,
l'énergie mécanique se propage dans les terrains de façon
élastique sans les modifier."
Il précise également que
les différents essais ont été répartis sur la
surface de l'atoll de manière
"à limiter les
interférences possibles entre eux et à préserver la
stabilité du soubassement volcanique"
.
Comme on peut le constater, il est donc très difficile de se faire une
opinion et de savoir si les essais souterrains ont véritablement
modifié la structure générale de l'atoll.
L'équipe Cousteau, qui s'était rendue sur place en 1987 et qui
avait effectué plusieurs plongées sur les flancs de l'île
de Mururoa, restait elle aussi assez dubitative :
"En ce qui
concerne
le socle volcanique, il est évident que sa perméabilité
est localement augmentée par les fractures artificielles, les
cheminées d'effondrement et les puits [...] ces augmentations de
perméabilité sont probablement très localisées mais
se trouvent juste au niveau des zones sensibles : les chambres où
sont vitrifiés les produits radioactifs."
81(
*
)
Hormis le tassement de la couronne corallienne et l'effondrement à
plusieurs reprises de parties des flancs de l'atoll, on n'a pas constaté
de modifications représentatives de la structure de l'atoll mais cela ne
signifie pas pour autant que celles-ci n'existent pas.
Comment savoir, en effet, si les fractures provoquées par l'onde de choc
peuvent se rejoindre et si le système hydrogéologique naturel a
été modifié localement ou sur une grande surface ?
Après chaque explosion, on procédait bien à un forage de
prélèvement destiné à aller chercher des
échantillons de laves fondues dans les cavités mais, de l'aveu
même du CEP, la partie supérieure de ces forages était
réalisée en
"destructif"
, c'est-à-dire par broyage
du terrain sous l'action de l'outil de forage, ce qui ne permettait pas de
connaître la structure des terrains traversés.
De toute manière, comme le constatait l'équipe Cousteau :
"Les valeurs de la résistance de la porosité, de la
perméabilité d'un échantillon de roche
prélevé par carottage, à un moment donné, ne
peuvent être véritablement représentatives de la structure
de Mururoa."
82(
*
)
A partir du moment où la fracturation
généralisée du socle basaltique des atolls, qui remettrait
en cause l'étanchéité du confinement des
radionucléides, n'a pas été démontrée et ne
pourra plus l'être puisque tout le matériel de forage a
déjà été enlevé et, compte tenu des
incertitudes qui existent sur la migration des radioéléments vers
l'atmosphère, une surveillance active, permanente, à long terme
et si possible contradictoire de la radioactivité des eaux des lagons,
de l'océan et plus généralement de l'environnement des
deux atolls, devient une nécessité absolue.
Chapitre V
LES ATOLLS DE MURUROA ET DE FANGATAUFA
CONSTITUENT DES SITES DE STOCKAGE DE DÉCHETS RADIOACTIFS QU'IL FAUDRA
GÉRER EN TANT QUE TELS
La décision, en 1996, du Président de la
République de renoncer définitivement aux essais
nucléaires et de démanteler, par voie de conséquence, le
Centre d'Expérimentations du Pacifique permet d'envisager avec
sérénité le sort qui devra être
réservé aux anciens sites d'expérimentation.
Le déchaînement médiatique qui avait suivi la reprise des
essais avait conduit à une certaine surenchère dans les
prévisions catastrophiques. Aujourd'hui, le calme est revenu et il est
désormais possible de faire une évaluation sérieuse de la
situation ; c'est ce qu'ont entrepris de faire les experts mandatés
par l'AIEA dont le rapport devrait être publié au début de
l'année 1998.
Dans l'attente des conclusions de ce rapport, toutes les remarques et
propositions qui peuvent être faites n'ont qu'un caractère
provisoire et pourront être revues en fonction des éléments
nouveaux qui pourraient être éventuellement apportés par
les experts de l'AIEA.
L'ensemble des déchets, qu'ils proviennent des tirs eux-mêmes ou
des manipulations effectuées avant et après les essais, vont
subsister pendant des siècles et même pendant des
millénaires pour certains des éléments qu'ils contiennent.
Alors qu'en Métropole on s'interroge depuis plus de dix années
sur la possibilité d'ouvrir des centres souterrains de stockage de
déchets radioactifs, les impératifs de la défense
nationale ont conduit à créer, de fait, sans étude
préalable et sans autorisation spécifique, un dépôt
de substances radioactives dans des couches géologiques qui
n'étaient peut-être pas particulièrement adaptées
à cet usage.
Le rapport de l'équipe Cousteau faisait remarquer à ce sujet que
"l'atoll de Mururoa est un très mauvais site de stockage de
déchets radioactifs"
et qu'en outre,
"il n'y a aucune raison de
croire que si certains critères de confinement semblent
nécessaires au stockage des déchets des centrales
nucléaires civiles, ils ne soient plus nécessaires pour stocker
les déchets nucléaires militaires"
.
83(
*
)
Sans aller jusqu'à prétendre d'emblée que Mururoa
constitue un très mauvais site de stockage des déchets
radioactifs, il faut bien reconnaître qu'il y a une énorme
disproportion entre la faiblesse des études préalables qui y ont
été effectuées et le luxe de précautions dont on
s'entoure pour créer un centre de stockage en Métropole et dans
les autres pays qui se trouvent confrontés à ce problème.
Néanmoins, quelles que soient les réserves que l'on puisse
émettre sur la démarche qui a été suivie, le fait
est aujourd'hui que les déchets sont enfouis dans le sol des atolls,
qu'ils y sont définitivement et qu'il n'existe aucune possibilité
de modifier cette donnée.
A partir du moment où on considère que les atolls de Mururoa et
de Fangataufa constituent désormais des sites de stockage
définitif de déchets radioactifs sans utilité militaire,
ils devront être gérés et surveillés dans des
conditions aussi proches que possible de celles qui seront applicables aux
centres de stockage qui devraient être créés en
Métropole.
1°/ LES DEUX ATOLLS DEVRONT RESTER INHABITÉS ET ÉTROITEMENT SURVEILLÉS
Un des objectifs principaux de cette surveillance va
être de s'assurer que la mémoire de ce stockage ne va pas
s'estomper au fil des années et qu'il n'y aura jamais d'intrusion
humaine risquant de faire remonter les radioéléments
jusqu'à la biosphère.
Bien qu'il ne semble pas y avoir de ressources économiquement
intéressantes dans le sous-sol des atolls, l'intrusion humaine
involontaire reste une éventualité qu'on ne peut écarter
d'emblée.
La surveillance institutionnelle des installations de stockage de
déchets radioactifs même après la fermeture des sites est
un sujet qui est de plus en plus étudié, aussi bien par les
organisations internationales telles que l'AEN
84(
*
)
que par les autorités nationales.
En France, la Règle fondamentale de sûreté des stockages
définitifs de déchets radioactifs en formation géologique
profonde (III 2 F) du 1er juin 1991 précise les
précautions qui doivent être prises pour permettre d'assurer la
sûreté des sites de stockage après la période
d'exploitation :
"Il faut fixer une date minimale avant laquelle
aucune
intrusion involontaire ne peut se produire en raison du maintien de la
mémoire de l'existence du stockage. Cette mémoire dépend
de la pérennité des mesures qui peuvent être mises en
oeuvre : l'archivage, les documents institutionnels résultant de la
réglementation, le marquage en surface..."
. Dans cette Règle
fondamentale de sûreté, on a estimé que
"la perte de
mémoire de l'existence du stockage peut raisonnablement être
située au-delà de 500 ans"
.
On peut en effet craindre qu'au fil des années, la collectivité
nationale se désintéresse peu à peu de ces sites sans
intérêt économique et apparemment sans danger, au risque de
faire retomber la charge de la surveillance sur les collectivités
locales voisines directement concernées (à condition toutefois
qu'elles aient les moyens techniques et financiers d'assurer cette tâche).
Comme cela a été très bien développé dans
une étude récente
85(
*
)
, la
surveillance institutionnelle des sites constitue également un facteur
de confiance du public et facilite l'acceptation du site par les populations
concernées.
Mais la mise en place de cette surveillance à long terme des intrusions
humaines passe par la mise en place d'une institution ou par le choix d'une
institution déjà existante.
Pour le moment, il est prévu que l'armée assurera cette
tâche pendant les dix années qui suivront la fermeture du CEP,
grâce à un contingent d'une trentaine de légionnaires qui
demeureront à Mururoa avec comme base arrière l'atoll proche de
Hao.
Au-delà de cette période de dix ans prise en charge par
l'armée, il conviendrait de transférer la surveillance des sites
de Mururoa et de Fangataufa à l'ANDRA, chargée par la loi du
30 décembre 1991 d'assurer la gestion de tous les centres de
stockage de déchets radioactifs.
