B. DES AVANCÉES NÉANMOINS SIGNIFICATIVES SUR DES QUESTIONS JUSQU'ICI EN SUSPENS
Plus que l'évolution générale des crédits, ce sont les améliorations concrètes permises par ce projet de budget, sur des questions restées trop longtemps sans réponse, qui sont remarquables.
Votre commission insistait, en effet, depuis plusieurs années sur un certain nombre d'améliorations nécessaires des dispositifs en faveur des anciens combattants. Votre rapporteur se félicite de constater que certaines d'entre elles, au moins, ont trouvé un écho favorable dans ce projet de loi de finances pour 2003.
1. Le chantier de la décristallisation enfin ouvert
Ce qu'on retiendra avant tout de ce projet de budget pour 2003 est, sans aucun doute, l'amorce d'un processus global de décristallisation des pensions et des retraites d'outre-mer . Il s'agit d'un geste historique, attendu depuis près de 40 ans, et que votre commission réclamait chaque année, inlassablement.
a) Une question en suspens depuis 40 ans
« La France s'honorerait en levant cette injustice ».
Telle était l'appréciation de M. Jacques Floch, alors secrétaire d'Etat aux anciens combattants, en réponse aux questions de votre rapporteur sur les perspectives de la décristallisation, lors de son audition, le 25 octobre 2001, devant votre commission.
Force est de constater que cette profession de foi était jusqu'ici restée lettre morte, nonobstant des mesures toujours partielles et temporaires, qui ont suscité beaucoup d'espoirs, malheureusement sans lendemain.
Un mécanisme lié à la décolonisation Les anciens combattants ressortissants des pays autrefois placés sous la souveraineté de la France, et qui ont combattu sous son drapeau lors des deux conflits mondiaux, ont eu, jusqu'en 1958, les mêmes droits à pension que les nationaux français. En 1959, puis en 1960, en liaison avec les processus de décolonisation, le Parlement a adopté un dispositif dit de « cristallisation », qui a bloqué la valeur des points de pension à la valeur atteinte lors de l'accession à l'indépendance de ces pays. Les trois régimes juridiques de la cristallisation - Le régime juridique découlant de l'article 170 de l'ordonnance du 30 décembre 1958, portant loi de finances pour 1959 (ressortissants des pays de l'Indochine) : Les conditions de cristallisation ont été très rigoureuses : les indemnités, substituées aux pensions, sont calculées sur la base du tarif en vigueur en 1956, soit 0,48 euro (3,14 F). Il n'a jamais été revalorisé. Aucun droit nouveau, révision ou réversion, n'a été admis. Aucune dérogation par décret n'est possible. Les intéressés pouvaient également opter pour le versement d'un capital, jusqu'au 11 mars 1960 ; - Le régime mis en place par l'article 71 de la loi de finances pour 1960 (régime de droit commun) : Les conditions, de même nature que dans le premier régime, peuvent être assouplies par décret, pour une durée d'un an reconductible. A ce titre, les bénéficiaires ont pu continuer à percevoir les droits accessoires à la pension (appareillage) et la possibilité de droits nouveaux et de réversion de la pension a été ouverte à plusieurs reprises. - Le régime découlant de l'article 26 de la loi de finances pour 1962 (ressortissants algériens) : Les pensions des ressortissants algériens ont été soumises, dès l'indépendance, aux dispositions de l'article 71 de la loi de finances pour 1960. Mais plusieurs décisions des juridictions administratives ont considéré que cet article était contraire aux accords d'Evian, et ont écarté son application aux ressortissants algériens. En conséquence, le législateur a adopté un nouveau dispositif qui redonne aux allocations versées leur caractère de pension, mais cristallise la valeur du point à celle atteinte le 3 juillet 1962, date de l'indépendance. Les conséquences de la cristallisation La valeur du point est extrêmement disparate, selon la nationalité des pensionnés : de 0,48 euro (3,14 F) dans les pays de l'ex-Indochine, où aucune revalorisation n'est intervenue, à 6,87 euros (45,05 F) à Djibouti. Elle atteint 1,96 euro (12,88 F) au Sénégal, mais seulement 1,18 euro (7,77 F) au Maroc et en Tunisie.
