CHAPITRE II
LA RÉVOLUTION LIBÉRALE DU 14 JUILLET ... 1984
La
rupture avec le dirigisme économique fut consommée
définitivement par les... travaillistes
qui emportent les
élections législatives de 1984, puis de 1987. Issu de la nouvelle
majorité, le gouvernement de David Lange, dont Roger Douglas est
ministre des Finances, prend ses fonctions le 14 juillet 1984.
Il donne le coup d'envoi d'un processus de libéralisation que la
victoire du parti national en 1990 n'interrompra naturellement pas. Les
réformes engagées sont confortées et
complétées. Elles s'étendent aux secteurs et aux
catégories sociales qui n'avaient été que peu
concernés jusque là. Ces dernières représentaient
en effet les soutiens électoraux traditionnels du parti travailliste.
Ainsi, la politique de libéralisation se révèle, à
l'analyse, avoir été appliquée successivement par chacun
des deux grands partis aux forces sociales composant les "bataillons
électoraux" de son adversaire. De ce fait,
l'alternance a conduit
à son amplification et non pas à son interruption,
comme si
les acteurs sociaux, après s'être adaptés aux changements,
avaient voté pour qu'y soient impliqués ceux qui y avaient
été partiellement soustraits.
I. UNE LIBÉRALISATION ENGAGÉE DE MANIÈRE RADICALE PAR LES TRAVAILLISTES
A. LA PEUR DU GOUFFRE
Au cours
des entretiens qu'elle a eus sur place, la Délégation a
posé la même question à plusieurs des interlocuteurs de
haut niveau politique ou administratif qu'elle a rencontrés :
"Pourquoi la Nouvelle-Zélande a-t-elle choisi d'une manière
aussi vigoureuse le libéralisme économique à compter de
1984 ?".
Toutes les réponses obtenues sont allées dans le même sens
:
"Nous n'avions pas le choix, nous marchions à l'abîme" ; "On
distinguait le fond du précipice, ... il fallait réagir" ; "Nous
avons eu peur du gouffre !".
Ce diagnostic alarmant s'explique. En 1984, l'économie nationale
profondément ébranlée par les conséquences de
l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, plongeait
dans les déficits. De ce point de vue, l'expérience
néo-zélandaise et la prise de conscience dont elle procède
apparaissent comme une illustration du vieil adage allemand qui affirme que
"l'angoisse est la mère de la création".
1. Un ébranlement structurel : l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun
Marquant
la rupture du lien ancestral avec la patrie d'origine, l'adhésion du
Royaume-Uni au Marché commun en 1973 a été un choc
culturel et politique pour la Nouvelle-Zélande.
Elle a constitué en effet un véritable traumatisme pour son
économie. Quoique assorti de garanties d'importations dans l'espace
communautaire, le choix européen opéré par la
Grande-Bretagne a provoqué une contraction du débouché
essentiel des productions agricoles locales. Il a, par là même,
ébranlé les assises de la prospérité du pays.
Dans les années qui ont suivi, le déséquilibre né
de la perte de la rente assurée par le marché britannique n'a pas
été résorbé. Il s'est même trouvé
aggravé par la baisse importante du prix mondial des produits agricoles
survenue à la fin des années 1970.
Dans un contexte où le niveau élevé de protection
accordé à de nombreux entrants agricoles et le taux de change
fixe manifestement surévalué de la monnaie nationale composaient
les deux principaux handicaps de compétitivité à l'export,
la première réponse apportée à cette crise
structurelle s'est apparentée à une fuite en avant : elle a
consisté à accroître les soutiens à l'agriculture en
les orientant vers des aides à la production.
De 1979 à 1983, l'aide publique est ainsi passée de 15 à
33 % de la valeur de la production ;
elle atteignait 40 % en 1984, son
coût budgétaire étant alors équivalent à 3,2
% du PIB.
2. L'effondrement des comptes : l'explosion de la dette et des déficits
En
raison de la faiblesse de l'épargne intérieure, ces subventions
massives à l'agriculture ont été financées
principalement par des emprunts à l'étranger. Ainsi, non
seulement elles se sont révélées inopérantes -les
exportations ne se sont pas redressées- mais elles ont aussi
entraîné dans leur sillage une envolée de la dette, un
creusement des déficits et, d'une manière générale,
une dégradation de la quasi-totalité des indicateurs.