Pendant un certain temps, il avait été question de
réhabiliter les deux atolls pour leur trouver une destination
nouvelle : village de vacances, centre de recherche, ...
Lors de notre visite, nous avons pu constater que Mururoa allait être
nettoyé, c'est-à-dire débarrassé de toutes les
installations de surface qui n'ont plus d'utilité. Les
équipements réutilisables sont donnés au territoire de la
Polynésie française ou à des communes voisines ; les
ferrailles, une fois compressées, devraient être
cédées à un ferrailleur asiatique.
Si ces ferrailles, bien que non contaminées, ne trouvaient pas
d'acquéreur, elles ne devraient en aucun cas être immergées
comme cela avait été envisagé. Pour permettre à
tout moment de les contrôler et pour éviter que le doute
s'installe, le mieux serait de les stocker en surface dans des alvéoles
de béton recouvertes ensuite de terres selon les principes mis en oeuvre
par l'ANDRA dans son centre de l'Aube.
Les quatre barges qui servaient à forer les puits de tirs ont
déjà été vendues en Australie, ce qui ne manque pas
de piquant quand on se rappelle les campagnes hystériques
déclenchées dans ce pays contre les essais français.
Il est clair que, même débarrassés de leurs principales
installations de surface, ces deux atolls devront rester à tout jamais
inhabités.
Les conditions dans lesquelles les déchets ont été enfouis
dans le sous-sol de ces atolls font qu'il ne sera jamais possible d'y autoriser
un séjour de longue durée non contrôlé.
Etant donné l'éloignement des zones habitées et l'absence
d'eau potable, cette éventualité est, pour le moment, d'ailleurs
totalement théorique, mais on ne peut jamais prévoir ce qui se
passera dans un avenir plus ou moins lointain.
Dès que seront connues les conclusions des experts de l'AIEA et une
fois le démantèlement des installations terminé, il faudra
envisager le classement des deux atolls en zone protégée afin de
constituer, comme le demande M. Daniel Pardon, des
"sanctuaires
protégés"
.
86(
*
)
De tels sanctuaires deviennent en effet de plus en plus rares en
Polynésie, où le développement des transports et du
tourisme pèse très lourd sur la flore et surtout sur la faune des
atolls. En laissant la nature reprendre ses droits et malgré toutes les
perturbations qu'ils ont pu connaître du fait des essais, ces deux atolls
pourraient devenir, si les autorités locales souscrivent à un tel
projet, des lieux de référence pour suivre l'évolution de
l'environnement polynésien.
Le transfert de la charge de la surveillance des sites et leur classement en
sanctuaires naturels ne devraient pas avoir d'incidence sur les changements
éventuels de statut juridique de ces deux sites, question qui sera
évoquée un peu plus loin dans le présent rapport.
2°/ LA SURVEILLANCE DE LA RADIOACTIVITÉ DEVRA ÊTRE MAINTENUE INDÉFINIMENT
La protection contre les risques d'intrusions humaines
restera
indispensable mais elle ne sera pas suffisante. Indépendamment et
parallèlement à ces activités de "gardiennage", il faudra
en effet, pendant une période qu'il est actuellement impossible à
définir, assurer une surveillance continue de l'évolution de la
radioactivité artificielle dans l'environnement.
Les données actuellement disponibles, qu'elles proviennent des services
officiels ou des missions d'experts indépendants, permettent de penser
qu'il n'y a pas pour le moment de contamination inquiétante de
l'environnement des deux atolls, mais qu'en sera-t-il dans l'avenir ?
A/ Les constats des missions scientifiques
Dans quelques mois, le rapport des experts de l'AIEA permettra de connaître le degré actuel de contamination radioactive des atolls. Toutefois, dans le passé, quatre missions de "scientifiques" réputés indépendants avaient fait le point sur le niveau de la contamination radioactive de la biosphère à Mururoa et à Fangataufa et avaient tenté de faire des prévisions sur l'évolution future de ce problème.
a) Le rapport Tazieff - Juin 1982
Le groupe de scientifiques qui accompagnait M. Haroun
Tazieff avait estimé en 1982 que
"les explosions aériennes ont
introduit dans l'atmosphère, l'océan et tous les organismes
vivants, en particulier marins, une radioactivité significative mais non
préoccupante au point de vue sanitaire"
et que
"depuis que les
explosions sont souterraines, la contamination radioactive de l'environnement
est devenue quasiment nulle à court terme"
.
Le rapport Tazieff constatait néanmoins que
"le confinement des
déchets radioactifs dans le sous-sol pour des périodes
très longues, atteignant des milliers d'années, pose des
problèmes qui ne sont pas résolus [...] d'où
l'intérêt qu'il y aurait à vérifier en permanence
l'absence dans les eaux souterraines et dans la mer de Krypton 85 et de
tritium dont les périodes radioactives dépassent de peu dix
années ainsi que des divers isotopes du plutonium"
.
L'optimisme du rapport Tazieff doit cependant être tempéré,
les contributions des experts annexées à ce document montrent
bien que ceux-ci considéraient qu'un séjour de trois jours sur
place était beaucoup trop court et que dès lors, leur mission
n'avait eu qu'un caractère exploratoire, les résultats de leurs
mesures ne devant servir
"qu'à définir le programme de la
mission de longue durée qui doit faire suite à cette mission
exploratoire"
.
Malheureusement, cette recommandation n'a pas été suivie d'effet
et il n'y a jamais eu de mission complémentaire de longue durée.
b) Le rapport Atkinson
La mission d'experts australiens et
néo-zélandais présidée par
M. H. R. Atkinson, dont les travaux ont été
abondamment cités dans le cours du présent rapport, avait
également posé le problème des éventuelles fuites
de radioactivité et de la nécessité de prévoir une
surveillance à long terme dans les deux atolls. Selon eux :
"Les
mécanismes susceptibles d'entraîner le transport des eaux
contaminées vers la biosphère existent du moins sur le long
terme."
Les autorités françaises ayant interdit à la mission
Atkinson de prélever des échantillons de sédiment dans le
lagon, ils ont dû se contenter de la déclaration de ces
mêmes autorités reconnaissant qu'il y avait de 10 à
20 kg de plutonium dans le fond du lagon.
La présence de ce plutonium, qui va peu à peu se répandre
dans les eaux de l'océan, justifierait à elle seule le maintien
à très long terme d'un mécanisme de surveillance. Il ne
faut pas, en effet, oublier que la période (ou demi-vie) du
plutonium 239 est de 24 110 ans et qu'il faudra donc attendre
241 100 ans pour que son activité initiale soit divisée
par 1 000 !
Si, dans certaines études, on envisage la "banalisation" des sites de
stockage de déchets à haute activité une fois
terminées les opérations de remplissage, en faisant ainsi
confiance à l'imperméabilité des barrières
artificielles et naturelles, il ne semble pas que le site de Mururoa puisse
être un jour rouvert en vue d'un peuplement humain. Comme le constatait
le rapport Atkinson, si on peut effectivement considérer que la
présence des résidus des explosions peut faire assimiler Mururoa
à un stockage de déchets radioactifs, il faut cependant bien
admettre que ce site ne remplit pas les conditions géologiques
exigées pour implanter un tel stockage :
"L'hydrologie des
formations calcaires et volcaniques est telle qu'on peut envisager que des
fuites à partir des cavités provoquées par les explosions
pourront se produire dans 500 ou 1 000 ans"
87(
*
)
, le bouchon des puits constituant le passage
privilégié par lequel les radioéléments les plus
volatiles pourraient revenir à la surface.
c) La mission scientifique de la Calypso
En novembre 1988, l'équipe Cousteau a publié un
rapport réalisé à la suite d'une mission de cinq jours
pendant lesquels le Commandant Cousteau avait été
autorisé à pénétrer à l'intérieur du
lagon le lendemain d'un tir afin de prélever des échantillon
d'eau, de sédiment et de plancton. Ces observations de surface furent
complétées par des plongées en scaphandre autonome et en
sous-marin.
Sur l'éventualité d'un retour à la surface
d'éléments radioactifs provenant des explosions souterraines, le
rapport Cousteau ne fait que confirmer les conclusions de la mission
Atkinson ; les éléments les plus volatiles qui n'ont pas
été piégés dans la roche fondue pourront migrer
vers la surface, le temps de cette migration pour
"certains
radioéléments pourrait être dans certains cas voisin de
100 ans"
.
88(
*
)
D'autres conclusions de l'équipe Cousteau viennent cependant
tempérer cette conclusion quelque peu inquiétante, ils ont en
effet constaté qu'il n'y avait pas de retour, en 1988, de
radioéléments en surface et que les risques de pollution
radiologique à court et à moyen terme sont négligeables.
