CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AUX DROITS DE SUCCESSION
Article 45
(art. 641 bis, 750 bis A, 885 H, 1135, 1135 bis, 1728 A et 1840
G undecies
du code général des impôts)
Normalisation
progressive du régime fiscal des successions en
Corse
I.
LE DROIT EN VIGUEUR
A. LE DROIT JUSQU'AU 31 DÉCEMBRE 2001
Contrairement aux idées reçues,
la Corse ne
bénéficie pas d'une exonération de droits de
succession
.
Le régime fiscal des successions en Corse est déterminé
par les dispositions de l'arrêté du 21 prairial an IX concernant
l'Enregistrement, plus connu sous le nom
d' « arrêté Miot », dont l'article 3
dispose que «
ces droit seront exigibles dès que le
Receveur de l'Enregistrement au Bureau de la situation des biens aura la
connaissance du décès de l'ex-propriétaire, il en suivra
le recouvrement sur les héritiers qui seront tenus en acquittant ces
droits d'ajouter la déclaration des immeubles fictifs ainsi que celle du
mobilier
».
Des droits de succession sont d'ailleurs perçus chaque année en
Corse. Le produit perçu s'établissait à 44 millions de
francs en 1998, 31 millions de francs en 1999 et à 48 millions
de francs en 2000 (soit 0,13 % du produit total perçu en France en
2000, qui s'élevait à 35 milliards de francs).
Sont en revanche applicables en Corse deux mesures qui dérogent au
droit commun :
- l'absence de déclaration des successions n'est pas
sanctionnée
, l'article 3 de l'arrêté du 21 prairial an
IX prévoyant que «
la peine du droit encourue par
défaut de déclaration dans le délai de six mois restera
abrogée
». L'absence de sanction aboutit à un
très faible taux de déclaration des successions en Corse (environ
25 %, contre près de 100 % dans le reste de la
France) :
-
|
1998 -
Successions
|
1997 -
Décès
|
|||||
|
DÉCLARATIONS PRINCIPALES |
AUTRES DÉCLARATIONS |
|
Nombre de décès |
% de décès entraînant le |
||
|
Imposables |
Non imposables |
Imposables |
Non imposables |
total |
|
dépôt d'une déclaration de succession |
ARDECHE |
788 |
1 269 |
320 |
675 |
3 052 |
3 044 |
100,26 % |
CANTAL |
483 |
652 |
285 |
473 |
1 893 |
1 902 |
99,53 % |
CORREZE |
813 |
965 |
206 |
764 |
2 748 |
3 089 |
88,96 % |
CREUSE |
581 |
883 |
92 |
528 |
2 084 |
2 050 |
101,66 % |
LOZERE |
265 |
460 |
61 |
109 |
895 |
916 |
97,71 % |
|
|
|
|
|
|
|
|
CORSE DU SUD |
59 |
96 |
40 |
111 |
306 |
1 226 |
24,96 % |
HAUTE CORSE |
80 |
100 |
15 |
132 |
327 |
1 435 |
22,79 % |
Total Corse |
139 |
196 |
55 |
243 |
633 |
2 661 |
23,79 % |
Total France (y compris la Corse) |
137 705 |
205 616 |
68 042 |
122 697 |
534 060 |
539 390 |
99,01 % |
L'absence de déclaration des successions a pour effet
d'
exonérer de fait de droits de succession non seulement les biens
immobiliers mais également l'ensemble du patrimoine non immobilier
tel que «
le patrimoine mobilier, notamment les comptes en banque,
les portefeuilles détenus auprès d'établissements
bancaires ou financiers ou de succursales situées en Corse, ainsi que
d'autres éléments du patrimoine économique non
négligeables : parts de sociétés, fonds de commerce,
etc.
»
217(
*
)
;
L'absence de déclaration des successions contribue aussi à
entretenir en Corse un
taux de partage des successions inférieur au
reste de la France
. En matière immobilière, les travaux de la
commission « Badinter », menés dans les
années 80 et jamais actualisés depuis, ont établi que le
régime de
l'indivision
concernait en Corse 14,8 % des
propriétés bâties et 39 % des propriétés
non bâties. En France continentale, ces pourcentages s'établissent
respectivement à 13,1 % et 16 % dans le Cantal et à
12,6 % et 18,8 % en Lozère.
L'ensemble de ces facteurs permet au patrimoine immobilier corse de se
caractériser très largement par
l'absence de titre de
propriété
;
-
l'évaluation des biens immobiliers en Corse n'a pas de base
légale
, depuis que l'arrêt de la Cour de cassation
Perrino
du 2 janvier 1992 a déclaré illégal le
régime en vigueur jusqu'alors.
L'absence de base légale pour l'évaluation des biens
immobiliers en Corse
Dans son commentaire de l'article 19
ter
du projet de loi de finances
rectificative de l'hiver 2000
218(
*
)
, notre collègue M. Philippe
Marini, rapporteur général, rappelait les régimes
successifs d'évaluation des biens immobiliers en Corse :
«
Le premier alinéa de l'article 761 du code
général des impôts dispose que pour la liquidation des
droits de mutation à titre gratuit, les immeubles, quelle que soit leur
nature, sont estimés d'après leur valeur vénale
réelle à la date de la transmission, d'après la
déclaration détaillée et estimative des parties.
En Corse, il en va différemment puisque l'article 3 de
l'arrêté du 21 prairial an IX précise que
«
la valeur des immeubles situés en Corse est
déterminée pour l'assiette des droits de succession en
multipliant par 100 le montant de la part de la contribution foncière
revenant à l'Etat
».
L'application de ce dispositif conduisait à attribuer une valeur
« fiscale » des biens immobiliers qui correspondait
à environ 1 à 2 % de leur valeur vénale. Le
décret du 9 décembre 1948 ayant donné un caractère
d'impôt exclusivement local à la contribution foncière, le
ministre des finances avait décidé, le 24 avril 1951, que les
immeubles situés en Corse seraient évalués, comme sur le
continent, à leur valeur vénale.
Cette décision avait soulevé de telles protestations que le
ministre avait accepté, le 14 juin suivant, de surseoir à la mise
en vigueur du régime de droit commun jusqu'à ce que le Parlement
se soit prononcé sur le régime applicable en Corse.
En l'absence de règles nouvelles, la valeur des immeubles avait
été calculée, depuis le 14 juin 1951, en appliquant
au registre cadastral servant de base à la contribution foncière
perçue au profit des départements et des communes, le coefficient
de 18, puis de 22, correspondant au taux de la taxe proportionnelle sur le
revenu des personnes physiques. Cette taxe ayant été
supprimée en 1959, le taux de 22 % avait été
remplacé par le taux de 24 correspondant à celui de la seule taxe
proportionnelle qui subsistait en matière d'impôt sur le revenu,
à savoir celle perçue sur les revenus de capitaux mobiliers. Or,
cette méthode d'évaluation a été condamnée
par la Cour de cassation dans un arrêt Perrino du 2 janvier 1992. Faute
d'une base de calcul légale, les droits de succession sur les biens
immobiliers en Corse ne pouvaient plus être
recouvrés.
»
Par conséquent,
en Corse, même quand les successions sont
déclarées, les biens immobiliers ne sont pas taxés.
Il faut noter que ce vide juridique, qui perdure en matière de droits de
successions, a été comblé s'agissant de l'impôt de
solidarité sur la fortune (ISF). L'article 885 H du code
général des impôts précise que les
spécificités corses en matière d'évaluation des
biens immobiliers et (d'absence) de sanction en cas de non déclaration
ne s'appliquent pas à l'ISF. Les biens immobiliers sont
évalués
à leur valeur vénale
et l'absence de
déclaration est sanctionnée dans les conditions de droit commun.
Cependant, les immeubles pour lesquels il n'existe pas de titre de
propriété échappent à l'impôt de
solidarité sur la fortune.
B. LE DROIT À COMPTER DU 1
ER
JANVIER 2002
L'article 21 de la loi de finances pour 1999 a modifié le régime
fiscal des successions en Corse.
L'article 25 de loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353
du 30 décembre 2000) a prévu que ses dispositions
s'appliqueraient au 1
er
janvier 2002.
A compter de cette date :
Le défaut de déclaration des successions sera
sanctionné
dans les conditions de droit commun. Le premier
alinéa de l'article 21 de la loi de finances pour 1999 supprime en effet
la dernière phrase de l'article 3 de l'arrêté du 21
prairial an IX, selon laquelle «
la peine du droit encourue par
défaut de déclaration dans le délai de six mois restera
abrogée
».
Par conséquent, à compter du 1
er
janvier 2002, les
successions devront être déclarées dans un délai de
six mois et l'absence de déclaration sera réprimée dans
les conditions prévues par le code général des
impôts :
- le montant des droits mis à la charge du contribuable ou
résultant d'une déclaration ou d'un acte déposé
tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé
à l'article 1727 et d'une majoration de 10 % (article 1728). Le
taux de l'intérêt de retard mentionné à l'article
1727 est fixé à 0,75 % par mois, et s'applique sur le montant des
sommes mises à la charge du contribuable ou dont le versement a
été différé. La majoration de 10 % n'est applicable
qu'à compter du premier jour du septième mois suivant celui de
l'expiration du délai de six mois (donc le premier jour du
treizième mois du décès) ;
- cette majoration est portée à 40 % lorsque le document n'a pas
été déposé dans les trente jours suivant la
réception d'une mise en demeure, notifiée par pli
recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai, et
à 80 % lorsque le document n'a pas été produit dans les
trente jours suivant une deuxième mise en demeure (article 1728 A).
L'évaluation des biens immobiliers sera réalisée dans
les conditions de droit de commun
pour les successions ouvertes en 2002 et
pour les années suivantes.
Le rétablissement d'une base légale pour l'évaluation des
biens immobiliers est une
condition nécessaire
du retour au droit
commun en matière de droits de succession puisque, aujourd'hui, en son
absence, il n'existe pas d'assiette des droits de succession en Corse.
De plus, la mise en oeuvre de la sanction du défaut de
déclaration restera inopérante tant qu'il n'y aura pas de base
légale pour l'évaluation des biens immobiliers puisque la
sanction est calculée en appliquant un intérêt de retard au
montant des successions. Faute de cette disposition, seul le patrimoine non
immobilier aurait pu être taxé.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LE PROJET DE LOI
Le présent article propose pour la Corse un régime
spécifique, dérogatoire du droit commun, en matière de
délais de déclaration des successions, et de sanctions de leur
non respect. Ce faisant, et même s'il ne modifie pas le texte de
l'arrêté du 21 prairial an IX, il rend sans objet les dispositions
de l'article 21 de la loi de finances pour 1999 en matière de sanction
du défaut de déclaration des successions. Votre rapporteur
observe néanmoins qu'il conviendrait de reporter l'entrée en
vigueur de celles-ci, faute de quoi le droit commun s'appliquerait en Corse
dès le 1
er
janvier 2002.
En revanche, s'agissant des règles d'évaluation des biens
immobiliers situés en Corse, les dispositions du présent article
sont sans incidence sur celles de l'article 21 de la loi de finances pour 1999.
A. ALLONGER LE DÉLAI DE DÉCLARATION DES SUCCESSIONS
Le rétablissement des sanctions de droit commun de la non
déclaration des successions en Corse pourrait se heurter à un
problème pratique. Quand bien même les héritiers voudraient
s'acquitter de leur obligation légale (déclaration dans les six
mois du décès), tous ne seraient pas en mesure de le faire, en
raison de l'absence fréquente de titres de propriétés en
Corse, et des difficultés à les reconstituer.
