Revenu minimum d'activité
N°
317
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 avril 2000
PROPOSITION DE LOI
portant création du
Revenu Minimum
d'Activité
,
PRÉSENTÉE
par MM. Alain LAMBERT et Philippe MARINI,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Emploi. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La
France se trouve, depuis une vingtaine d'années, dans une situation
paradoxale : elle s'est globalement enrichie - son produit
intérieur brut a augmenté de 50 % -, alors que le nombre de
chômeurs a triplé.
L'exclusion du monde du travail dont un nombre croissant de nos concitoyens est
désormais victime n'est pas une fatalité. Mais peut-être
les moyens utilisés jusqu'à présent pour les
réinsérer au sein de notre société ne sont-ils pas
totalement efficaces.
A ce titre, soucieux d'apporter une contribution à ce débat de
société auquel le Parlement, et le Sénat en particulier,
ne saurait être étranger, nous vous proposons de promouvoir une
nouvelle logique de l'insertion dans le monde de l'entreprise et donc dans la
vie économique, en substituant à l'insertion par l'assistance,
l'insertion par l'activité.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi visant à
instituer un revenu minimum d'activité (RMA), que nous vous
présentons.
A. L'INSERTION PAR L'ASSISTANCE EST UN ÉCHEC
L'apparition d'un chômage de masse a entraîné de multiples
conséquences. La forte augmentation des dépenses d'indemnisation
et la diminution corrélative des ressources de l'assurance-chômage
ont placé cette dernière dans une situation financière
extrêmement délicate, l'Etat ayant été amené,
en 1993, à mettre en jeu sa garantie financière au profit de
l'UNEDIC à hauteur de 10 milliards de francs. Cette situation s'est
néanmoins accompagnée d'une augmentation du nombre de
chômeurs non indemnisés. Par ailleurs, le marché du travail
lui-même a fortement évolué en raison de la multiplication
des formes de travail précaires que sont les contrats à
durée déterminée et l'intérim. Le socle du pacte
social élaboré à l'époque des « Trente
Glorieuses » - protection sociale généreuse dont le
financement repose sur l'emploi stable à temps plein - est
ébranlé.
Ce contexte a été propice à l'apparition de formes
nouvelles de pauvreté, qualifiées aujourd'hui d'exclusion. Ce
phénomène a conduit à recourir à la
solidarité nationale. La loi n° 88-1088 du 1
er
décembre 1988 a créé le revenu minimum d'insertion (RMI)
qui, en vertu de son article premier,
« constitue l'un des
éléments d'un dispositif global de lutte contre la
pauvreté tendant à supprimer toute forme d'exclusion, notamment
dans les domaines de l'éducation, de l'emploi, de la formation, de la
santé et du logement ».
Douze ans après, le bilan du RMI est essentiellement quantitatif.
Depuis sa mise en place, le nombre de ses bénéficiaires a
augmenté de manière exponentielle, sa croissance annuelle moyenne
ayant été de 15 % jusqu'en 1994, en raison de la montée en
charge du dispositif, de la mauvaise conjoncture de 1993 et de la
réforme de l'assurance-chômage. Depuis 1995, le rythme a
diminué mais s'est maintenu à un niveau proche ou
supérieur à 5 % par an, globalement plus élevé que
celui du chômage.
Pourtant, le plus grave n'est pas là. En effet,
l'amélioration
de la situation de l'emploi depuis deux ans n'a permis qu'une limitation de la
hausse des effectifs du RMI, et non une inversion de tendance. Le RMI a ainsi
révélé la part structurelle du chômage.
En outre, son coût devient de plus en plus lourd pour les finances
publiques
, puisqu'il est passé, pour l'Etat, de 8,7 milliards
de francs en 1990 à 28,7 milliards de francs en 2000, soit une
progression de 230 % en 10 ans. Ainsi, entre 1999 et 2000, la progression a
été de 8,7 %, alors que la conjoncture économique
était favorable. L'ensemble des dépenses directement liées
au RMI se sont établies en 1998 à près de 50 milliards de
francs. La logique indemnisatrice - ou quantitative - conduit toutefois
à l'impasse, le niveau des prestations versées étant de
toute façon faible, comme l'a rappelé le mouvement des
chômeurs de l'hiver 1997-1998.
