Une Charte parlementaire

Les "Trois Glorieuses" de juillet 1830 mettent fin au régime de Charles X et portent sur le trône Louis-Philippe, duc d'Orléans. Le 3 août est décidée une révision de la Charte de 1814, qui sera votée par les deux Chambres le 7. Le 9, le "roi-citoyen" prête serment à ce texte. La nouvelle Charte renforce le caractère parlementaire du régime.

Pour les deux Chambres, dont les séances sont désormais publiques, le droit d'initiative en matière législative est confirmé. La pairie n'est plus héréditaire, mais les pairs de France sont toujours nommés, en nombre illimité, par le roi. Toutefois, aucun traitement, aucune dotation ne sont plus attachés à cette dignité.

Toutes les nominations faites sous le règne de Charles X sont annulées. Et ce sont désormais des magistrats, des conseillers d'Etat ou des ambassadeurs qui occupent les sièges de la nouvelle Chambre.

Une Chambre en perte d'influence

Ainsi transformée, amputée des cent soixante-quinze membres de l'ancienne Chambre qui avaient refusé le serment à un roi qu'ils considéraient comme un "usurpateur", la Chambre des Pairs, qui siège toujours au Luxembourg, devient plus "bourgeoise". Elle perd aussi une partie de son indépendance et de son influence face au gouvernement et à la Chambre des députés. Même si de nombreux pairs de France sont appelés à faire partie des multiples ministères qui se succèdent entre 1832 et 1837, la nouvelle génération, celle qui n'a pas connu directement la Révolution, et qui mène le jeu politique, siège au Palais Bourbon, et non au Luxembourg. A la Chambre des députés élue en 1839, 58% des élus sont nés après 1789. A la même date, 12% seulement des pairs sont dans ce cas.

L'éclat des grands procès

La Chambre des Pairs, qui a hérité des attributions judiciaires de la Chambre de la Restauration, ne retrouve vraiment son éclat que lors des procès en Haute Cour, particulièrement nombreux pendant la Monarchie de Juillet. En 1830, elle a ainsi à juger les anciens ministres de Charles X, dont Polignac et Peyronnet, et, en 1840, après l'expédition de Boulogne, Louis-Napoléon Bonaparte. C'est d'ailleurs à l'occasion d'un procès, celui de Fieschi (auteur d'un attentat en juillet 1835 contre Louis-Philippe) que l'exiguïté des locaux devient évidente. La salle des Séances construite par Chalgrin pour les quatre-vingts sénateurs de l'Empire ne suffit plus, d'autant que le public y est désormais admis. L'architecte du Palais, Alphonse de Gisors, se voit donc chargé de procéder aux agrandissements nécessaires.

Ces lieux rénovés voient évoluer nombre de personnalités : Montalembert, d'Andigné, Bourgoing, mais aussi Victor Cousin ou Villemain, sans oublier le duc Decazes, devenu "grand référendaire" et chargé, à ce titre, d'administrer le Palais du Luxembourg. Le 13 avril 1845, la Chambre des Pairs accueille l'un de ses membres les plus éminents : Victor Hugo.

La France des notables

Le régime de Louis-Philippe consacre l'installation aux affaires d'une élite de notables qui détiennent, dans leur région comme à Paris, la clé du pouvoir économique, administratif, politique. Les pairs de France font bien sûr partie de cet "establishment" qui en vient à confondre trop souvent affaires publiques et intérêt privé. Vers la fin de la Monarchie de Juillet, en effet, les "affaires" se multiplient, et plusieurs vont impliquer des pairs de France. En 1847, le général Cubières, pair de France et ancien ministre, est accusé d'avoir acheté la complicité d'un autre pair, Teste, ministre des Travaux publics, pour faciliter une affaire de compagnie minière. La même année, un autre membre de la pairie, le duc de Choiseul-Praslin assassine sa femme et se suicide en prison. C'est sur fond de crise morale et politique que s'effondrera le régime du vieux roi Louis-Philippe.

Personnages illustres

1802-1885
Pair avant d’être proscrit

Fils d’un général d’Empire, Hugo embrasse d’abord les idées royalistes. Au moment de la seconde Restauration, il forme autour de lui le Cénacle, groupe de jeunes romantiques dont le chef de file, en politique et en littérature, est Chateaubriand. Charles X invite le jeune (23 ans) et déjà célèbre poète à son sacre. Avec Cromwell, publié en 1827 et dont la préface devient le manifeste de référence de l’école romantique, Hugo est au sommet de la gloire mais connaît déjà les foudres de la censure, pour sa pièce Marion Delorme, sous Charles X, puis pour Le Roi s’amuse, sous Louis-Philippe.