Afin de lever cet obstacle, le
I du A
du présent article
insère dans le code général des impôts un article
641
bis
, qui
porte de six à vingt-quatre mois le délai
maximal de déclaration des successions
:
- lorsque la déclaration de succession comporte des immeubles ou droits
immobiliers situés en Corse pour lesquels le droit de
propriété du défunt a été constaté
antérieurement ;
- lorsque la déclaration de succession comporte des immeubles ou droits
immobiliers situés en Corse pour lesquels les titres de
propriété («
les attestations notariées
visées au 3° de l'article 28 du décret n° 55-22 du
4 janvier 1955 portant réforme de la publicité
foncière
») ont été reconstitués au
cours du délai de vingt-quatre mois.
L'allongement du délai est applicable aux successions ouvertes entre le
1
er
janvier
2002
et, suite à l'adoption en
première lecture par les députés d'un amendement
présenté par le rapporteur au nom de la commission des lois, le
31 décembre
2008
. La rédaction initiale du projet de loi
prévoyait que le délai de vingt-quatre mois serait applicable
jusqu'au 31 décembre 2010.
Le critère emportant le bénéfice d'allongement du
délai de déclaration est celui de l'existence ou non, au sein de
la succession, d'immeubles et droits immobiliers situés en Corse. Ce
critère s'applique quel que soit le lieu de résidence du
défunt, et indépendamment de l'existence ou non de titres de
propriétés avant la mort du défunt. A contrario,
l'allongement ne s'applique pas aux successions ne comportant pas
d'immeubles ou de droits immobiliers
, quand bien même le
défunt ou ses héritiers résideraient en Corse.
B. INCITER À LA RECONSTITUTION DES TITRES DE PROPRIÉTÉ
PAR DES EXONÉRATIONS DE DROITS DE SUCCESSIONS JUSQU'EN 2012
Le
III
du
A
du présent article insère dans le code
général des impôts un article 1135
bis
qui met en
place, au profit des contribuables ayant déclaré leurs
successions dans le délai de vingt-quatre mois et qui auront pu produire
les titres de propriété dans ce délai, un
« bonus » : une
exonération
de droits de
mutation par décès (droits de succession) dus au titre des
immeubles ou droits immobiliers situés en Corse. Le reste des
successions est imposable.
L'exonération est
totale
pour les successions ouvertes
entre
le 1
er
janvier 2002 et le 31 décembre 2008
. Elle est
applicable à concurrence de la moitié de la valeur des immeubles
et droits immobiliers situés en Corse
entre le 1
er
janvier
2009 et le 31 décembre 2012
. Le droit commun s'applique pour les
successions ouvertes
à compter du 1
er
janvier
2013
.
Dans la rédaction initiale du projet de loi, le terme du premier
délai était fixé au 31 décembre 2010 et celui du
deuxième délai au 31 décembre 2015. Les délais ont
été raccourcis à la suite de l'adoption par
l'Assemblée nationale d'amendements présentés par le
rapporteur au nom de la commission des lois.
La proposition initiale du Gouvernement (
neuf
ans d'exonération
totale) était déjà en retrait par rapport à la
proposition du Gouvernement aux «
représentants élus
de la Corse
» du 20 juillet 2000 qui indiquait que
«
pendant
[une]
période de
dix
ans,
l'exonération sera complète
».
C. LES SANCTIONS PRÉVUES
Bien que la rédaction du présent article entretienne la
confusion, il convient de distinguer les sanctions applicables en cas de non
respect des délais de déclaration et les sanctions applicables en
cas de non reconstitution des titres de propriété.
Les sanctions prévues par les deux régimes étant
calculées par référence à la valeur des biens et
droits immobiliers, les mesures proposées par le présent article
ne pourront être appliquées en pratique que lorsque les
dispositions de l'article 21 de la loi de finances pour 1999, qui
rétablissent une base légale pour l'évaluation des biens
immobiliers en Corse, entreront en vigueur.
Le
I
du présent article crée un article 641
bis
du
code général des impôts qui porte à vingt-quatre
mois les délais de déclaration pour les successions comportant
des immeubles situés en Corse pour lesquels les titres de
propriété existaient à la mort du défunt ou pour
lesquels les titres de propriété ont été
reconstitués dans les vingt-quatre mois du décès.
Le
II
du présent article modifie l'article 1728 A du code
général des impôts afin de tenir compte de ce nouveau
délai pour l'application des sanctions de droit commun. Il en
résulte, en cas de dépôt de la déclaration de
succession postérieurement à l'expiration du délai de
vingt-quatre mois :
- que,
si les titres de propriété n'ont pas tous
été reconstitués dans les vingt-quatre mois du
décès, les sanctions s'appliquent comme si le délai de
droit commun (six mois) n'avait pas été respecté
. Les
pénalités sont alors calculées à compter de
l'échéance du délai de six mois et s'appliquent à
la totalité de la succession. Les sanctions encourues sont
l'acquittement des droits dus, un intérêt de retard qui court
à compter du sixième mois du décès et une
majoration de 10 % à compter du treizième mois du
décès ;
- que, si les titres de propriété existaient à la mort du
défunt (donc pour les contribuables qui se trouvent dans la même
situation que les héritiers de biens situés sur le continent,
pour lesquels les titres existent dans la plupart des cas), les sanctions
courent seulement à compter de l'échéance du délai
de vingt-quatre mois, et s'appliquent également à toute la
succession.
Pour éviter d'avoir à payer des pénalités sur
l'ensemble de la succession, les héritiers de biens pour lesquels les
titres de propriétés n'existaient pas à la mort du
défunt pourront déclarer la fraction de la succession ne posant
pas de problème particulier dans le délai de six mois puis,
lorsqu'ils auront reconstitués les titres de propriété,
compléter leur déclaration par une déclaration
complémentaire. Si cette déclaration complémentaire
intervient dans le délai de vingt-quatre mois, aucune
pénalité ne leur sera appliquée. Si elle est
postérieure, les pénalités ne seront appliquées
qu'aux biens figurant dans la déclaration complémentaire.
Le
IV
du présent article introduit dans le code
général des impôts un article 1840 G
undecies
dont
l'objet n'est pas de sanctionner le défaut de déclaration mais
uniquement la non reconstitution des titres de propriété dans le
délai de vingt-quatre mois.
Cette sanction est conçue comme
celle d'une « usurpation » de l'exonération de
droits de succession
mise en place par la rédaction proposée
par le II du présent article pour l'article 1135
bis
du code
général des impôts.
L'exonération s'applique aux biens immobiliers situés en Corse
pour lesquels les titres existaient à la mort du défunt ou pour
lesquels les titres ont été reconstitués dans les
vingt-quatre mois du décès. Si cette dernière condition
n'est pas remplie, les héritiers sont réputés avoir
bénéficié à tort de l'exonération depuis la
mort du défunt. Il est donc proposé de leur faire acquitter dans
le mois suivant l'expiration du délai de vingt-quatre mois, les droits
de succession, un droit supplémentaire de 1 % et
l'intérêt de retard, lequel court à compter des six mois du
décès.
Le régime de sanction proposé appelle de la part de votre
rapporteur plusieurs remarques :
-
le dispositif d'allongement des délais de déclaration est
source d'insécurité juridique pour les héritiers
de
biens et droits immobiliers situés en Corse pour lesquels les titres de
propriété n'existaient pas à la mort du défunt.
Le délai de déclaration des successions a été
porté à vingt-quatre mois car cette durée est
considérée techniquement nécessaire pour reconstituer les
titres de propriété, le délai de six mois étant
jugé irréaliste au vu de la situation corse.
Dans ces conditions,
il est inéquitable, voire contestable, que le
non respect d'un délai jugé techniquement nécessaire
(délai de vingt-quatre mois) soit sanctionné comme si
c'était le délai jugé irréaliste (délai de
six mois) qui avait été méconnu
;
- le dispositif proposé aboutit à appliquer aux héritiers
de biens immobiliers situés en Corse se trouvant dans une situation
identique à celle des héritiers de biens immobiliers
situés sur le continent (existence des titres de propriété
à la mort du défunt) un régime de sanctions (le
défaut de déclaration sanctionné à compter du
vingt-quatrième mois du décès) plus favorable qu'aux
héritiers de biens situés en Corse pour lesquels les titres de
propriété n'existaient pas à la mort du défunt et
qui n'ont pas été publiés dans les vingt-quatre mois du
décès. Cette situation est d'autant plus
paradoxale
que
l'allongement du délai à vingt-quatre mois est justifié
par la volonté de mettre en place un régime favorable aux
héritiers des biens pour lesquels les titres de propriété
n'existaient pas à la mort du défunt ;
- il sera en pratique
impossible
d'appliquer la disposition de l'article
1840 G
undecies
selon laquelle l'absence de reconstitution des titres
dans les vingt-quatre mois du délai s'accompagne de l'acquittement des
droits dus dans le mois suivant l'expiration du délai de vingt-quatre
mois. En effet, tant que les titres de propriété ne sont pas
publiés, l'administration fiscale ne dispose d'aucun moyen d'être
informée qu'un contribuable bénéficie indûment de
l'exonération de droits de succession. ;
- les sanctions de l'article 1840 G
undecies
(qui sont calculées
par référence à la valeur du bien immobilier) peuvent
d'autant moins être appliquées que, tant que les titres de
propriété n'ont pas été publiés et que le
bien n'a pas été déclaré, il n'est pas possible de
connaître la valeur du bien dont l'exonération de droits de
successions est usurpée, et par conséquent
la sanction n'a pas
d'assiette
;
- les sanctions prévues par la rédaction proposée pour
l'article 1840 G
undecies
(acquittement des droits dus au titre du bien
pour lequel les titres de propriété n'ont pas été
reconstitués, majoration de 1 %, intérêt de retard)
recoupent les sanctions de droit commun en cas de défaut de
déclaration dans les délais (acquittement des droits dus,
majoration de 10 %, intérêt de retard). Il se demande si les
deux régimes sont exclusifs l'un de l'autre, ou si les sanctions
prévues à l'article 1840 G
undecies
s'ajoutent aux
sanctions de droit commun (auquel cas le redevable devrait acquitter deux fois
les droits dus et l'intérêt de retard).
Il a été indiqué à votre rapporteur qu'aucune de
ces deux hypothèses ne devait être retenue, et que les deux
régimes devaient être
« combinés » :
|
Droits dus |
Majoration de 10 % |
Intérêt de retard |
Droit supplémentaire de 1 % |
Biens déclarés dans les 24 mois mais titres reconstitués postérieurement |
X |
|
X |
X |
Bien déclaré « hors délai » mais titres reconstitués dans les 24 mois du décès |
X |
X |
X |
|
Bien déclaré « hors délai » mais titres reconstitués postérieurement aux 24 mois du décès |
X |
X |
X |
X |
Votre
rapporteur considère que cette combinaison entre les différentes
sanctions encourues n'apparaît pas clairement dans la rédaction
actuelle du présent article.
