Les Pairs d'une monarchie restaurée
Après la déchéance de Napoléon, proclamée le 3 avril 1814 par le Sénat et le Corps législatif, et son abdication à Fontainebleau, Louis XVIII s'apprête à monter sur le trône de France. Va-t-il revenir à la monarchie absolue d'avant 1789 ? Un premier projet constitutionnel, d'origine sénatoriale, s'inspirant des Constitutions de 1791 et de l'an III, vise à empêcher ce retour en arrière et suscite un débat serré entre les ultras, partisans de l'absolutisme, et les libéraux, défenseurs de la souveraineté du peuple. Finalement, un nouveau texte, baptisé "Charte constitutionnelle", sera élaboré par le roi lui-même, avec le concours de neuf sénateurs, de neuf députés et de trois commissaires représentant le roi, et octroyé le 4 juin 1814.
Cette Charte substitue au Sénat impérial une Chambre des Pairs, composée de membres nommés par le roi, en nombre illimité, soit à vie, soit avec transmission héréditaire. Les princes du sang sont pairs par le droit attaché à leur naissance. Le préambule de la Charte fait de la pairie le trait d'union entre l'Ancien Régime et les idées nouvelles.
"Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes." Signe fort de cette continuité, on retrouve à la Chambre des Pairs bon nombre de "rescapés" de l'Empire : sur cent quarante-neuf pairs, cent trois sont des sénateurs ou des maréchaux d'Empire. Nouveaux ou anciens, les pairs font sans réserve allégeance au nouveau monarque, lors de la séance d'installation de la Chambre, le 4 juin 1814.
Sire, les fidèles sujets de votre Majesté, formant la Chambre des Pairs, viennent déposer au pied de son trône le tribut de la plus juste reconnaissance pour le double et inappréciable bienfait d`une paix glorieuse à la France et d'une constitution régénératrice (...). Daignez, Sire, agréer l'hommage de notre respect, de notre dévouement et de notre fidélité, à remplir les obligations que la grande Charte nous impose, en concourant par un zèle invariable au maintien des institutions fortes et généreuses que vient de fonder la prévoyance paternelle de votre Majesté."
La Chambre des Pairs siège, comme le Sénat conservateur, au Palais du Luxembourg et elle est présidée par le Chancelier de France, c'est-à-dire le ministre de la Justice et, en son absence, par un pair désigné par le roi.
La Charte institue un régime qui annonce le régime parlementaire, dans lequel le pouvoir législatif est exercé à la fois par le roi, la Chambre des Pairs et la Chambre des députés. Le roi dépose des propositions de loi indifféremment sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée (exceptée la loi de finances, examinée d'abord par la Chambre des députés). Ainsi se confirme l'un des traits permanents de nos institutions : le bicamérisme, associant une Haute Assemblée à une Chambre d'élection directe.
Quand les royalistes côtoient les conventionnels
Après le bref entracte des Cent Jours, la Chambre des Pairs est rétablie par Louis XVIII. Les vingt-neuf parlementaires qui avaient accepté de siéger dans la Chambre des Pairs des Cent Jours sont exclus. Ils sont remplacés, par une ordonnance du 17 août 1815, par quatre-vingt-quatorze nouveaux pairs, ce qui porte à plus de deux cents leur effectif, alors qu'en 1814 ils n'étaient que cent cinquante. Parmi les nouveaux venus, de fervents monarchistes comme Jules de Polignac et Chateaubriand siègent aux côtés d'anciens conventionnels comme Boissy d'Anglas et Lanjuinais.
On trouve à la Chambre des Pairs tous les grands noms de l'histoire de France : Montmorency, Richelieu, Broglie, La Rochefoucauld, Talleyrand, ... mais aussi des royalistes modérés et des constitutionnels d'origine plus modeste, Lainé, Decazes, ainsi que plusieurs maréchaux de l'Empire.
Entre docilité et mesure, les prémices d'un régime parlementaire
Rendus sceptiques par les événements, les pairs s'opposent aux mesures extrêmes d'épuration visant les "complices" des Cent Jours, proposées par des députés plus jeunes et moins expérimentés. Mais la Chambre Haute dispose, face au roi et à ses ministres, d'une faible marge de manœuvre, puisque Louis XVIII peut nommer des "fournées de pairs". C'est notamment le cas lors d'une offensive des pairs contre le ministère Dessolles en décembre 1818. Seule la nomination de soixante pairs viendra à bout de cette opposition. La Chambre des Pairs parvient toutefois à se faire entendre et devient même l'une des tribunes privilégiées des défenseurs des libertés publiques, au premier rang desquels on trouve Chateaubriand.
Ainsi, paradoxalement, c'est le parti ultra-royaliste qui contribue à infléchir le régime issu de la Charte vers un régime parlementaire. Ministre de Charles X (qui, à la mort de son frère Louis XVIII, en septembre 1824, hérite du trône), Villèle en fera l'amère expérience. En 1827, il tente de réduire au silence l'opposition parlementaire en prononçant la dissolution de la Chambre des députés et en faisant nommer soixante-seize nouveaux pairs. Sa tentative échoue et il est renversé.
Les grands procès
Les circonstances transformèrent également les pairs en juges. L'article 33 de la Charte prévoyait en effet que "la Chambre des Pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'Etat ...". Or les procès ne manquent pas pendant les règnes de Louis XVIII et de Charles X. En 1815, le maréchal Ney choisit lui-même de comparaître devant la Chambre des Pairs, à laquelle il appartenait. Le procès de l'ouvrier sellier Louvel, qui assassine le 13 février 1820 devant l'Opéra le duc de Berry, et celui des conspirateurs bonapartistes, en 1821, ont également lieu au Palais du Luxembourg.
