EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du jeudi 31 janvier 2008, la commission a examiné le rapport de M. Jean-Claude Carle sur la proposition de loi n° 106 (2007-2008) tendant à abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
Un large débat a suivi l'intervention du rapporteur.
Après avoir remercié M. Jean-Claude Carle, rapporteur, pour la clarté et la qualité de son exposé, M. Jacques Valade, président , a rappelé que la commission poursuivait ainsi la réflexion qu'elle avait eu l'occasion d'engager, en juillet dernier, au travers d'une communication de Mme Annie David.
Il a ensuite souligné qu'il n'était sans doute pas opportun de légiférer dans l'urgence sur une question aussi complexe. Cependant, les textes en vigueur n'ayant sans doute pas encore tout à fait atteint leur état définitif, il pourrait se révéler nécessaire de poursuivre la réflexion dans les mois à venir, une fois que le Conseil d'Etat aura statué sur la circulaire d'août 2007.
M. Yannick Bodin a regretté que l'exposé du rapporteur n'ait pas été précédé d'une intervention de l'auteur de la proposition de loi, ce qui aurait permis à ce dernier d'expliciter les raisons qui ont conduit à son dépôt. Une telle manière de procéder semblerait pourtant de bonne méthode, comme c'est le cas à l'Assemblée nationale. Il a souhaité que cette proposition soit étudiée, dans le cadre de la modernisation des travaux du Sénat.
M. Jacques Valade, président , a rappelé qu'il était de tradition constante, lors des travaux de la commission, d'entendre en premier lieu l'exposé du rapporteur et de donner ensuite la parole à l'auteur de la proposition, lorsqu'il est membre de la commission. Ce n'est qu'au cours de l'examen en séance publique que ce dernier est appelé à ouvrir la discussion générale par la présentation de son texte, son intervention précédant alors celle faite par le rapporteur au nom de la commission.
M. Jean-Marc Todeschini a d'abord regretté le caractère idéologique du rapport de M. Jean-Claude Carle.
Puis il a souligné que la proposition de loi dont il est l'auteur, avec plusieurs de ses collègues, était éclairée d'un jour nouveau par les déclarations récentes du Président de la République. La conception de la laïcité défendue par ce dernier ainsi que par l'ensemble de la majorité, paraît en effet en rupture avec la tradition républicaine qui prévalait jusqu'à aujourd'hui. C'est en gardant présent à l'esprit ce contexte qu'il faut aborder l'examen d'une disposition qui conduit à traiter mieux une école privée qu'une école publique, à remettre en cause le principe de parité et à fragiliser l'école publique, alors même qu'elle est déjà particulièrement malmenée.
Il a, de plus, souligné que l'auteur de l'amendement à l'origine de l'article 89, M. Michel Charasse, avait explicitement reconnu, et à plusieurs reprises, qu'il entendait en réserver l'effet aux seules communes ne disposant plus sur leur territoire d'une école publique. Dès lors, il a invité ses collègues de la majorité sénatoriale à ne pas se réfugier derrière l'identité de l'auteur de l'article pour masquer leur volonté de ne pas intervenir.
Il a rappelé que de nombreux maires avaient souligné, depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, qu'elle risquait d'avoir de très lourdes conséquences sur les finances des communes et, au-delà, de compromettre le maintien de nombreuses écoles publiques en milieu rural.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin a remercié le président et le rapporteur d'avoir rappelé le travail conduit par Mme Annie David au sujet de l'article 89. Toutefois, elle a indiqué que les auditions auxquelles elle a elle-même procédé dans la cadre de son groupe, mettent en évidence que la seule solution efficace pour régler tous les contentieux suscités dans cette disposition malheureuse est l'abrogation de cet article. Il revient au législateur d'avoir maintenant le courage de prendre toutes ses responsabilités et de faire un choix clair à ce sujet. Pour l'heure, l'application de l'article 89 conduit à faire bénéficier l'enseignement privé de subventions qui devraient normalement aller en priorité aux établissements publics. Un tel mouvement, contraire au principe fondateur de la République qu'est la laïcité, ne peut qu'être rapproché des propos inquiétants récemment tenus par le Président de la République, ainsi que des propositions éminemment critiquables formulées par la commission présidée par M. Jacques Attali.