En 1984, l'endettement extérieur représente presque
l'équivalent d'une année de production (il était dix fois
moindre en 1974), le déficit du budget de l'État avoisine 6,5 %
et celui de la balance des paiements approche 9 % du PIB. Le taux de
chômage grimpe à 4,2 % en juin 1984 -pourcentage très
élevé pour l'époque- alors qu'il n'était que de 1,7
% en mars 1980. Seule l'inflation -qui était à deux chiffres de
1973 à 1983- apparaît maîtrisée mais c'est au prix
d'un gel total des prix et des salaires.
En termes de niveau de vie, la Nouvelle-Zélande a reculé de la
troisième à la treizième place mondiale en un tiers de
siècle
.
Le 30 avril 1983, elle perd la cotation AAA qui avait longtemps
été la sienne sur le marché international du
crédit. Elle subira d'autres rétrogradations au cours des quinze
mois suivants.
Après la dissolution législative de juin 1984, la perspective
d'un changement de gouvernement et d'une révision du taux de change qui
était largement considéré comme surestimé suscite
un mouvement de fuite des capitaux, qui assèche les réserves de
la banque centrale.
Au lendemain de l'élection
, l'annonce par
celle-ci de la
suppression de la conversion du dollar
néo-zélandais en monnaie étrangère
provoque une
crise constitutionnelle
. Le gouvernement sortant accepte finalement de
mettre en oeuvre les arbitrages de la nouvelle équipe dirigeante en voie
de formation.
B. DES RÉFORMES DRASTIQUES MENÉES AU PAS DE CHARGE
Inspiré des théories de Friedrich Hayek et de
Milton
Friedman, préconisé par une poignée de hauts
fonctionnaires occupant souvent des postes clefs au Trésor et à
la banque centrale
21(
*
)
, le
changement de cap économique est inspiré par Roger Douglas,
ministre des Finances de 1984 à 1988. Les mesures qu'il met en oeuvre,
les "
Rogernomics
" comme les qualifient habituellement les
Néo-zélandais, s'orientent autour de trois axes principaux : la
réforme des modes de régulation macro-économique ; la
réforme des politiques agricoles ; la réforme des entreprises
publiques et de l'administration.
En l'espace de quelques années, ces réformes vont
entièrement recomposer le paysage socio-économique.
1. La réforme des modes de régulation macro-économique
En
matière financière et monétaire
, après une
dévaluation de 20 % du dollar néo-zélandais qui met
fin à la crise du marché des changes, les décisions se
succèdent à un rythme rapide.
Neuf mois après l'entrée en fonction du nouveau gouvernement, le
contrôle des taux d'intérêt, les obligations de
réserve pour les banques, les restrictions apportées à la
propriété d'institutions financières disparaissent. Les
contraintes pesant sur les activités des institutions financières
non bancaires sont levées. La liberté d'établissement des
banques est affirmée.
Dans le même laps de temps, le contrôle des prix et des salaires
est aboli.
Peu après, la liberté des mouvements de capitaux et des
échanges boursiers est instaurée.
En 1985, la Nouvelle-Zélande renonce aux parités fixes de change
et laisse flotter sa devise. Très vite, la politique monétaire
devient l'instrument exclusif de lutte contre l'inflation. En 1989, le
"
Reserve Bank Act
" établit l'indépendance de la banque
centrale, son gouverneur étant tenu
par contrat
à
maintenir une inflation faible.
Le démantèlement des régimes protectionnistes
appliqués aux échanges de marchandises accompagne, quoique plus
progressivement, cette libéralisation des marchés financiers.
Le système des licences d'importation est supprimé en six ans ;
les aides à l'exportation disparaissent en quatre ans.
A compter de 1986, est engagé un programme de réduction des
tarifs douaniers. A la seule exception de ceux concernant les moteurs
automobiles et le textile qui baissent plus lentement, ils passent en moyenne
de 28 % à 10 % sur six ans. Sur la période 1992-1996, ils
diminueront encore d'un tiers. Aujourd'hui, l'objectif des pouvoirs publics est
de les amener à zéro à l'horizon 2004.
La fiscalité aussi se trouve profondément remaniée.
