II. LA LITUANIE À LA CROISÉE DES MONDES EUROPÉEN ET SLAVE

De par sa situation géographique et son histoire, la Lituanie, comme l'Estonie et la Lettonie, a entretenu des relations conflictuelles avec la Russie. Pour Moscou, ces Républiques ont toujours fait partie de sa sphère d'influence. D'ailleurs, certains dirigeants russes ne se privent pas de le rappeler. Néanmoins, la Lituanie a tout mis en oeuvre depuis son indépendance, et c'est tout à son honneur, pour atténuer les tensions avec son " grand voisin ". Tout en se rapprochant de l'Europe et en souhaitant en devenir un partenaire à part entière, la Lituanie sait qu'elle constitue un maillon indispensable " entre l'Est et l'Ouest ".

A. LES RELATIONS AVEC LA FÉDÉRATION DE RUSSIE ET LES VOISINS PROCHES

1. Lituanie-Russie : une relation équivoque et aléatoire

La doctrine russe de " l'étranger proche ", selon laquelle tous les Etats frontaliers de la Fédération de Russie feraient partie de sa sphère d'intérêt, après 200 ans de présence russe et 50 de soviétisation forcenée, pèse sur les relations entre la Russie et la Lituanie. La présence de la Russie reste aujourd'hui source de difficultés politiques et économiques.

a) Les problèmes politiques et militaires

Le retrait des troupes russes du territoire lituanien a été achevé dès le 31 août 1993, soit un an avant leur retrait de Lettonie et d'Estonie. Passées sous le contrôle de la Russie en décembre 1991, elles étaient constituées en 1992 de 49.000 hommes (terre : 35.000 ; mer : 9.000 et air : 5.000)- la flotte, basée à Klaipèda, ne comptait guère qu'une corvette et quelques bâtiments de surface. La Lituanie ayant obtenu le principe de leur retrait en février 92, le mouvement de retrait a commencé par le déménagement d'une base anti-aérienne, celle de Mitskounaï, à 15 km de Vilnius.

Les craintes des Lituaniens sont cependant demeurées en raison de la situation enclavée de l'oblats de Kaliningrad qui regroupait 100.000 soldats russes retirés d'Allemagne et de Pologne.

Ainsi, les troupes russes ont continué de transiter par la Lituanie, cette route étant la plus courte entre Kaliningrad et le reste de la Fédération.

Un accord sur le transit des troupes et du matériel militaire a été signé le 18 novembre 1993, aux termes duquel la Russie devait présenter une demande au moins 12 jours avant le départ d'un convoi. Il était interdit aux soldats russes en transit de quitter le train et, à l'exception des gardes, de transporter armes et munitions. L'accord excluait en particulier le transport d'armes ou d'éléments d'armes de destruction massive ainsi que de matériaux nucléaires. Dès 1994, des divergences sur l'application de cet accord ont surgi.

Un an plus tard, le 3 octobre 1994, un décret portant règlement du " transport, à travers le territoire de la Lituanie, de charges dangereuses et de charges militaires appartenant à des Etats étrangers " fut publié. Ce texte, refusé par Moscou, aurait dû entrer en vigueur le 1er janvier 1995. Or, le 18 janvier, l'ambassadeur à Moscou a remis une note indiquant que le règlement du 18 novembre 1993 serait prorogé jusqu'au 31 décembre 1995, et éventuellement au-delà. Cette situation a donné satisfaction aux parties prenantes.

L'amélioration des relations entre les deux pays a permis la signature de nouveaux accords, notamment sur les droits de douane et sur les postes-frontières avec Kaliningrad.

Le survol de l'espace lituanien a, en outre, posé quelques difficultés. Le 27 février 1996, à Minsk, M. Eltsine a évoqué la possibilité d'ouvrir un " corridor " vers Kaliningrad à travers la Biélorussie et la Pologne. Les Lituaniens ont réaffirmé leur désir de garder ce trafic de transit, au profit de leur port de Klaipéda notamment.