Admis à l’Académie française en 1841, Hugo, qui participe de tout son talent à la construction du mythe napoléonien, rêve de marcher à une autre tribune sur les traces de Chateaubriand. Il sera exaucé en 1845, quand Louis-Philippe le nomme pair de France. Il déploie une éloquence encore inhabituelle dans les enceintes parlementaires.

La Chambre retentit alors de ses duels avec un autre ancien pair, Montalembert, sur la liberté de l’enseignement. Après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, Hugo est sur la première liste des bannis de France. Il se fixe à Guernesey pendant toute la durée de l’Empire, d’où il publie de violentes attaques contre l’empereur : Napoléon le Petit, en 1852, et les Châtiments, l’année suivante.

La chute de l’Empire le ramène à Paris, mais il connaît des difficultés politiques et familiales. Il ne retrouve un mandat électif qu’en 1876, en devenant sénateur de la Seine, sur proposition du conseil municipal de Paris, présidé par Clemenceau. En 1877, adversaire de la dissolution de la Chambre et du gouvernement du 16 mai, Hugo fait partie du comité de résistance formé par les gauches du Sénat. En réponse aux menaces de coup d’Etat et de restauration monarchiste de Mac-Mahon, il publie Histoire d’un crime.

Après la victoire des Républicains, il soutient les ministères de gauche qui se succèdent au pouvoir. Il meurt en 1885 après avoir traversé plus d’un demi-siècle de vie politique française.

“Quand j’étais pair de France, disait-il, et que je siégeais à gauche, avec Montalembert, Wagram, Eckmühl , Boissy et d’Althon-Shée, j’avais à ma droite un soldat qui était maréchal de France deux ans après ma naissance et qui, lorsque j’arrivais au Luxembourg, me disait : Jeune homme, vous êtes en retard ! C’était Soult, maréchal en 1804.

A ma gauche, chose plus extraordinaire, j’avais un homme qui avait jugé Louis XVI, neuf ans avant ma naissance (c’était Pontécoulant) et, en face de moi, un homme qui avait défendu Beaumarchais dans le procès Goëzman, vingt-cinq ans avant ma naissance. C’était le chancelier Pasquier.”

La République fait à Hugo des funérailles nationales et un immense cortège accompagne le cercueil du poète au Panthéon.

1810-1870
Charles-Forbes Montalembert - Comte de Montalembert

Il entre à la Chambre sur le banc des accusés

Profondément religieux, Montalembert tente très tôt de concilier foi catholique et libéralisme. Fondateur du journal L’Avenir, il mène un combat ardent contre Louis-Philippe et surtout contre le monopole de l’éducation confié à l’université. Sa carrière à la Chambre Haute commence d’étrange façon. En avril 1831, Montalembert tente d’ouvrir avec Lacordaire une “Ecole Libre”, dont l’inauguration est interdite, ce qui devrait en principe lui valoir une comparution en “correctionnelle”. Mais Montalembert est fils d’un pair de France. Le décès de son père en juin 1831 le fait, par hérédité, pair à son tour. C’est donc devant cette Chambre qu’il répond de l’accusation, se défendant lui-même avec éloquence.

Il est condamné à cent francs d’amende, ce qui vaut acquittement. Trop jeune encore pour siéger - il n’a que 21 ans - Montalembert ne prendra possession du fauteuil de son père qu’en 1835, à la fois dans les rangs de l’opposition libérale et dans ceux du parti catholique. Il s’y oppose vivement à François Villemain sur la question de l’enseignement et publie, sur les rapports de l’Eglise et de l’Etat, un Manifeste Catholique qui fait grand bruit. Après 1848, Montalembert, élu député du Doubs à l’Assemblée législative, devient l’un des chefs du parti catholique et monarchiste et combat les institutions républicaines.

Favorable au prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, Montalembert prêche la modération auprès de ses collègues.

“Je veux le gouvernement représentatif, je veux la tribune parlementaire, et son intervention dans toutes les matières de législation, de politique générale et sociale ; mais je ne veux pas de son intervention taquine, bavarde, quotidienne, omnipotente et insupportable dans toutes les affaires du pays.”

Mais il se désolidarise de la politique du prince-président après le coup d’Etat du 2 décembre et devient pratiquement le seul opposant au régime ayant voix au chapitre parlementaire, combattant, dit-il, “en désespéré, dans une cave sans air ni lumière”.

Battu à la députation en 1857, il se retire de la scène politique.

1790-1870
Professeur d’éloquence

Professeur de rhétorique, protégé du comte de Narbonne et de la princesse de Vaudémont, il est l’un des causeurs les plus en vue des salons du Premier Empire.