Le tout est de s'entendre sur la définition du court terme quand on
admet en même temps que
"l'atoll de Mururoa est par conséquent
un très mauvais site de stockage de déchets radioactifs et il n'y
a aucune raison de croire que si certains critères de confinement
semblent nécessaires au stockage des déchets des centrales
nucléaires civiles, ils ne soient plus nécessaires pour stocker
les déchets des essais nucléaires
militaires"
.
89(
*
)
Ainsi les rapports des experts indépendants ne semblent pas remettre en
question les mesures effectuées par les laboratoires officiels et en
particulier par le Laboratoire du Service mixte de surveillance radiologique et
biologique (SMSRB), qui dépend directement de la DIRCEN et de la
Direction des applications militaires du CEA :
- les essais aériens ont entraîné la contamination de
quelques zones des atolls et une certaine pollution atmosphérique dont
la concentration diminue lentement mais régulièrement ;
- les radioéléments artificiels produits par les essais
souterrains sont restés jusqu'ici confinés dans les couches
géologiques profondes et n'ont pas entraîné de
contamination en surface.
Si les responsables des essais et les missions d'experts indépendants se
rejoignent dans leur appréciation de la situation actuelle, il n'en est
pas de même, en revanche, sur l'appréciation du risque, à
moyen et à long terme, de voir la radioactivité actuellement
confinée à l'intérieur des roches fondues migrer un jour
jusqu'à la surface.
La DIRCEN, sur ce point, semble faire preuve d'un optimisme résolu et
considère qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura pas dans l'avenir de
problèmes liés à la migration des
radioéléments provenant des essais souterrains. Si les
responsables de la DIRCEN ont été dans l'ensemble assez
satisfaits des conclusions des différentes missions d'expertise, ils
n'en ont pas moins tenu à se démarquer de certaines des
conclusions du rapport Cousteau :
"la DIRCEN émet des
réserves sur certaines déductions ou assertions du rapport,
notamment en ce qui concerne la circulation des eaux et des
radioéléments"
.
90(
*
)
Un argumentaire officiel distribué dans les postes diplomatiques se
montrait toutefois beaucoup plus prudent sur l'innocuité à long
terme des essais souterrains et notait à propos des conclusions des
rapports Atkinson, Tazieff et autres... que
"leurs seules réserves
éventuelles concernent le long terme sur lequel personne n'est
véritablement à même de se prononcer"
.
91(
*
)
Ne serait-ce pas là le début de la sagesse ?
Pourquoi, en effet, ne pas admettre qu'on ne sait pas, aujourd'hui, ce qui se
passera à moyen et à long terme et agir dès lors en
prenant en compte, dès maintenant, cette incertitude ?
d) L'application du principe de précaution
La loi du 2 février 1995 a
énuméré les grands principes qui doivent désormais
guider la politique de protection de l'environnement et cela grâce
notamment au
"principe de précaution, selon lequel l'absence de
certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment,
ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées
visant à prévenir un risque de dommage grave et
irréversible à l'environnement à un coût
économiquement acceptable"
.
Selon ce principe, il ne suffit plus d'avoir la preuve de la nocivité
d'un produit ou d'une technique pour se décider à prendre des
mesures raisonnables pour protéger la santé humaine et
l'environnement ; en quelque sorte, l'incertitude ne doit plus servir
à justifier l'inaction.
Dans le cas des anciens sites d'expérimentations nucléaires de
Mururoa et de Fangataufa, les experts sont semble-t-il d'accord pour
affirmer :
- que la situation actuelle n'est pas dangereuse ;
- qu'on ne sait pas si les éléments radioactifs
piégés dans la lave à plus de 800 mètres de
profondeur rejoindront la biosphère ;
- qu'il est impossible de dire aujourd'hui, si cela devait se produire,
combien de temps il faudrait pour que l'eau chargée de particules
radioactives parvienne à la surface mais que, de toute façon, ce
phénomène serait extrêmement étalé dans le
temps ;
- que les dangers pour les populations seraient de plus en plus
réduits en raison de la dilution des éventuels rejets et de
l'éloignement des régions habitées.
Il n'empêche que l'incertitude, que les scientifiques sont dans
l'incapacité de lever, engendre des craintes qu'il faut s'efforcer de
gérer et d'apaiser.
Les populations de la Polynésie, qui n'ont pas été
consultées sur l'implantation du CEP à l'origine et qui n'ont par
voie de conséquence jamais pu donner leur avis sur les essais
nucléaires, sont en droit d'exiger que toutes les précautions
soient prises pour assurer une sûreté maximum.
Dans un cas comme celui-ci, la conduite à suivre ne doit pas être
guidée uniquement par des critères scientifiques, il faut pouvoir
démontrer que toutes les mesures techniquement et économiquement
possibles pour réduire les éventuels dangers ont bien
été prises.
En Métropole, l'ouverture de laboratoires souterrains préalable
à la création de centres de stockage devrait permettre d'apporter
la preuve que toutes les sources de risques ont été
identifiées afin qu'on puisse préventivement y remédier.
A Mururoa et à Fangataufa, aucune de ces actions préventives n'a
été conduite, c'est donc a posteriori qu'il va falloir
s'assurer que toutes les mesures destinées à assurer la
protection de l'environnement et même éventuellement de la
santé humaine seront bien prises.
Pendant toute la période de fonctionnement du CEP, le suivi de la
radioactivité a été assuré par le Service mixte de
surveillance de la radiologie et de la biologie (SMSRB). Près de deux
cents médecins, chercheurs et techniciens, parfois assistés par
des plongeurs, ont procédé à des
prélèvements et à des analyses pour essayer de
détecter toutes les formes de pollution radioactive. Le caractère
militaire du SMSRB et le secret auquel il était tenu sur certains des
résultats obtenus ont bien entendu donné prise aux critiques des
antinucléaires. De nos rencontres en Métropole et sur place
à Mururoa, nous avons retiré l'impression que ce service a
toujours rempli les tâches qui lui étaient confiées avec
compétence, sérieux et honnêteté, et qu'il n'y a pas
lieu de mettre en doute systématiquement ses conclusions qui ont, en
général, d'ailleurs été confirmées par les
experts indépendants des autorités militaires françaises
Mais qu'en sera-t-il de ces contrôles après la fermeture
définitive du CEP ?
Selon les indications qui nous ont été données, le SMSRB
va être rapatrié en Métropole, les contrôles
journaliers (eau, air) ou séquentiels (sédiments, chaîne
biologique, plancton, algues, ...) ne pourront donc plus être
assurés avec la même régularité. En principe, pour
les dix ans qui viennent, il est prévu qu'une équipe venant de la
Métropole effectuera, chaque année, une campagne de
prélèvements, ce qui nécessitera d'ailleurs le maintien
à Tahiti d'un bateau spécialisé.
Ces campagnes annuelles de prélèvements seront
complétées par un suivi continu effectué grâce
à une dizaine de capteurs automatisés qui enverront le
résultat de leurs mesures, par satellite, jusqu'à un centre du
CEA en Métropole.
Sur un plan scientifique, ce dispositif peut paraître satisfaisant.
Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'il ne suffira certainement pas à
apaiser toutes les craintes des populations concernées.
La surveillance de la radioactivité n'a pas, en effet, qu'un objectif
scientifique, elle doit être aussi motivée par le souci de
maintenir la confiance du public.
La mise en place ou le maintien d'une telle surveillance passe donc par le
choix d'une institution, existante ou à créer, dont le
sérieux, l'honnêteté et surtout la permanence ne pourront
pas être mis en doute.
A propos de la surveillance des installations de stockage de déchets
radioactifs, un groupe de sociologues faisait d'ailleurs remarquer que
"le
choix d'un dispositif de régulation et de surveillance ne relève
pas d'une détermination scientifique, c'est essentiellement un choix
politique"
.
92(
*
)
Dans ces conditions, il conviendrait donc :
- de prévoir dès maintenant un dispositif de surveillance
de la radioactivité permanent et qui, en tout état de cause,
restera actif bien au-delà de la période de dix années
actuellement envisagée ;
- de mettre en place immédiatement une signalétique aussi
indestructible que possible indiquant que les deux atolls sont susceptibles
d'être contaminés par de la radioactivité. Plusieurs
instances ont recommandé, pour cela, la construction de pyramides de
cuivre portant le signe de la radioactivité ;
- de rapprocher, à terme, ce dispositif de surveillance de la
radioactivité des populations polynésiennes concernées, en
confiant cette tâche au Laboratoire d'étude et de surveillance de
l'environnement de l'Institut de protection et de sûreté
nucléaire (IPSN) installé à Tahiti et actuellement
chargé du suivi de la radioactivité pour toute la
Polynésie française, mais à l'exception de Mururoa et de
Fangataufa ;
- de chercher à former des étudiants polynésiens aux
techniques de mesure et de surveillance de la radioactivité pour
qu'à terme, la responsabilité des contrôles puisse
être assurée localement même si la Métropole doit
continuer à en assumer les frais ;
- de lever le "secret défense" et plus généralement
de laisser le libre accès à toutes les données
indispensables pour contrôler et apprécier les conséquences
environnementales et éventuellement sanitaires des essais
nucléaires.
