Colloque "Les Phares de la Caspienne : Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan (30 avril 2009)
Table ronde
Azerbaïdjan - Géorgie
Participent à cette table ronde :
Alexandre TROUBETZKOY, Chef de la mission économique à Bakou
Antoine BARDON, Président de Saint Michel Ltd (distribution de biens de consommation)
André BERTHE, Directeur général adjoint, Division environnement, CNIM
Jean-Michel CHARLES, Directeur général, Boulangerie de France, Géorgie (équipements de boulangerie et gastronomie)
Jacques FLEURY, Président Directeur Général, Georgian Glass and Mineral Waters, CCEF
Gilbert HIE, Directeur général, Banque Republic, Président du French Business Council de Géorgie, Vice Président d'ICC Georgia, CCEF
Camille MARQUETTE, Directeur, French Business Council de Géorgie
Alain PRZYBYSZ, Délégué Pays Mer Caspienne-Asie Centrale, Total Exploration&Production
Gilles REMY, Président Directeur Général, Cifal Groupe, CCEF
Cette table ronde est animée par Christine MURRIS.
Alexandre TROUBETZKOY
Au cours des trois ans que j'ai passés en Géorgie j'ai pu inviter des personnalités « choisies » telles que Dimitri Gvindadze dans le cadre de nos séminaires. La communication et la collaboration sont aisées dans ce pays qui est sensiblement proche du nôtre.
Au cours des trois dernières années passées en Azerbaïdjan, nous avons vendu 90 camions de lutte contre l'incendie, 6 ATR, un dispatching électrique et une sous-station avec Areva, des aides à la navigation pour les aéroports avec Thales.
Au début de l'année 2009, nous avons signé le plus gros contrat dans cette région entre la CNIM et le ministère du développement économique d'Azerbaïdjan. Il s'agit d'un contrat structurant pour la construction d'une usine d'incinération de déchets urbains à Bakou, dont le montant s'élève à 346 millions d'euros. Nous nous sommes engagés pour 23 ans au minimum (3 ans de construction et 20 ans de gestion)
Total et SOCAR ont signé en outre un contrat pour l'exploration du bloc d'Absheron, dont ils détiennent respectivement 60 et 40 %. Total devient un interlocuteur important pour les communautés azéries même s'il n'est pas encore aussi implanté que BP dans la région.
La nature des relations économiques entre la France et d'Azerbaïdjan s'est ainsi renforcée.
Christine MURRIS
Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur le projet d'usine d'incinération et nous expliquer le déroulement de la négociation ?
André BERTHE
Dans le cadre de la rénovation de la ville de Bakou, le pays a décidé il y a trois ans d'enrayer le problème de la saleté. Je me suis rendu sur place en juin 2006 et en visitant la décharge de la ville, j'ai fait le constat du désastre écologique qui a poussé les autorités à intervenir. Après 7 mois d'investigation, notre président a signé un memorandum of understanding et nous avons obtenu le feu vert pour préparer une offre formelle dans le cadre d'un concours public au sein duquel la concurrence était surtout japonaise.
Nous avons préparé une offre pendant un an. Après le retrait des Japonais, la concurrence a été russe, allemande et autrichienne. Nous avons été sélectionnés le 19 mars 2008 et nous avons développé le contrat durant 8 mois. L'équipe du ministère du développement économique azéri était parfaitement formée, jeune, compétente et avait engagé des conseillers techniques autochtones et étrangers. L'expérience a été enrichissante pour les deux parties.
Une commission a été nommée en juin 2008 pour obtenir les approbations nécessaires au sein des différents cabinets ministériels. Ce projet sera financé par l'Etat qui a spécialement créé la société Clean City Bakou. Celle-ci deviendra notre client et sera responsable de la construction et de la gestion complète des déchets.
Christine MURRIS
La construction et l'exploitation impliqueront-elles des importations, une présence importante de votre entreprise ?
André BERTHE
La construction nécessitera la présence de 500 à 600 personnes sur le site qui couvre 9,5 hectares. Nous pensons couler 90 000 m 3 de béton. Nous avons ouvert un bureau à Bakou qui sera sans doute transféré sur le site.
