II. LE PIÉMONT ET SA CAPITALE

Deuxième région italienne par sa superficie (25.400 km2), le Piémont est la sixième par sa population (4,2 millions d'habitants). Sa capitale, Turin, compte aujourd'hui 900.000 habitants (contre 1,2 million en 1970), mais l'aire métropolitaine atteint 1,6 million d'habitants.

Ancienne capitale des Etats de Savoie (1563), du royaume de Sardaigne (1613), puis de l'Italie unifiée (1861-1865), Turin est devenue au XXème siècle l'un des pôles de l'Italie septentrionale à partir duquel ont été réalisés la modernisation du pays et le « miracle économique » de l'après-guerre. Berceau de l'industrie automobile, la ville a également vu naître les « brigades rouges » et a connu les «années de plomb » ainsi que près de deux décennies de crise (1975-1993).

Le Piémont et sa capitale, s'ils ne manquent pas d'atouts importants, sont cependant confrontés aujourd'hui à de sérieuses difficultés, au premier rang desquelles la crise de la FIAT et le vieillissement de la population. Une réorientation des objectifs économiques est cependant déjà amorcée, privilégiant le secteur des services, et notamment celui de la « Net economy ».

A. LA SITUATION ÉCONOMIQUE : LA FIN DE L'ÈRE AUTOMOBILE

Le Piémont demeure l'une des principales régions industrielles d'Italie et de l'Union européenne. Ainsi, pour le secteur de la robotique et de l'automation industrielle, la région se classe au 9 ème rang des 15 premières régions européennes en termes d'emplois.

Le Piémont affiche un produit intérieur brut équivalent à celui de la Belgique ou au Bade-Wurtemberg, et supérieur de 20 % à la moyenne européenne. Ayant bâti son économie sur l'industrie métallurgique et mécanique, essentiellement autour de l'automobile et ses dérivés, mais aussi sur le textile, l'habillement de luxe (filatures de Biella), l'agro-alimentaire (groupes Ferrero et Lavazza) et l'agriculture (vins : Barolo, Barbaresco, Barbera ; riz, maïs, élevage bovin), cette région, lourdement frappée par les crises des années 1970 à 1990, a engagé sa reconversion en s'efforçant de diminuer sa dépendance excessive envers ses productions industrielles traditionnelles.

Les graves difficultés du groupe FIAT et le décès de la figure emblématique qu'était Giovanni Agnelli, ont en effet définitivement convaincu les Piémontais qu'ils devaient développer l'économie de leur région et de leur capitale parallèlement à la multinationale turinoise.

Dans cette perspective, les responsables politiques et économiques piémontais mènent depuis quelques années une action particulièrement dynamique pour attirer dans leur région de nouveaux investissements. Une Agence pour les investissements à Turin et au Piémont (ITP) a été mise sur pied, en partenariat avec les collectivités territoriales et le monde des entreprises, pour fournir assistance et conseils aux entreprises qui cherchent à s'implanter dans la région.

L'accent est mis sur les secteurs d'excellence de l'industrie piémontaise, et notamment sur celui des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Des succès notables ont déjà été enregistrés. Des entreprises comme Motorola et Colt ont décidé de s'implanter non loin de Turin. La capitale et sa province sont en passe de constituer l'un des tout premiers districts de la « Net economy » en Italie. Le groupe Agnelli, mais également les grandes institutions financières originaires du Piémont, comme la Banque San Paolo-IMI ou la Caisse d'Epargne de Turin, portent un intérêt tout particulier à ce secteur.

Le Piémont considère par ailleurs comme vital le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, seul à même de le désenclaver et de favoriser son développement.

La région s'efforce aussi de promouvoir le tourisme en valorisant notamment ses richesses dans le domaine culturel et gastronomique. A cet égard, les futurs Jeux Olympiques d'hiver de 2006 devraient permettre de donner au Piémont plus de visibilité, que les responsables piémontais comptent bien exploiter à plus long terme sur le terrain des investissements économiques et commerciaux.

B. LA SITUATION POLITIQUE : UN VIRAGE AU CENTRE GAUCHE

Alors que la ville et la province de Turin sont des bastions traditionnels du centre gauche, la région Piémont a été gérée pendant les dix dernières années par le centre droit, en la personne d'Enzo Ghigo, membre de Forza Italia, le parti de M. Berlusconi.

Cette situation s'est modifiée lors des dernières élections régionales, en avril 2005, qui ont vu la défaite de M. Ghigo et la victoire de Mercedez Bresso, candidate de centre gauche, avec 50,9 % des voix contre 47,1 % pour le candidat sortant.