3°/ LES CONSÉQUENCES POUR LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Les importantes et graves manifestations qui se sont
déroulées pendant l'été 1995 pour protester contre
la reprise des essais nucléaires ont bien montré que cette
affaire se déroulait dans un contexte bien particulier et
différent de celui de la Métropole. On ne peut nier, en effet,
les particularités du peuple polynésien et la
spécificité des problèmes liés à
l'insularité.
Depuis la loi du 12 avril 1996, la Polynésie française
dispose d'une large autonomie, les compétences de l'Etat étant
strictement définies et limitées aux matières relevant de
la souveraineté.
L'avenir des atolls de Mururoa et de Fangataufa devra dont être
décidé avec les autorités de la Polynésie
française, qui sont désormais
"compétentes dans toutes
les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par la loi
du 12 avril 1996"
.
Dès lors que cette loi n'a réservé ni la protection de
l'environnement, ni celle de la santé publique, à l'Etat, ce sont
donc bien les Polynésiens et leurs représentants qui devront
prendre en charge toutes les questions qui relèvent de ces deux domaines.
A/ Le statut juridique des deux atolls
Par une procédure peut-être légale dans la
forme mais quelque peu douteuse quant au fond, la Commission permanente de
l'Assemblée territoriale a cédé gracieusement, le
6 février 1964, les atolls de Mururoa et de Fangataufa à
l'Etat français
"pour les besoins du Centre d'expérimentations
du Pacifique"
.
Cette même délibération de la Commission permanente avait
toutefois prévu qu'
"au cas de cessation des activités du
Centre d'expérimentations du Pacifique, les atolls de Mururoa et de
Fangataufa feront d'office retour gratuit au domaine du territoire dans
l'état où ils se trouveront à cette époque, sans
dédommagement ni réparation d'aucune sorte de la part de
l'Etat"
.
Si on devait suivre à la lettre ces dispositions supposées avoir
été acceptées librement par les Polynésiens, la
situation serait parfaitement claire : à partir du moment où
l'Etat français n'a plus besoin des deux atolls, il les redonne au
Territoire, dans l'état où ils se trouvent, à charge pour
les autorités de la Polynésie française de se charger de
tous les problèmes qui pourraient survenir.
L'iniquité de cette disposition était tellement flagrante que le
Gouvernement français a décidé de passer avec la
Polynésie une convention pour le renforcement de l'autonomie
économique, destinée en fait à atténuer le choc
économique qu'ont produit l'arrêt définitif des essais
nucléaires et la fermeture du CEP. Pour ne pas trop pénaliser
l'économie du territoire, l'Etat s'est ainsi engagé à
verser chaque année jusqu'en 2006 une enveloppe de 990 millions de
francs, les dépenses effectives du CEP résultant des
activités de démantèlement étant au départ
complétées par des subventions jusqu'à concurrence du
montant contractuellement prévu.
Si le maintien pendant dix ans des flux financiers qui résultaient de
l'activité du CEP peut, dans une certaine mesure, justifier la
surveillance que l'Etat va continuer à exercer sur les deux atolls, il
n'en demeure pas moins que Mururoa et Fangataufa doivent être
désormais considérés comme faisant pleinement partie de la
Polynésie française.
Toutes les mesures qui pourront être prévues pour assurer la
surveillance contre les intrusions ou pour suivre l'évolution de la
radioactivité ne pourront donc être prises qu'avec l'accord des
Polynésiens eux-mêmes.
Il sera sans doute relativement aisé de parvenir à un accord pour
toute la période de transition, mais qu'en sera-t-il au terme des dix
années prévues ?
Il n'est pas certain en effet que la Polynésie française soit, en
2006, techniquement et économiquement en état d'assurer la
surveillance effective des anciens sites d'essais. Des conventions avec les
organismes, tels que l'ANDRA ou l'IPSN, qui pourraient se charger de cette
tâche pour le compte de la Polynésie devraient être
étudiées dès maintenant. Il ne faudrait pas en effet
attendre la disparition de la DIRCEN, prévue pour 1999, pour mettre en
place les mécanismes de surveillance qui devraient rester en place
pendant une durée de temps qu'il est impossible de déterminer
aujourd'hui.
B/ Le suivi sanitaire des populations polynésiennes
Si toutes les études actuellement disponibles semblent
démontrer que les essais souterrains n'ont eu aucun impact sur la
santé des populations du Pacifique Sud, il ne faut cependant pas oublier
que les essais aériens d'avant 1974 ont entraîné des
retombées radioactives qui, sans être préoccupantes, n'en
sont pas moins significatives selon les termes du rapport Tazieff. Il ne faut
pas oublier non plus que plusieurs milliers de travailleurs polynésiens
ont séjourné à Mururoa et qu'ils doivent pouvoir
bénéficier d'un suivi médical régulier et
spécifique.
Bien que le problème de l'impact sanitaire des essais n'entre pas, au
sens strict, dans le cadre du présent rapport essentiellement
consacré à la gestion des déchets, on ne peut passer sous
silence le malaise que cette question provoque dans la population
polynésienne, qui ne sait plus très bien qui croire.
En effet, comme le note très bien la CRII-RAD :
"Celui qui
s'interroge sur l'impact sanitaire des essais est confronté à
deux discours inconciliables :
- d'un côté des témoignages, souvent bouleversants,
sur des cas de malformations, d'enfants mort-nés, sur des familles
lourdement touchées par le cancer, sur des décès suspects,
des cercueils plombés ...
- de l'autre les affirmations catégoriques des autorités
militaires : toutes les précautions ont été prises,
il n'y a pas de pollution et donc pas d'impact
sanitaire."
93(
*
)
Il est certain que quelques groupuscules, pour des motifs pas toujours
très clairs, cherchent à affoler la population en mettant toutes
les maladies qui surviennent en Polynésie sur le compte des essais.
Mais, d'un autre côté, peut-on se satisfaire des
déclarations officielles qui évacuent le problème d'un
trait de plume :
"Aucune augmentation de maladies pouvant être
d'origine radiologique (cancers ...) n'a été observée
parmi les populations polynésiennes ou parmi les personnels civils et
militaires de la base"
?
94(
*
)
Actuellement, la situation radiologique de la Polynésie
française, suivie régulièrement aussi bien par le SMSRB
que par l'IPSN, est bonne : en 1995, la valeur de la radioactivité
artificielle correspondait à moins de 1 % de l'exposition due
à la radioactivité naturelle.
Mais en a-t-il été toujours ainsi dans le passé et
n'a-t-on pas enregistré à certaines périodes des
expositions significatives sur le plan sanitaire ?
Quelques exemples récents nous montrent que les études
épidémiologiques, surtout quand elles portent sur les effets des
faibles doses de radioactivité, sont très difficiles à
conduire et que leurs résultats ne sont pas toujours très
probants.
Il n'en demeure pas moins que pour mettre fin aux controverses qui
continuent à se développer, comme nous avons pu le constater
à Tahiti, il serait indiqué de lancer une étude
sérieuse et indépendante sur la mortalité par cancer dans
l'ensemble de la Polynésie.
Pour en finir avec les rumeurs et les craintes souvent injustifiées, il
ne suffit pas d'affirmer péremptoirement qu'il n'y a pas de risque, il
faut tenter d'en apporter la preuve et par des moyens qui seront
considérés comme crédibles par les populations
concernées. En 1982, le rapport Tazieff faisait déjà
remarquer :
"Bien que l'objet de cette mission soit essentiellement
scientifique et technique, il faut noter que les participants de la mission ont
pu retirer de leurs contacts avec les représentants de la population
l'impression que le manque systématique d'informations où on les
a laissés ne favorise pas l'établissement de relations confiantes
avec les spécialistes qu'on leur demande ensuite de croire."
Sur la question de l'éventuel impact sanitaire des essais, il ne semble
pas, malheureusement, que la situation ait beaucoup évolué depuis
1982.