Christine MURRIS
Envisagez-vous de travailler avec des entreprises françaises ?
André BERTHE
La plupart des équipements seront importés. Notre sous-traitant constructeur partenaire sera une société turque et une partie de nos équipements viendra de Turquie. Environ 90 personnes seront en charge de l'exploitation et nous nous sommes engagés à compter 90 % d'Azéris dans nos équipes. Nous devrons donc créer nos propres écoles.
Christine MURRIS
Penchons-nous sur le pétrole. Monsieur Przybysz, quels sont les développements de votre société ?
Alain PRZYBYSZ
La société Total est présente en Azerbaïdjan depuis 1996, nous y avons déjà été opérateurs et nous sommes partenaires de BP et d'autres sociétés dans le cadre de l'exploitation de Shah Deniz. Nous détenons des participations dans le BTC et dans le gazoduc SCP.
Dans le cadre de notre implication à Shah Deniz, nous avons voulu être présents sur place pour être connus des Azéris. La première condition pour mener des affaires dans ce pays est d'avoir une présence sur place, d'apprendre à connaître les futurs collaborateurs et d'être estimés par eux. Nous avons créé une relation privilégiée avec la société nationale SOCAR. Afin de valoriser nos savoir-faire, nous avons par la suite invité des délégations de techniciens azéris à Pau.
Lors de la négociation du contrat, nous avons accepté de créer une société commune avec la société nationale pour la phase de développement afin d'instaurer un climat de confiance.
L'apport et la collaboration technologiques sont importants dans ce pays.
Christine MURRIS
Assurez-vous de nombreuses formations ?
Alain PRZYBYSZ
Le contrat prévoit des engagements importants en termes de formations. La relation interpersonnelle est très importante en Azerbaïdjan.
Christine MURRIS
Dans quelle mesure pensez-vous recourir aux savoir-faire des entreprises françaises ?
Alain PRZYBYSZ
Nous faisons appel à des sociétés de service pour certaines prestations dans le cadre du forage d'exploration. Nous procédons à des appels d'offres internationaux. Nous n'oublierons pas les entreprises françaises mais nous retiendrons les meilleures au niveau international.
Lorsque nous entreprenons un forage d'exploration, le puits peut finalement s'avérer sec. Si le puits est positif, les perspectives deviennent plus importantes avec des investissements qui se comptent en milliards de dollars. La phase d'exploration devrait durer environ un an, le développement après la découverte de 5 à 6 ans, la mise en production une dizaine d'années.
Christine MURRIS
Monsieur Rémy, quels secteurs vous paraissent prometteurs en Azerbaïdjan ?
Gilles REMY
Cifal est arrivé en Azerbaïdjan en 1993, avec l'arrivée au pouvoir du président Aliyev qui a permis une stabilisation politique et un développement économique. L'Azerbaïdjan est certainement un des pays les plus porteurs de la zone Caspienne mais il reste mal connu.
Aujourd'hui, l'Azerbaïdjan dispose de nombreux moyens. Le dynamisme de Bakou donne le ton. Or les Français ne participent pas aux nombreuses constructions engagées sur place. Si Cifal assure des prestations de services à des entreprises industrielles ou énergétiques, elle possède également un volet commercial qui l'a amenée à prendre connaissance d'un projet présidentiel de construction pour lequel nous n'avons pas trouvé de société française.
Nous ne sommes pas à la hauteur des marchés en termes commerciaux. Il faut peut-être redéployer des moyens actuellement engagés dans d'autres pays.
La CNIM fournit un bel exemple concernant les infrastructures. Le pays accueille des réfugiés qu'il convient de loger et les investissements ont été absents depuis 1985. Tout est ainsi à refaire. Enfin, l'Azerbaïdjan a récemment connu un taux de croissance exceptionnel.
Christine MURRIS
Le pays n'est pas facile à approcher.
Gilles REMY
Les Azéris sont « commerçants » et les négociations sont en effet délicates.
Christine MURRIS
Comment se manifeste la volonté d'attirer les entreprises étrangères ? Existe-t-il des zones qui offrent un régime fiscal préférentiel ?