Dans l'année précédant les élections de 1987,
une taxe générale sur les biens et services, la GST
22(
*
)
, est substituée, au taux
uniforme de 10 % -relevé à 12,5 % en 1989-, à l'ensemble
des taxes indirectes à taux et assiettes différents qui
existaient précédemment
23(
*
)
.
Parallèlement, est enclenché un processus de réduction et
de simplification des impôts directs. En quelques années,
le
taux marginal de l'impôt sur le revenu est divisé par deux, de 66
% à 33 %
, tandis que le nombre de tranches est ramené
à deux. De même, l'impôt sur les sociétés est
fixé à 33 % et ses modalités de recouvrement sont
standardisées afin de limiter l'évasion fiscale et de diminuer
son coût administratif de perception.
Plus tard, en 1994, le Fiscal Responsability Act imposera, afin d'assurer la
transparence et la cohérence des politiques pouvant être conduites
en ce domaine, l'établissement d'études prospectives avant toute
présentation d'une mesure fiscale d'importance devant le Parlement.
Par ailleurs, dès 1984, la
politique budgétaire
se voit
assigner comme principal objectif la réduction du déficit. Il
faudra toutefois près d'une décennie d'efforts et le retour au
pouvoir du parti national pour que ce but soit atteint.
Au total, en quelques années, le marché, la liberté
d'initiative et l'incitation à la prise de risque ont été
substitués à l'État, au dirigisme administratif et
à la subvention comme mode de régulation de l'économie
néo-zélandaise.
Ce choix de philosophie politique se retrouve dans les deux autres grandes
réformes conduites par les travaillistes.
2. La réforme des politiques agricoles
Elle
constitue vraisemblablement l'illustration la plus typique de la vigueur avec
laquelle la nouvelle orientation économique a été
appliquée.
En effet, d'un exercice budgétaire à l'autre, la plupart des
subventions à l'agriculture sont supprimées
. Elles
représentaient de l'ordre de 40 % des recettes brutes des exploitants,
c'est-à-dire
l'équivalent de leur revenu net pour beaucoup
d'entre eux
. Leur abrogation est annoncée en novembre 1984 avec le
projet de budget 1985/1986
24(
*
)
.
En 1985, les subventions diminuent des deux-tiers
25(
*
)
. En 1987, leur total correspond
à peine à la moitié de ce solde. Deux ans plus tard, elles
ont complètement disparu. Actuellement,
le secteur agricole est
contributeur net au budget public.
Ces subventions avaient pris une dimension tellement excessive et produisaient
de tels effets pervers
26(
*
)
qu'elles étaient devenues indéfendables. Nombre d'agriculteurs
eux-mêmes estimaient que des réformes étaient
indispensables pour mettre en place un secteur agricole rentable et viable
à terme.
Mais, les effets immédiats des mesures prises furent douloureux. Le
chômage qui était pratiquement nul dans les communautés
rurales y atteint en moyenne 10 %. Le cheptel ovin déclina de 70
millions de têtes à une cinquantaine de millions en quelques
années (47 millions en 1997).
D'aucuns prétendent qu'en se prononçant pour l'annulation brutale
des aides agricoles Roger Douglas aurait dit à ses collaborateurs :
"
Les agriculteurs ne votent pas pour nous ; on n'a pas à trop les
ménager
". Vraie ou apocryphe, la formule fut en tout cas
appliquée à la lettre : les agriculteurs
néo-zélandais ne furent effectivement pas ménagés.
Pourtant, à en croire les témoignages recueillis sur place, les
manifestations de protestation ne furent pas très importantes. Seul 1%
des exploitations a disparu. Surtout, M. Malcom Bailey, le président de
la Fédération néo-zélandaise d'exploitants
agricoles, l'a affirmé à la Délégation,
aucun
agriculteur "Kiwi" ne voudrait aujourd'hui revenir à l'ancien
système.
3. La réforme des entreprises publiques et de l'administration
Après la réorganisation du secteur agricole, le
mouvement de libéralisation tend à se développer comme par
contagion. Chaque réforme en appelle une autre.
Confrontés aux contraintes du marché, les fermiers et les
industriels exigent des services publics plus efficaces et moins coûteux.
Plus généralement, ils réclament une réduction des
dépenses publiques. Elle leur apparaît le gage d'un
allégement de la pression sur les taux d'intérêt et, par
là même, d'une baisse du dollar néo-zélandais
favorable à l'exportation de leurs produits.