Le basculement à gauche a été acquis de haute lutte, surtout grâce au très bon score de Mme Bresso dans l'agglomération de Turin, ou elle a obtenu 100.000 voix d'avance sur son concurrent. Ce dernier a réussi, en revanche, à maintenir les positions du centre droit dans les provinces du Nord et de l'Est du Piémont.

Universitaire, la présidente de la région a une solide expérience politique acquise comme présidente de la province de 1995 à 2003, puis comme député européen. Parfaite francophone, Mme Bresso s'est jusqu'alors beaucoup investie dans les dossiers de coopération transfrontalière et de franchissements alpins. Elle doit aujourd'hui relever le défi posé par la nécessaire reconversion des structures industrielles de la région qu'elle préside.

La ville de Turin, pour sa part, est gérée depuis mai 2001 par Sergio Chiamparino, membre des démocrates de gauche. La province est également gérée par le centre gauche, et présidée depuis 2003 par Antonio Saitta, membre de la Margherita.

C. TURIN ENTRE DOUTE ET ESPOIR À L'HEURE DES JEUX OLYMPIQUES

Il est devenu clair aux yeux des Turinois que, quelles que soient les décisions à venir des dirigeants de FIAT sur les localisations des unités de production du groupe, la capitale piémontaise n'en sera plus le centre. Après avoir perdu en vingt ans près de 100.000 emplois, il ne reste à Turin que 16.000 salariés dans le secteur de l'automobile, dont l'avenir reste en suspens. Le risque existe que l'activité industrielle s'interrompt en fait définitivement, et que Turin n'abrite plus dans le futur que le siège de la direction opérationnelle avec, le cas échéant, une production de niche dans les voitures de luxe.

Un certain nombre d'indicateurs négatifs peuvent être cités. En premier lieu, le redimensionnement des usines FIAT, commencé dès le début des années 80, a provoqué une implosion démographique dont les effets se font toujours sentir aujourd'hui. Turin comptait, en effet, une population de 1,2 million d'habitants au milieu des années 1970, contre un peu plus de 900.000 en 2003. De plus, la moyenne d'âge des Turinois s'accroît au détriment des moins de 35 ans. On note parallèlement l'augmentation d'une population immigrée marginalisée, peu intégrée, constituée surtout de marocains, sénégalais, nigérians, albanais et philippins.

Turin garde toutefois de nombreux atouts pour réussir le passage à l'après FIAT. Mettre fin à la dépendance quasi exclusive de Turin de la seule industrie automobile n'est pas un thème nouveau pour les responsables politiques et économiques locaux. La crise des années 80 avait déjà provoqué une prise de conscience de la nécessité de se diversifier pour survivre. La ville a ébauché depuis lors une transformation profonde qui touche non seulement le secteur économique, mais aussi des domaines aussi variés que l'urbanisme ou le patrimoine culturel.

Turin dispose en effet, à la différence d'autres grandes villes italiennes, d'un important patrimoine immatériel, fait de savoirs et de compétences professionnelles, qui constitue une ressource décisive pour affronter les changements en cours. Pour beaucoup, même sans la FIAT, Turin possède encore un avenir dans l'automobile, pour autant qu'elle sache faire fructifier le savoir faire incomparable accumulé au fil des ans dans ce secteur. Des entreprises comme Pininfarina ou Bertone, par exemple, ont su démontrer qu'elles étaient capables de prospérer dans un domaine de pointe, le design automobile, grâce à des commandes de constructeurs étrangers et à un désengagement progressif à l'égard de FIAT.De très nombreuses PME impliquées dans la production de composants automobiles ont suivi un chemin similaire et ont réussi à diversifier leurs activités et leurs clientèles. Turin ambitionne en fait de devenir un pôle d'excellence pour l'automobile, en misant sur le travail intelligent, créatif et à forte valeur ajoutée.

La culture du travail et le talent d'entrepreneur des industriels turinois ont trouvé à s'exercer dans d'autres secteurs prometteurs. S'appuyant sur des centres de recherche parmi les plus en pointe d'Italie, et sur une université et une école polytechnique de grande qualité, Turin a réussi en peu de temps à devenir une ville phare en Italie en matière de nouvelles technologies et l'information et des services (53 sociétés et plus de 140.000 salariés répertoriés). Des entreprises aussi emblématiques que Motorola, Colt ou Alenia se sont ainsi récemment installées près de Turin.