Gilles REMY
La fiscalité n'est pas fondamentalement différente de celle des autres pays de la région.
Les relations progressent sensiblement entre l'Azerbaïdjan et la Turquie et nos principaux concurrents dans ce pays sont les Turcs
Christine MURRIS
Quel regard les autorités portent-elles sur les entreprises françaises ?
Gilles REMY
La France bénéficie d'une belle image qui rejaillit sur les entreprises mais leur aptitude à répondre aux attentes en termes de dynamisme, de réactivité et d'écoute est une autre question.
Frank BENAIM
Monsieur Przybysz, pourriez-vous nous apporter des précisions sur le type de formation que vous assurerez en Azerbaïdjan ?
Alain PRZYBYSZ
Nous dispenserons une formation technique dans le domaine pétrolier qui sera directement opérée par les services techniques de Total ou par l'Institut français du pétrole.
De la salle
Les paiements sont-ils sûrs ?
André BERTHE
Nous avons pris des assurances d'ordre politique et nous avons envisagé la possibilité de perdre un an de paiement. Notre assurance (groupement de cinq sociétés) nous couvrira en cas de suspension de paiements.
Nous avons en outre initialement revu la question du cash flow et d'un acompte important afin de minimiser les risques. Nous nous appuyons sur des garanties bancaires d'un montant important. La Coface n'était pas en position d'apporter à elle seule sa garantie.
Le Gouvernement a sollicité notre assistance pour supporter les banques françaises dans la gestion d'un crédit d'agence de gouvernement. Le projet est néanmoins aujourd'hui financé par le Gouvernement.
Babour TADJIEV
La Société Générale est prête à étudier les projets d'exportation français en Azerbaïdjan.
Jacques FLEURY
La dévaluation de la monnaie locale représente-t-elle un risque réel ?
Alexandre TROUBETZKOY
Tous les pays alentour ont dévalué mais la dévaluation ne stimulerait pas les exportations et une monnaie forte est un atout pour les importations. Depuis la crise, le problème de l'inflation est secondaire en Azerbaïdjan. Dans tous les cas, la dévaluation ne sera pas brutale.
François de PEYRON
Comment est organisé le système bancaire en Azerbaïdjan ?
Alexandre TROUBETZKOY
Le système bancaire est relativement peu développé et il est dominé par l'International Bank of Azerbaïdjan. On recense une quarantaine de banques et la Banque nationale qui détient un pouvoir de contrôle dispose de réserves suffisantes pour sauver une banque qui rencontrerait des difficultés. Le système ne dépend d'intervenants extérieurs qu'à hauteur de 20 %. Les autorités sont hostiles à l'entrée de banques occidentales sur le marché. La Société Générale est modestement présente dans le pays.
Philippe GAUNET
Il est difficile en Azerbaïdjan d'obtenir des prestations de qualité. Qu'est ce qui fonctionne le mieux selon vous ?
Alain PRZYBYSZ
Nous travaillons avec nos expatriés. Nous avons également embauché des Azéris de qualité mais cela a pris du temps. Dans le cadre de notre nouveau projet, nous nous appuierons sur des sociétés de services qui ont acquis des savoir-faire en travaillant pour d'autres sociétés. Je n'ai donc pas de conseils pour les PME.
Christine MURRIS
Comment se présente le paysage bancaire en Géorgie ? Quelle place y occupe la Société Générale et quelles sont les évolutions dans le contexte actuel ?
Gilbert HIE
La Géorgie est plus ouverte que ses voisins en la matière. La Société Générale a eu la possibilité de prendre le contrôle d'une banque géorgienne à hauteur de 60 % en 2006 et celle-ci s'est hissée à la troisième place de son secteur. L'environnement compétitif est dominé par les banques locales. Jusqu'à la crise d'août 2008, le secteur connaissait des taux de croissance allant de 50 à 70 % par an. Peu de possibilités d'entrée subsistent car il s'agit d'un marché modeste dans lequel opèrent déjà une vingtaine de banques.