Après la Restauration de 1814, il occupe la chaire d’éloquence française à la Sorbonne. Attaché au parti “doctrinaire”, Villemain voit son cours suspendu par le ministère Villèle, comme celui de son futur collègue à la Chambre des Pairs, Victor Cousin.

Elu député de l’Eure en 1830, il fait partie des signataires de “l’adresse des 221” (qui constitue un vote de dénégation à l’égard du ministère Polignac de mars 1830), et siège dans la commission chargée de réviser la Charte.

Elevé à la pairie en octobre 1832, Villemain se montre indépendant au sein de la Haute Assemblée.

Ministre de l’Instruction publique de plusieurs cabinets, il mène une politique prudente, qui ne satisfait ni le clergé ni l’université.

Après 1848, il se retire des affaires politiques et se consacre à ses travaux littéraires et historiques.

Audios et textes complémentaires

A chaque rentrée parlementaire, le roi convoque individuellement par lettre les pairs de France pour la séance royale qui se déroule au Palais Bourbon. En costume officiel, les parlementaires des deux Chambres attendent, debout et tête nue, que Louis-Philippe les invite à s’asseoir et à coiffer leur chapeau. Lors de la séance du 23 décembre 1839, le roi conclut son discours en ces termes :

Bonaparte "défenseur" des Chambres menacées

Lors de la séance du 11 février 1841, un pair s’indigne à la lecture d’un violent article, paru dans Le National et signé du journaliste Delaroche. Ce dernier sera cité à comparaître devant la Chambre pour s’expliquer sur cet article. Il sera condamné à dix mille francs d’amende.

“Il y a trois mois que la session dure. La Chambre des Pairs n’a rien fait; et qui s’en inquiète ? Où sont les lois importantes, où sont les discussions qui intéressent le pays ? Qui décide du sort des ministères ? Qui donne l’impulsion au pouvoir ? Où est l’activité enfin ? Où est la vie ? Est-ce dans la Chambre des pairs ? Personne n’osera le prétendre. (…) Sa fin (celle de la Pairie) avait été prédite par Chateaubriand et Fitz James : elle fut également annoncée par M. Royer-Collard, par Casimir Périer, par M. Thiers lui-même, qui plaidèrent pour l’hérédité. L’hérédité ! Le Pays n’en veut pas et personne n’est assez fort pour la rétablir. Reste donc l’élection : mais le gouvernement n’en veut pas davantage ; et c’est ainsi que la Pairie a été broyée entre ces deux cylindres, ne conservant plus qu’une fonction sans indépendance, une forme sans fond, un corps sans mouvement, sans parole et sans vie.”

Victor Hugo, dans ses "Choses vues" nous permet de suivre un des procès instruits par la Chambre

Résumé des faits : Hugues Charles de Choiseul Praslin (1805 - 1847) ne s'entend plus avec son épouse Françoise Sebastiani della Porta, fille de Général, plusieurs fois ministre. Selon les sources, soit le duc fût infidèle une fois de trop et menacé par la duchesse d'un procès en séparation, soit cette dernière poursuivait le duc "de ses désirs, lui écrivant vingt lettres par jour, le harassant de reproches et de souvenirs, violente et jalouse, elle représente un type assez rare, celui de la nymphomane vertueuse" (Maxime Du Camp). Le duc l'assassine au couteau le 17 août 1847, est arrêté et conduit au Luxembourg.

21 août 1847

(...) A deux heures sept minutes, la séance publique est ouverte. le garde des sceaux (Hébert) monte à la tribune et donne lecture de l'ordonnance qui constitue la cour des pairs. Il y a des femmes dans les tribunes. Un homme gras, chauve et blanc : rouge de visage, ressemblant singulièrement à Parmentier, est dans la tribune de l'ouest et attire un moment l'attention des pairs.

Le chancelier fait évacuer les tribunes. On introduit le procureur général Delangle et l'avocat général Bresson en robes rouges. Le chancelier remarque que les tribunes ne sont pas complètement évacuées, celle des journalistes entre autres, il se fâche et donne des ordres aux huissiers. (...)

M. de Praslin a été arrêté hier et transféré à la geole de la Chambre sur mandat du chancelier. M. de Boissy proteste. MM. de Pontécoulant, Cousin et Portalis soutiennent, ainsi que le chancelier la légalité du fait, mais il n'en demeure pas moins inconstitutionnel et fâcheux comme précédent (...). Les inviolabilités se tiennent.

M. de Praslin a été écroué ce matin (...). Il est dans la chambre où a été M. Teste.

C'est M. de Praslin qui, le 17 juillet, me passa la plume pour signer l'arrêt de MM. Teste et Cubières (scandale politico-financier ayant eu lieu très peu de temps avant l'affaire Praslin). (...) Le duc de Praslin est un homme de taille médiocre et de mine médiocre. (...) (Il) ne parlait pas à la Chambre (...) votait sévèrement dans les procès. Il a opiné très durement dans l'affaire Teste. (...)

