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N° 32
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 octobre 2013 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ
présentée au nom de la commission des affaires européennes (1), en application de l'article 73 octies du Règlement, sur la création d'un Parquet européen ,
Par Mlle Sophie JOISSAINS,
Sénateur
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.)
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise BOOG, MM. Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le Sénat a été destinataire d'une proposition de règlement qui prévoit la création d'un Parquet européen. Votre commission des affaires européennes a considéré que ce texte pouvait soulever certaines difficultés au regard du respect du principe de subsidiarité.
1/ Quel est le contexte ?
Le traité de Lisbonne a rendu possible la création d'un Parquet européen en lui donnant une base juridique qui figure à l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Selon le traité, ce Parquet peut être créé par une décision du Conseil statuant à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. Sa mission serait de combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Toutefois, le Conseil européen pourrait décider d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. À cette fin, il devrait statuer à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission.
Tel que l'envisage la Commission européenne dans sa proposition, les missions du Parquet européen seraient limitées à la protection des intérêts financiers de l'Union. Il serait créé sous la forme d'un office intégré de l'Union s'appuyant sur les systèmes judiciaires nationaux. Il s'agirait d'un nouvel organe doté de la personnalité juridique. Il bénéficierait de garanties d'indépendance et devrait rendre compte de ses activités. Le texte précise les mesures d'enquête qui pourraient être accomplies par le Parquet européen tout en permettant l'application de règles de droit national. Il établit l'admissibilité devant les juges du fond des éléments de preuve que le Parquet aura recueillis. Il prévoit des garanties procédurales pour les personnes suspectées. Ce sont les juridictions nationales qui exerceront le contrôle juridictionnel de l'ensemble des actes d'enquête et de poursuite attaquables du Parquet européen. Ces juridictions pourront néanmoins adresser des questions préjudicielles à la Cour de justice sur l'interprétation des dispositions pertinentes du droit de l'Union. Le Parquet européen devrait avoir des relations privilégiées avec Eurojust qui est parallèlement réformé par un autre texte qui nous a été transmis.
2/ Quelles sont les difficultés ?
Sur le principe, nous ne pouvons qu'accueillir favorablement la démarche de la Commission. Dans une résolution du 15 janvier 2013, adoptée à l'initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat a soutenu la création d'un Parquet européen. Nous avions jugé possible de procéder par étapes en commençant par la protection des intérêts financiers de l'Union, tout en souhaitant une extension rapide à la criminalité grave de nature transfrontière. Dès lors qu'il s'agit de protéger les intérêts financiers de l'Union, une action européenne répond à un besoin manifeste d'un pilotage et d'une coordination renforcés.
Cependant, il faut aussi examiner si la démarche retenue par la Commission européenne répond correctement à cet objectif. Or celle-ci a privilégié une formule très intégrée dont on peut craindre qu'elle ne réussisse pas à s'imposer dans la pratique face aux réticences prévisibles des États membres. Le Parquet européen serait, en effet, dirigé par un procureur européen nommé par le Conseil avec l'approbation du Parlement européen pour un mandat de huit ans non renouvelable. Il serait assisté de procureurs adjoints nommés dans les mêmes conditions et de procureurs délégués dans les États membres qu'il nommerait lui-même et qu'il pourrait révoquer.
Dans notre résolution, nous nous étions au contraire montré favorables à un Parquet européen de forme collégiale , désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre. Cette formule souple était apparue comme la plus adaptée pour que le Parquet européen puisse progressivement s'ancrer dans les systèmes nationaux et être accepté par les praticiens des États membres. C'est aussi cette voie qu'a préconisée la position commune franco-allemande. En faisant un choix beaucoup plus centralisateur et directif, la Commission européenne paraît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif d'un meilleur pilotage et d'une coordination renforcée.
Or, selon le principe de subsidiarité, l'Union ne doit intervenir que « dans la mesure où » cela est nécessaire pour atteindre un objectif.
Compte tenu de l'opposition de certains États membres, ce Parquet européen ne pourra vraisemblablement être créé que par la voie d'une coopération renforcée. Dans notre résolution, nous avions indiqué que, faute d'unanimité au Conseil, cette procédure devrait être mise en oeuvre. Il nous paraît donc essentiel que la formule proposée soit suffisamment souple pour recueillir un consensus parmi au moins neuf États membres, seuil requis par le traité pour le lancement de la coopération renforcée.
Or, en proposant un schéma beaucoup plus rigide, qui s'écarte de la position commune franco-allemande, la Commission européenne a pris le risque de faire échouer le processus. Très discutable du point de vue de la subsidiarité, le texte de la Commission paraît donc également critiquable en termes d'opportunité.
D'après les informations dont nous disposons, plusieurs chambres parlementaires ont décidé de se saisir de ce texte au titre de l'examen de subsidiarité (Bundesrat, Parlement chypriote, Cortes espagnols, Parlement maltais, Chambre des représentants des Pays-Bas, Diète polonaise, Chambre des communes et Chambre des Lords, Parlements slovène et suédois) . À ce stade, on ne peut préjuger de leur appréciation qui sera connue au plus tard le 28 octobre, date à laquelle expirera le délai de huit semaines laissé aux parlements nationaux pour procéder à cet examen de subsidiarité.
Pour rappel, en vertu des traités, si un quart des parlements nationaux adoptaient un avis motivé sur le non-respect du principe de subsidiarité, alors la Commission devrait réexaminer le texte. À l'issue de ce réexamen, elle pourrait décider soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer. Sa décision devrait être motivée.
C'est pourquoi il est proposé au Sénat d'exprimer sa préoccupation en adoptant un avis motivé. Tel est l'objet de cette proposition de résolution.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ
La proposition de règlement COM (2013) 534 final prévoit la création d'un Parquet européen qui présenterait les caractéristiques suivantes :
- ce Parquet serait compétent pour veiller à la protection des intérêts financiers de l'Union ;
- il serait créé sous la forme d'un office intégré de l'Union s'appuyant sur les systèmes judiciaires nationaux. Il s'agirait d'un nouvel organe doté de la personnalité juridique. Il bénéficierait de garanties d'indépendance et devrait rendre compte de ses activités ;
- il serait dirigé par un procureur européen nommé par le Conseil avec l'approbation du Parlement européen pour un mandat de huit ans non renouvelable. Il serait assisté de procureurs adjoints nommés dans les mêmes conditions et de procureurs délégués dans les États membres qu'il nommerait lui-même et qu'il pourrait révoquer.
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Le Sénat fait les observations suivantes :
- l'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où , les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ; cela implique d'examiner non seulement si l'objectif de l'action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l'intensité de l'action entreprise n'excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif que cette action vise à réaliser ;
- dans sa résolution du 15 janvier 2013, le Sénat avait soutenu la création d'un Parquet européen ; il accueille donc favorablement, dans son principe, la démarche de la Commission européenne ;
- cependant, la proposition tend à promouvoir une formule très intégrée dont on peut craindre qu'elle ne réussisse pas à s'imposer dans la pratique face aux réticences prévisibles des États membres ;
- dans sa résolution précitée, le Sénat s'était au contraire montré favorable à un Parquet européen de forme collégiale, désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre. Cette formule souple apparaît comme la plus adaptée pour que le Parquet européen puisse progressivement s'ancrer dans les systèmes nationaux et être accepté par les praticiens des États membres ;
- en faisant un choix beaucoup plus centralisateur et directif, la Commission européenne paraît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif d'un meilleur pilotage et d'une coordination renforcée.
Le Sénat estime donc que la proposition de règlement ne respecte pas, en l'état, le principe de subsidiarité.