Le rapport de l'AIEA va très certainement faire le point
définitivement sur la situation radiologique des deux atolls. Si on veut
tourner définitivement la page après l'arrêt des essais, il
faut qu'une enquête du même type soit conduite sur l'état
sanitaire des populations de la Polynésie française.
Si une telle enquête devait, par malheur, conclure qu'il y a eu dans
certains cas une liaison entre les essais et l'état de santé de
quelques personnes, il y aurait alors lieu de prévoir les
réparations nécessaires.
Le coût de telles réparations ne serait de toute façon que
tout à fait minime par rapport aux sommes dépensées pour
les essais, et il faut également toujours se souvenir que les
Polynésiens n'avaient pas demandé à accueillir ces essais,
sur lesquels il n'ont d'ailleurs même pas été
véritablement consultés.
CONCLUSION GÉNÉRALE
ET RECOMMANDATIONS
EN CE QUI CONCERNE LES ESSAIS DANS LE PACIFIQUE
Une page est définitivement tournée. Les essais nucléaires
appartiennent au passé mais leurs effets persisteront malheureusement
encore pendant des siècles, si ce n'est des millénaires.
Il est aujourd'hui difficile de porter un jugement objectif sur ce qui a
été fait pendant les années de la guerre froide. Tous les
pays disposant d'armes nucléaires, et pas seulement la France, ont eu
des pratiques qui seraient totalement impensables de nos jours.
Il nous reste désormais à gérer du mieux possible les
conséquences de ce que nous sommes aujourd'hui tentés de
qualifier d'erreurs ou d'imprudences.
Les essais atmosphériques ont été particulièrement
polluants et bien que cela n'entre pas dans le cadre du présent rapport
au sens strict, je me dois de recommander que les conséquences
éventuelles de ces essais sur les travailleurs ou les populations
avoisinantes fassent l'objet d'études épidémiologiques
poussées et réalisées dans des conditions claires.
Les études épidémiologiques sérieuses sont
difficiles à conduire et coûteuses, mais elles devraient
contribuer à conforter l'avenir des relations entre la Métropole
et la Polynésie.
Les Polynésiens n'ont jamais été consultés sur
l'implantation du centre d'essai ; si des torts leur ont été
portés, ils doivent être réparés.
En ce qui concerne les essais souterrains, pour le moment leurs effets, en
surface, semblent extrêmement limités sinon nuls.
A cette affirmation j'apporterai cependant deux restrictions importantes.
Tout d'abord, les informations dont j'ai pu disposer proviennent pratiquement
toutes de sources officielles.
Des experts de plusieurs nationalités ont été
mandatés par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, en accord
avec les autorités françaises, pour faire un bilan de la
contamination radiologique des deux atolls de Mururoa et de Fangataufa.
Si les conclusions des experts de l'AIEA, qui seront rendues en 1998, ne
correspondaient pas aux informations dont j'ai pu disposer, je demanderai au
Parlement français de procéder à une enquête
approfondie en utilisant au besoin tous les moyens de coercition que la loi
créant l'Office a mis à notre disposition.
Ma deuxième observation porte sur l'évolution possible de la
situation. Apparemment, il n'y a pas pour le moment de risque de
dissémination de la radioactivité enfermée dans le socle
des atolls, mais on ne peut préjuger de l'avenir.
Je demande donc qu'on applique pour ces deux atolls le principe de
précaution, et que l'on considère qu'ils constituent
définitivement des sites de stockage de déchets nucléaires
qui devront donc être gérés avec toutes les
précautions qui s'imposent.
Les îles de Mururoa et de Fangataufa devront rester inhabitées et
surveillées. Cette surveillance devra s'exercer bien au-delà des
dix années qui sont actuellement prévues, aux frais de la
Métropole, par une structure locale et, dès que cela sera
possible, avec des personnels recrutés sur place.
La fermeture et le démantèlement du Centre
d'Expérimentations du Pacifique n'exonèrent pas la France de ses
responsabilités. Quelle que puisse être l'évolution de nos
rapports avec le Territoire de la Polynésie française, nous
resterons comptables des conséquences éventuelles des essais qui
y ont été réalisés.
SUR LA GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES MILITAIRES
Quels enseignements peut-on tirer de cette première enquête
parlementaire sur la gestion des déchets radioactifs provenant
d'activités liées à la Défense nationale ?
Il faut tout d'abord rappeler qu'il s'agissait de la première approche
d'un dossier complexe et particulièrement mal connu jusqu'ici, ce qui
fait que cette étude n'est ni complète ni exhaustive. S'informer
de la nature et de l'étendue d'un problème sur lequel il n'existe
pratiquement aucune synthèse publique et indépendante constitue
une tâche passionnante mais difficile. Il n'en demeure pas moins que
l'Office, et à travers lui le Parlement dans son ensemble, ne doit pas
rester indifférent dès lors qu'il pourrait exister un risque,
même éventuel ou minime, pour la santé des populations et
des travailleurs concernés.
Contrairement à ce que je pouvais penser au départ, les
difficultés ne sont pas venues des réticences de mes
interlocuteurs, mais plutôt du fait que jusqu'ici personne, hormis les
responsables de la Direction des Applications Militaires et les
autorités de sûreté des INB-S, ne s'était
véritablement soucié de l'aval du cycle dans le domaine du
nucléaire militaire. D'où l'impossibilité où je me
suis trouvé, bien souvent, de pouvoir confronter les sources officielles
avec des documents d'origine différente.
Cette étude doit contribuer à faire prendre conscience que l'aval
du cycle nucléaire "civil" n'est pas le seul problème de
déchets radioactifs que nous avons à gérer. Son contenu
sera peut-être repris ensuite comme une des composantes du "triptyque
responsabilité-transparence-démocratie" qui figurait dans mon
rapport dès 1990 et que certains semblent aujourd'hui découvrir.
Il convient tout d'abord de souligner les points positifs qui se
dégagent des investigations que j'ai menées au cours de ces
derniers mois.
J'ai tout d'abord constaté, avec plaisir, que tous les militaires et les
personnels de la DAM interrogés se sont efforcés de me renseigner
le plus complètement et le plus honnêtement possible.
Toutes mes questions ont reçu des réponses que j'ai estimé
satisfaisantes sauf sur deux ou trois points qui, à vrai dire,
concernent plus la fabrication des armes que les déchets au sens strict.
Peut-on, pour autant, être assuré que tous les aspects importants
de ce dossier ont été traités ?
Il existe peut-être des sujets que nos interlocuteurs, liés par le
secret défense, ont évité d'aborder et sur lesquels, faute
d'informations préalables, je n'ai pas pu poser de questions
dérangeantes.
Je reste cependant persuadé que les responsables de la DAM, et le
Haut Commissaire lui-même, sont aujourd'hui convaincus que la
gestion de leurs déchets radioactifs doit se faire avec la plus grande
transparence possible, même si la réglementation actuelle ne s'y
prête pas toujours.
Le second point positif que je voudrais souligner, c'est la volonté,
nettement affirmée, de tous les responsables d'assainir la
totalité des sites nucléaires liés aux activités de
défense. Le programme d'assainissement des installations civiles du CEA
conduit, depuis 1991, avec beaucoup de fermeté, par les deux titulaires
successifs de la Direction de la gestion des déchets, a manifestement eu
une influence bénéfique sur l'ensemble du CEA. Les responsables
de la DAM considèrent désormais, eux aussi, la gestion des
déchets, l'assainissement des sites et le démantèlement
des installations hors service comme une priorité et non comme une
contrainte imposée de l'extérieur. Il est évident que le
réveil de l'intérêt du Parlement pour ces questions, depuis
près d'une décennie, a aussi contribué à cette
prise de conscience et à l'évolution des mentalités.
Autre aspect plutôt encourageant de ce dossier, c'est qu'il
apparaît très nettement que les quantités de déchets
provenant des activités militaires sont sans commune mesure avec celles
qui ont été et qui seront générées par la
production d'électricité. Cela ne signifie pas, bien entendu, que
ces déchets présentent moins de danger mais simplement que leur
gestion et leur évacuation nécessiteront beaucoup moins d'efforts
techniques et financiers que dans le secteur nucléaire civil. Le
programme français d'assainissement des sites militaires n'est en rien
comparable avec le programme américain de "clean up" qui va, s'il
est poursuivi jusqu'à son terme, engouffrer un montant
considérable de crédits.
Il faut enfin constater que les déchets actuellement entreposés
sur des sites classés en INB-S sont parfaitement surveillés et
à l'abri de tout risque de détournement ou d'actions
malveillantes. Sur le plan de la sécurité de ces entreposages, il
n'y a donc rien à redouter même si leur sûreté peut,
en revanche, parfois faire l'objet de certaines inquiétudes et donner
lieu à des critiques justifiées.