A cet égard, le constat est clair : le RMI n'a pas permis
d'enrayer le phénomène de l'exclusion.
Il a apporté
une aide financière indispensable à nombre de ses
bénéficiaires, mais il est devenu, aujourd'hui, une
« troisième composante de l'indemnisation du
chômage »
1(
*
)
, selon
l'expression employée par le rapport du groupe de travail
«
Minima sociaux, revenus d'activité,
précarité »
, constitué au sein du
Commissariat général du Plan, et présidé par
M. Jean-Michel Belorgey.
Son volet insertion est un échec
.
De nouvelles voies et de nouvelles pistes doivent donc impérativement
être explorées sous peine de persévérer dans cette
impasse économique, financière mais également et surtout
humaine.
La même analyse pourrait être faite s'agissant des autres minima
sociaux. S'ils permettent à leurs bénéficiaires de
disposer du minimum pour vivre, ils ne leur donnent aucune perspective d'avenir
autre que l'exercice d'une activité parallèle, le cas
échéant au sein de « l'économie
souterraine »
.
Ce n'est d'ailleurs pas leur objet, puisqu'ils
avaient été conçus comme des dispositifs de
solidarité temporaires.
Qui plus est, les allocataires de minima sociaux se retrouvent souvent dans un
« piège à pauvreté »
: ils
hésitent à accepter un emploi relativement précaire, qui
les conduirait à abandonner leur allocation et les exonérations
diverses qui y sont associées, les aides au logement en particulier. Le
cercle vicieux de l'inactivité se trouve alors encouragé par la
perte de revenus occasionnée par la reprise d'un emploi ! Ce
constat avait du reste été dressé par le rapport
2(
*
)
que M. François Bourguignon avait établi
sur
«
L'architecture des prélèvements en
France »
, au nom du Conseil d'analyse économique, sans
toutefois proposer de solution.
Il y a là une perte de substance inacceptable tant pour ceux qui en sont
victimes que pour la société, mais également pour l'Etat
et l'ensemble du secteur productif.
B. PROMOUVOIR L'INSERTION PAR L'ACTIVITÉ
La présente proposition de loi vise, au contraire, à
enclencher un cercle vertueux de l'activité, en créant de
véritables emplois à temps plein dans le secteur marchand.
Le contexte économique actuel est favorable. Le taux de chômage
diminue de manière continue, tandis que des pénuries de
main-d'oeuvre apparaissent même depuis peu dans certains secteurs.
Par ailleurs, les esprits ont évolué.
L' « activation » des dépenses passives
d'indemnisation du chômage est un objectif aujourd'hui partagé par
presque tout le monde.
Même si, en Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste a
déjà mis en place un mécanisme d'aide fiscale
3(
*
)
destiné à inciter les
bénéficiaires de l'aide sociale à reprendre une
activité, il convient de noter quelques évolutions en France, au
sein de la majorité plurielle. Le Premier ministre a ainsi
déclaré, à plusieurs reprises, vouloir promouvoir
« une société de travail »
et non
« une société d'assistance »
. Notre
collègue Éric Besson, député socialiste de la
Drôme, estimant que
« le noyau dur de l'exclusion n'est pas
encore touché par le retour de la croissance »
, entend
promouvoir la réinsertion par l'économique, c'est-à-dire
« la réinsertion par le travail »
.
Certes, le gouvernement, dans la loi d'orientation de lutte contre les
exclusions de juillet 1998, a introduit un mécanisme
d'intéressement destiné à inciter les
bénéficiaires de minima sociaux à reprendre une
activité, leur allocation étant désormais cumulable avec
des revenus d'activité. Mais cette mesure, si elle est louable dans son
intention, a été élaborée de façon
technocratique si bien qu'elle est en pratique incompréhensible, non
seulement pour les allocataires du RMI, mais également pour les services
sociaux chargés de l'appliquer effectivement. Elle traduit cependant, de
la part du gouvernement et de la majorité qui le soutient, une
évolution conceptuelle certaine.
En effet, le ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie a récemment expliqué que la politique
économique qu'il conduit vise à
« renforcer le
potentiel de croissance à moyen terme ».