D. PROROGER LE DISPOSITIF ACTUEL D'INCITATION À LA SORTIE DE
L'INDIVISION
L'article 11 de la loi de finances pour 1986, relatif à la
fiscalité des entreprises nouvelles en Corse, comporte, à la
suite de l'adoption par les députés d'un amendement de M. Nicolas
Alfonsi présenté en nouvelle lecture, deux dispositions devenues
les articles 750
bis
A et 1135 du code général des
impôts, dont l'objet est d'inciter les contribuables corses à
sortir du régime de l'indivision et à procéder au partage
des successions :
-
l'article 750 bis A
exonère, entre le 1
er
janvier
1986 et le 31 décembre 2001, à hauteur de la valeur des
immeubles situés en Corse, les actes de partage des successions et les
licitations de biens héréditaires du droit de 1 % dû
lorsque ces actes interviennent au profit de membres originaires de
l'indivision, de leur conjoint, de leurs ascendants ou descendants ou des
ayants droits à titre universel de l'un ou de plusieurs d'entre eux ;
-
l'article 1135
dispose que les procurations et les attestations
notariées après décès sont exonérées
de toute perception au profit du Trésor, entre le 1
er
janvier
1986 et le 31 décembre 2001, lorsqu'elles sont établies en vue du
règlement d'une indivision successorale comportant des biens immobiliers
situés en Corse.
A l'occasion de l'examen par le Sénat, le 18 décembre 2000, d'un
amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2000,
présenté par notre rapporteur général M. Philippe
Marini, demandant au Gouvernement de réaliser un bilan de ces
dispositions, la secrétaire d'Etat chargée du budget a
considéré que «
la vérité oblige
cependant à reconnaître que ces mesures, certes utiles, ont eu un
très faible effet. Je le déplore, mais cela doit être mis
en rapport avec les vicissitudes des retours ou non-retours au droit commun. Il
faut bien admettre que, pour cette raison,
ce dispositif n'a pas
été très incitatif
».
Le présent article modifie ces dispositions sur deux points :
- le
1 du VI du A
du présent article porte du 31 décembre
2001 au 31 décembre 2012 le terme du bénéfice des
exonérations ;
- le
2 du VI du A
du présent article ajoute à la liste des
actes bénéficiant de l'exonération prévue à
l'article 1135, à compter du 1
er
janvier 2002,
«
les actes de notoriété
[...]
en vue du
règlement d'une indivision successorale comportant des biens immobiliers
situés en Corse
». Cette modification ne semble pas de
nature à modifier l'analyse développée l'année
dernière par la secrétaire d'Etat chargée du budget. Votre
commission spéciale vous propose un
amendement
rédactionnel précisant que l'exonération porte sur les
biens
et droits
immobiliers.
E. APPLIQUER LE DROIT COMMUN AUX BIENS IMMOBILIERS ACQUIS APRÈS
L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI
En première lecture, l'Assemblée nationale a
complété le dispositif proposé par le Gouvernement en
introduisant un
C
dans le présent article, issu de l'adoption,
contre l'avis du Gouvernement, d'un amendement présenté par notre
collègue M. Charles de Courson, défendu en séance par
notre collègue M. René Dosière et auquel le rapporteur au
nom de la commission des lois a donné un avis favorable, le
présentant comme «
un amendement de
moralisation
».
Le nouveau paragraphe propose de limiter le bénéfice de
l'allongement du délai de dépôt des déclarations de
succession et de l'exonération de droits de successions aux biens et
droits immobiliers
acquis
219(
*
)
en Corse avant l'entrée en
vigueur des dispositions du présent projet de loi.
L'objectif recherché est de permettre, par le biais des outils
proposés par le présent article, la normalisation de la situation
des titres de propriété des immeubles et droits immobiliers
détenus en Corse avant l'entrée en vigueur des dispositions du
présent projet de loi (le « stock »), tout en
évitant que ces outils ne donnent lieu à des acquisitions
(« flux ») en Corse motivées par des
effets
d'aubaine
plutôt que par l'évolution normale du marché
immobilier.
Par exemple, il pourrait être envisageable que certains contribuables
âgés résidant en Corse ou sur le continent, estimant leur
espérance de vie inférieure à la date d'expiration de
l'exonération de droits de succession, achètent des immeubles en
Corse, dont leurs héritiers deviendraient propriétaires sans
avoir à acquitter les droits de succession.
De plus, puisque les acquéreurs de biens et droit immobiliers
situés en Corse après l'entrée en vigueur des
dispositions du présent projet de loi bénéficieront par
définition d'un titre de propriété, l'opportunité
de les englober dans le champ de dispositions tendant précisément
à favoriser la reconstitution de titre de propriété n'est
pas totalement apparente.
Votre rapporteur observe que l'application des dispositions du
présent C obligerait les héritiers à déposer
deux déclarations pour une même succession lorsque celle-ci
comporte à la fois des biens acquis avant l'entrée en vigueur des
dispositions du présent article pour lesquels les titres de
propriété n'existaient pas à la mort du défunt et
des biens acquis après l'entrée en vigueur des dispositions du
présent article.
La mesure « anti-abus » proposée par le
présent C ne doit cependant pas conduire à geler les partages de
biens entre héritiers indivisaires. Dans cette perspective, votre
commission spéciale vous propose un
amendement
disposant que
l'exonération de droits de succession s'applique aux biens et droits
immobiliers ayant fait l'objet d'une licitation ou d'un rachat entre
indivisaires, même postérieurement à l'entrée en
vigueur des dispositions du présent article.
F. LA COORDINATION AVEC LE RÉGIME DE L'IMPÔT DE
SOLIDARITÉ SUR LA FORTUNE
L'article 885 H du code général des impôts dispose qu'un
certain nombre d'exonérations en matière de droits de mutation ne
s'appliquent pas pour le calcul de l'impôt de solidarité sur la
fortune (ISF). Le
V
du
A
du présent article ajoute
à cette liste l'exonération prévue dans le nouvel article
1135
bis
, créé par le présent article.
Le V du A du présent article procède également à la
suppression de la dernière phrase du premier alinéa de l'article
885 H, selon laquelle ne sont pas applicables à l'ISF les
«
règles dévaluation propres aux droits de
succession tenant au lieu de situation des immeubles et à l'absence de
sanction pour défaut de déclaration pour le paiement de ces
droits
». En d'autres termes, à l'heure actuelle, il
n'existe pas de spécificité corse en matière d'ISF :
lorsque des titres de propriété existent, l'impôt est
calculé selon les modalités de droit commun et le défaut
de déclaration est sanctionnée.
La suppression de cette phrase ne s'explique pas par une volonté de
mettre en place une spécificité corse en matière d'ISF,
mais parce que cette disposition, avec le rétablissement des sanctions
et l'adoption par la Corse du droit commun en matière
d'évaluation des biens immobiliers, devient sans objet.
Votre rapporteur observe que c'est l'article 21 de la loi de finances pour
1999, et non le présent article, qui soumet l'évaluation des
biens immobiliers situés en Corse au droit commun. Par
conséquent, et pour éviter toute conséquence
fâcheuse qui pourrait résulter d'un éventuel
décalage entre la date d'entrée en vigueur des dispositions du
présent article et celle d'entrée en vigueur de l'article 21,
votre commission spéciale vous propose deux
amendements,
tendant
à conditionner la suppression de la dernière phrase du premier
alinéa de l'article 885 H à l'entrée en vigueur des
dispositions de l'article 21 de la loi de finances pour 1999.
En effet, si pour une raison ou pour une autre, les dispositions du
présent projet de loi entraient en vigueur en 2002 mais l'entrée
en vigueur des dispositions de l'article 21 de la loi de finances pour 1999
était différée au delà du 1
er
janvier
2003, le droit commun en matière d'évaluation des biens
immobiliers pour le calcul des cotisations d'ISF ne pourrait plus s'appliquer,
les biens immobiliers situés en Corse ne seraient plus taxés
à ce titre.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION SPECIALE
A. SUR LES OBJECTIFS RECHERCHÉS
Votre rapporteur est favorable au processus de normalisation du régime
fiscal des successions immobilières en Corse, initié en 1999,
à l'Assemblée nationale, par nos collègues MM. Charles de
Courson et Didier Migaud
220(
*
)
et au Sénat, par nos collègues MM. Michel Charasse
221(
*
)
et Philippe Marini
222(
*
)
.
Deux types de considération justifient qu'il soit mis fin à la
situation actuelle :
1. Des considérations tenant à l'égalité des
citoyens devant l'impôt
Si des raisons historiques et l'héritage du passé justifient que
le retour dans le droit commun du régime fiscal des biens et droits
immobiliers situés en Corse soit réalisé selon des
modalités progressives et dérogatoires au droit commun, aucune
différence de situation ni aucun objectif d'intérêt
général ne justifie en revanche que les héritiers,
donataires ou légataires de biens situés en Corse n'acquittent
pas les droits de succession dans les mêmes conditions que les
héritiers de biens et droits immobiliers situés sur le continent.
On rappellera qu'en 1994, les membres du groupe socialiste du Sénat
avaient déféré devant le Conseil la loi relative au statut
fiscal de la Corse, contestant le fait que ce texte fasse
référence à des dispositions qui, «
en raison
d'une absence d'évaluation des biens immobiliers situés en Corse,
permettent à ces derniers de bénéficier d'une
exonération de fait, contraire au principe d'égalité des
citoyens devant la loi et devant l'impôt
». Dans sa
décision n° 94-350 DC, le Conseil constitutionnel n'a pas
retenu ce moyen, mais pour des raisons de pure procédure
223(
*
)
.
2. Pour des considérations tenant au développement
économique de la Corse
Si, sur le plan symbolique, la spécificité du régime
fiscal des successions en Corse est parfois considérée comme une
compensation accordée aux corses en dédommagement de traitements
d'une qualité inférieure au reste de la France dans d'autres
domaines, cette approche émotionnelle doit être
dépassée.
La spécificité corse en matière de fiscalité des
successions, qui aboutit à un taux anormal d'indivision et d'absence de
titre de propriété, constitue non pas une faveur mais un handicap
subi par l'économie corse.
Les inconvénients de l'absence de titres de propriété ont
été mis en évidence par le rapport de la commission mixte
chargée de formuler des propositions relatives au régime fiscal
spécifique applicable en Corse et destinées à faciliter la
sortie de l'indivision, instituée en application des dispositions de
l'article 22 de la loi de finances pour 1999 :
«
Cette absence de titres, même si elle ne touche
qu'une part minoritaire du patrimoine en valeur, est un handicap important pour
l'île.
- En premier lieu, elle se traduit par des
indivisions
inorganisées
dont les inconvénients seront
évoqués ci-dessous.
- En second lieu, cette absence de titres est un
frein au
développement et à la modernisation de l'agriculture
. Elle
empêche la présentation de baux réguliers, est un obstacle
à l'obtention de prêts hypothécaires en l'absence de prise
de sûretés, ne facilite pas l'accès au statut du fermage et
à d'autres modes d'organisation agricole plus modernes.
- En troisième lieu, c'est un
facteur négatif pour le
développement économique et la mise en valeur touristique
car
les transactions foncières sont entravées ; la
détérioration du patrimoine qui en résulte favorise la
désertification des villages et l'exode rural.
- En quatrième lieu, la
protection de l'environnement n'est pas
facilitée
, l'abandon de fait de nombreux terrains avec le
développement corrélatif du maquis ne permet pas une lutte
préventive efficace contre l'incendie.