M. Pierre Martin a rappelé son opposition initiale à ces dispositions. Elles ont toutefois eu le mérite d'attirer l'attention de tous sur les difficultés engendrées par la répartition actuelle de la prise en charge des dépenses de fonctionnement des écoles entre communes d'accueil et communes de résidence. Loin d'être limité aux seules classes élémentaires sous contrat d'association, le problème est en effet plus large et supposerait, pour être résolu, une réécriture concertée et réfléchie des dispositions de l'article L. 212-8 du code de l'éducation.
M. Yannick Bodin a exprimé son attachement à la paix scolaire ainsi qu'à la loi Debré qui l'a rendue possible. Mieux vaudrait donc se garder de remettre en cause ce fragile équilibre par des interventions intempestives au nombre desquelles figure indiscutablement l'article 89. Son abrogation permettrait, à n'en pas douter, de rétablir cet équilibre, et de faire retour à une stricte application du principe de parité.
Mme Colette Mélot a observé que la portée de l'article 89 ne pouvait s'apprécier par rapport à ses seuls effets sur les communes rurales. Les villes moyennes, qui sont souvent les communes-siège des écoles privées sous contrat d'association, devaient en effet, avant l'intervention de ces dispositions, assumer seules des charges qui auraient dû être partagées avec les communes de résidence des enfants scolarisés dans ces mêmes écoles. Il est donc légitime que ces dernières soient aujourd'hui tenues, sous certaines conditions, de participer à cet effort. Cependant, celui-ci doit être proportionné à leurs moyens, afin d'arriver à un modus vivendi acceptable par tous.
Constatant que derrière la faiblesse du nombre de contentieux se dissimulaient en fait de nombreux mécontentements, M. Ivan Renar a indiqué que l'abrogation lui semblait être la seule solution viable. Par ailleurs, il serait bon d'ouvrir le débat sur les obligations respectives des établissements publics et privés au moment même où certaines familles semblent chercher par tout moyen à ne pas inscrire leur enfant dans des écoles publiques, dont la qualité est pourtant reconnue.
M. Philippe Richert a noté qu'au cours de l'examen de la loi du 13 août 2004, la commission des lois avait accueilli avec une certaine circonspection l'amendement dont est issu l'article 89. Elle avait en effet demandé la position du Gouvernement, représenté par le ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales qui avait donné un avis favorable à l'adoption de ce texte.
Sans nier les difficultés que l'application de cet article a pu faire naître, M. Philippe Richert a observé que la concertation permettait le plus souvent de surmonter les éventuels désaccords. Ainsi, le conseil général du Bas-Rhin a-t-il contribué à une mise en oeuvre plus sereine des dispositions de l'article 89 dans ce département, en prenant en charge une part significative des contributions dues par certaines communes d'accueil, lorsque celles-ci pouvaient sembler excessives au regard de leurs moyens.
M. Jacques Valade, président , a enfin fait état des difficultés rencontrées par les petites communes rurales qui voient parfois leur classe unique fermer, suite au départ d'élèves vers les communes voisines.
En réponse aux intervenants, M. Jean-Claude Carle, rapporteur , a apporté les précisions suivantes :
- le Sénat a déjà manifesté son souci d'encadrer les dispositions de l'article 89 puisqu'à l'initiative de MM. Paul Girod et Yves Détraigne, il les a complétées à l'occasion de l'examen de la loi n°2005-380 du 24 mars 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école ;
- le compromis actuellement en vigueur n'a certes pas permis d'éviter que des désaccords puissent encore survenir entre communes d'accueil et communes de résidence. Nul ne peut pourtant nier qu'il a contribué à apaiser considérablement une situation parfois très tendue ;
- le Conseil d'Etat aura bientôt l'occasion de se prononcer sur ce compromis. Il paraît donc plus sage d'attendre que le juge administratif ait rendu sa décision pour modifier, si nécessaire, les dispositions actuellement applicables ;
- la liberté de l'enseignement est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, protégé par la Constitution et consacré par la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948. Quelles que soient les améliorations qui pourraient être apportées le moment venu à l'article 89, elles devraient permettre l'exercice plein et entier de ce principe.
Suivant les conclusions de son rapporteur, la commission a ensuite rejeté la proposition de loi.