NOTE DE SYNTHÈSE
En
France, dans le secteur privé, la loi confère certaines
prérogatives aux organisations syndicales
les plus
représentatives
. Ainsi, elles sont les seules à pouvoir :
- conclure une convention ou un accord collectif du travail ;
- constituer une section syndicale au sein de l'entreprise et
désigner un ou plusieurs délégués syndicaux ;
- établir les listes de candidatures pour le premier tour des
élections des délégués du personnel et des membres
du comité d'entreprise, et éventuellement conclure un accord
préélectoral fixant le nombre et la composition des
collèges électoraux.
Aux termes de l'article L 133-2 du code du travail, la
représentativité d'un syndicat résulte de cinq
critères :
- les effectifs ;
- l'indépendance, notamment financière ;
- les cotisations ;
- l'expérience et l'ancienneté du syndicat ;
- l'attitude patriotique pendant l'Occupation.
À ces cinq critères, la jurisprudence en a ajouté deux,
qu'elle tend à privilégier : l'activité du syndicat,
en termes d'ampleur et d'efficacité, et sa capacité à
mobiliser les salariés.
Ces critères sont appréciés d'une manière globale.
Ils ne sont pas cumulatifs, mais un seul ne suffit pas à
déterminer la représentativité d'un syndicat. En
règle générale, la représentativité est
estimée en fonction de l'indépendance et de l'activité
réelle du syndicat.
Selon qu'il s'agit de l'apprécier au niveau national ou à celui
de l'entreprise, la représentativité syndicale est établie
par l'administration ou par le tribunal d'instance. Tant qu'elle n'est pas
contestée, par l'employeur ou par une autre organisation, la
représentativité est présumée.
Cependant, certains syndicats n'ont pas à prouver leur
représentativité, car
un
arrêté du 31 mars
1966 complétant une décision du 8 avril 1948 a
désigné comme représentatives de droit au niveau
national
:
- la Confédération générale du travail
(CGT) ;
- la Confédération générale du travail-Force
ouvrière (CGT-FO) ;
- la Confédération française démocratique du
travail (CFDT) ;
- la Confédération française des travailleurs
chrétiens (CFTC) ;
- la Confédération française de
l'encadrement-Confédération générale des cadres
(CFE-CGC).
Les quatre premières représentent toutes les catégories
professionnelles, y compris les cadres, tandis que la dernière
représente seulement les cadres.
Par ailleurs, selon le code du travail,
tout syndicat affilié
à l'une de ces cinq
confédérations est
représentatif de droit
, que ce soit au niveau de la branche, aux
niveaux régional et départemental, et à celui de
l'entreprise. L'affiliation à l'une des cinq
confédérations représentatives au plan national permet
donc de conclure des accords collectifs à tous les niveaux et de
bénéficier, dans l'entreprise, des dispositions
législatives relatives au droit syndical, aux
délégués du personnel et aux comités d'entreprise.
Cette présomption de représentativité est
irréfragable.
La présente étude analyse la représentativité des
syndicats de salariés du secteur privé dans quelques pays
européens :
l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la
Grande-Bretagne, l'Italie et les Pays-Bas.
Pour chacun de ces pays, on a défini le concept de
représentativité syndicale, ou recherché l'existence d'une
notion similaire, puis mis en évidence les prérogatives
réservées aux syndicats considérés comme
représentatifs.
Cet examen permet de conclure que :
- en Belgique et en Espagne, la notion de
représentativité syndicale existe avec une acception comparable
à la nôtre ;
- la notion de représentativité syndicale existe aux
Pays-Bas, mais elle a un sens assez limité ;
- la reconnaissance mutuelle des partenaires sociaux prévaut en
Allemagne, au Danemark et en Grande-Bretagne ;
- la notion de représentativité n'a jamais été
définie clairement en Italie, de sorte que la reconnaissance mutuelle
l'emporte.
1) En Belgique et en Espagne, la notion de représentativité
syndicale existe avec une acception comparable à la nôtre
a) La représentativité syndicale est définie par la
loi
En Belgique, la loi de 1968 sur les conventions collectives détermine
les critères de représentativité, au nombre de cinq
.
Seules les organisations interprofessionnelles implantées sur tout le
territoire et comptant au moins 50 000 membres sont reconnues comme
représentatives, à condition toutefois d'être
représentées dans deux organismes nationaux de concertation. Or,
les représentants dans ces deux organismes sont désignés
par arrêté royal sans qu'aucune condition soit posée. Par
conséquent,
la représentativité résulte d'une
décision du gouvernement
.
En
Espagne
, d'après
la loi organique de 1985 sur la
liberté syndicale
, la représentativité se
décline en deux degrés, puisque la loi distingue les
organisations « les plus représentatives » et celles
qui sont simplement « représentatives », et en deux
niveaux, national et régional. Cependant, quelle que soit la
définition retenue, la représentativité est fondée
sur un
critère strictement électoral, le pourcentage de
sièges obtenus aux élections professionnelles.
En outre, dans ces deux pays, l'affiliation à une organisation
considérée comme représentative permet de
bénéficier de la même reconnaissance aux niveaux
inférieurs.
b) Les conséquences de la représentativité sont plus
importantes en Belgique qu'en Espagne
En Belgique, la situation est comparable à celle que nous connaissons
en France :
seules les organisations représentatives peuvent
conclure des accords collectifs, y compris au niveau de l'entreprise,
présenter des candidats pour les élections professionnelles,
participer à la gestion des organismes de sécurité sociale
et disposer de représentants au sein de la délégation
syndicale d'entreprise.