- Enfin, cela
compromet l'exercice des prérogatives de la puissance
publique, la fonction judiciaire et l'application de la loi
, par exemple
dans les domaines du remembrement et des expropriations pour cause
d'utilité publique, rendant plus longue et difficile dans certains cas
la réalisation d'équipements publics et privant de ressources les
collectivités locales
. »
Enfin, on peut également considérer que le fort taux d'indivision
en Corse pénalise l'ensemble de la Nation puisque, si elle constitue une
forme légitime d'exercice du droit de propriété,
l'indivision se traduit par de moindres recettes fiscales pour l'Etat.
En effet, l'indivision diminue la valeur des biens immobiliers concernés
(qui souvent, s'agissant de terres agricoles abandonnées, est
déjà faible), donc leur valeur vénale, qui
représente l'assiette des droits de succession, de mutation à
titre onéreux et de l'impôt de solidarité sur la fortune.
B. SUR LES MODALITÉS PROPOSÉES
Le dispositif proposé doit être apprécié au regard
de trois critères :
- est-il conforme au principe d'égalité des citoyens devant
l'impôt ?
- est-il de nature à permettre la reconstitution des titres de
propriété et la sortie de l'indivision ?
- les sanctions prévues en cas de non reconstitution des titres de
propriété et de non déclaration des successions sont-elles
applicables ?
1. Le dispositif proposé est-il conforme au principe
d'égalité des citoyens devant l'impôt ?
Les dispositions du présent article introduisent des différences
de traitement entre les redevables des droits de succession :
- entre, d'une part, les propriétaires de biens et droits immobiliers
situés sur le continent et pour lesquels les titres de
propriété existent avant la mort du défunt, qui doivent
déclarer la succession dans un délai de six mois et qui
acquittent les droits et d'autre part, les propriétaires de biens et
droits immobiliers situés en Corse et pour lesquels les titres de
propriété existent avant la mort du défunt qui, jusqu'en
2013, devront faire leur déclaration dans un délai de
vingt-quatre mois et seront exonérés de droits de succession ;
- au sein des propriétaires de biens et droits immobiliers situés
en Corse, entre ceux qui héritent de biens et droits immobiliers acquis
avant l'entrée en vigueur des dispositions du présent projet de
loi, et ceux qui héritent de biens et droit immobiliers acquis
postérieurement à cette entrée en vigueur.
La première différence de traitement a conduit le Conseil d'Etat
à « disjoindre » les dispositions du présent
article, considérant que la rédaction proposée pour
l'article 641
bis
du code général des impôts, en
étendant le bénéfice de l'allongement aux successions pour
lesquels les titres de propriété existaient avant la mort du
défunt, laisserait «
subsister, pendant longtemps, entre
les héritiers de biens immobiliers, selon que ces biens sont
situés en Corse ou sur le continent, des discriminations qui ne peuvent
pleinement être justifiées
ni par des
différences de situation ni par des objectifs d'intérêt
général en rapport avec l'objet du projet de loi et seraient donc
contraires au principe constitutionnel d'égalité
».
Votre rapporteur considère que, en l'espèce, il
importe
surtout de ne pas traiter les héritiers de ceux qui avaient fait
l'effort de détenir des titres de propriété d'une
manière moins favorable que les héritiers de ceux qui n'en
possédaient pas.
La situation que les dispositions du présent projet de loi laisseraient
«
subsister, pendant longtemps
» (et pour une
durée raccourcie en première lecture par l'Assemblée
nationale) est celle qui existe en Corse depuis 1801, dans laquelle l'ensemble
des héritiers de biens et droits immobiliers situés en Corse
(indépendamment de l'existence de titres de propriété) est
traité différemment de l'ensemble des héritiers de biens
et droits immobiliers situés sur le continent. Le présent article
ne fait que prolonger, temporairement, cette distinction, dans le but de mieux
la faire disparaître.
Lorsque le Conseil constitutionnel a examiné la conformité
à la Constitution des dispositions de la loi de finances pour 1999, il
n'a pas estimé que le législateur, en fixant au 1
er
janvier 2001 le retour de la Corse dans le droit commun, laissait subsister
pendant longtemps des discriminations entre propriétaires. Le Conseil
constitutionnel n'a pas non plus conclu en ce sens à l'occasion de son
examen de la conformité à la Constitution des dispositions de la
loi de finances rectificative pour 2000 du 30 décembre 2000, lorsque le
législateur a encore repoussé d'un an le retour de la Corse dans
le droit commun.
Votre rapporteur constate également que les amendements proposés
par votre commission spéciale ont pour effet d'appliquer aux
héritiers de biens immobiliers situés en Corse pour lesquels les
titres de propriété existaient à la mort du défunt
les mêmes délais de déclaration que les héritiers de
biens de même nature situés sur le continent.
S'agissant de la distinction entre les héritiers de biens et droits
immobiliers situés en Corse en fonction de la date à laquelle ont
été acquis le biens transmis, elle ne peut être
regardée comme attentatoire au principe d'égalité des
citoyens devant l'impôt. Les bénéficiaires des mesures
favorables (allongement des délais de déclaration,
exonération de droits de successions) ont été
déterminés en fonction de l'objectif poursuivi : mettre de
l'ordre dans le régime des titres de propriété en Corse,
en apurant le passé, afin d'encourager le développement
économique de l'île et de mettre fin à une
inégalité devant l'impôt.
Si les propriétaires de biens et droits immobiliers acquis en Corse
postérieurement à l'éventuelle entrée en vigueur
des dispositions du présent article détiendront
nécessairement des titres de propriété, ce ne sera pas par
civisme (comme ça pouvait l'être auparavant, lorsque ce
n'était pas obligatoire) mais par simple application de la loi. Il
n'apparaît donc pas justifié de les faire bénéficier
d'un traitement favorable, d'autant plus que, si tel était le cas, des
risques d'effets d'aubaine existeraient.
Le régime des sanctions applicables en cas de non respect des
délais de déclaration présente des
incohérences
:
- les héritiers de biens pour lesquels les titres de
propriété existaient à la mort du défunt, dont on
peut penser qu'ils auront peu de difficultés à respecter le
délai de vingt-quatre mois pour déclarer leur succession, se
voient appliquer, en cas de non respect de ce délai, des sanctions moins
lourdes que les héritiers de biens pour lesquels les titres n'existaient
pas et qui n'ont pas réussi à les reconstituer dans les
vingt-quatre mois du décès ;
- les héritiers de biens situés en Corse pour lesquels les titres
n'existaient pas à la mort du défunt, et qui n'ont pas
réussi à les reconstituer dans les vingt-quatre mois du
décès, sont sanctionnés en cas de non respect du
délai de vingt-quatre mois de la même manière que les
héritiers de biens situés sur le continent, alors que les
héritiers de biens situés en Corse mais présentant les
mêmes caractéristiques que les biens situés sur le
continent (les titres de propriété existent à la mort du
défunt) bénéficient d'un régime
préférentiel ;
- les héritiers de biens situés en Corse se voient accorder un
délai plus long que sur le continent au motif que le délai
applicable sur le continent est jugé irréaliste pour la
reconstitution des titres de propriété. Mais si le délai
allongé n'est pas respecté, les héritiers sont
sanctionnés comme s'ils n'avaient pas respecté le délai
jugé irréaliste.
Les amendements que votre commission vous soumet, et qui vous sont
présentés ci-dessous, permettent de lever ces incohérences.
2. Le dispositif proposé est-il de nature à permettre la
reconstitution des titres de propriété et la sortie de
l'indivision ?
Le présent article repose sur la logique suivante : si les actuels
dispositifs d'incitation fiscale à la sortie des indivisions et à
la reconstitution des titres de propriété doivent être
maintenus, seul le rétablissement de la sanction en cas de non
déclaration des successions et la mise en place de sanctions en cas de
non publication des titres de propriété par les héritiers
sont de nature à permettre un retour progressif à une situation
normale.
Le retour pur et simple au droit commun (sanction de la non déclaration
dans un délai de six mois) étant voué à
l'échec car impraticable, le délai de six mois de
déclaration des successions est porté à vingt-quatre mois.
S'il est plus souple que le droit commun, votre rapporteur observe que ce
délai reste fortement contraignant pour les héritiers de biens et
droits immobiliers situés en Corse, si l'on se réfère au
rapport établi en 1984 par MM. André Valls et Noël de
Saint-Pulgent, inspecteurs des finances, qui estimaient que
«
l'obligation de déclaration ne peut pas toutefois
être rétablie sans ménagements ni transition en Corse, car
souvent le partage des biens n'y a pas
été effectué
depuis plusieurs générations et les successions
consécutives n'ont pas été liquidées. Or, pour que
les successions futures puissent être déclarées, il faut
que celles qui les ont précédées aient
préalablement été réglées. La remise en
ordre de la situation héritée du passé requiert du temps
(
au minimum cinq à dix ans dans certains cas
). L'obligation de
déclaration ne pourrait donc entrer en vigueur que
progressivement.
»
Votre rapporteur n'a pas le sentiment que les évolutions de la situation
des titres de propriété en Corse intervenues depuis 1984 soient
forcément de nature à raccourcir les délais
nécessaires, d'autant plus que, plus le temps passe, et moins nombreux
sont ceux qui ont la mémoire des partages oraux auxquels il a pu
être procédé. La procédure habituelle des actes de
notoriété, dans lesquels des témoins assurent de la
réalité des partages oraux auxquels il a pu être
procédé, peut de moins en moins être utilisée.
En outre, le projet de loi ne reprend pas une disposition de la
« proposition du Gouvernement soumise aux représentants
élus de la Corse » du 20 juillet 2000, qui prévoyait
que, pour inciter à la reconstitution des titres de
propriété, des
mesures «
d'aide à
l'expertise seront financées avec le concours de la collectivité
et de l'Etat
».
La mise en oeuvre de telles aides, dont le Gouvernement a assuré votre
rapporteur qu'elle ne nécessitait pas de disposition législative,
est indispensable compte tenu du coût élevé de la recherche
des titres de propriété
224(
*
)
pour les redevables. Comme le
souligne le rapport de la commission mixte chargée de formuler des
propositions relatives au régime fiscal spécifique applicable en
Corse et aux dispositions destinées à faciliter la sortie de
l'indivision, mise en place en application de l'article 22 de la loi de
finances pour 1999, «
il importe que les opérations de
reconstitution des titres de propriété ne soient pas
entravées par des obstacles pécuniaires
».
Cette commission suggérait «
que l'Etat, avec le concours
de la collectivité territoriale de Corse, prenne en charge les frais
d'intervention, non des notaires dont l'intervention est obligatoire pour
l'établissement des actes translatifs de la propriété
immobilière et dont le rôle a un caractère purement
privé, mais des géomètres experts et des
généalogistes dont la présence peut seule,
généralement, permettre la reconstitution des titres de
propriétés
». Si elles ne sont pas
complétées par la mise en oeuvre de telles aides,
l'efficacité des diverses exonérations de droits d'enregistrement
et de timbre reconduites ou créées par le présent article
n'est pas susceptible de s'améliorer.
La commission proposait également un nombre important de mesures
techniques susceptibles d'encourager la sortie de l'indivision. Leur mise en
oeuvre ne nécessite pas d'intervention du législateur.
La reconstitution des titres de propriété et l'encouragement
de la sortie de l'indivision nécessitent des mesures plus incitatives
que celles proposées par le présent article, qui
représentent néanmoins un progrès par rapport à la
situation actuelle.
Le règlement des seules successions résultant des
décès de propriétaires de biens et droits immobiliers
situés en Corse qui interviendront avant le 1
er
janvier 2013
ne suffira vraisemblablement pas à remettre en ordre les titres de
propriété relatifs aux immeubles situés en Corse dans les
proportions qui seraient souhaitables.