Cet élan est la conséquence d'une mobilisation de toutes les forces vives du monde des affaires et politique qui, dès 1997, ont entrepris de favoriser la diversification des activités de production et de séduire les investisseurs étrangers. La création de Torino internazionale, organisme chargé de vendre Turin à l'étranger, et de l'Agence pour les investissements à Turin et au Piémont (ITP) ont été les instruments de cette politique qui a conduit à attirer à Turin plus de cinquante entreprises étrangères dans la période comprise entre 1998 et 2003 ;

Les Jeux Olympiques d'hiver, en 2006, constituent une grande opportunité, susceptible de servir d'accélérateur pour les mutations en cours, et de favoriser des projets de rénovation urbaine. De fait, de nombreux chantiers parsèment la ville, dont les plus importants sont la construction d'un métro et celle de la nouvelle gare ferroviaire. Les Jeux Olympiques sont également l'occasion pour Turin d'exploiter des possibilités supplémentaires de développement économique et touristique. Sans prétendre rivaliser avec des villes comme Venise ou Florence, Turin entend bien valoriser des richesses culturelles non négligeables et encore peu connues de l'extérieur (musée égyptien, musée du cinéma...). La municipalité tente aussi d'imposer la ville, qui a toujours été à l'avant-garde dans ce domaine, comme la référence en Italie en matière d'art contemporain, et de lui donner ainsi une image de modernité et de dynamisme.

De nombreux dirigeants turinois sont enclins à considérer que l'avenir de leur ville passe par un redimensionnement régional et européen. La réalisation de l'axe ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin-Milan est au coeur de ces projet et revêt un caractère crucial pour les Turinois : Milan serait en effet à 40 minutes, et Lyon à 1H30. L'idée d'une nouvelle aire urbaine regroupant Milan et Turin, forte de six millions d'habitants et dotée d'un énorme potentiel économique, commence à faire son chemin, même si la rivalité historique entre ces deux villes demeure encore bien présente. Conscients par ailleurs des futurs enjeux à l'échelle de l'Europe, les décideurs turinois envisagent avec de plus en plus de faveur la constitution d'une euro-région, qui pourrait réunir le Piémont, Rhône-Alpes et éventuellement PACA.

D. LES RELATIONS AVEC LA FRANCE  : INTERPÉNÉTRATION ÉCONOMIQUE ET INTENSE COLLABORATION CULTURELLE

La présence de la France au Piémont est multiforme. Elle découle de la géographie, de l'histoire, de la culture, qui ont crée des liens étroits entre cette région francophile et notre pays, en particulier avec nos départements alpins, mais aussi au-delà, notamment avec Lyon. La France y dispose d'un indéniable capital de sympathie et de nombreux responsables politiques, économiques et culturels sont francophones.

Notre présence économique est substantielle et nos entreprises trouvent dans cette région un terrain privilégié pour s'implanter. La France est traditionnellement le premier client du Piémont et son premier fournisseur, devant l'Allemagne. Nos échanges commerciaux sont intenses et près de soixante de nos entreprises, dont beaucoup sont de main-d'oeuvre, sont installées dans la région. Parmi les plus anciennes et les plus importantes figurent Michelin (présent depuis 1906), l'Oréal, Auchan, Valeo, Carrefour, Sagem... L'aéroport de Caselle dessert bien Paris, avec 5 vols quotidiens.

La coopération transfrontalière avec les régions PACA et Rhône-Alpes, encouragée par les pouvoirs publics, porte sur des domaines très divers : transports, sécurité, environnement, échanges culturels... De nombreux projets bénéficient des fonds d'action structurelle de l'Union européenne (programmes INTERREG).

La coopération universitaire est particulièrement dense, tant avec l'Université de Turin qu'avec l'Istituto Politecnico (qui couvre une large gamme de spécialités scientifiques, de l'ingénierie à l'architecture, et qui occupe une place de premier plan en Italie). Parmi les réalisations et projets en cours, on peut citer le cursus universitaire commun de licence et de maîtrise en langues et littératures française et italienne, mis en place par les universités de Turin et de Chambéry. L'université franco-italienne, dont la création a été décidée en 1998, et qui a son siège à Turin pour la partie italienne, permet la mise en place d'un réseau universitaire bi-national pour l'enseignement, la recherche et les diplômes conjoints.

Deux dossiers bilatéraux sont d'une importance jugée cruciale du côté italien :

- le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, qui est un sujet prioritaire pour tous les responsables politiques et économiques de la région ;

- l'organisation des Jeux Olympiques d'hiver en février 2006 et paralympiques en mars 2006. La plupart des épreuves se dérouleront dans des localités situées à proximité immédiate de la frontière française. Les pouvoirs publics français ont de ce fait manifesté leur disponibilité pour initier une coopération avec les autorités italiennes dans un certain nombre de domaines clés (sécurité, couverture médicale par l'hôpital de Briançon, hébergement...).

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