C. LES EXCEPTIONS ET LIMITATIONS AUX DROITS
La directive s'attache ensuite, dans son article 5, à définir les exceptions ou limitations qu'elle autorise les Etats à apporter aux droits qu'elle vient de définir.
1. L'exception obligatoire en faveur des reproductions provisoires transitoires ou accessoires
Le paragraphe 1 de l'article 5 prévoit l'obligation pour les Etats de prévoir une exception au droit de reproduction pour certaines fixations provisoires.
La définition très exhaustive que l'article 2 a donnée du droit de reproduction pourrait en effet conduire à regarder l'ensemble des fixations provisoires nécessaires à la circulation d'une oeuvre sur les réseaux numériques ou à son utilisation par le destinataire final à travers son ordinateur comme autant d'actes soumis au droit exclusif de l'auteur. Cela est évidemment impossible. Comme le remarquait un excellent auteur 28 ( * ) , « le bon sens répugne par exemple à considérer qu'une même transmission puisse correspondre à 43 actes de reproduction, tous subordonnés à l'autorisation de l'auteur de l'oeuvre transmise, sous prétexte que le processus technique s'est traduit par 43 fixations qui ont duré seulement un instant de raison ».
Pour cette raison, d'ailleurs, le choix d'une définition aussi extensive avait été critiqué, notamment par le Gouvernement français qui, dans sa réponse au Livre Vert, s'interrogeait sur la nécessité et sur l'utilité d'isoler les actes techniques au sein du processus de communication.
Quoi qu'il en soit, cette définition très large du droit de reproduction a rendu nécessaire l'institution d'une exception obligatoire en faveur de certaines reproductions provisoires, exception définie par l'article 5-1 de la directive.
Pour bénéficier de cette exception, les actes de reproduction provisoires doivent remplir les conditions suivantes :
- être transitoires et accessoires ;
- constituer une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique ;
- avoir pour unique finalité de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d'une oeuvre ou d'un objet protégé ;
- ne pas avoir de signification économique indépendante.
La distinction des actes de reproduction provisoires susceptibles ou non de bénéficier de cette exception risque de se révéler délicate, particulièrement compte tenu du caractère évolutif de la technique.
Le considérant 33 de la directive fournit quelques précisions, d'ailleurs toutes relatives, en indiquant que « pour autant qu'ils remplissent ces conditions, cette exception [couvrait] les actes qui permettent le survol (browsing) ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching), y compris ceux qui permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission, sous réserve que l'intermédiaire ne modifie pas l'information et n'entrave pas l'utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l'industrie, dans le but d'obtenir des données sur l'utilisation de l'information ».
2. Les exceptions facultatives
La directive donne également une liste des exceptions que les Etats sont autorisés à prévoir dans leur droit interne. Elle a été élaborée, comme l'explique le considérant n° 32 en tenant compte de la diversité des traditions juridiques des Etats membres.
Cette liste présente deux caractéristiques :
- elle est exhaustive, comme le rappelle le considérant n° 32 : autrement dit, elle recouvre la totalité des exceptions autorisées, et, par conséquent, les exceptions qu'elle ne mentionne pas sont prohibées ;
- les exceptions qu'elle autorise sont facultatives, et les Etats ne sont en aucun cas tenus d'introduire dans leur droit national celles qu'ils ne reconnaîtraient pas déjà.
• Le paragraphe 2 de l'article 5 dresse une liste de
cinq exceptions génériques susceptibles de limiter le seul droit
de reproduction. Il s'agit d'exceptions concernant :
- les actes de reprographie ;
- l'équivalent de notre « copie privée » , sous réserve qu'elle soit assortie d'une compensation équitable ;
- les actes spécifiques effectués par des bibliothèques, musées, archives ou des établissements d'enseignement ;
- les enregistrements éphémères effectués par les organismes de radiodiffusion par leurs propres moyens et pour leurs propres émissions ;
- les reproductions d'émissions réalisées par les hôpitaux et les prisons, moyennant en contrepartie une compensation équitable.
• Le paragraphe 3 de la directive dresse une liste
d'une quinzaine d'exceptions concernant à la fois le droit de
reproduction et le droit de représentation. Il s'agit d'exceptions
portant notamment sur :
- les utilisations à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la recherche scientifique ;
- les utilisations au bénéfice des personnes handicapées ;
- l'utilisation d'articles de presse et d'émissions de radio ou de télévision sur des thèmes d'actualité, voire sur l'utilisation d'autres objets protégés afin de rendre compte d'événements d'actualité ;
- les citations à des fins de critique ou de revue ;
- les besoins de sécurité publique ;
- les utilisations dans le cadre de cérémonies officielles ou religieuses ;
- l'utilisation d'oeuvres architecturales ou autres réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics.
• Le paragraphe 4 de la directive autorise
également les Etats à étendre ces exceptions au droit de
distribution.
D'une façon générale, la directive subordonne le bénéfice des exceptions à l'absence de fins commerciales ou de recherche d'avantage économique. Elle le proportionne au but d'intérêt général qui les justifie. Elle prévoit dans certains cas l'obligation d'une compensation équitable, tout en encourageant les Etats à en prévoir une même lorsqu'elle n'est pas obligatoire, comme le suggère le considérant n° 36.
3. Le test en trois étapes
Enfin, le paragraphe 5 de l'article 5 prévoit que l'ensemble de ces exceptions ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou autre objet protégé, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
Ces trois conditions auxquelles est subordonnée la validité d'une exception sont connues sous le nom de « triple test » ou de « test en trois étapes ».
Elles ont été formulées pour la première fois par l'article 9 de la convention de Berne en 1886. Plus récemment, elles ont été reprises par l'article 10 du Traité de l'OMPI du 20 décembre 1996 sur le droit d'auteur et par l'article 13 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, adopté dans le cadre de l'OMC et annexé à l'accord de Marrakech du 15 avril 1994 (ADPIC). Ces deux accords les ont étendues à l'ensemble des exceptions au droit d'auteur, droit de reproduction et droit de représentation. Elles ont également été étendues aux exceptions aux droits voisins par l'article 16 du traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes du 20 décembre 1996.
La directive reprend l'exigence du triple test, mais, sans s'écarter de sa formulation maintenant traditionnelle, impose un changement de perspective par rapport aux traités existants.
Ces derniers ne dressent pas une liste des exceptions autorisées mais encadrent la liberté générale laissée aux Etats par ces trois conditions. Autrement dit, ces trois conditions s'adressent aux Etats qui doivent les prendre en compte dans l'élaboration de leur législation relative aux exceptions aux droits exclusifs.
La directive 2001/29 comporte au contraire une liste des exceptions admises et le rappel du « test en trois étapes » ne s'adresse donc pas tant au législateur national , pour l'encadrer dans la formulation des règles générales, qu'au juge chargé de l'application de la loi à des cas d'espèce concrets.
Sa transposition dans le droit interne aboutira à reconnaître au juge une marge d'appréciation sur le périmètre effectif des exceptions. Il s'agit d'un changement significatif, et qui explique que certains Etats se soient montrés réticents à le transposer trop explicitement.
* 28 LUCAS « Traité de la propriété littéraire et artistique » p. 274.