Votre commission spéciale vous propose, afin d'aller plus loin, un
amendement
créant une
exonération de droits de mutation
à titre gratuit entre vifs pour les donations
. Cette
exonération serait calquée sur l'exonération de droits de
succession mise en place au III du A du présent article et concernerait
les seuls biens et droits immobiliers contenus dans la donation pour lesquels
les titres de propriété n'existaient pas à la date
d'entrée en vigueur des dispositions du présent projet de loi.
Une telle mesure serait de nature à inciter les propriétaires de
biens et droits immobiliers situés en Corse dont l'espérance de
vie est supérieure au 31 décembre 2012 à
procéder au partage de leurs biens et, par là, à
reconstituer leurs titres de propriété.
Elle permettrait également de favoriser la transmission de biens
à des générations plus soucieuses de détenir des
titres de propriété. La dépense fiscale correspondante ne
devrait pas être très élevée puisque, aujourd'hui,
selon les informations recueillies par votre rapporteur, les donations
auxquelles il est procédé en Corse concerneraient assez peu les
biens immobiliers.
Par coordination, et pour éviter les abus, votre commission
spéciale vous propose un
amendement
écartant du
bénéfice de la mesure les donations afférentes à
des biens acquis après l'entrée en vigueur des dispositions du
présent projet de loi.
Votre commission spéciale vous propose un autre
amendement
, qui
revient à la rédaction initiale du projet de loi s'agissant des
périodes d'exonérations de droits de succession.
Pour les biens et droits immobiliers pouvant en bénéficier,
l'exonération serait totale entre 2002 et 2010, puis de 50 % entre
2011 et 2015. Le droit commun serait applicable à compter de 2016.
3. Les sanctions prévues en cas de non reconstitution des titres de
propriété et de non déclaration des successions sont-elles
susceptibles d'être appliquées en Corse ?
Si des sanctions ne sont pas appliquées efficacement en cas de
défaut de déclaration d'une succession, tout l'édifice du
présent article s'écroule car la situation actuelle perdurera.
Les sanctions étant assises sur la valeur des biens immobiliers, le
dispositif proposé par le présent article ne sera viable que
lorsque les dispositions de l'article 21 de la loi de finances pour 1999, qui
prévoient le retour de la Corse dans le droit commun pour
l'évaluation des biens immobiliers, seront entrées en vigueur.
Le droit actuel permet aux services fiscaux de retrouver les héritiers
et de s'assurer que des droits de mutation sont bien acquittés sur les
biens transmis par le défunt.
Le rapport remis au Parlement en application de l'article 22 de la loi de
finances pour 1999 rappelle les moyens dont disposent les services
fiscaux :
« L'article L. 102 A du livre des procédures fiscales fait
obligation aux maires
«
d'adresser dans les mois de
janvier, avril, juillet et octobre au service des impôts les
relevés des actes de décès établis au cours du
trimestre
». Ces relevés (1 fiche par défunt)
doivent comporter le nom de ce dernier, le nom des héritiers connus
ainsi que les éléments du patrimoine successoral. Les services
locaux apurent les fiches au fur et à mesure au vu des
déclaration de mutation. Lorsque les déclarations fiscales ne
sont pas parvenues au centre des impôts, le service destinataire
recherche s'il y avait un intérêt fiscal à ce que le
dépôt soit fait. Dans la négative, il procède
à un classement sans suite. Dans l'affirmative, il relance les
héritiers par voie de mise en demeure si ceux-ci sont connus, la
connaissance d'un seul étant suffisante en raison de la
solidarité pesant sur les héritiers pour le paiement des droits
de mutation par décès (art. 1709 du CGI).
Si les héritiers ne sont pas connus, le centre des impôts local
doit entreprendre toute recherche utile au moyen de tous les
éléments d'information dont il peut disposer (fiches d'immeuble
du bureau des hypothèques, registre des formalités pour la
période antérieure au 1
er
janvier 1956, fichier
des notaires qui ont passé les actes, syndics de
copropriété, etc...), dans le but de retrouver au moins l'un des
héritiers. Une telle identification devrait permettre de contribuer
à la reconstitution de la chaîne des
héritiers. »
Cependant, en l'absence de connaissance précise du patrimoine du
défunt tant par les services fiscaux que parfois par les
héritiers eux-mêmes, l'exhaustivité des déclarations
de succession qui seront déposées en Corse n'est pas garantie.
Par conséquent, il est à craindre qu'une partie du patrimoine
immobilier de Corse ne figure pas dans les déclarations de succession et
que ce défaut de déclaration ne puisse pas être
sanctionné, l'administration ne pouvant apporter la preuve de la
propriété de l'héritier. Cette situation ne devrait pas
être rare s'agissant des terrains non bâtis du centre de
l'île.
Si elle approuve la logique des modalités retenues par le présent
article pour accompagner le retour au droit commun en Corse en matière
de sanction du défaut de déclaration (allongement du
délai, exonération), et si elle approuve le principe de la mise
en place de sanctions en cas de défaut de reconstitution des titres dans
les vingt-quatre mois du décès, votre commission spéciale
souhaite modifier le dispositif proposé afin que les sanctions soient
véritablement efficaces, et qu'elles ne frappent pas de manière
aveugle.
Dans cette optique, elle vous soumet un
amendement
, modifiant le
texte proposé pour l'article 641
bis
du code
général des impôts, afin de
réserver
l'allongement du délai de déclaration des successions à
vingt-quatre mois aux seuls biens et droits immobiliers pour lesquels les
titres de propriété n'existaient pas à la mort du
défunt
.
Ainsi, les héritiers devraient déposer leur déclaration de
succession dans les six mois du décès, et y faire figurer
l'ensemble des biens non immobiliers et des biens immobiliers pour lesquels les
titres de propriété existaient à la mort du défunt.
Les biens pour lesquels les titres de propriété n'existaient pas
à la mort du défunt devront faire l'objet d'une
déclaration complémentaire dans les vingt-quatre mois du
décès.
Cette disposition n'est pas destinée à pénaliser les
propriétaires d'immeubles situés en Corse, mais à les
protéger. Dans le dispositif proposé par le présent
article, si les titres de propriété ne sont pas
reconstitués dans le délai de vingt-quatre mois, les
pénalités de droit commun s'appliquent à l'ensemble de la
succession.
Cet amendement a également pour effet de supprimer les
ambiguïtés du texte du projet de loi provoquées par la
notion d' « allongement conditionnel » du délai
de déclaration, en prévoyant que les sanctions du défaut
de déclaration s'appliquent à compter de l'expiration du
délai de vint-quatre mois.
Par coordination avec cet amendement, votre commission vous propose un
amendement
de conséquence au C du présent article.
Un autre
amendement
, modifiant le texte proposé pour l'article
1840 G
undecies
du même code, prévoit que les
sanctions de la non reconstitution des titres de propriété dans
le délai de vingt-quatre mois s'appliquent à compter de la date
de publication de ces titres.
Faute de cette précision, le dispositif proposé est
inopérant. Il est notamment impossible d'obliger un héritier
à acquitter des droits de succession «
dans le mois suivant
l'expiration du délai de deux ans
» alors que les titres
prouvant qu'il en est bien le propriétaire n'auraient pas
été reconstitués.
Avec l'amendement qui vous est soumis, le dispositif proposé par le
présent article devient opérationnel. Dans sa rédaction
actuelle, l'article 1840 G
undecies
est inopérant car les
sanctions n'ont pas d'assiette.
Cet amendement permet également de coordonner de manière plus
claire le régime des sanctions du défaut de déclaration et
le régime des sanctions de la non reconstitution des titres de
propriété dans le délai de vingt-quatre mois.
Sous le bénéfice de ces observations, et de l'adoption des
amendements qu'elle vous soumet, votre commission spéciale vous propose
d'adopter le présent article.
Article 45 bis
Prise en charge par l'Etat d'une partie des cotisations
sociales
dues par les employeurs de main d'oeuvre agricole en
Corse
I . LA SITUATION ACTUELLE
A.
DES AGRICULTEURS CORSES TRES ENDETTES
1. La dette globale
Evoquant les multiples dettes du monde agricole en Corse, le rapport de la
commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et la gestion
des services publics en Corse, constituée en 1998 à
l'Assemblée nationale, distinguait
« trois grandes masses
de dettes : les dettes bancaires, les dettes sociales, et les
impayés d'eau
».
Ce rapport estimait la dette au Crédit Agricole à environ 1
milliard de francs, la dette sociale à 880 millions de francs et les
impayés d'eau à plus de 56 millions de francs.
Il jugeait «
saisissant
» le rapprochement entre ces
montants et le revenu brut d'exploitation de l'agriculture corse, qui
s'établissait à 445 millions de francs en 1997.
2. La dette au titre des cotisations sociales
La caisse centrale de la mutualité sociale agricole (MSA) a fourni
à votre rapporteur les éléments suivants relatifs à
la dette sociale des agriculteurs exerçant leur activité en
Corse :
Impayés de cotisations légales et conventionnelles au 31 décembre 1999
(en millions de francs)
|
Actifs |
Radiés |
Total |
Cotisations exploitants |
216,1 |
48,1 |
264,3 |
Cotisations sur salaires |
259,4 |
53,5 |
313,0 |
Total cotisations |
475,5 |
101,7 |
577,2 |
Majorations de retard |
279,2 |
117,9 |
397,1 |
Total général |
754,7 |
219,6 |
974,3 |
Les
arriérés de cotisations dus par les actifs représentent
les trois quarts de la dette constatée à la fin de l'année
1999. Les majorations de retard constituent environ 40 % de l'endettement.
Celui-ci est la conséquence d'un taux de recouvrement très faible
jusqu'en 1999 :
Part des restes à recouvrer dans le total des émissions au titre de l'exercice, et du solde restant dû au 31 mars suivant :
(en %)
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Caisse de Corse |
67,71 |
68,06 |
71,06 |
71,22 |
74,49 |
Moyenne des caisses de la Mutualité sociale agricole |
7,08 |
6,81 |
6,46 |
6,58 |
6,17 |
Le solde
global des restes à recouvrer au titre des cotisations légales et
conventionnelle s'est réduit de 22,7 % entre 1999 et 2000. Il
s'établissait au 31 décembre de l'année 2000 à
753,6 millions de francs.
Cette amélioration tient sans doute, en partie, aux réformes
entreprises au sein de la caisse de la Mutualité sociale agricole de
Corse depuis 1999.
B.
UNE CAISSE DE LA MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE PAS ENCORE
REDRESSEE
1. Une gestion pas encore rigoureuse
Le rapport de la commission d'enquête constituée à
l'Assemblée nationale, ainsi que les contrôles sur pièces
et sur place auxquels s'est livré notre collègue M. Charles de
Courson, rapporteur spécial du budget annexe des prestations sociales
agricoles au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale,
ont révélé de graves dysfonctionnements au sein de la MSA
de Corse.
Il en a résulté la suspension par le ministre de l'agriculture de
son conseil d'administration, le 30 septembre 1998, et la nomination d'un
administrateur provisoire. Le nouveau conseil d'administration
été installé le 17 janvier 2000.
Il semble cependant que la MSA de Corse ne soit pas encore parvenue à
remédier au désordre comptable dans lequel elle se trouvait.