Fort de ce soutien, les travaillistes vont, pour l'essentiel, consacrer leur
seconde législature de gouvernement à faire évoluer les
entreprises publiques puis, le processus une fois lancé, les structures
administratives.
S'agissant des
entreprises publiques d'État
, le changement est
orchestré en trois temps.
Tout d'abord (1984-1989), les monopoles publics dans les secteurs industriel et
commercial sont progressivement ouverts à la concurrence
27(
*
)
.
Puis, à compter de 1987, les entreprises d'État sont une à
une transformées en sociétés commerciales, selon la
procédure dite de "corporatization".
Enfin, après avoir adapté leurs structures et leurs moyens
à leur nouvel environnement concurrentiel
28(
*
)
, on privatise en totalité ou en
partie ces entreprises.
Pour ce qui concerne les entreprises publiques locales (aéroports,
ports, services publics locaux, ...), le mouvement est lancé plus
tardivement. Au début des années 1990, il est demandé aux
collectivités territoriales de leur donner un statut de
société commerciale
("to corporatize local authority trading
enterprises")
. Par la suite, les autorités locales seront
encouragées à vendre au secteur privé leurs participations
au capital de ces sociétés.
Dans le domaine régalien
, les missions traditionnelles de
souveraineté (police, défense, justice...) demeurent
organisées en départements ministériels. On enregistre
toutefois
une différence majeure au regard des approches classiques :
les ministères sont soumis à une comptabilité proche de
celle du secteur privé, avec un compte de résultat et
l'obligation d'opérer des provisions pour risque.
Les tâches de régulation, de prestations de services et de gestion
de fonds sont, quant à elles, confiées à des
"entités d'État"
29(
*
)
(agency, national service, ...)
administrativement indépendantes, dotées de ressources et d'une
comptabilité propre mais liées par contrat à leur
administration de tutelle. Ainsi, le "
service national de l'immigration
"
est une unité organisée comme une entreprise au sein du
ministère du travail.
Parfois, ces entités sont soumises à l'autorité de
conseils d'administration semi-indépendants. Leurs effectifs permanents
sont composés de fonctionnaires mais leurs dirigeants sont
recrutés sur contrat à durée déterminée. Ces
contrats leur attribuent la responsabilité de gestion des crédits
alloués à leur unité. Surtout, ils leur fixent des
objectifs de résultats, tout en leur laissant une assez large
liberté quant aux moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre.
Ce mode de recrutement des responsables administratifs ayant rang de directeur
ou de directeur-adjoint vaut également pour les départements
ministériels, à l'exception de ceux de l'Intérieur et des
Affaires étrangères. La compétence est le principal
critère de sélection, la nationalité
néo-zélandaise n'est même pas exigée, sauf au
ministère de la Défense.
C'est ainsi que depuis 1988,
les cadres administratifs supérieurs
sont recrutés par petites annonces nationales ou internationales.
Les fonctionnaires d'expérience peuvent y répondre dans les
mêmes conditions que les cadres du privé. Ils ne disposent
d'aucune priorité d'embauche. S'ils sont retenus, ils souscrivent
également un contrat d'objectifs d'une durée habituelle de cinq
ans. Le renouvellement de ce contrat est exclu si les objectifs ne sont pas
atteints. A titre d'exemple, le Directeur-adjoint du Trésor que la
Délégation a rencontré est d'origine japonaise, a fait ses
études aux États-Unis et s'est installé en
Nouvelle-Zélande à la suite de l'obtention de son poste.
D'une manière générale, les relations tant de
l'administration néo-zélandaise avec le pouvoir politique que des
fonctionnaires avec leur autorité de tutelle ne sont plus guère
soumises aux principes de soumission hiérarchique traditionnels. Elles
ressemblent désormais davantage à des relations entre clients et
fournisseurs.
Parallèlement à ces mutations organisationnelles, le
périmètre de l'administration a rétréci
. Des
activités n'ayant plus lieu d'être, telles la tutelle des
entreprises publiques privatisées ou la délivrance de licences
d'importation, ont été supprimées. D'autres, comme les
tâches d'étude, ont été confiées à des
cabinets d'experts indépendants
30(
*
)
.
