2. L'avis du Conseil d'Etat n'a pas levé toutes les ambiguïtés
Répondant à l'exaspération des élus, et également pour clarifier les champs de compétences respectifs de l'Etat, des fédérations et des ligues s'agissant de la production normative applicable aux équipements, le ministère chargé des sports a sollicité un avis du Conseil d'Etat en novembre 2003.
a) L'encadrement de l'étendue des compétences déléguées
Dans son avis, le Conseil d'Etat a tout d'abord limité le pouvoir normatif des fédérations, en précisant que ces dernières pouvaient édicter - soit d'elles-mêmes, soit par transposition des règles internationales - des règles applicables aux équipements et nécessaires au bon déroulement des compétitions sportives, dans la limite des aires de jeu, vestiaires et locaux anti-dopage .
Par cette lecture, le Conseil d'Etat a subordonné l'exercice du pouvoir réglementaire à plusieurs éléments :
- le caractère nécessaire des nouvelles règles à l'exécution de la mission de service public . Ce faisant, il a considéré qu'une norme destinée à améliorer le confort du public ou basée sur des impératifs commerciaux (dispositifs de retransmission audio et télé) serait illégale ;
- la proportionnalité de la mesure aux exigences de l'activité sportive réglementée . Le pouvoir réglementaire des fédérations faisant partie des actes susceptibles d'être déférés devant la juridiction administrative, le juge se réserve par conséquent le droit d'annuler une réglementation qui serait trop contraignante par rapport aux objectifs poursuivis ;
- la consultation préalable du CNAPS. Précisant que cette règle de forme est une condition de la légalité de l'édiction des normes, le Conseil d'Etat permet l'annulation d'une décision qui aurait méconnu cette obligation.
Il est également indiqué, dans un souci de faisabilité, qu'il est nécessaire de prévoir des délais raisonnables de mise en conformité.
b) Des ambiguïtés qui demeurent
Le débat se concentre sur les exigences des ligues en matière d'éclairage et de capacité des stades.
• La capacité des stades : une affaire de sécurité ?
Selon les fédérations et les ligues, il est normal de pouvoir exiger que les clubs des plus hautes divisions de leurs compétitions jouent dans des stades dont les capacités d'accueil sont importantes : ainsi, la Ligue de football professionnel (LFP) impose aux clubs de Ligue qu'ils disposent d'un stade de 20 000 places au minimum.
Pour son président, ces dispositions sont commandées par le souhait de maintenir un certain standard de qualité de la compétition, mais aussi par un souci de sécurité. Selon lui, il s'agit notamment d'éviter des débordements en dehors du stade, dus à des supporters qui ne pourraient pas trouver des places. Il dit vouloir aussi éviter que ne se reproduise le drame du stade de Furiani, à Bastia, lorsqu'en mai 1992 une tribune temporaire s'était effondrée, provoquant la mort de 15 spectateurs.
Pour le président de l'ANDES, au contraire, si l'impératif de sécurité « ne se discute pas » lorsqu'il s'agit de vidéosurveillance, de présence de places assises sur tout le stade ou de procédures d'évacuation, en revanche, la capacité des stades n'est pas une affaire de sécurité , mais une question commerciale et de recettes de billetterie. « La sécurité est réglementée dans les salles de spectacles et les théâtres, sans qu'elles soient obligées d'offrir un niveau de capacité minimale » , note-t-il.
Sur ces deux points spécifiques (éclairage et capacité des stades), le Conseil d'Etat s'est prononcé de la façon suivante : « lorsqu'elles imposent un niveau de capacité de places assises minimal, les fédérations ne font qu'émettre des recommandations, à vocation commerciale, qui n'ont pas valeur contraignante. »
La question de la force obligatoire des décisions prises par les fédérations et précisément au coeur du problème : les élus considèrent que les ligues, qui « mettent parfois le couteau sous la gorge des clubs et des collectivités locales » 38 ( * ) , selon Jacques Thouroude, font de leurs suggestions des contraintes.
Ce qui aboutit parfois à des décisions irrationnelles : l'exemple d'Istres en championnat de France de football qui, montant de Ligue 2 en Ligue 1 en 2004, a dû « réaliser précipitamment un agrandissement de son stade à un niveau de 12 000 places, sous peine de rétrogradation, et se retrouve aujourd'hui à nouveau en Ligue 2 avec un taux de remplissage de 25 % », est représentatif.
C'est la raison pour laquelle les élus demandent qu'une meilleure concertation s'installe, et que soit mieux prises en compte les situations individuelles des clubs, en fonction des bassins de population des villes qui les hébergent.
Ce souhait fait précisément l'objet d'une des recommandations de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, qui vise à favoriser l'échange et la concertation entre les instances sportives locales et les élus avant toute prescription nouvelle en matière d'équipement, afin d'assurer une bonne adaptation aux réalités du terrain. Il s'agit surtout d'éviter les crispations inutiles en associant le plus possible les élus aux réflexions et aux décisions des instances sportives en matière d'équipements et de stades.
Le décret en cours de préparation au ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative s'inscrit dans la même ligne.
Interrogé sur les suites qu'il entendait donner aux préconisations du rapport de la MEC, M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, a indiqué que :
- un guide destiné à l'information des élus locaux sur l'étendue du pouvoir normatif des fédérations serait prochainement diffusé.
Le ministre a indiqué que ce guide serait élaboré en pleine concertation avec les associations nationales d'élus locaux, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et le Conseil national des activités physiques et sportives ;
- une concertation serait engagée avec le CNOSF sur un projet de décret donnant une portée réglementaire à l'avis du Conseil d'Etat relatif aux « normes fédérales » dans la perspective d'être soumis au Conseil d'Etat ;
- la mission de conciliation que la loi du 16 juillet 1984 confie au CNOSF serait étendue aux litiges qui opposeraient une fédération à une collectivité territoriale.
Ces déclarations n'emportant pas l'unanimité du mouvement sportif, l'annonce de la prochaine publication du décret a suscité la parution, le 11 octobre dernier, d'un communiqué commun dans lequel les instances représentatives du sport professionnel 39 ( * ) expriment leur « opposition » au décret.
* 38 Dans le Journal du Monde, précité.
* 39 Le communiqué a été signé par MM. André AMIEL, Président de la Fédération Française de Hand-ball, Serge BLANCO, Président de la Ligue Nationale de Rugby, Pierre COQUAND, Président de la Ligue Nationale de Volley-ball, Bernard LAPASSET, Président de la Fédération Française de Rugby, René LEGOFF, Président de la Ligue Nationale de Basket-ball, Yvan MAININI, Président de la Fédération Française de Basket-ball, Alain SMADJA, Président de la Ligue Nationale de Hand-ball et Frédéric THIRIEZ, Président de la Ligue de Football Professionnel.