A titre d'illustration, on constate que, en 1999, pour trois affaires
concernant la MSA de Corse jugées par la Cour d'appel de Bastia, la MSA
a perdu trois fois. En 2000, pour quatre appels, la MSA n'a obtenu gain de
cause que deux fois. Au premier septembre 2001, la MSA avait perdu huit fois
sur neuf. Le même phénomène serait constaté dans les
tribunaux de première instance.
Dans le cadre des procédures contentieuses qui l'opposent à des
agriculteurs qu'elle tient pour endettés à son endroit, la MSA ne
parvient généralement pas à justifier les montants qu'elle
réclame, et place les magistrats dans l'obligation de lui donner tort.
Pourtant, la caisse centrale de la MSA a indiqué à votre
rapporteur que les frais d'huissiers et de contentieux engagés par la
MSA de Corse étaient dix fois supérieurs à ceux
constatés dans des caisses de même taille.
2. Une caisse qui fonctionne grâce aux interventions de la caisse
centrale
Les informations communiquées à votre rapporteur laissent penser
que la survie de la caisse de la MSA en Corse ne serait due qu'aux
interventions de la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole,
qui lui accorde un régime d'avances de trésorerie plus favorable
qu'aux autres caisses.
Par ailleurs, la caisse centrale de la MSA verse à la caisse de Corse
une dotation annuelle de 20 millions de francs, prélevée sur les
fonds institutionnels du réseau.
II. LE DISPOSITIF PROPOSE
Le
présent article résulte de l'adoption par l'Assemblée
nationale, en première lecture, d'un amendement présenté
par le Gouvernement. Donnant l'avis de la commission sur cet amendement, le
rapporteur au nom de la commission des lois s'est contenté d'indiquer
que «
cet amendement a été adopté par la
commission
».
Le présent article a pour objet d'alléger la « dette
sociale » des employeurs de main d'oeuvre agricole exerçant
leur activité en Corse. Ses dispositions ne sont pas codifiées.
A. LA PRISE EN CHARGE PAR L'ETAT DE LA MOITIE DES ARRIERES DES
COTISATIONS PATRONALES
1. Une prise en charge versée à la MSA
La
I
du présent article prévoit la mise en place, au
profit de certains employeurs de main d'oeuvre agricole, d'une aide de l'Etat
au titre de leur arriérés de cotisations patronales dues au
régime de base obligatoire de sécurité sociale des
salariés agricoles pour des périodes antérieures au
1
er
janvier 1999.
L'aide ne peut excéder 50 % des cotisations dues.
Le huitième alinéa du
II
prévoit que l'aide ne peut
être versée que si le bénéficiaire a autorisé
«
l'Etat à se subroger dans le paiement des cotisations
sociales auprès de la caisse de mutualité sociale
agricole
». Cette disposition signifie que l'aide ne sera pas
versée à l'agriculteur, mais directement à la MSA.
Votre rapporteur se demande s'il ne conviendrait pas de préciser que
l'Etat se subroge pour le paiement de la moitié des
arriérés de cotisations patronales dus pour les périodes
antérieures au 1
er
janvier 1999.
Le
V
dispose que les aides au désendettement des personnes
rapatriées sont déduites du montant de l'aide créée
par le présent article. Le
VI
précise que l'aide ne peut
être versée aux employeurs dont l'exploitation est soumise
à une procédure de liquidation judiciaire.
Les crédits correspondant au versement de cette aide pourraient figurer
à l'article 43 du chapitre 44-77 «
Compensation de
l'exonération de cotisations sociales
» du budget du
ministère de l'emploi et de la solidarité. Cette précision
figure dans les observations du Gouvernement sur les recours dirigés
contre la loi de finances rectificative de l'hiver 2000. Elle s'appliquait
à un dispositif de même nature que celui du présent
article, qui a fait l'objet d'une censure du Conseil constitutionnel
225(
*
)
.
2. Une prise en charge qui ne concerne que les cotisations patronales
Le I précise que l'aide ne peut porter que sur les
«
cotisations patronales
» dues par les employeurs
de main d'oeuvre agricole. Sont donc exclues du champ de l'aide :
- les cotisations salariales (le « précompte
ouvrier ») ;
- les cotisations « exploitants » (que les employeurs
acquittent pour leur propre couverture sociale) ;
- les cotisations conventionnelles, c'est-à-dire les cotisations
recouvrées par la MSA pour le compte de l'UNEDIC, au titre de
l'assurance chômage ; et de la CAMARCA, au titre de la couverture
complémentaire des retraites des salariés agricoles ;
- les majorations de retard.
3. Une prise en charge à certaines conditions
Le
I
limite le bénéfice de l'aide à la
moitié des cotisations dues «
pour des périodes
antérieures au 1
er
janvier 1999
».
Le
II
conditionne le bénéfice de cette aide au respect de
certaines conditions :
- apporter la preuve de la viabilité de l'exploitation par un audit
extérieur ;
- être à jour de ses «
cotisations
sociales
» afférentes aux périodes
d'activité postérieures au 31 décembre 1998. L'expression
« cotisations sociales » englobe toutes les cotisations, et
pas seulement les cotisations patronales ;
- être à jour de la part salariale des cotisations patronales, ou
s'engager à leur paiement intégral par la conclusion d'un
échéancier de deux ans signé «
entre
l'exploitant et la caisse
». Bien que le texte ne le
précise pas, on peut penser que la «
caisse
»
désigne la caisse de mutualité sociale agricole de Corse.
La part salariale des cotisations patronales étant une
sous-catégorie des cotisations sociales, on peut penser, bien que le
texte ne le précise pas, que cette condition s'applique à la part
salariale des cotisations patronales dues pour les périodes
antérieures au 1er janvier 1999. Pour les périodes
postérieures à cette date, l'obligation d'être à
jour de la part salariale des cotisations patronales est couverte par la
condition, déjà mentionnée, exigeant d'être
«
à jour des cotisations sociales afférentes aux
périodes d'activité postérieures au 31 décembre
1998
» ;
- avoir fait la preuve de sa volonté de rembourser sa dette soit en
acquittant d'emblée la moitié des arriérés de
cotisations patronales, soit en convenant avec la MSA, dans des conditions qui
ne sont pas précisées, un échéancier de
remboursement pour une période ne pouvant excéder quinze ans.
Dans ce dernier cas, l'aide peut intervenir lorsque l'employeur aura
acquitté les échéances correspondant aux huit
premières années de cet échéancier.
Votre rapporteur déplore que la rédaction du sixième
alinéa du II, qui prévoit cette condition, soit inintelligible
pour qui ne se serait pas fait expliquer l'objectif recherché. Il est
notamment fait référence à un
«
plan
» dont on ne précise pas la teneur. De
manière générale, votre rapporteur regrette que le
présent article, appelé à figurer dans la loi, soit
rédigé comme s'il s'agissait d'une circulaire administrative ou
d'un document interne à la mutualité sociale agricole ;
- avoir demandé à bénéficier de l'aide dans
l'année suivant l'entrée en vigueur des dispositions du
présent projet de loi, en application du
III
.
Si les demandes doivent être effectuées dans ce délai, les
autres conditions d'éligibilité ne doivent pas obligatoirement
être remplies à cette date. Mais l'aide ne sera versée que
lorsqu'elles le seront toutes (simultanément).
4. Une prise en charge qui entraîne l'abandon des poursuites
Le
IV
prévoit que, dans le cadre la procédure mise en
place par le présent article, «
la conclusion d'un
échéancier de paiement de la dette avec la caisse de
mutualité sociale agricole entraîne la suspension des
poursuites
». Il n'est pas précisé quelles
poursuites seraient ainsi suspendues. Sachant qu'une lecture
interprétative du sixième alinéa du II laisse entendre que
l'échéancier ne devrait porter que sur la dette au titre des
cotisations patronales
226(
*
)
, il
est vraisemblable que la suspension ne porterait elle aussi que sur les
poursuites relatives à ces cotisations.
Le présent article ne précise pas non plus si le choix du terme
«
suspension
» signifie que, en cas de non respect
par l'agriculteur des engagements auxquels il a souscrit, les poursuites
pourraient être « réactivées », et dans
quelles conditions.
En tout état de cause, votre rapporteur note que l'adhésion d'un
grand nombre d'employeurs de main d'oeuvre agricole exerçant leur
activité en Corse pourrait se révéler très utile
à la MSA. En concluant des échéanciers de paiement,
ceux-ci signent, de fait, une reconnaissance de dettes. Par ce biais, la MSA
pourra espérer recouvrer plus d'arriérés de cotisations
que par le recours à des procédures contentieuses puisque, devant
les tribunaux, celle-ci est souvent bien en peine de prouver la
réalité des créances dont elle demande le paiement.
B. UNE MESURE DEJA CENSUREE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Le présent article constitue la nouvelle mouture d'une disposition
déjà adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi de
finances rectificative de l'hiver 2000, et qui avait été
censurée par le Conseil constitutionnel.
1. Le texte censuré par le Conseil constitutionnel
Le présent article est légèrement différent de
l'article 64 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353
du 30 décembre 2000).
Alors que le présent article prévoit le versement par l'Etat
d'une aide à la MSA représentant au plus la moitié des
arriérés de cotisations patronales dues par certains exploitants,
l'article 64 de la loi de finances rectificative pour 2000 ouvrait à ces
exploitants la possibilité de bénéficier d'un plan
d'apurement
227(
*
)
de leur dette
au titre des cotisations patronales. L'apurement portait sur les cotisations
patronales, mais aussi sur les pénalités et majorations de retard.
Les conditions pour bénéficier de ce plan étaient les
mêmes que celles fixées par le présent article pour
bénéficier de l'aide. Cependant, l'article 64 était plus
précis que le présent article, et nombre de critiques
apportées à la rédaction n'auraient pu s'appliquer
à l'article 64 du collectif budgétaire de l'hiver dernier.
Il y était notamment précisé que la condition relative
à l'acquittement de la part salariale des cotisations sociales
concernait les cotisations dues pour les périodes antérieures au
1
er
janvier 1999, que la suspension des poursuites était
levée en cas de refus de signer le plan d'apurement et que les
poursuites étaient définitivement abandonnées au terme de
l'exécution du plan d'apurement des dettes.
L'article 64 prévoyait en outre des conditions supplémentaires
pour bénéficier de l'aide. Etaient exclues les personnes ayant
fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé,
marchandage, prêt illicite de main d'oeuvre ou pour fraude fiscale au
cours des cinq années précédant l'entrée en vigueur
de la loi. Les personnes ayant sciemment fait de fausses déclarations ou
remis des documents inexacts en vue d'obtenir le bénéfice du
plan, celles qui n'auraient pas respecté l'échéancier de
paiement ou qui ne paieraient pas leurs cotisations courantes étaient
également écartées du bénéfice de la mesure.
Votre rapporteur se demande si, a contrario, ces personnes pourront
bénéficier des dispositions du présent article.
2. Les raisons de la censure
Lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2000, le
Sénat n'avait pas souscrit au dispositif proposé par le
Gouvernement, le jugeant contraire à la Constitution. Il avait
supprimé l'article en adoptant un amendement présenté au
nom de la commission des finances par notre collègue M. Philippe Marini,
rapporteur général. Soixante sénateurs avaient
contesté la conformité à la Constitution devant le Conseil
constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision DC 2000-441
du 28 décembre 2000 «
qu'il ne résulte ni des termes
de la disposition contestée ni des travaux parlementaires qu'une
situation particulière justifierait que les exploitants agricoles qui y
soient installés bénéficient d'un plan d'apurement de
leurs dettes sociales ; que la seule circonstance que les retards
observés dans le paiement des cotisations sociales agricoles sont plus
importants qu'ailleurs ne saurait justifier la différence de traitement
entre les exploitants agricoles installés en Corse et ceux
installés sur le continent qui seraient dans une situation analogue ;
qu'en outre, ni la loi ni les travaux parlementaires n'évoquent un motif
d'intérêt général de nature à fonder une
telle différence de traitement
».