Malgré ces quelques éléments réellement positifs,
il n'en demeure pas moins que le dossier des déchets nucléaires
liés aux activités de défense est loin d'être
parfait et que les autorités de tutelle, mais aussi la
représentation nationale, devront rester vigilantes afin que certaines
opérations prévues et annoncées ne s'enlisent pas dans la
routine et que la réduction des moyens accordés au secteur de la
Défense ne conduise pas à différer des mesures urgentes et
nécessaires.
Il faudra donc tout d'abord veiller à ce que le financement des
programmes de gestion des déchets et d'assainissement des sites, qui a
fait jusqu'ici l'objet d'un effort certain, ne soit pas remis en question au
profit d'autres types d'activités.
En matière de production et d'essai des armes nucléaires, une
page a été heureusement tournée. La réduction des
crédits destinés à la dissuasion nucléaire qui en
est la conséquence ne doit toutefois pas conduire à
considérer que l'apurement du passé ne constitue plus une
priorité.
Le risque d'un ralentissement dans le financement des actions d'assainissement
et de démantèlement n'est pas théorique ; ces
opérations coûtent cher et peuvent apparaître, aux yeux des
responsables, comme quelque peu secondaires par rapport aux besoins strictement
militaires. Elles ne sont, en effet, pas très gratifiantes et l'on
comprend bien que la production d'armes nouvelles suscite plus d'enthousiasme
que le nettoyage d'installations anciennes arrêtées parfois depuis
très longtemps.
Il faut cependant affirmer avec force que la gestion des déchets fait
partie intégrante de la dissuasion nucléaire et qu'elle ne doit
pas être sacrifiée au profit d'investissements qui pourraient
apparaître dans d'autres secteurs.
La nécessaire transparence qui doit présider à la
gestion de tous les éléments radioactifs, quelle que soit leur
origine, devrait conduire à lever le secret défense pour tout ce
qui concerne la gestion des déchets
sauf dans les cas, certainement
très peu nombreux, où la liberté de l'information
risquerait de fournir des informations préjudiciables à la
sécurité militaire.
Dès lors que les déchets sont appelés à quitter un
jour ou l'autre les sites militaires et les INB-S pour rejoindre les centres
civils de l'ANDRA, il n'y a pas lieu de conserver des règles de secret
qui ne peuvent qu'alimenter une certaine suspicion envers des activités
qui pourraient éventuellement avoir des conséquences sur
l'environnement et sur la santé des populations. L'inscription à
l'inventaire de l'ANDRA des déchets entreposés dans tous les
établissements relevant de la Défense nationale a marqué,
en ce sens, un réel progrès.
De la même façon,
la gestion de l'ensemble des déchets
nucléaires du CEA devrait être réunifiée et
confiée à une direction unique
qui serait ainsi mieux
à même de définir une politique d'ensemble
cohérente. Certains déchets, qu'ils soient d'origine purement
civile ou militaire, posent exactement les mêmes problèmes ;
les solutions qui devront être trouvées pour les gérer et
les évacuer devront en conséquence être identiques.
Il est évident que les personnels de la Direction civile des
déchets du CEA et de la DAM entretiennent d'ores et déjà
des contacts très étroits, mais l'unification de la structure
chargée des déchets renforcerait ses pouvoirs et permettrait
d'obtenir une plus grande lisibilité des programmes du CEA dans ce
domaine.
Il est même peut-être temps d'aller plus loin dans cette direction
et de
confier à une structure unique les pouvoirs de décision
en matière de gestion des déchets nucléaires, que ceux-ci
proviennent d'EDF, de la COGEMA ou du CEA civil et militaire
. Ces trois
organismes sont en effet confrontés à des problèmes
identiques qui appellent des solutions uniques. Les solutions à
apporter, dans les nombreux cas où l'on ne dispose pas pour le moment
d'exutoire définitif, ne dépendent pas en effet de l'origine des
déchets mais de leurs caractéristiques propres. C'est le cas, par
exemple, de façon évidente, pour les déchets très
faiblement radioactifs qui risquent d'encombrer les sites des trois organismes
qui en produisent et qui, surtout, vont en produire de plus en plus dans les
années qui viennent.
Il existe aujourd'hui un organisme chargé du stockage des
déchets, l'ANDRA, une direction du ministère de l'Industrie
chargée de contrôler la sûreté des installations
nucléaires, la DSIN, mais il n'y a pas d'autorité chargée
de définir et de faire appliquer une politique globale et
cohérente de l'aval du cycle nucléaire.
Nous proposons donc la
création auprès du Premier Ministre
d'une Délégation interministérielle à l'aval du
cycle nucléaire placée sous l'autorité conjointe des
ministères de l'Industrie, de l'Environnement, de la Santé et de
la Défense
.
Cette délégation aurait compétence pour tout ce qui
concerne la gestion des déchets nucléaires, avant leur transfert
définitif à l'ANDRA, l'assainissement des sites et le
démantèlement des installations déclassées, autant
de sujets qui constituent aujourd'hui un enjeu politique, économique et
social majeur.
La population et les responsables politiques considèrent
désormais, dans leur grande majorité, que l'aval du cycle
nucléaire n'est pas un dossier comme les autres. Il convient donc de
rechercher, pour le traiter, des solutions spécifiques et
adaptées à l'importance des choix qui devront être
effectués dans les années à venir.
Ces choix doivent se faire dans la plus grande transparence. Un dossier aussi
sensible, qui conditionne l'avenir de notre politique
énergétique, ne doit pas être ballotté au gré
de jeux d'influences aussi minoritaires que souterraines.
Une politique de l'aval du cycle clairement définie, conduite avec
autorité et sans hésitation, serait le meilleur moyen de
répondre aux craintes de nos concitoyens et de mettre fin à
certaines polémiques stériles qui risquent, en définitive,
de rejeter sur les générations futures le soin de résoudre
les problèmes que nous avons nous-mêmes créés.
On a parfois envisagé de confier ces responsabilités à une
autorité indépendante sous la surveillance du Parlement. C'est
par exemple ce que vient de préconiser en Grande-Bretagne le
Parliamentary Office of Science and Technology, organisme homologue de l'office
français. Ce n'est pas la solution que je propose de retenir.
Le fonctionnement quelque peu chaotique de certaines "hautes
autorités"
existantes n'incite pas à confier la définition d'une politique
à très long terme à une structure dont la composition
serait, de par sa nature même, soumise à de très brusques
fluctuations.
Une organisation du type de la DATAR me paraîtrait beaucoup plus
appropriée. Regroupant autour d'un délégué un
nombre très limité de collaborateurs, sans toutefois constituer
une administration nouvelle, cette nouvelle structure pourrait fonctionner en
ayant un "droit de tirage" sur les services compétents dépendant
de différents ministères tels que la DSIN, l'IPSN ou l'OPRI.
Si cette Délégation à l'aval du cycle nucléaire
devait être instituée, les textes constitutifs devraient
nécessairement prévoir :
- que sa compétence s'exercera également sur les
déchets et les installations déclassées ayant servi aux
activités militaires ;
- que le Parlement sera obligatoirement et régulièrement
informé des mesures proposées par le
délégué.
La représentation nationale pourrait en effet utilement oeuvrer vers
plus de transparence grâce à quelques députés et
sénateurs, représentant la majorité et l'opposition,
désignés à cet effet et à même de disposer
d'une information spécifique.
Une politique d'ensemble pourrait donc peu à peu se mettre en place
mais, vu la difficulté du sujet, il faudra encore du temps pour arriver
à la définition et à la mise en oeuvre d'un programme
précis. Il ne faut toutefois pas oublier que certains de ces choix
doivent s'effectuer relativement rapidement, notamment pour tout ce qui
concerne le démantèlement des installations anciennes, afin de ne
pas perdre la mémoire de ces installations et pour utiliser au mieux les
personnels, très qualifiés, que l'arrêt de la production
des combustibles nucléaires risquerait de laisser sans occupation.
Toutes les opérations d'entreposage, de stockage, de recyclage, de
démantèlement et d'assainissement, dès lors qu'elles
intéressent des matériaux contaminés par la
radioactivité, doivent en effet être impérativement
conduites par des personnels spécialisés et formés
à ces tâches sur des sites déjà exclusivement
affectés à des activités nucléaires.
Dans l'immédiat et tant que le Parlement n'en aura pas
décidé autrement, la loi du 30 décembre 1991 doit
s'appliquer dans son intégralité et selon le calendrier
prévu.
Il est clair aujourd'hui que cette loi est en train de réussir et donc
d'éviter une paralysie progressive de tout le cycle nucléaire.
