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N° 423
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 juin 2008 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à allonger le délai de prescription de l' action publique pour les diffamations , injures ou provocations commises par l'intermédiaire d' Internet ,
PRÉSENTÉE
Par MM. Marcel-Pierre CLÉACH, Jean-Paul ALDUY, Pierre ANDRÉ, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Jean BIZET, Mme Brigitte BOUT, M. Dominique BRAYE, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Elie BRUN, François-Noël BUFFET, Christian CAMBON, Jean-Claude CARLE, Auguste CAZALET, Jean-Pierre CHAUVEAU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Robert del PICCHIA, Michel DOUBLET, Michel ESNEU, Jean-Claude ETIENNE, Jean FAURE, André FERRAND, Alain FOUCHÉ, Bernard FOURNIER, René GARREC, Mme Gisèle GAUTIER, MM. François GERBAUD, Charles GINÉSY, Paul GIROD, Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, Louis GRILLOT, Michel GUERRY, Hubert HAENEL, Mme Françoise HENNERON, MM. Michel HOUEL, Benoît HURÉ, Mmes Christiane KAMMERMANN, Élisabeth LAMURE, MM. André LARDEUX, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, Jean-René LECERF, Jacques LEGENDRE, Philippe LEROY, Roland du LUART, Philippe MARINI, Mme Colette MÉLOT, M. Alain MILON, Mmes Jacqueline PANIS, Monique PAPON, MM. Jackie PIERRE, Hugues PORTELLI, Jean PUECH, Charles REVET, Philippe RICHERT, Mme Janine ROZIER, M. Bruno SIDO, Mme Esther SITTLER, MM. Louis SOUVET, Yannick TEXIER, André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLE, M. François TRUCY et Mme Nathalie GOULET,
Sénateurs
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les nouveaux moyens de communication, et tout particulièrement le réseau Internet ont introduit dans notre société des changements profonds.
Il s'agit pour l'essentiel de changements positifs : parce qu'il favorise dans une mesure sans précédent l'accès à l'information et à l'expression des citoyens, Internet est un allié de la démocratie. Mais il a aussi des effets pervers, qui peuvent rendre nécessaire une adaptation de nos règles de droit.
Le cas des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 illustre bien cette réalité.
L'article 65 de cette loi prévoit pour les délits de presse, par dérogation à la règle de droit commun qui veut que les délits se prescrivent par trois ans, une prescription abrégée de trois mois. Et la jurisprudence considère ces infractions comme des infractions instantanées, faisant courir le délai de prescription à compter de la « première publication ».
Légitimement protecteur de la liberté d'expression, ce régime juridique est bien adapté au cas des ouvrages, des journaux, et même des affiches. Il devient en revanche déséquilibré et par trop défavorable aux victimes lorsque la diffamation ou l'injure s'opère par la voie d'Internet. Ce moyen de communication présente en effet une triple particularité :
• Il est à la disposition de tout un chacun, entraînant ainsi une augmentation exponentielle des informations diffusées ;
• La sphère de diffusion des messages dont il est le vecteur est considérable ;
• La durée de diffusion de ces messages n'a d'autres limites que celle que lui assigne leur émetteur. Elle devient, potentiellement, indéfinie.
Il apparaît ainsi clairement que, par-delà la notion générique de « publication », la durée d'impact d'un message mis en ligne est sans commune mesure avec celle d'un livre, d'un journal, d'une affiche ou d'une émission de télévision. Le délai de trois mois donné au particulier victime d'une diffamation, aux professions en butte à des injures ou à une incitation à la violence devient dérisoire dès lors que l'infraction est commise sur Internet.
Ces difficultés spécifiques n'ont échappé ni aux juges ni au législateur.
La Cour d'appel de Paris, par un arrêt du 15 décembre 1999, a voulu reconnaître aux infractions à la loi de 1881 commises sur le réseau Internet le caractère de délits continus, en faisant valoir que la publication, en l'espèce, ne se ramenait pas à la mise en ligne initiale, mais incluait aussi le maintien de celle-ci jusqu'à son retrait. Elle estimait ainsi que le délai de prescription devait courir à compter de la cessation de la diffusion du message.
Mais la Cour de cassation, par plusieurs arrêts des 30 janvier, 16 octobre et 27 novembre 2001, a récusé une telle analyse, en considérant que le point de départ du délai de prescription se situe à la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau. Cette jurisprudence a été confirmée ultérieurement, notamment par un arrêt du 19 septembre 2006 où les requérants ont essayé en vain de faire valoir qu'il y avait eu une mise à jour du site moins de trois mois avant le déclenchement de l'action.
Le législateur a voulu, lui aussi, intervenir. Lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004), notre collègue René TRÉGOUËT a défendu avec succès un amendement tendant à fixer le point de départ du délai de prescription au moment où cesse la mise en ligne du message incriminé et non plus au moment où elle commence. Toutefois, dans un but de préservation de la liberté de la presse proprement dite, il était prévu que cette règle ne s'applique pas quand n'était mise en ligne que la reproduction d'un contenu publié sur support papier.
Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, a censuré cette innovation. Il a certes admis qu'eu égard aux conditions objectivement différentes dans lesquelles le public accède à un message selon que celui-ci est publié par écrit ou exclusivement mis à sa disposition sur un support informatique, le législateur était en droit d'aménager les règles de prescription dans le second cas. Mais il a considéré que l'aménagement retenu en l'espèce aboutissait à une différence de traitement manifestement excessive, au regard de l'objectif de lutte contre les infractions de la loi du 29 juillet 1881, entre messages écrits et messages en ligne. Cette différence de traitement a donc été jugée contraire à la Constitution.
La présente proposition de loi tend à résoudre un problème bien identifié, mais non résolu, tout en prenant en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui exclut une remise en cause du point de départ du délai de prescription de l'action publique et de l'action civile résultant des infractions visées par la loi du 29 juillet 1881 . Elle prévoit donc simplement un allongement de trois mois à un an de ce délai si les infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne . Est toutefois exclu de cet allongement du délai de prescription, le cas dans lequel le message diffusé en ligne n'est que l'exacte reproduction d'un article diffusé par la presse écrite, à l'instar de ce qui avait été voté en 2004 dans le cadre de l'examen de la loi sur la confiance de l'économie numérique. À défaut en effet, comme presque tous les journaux de la presse écrite disposent désormais d'une édition en ligne, la réforme reviendrait en pratique à porter de trois mois à un an la prescription des délits de presse, ce qui serait excessif et mal compris par les entreprises de presse.
Il convient de rappeler que lors du débat sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (loi n° 2004-204 du 9 mars 2004), le Sénat, à l'initiative de nos collègues Robert BADINTER et Michel DREYFUS-SCHMIDT, avait adopté un amendement en ce sens, qui avait ensuite été écarté par la Commission mixte paritaire au motif que le sujet méritait une concertation plus approfondie.
Trois ans ont passé. Il est temps d'apporter une réponse à l'impunité de fait dont bénéficient les diffamations, injures ou provocations sur Internet.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi, qu'il vous est demandé d'adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Le dernier alinéa de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :
« Le délai de prescription prévu au premier alinéa est porté à un an si les infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction du contenu d'une publication diffusée sur support papier. »