Le 28 juin 2021, sous la présidence de Mme Michelle MEUNIER (Socialiste, Écologiste et Républicain – Loire-Atlantique), présidente, les membres du groupe interparlementaire d’amitié France-Espagne ont auditionné M. Manuel MUÑIZ, secrétaire d’État à l’Espagne globale, accompagné de M. Ángel ALONSO, Ambassadeur en mission spéciale pour la citoyenneté espagnole globale.

Étaient également présents : M. Olivier CADIC (Union Centriste – Français établis hors de France) et Mmes Joëlle GARRIAUD-MAYLAM (Les Républicains – Français établis hors de France) et Sylvie VERMEILLET (UC – Jura).


De gauche à droite : M. Ángel ALONSO, M. Manuel MUÑIZ,
Mme Michelle MEUNIER et M. Olivier CADIC

Dans son propos introductif, Mme Michelle MEUNIER, présidente, a salué une relation bilatérale franco-espagnole « au beau fixe », tant en matière de coopération policière et judiciaire que pour l’énergie ou les transports. Elle a ensuite abordé la nouvelle stratégie de politique extérieure espagnole, définie pour la période 2021-2024, reposant sur deux axes : le renforcement du réseau de citoyens espagnols à travers le monde (« ciudadanía española global ») d’une part, et l’engagement de l’Espagne en faveur d’un multilatéralisme renforcé d’autre part. Elle a invité M. Manuel MUÑIZ à présenter ces deux axes en détails.

Mme Michelle MEUNIER, présidente, a salué la signature d'une convention relative à la nationalité entre la République française et le Royaume d’Espagne en mars 2021. Ce texte ouvre la possibilité aux ressortissants des deux pays d’acquérir la nationalité de l’autre État, contribuant ainsi à renforcer les liens entre eux. Mme MEUNIER a également questionné le secrétaire d’État sur l’existence d’une réflexion en Espagne sur la création d’une représentation parlementaire spécifique des Espagnols expatriés au sein du Parlement (Cortes Generales), comme c’est le cas au sein des parlements français et portugais. Enfin, la présidente a sollicité un éclairage sur les récentes relations entre l’Espagne et le Maroc, évoquant les enjeux concernant le Sahara occidental, les questions migratoires et la résolution du 10 juin 2021 du Parlement européen.

Se disant très heureux de rencontrer le groupe d’amitié à l’occasion de sa première visite au Sénat, le Secrétaire d’État a fait part de son optimisme quant à l’avenir pour quatre raisons :

1.      L’accélération de la campagne vaccinale, passée de 500 000 personnes par semaine au cours du premier trimestre 2021 à 700 000 quotidiennement désormais.

2.      Les perspectives de croissance en Espagne (+7 % en 2021), qui doivent notamment bénéficier de 140 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance européen, dont la moitié sous forme de subventions directes.

3.      La nouvelle administration américaine, dont l’arrivée a contribué à une plus grande proximité entre l’Espagne et les États-Unis sur un certain nombre de sujets : retour des États-Unis dans l'Accord de Paris et à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), réforme de la fiscalité internationale au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)… M. Manuel MUÑIZ a estimé que le « plan de sauvetage américain » à 1 900 milliards de dollars pourrait avoir un impact positif de 0,5 point de croissance dans l’Union européenne.

4.      L’accord de retrait entre l’Union et le Royaume-Uni, qui a permis d’éviter un Brexit dur, ce dont s’est réjoui selon le secrétaire d’État.

M. Manuel MUÑIZ a ensuite évoqué le projet de citoyenneté espagnole globale, qui vise à identifier et animer les réseaux d’émigrés espagnols. En effet, l’Espagne a connu deux grandes vagues d’immigration, la première dans les années 1960 à la suite de la guerre civile et la seconde dans les années 2000 après la crise financière. Après avoir un temps envisagé d’inciter ces diasporas à retourner en Espagne, le gouvernement cherche désormais à tirer parti de ces émigrés. C’est dans ce cadre que M. Ángel ALONSO a récemment été nommé ambassadeur en mission spéciale pour la citoyenneté espagnole globale. Les émigrés espagnols seront certes accompagnés s’ils souhaitent rentrer, mais cela ne constitue plus un objectif à part entière.

Concernant une possible représentation parlementaire spécifique des Espagnols expatriés, M. Manuel MUÑIZ a souligné que son pays était plutôt engagé dans l’amélioration de la procédure du vote par correspondance.

Il a ensuite rappelé l’engagement profond de l’Espagne en faveur du multilatéralisme, qui se trouve d’ailleurs intégré au document de Stratégie d’action extérieure pour la période 2021-2024, adopté par le Conseil des ministres le 27 avril 2021. Faisant remarquer qu’il existe divers sujets d’intérêt mondial, le secrétaire d’État a observé que le terme « épidémiologie » ne signifiait pas « science des épidémies » mais bien « science des données pour étudier ces épidémies », et dit regretter le faible partage de ces données actuellement.

Abordant ensuite la crise de la relation bilatérale avec le Maroc, M. Manuel MUÑIZ a réaffirmé le souhait de l’Espagne de tourner cette page. Il a attribué l’origine du différend à la volonté espagnole de voir le conflit lié au Sahara occidental se résoudre par une médiation de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Insistant sur le fait que cette position n’était susceptible d’aucune inflexion et rappelant que l’Espagne était l’un des plus forts alliés du Maroc au côté de la France au sein de l’Union européenne, le secrétaire d’État a réitéré son souhait que le Maroc mette fin à cette crise et renoue des relations stratégiques (économie, pêche, migrations…) avec son pays. Se disant confiant à ce sujet, notamment depuis l’adoption par le Parlement européen de la résolution du 10 juin 2021 sur la violation de la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et l’instrumentalisation des mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Ceuta, il a remercié la France pour son soutien et celui de toute l’Union européenne.

Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM a interrogé M. Manuel MUÑIZ sur la possibilité d’une représentation parlementaire spécifique des Espagnols expatriés, éventuellement au Sénat espagnol dans un premier temps. Ce dernier a répondu qu’il prenait bonne note de cette suggestion, bien qu’elle n’ait jamais véritablement suscité de demande particulière de la part des Espagnols expatriés, davantage préoccupés par le vote par correspondance – la participation de la diaspora étant inférieure à 10% lors de certaines élections – et la reconnaissance de leur identité par l’Espagne. M. Ángel ALONSO a appuyé ces propos, en insistant notamment sur l’enjeu du vote par correspondance.

M. Olivier CADIC a ensuite questionné le secrétaire d’État sur le nombre d’Espagnols résidant à l’étranger et l’ampleur de l’éventuelle dynamique de retour. Il l’a également interrogé sur la campagne de vaccination des Espagnols établis à l’étranger, et plus particulièrement l’autorisation de visite en Espagne de touristes vaccinés avec l’un des vaccins non-reconnu par l'Agence européenne du médicament (EMA). Il a par ailleurs souhaité connaître la position de l’Espagne sur la situation au Venezuela, présentée parfois comme accommodante envers le régime de Nicolas MADURO, le parti de gauche radicale Podemos entretenant des liens de proximité avec l’ancien président de la République du Venezuela Hugo CHÁVEZ. Enfin, il a questionné M. Manuel MUÑIZ sur la perception par l’Espagne de l’annonce, par le président de la République Emmanuel Macron, de la fin de l’opération Barkhane.

M. Manuel MUÑIZ a d’abord précisé que le retour des jeunes espagnols partis entre 2007 et 2009 était très progressif, ces derniers continuant encore largement à résider à l’étranger. Il a dit y voir à la fois un défi « affectif » et une dette pour l’Espagne, dans la mesure où leur départ avait été en grande partie inspiré par des motifs économiques. M. Ángel ALONSO a confirmé l’absence de retours massifs, évoquant le chiffre de 2 650 000 Espagnols enregistrés dans les consulats à l’étranger, et probablement plus de 3 000 000 en réalité.

Le secrétaire d’État a ensuite indiqué qu’il n’y avait pas de plans de vaccination spécifique pour les ressortissants espagnols à l’étranger, leur vaccination dépendant donc des pays d’accueil. Il a également précisé que l’Espagne se conformait aux recommandations européennes, qui autorisent trois catégories de personnes à voyager vers l’UE : les voyageurs essentiels ; les voyageurs en déplacement non essentiel provenant de pays figurant sur une liste de pays dans lesquels la situation épidémiologique est bonne ; et enfin les personnes vaccinées. Les États membres peuvent lever la restriction des déplacements non essentiels pour les personnes ayant reçu la dernière dose recommandée d'un vaccin autorisé par l'UE et l’Agence européenne du médicament (EMA)[1], ou d’un vaccin homologué au titre de la procédure d'inscription sur la liste d'utilisation d'urgence (« Emergency use listing » ou EUL) de l'OMS[2], au plus tard 14 jours avant leur arrivée.

Ainsi, l’Espagne accepte sur son territoire les personnes ayant reçu l’un des vaccins chinois, certes non-reconnus par l’EMA mais inscrits sur la liste de l’OMS, et refuse à l’inverse celles ayant reçu le vaccin Spoutnik V, sa validité scientifique n’étant reconnue ni par l’EMA, ni par l’OMS. Selon M. Manuel MUÑIZ, l’Espagne n’aurait d’ailleurs pas connu de débat public sur le vaccin Spoutnik en début d’année 2021, contrairement à d’autres pays de l’UE, du fait de la lenteur de son processus de production et de la campagne de vaccination associée.

Affirmant qu’il n’y avait pas de proximité particulière entre le gouvernement de M. Nicolas MADURO et le gouvernement espagnol, M. Manuel MUÑIZ a réitéré le souhait de l’Espagne que soient organisées de nouvelles élections législatives et présidentielles au Venezuela. Se disant toutefois prudemment optimiste, du fait notamment de l’annonce d’une mission européenne d'observation des élections au Venezuela, il a estimé que la réponse devait venir du terrain et affirmé que l’Espagne y apportait son concours.

Enfin, l’annonce de la fin de l’opération Barkhane n’a pas surpris l’Espagne, selon M. Manuel MUÑIZ, puisqu’elle savait que ce départ des troupes françaises était envisagé. Il a rappelé l’engagement de son pays pour donner une véritable capacité d’action aux pays du Sahel, et ainsi mettre un terme à la menace terroriste tout en répondant au défi migratoire, citant la visite par la ministre espagnole des Affaires étrangères de chacun des pays du Sahel depuis un an et demi. Le secrétaire d’État a conclu son propos en rappelant que la France était un « allié précieux » dans la zone saharienne.


De gauche à droite : M. Manuel MUÑIZ, recevant une médaille du Sénat,


[1] Il s’agit de quatre vaccins : Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca et Johnson&Johnson (Janssen).

[2] Ce sont, outre ceux reconnus par l’EMA : Covishield, Sinopharm et Sinovac-CoronaVac.

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