Après la séance, je suis allé au cabinet de lecture. Nous avons discuté à nouveau, les ducs de Noailles et de Brissac, le comte de Pontois, le premier-Président Séguier et moi, sur la légalité de l'arrestation de M. de Praslin avant l'arrêt de compétence de la cour. Tous, excepté M. de Séguier, ont été de mon avis.

J'ai dit au duc de Noailles : - Les raisons données par le chancelier et les autres pour pallier cette violation de la Charte sont tout simplement des raisons révolutionnaires, la nécessité, la raison d'Etat etc. Avec ces raisons-là l'inviolabilité royale disparaît. Si le roi commetait un crime matériel comme (celui-ci) savez-vous ce qu'on ferait ?

- On l'arrêterait, m'a dit vivement le duc de Noailles.

- Et ensuite ?

- On le jugerait.

- Et puis ?

- On le guillotinerait, donc ! s'est écrié le vieux duc de Brissac.

(...) Une soixantaine de pairs environ assistaient à cette séance.

(...) Dans son allocution à la cour dans la séance secrète, le chancelier a dit que "le devoir à remplir par la cour n'avait jamais été plus triste pour MM. les pairs ni plus pénible pour lui". Il avait la voix véritablement altérée en prononçant ces paroles. (...) (Il) nous a dit en outre : "Des bruits de suicide ou d'évasion ont couru. Messieurs les pairs peuvent être tranquilles. Aucune précaution ne sera épargnée pour que l'inculpé (...) ne puisse se soustraire (...) au châtiment public et légal qu'il aurait encouru et mérité."

Du 17 au 25 août, la commission d'instruction travaille et le procureur convoque les pairs pour le 28 pendant que le duc de Praslin meurt empoisonné (par lui même) en prison, ce qui semble arranger les pairs en leur évitant de juger l'un d'eux une fois de plus, après l'affaire Teste-Cubières.

30 août

Séance dans laquelle la cour s'est dessaisie. A une heure et quart j'entre dans la salle. il n'y a encore que peu de pairs. (...) Je cause avec (...) M. Barthe, de tout, et de la Chambre des pairs en particulier. Il faut la relever, lui rendre le peuple sympathique en la rendant sympathique au peuple.

(...) A deux heures monsieur le chancelier s'est levé (...) (et) a parlé vingt minutes environ. On introduit le procureur général (...) (qui) a déposé son réquisitoire tendant à ce que la cour se déclare dessaisie par la mort du duc.

Le procureur général sorti, le chancelier dit : - Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. de Boissy se lève. - Il approuve une partie de ce qu'a dit le chancelier. Sur ce que le poison a été pris avant que la cour des pairs eût été saisie. Par conséquent aucune responsabilité pour la cour. L'opinion générale accuse les pairs chargés de l'instruction d'avoir favorisé l'empoisonnement. (Réclamations)

Comte de Lanjuinais. - Opinion mal fondée !

Boissy. - Mais universelle. (Non ! Non !) J'insiste pour qu'il soit établi qu'aucune responsabilité de l'empoisonnement ne revient à M. le chancelier, ni aux pairs instructeurs, ni à la cour.

M. le chancelier. - Le doute ne peut exister dans l'esprit de personne. Le procès-verbal d'autopsie éclaircit complètement la question.

M. Cousin se joint au chancelier (...) M. de Boissy insiste. Croit à une aide coupable. Mais n'accuse personne dans les officiers de la cour.

(Le duc Decazes rapporte alors une entrevue qu'il a eu avec le mourant peu avant son décès où il est dit que M. de Praslin avait amené seul le poison et qu'il déplore son crime)

(...) Ceci n'a pu être mis dans les actes, étant une conversation privée que M. decazes ne répète que parce que la cour est en quelque sorte en famille.

(S'ensuit une nouvelle passe entre MM. Barthe, de Boissy et le chancelier sur l'heure de l'empoisonnement et les responsabilités qu'y voit M. Boissy)

(...) On vote l'arrêt qui dessaisit la cour par mains levées à l'unanimité. (...) On fait entrer le procureur et on lui lit l'arrêt. La séance est levée à trois heures moins cinq minutes. Beaucoup de pairs restent à causer dans la salle. M. Cousin dit à M. de Boissy : - Vous avez eu raison de questionner. C'était excellent.

Victor Hugo - Choses vues - p. 978/987 - Volume "Histoire" - Oeuvres complètes - Coll. Bouquins - Robert Laffont - Paris - 1987

Sources numériques : Gallica.bnf.fr