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N° 643

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mai 2016

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENE

au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, relative au régime de sanctions de l' Union européenne à l' encontre de la Fédération de Russie ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Yves POZZO di BORGO et Simon SUTOUR,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 4 juin 2015, la commission des affaires européennes a adopté un rapport d'information sur le régime de sanctions prises par l'Union européenne à l'encontre de la Fédération de Russie 1 ( * ) .

Ce rapport rappelait le contexte dans lequel ces sanctions avaient été prises, à savoir l'annexion de la Crimée et le conflit dans l'Est de l'Ukraine. Il précisait le cadre juridique des sanctions, leur contenu et leurs conséquences, qui sont tant politiques qu'économiques, et ce pour l'ensemble des parties, la Russie ayant pris des contre-sanctions de nature sanitaire. Enfin, après avoir rappelé le contenu des accords de Minsk négociés dans le format « Normandie », et le rôle important que la France et l'Allemagne y ont joué, le rapport évoquait l'après-sanctions.

Où en sommes-nous un an plus tard ?

Les sanctions européennes ont été prolongées à plusieurs reprises : jusqu'au 23 juin prochain pour les sanctions visant la Crimée, jusqu'au 31 juillet pour les sanctions économiques sectorielles et jusqu'au 15 septembre pour les sanctions individuelles ou visant des entités. Le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains doit de nouveau aborder la question de la prolongation de ces sanctions.

Dans la perspective de cette échéance, il est essentiel que le Sénat prenne position en adoptant une résolution européenne sur ce sujet particulièrement important.

La Haute Assemblée adresserait ainsi au Gouvernement un double message qu'il serait invité à faire passer préalablement au Conseil européen : mettre en évidence les limites de la situation actuelle, qui ne saurait être indéfiniment perpétuée, et donc la nécessité d'avancer, tout en proposant une solution à la fois concrète et réaliste de « sortie de crise ».

La démarche retenue est partie d'un triple constat :

1°) il ne faut pas regarder comme un fait accompli l'annexion de la Crimée par la Russie, qui est contraire au droit international. Certes, tout le monde connaît les conditions du rattachement de la péninsule à l'Ukraine par Khrouchtchev en 1954 dans un ensemble qui était alors soviétique, mais il est indéniable que la Russie a violé le droit international en portant atteinte à l'intégrité territoriale, à la souveraineté et à l'indépendance de l'Ukraine ;

2°) les sanctions et contre-sanctions, régulièrement renforcées et prolongées, ont altéré les relations de l'Union européenne avec la Russie - les sommets UE-Russie sont suspendus depuis plus de deux ans. Certes, la détérioration de la situation économique en Russie est largement due à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation du rouble, mais les sanctions européennes n'arrangent rien. Dans le même temps, les embargos sanitaires russes pénalisent les produits agro-alimentaires européens, en particulier la filière porcine française ;

3°) l'appréciation de la situation dans le Donbass est soumise aux accords de Minsk qui constituent la seule voie conduisant à une solution d'ensemble du conflit dans l'Est de l'Ukraine. La mise en oeuvre complète de ces accords est indispensable et doit conditionner la levée des sanctions. Le Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 a d'ailleurs clairement établi une corrélation entre les deux. Or, ces accords, qui reposent sur un équilibre de contreparties réciproques, ne sont pour l'instant mis en oeuvre que de façon partielle : la situation sécuritaire sur le terrain demeure précaire et le volet politique des accords de Minsk, en particulier la décentralisation en Ukraine et la tenue d'élections locales dans le Donbass, n'avance guère.

Que faire dans ce contexte qui demeure difficile ?

Le dispositif proposé doit être réaliste et équilibré, de manière à trouver le plus large consensus possible sur un sujet qui demeure très sensible.

La Russie est un partenaire stratégique non seulement de la France, mais aussi de l'Union européenne - c'est un objectif essentiel. C'est pourquoi il faut sortir de la logique contreproductive de sanctions et de contre-sanctions - certains ministres français, Stéphane Le Foll et Emmanuel Macron notamment, ont exprimé des réserves sur ces sanctions, tandis que plusieurs États membres sont réticents à les reconduire sans cesse. Pour autant, il n'est pas possible de le faire de façon inconditionnelle ou abstraite, en ignorant ce qui s'est passé.

Tels sont la démarche et les objectifs retenus par la présente proposition de résolution européenne pour aborder le sujet des sanctions européennes à l'encontre de la Russie.

Le dispositif proposé, qui sera examiné par la commission des affaires étrangères, fera l'objet d'un débat avec le Gouvernement en séance publique.