Personnages illustres
1768-1848
Un “ultra” épris de liberté
Emigré pendant la Révolution, c’est à sa gloire littéraire, avec la publication d’Atala et du Génie du Christianisme, que Chateaubriand doit son entrée en politique, sous le Premier Empire. Premier secrétaire d’ambassade à Rome puis ministre de France dans le Valais, ce monarchiste dans l’âme démissionnera le soir même de l’assassinat, sur les ordres de Napoléon, du duc d’Enghien, dernier rejeton de la lignée des Condé.
La publication du pamphlet De Buonaparte et des Bourbons signe son retour, au moment de la première Restauration. Lors de la seconde Restauration, Chateaubriand est ministre d’Etat. Il devient pair de France en 1815, vote pour la mort du maréchal Ney et, quoique “catalogué” ultra, défend le gouvernement représentatif et la liberté de la presse, ce qui lui vaut une durable popularité. Lors de la Révolution de Juillet, il est, en route pour la Chambre des Pairs, porté en triomphe aux cris de “vive le défenseur de la liberté de la presse !”.
Mais Chateaubriand ne prêtera pas serment au nouveau gouvernement :
“il y a des hommes qui, après avoir prêté serment à la République une et indivisible, au Directoire en cinq personnes, au Consulat en trois, à l’Empire en une seule, à la première Restauration, à l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, à la seconde Restauration, ont encore quelque chose à prêter à Louis-Philippe : je ne suis pas si riche.”
Il quitte la Chambre des Pairs sur un discours en faveur du duc de Bordeaux, “l’enfant du miracle”, fils posthume du duc de Berry, pour se retrancher dans une opposition résolue à la Monarchie de Juillet.
1780-1860
Le favori de Louis XVIII
Après un début de carrière dans la magistrature, Decazes se distingue au moment des Cent Jours en mobilisant sa compagnie de garde nationale pour défendre la cause des Bourbons menacés par le foudroyant retour de l’empereur.
Préfet de police, député, au moment de la Restauration, il succède à Fouché au poste de ministre de la Police. Très écouté du roi, Decazes s’attire, par sa modération, l’hostilité des ultras et les différents ministères qu’il forme entre 1818 et 1820 sont en butte à de constantes attaques.
Poussé à la démission, Decazes est nommé ambassadeur à Londres. Il y reste peu de temps et rentre en France siéger à la Chambre des Pairs.
En juillet 1830, il se rallie au nouveau gouvernement. Il est nommé en 1834 “grand référendaire” (c’est-à-dire responsable de l’administration générale) de la Chambre des Pairs.
La salle des séances, la bibliothèque et de nombreuses améliorations dans le jardin du Luxembourg datent de son administration.
1754-1838
Une girouette sous tous les régimes
Il aurait dû être soldat. Rendu boiteux par un accident à quatre ans, il sera prêtre. En 1788, il est déjà évêque d’Autun et commence, à la veille des Etats Généraux, une longue carrière d’intrigues qui lui vaudra d’être appelé par Lamartine le “courtisan du destin” et au cours de laquelle il servira et reniera tour à tour le pouvoir en place.
Le Dictionnaire satirique des Girouettes, établi sous la Restauration par quelques journalistes spirituels, ne s’y trompe d’ailleurs pas en ne lui décernant pas moins de douze girouettes ! Ministre des Affaires étrangères en 1797, Talleyrand s’emploie, dès cette époque, à servir les intérêts de Bonaparte auprès du Directoire. Il est donc, après le 18 brumaire, l’un des courtisans les plus empressés de l’entourage du premier consul, avant de tomber en disgrâce auprès d’un empereur que ses intrigues exaspèrent et inquiètent.
Dès 1813, Talleyrand trouvera un nouvel homme fort à servir et flatter, en la personne du futur Louis XVIII. Il se lie avec les sénateurs hostiles à l’Empire et a des entrevues avec des émissaires des Bourbons. Il dictera lui-même au Sénat l’acte de déchéance de l’empereur, en avril 1814. Louis XVIII le nomme ministre des Affaires étrangères, portefeuille qu’il lui confiera à nouveau après l’intermède des Cent Jours, avant de le lui ôter sur la demande de l’empereur Alexandre, froissé par l’attitude de Talleyrand au congrès de Vienne.
Nommé pair, Talleyrand est assidu à la Chambre mais devra attendre l’avènement de Louis-Philippe pour retrouver les fonctions diplomatiques de haut rang dans lesquelles il excelle, et se voir confier l’ambassade de Londres.
Audios et textes complémentaires
1815 : un procès sous haute surveillance
Pair de France, Michel Ney, accusé de haute trahison pour avoir rallié Napoléon au moment des Cent Jours, a demandé à être jugé par la Chambre des Pairs. La Gazette de France rend compte du procès, qui a lieu au Palais du Luxembourg dans les premiers jours de décembre 1815.
"La Garde nationale a pris aujourd’hui, à une heure, possession des postes du Luxembourg. Les mêmes dispositions ont été faites pour la police intérieure et extérieure du palais. Le jardin est fermé, toutes les issues sont soigneusement gardées.
On prétend que l’instruction du procès du maréchal Ney occupera les journées du lundi, mardi et mercredi et que, ce jour-là, on prononcera le jugement sans désemparer."
Trois jours plus tard, Michel Ney,maréchal de France, prince de la Moskowa, et ancien pair de France est “condamné à la peine de mort et aux frais du procès”. Il est fusillé avenue de l’Observatoire.