2. L'argumentaire du Gouvernement à l'appui du présent
article
La présentation par le ministre de l'intérieur de l'amendement
devenu le présent article témoigne d'une lecture
particulièrement attentive de la décision du Conseil
constitutionnel.
Ayant pris acte que la seule circonstance que des retards de paiement plus
importants qu'ailleurs ne sauraient justifier la différence de
traitement entre les exploitants installés en Corse et ceux
exerçant leur activité sur le continent, le ministre s'est
efforcé de faire apparaître dans les travaux parlementaires, en
l'occurrence le journal officiel des débats, la situation
particulière des agriculteurs exerçant leur activité en
Corse qui serait de nature à fonder une telle différence de
traitement.
Les arguments tendant à mettre en évidence la situation
particulière des exploitants agricoles installés en Corse
En présentant la mesure, le ministre de l'intérieur a fait valoir
que :
- «
la situation particulière de la Corse justifie que les
exploitants agricoles qui y sont installés bénéficient de
la mesure
» ;
- le fort endettement des agriculteurs corses «
est lié
à l'implantation tardive de l'agriculture en Corse qui ne s'est
réellement développée qu'après la Seconde Guerre
mondiale. Pour rattraper ce retard, dans les conditions tant
géographiques que climatiques propres à cette île, un
très important effort d'investissement s'est révélé
nécessaire
»
228(
*
)
;
- «
des crises conjoncturelles liées à la situation
particulière des exploitants sont venues rendre le remboursement de
leurs dettes extrêmement difficile pour nombre d'entre
eux
» ;
- «
En l'absence d'une telle disposition, c'est environ un tiers
des exploitations qui pourraient être condamnées à la
liquidation judiciaire en raison du passif accumulé pour les raisons
déjà évoquées
».
Ces arguments avaient déjà été
développés, pratiquement mot pour mot, par le Gouvernement dans
ses observations sur les recours dirigés contre la loi de finances
rectificative pour 2000.
Constatant qu'ils n'avaient pas permis de convaincre le Conseil
constitutionnel, le ministre de l'intérieur les a
complétés en laissant entendre que les arriérés de
paiement constatés en Corse ne seraient pas le seul fait d'exploitants
agricoles récalcitrants, mais également une conséquence du
désordre constaté au sein de la mutualité sociale agricole
de Corse : «
les rapports d'inspection diligentés par
l'Etat et les
travaux parlementaires
ont fait apparaître que les
défaillances dans le recouvrement des cotisations, qui ont
justifié la mise en place de nouvelles instances dirigeantes à la
caisse de mutualité agricole de Corse, à partir de 1998, ont
provoqué l'accumulation d'un arriéré de paiement important
à l'égard de cet organisme.
«
Or,
une part significative de l'endettement
obérant durablement de le développement agricole en Corse est
constitué d'arriérés de paiement de cotisations
sociales
».
En d'autres termes, le ministre semble considérer qu'il n'est pas
entièrement légitime de réclamer aux exploitants agricoles
des cotisations qu'ils n'ont pas payées parce qu'on ne les leur a pas
réclamées, ou réclamées selon des procédures
irrégulières.
Le ministre a également entendu démontrer la situation
particulière dans laquelle se trouveraient les employeurs de main
d'oeuvre agricole en évoquant «
la situation
spécifique en Corse
[qui]
résulte notamment d'une
situation économique induisant des charges et des contraintes qui
n'existent pas sur le continent
». Il a illustré ce propos
en évoquant des données statistiques comparant la situation
financière des exploitations situées sur le continent et celle
des exploitations situées en Corse. Ces données statistiques, et
leur portée, sont analysées plus loin par votre rapporteur.
Les arguments tendant à justifier un traitement particulier en
faveur des exploitants agricoles installés en Corse
A l'occasion du débat à l'Assemblée nationale, le ministre
de l'intérieur a développé un argument nouveau. Il a
placé la mesure en faveur des agriculteurs corses sous le signe de
l'aménagement du territoire : «
le dispositif
proposé par le gouvernement est vertueux. Il est aussi vital pour
l'avenir de l'agriculture en Corse, dont le rôle est décisif dans
l'aménagement du territoire de l'île
».
Mais surtout, le ministre a contesté implicitement l'analyse de la
mesure censurée en décembre 2000 faite à cette occasion
par le Conseil constitutionnel. Alors que celui-ci avait en partie
justifié son annulation sur l'absence de «
motif
d'intérêt général de nature à fonder une
telle différence de traitement
», le ministre choisit de
n'évoquer aucun motif d'intérêt général dans
son propos.
Il ne reprend pas l'argument développé par le Gouvernement en
décembre 2000, dans ses observations sur les recours contre la loi de
finances rectificative pour 2000, selon lequel «
un évident
motif d'intérêt général s'attache à ce que le
législateur prenne les mesures permettant de maintenir le tissu agricole
insulaire
».
Le ministre ajoute même, sans que cette possibilité ait jamais
été évoquée préalablement, qu'il
«
ne serait cependant ni économiquement, ni opportun en
équité, de prendre en la matière des dispositions
générales
». Ce faisant, il revendique le
traitement spécifique accordé aux exploitants agricoles
installés en Corse et confirme son intention d'inscrire la mesure
proposée sur le terrain de l'aménagement du territoire. Le
ministre n'ignore pas que, en effet, le Conseil constitutionnel a
déjà considéré comme conformes à la
Constitution des différences de traitement pour des motifs
d'aménagement du territoire.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION SPECIALE
A.
UNE MESURE ATTENDUE
Evoquant le problème de l'endettement, la Chambre régionale
d'agriculture de Corse, dans un document remis à votre rapporteur,
considère que «
ne pas régler ce problème
équivaudrait à rejeter tout espoir de
développement
».
Cette analyse semble largement partagée puisque, dès
l'année 2000, la secrétaire d'Etat chargée du budget et le
ministre de l'agriculture ont institué, en Corse, une commission
régionale de conciliation (CRC), présidée par le
Trésorier-payeur-général de la région et regroupant
à la fois les services de l'Etat et les créanciers des
exploitants agricoles.
Cette commission a pour objet de procéder à l'examen de
l'endettement de 366 agriculteurs endettés. La caisse centrale de la MSA
a indiqué à votre rapporteur que, dans ce cadre,
«
des abandons de créances, autres que de cotisations
sociales, des prises en charge au titre des fonds rentrant dans le cadre des
dispositifs « agriculteurs en difficulté », ainsi
que des échéanciers de paiement doivent permettre de traiter la
situation des exploitations qui établissent être
économiquement viables
».
De toutes les dettes contractées par les agriculteurs, les
arriérés de cotisations patronales sont les seules pour
lesquelles il ne soit pas possible aujourd'hui d'abandonner des
créances. Le présent article a donc pour objet d'appliquer
à ces dettes le même régime que pour les dettes bancaires
ou les arriérés de paiement des factures d'eau.
B. UNE MESURE DE PORTEE LIMITEE
Il a été indiqué à votre rapporteur que, parmi les
dossiers examinés à ce jour par la commission régionale de
conciliation, les dettes correspondant aux arriérés de
cotisations patronales pour les années antérieures à 1999
représentaient seulement de l'ordre du sixième des dettes
totales. Au cas par cas, cette proportion peut être plus ou moins
importante.
Mais surtout, votre rapporteur constate que, à ce jour, très peu
d'employeurs de main d'oeuvre agricole exerçant leur activité en
Corse remplissent les critères d'éligibilité à la
mesure. Le tableau ci-dessous retrace les questions posées par votre
rapporteur à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole,
et les réponses qu'il a obtenu :
Question |
Réponse |
1. Combien y a-t-il d'employeurs de main d'oeuvre agricole installés en Corse redevables de cotisations patronales ? |
246 (ce chiffre correspond aux employeurs en activité à ce jour) |
2 . Combien y a-t-il d'employeurs de main d'oeuvre agricole installés en Corse redevables de cotisations patronales dues au régime de base obligatoire de sécurité sociale des salariés agricoles pour des périodes antérieures au 1 er janvier 1999 ? |
177 (parmi les 246 de la question 1) |
3 . Parmi la population visée à la question 2, combien d'employeurs sont à jour de leurs cotisations sociales afférentes aux périodes d'activité postérieures au 31 décembre 1998 ? |
58 |
4. Parmi la population visée à la question 2, combien d'employeurs sont à jour de la part salariale des cotisations de sécurité sociale afférentes aux périodes d'activité antérieures au 1 er janvier 1999 ? |
38 |
Il
ressort de la combinaison de ces différents critères que,
à ce jour, 38 exploitants au plus pourraient bénéficier
des dispositions du présent article. Le caractère très
réduit du nombre de bénéficiaires potentiels de la mesure
contraste avec l'assertion du ministre de l'intérieur selon laquelle, en
l'absence des dispositions proposées par le présent article, le
tiers des exploitation agricoles de Corse serait susceptible d'être
placé en liquidation judiciaire.
La caisse centrale de la mutualité sociale agricole a indiqué
à votre rapporteur que les arriérés de cotisations
patronales pour les périodes antérieures au 1
er
janvier 1999 s'élevaient à 78,8 millions de francs pour les
employeurs en activité à ce jour. Ce montant comprend
«
les cotisations légales (y compris la part
ouvrière) et les cotisations conventionnelles (chômage, retraite
complémentaire...) des employeurs en activité à ce
jour
». Les cotisations conventionnelles et la « part
ouvrière » ne sont pas éligibles à l'aide
prévue par le présent article.
Pour les seuls employeurs en activité et à jour de leurs
cotisations sociales afférentes aux périodes d'activité
postérieures au 31 décembre 1998, les arriérés de
cotisations (légales et conventionnelles) pour des périodes
antérieures au 1
er
janvier 1999 s'élèvent
à 14,5 millions de francs.
Ces montants contrastent avec le coût des dispositions du présent
article annoncé par le Gouvernement, soit de 150 millions de francs.
C. LES AGRICULTEURS CORSES SONT-ILS DANS UNE SITUATION DE NATURE A JUSTIFIER
UNE DIFFERENCE DE TRAITEMENT ?
L'agriculture corse est incontestablement dans une situation très
difficile. L'emploi non salarié dans ce secteur a diminué de
38 % entre 1990 et 1999. L'INSEE constate que, en terme de part de
l'agriculture dans la valeur ajoutée, la Corse se situe dans la moyenne
nationale, mais à un niveau inférieur à la France
métropolitaine hors Ile-de-France.
A l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur a
considéré que certaines charges et contraintes n'existant pas sur
le continent, «
et qui se retrouvent dans le revenu moyen par
exploitant
», expliquaient «
l'existence d'un
pourcentage plus important que sur le continent d'exploitations
endettées
».
Il a précisé son propos en indiquant que «
si l'on
se réfère aux déclarations fiscales de 1998, le revenu
professionnel moyen par exploitation est de 80.000 francs, contre 24.000 francs
en Cors
e ».