Une forclusion pesait,
de facto
, sur les nouvelles
demandes jusqu'à la loi de finances pour 2001 pour les retraites du
combattant relevant du régime de droit commun, et à la loi de
finances pour 2002 pour celles relevant du régime de 1959, ainsi que
pour les ayants cause.
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Des mesures de compensation toujours partielles et temporaires
Pour mieux mesurer le changement d'ampleur que prend aujourd'hui le processus de décristallisation, votre rapporteur estime qu'il n'est pas inutile de dresser un bilan des mesures intervenues jusqu'ici.
Une possibilité de déroger par décret, à titre temporaire (un an, reconductible), à certaines dispositions du dispositif de cristallisation avait été ouverte, pour tous les ressortissants, à l'exception de ceux qui relevaient du régime indochinois.
De telles dérogations, sous la forme de majorations de la valeur du point cristallisé, ont bénéficié de façon ponctuelle aux ressortissants des Etats d'Afrique subsaharienne à compter de 1971, et à ceux du Maghreb à partir de 1981. Cependant, la dernière majoration générale remonte à 1994 pour les pensions militaires d'invalidité et 1995 pour la retraite du combattant.
Des dérogations pour la reconnaissance de droits nouveaux ont également été accordées de manière systématique de 1961 à 1991 (à l'exception des ayants cause pour lesquels ce droit a été interrompu de 1979 à 1982). Depuis 1992, ces dérogations n'ont été reconduites que pour la retraite du combattant.
Pour éviter la procédure du renouvellement annuel des dérogations, quelques pas, certes timides, doivent être mis à l'actif du précédent gouvernement :
- l'article 109 de la loi de finances pour 2001 lève définitivement la forclusion qui pesait sur la retraite du combattant, pour les ressortissants du régime de cristallisation de droit commun ;
- l'article 131 de la loi de finances pour 2002 étend cette mesure aux ressortissants de l'ex-Indochine ;
- l'article 132 de la même loi lève la forclusion pesant sur les demandes d'ayants cause de titulaires d'une pension militaire d'invalidité.
Cependant la décristallisation restait au milieu du gué, dans la mesure où les pensions, anciennes ou nouvellement attribuées, continuent d'être versées au taux cristallisé.
Les conséquences de l'arrêt Diop
Votre rapporteur note, qu'au surplus, les levées de forclusion décidées en 2001 et 2002 « se contentaient de mettre en conformité la pratique gouvernementale avec le droit, le Conseil d'Etat ayant précisé, le 26 novembre 1999, que la cristallisation ne s'opposait pas à l'ouverture de droits nouveaux » 4 ( * ) .
Statuant au contentieux le 30 novembre 2001, le Conseil d'Etat 5 ( * ) a, de surcroît, considéré que le droit à pension, constitutif d'un droit patrimonial au sens de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ne pouvait se voir opposer le critère de nationalité et qu'un tel critère était constitutif d'une discrimination, en l'absence de justifications objectives et raisonnables.
Votre rapporteur note cependant que le Conseil d'Etat n'a pas voulu s'engager dans une solution « constructive » récusant le critère de nationalité, il n'a pas fixé les conditions que devrait respecter une solution alternative, au-delà du respect de deux principes : l'égalité du traitement et le respect de la dignité du requérant.
C'est pourquoi, ainsi que le notait M. Anicet Le Pors, rapporteur de la commission d'étude sur la revalorisation des rentes, des pensions et des retraites des anciens combattants d'outre-mer : « plusieurs associations en ont tiré la conclusion que le Conseil d'Etat imposait au Gouvernement la « décristallisation » complète des pensions (...). Mais la décision du Conseil d'Etat (...) est aussi compatible avec des solutions de « décristallisation partielle » réparant l'injustice mais tenant compte des différences de pouvoir d'achat des pays » 6 ( * ) .
Cette mise au point semblait importante à votre rapporteur, à l'heure où s'engage enfin un processus global de décristallisation.
* 4 Avis n° 91, tome VII 2001-2002.
* 5 Conseil d'Etat « Ministère de l'Economie et des Finances et Ministère de la Défense c/Diop » 30 novembre 2001.
* 6 Anicet Le Pors, rapporteur - Colloque à l'IHEDN, 21 janvier 2002