En Espagne,
selon leur degré de représentativité et
selon le niveau auquel elles sont reconnues comme représentatives, les
organisations syndicales ne possèdent pas tout à fait les
mêmes prérogatives. Cependant, si la conclusion d'accords
collectifs et l'organisation des élections professionnelles sont
réservées aux syndicats représentatifs, les
syndicats
minoritaires ont la possibilité de présenter des candidats aux
élections professionnelles et de créer des sections syndicales
d'entreprise
.
2) La notion de représentativité syndicale existe aux
Pays-Bas, mais elle a un sens assez limité
La « pleine capacité juridique » suffit aux
syndicats pour conclure des accords collectifs, proposer des listes de
candidats pour les élections professionnelles et siéger dans
certains organismes de concertation, parmi lesquels le Conseil
économique et social.
Cependant, la question de la représentativité s'est posée,
notamment pour ce qui concerne la répartition des sièges dans ces
organismes.
Le Conseil économique et social a donc défini sept
critères de représentativité.
Ils n'ont en principe
aucune valeur juridique, mais sont unanimement respectés. Si la
reconnaissance de la représentativité n'emporte pas d'autres
conséquences que la présence dans les organismes de concertation,
et si tout employeur est théoriquement libre de négocier ou non
avec les syndicats, en pratique, il peut difficilement refuser la
négociation avec une organisation syndicale représentée au
Conseil économique et social.
3) La reconnaissance mutuelle des partenaires sociaux prévaut en
Allemagne, au Danemark et en Grande-Bretagne
En
Allemagne
, bien que la notion de représentativité
n'existe pas,
la capacité à négocier est
réservée aux organisations qui satisfont à plusieurs
critères
établis progressivement par la jurisprudence et la
doctrine (indépendance, ancienneté, respect des principes
démocratiques, capacité à exercer une influence sur les
partenaires...). Toutefois, compte tenu de la
reconnaissance mutuelle
que s'accordent les principales organisations syndicales et patronales, la
question ne se pose guère.
De même,
au
Danemark
, les partenaires ont opté pour
un système de
reconnaissance mutuelle
par le biais d'
accords
généraux conclus entre les confédérations de
salariés et celles d'employeurs
. Depuis l'accord historique conclu
en 1899 entre la Confédération danoise des syndicats et celle des
employeurs, les deux parties reconnaissent leurs droits respectifs.
En Grande-Bretagne
, la situation était la même jusque
récemment. En effet, dans l'entreprise, principal lieu de la
négociation collective, l'employeur peut, de manière volontaire,
reconnaître un syndicat, qui acquiert ainsi la capacité à
négocier. Cependant,
depuis le 6 juin 2000
, dans les
entreprises de plus de vingt salariés,
les syndicats qui n'ont
pas été reconnus par l'employeur peuvent s'adresser à un
organisme public indépendant
, le Comité central d'arbitrage,
pour se faire reconnaître. La reconnaissance s'effectue au niveau d'une
« unité de négociation », définie
comme concernant un groupe de salariés bien défini. La
délivrance de l'attestation de reconnaissance suppose que la
moitié des salariés de l'unité y soit favorable.
4) La notion de représentativité n'a jamais été
définie clairement en Italie, de sorte qu'en pratique la reconnaissance
mutuelle l'emporte
L'article 39 de la Constitution
prévoit qu'une loi
détermine les règles relatives à la reconnaissance des
syndicats et que seuls les accords collectifs conclus par les syndicats
représentatifs ont force obligatoire.
Comme cette loi n'a jamais été adoptée, mais que certains
droits ne sont reconnus qu'aux syndicats représentatifs, les
critères de représentativité ont dû être
définis par la jurisprudence.
La Cour de Cassation accorde une
importance particulière à l'implantation territoriale et
sectorielle, ainsi qu'à l'activité de négociation
.
De 1970 à 1995, les trois grandes confédérations
syndicales ont bénéficié du monopole de désignation
des représentants syndicaux dans l'entreprise. Ce monopole a
été supprimé par un
référendum
organisé pour mettre en évidence la perte d'audience des trois
grandes confédérations syndicales
. Actuellement, la
présentation de candidats aux élections syndicales demeure
réservée aux organisations qui remplissent certains
critères.
Comme la conclusion d'accords collectifs ne constitue pas, sauf exception, une
prérogative réservée aux syndicats représentatifs,
la reconnaissance mutuelle prévaut à tous les niveaux de la
négociation.
Il en va de même des relations avec le gouvernement. Ce dernier associe
en effet les syndicats qu'il estime représentatifs à sa politique
de l'emploi, notamment en leur accordant la possibilité de conclure des
accords collectifs qui dérogent aux lois et en signant avec eux des
pactes tripartites qui définissent les grandes orientations de la
politique économique et sociale.
* *
*
La Belgique et, dans une moindre mesure, l'Espagne sont le seuls pays qui offrent aux syndicats de salariés reconnus comme représentatifs des prérogatives comparables à celles dont ils disposent en France.