Elle inspire d'ailleurs les autorités étrangères au Japon,
en Allemagne ou en Suède par exemple. La communauté
internationale souhaite sa réussite.
Il est non moins clair que des opposants peu nombreux cherchent, par tous les
moyens, à tenter de dénaturer la loi de 1991, à la vider
de son contenu, voire à l'abroger pour rouvrir à nouveau le
procès des pouvoirs publics et de l'Etat réputés coupables.
Il n'appartient pas à de petits groupes d'individus de tenter de mettre
en cause, par des manoeuvres dilatoires, l'application d'une loi de la
République.
Plutôt que des manoeuvres d'appareil, l'exigence démocratique de
plus en plus forte sur ce point doit conduire à un débat clair
devant la représentation nationale, expression de la volonté
populaire.
Comme on vient de le voir dans le présent rapport, et si les solutions
proposées par la loi étaient retardées, les centres
militaires du CEA risqueraient de se transformer peu à peu et
subrepticement en centres de stockage, ce qui n'est pas dans leurs
compétences. Il faut donc impérativement rechercher dès
maintenant des solutions pour l'évacuation et le stockage
définitif des déchets qui y sont provisoirement entreposés.
C'est en poursuivant les recherches dans toutes les directions que nous
travaillons pour les générations de l'avenir. L'immobilisme est
certes une solution tentante mais elle est inefficace.
En avançant dans la réflexion sur l'aval du cycle
nucléaire, il apparaît de plus en plus probable qu'il n'y aura pas
de solution unique pour l'évacuation définitive de la
totalité des déchets nucléaires mais qu'il faudra,
beaucoup plus certainement, mettre en place une combinaison des trois voies
pour pouvoir s'adapter à leur très grande
hétérogénéité, du moins pour ceux qui
existent déjà.
Les trois voies de recherche prévues par la loi du
30 décembre 1991 :
- séparation et transmutation des éléments à
vie longue,
- étude des possibilités de stockage réversible ou
irréversible dans les formations géologiques profondes,
- étude des procédés de conditionnement et
d'entreposage de longue durée en surface des déchets,
doivent donc être conduites simultanément.
Aucune de ces trois voies de recherche ne doit être sacrifiée,
voire abandonnée. Dans le premier tome de ce rapport, j'avais
vigoureusement protesté contre l'insuffisance des recherches sur
l'entreposage à long terme en surface et sur le stockage direct des
combustibles irradiés. Manifestement, ce message a été
entendu mais il ne faudrait pas maintenant que le rééquilibrage
en faveur des solutions en surface ou sub-surface devienne la nouvelle
pensée unique. Plus que jamais l'ouverture et la tolérance seront
utiles sur ce dossier complexe.
EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE
Le présent rapport a été
examiné par les députés et les sénateurs membres de
l'Office lors de la réunion qui s'est tenue au Sénat le mercredi
10 décembre 1997.
A l'issue de l'exposé par
M. Christian Bataille
des
conclusions de son rapport,
M. Jean-Yves Le Déaut,
député et président de l'Office
, après avoir
félicité le rapporteur de l'ardeur avec laquelle il soutenait ses
propositions, a souligné que si un tel sujet pouvait être
désormais abordé au Parlement, c'était en raison d'une
application moins stricte des règles de secret qui entourent toutes les
questions liées à la défense nationale.
Il a toutefois fait remarquer qu'il était quand même difficile de
traiter exhaustivement ces sujets en raison des règles
particulières de contrôle qui continuent à s'appliquer au
nucléaire militaire, et il a estimé qu'il conviendrait
désormais d'accroître l'indépendance des contrôleurs
de ce secteur.
Il a insisté sur la nécessité d'organiser, le plus
rapidement possible, devant le Parlement, un débat sur l'énergie,
faisant valoir qu'il s'agissait là d'un souhait unanimement
exprimé par les membres de l'Office.
M. Yves Cochet, député,
a réaffirmé que
la loi du 30 décembre 1991 devait s'appliquer dans son
intégralité et qu'aucune des voies de recherche prévues
par cette loi ne devait être négligée. Il a estimé
que, pour trouver une solution à l'aval du cycle nucléaire, il ne
fallait ni rien privilégier, ni rien exclure, tout en comprenant bien
que certains des habitants des régions concernées puissent
s'opposer aux projets de stockages souterrains.
Il a enfin interrogé le rapporteur sur les modalités de stockage
des déchets dans des puits de l'atoll de Mururoa.
M. Christian Bataille
a précisé qu'il s'agissait de
deux puits qui n'avaient pas été utilisés pour des essais
nucléaires mais qui avaient été spécialement
creusés pour y enfouir les déchets produits par les manipulations
qui précèdent ou suivent les essais. Il a indiqué que ces
résidus étaient conditionnés dans des fûts et
déposés au fond des puits, et qu'il s'agissait à la fois
de déchets technologiques, de matériel provenant du
démantèlement des installations et de produits radioactifs. Il a
fait valoir que, selon les responsables des tirs, l'ensemble des déchets
ainsi enfouis ne représente au total qu'une très faible
activité radioactive comparable à celle des entreposages de
surface de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et
que les experts chargés du rapport Atkinson avaient estimé que
les décharges de déchets radioactifs n'avaient pas de
conséquence radiologique ou environnementale identifiable.
Revenant sur l'application de la loi du 30 décembre 1991, il a
particulièrement insisté sur la nécessité de
disposer d'au moins deux laboratoires souterrains de recherche. Il a
également rappelé l'importance qu'il attachait aux recherches sur
la transmutation qui doivent être poursuivies même si la fermeture
de Superphénix devenait effective.
A propos des recherches sur le stockage ou l'entreposage en surface ou en
sub-surface, dont il avait demandé la réactivation dans la
première partie du rapport, il fait part des informations qu'il avait
retirées de sa visite aux installations suédoises de ce type tout
en faisant remarquer que les problèmes sont très
différents dans ce pays qui ne retraite pas le combustible
irradié.
M. Serge Poignant, député
, a rappelé qu'ayant
participé à la mission de l'Office dans les atolls, il avait pu
constater que grâce aux efforts d'assainissement réalisés
sur place, les doses de radioactivité étaient faibles à
Mururoa mais qu'il n'était pas pour autant question d'installer des
zones d'habitation sur cette île, qui offre d'ailleurs peu
d'intérêt car elle se situe à près de quatre heures
d'avion de Tahiti. En accord avec les conclusions de M. Christian
Bataille, il a estimé indispensable de maintenir un contrôle de la
radioactivité dans ces îles et d'étudier attentivement le
rapport que l'Agence Internationale de l'Energie Atomique va prochainement
publier sur ce sujet.
Il a exprimé son accord sur le projet de création auprès
du Premier ministre d'une délégation interministérielle
à l'aval du cycle nucléaire placée sous l'autorité
conjointe des ministères de l'Industrie, de l'Environnement, de la
Santé et de la Défense, une telle structure pouvant permettre
d'éviter une situation de blocage.
M. Claude Birraux, député
, a indiqué qu'en
vertu du principe de précaution, il convenait de mesurer la
radioactivité dans les atolls de Mururoa et Fangataufa pendant plus de
dix ans et de prévoir une autorité locale ou nationale à
qui l'on rendrait compte de ces mesures.
M. Christian Bataille
a fait valoir qu'il avait
préféré ne pas désigner précisément
le niveau -territorial ou national- où se situerait l'autorité de
contrôle, mais a réaffirmé que la France devait assumer ses
responsabilités sans limitation de temps.
En application de l'article 32 du Règlement intérieur de
l'Office, les membres de la Délégation ont, à
l'unanimité, décidé d'autoriser la publication du
présent rapport.
ANNEXE
PRINCIPALES UNITÉS ET ABRÉVIATIONS UTILISÉES
Le
Becquerel
(Bq) est l'unité d'activité
qui correspond à une désintégration spontanée par
seconde d'un noyau d'atome.
37 GBq = 37.10
9
Becquerels = 1 gramme de Radium 226.
KBq = Kilobecquerel = 10
3
Becquerels =
1 000 Becquerels.
MBq = Mégabecquerel = 10
6
Becquerels = 1 million de
Becquerels.
GBq = Gigabecquerel = 10
9
Becquerels = 1 milliard de Becquerels.
TBq = Térabecquerel = 10
12
Becquerels = 1 million de
millions de Becquerels.
PBq = Pétabecquerel = 10
15
Becquerels.
Le
Curie
, ancienne mesure de l'activité radioactive =
3,7 10
10
Bq.
La radioactivité massique s'exprime en Becquerels par gramme de matière : Bq/g .
Classification sommaire des déchets radioactifs
avec quelques exemples :
TFA
= Très Faible Activité Produits de
démantèlement : terres et gravats, ferrailles.