Un accord frontalier a été signé le 24 octobre 1997 par les présidents russe Boris Eltsine et lituanien Algirdas Brazauskas.

Ce texte porte sur la délimitation de la frontière entre la Lituanie et l'enclave russe de Kaliningrad. Soulignons que ce traité ne délimite en fait que les 288 km de frontière.

La conclusion du traité a été facilitée par l'absence de problème avec la minorité russophone de Lituanie, qui ne constitue que 8 % de la population et a été assimilée sans difficulté.

La Lituanie s'efforce généralement de ménager Moscou, prenant soin de présenter les relations de bon voisinage avec la Russie un volet important de sa politique de sécurité.

La visite de M. Primakov, ministre russe des Affaires étrangères, le 13 juin 1998, a quelque peu surpris les autorités lithuaniennes, M. Primakov ayant présenté à cette occasion de manière appuyée la Lituanie comme le meilleur élève de la classe balte, tout en ne cédant rien sur l'OTAN.

En matière de sécurité, après la diffusion par Moscou début 1997 d'un texte sur la politique à long terme à l'égard des Etats Baltes traduisant des positions dures quoiqu'intégrées dans une politique de " bon voisinage " et les propos de M. Tchernomyrdine au sommet de Vilnius (septembre 1997), M. Eltsine a remis aux Etats baltes une " déclaration présidentielle " dans laquelle il a proposé la conclusion d'un " accord de bon voisinage et de garantie de sécurité réciproque entre la Russie et les pays baltes ". Ce document aurait dû, selon le président russe, se transformer à terme en un " pacte de sécurité et de stabilité régionale ". Dans l'esprit de Moscou, qui demeure hostile à une entrée des Baltes dans l'Alliance atlantique, il est implicitement entendu que ces avancées seraient conditionnées au renoncement des Baltes à adhérer à l'OTAN. La Lituanie, comme la Lettonie et l'Estonie, n'ont pas souhaité accepter cette proposition russe. C'est ainsi que l'on a entendu les Chefs d'Etat baltes qui, réunis le 10 novembre 1997 à Palanga dans le cadre de leurs rencontres régulières, ont répété sans ambages que " des garanties unilatérales de sécurité ne correspondent pas à l'esprit de l'Europe nouvelle " -tout en soulignant cependant les bienfaits d'une coopération " concrète " avec la Russie.

Rappelons, pour mémoire, que l'armée lituanienne, repose sur la conscription, l'effectif dépassant à peine actuellement 10.000 soldats, auxquels il faut ajouter 9.000 volontaires et une garde nationale de réservistes de 12.500 hommes. En 1997, le montant des dépenses militaires a approché 1 % du PIB.

b) La dépendance énergétique

La Lituanie est fortement dépendante de la Russie en matière énergétique. Comme le souligne M. G. Durand dans son rapport de février 1997, " l'oléoduc Drocyba, qui aboutit à la raffinerie de Mazeikiai, et un gazoduc qui arrive à Klaipéda, via Vilnius, Panevezys et Siauliai, font de la Lituanie le client captif de LukOil et de Gazprom. "

Jusqu'à présent, les marchés les plus importants sont la Biélorussie, l'enclave russe de Kaliningrad, la Lettonie, la Pologne et la Slovaquie. Par ailleurs, la Russie est obligée de passer par l'oléoduc et par le port de Klaipéda pour exporter du pétrole et elle doit aussi avoir recours aux capacités de raffinage lituaniennes.

Malgré ces quelques moyens de pression, la dépendance énergétique de la Lituanie est grande. Au 1er août 1997, les arriérés s'élevaient à 11 millions de $ pour le gaz et à 69 millions de $ pour le pétrole.

Vulnérable vis-à-vis de la Russie avec laquelle elle aspire le plus à ne normalisation, la Lituanie s'inquiète en outre de l'évolution biélorusse.

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