La position de ce dernier est connue : les sanctions visant la Russie ne seront levées que lorsque les accords de Minsk auront été appliqués. Cette position est aussi celle de l'Union européenne telle qu'elle l'a notamment exprimée au Conseil européen de mars 2015 et qui a été rappelée lors du Conseil Affaires étrangères du 14 mars dernier.

La France et l'Allemagne ont joué un rôle décisif dans la conclusion des accords de Minsk. Ceux-ci constituent une feuille de route à laquelle il faut se tenir, d'autant plus que sa mise en oeuvre n'est pas aisée. Y renoncer, ne serait-ce que partiellement, serait un très mauvais signal adressé aux protagonistes sur le terrain.

L'objectif ultime doit être de dénouer la crise ukrainienne le plus rapidement possible. Chacune des parties y a d'ailleurs intérêt :

- l'Ukraine, parce qu'elle a un besoin urgent de réformes d'envergure, à la fois économiques et politiques, et parce qu'elle ne peut légitimement pas avancer avec un conflit dans ses provinces orientales. À ce titre, le Président Larcher a pris une initiative importante sur la contribution du Sénat dans la mise en oeuvre du volet politique des accords de Minsk relatif à la décentralisation, grâce à une coopération avec la Rada pour l'élaboration de la révision de la Constitution ukrainienne ;

- la Russie, parce que son économie pâtit des sanctions européennes ;

- l'Union européenne, parce que ses relations avec la Russie sont gelées, alors que des relations confiantes et solides sont indispensables pour relever les défis communs tels que la lutte contre le terrorisme, la sécurité internationale, la situation au Proche-Orient ou encore les négociations climatiques, et aboutir à un partenariat stratégique que le Sénat appelle de ses voeux, et parce que cela faciliterait aussi la bonne application de son accord d'association avec l'Ukraine ;

- les États membres, qui souffrent à la fois des opportunités perdues sur le marché russe et des effets des contre-sanctions russes, comme le montre la crise de la filière porcine en France, et dont l'unité est mise à mal par des débats sur l'opportunité de prolonger les sanctions.

Toutefois, il convient d'aller plus loin que rappeler le lien entre fin des sanctions et application des accords de Minsk, même si ce rappel est évidemment nécessaire.

En effet, le régime de sanctions à l'encontre de la Russie pourrait être modifié de façon opérationnelle selon le schéma suivant :

- en premier lieu, les sanctions économiques sectorielles seraient progressivement allégées en fonction de progrès significatifs et ciblés dans la mise en oeuvre des accords de Minsk au regard de l'évolution de la situation prévalant le 12 février 2015 ;

- ensuite, et selon les mêmes conditions, les sanctions diplomatiques et politiques feraient l'objet d'une réévaluation. En particulier, les discussions en vue de la tenue de réunions bilatérales de haut niveau entre les États membres et la Russie pourraient reprendre ;

- enfin, le Gouvernement pourrait appeler ses partenaires européens à lever sans délai les sanctions individuelles visant les parlementaires russes, qui constituent indéniablement un obstacle au dialogue politique.

Naturellement, l'allégement de ces sanctions européennes devrait s'accompagner de mesures identiques du côté russe. Les sanctions sanitaires sont plus particulièrement concernées. Le Gouvernement a déjà entrepris des démarches auprès de la Commission, des États membres et de la Russie pour obtenir la levée rapide de ces embargos qui aggravent la situation déjà fragile du secteur agricole. Il serait notamment envisageable de parvenir à une levée de l'embargo sanitaire sur les produits porcins dans les pays qui ne présentent pas de cas de fièvre porcine africaine - c'est le cas de la France.

Cette proposition de résolution ne constituerait qu'une première étape. En effet, les relations de l'Union européenne avec la Russie sont trop stratégiques pour être retenues indéfiniment en otage d'un débat récurrent sur les sanctions. Elles méritent mieux et doivent pouvoir se projeter au-delà du dossier ukrainien. Ainsi, parmi les cinq principes directeurs pour les relations avec la Russie que le Conseil Affaires étrangères a approuvés en mars dernier, figure « la possibilité d'une coopération sélective avec la Russie sur des questions présentant un intérêt pour l'UE ».

La façon d'aller de l'avant dans ces relations sera traitée prochainement par la commission des affaires européennes.