La Société Générale compte aujourd'hui sur place 45 agences et plus de 1 000 collaborateurs. Le réseau se développe et 500 personnes ont été recrutées en 2 ans. La Géorgie n'a que cinq années d'expérience d'économie de marché. Nous avons dispensé de nombreuses formations en vertu d'une stratégie globale de long terme. Notre part de marché se situe entre 10 et 12 %.
Les quatre premières banques contrôlent environ 80 % du marché. Le système bancaire s'est avéré assez solide face à la crise et a été consolidé par l'aide financière internationale.
Aujourd'hui, les bilans des principales banques géorgiennes ressemblent davantage aux nôtres avec un refinancement basé sur les institutions financières internationales. La crise en Géorgie est plutôt économique. Ce petit pays présente des opportunités pour les PME dans plusieurs secteurs. Il n'est pas difficile de s'y installer et vous pouvez vous appuyer sur la Société Générale.
Christine MURRIS
Je propose à nos autres intervenants de nous faire part de leurs expériences.
Jacques FLEURY
Nous avons privatisé un grand domaine viticole du XIX ème siècle appartenant à l'ancienne famille royale. Nous avons reconstitué un château de Champagne avec l'idée de créer un vin de qualité qui serait vendu au prix des grands crus bordelais. La première production qui date de 2007 a été récompensée en Allemagne et en France. Nous espérons créer une niche de vins de qualité d'un coût compris entre 20 et 25 euros en Europe alors que les vins géorgiens se vendent environ à 10 ou 12 euros. Nous attendons également la réouverture des frontières russes qui permettra d'envisager des prix plus élevés.
Nous souhaitons faire de ce domaine un complexe touristico-vinicole proche de la capitale sachant que les zones traditionnelles de vins sont plus éloignées.
Christine MURRIS
Des projets de construction d'hôtels sont également en cours.
Antoine BARDON
Accor souhaite gérer des hôtels trois et quatre étoiles sur des périodes assez longues car il nous semble qu'un tourisme d'affaires plus modeste se développe au-delà du tourisme d'affaires grand luxe. Avec Ibis, nous disposons d'un programme couvrant la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Christine MURRIS
Ces projets sont-ils ralentis par le contexte actuel ?
Antoine BARDON
En Géorgie, le projet a pris du retard suite à la guerre et à des problèmes de cadastre.
Christine MURRIS
Quelle est la situation des infrastructures hôtelières en général ?
Antoine BARDON
On recense en Géorgie, deux cinq étoiles, un Radisson cinq étoiles en voie d'achèvement, un Hyatt en construction et un Best Western quatre étoiles en voie d'achèvement. Il existe en outre de nombreuses pensions de familles.
Jean-Michel CHARLES
Je suis arrivé en Géorgie il y a deux ans en tant que représentant d'un équipementier (qui développe un concept complet de transformation alimentaire) et depuis le mois de décembre, j'ai ouvert deux boulangeries pâtisseries françaises haut de gamme en partenariat avec un géorgien à Tbilissi sous la marque « Boulangerie de France ». Nous ouvrirons deux autres magasins cette année. Nous importons les équipements exclusivement d'Europe de l'ouest et principalement de France.
Christine MURRIS
Faites-vous le constat d'un accueil positif ?
Jean-Michel CHARLES
Le contexte est très favorable pour les PME : il n'existe pas de corruption, les frais sont limités, la fiscalité est légère, les services locaux sont accessibles, les formalités administratives sont simples et la TVA est récupérable.
Christine MURRIS
Ce contexte est plus favorable encore depuis la création du French Business Council.
Camille MARQUETTE
Il s'agit d'un club d'affaires franco-géorgien créé il y a un an par sept entreprises et deux chambres de commerce (géorgienne et lorraine). Il rassemble en Géorgie tous les acteurs économiques français et promeut en France le marché géorgien. Le FBC regroupe une cinquantaine de membres : des entreprises géorgiennes travaillant avec la France et des entreprises françaises de tous types implantées en Géorgie
Nous recevons une mission de prospection d'entreprises lorraines, wallonnes et luxembourgeoises à la fin du mois de mai. Le sénateur Masseret accompagnera la mission.