A cet égard, la situation s'est encore dégradée en 1999
puisque le revenu moyen par exploitation pour la France entière (et non
pour le seul continent) s'établissait à 84.100 francs, contre
22.200 en Corse.
Le ministre déduisait de cet écart «
qu'il en
résulte mécaniquement un endettement supérieur en Corse.
Selon les résultats 1999
(...)
le montant
d'endettement
229(
*
)
est de
600.000 francs pour 715.000 francs de production sur l'exercice pour les
exploitations sur l'ensemble de la France, alors qu'en Corse, il est de 615.000
francs pour 480.000 francs de production.
»
Votre rapporteur a eu connaissance de la décomposition région par
région des données avancées par le ministre, qui sont
reproduites dans le tableau ci-dessous :
Comparaison des exploitations corses avec celles des autres régions (exploitations « professionnelles »)
(en milliers de francs)
Année 1999 |
Revenu professionnel moyen par exploitation (1) |
Dettes totales moyennes par exploitation (2) |
Résultats économiques
(2) |
Alsace |
110,1 |
660,8 |
889,5 |
Aquitaine |
79,8 |
707,9 |
901,6 |
Auvergne |
48,7 |
365,6 |
385,7 |
Basse-Normandie |
70,8 |
666,1 |
685,1 |
Bourgogne |
121,5 |
734,8 |
812,8 |
Bretagne |
70,4 |
886,1 |
921,0 |
Centre |
107,8 |
718,4 |
751,9 |
Champagne-Ardenne |
206,9 |
1.036,1 |
1.393,3 |
Franche-Comté |
75,3 |
441,3 |
575,7 |
Haute-Normandie |
113,6 |
795,3 |
869,7 |
Ile-de-France |
149,6 |
790,4 |
915,1 |
Languedoc-Roussillon |
43,8 |
507,0 |
626,6 |
Limousin |
40,9 |
325,3 |
339,3 |
Lorraine |
99,6 |
882,4 |
840,4 |
Midi-Pyrénées |
47,4 |
395,4 |
397,4 |
Nord-Pas-de-Calais |
118,1 |
718,3 |
868,1 |
Pays-de-la-Loire |
81,8 |
682,0 |
795,6 |
Picardie |
174,3 |
1.142,7 |
1.152,9 |
Poitou-Charentes |
73,2 |
563,4 |
626,0 |
Provence-Alpes Côte d'Azur |
67,4 |
428,4 |
756,1 |
Rhône-Alpes |
64,0 |
371,6 |
550,7 |
Corse |
22,2 |
663,4 |
486,1 |
France entière |
84,1 |
615,7 |
715,3 |
Sources : COTNS (1) et RICA (2). Ministère de
l'agriculture et de la pêche.
Il ressort de ce tableau que 14 régions métropolitaines ont une
dette totale par exploitation supérieure à celle de la Corse et
trois régions métropolitaines ont une production moyenne par
exploitation inférieure à celle de la Corse.
La région Auvergne est dans une situation plus défavorable que la
Corse pour les deux critères.
De ce point de vue, la Corse n'est donc pas dans une situation
particulière puisqu'elle n'arrive au dernier rang pour aucun des deux
critères, et qu'une région est plus mal placée qu'elle
pour les deux critères.
Les données présentées ci-dessus peuvent être
complétées par une comparaison des taux d'endettement des
exploitations agricoles dans les régions métropolitaines, ainsi
que des composantes de ce ratio.
Les données le permettant figurent dans le tableau ci-dessous :
Composantes du taux d'endettement des exploitations agricoles
(en milliers de francs)
Année 1999 |
Actif total moyen par exploitation |
Dettes totales moyennes par exploitation |
Taux d'endettement |
Alsace |
1 816,9 |
660,8 |
36,31 |
Aquitaine |
2 152,5 |
707,9 |
32,81 |
Auvergne |
1 514,2 |
365,6 |
24,11 |
Basse-Normandie |
12 627,5 |
666,1 |
40,79 |
Bourgogne |
2 260,4 |
734,8 |
32,43 |
Bretagne |
1 644,8 |
886,1 |
53,70 |
Centre |
1 961,1 |
718, |
36,54 |
Champagne-Ardenne |
3 524,0 |
1 036,1 |
29,32 |
Franche-Comté |
1 612,7 |
441,3 |
27,32 |
Haute-Normandie |
1 936,6 |
795,3 |
41,03 |
Ile-de-France |
1 586,3 |
507,0 |
39,74 |
Languedoc-Roussillon |
1 586,3 |
507,0 |
31,89 |
Limousin |
1 614,8 |
325,3 |
20,13 |
Lorraine |
2 311,2 |
862,4 |
37,22 |
Midi-Pyrénées |
1 442,7 |
295,4 |
27,37 |
Nord-Pas de Calais |
1 876,3 |
718,3 |
38,17 |
Pays de la Loire |
1 585,2 |
682,0 |
42,91 |
Picardie |
2 546,2 |
1 142,7 |
44,75 |
Poitou-Charentes |
1 777,7 |
583,4 |
32,73 |
Provence Côte d'Azur |
1 449,2 |
428,4 |
29,45 |
Rhône-Alpes |
1 277,0 |
371,6 |
29,03 |
Corse |
1 304,4 |
663,4 |
50,84 |
France entière |
1 751,8 |
615,7 |
35,06 |
Source : RICA (2). Ministère de l'agriculture
et de
la pêche.
Il apparaît que, en proportion de l'actif du bilan des exploitations
agricoles, les exploitations situées en Corse ne sont pas dans la
situation la plus défavorable puisque les exploitations bretonnes ont un
taux d'endettement supérieur au leur.
S'agissant des composantes de ce ratio, 14 régions ont une dette moyenne
par exploitation supérieure à celle de la Corse, et dans l'une
d'elles, la région Rhône-Alpes, est constaté un actif total
moyen par exploitation inférieur à celui des exploitations
situées en Corse.
Le ministre de l'intérieur a également indiqué au cours du
débat à l'Assemblée nationale que «
les
exploitations corses se distinguent de celles du continent en ce que le nombre
des exploitations dont le montant total de dettes est supérieur ou
égal à 90 % du total du bilan est trois fois plus important
que la moyenne nationale. Elles représentent 10,7 % des
exploitations endettées alors que, sur le continent, ce pourcentage
n'est que de 3,6 %. De plus, ces exploitations cumulent 43 % des
dettes totales alors que, sur le continent, ce pourcentage n'est que de
9 %
».
Le 17 juillet 2001, votre rapporteur a demandé au ministre de
l'intérieur de lui communiquer ces données pour chacune des
régions métropolitaines. Il a reçu, la veille de l'examen
de son rapport par votre commission spéciale, les données
relatives aux exploitations dont la dette représente plus de 90 %
du total de leur bilan. En revanche, il n'a toujours pas été
destinataire de la part de l'endettement total constitué par
l'endettement de ces exploitations.
Pourcentage des exploitations dont la dette représente plus de 90 % du total de bilan
Année 1999 |
Pourcentage des exploitations endettées à plus de 90 % |
Alsace |
2,3 |
Aquitaine |
2,2 |
Auvergne |
0,2 |
Basse-Normandie |
6,7 |
Bourgogne |
3,3 |
Bretagne |
8,7 |
Centre |
3,4 |
Champagne-Ardenne |
1,2 |
Franche-Comté |
0,2 |
Haute-Normandie |
4,2 |
Ile-de-France |
6,8 |
Languedoc-Roussillon |
3,7 |
Limousin |
0,5 |
Lorraine |
0,2 |
Midi-Pyrénées |
2,1 |
Nord-Pas de Calais |
1,9 |
Pays de la Loire |
3,9 |
Picardie |
2,6 |
Poitou-Charentes |
4,8 |
Provence Côte d'Azur |
7,3 |
Rhône-Alpes |
1,9 |
Corse |
10,7 |
France entière |
3,5 |
Source : RICA 99. Ministère de l'agriculture et
de la
pêche
Il ressort de ce tableau que la Corse est la région dans laquelle est
constatée la plus forte proportion d'exploitations très
endettées.
Ce constat général recoupe les informations recueillies par votre
rapporteur relatives aux arriérés de cotisations sociales. La
caisse centrale de la mutualité sociale agricole constate en Corse
à la fois une concentration de la dette sur un petit nombre de gros
débiteurs et un éparpillement de la dette sur une multitude de
petits débiteurs.
Le rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics
et la gestion de services publics en Corse soulignait que «
les
agriculteurs accusant des retards de paiement de leurs prêts bancaires
à la caisse régionale de Crédit agricole ont, pour la
plupart d'entre eux, des arriérés - parfois très
importants - dans le paiement de leurs cotisations à la mutualité
sociale agricole
»
230(
*
)
.
Votre rapporteur se demande pour quelle raison le ministre de
l'intérieur a choisi de faire référence à la
concentration de la dette agricole constatée en Corse pour justifier la
mise en oeuvre d'une mesure destinée à bénéficier
uniformément à tous les exploitants agricoles endettés
implantés en Corse, à concurrence de la moitié de leurs
arriérés de cotisations patronales, indépendamment de leur
niveau d'endettement.
A cet égard la mesure proposée par le présent article est
différente du dispositif prévu par l'article 64 de la loi de
finances rectificative pour 2000, censuré par le Conseil
constitutionnel, qui proportionnait l'allégement des dettes au titre des
cotisations patronales «
à l'ensemble des dettes de
l'exploitation agricole
».
Les données présentées ci-dessus peuvent être
récapitulées de la manière suivante :
Critère de comparaison |
Régions métropolitaines dans une situation plus défavorable que la Corse |
Production moyenne de l'exercice par exploitation |
Auvergne, Limousin, Midi-Pyrénées |
Dettes totales moyennes par exploitation |
Aquitaine, Auvergne, Basse Normandie, Bourgogne, Bretagne, Centre, Champagne-Ardenne, Haute Normandie, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Nord-Pas de Calais, Pays-de-la-Loire, Picardie. |
Actif total moyen par exploitation |
Rhône-Alpes |
Taux d'endettement |
Bretagne |
Pourcentage d'exploitations dont l'endettement est supérieur à 90 % du total de bilan |
Aucune |
Revenu moyen par exploitation |
Aucune |
Il
ressort de ces éléments que l'agriculture corse connaît
indiscutablement une situation difficile. Toutefois, rien n'interdit au
Gouvernement, pour y remédier, de mettre en place des dispositifs d'aide
aux filières en crise, telles que la production d'agrume, qui est
spécifique à la Corse, sur le modèle des aides mises en
place sur le continent au bénéfice de la filière bovine
touchée par la crise de la « vache folle » (dont la
Corse a d'ailleurs été épargnée).
Il apparaît également que les productions agricoles
exploitées en Corse procurent aux agriculteurs installés dans
l'île un revenu moyen par exploitation très inférieur aux
autres régions métropolitaines. Il conviendrait cependant, pour
juger de la pertinence de ce critère, de disposer d'une comparaison par
région du revenu moyen des exploitations de France
métropolitaines, afin de comparer si, pour un même type de
production, les exploitants agricoles installés en Corse sont toujours
dans une situation défavorable.
Quoi qu'il en soit, la Corse, en tant qu'entité géographique, ne
peut en rien être considérée comme relevant d'une situation
particulière.
En conséquence, et sous le bénéfice de ces
observations, votre commission spéciale vous propose de supprimer et
article.