Cette intention
affichée revient à faire baisser le taux de chômage
structurel, évalué par la Caisse des dépôts et
consignations à 8,5 % de la population active. Il convient de rappeler
qu'il s'établit à environ 4 % aux Etats-Unis, soit le taux de
chômage actuel de ce pays. Cela constitue une triste
spécificité du marché du travail en France :
l'amélioration de la situation économique se traduit par une
baisse de la part conjoncturelle du chômage - c'est le
phénomène que l'on observe actuellement -, mais n'a pas d'impact
sur la part structurelle de celui-ci.
Le revenu minimum d'activité (RMA), que la présente
proposition de loi tend à instituer, vise précisément
à favoriser le retour à l'emploi des personnes qui ont
été durablement exclues du marché du travail, en
créant de vrais emplois dans le secteur marchand. De cette façon,
le taux de chômage structurel, bien trop élevé dans notre
pays, pourra, enfin, commencer de refluer.
Seule, en effet, une action déterminée sur les composantes
structurelles du chômage permettra à celui-ci de reculer
durablement.
C. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
Le RMA, pour atteindre son objectif, est conçu comme un dispositif
simple, lisible et compréhensible par tous. Il doit, en effet,
être perçu comme servant les intérêts des exclus,
ceux des entreprises, mais également des finances publiques.
C'est une exigence posée par toutes les personnalités que les
auteurs de la présente proposition de loi ont auditionnées
préalablement à son dépôt, qu'il s'agisse de chefs
d'entreprise, de responsables politiques, de syndicalistes ou de hauts
fonctionnaires.
Pour être efficace, le RMA doit être financé par
redéploiement des moyens budgétaires existants et non par leur
accroissement, sauf à devenir un minimum social supplémentaire
qui s'ajouterait à ceux déjà existants et à
conforter la logique de l'assistance.
Ainsi, les crédits alloués à l'ensemble des minima sociaux
pourraient être réorientés.
Des propositions issues de la majorité plurielle et semblant poursuivre
le même objectif que la présente proposition de loi, s'en
écartent pourtant totalement sur le point essentiel qu'est le coût
du dispositif à mettre en oeuvre. Ainsi, les socialistes proches de
l'ancien Premier ministre, M. Michel Rocard, suggèrent
l'instauration d'une allocation compensatrice de revenu, inspirée des
travaux de M. Roger Godino, d'un coût de 25 milliards de francs. Quant
à la proposition de notre collègue Éric Besson,
mentionnée plus haut, elle vise à créer 1,5 million
d'emplois sociaux destinés à des chômeurs de longue
durée ou des titulaires de minima sociaux pour un coût annuel de
55 milliards de francs.
Sans doute faut-il voir dans ces projets fort coûteux les stigmates du
débat interne à la majorité plurielle sur les multiples
façons d'utiliser la « cagnotte »...
Il convient pourtant de rappeler que le coût de la présente
proposition de loi est nul. Elle est même susceptible d'entraîner
des économies budgétaires.
Dans le système qui est ici préconisé, le RMA comporterait
deux parts :
- la première, appelée aide dégressive, correspondrait au
minimum social ou à l'allocation perçus jusqu'alors par le
bénéficiaire ;
Elle serait versée par l'Etat, ou l'UNEDIC pour l'ASS, aux entreprises
qui, à leur tour, l'utiliseraient pour rémunérer le nouvel
embauché, ce dernier tirant ainsi l'ensemble de ses ressources de son
employeur, au lieu de bénéficier d'un revenu d'assistance. Le
versement à l'entreprise serait effectué de manière
dégressive pendant trois ans. Le coût pour l'Etat ou l'UNEDIC n'en
sera donc pas alourdi : au contraire, il ira en diminuant de
manière graduelle. En outre, l'allocataire recevra ainsi la garantie que
son revenu total ne diminuera pas suite à son retour sur le
marché du travail.
- la seconde part, dénommée salaire négocié,
correspondrait au salaire proprement-dit versé au nouvel embauché
par l'entreprise ;
Son montant serait égal à la différence entre le montant
total du RMA et l'aide dégressive mentionnée ci-dessus. Il serait
donc appelé à progresser au fur et à mesure de la
diminution de la première part. Il conviendrait d'exonérer de
charges sociales le salaire négocié afin de s'inscrire dans une
logique de diminution du coût du travail, qui a démontré
son efficacité en termes de créations d'emplois.