Pour expliquer des changements aussi radicaux dans un pays où les
traditions étatiques ont longtemps été très fortes,
un des interlocuteurs rencontrés par la Délégation
précisait :
"Pendant toute une part de notre histoire, nous nous
sommes tournés vers l'État pour résoudre nos
problèmes. Longtemps l'État a su répondre aux attentes en
assurant la croissance. Puis, il a commencé à rafistoler les
grands équilibres à coup de dépenses publiques de plus en
plus coûteuses. Nous nous sommes petit à petit aperçus que
nous étouffions sous le poids des dépenses publiques. Nous avons
alors compris que c'était l'État le principal problème que
nous avions à résoudre. Depuis, nous nous y sommes
employés".
Pourtant, en 1990, les médications travaillistes n'ont pas permis de
résorber le déficit budgétaire. En outre, la dette
publique a été presque multipliée par 1,5 depuis 1984.
C'est pourquoi le parti national victorieux aux législatives de 1990 va
procéder à des coupes sombres dans les dépenses
collectives.
II. UNE LIBÉRALISATION POURSUIVIE ET APPROFONDIE PAR LE PARTI NATIONAL
Plus tardif et porté par l'élan acquis, l'apport du parti national à la mutation économique néo-zélandaise n'en est pas moins considérable. Poursuivant la transformation du secteur public, c'est lui qui rétablit les comptes, notamment par une modification en profondeur des prestations de l'État providence. C'est également lui qui mène à bien la réforme du marché du travail. Deux réformes que la raison électorale rendait difficile au parti travailliste.
A. LA RÉFORME DE LA PROTECTION SOCIALE ET DE L'ÉDUCATION
1. La maîtrise des dépenses sociales
Sous
l'impact de l'abaissement à 60 ans de l'âge permettant de
bénéficier d'une pension de retraite à taux favorable,
décidé en 1972 par les travaillistes, les dépenses
sociales supportées par le budget de l'État
31(
*
)
avaient quasiment doublé dans
les dix ans précédant le début de la révolution
libérale. D'un peu moins de 6 % du PIB en 1971/1972 elles étaient
passées à près de 12 % en 1983/1984.
Les six premières années du temps des réformes avaient
entraîné peu de changement en ce domaine. En 1990/1991, ces
dépenses atteignaient 14 % du PIB.
Pour freiner cette "dérive", le gouvernement "national" modifie,
à la fois, le régime des retraites, les règles
générales de versement et le montant de la plupart des
prestations, les modes de gestion du logement social, ainsi que le
système de santé.
Il reporte de 60 à 65 ans l'âge à partir duquel peut
être perçu une pension de retraite à taux plein
, en
étalant les effets de cette mesure sur dix ans (1991-2001)
32(
*
)
.
Simultanément, est supprimé le versement sans condition de
ressources des allocations familiales aux parents d'un enfant et plus. La
plupart des autres prestations sociales, en particulier celles
attribuées aux chômeurs, se trouvent minorées de 10 % en
moyenne, dans le double but de limiter les dépenses et d'inciter
à la recherche d'un emploi.
Parallèlement, une part du coût de certaines prestations
médicales financées par l'État est mis à la charge
de leurs bénéficiaires, sauf s'ils disposent d'un faible niveau
de revenu. Dans le même temps, on transfère au secteur
privé la gestion du parc de logements sociaux détenus par
l'État.
Enfin, après un débat né autour d'un "livre blanc"
gouvernemental publié en 1991 et après avoir infléchi
leurs projets initiaux,
les pouvoirs publics remodèlent sensiblement
l'organisation du système de santé.
Un modèle déconcentré, contractuel et entrepreneurial,
où sont dissociés les autorités de financement, la gestion
des moyens de fonctionnement et les organes prestataires est substitué
à l'ancien modèle administratif centralisé. Celui-ci
reposait sur des "Boards" régionaux de santé qui étaient
dirigés par des représentants des professionnels élus
localement et des fonctionnaires d'État.
Les hôpitaux sont transformés en "entreprises de santé".
Les fonds de financement ne transitent plus par les autorités
régionales mais sont gérés par des représentants de
l'État. Ces derniers passent des contrats d'achat de services
médicaux soit aux hôpitaux publics, soit aux prestataires du
secteur privé.