Pour ces raisons, votre commission des Affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les conclusions du Conseil européen du 6 mars 2014 et des 19 et 20 mars 2015,

Vu les conclusions du Conseil Affaires étrangères de l'Union européenne du 3 mars 2014, du 17 mars 2014, du 22 juillet 2014, du 19 janvier 2015 et du 14 mars 2016,

Regrettant que la Fédération de Russie ait autorisé le recours à la force sur le territoire ukrainien le 1 er mars 2014 puis annexé la Crimée le 20 mars 2014 après un référendum considéré comme dépourvu de validité par les Nations unies ;

Regrettant la situation dans certaines régions de l'Est de l'Ukraine qui a conduit à un conflit entre l'armée ukrainienne et des forces se déclarant pro-russes et défiant l'autorité de l'État ukrainien ;

Soulignant qu'à la suite de ces événements, l'Union européenne a progressivement mis en place un régime de sanctions à l'encontre de la Russie qui comporte des mesures politiques et diplomatiques, des sanctions individuelles ou visant des entités, et des sanctions économiques sectorielles, au détriment des populations et des entreprises ;

Soulignant que ces sanctions ont été complétées, renforcées ou prolongées à plusieurs reprises, en fonction de la dégradation de la situation en Ukraine ou de l'absence de progrès constatés ;

Observant qu'en réaction aux sanctions européennes, la Fédération de Russie a décidé le 7 août 2014 de mettre en place des sanctions, en particulier un embargo sur les produits alimentaires pour une durée d'un an, et qu'elle l'a prolongé pour la même durée en août 2015 ;

Soulignant qu'à la suite de plusieurs initiatives diplomatiques, la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine, réunies en format « Normandie », ont obtenu la signature des accords de Minsk, qui constituent la seule voie conduisant à une solution du conflit dans certaines régions de l'Est de l'Ukraine ;

Rappelant la contribution du Sénat dans la mise en oeuvre du volet politique des accords de Minsk relatif à la décentralisation, en particulier la coopération mise en place avec la Rada lors de l'élaboration de la réforme constitutionnelle ukrainienne en ce sens ;

Constatant le caractère partiel de la mise en oeuvre de l'ensemble de mesures du 12 février 2015 sur l'application des accords de Minsk ;

Constatant dans le même temps que les sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Fédération de Russie et les sanctions russes ont des conséquences négatives, sur le plan tant économique que politique, pour l'ensemble des parties, et sur les relations entre l'Union européenne et la Russie ;

Réaffirme son attachement indéfectible à l'intégrité territoriale, à la souveraineté et à l'indépendance de l'Ukraine et condamne l'annexion de la Crimée par la Russie, comme il ressort de la résolution 68/262 de l'Assemblée générale des Nations unies du 27 mars 2014 ;

Regrette la détérioration des relations entre l'Union européenne et la Russie et considère que le rétablissement de relations confiantes et solides est indispensable pour relever les défis communs et aboutir au partenariat stratégique avec la Russie que le Sénat appelle de ses voeux ;

Invite toutes les parties à mettre en oeuvre, dans les meilleurs délais et dans leur intégralité, l'ensemble de mesures du 12 février 2015 en vue de l'application des accords de Minsk ;

Appelle de ses voeux un allègement progressif et partiel du régime des sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Russie, en particulier des sanctions économiques, en liant cet allègement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en oeuvre des accords de Minsk par rapport à la situation prévalant au moment de l'adoption, le 12 février 2015, de l'ensemble des mesures sur l'application des accords, et invite le Gouvernement à poursuivre les négociations avec la Russie et l'Ukraine, dans le cadre du format « Normandie », ainsi qu'avec ses partenaires européens ;

Invite le Gouvernement, selon les mêmes conditions, à réévaluer les sanctions diplomatiques et politiques et à préconiser en particulier la reprise des discussions en vue de la tenue, dans un premier temps, de réunions bilatérales de haut niveau entre les États membres de l'Union européenne et la Russie ;

Invite le Gouvernement à appeler ses partenaires européens à lever sans délai les sanctions individuelles visant les parlementaires russes, qui constituent un obstacle au dialogue parlementaire et politique ;

Invite le Gouvernement à s'assurer que l'allègement ou la levée de sanctions européennes s'accompagne nécessairement de mesures du même ordre de la part de la Fédération de Russie ;

Rappelant les initiatives du Gouvernement pour obtenir la levée de l'embargo phytosanitaire et des contremesures russes visant le secteur agricole, invite celui-ci à renforcer ses démarches vis-à-vis de la Russie, en liaison avec la Commission européenne et les États membres de l'Union européenne, afin d'obtenir la levée rapide des embargos, y compris ceux adoptés avant la crise ukrainienne, tel que l'embargo sur certains produits porcins - qui aggravent la situation d'un secteur agricole déjà fragilisé ; souligne en particulier que ces embargos entraînent des pertes importantes pour la filière porcine française ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.


* 1 Rapport d'information (n° 486 ; 2014-2015) de MM. Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour : Union européennes/Russie : les sanctions et après ?

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