L'ensemble, c'est-à-dire le RMA, serait ainsi versé au nouveau
salarié par son employeur. Le montant du RMA ne pourrait être
inférieur au SMIC, mais les négociations de branches pourront
librement décider de l'établir à un niveau
supérieur.
En effet, l'élément central du dispositif proposé
consiste à donner aux entreprises un rôle actif dans sa mise en
oeuvre, la présente proposition de loi étant conçue comme
un dispositif-cadre, et non comme un mécanisme centralisé et
uniforme.
Le RMA prendrait la forme d'une convention tripartite
entre l'entreprise,
le bénéficiaire du dispositif, et l'Etat ou l'UNEDIC
lorsqu'il s'agit de l'ASS :
- l'Etat ou l'UNEDIC verserait, de manière dégressive, comme
il a été expliqué plus haut, une aide à l'employeur
correspondant au minimum social actuellement perçu par le
bénéficiaire ;
- l'entreprise reverserait à son nouveau salarié cette aide
dégressive à laquelle elle ajouterait sa propre participation, le
tout constituant la rémunération du nouvel embauché, dont
le niveau ne pourrait être inférieur au SMIC ; surtout, une
large place serait laissée à la négociation entre les
partenaires sociaux, par exemple au niveau des branches : cette
négociation permettra d'adapter le dispositif aux réalités
de chaque secteur d'activités, mais aussi d'arrêter les
modalités de son application à la situation familiale des
personnes concernées ;
- enfin, le bénéficiaire, en sortant de la spirale de
l'inactivité et de l'assistance, serait en mesure de former un projet
professionnel mais aussi personnel et ne percevrait plus d'allocation
directement de l'Etat ou de l'UNEDIC. Il toucherait de son employeur un vrai
salaire pour un véritable emploi dans le secteur marchand.
Le RMA serait conçu comme devant profiter à tous : aux
anciens bénéficiaires, qui verraient leurs revenus progresser et
qui, surtout, sortiraient de l'exclusion grâce à l'emploi qu'ils
retrouveraient ; à l'Etat et à l'UNEDIC, qui pourraient
réorienter leurs dépenses d'indemnisation du chômage en les
activant mais aussi en envisageant leur réduction graduelle ; aux
entreprises, qui verraient baisser le coût du travail sur les bas
salaires et, dès lors, devenir rentables certaines activités qui
ne l'étaient pas nécessairement.
En définitive, c'est la société tout entière qui en
retirerait un véritable profit, l'activité étant
réhabilitée au détriment d'une assistance
déresponsabilisante et n'offrant aucune perspective.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi que nous vous
demandons de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Afin de favoriser le retour à l'emploi, conformément au cinquième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il est institué un revenu minimum d'activité pour les personnes sans emploi et titulaires d'un minimum social depuis six mois versé par l'Etat ou par l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce.
Article 2
Le
revenu minimum d'activité prend la forme d'une convention d'embauche
conclue entre le bénéficiaire, l'employeur, et, selon le cas,
l'Etat ou l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie
et le commerce. Il est versé en totalité par l'employeur au
bénéficiaire.
Il comprend deux parts :
- la première, appelée aide dégressive, correspond
à l'allocation de minimum social que reçoit déjà le
bénéficiaire ; elle est désormais versée
à l'employeur pendant trois ans de manière
dégressive ;
- la seconde, appelée salaire négocié, correspond à
la différence entre le montant du revenu minimum d'activité et
l'aide dégressive.
Article 3
Le
montant du revenu minimum d'activité est déterminé par un
accord de branche. En cas d'absence de conclusion d'un accord au sein d'une
branche d'activité dans un délai d'un an après la
promulgation de la présente loi, il est égal au salaire minimum
de branche.
Il ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de
croissance.
Article 4
Les bénéficiaires du revenu minimum d'activité ont les mêmes droits et obligations que les salariés de l'entreprise embauchés sous contrat à durée indéterminée.
Article 5
Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application de la présente loi.
1
Après l'allocation unique
dégressive (AUD) versée par l'assurance-chômage, et
l'allocation de solidarité spécifique (ASS)
bénéficiant aux chômeurs ne remplissant pas ou plus les
conditions pour bénéficier de l'AUD.
2
Rapport n° 17 du Conseil d'analyse économique,
3
ème
trimestre 1999.
3
Le « working families tax credit » (WFTC).