Ce nouveau dispositif incite les hôpitaux publics à adopter une
discipline de nature commerciale et une grande rigueur de gestion, car les
organes de financement peuvent désormais choisir d'affecter leurs
dotations aux cliniques privées s'ils les estiment plus
compétitives.
Les contrats doivent toutefois être conformes aux accords d'achat,
respectant les priorités de la politique nationale de santé,
qu'établissent ensemble le gouvernement et les autorités
régionales.
Une commission consultative nationale composée d'experts assiste le
gouvernement dans la détermination des prestations médicales qui
sont assurées sur fonds publics à tous les citoyens et de celles,
considérées comme ne relevant pas du système national de
santé, dont le financement est laissé à la
responsabilité de chacun mais peut être couvert par des assurances
privées.
2. La poursuite de la réforme de l'éducation
Traditionnellement, en Nouvelle-Zélande, le
système
scolaire reposait sur une administration centrale, le "Department of
Education", à travers un réseau de comités
éducatifs locaux qui contrôlaient les établissements
d'enseignement. La carte scolaire ayant un caractère contraignant, les
élèves étaient obligatoirement inscrits dans
l'école de leur lieu de résidence. Les parents n'étaient
d'aucune façon associés au fonctionnement des
établissements.
La réforme du système commence à la fin des
années 1980. La carte scolaire disparaît. Les dotations publiques
versées à chaque école sont calculées
per
capita
en fonction du nombre d'élèves qui les
choisissent.
Un conseil élu de parents d'élèves assume
la gestion de l'établissement mais, en raison de l'opposition
résolue des syndicats d'enseignants, n'a pas autorité sur les
personnels qui continuent à dépendre de l'administration centrale.
Néanmoins, en 1990, après le changement de majorité, la
loi ouvre la possibilité que de nouvelles écoles soient ouvertes
par des groupes de parents. En outre, quoique les fonds d'État soient
prioritairement alloués aux établissements publics, les
écoles privées sont habilitées à
bénéficier de soutiens publics.
Surtout, en 1992, les universités d'État voient leur autonomie
renforcée -à Wellington on utilise l'expression
"quasi-corporatization"
33(
*
)
- et
elles se trouvent
de facto
incitées à se concurrencer.
Dans le droit fil de cette orientation, les droits d'inscription et les frais
de scolarité acquittés par les étudiants sont
significativement relevés.
B. LA RÉFORME DU DROIT DU TRAVAIL
L'
"Employment Contracts Act" voté en 1991 rompt deux principes qui avaient
été respectés par les gouvernements travaillistes des
années 1980.
Il brise l'obligation pour les salariés
d'appartenir à un syndicat pour obtenir un emploi dans certains
secteurs.
Il supprime l'obligation pour les employeurs de négocier
les contrats de travail dans un cadre collectif (entreprise, branche,
industrie).
Sous l'empire de cette législation, chaque employé peut choisir
de souscrire un contrat de travail individuel ou d'être lié par
une convention collective. Chaque employeur peut choisir de négocier
soit un contrat de travail individuel avec chacun de ses salariés, soit
une convention collective. C'est aux parties elles-mêmes de
déterminer le type de contrat qui régira leurs relations. Tout
contrat imposant aux deux parties le recours à un intermédiaire
(syndicat, avocat...) est illégal mais chaque partie peut, si elle le
souhaite, désigner un mandataire pour la représenter.
Par ailleurs, les grèves sont interdites dans un cadre plus large que
celui de l'entreprise.
Cette règle vaut également pour les
fonctionnaires.
Une infirmière peut se mettre en grève dans
son hôpital pour soutenir une revendication concernant cet hôpital,
mais il lui est interdit de faire grève par solidarité avec ses
collègues d'un autre hôpital ou pour appuyer une demande englobant
plusieurs hôpitaux ou l'ensemble du système de santé.
Dans les quatre ans suivant l'intervention du texte, le nombre de jours de
grève est divisé par 10 ; celui des syndiqués chute de 50
% ; le pourcentage des salariés adhérents à un syndicat
s'effondre à 22 %
34(
*
)
.
Mais, au cours de la même période, les créations d'emplois
s'accroissent de 10 %.
Il faut toutefois noter que les syndicats néo-zélandais ont
déféré la loi devant le Bureau international du travail.
Selon les dires de ceux de leurs représentants rencontrés sur
place, ce dernier l'estimerait contraire à ses normes.