FA
= Faible Activité Déchets technologiques : gants,
vêtements, huiles, filtres.
MA
= Moyenne activité Résines, solvants, concentrats,
générateurs de vapeur.
HA
= Haute Activité Produits de fission, métaux
activés.
1 Rapport sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité, Christian Bataille, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Assemblée nationale 1839 - Sénat 184, Décembre 1990
2
Les déchets nucléaires
militaires français. Bruno Barillot et Mary Davis. Centre de
documentation et de recherche sur la Paix et les conflits. Lyon 1994
3
Contrôle de la sûreté et de la
sécurité des installations nucléaires. Claude
Birraux - Office parlementaire d'évaluation - Décembre
1994 - page 64 et suivantes
4
US Spent Fuel and Radioactive Waste Inventories Prepared for
US Department of Energy by Oak Ridge National Laboratory
5 High-Level Waste Management at the DOE Weapons Complex, OTA, 1991
6
Specific activity is defined in this table
to be the radioactivity of a waste type at a given time divided by the volume
of that waste type at the given time.
7
L'arme nucléaire française. Pourquoi et
comment ?, Marcel Duval et Yves Le Baut, Editions Kronos 1992.
8
Les armes modernes, Kosta Tsipis, Editions
Antrophos 1986.
9
Les déchets nucléaires, Armand Faussat, ancien
directeur général adjoint de l'ANDRA, Stock 1997.
10
Isotope : élément
chimique ayant le même nombre de protons et d'électrons mais un
nombre différent de neutrons.
11
Le Cri du RAD, Spécial plutonium. Commission de
Recherche et d'Information Indépendante sur la Radioactivité,
n° 12 13, automne 1990.
12
Le combustible au plutonium, Agence pour
l'Energie Nucléaire de l'OCDE, Paris 1989, page 30.
13
Les déchets nucléaires militaires
français, Bruno Barillot et Mary Davis, Op. déjà
cité, page 239.
14 Le laboratoire automatisé de mesure du plutonium, P. Marty et D. Dall'Ava, Choc Revue scientifique et technique de la DAM, 10 avril 1994.
15 Rapport d'activité 1995 de la Direction chargée de la gestion des déchets du CEA, page 71.
16 Le tritium de l'environnement à l'homme, Coordinateurs : Yves Belot, Monique Roy et Henri Métivier, IPSN, Les Editions de Physique 1997.
17
Le tritium de l'environnement à
l'homme, Op. déjà cité, page 137.
18
Two cases of tritium fatality, W. Seelentag, pages 267
à 280.
19
La radioprotection, aujourd'hui et demain, Agence de l'OCDE
pour l'énergie nucléaire, 1994.
20
Rapport d'activité de la Direction chargé de
la gestion des déchets, CEA, 1995.
21
Les déchets nucléaires militaires
français, Bruno Barillot et Mary Davis, Op. déjà
cité.
22
Arrêté du 3 mai 1995, Journal Officiel
n° 111 du 12 mai 1995, page 8001.
23
Arrêté du 3 mai 1995, Journal Officiel
n° 111 du 12 mai 1995, page 8000.
24
Bilan 1996 du contrôle des rejets et
surveillance de l'environnement des centres du CEA, CEA Direction centrale de
la sécurité
25
Le contrôle de la sûreté et de la
sécurité des installations nucléaires, Claude Birraux, Op.
déjà cité.
26
Rapport d'activité de la Direction du
CEA chargée de la gestion des déchets, années 1993 et 1996.
27
Rapport d'activité 1996, Direction de la
sûreté des installations nucléaires, page XX.
28
Rapport d'activité 1996, Direction de la
sûreté des installations nucléaires, Op. déjà
cité, page 91.
29 Rapport sur la gestion des déchets très faiblement radioactifs, Jean-Yves Le Déaut, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, avril 1992.
30
Contrôle, revue de la DSIN,
décembre 1994, page 21.
31
Le Monde, vendredi 19 avril 1996, page 9.
32 Les déchets dits de très faible activité, Yves Kaluzny. Contrôle, revue de la DSIN, Op. déjà cité, page 31.
33
Projet COGEMA sur Bessines, octobre 1993.
34
Plus d'usines, plus d'information - Direction de la
Communication de la COGEMA, 1990.
35
Les essais nucléaires français, sous la
direction d'Yves Le Baut, Bruylant 1996, page 37.
36
Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Grasset 1988,
page 237.
37
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, DIRCEN-CEA/DAM, Tome
II, page 55.
38
Les essais nucléaires français, Op.
déjà cité, page 67.
39
Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op.
déjà cité, page 243.
40
Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op.
déjà cité, page 246.
41
Les essais nucléaires
français, Conséquences sur l'environnement et la santé.
Bruno Barillot, Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les
Conflits, Lyon 1996, page 57.
42
Tahiti-Pacifique, L'épopée du CEP à
Eiao ou comment les îles Marquises faillirent devenir nucléaires,
septembre 1995.
43
Les essais nucléaires français,
Op. déjà cité, page 23.
44
Tahiti-Pacifique, août 1995.
45
Les essais nucléaires français, Op.
déjà cité, page 31.
46
Fangataufa Mururoa Etat des lieux, Daniel Pardon, Editions
Glénat 1995, page 47.
47
Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op.
déjà cité, page 265.
48
La Dépêche de Tahiti, M. Aycobeny, directeur
technique des essais, 2 novembre 1973.
49
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome II, page 86.
50 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l'environnement et la santé. Op. déjà cité, page 167.
51
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome II, page 78.
52
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome I, page 161.
53
La paix nucléaire, Simulation et
réalités, Ed. Banon, octobre 1995, page 150.
54
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
136.
55
Rapport d'activité de la Direction chargée de
la gestion des déchets du CEA, 1995, page 24.
56
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome II, page 120.
57
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
137.
58
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
147.
59
La paix nucléaire, Simulation et
réalités, Op. déjà cité, page 150.
60
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 5.
61
Ministère de la Défense, Argumentaire
distribué en janvier 1996.
62
Rapport Atkinson, Ministère des Affaires
étrangères de Nouvelle-Zélande, 1983, page 5.
63
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 10.
64
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome III, page 133.
65
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
37.
66
Les essais nucléaires
français, Conséquences sur l'environnement et la santé.
Bruno Barillot, Op. déjà cité.
67
Surveillance de la radioactivité en Polynésie
française et autres pays et territoires, Institut de Protection et de
Sûreté Nucléaire, Rapport 1995, page 30.
68
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome II, page 117.
69
Promesses et menaces de l'énergie nucléaire,
Charles-Noël Martin, 1960, page 234.
70
Essais nucléaires - Le droit de savoir, Revue
d'information de la CRII-RAD n° 3, octobre 1995.
71
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
105.
72
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome II, page 119.
73
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome I, page 123.
74
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
105.
75 Mission scientifique de la Calypso sur le site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Rapport de l'équipe Cousteau, novembre 1988, page 14.
76
Rapport Atkinson, Op. déjà
cité, page 124.
77
Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op.
déjà cité, tome II, page 114.
78
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
105.
79
Le Monde, 4 octobre 1995.
80
Nature n° 6545, 14 septembre 1995.
81
Mission scientifique de la Calypso sur le
site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op.
déjà cité, page 41.
82
Mission scientifique de la Calypso sur le site
d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà
cité, page 41.
83
Rapport de l'équipe Cousteau, Op.
déjà cité, page 46.
84
Agence pour l'énergie nucléaire.
Rapport d'un groupe de travail sur les actions humaines
futures sur les sites d'évacuation de déchets radioactifs, OCDE,
1995.
85
Centre d'étude sur l'évaluation de la
protection dans le domaine nucléaire.
Enjeux sociaux de la surveillance institutionnelle des stockages profonds de
déchets radioactifs, Rapport n° 248, octobre 1996.
86
Fangataufa Mururoa Etat des lieux, Op.
déjà cité, page 143.
87
Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page
11.
88
Mission scientifique de la Calypso sur le
site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op.
déjà cité, page 43.
89
Mission scientifique de la Calypso sur le site
d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà
cité, page 46.
90
DIRCEN, Mission du Commandant Cousteau, Dossier 3,
sous-dossier 3, pièce 33, non daté, page 4.
91 Argumentaire sur l'inocuité des essais nucléaires français, document non signé et non daté.
92 Enjeux sociaux de la surveillance institutionnelle des stockages profonds de déchets radioactifs, Op. déjà cité, page 43.
93
Essais nucléaires - Le droit de savoir,
Op. déjà cité, page 34.
94
In La paix nucléaire, SIRPA Ministère de la
Défense, Op. déjà cité, page 144.