"L’homme qui a dit non au Général de Gaulle", c’est par ces mots, qu’en 1991, la plupart des organes de presse caractérisent Gaston Monnerville, en annonçant sa disparition. Réduire la personnalité de l’ancien Président à ce " non " fameux est sûrement simpliste, mais il faut reconnaître qu’à l’époque où il fut lancé, ce " non " fit beaucoup de bruit.
Le conflit éclata lors du congrès que le Parti radical tint à Vichy, à la fin du mois de septembre 1962. Le 12 septembre, le Général de Gaulle avait annoncé en conseil des Ministres, son intention de procéder à un référendum. La Nation était invitée à modifier la Constitution pour que, désormais, l’élection du Président de la République ait lieu au suffrage universel direct.
Le Général avait choisi d’utiliser l’article 11 de la Constitution (et non l’article 89, spécialement consacré à la révision constitutionnelle). Le choix de cette procédure ne recueillit pas l’approbation unanime des juristes.
Le 29 septembre, Gaston Monnerville monta à la tribune du Congrès du parti radical réuni à Vichy. D’emblée, il annonça qu’il voterait non et saisirait le Conseil Constitutionnel. Et il développa longuement les raisons qui prouvaient qu’à ses yeux, le Général violait la Constitution.
Il ajoutait : " Si le Chef de l’Etat a décidé en connaissance de cause, je me permets de l’affirmer, de la violer, le Premier Ministre n’avait qu’à ne pas signer, il n’avait qu’à ne pas dire OUI... au référendum (applaudissements)... et le référendum donc n’aurait pas été possible, puisque je vous ai expliqué que c’est à la demande du Premier Ministre, ou à l’initiative parlementaire, c’est-à-dire à la demande des Chambres, que la révision est possible. On le lui a imposé ; il y a quelques mois ce n’était pas son sentiment, aujourd’hui il a accepté, il va contre-signer le projet de loi. Il prend ses responsabilités, chacun de nous prendra les siennes ; l’avenir, je ne sais pas s’il sera lointain ou proche, jugera. Le peuple français comprendra et, au moment où il aura compris, je ne sais pas dans combien de temps, il saura au moins quels sont ceux qui ont voulu le bien servir. Laissez-moi vous dire que la motion de censure m’apparaît comme la réplique directe, légale, constitutionnelle, à ce que j’appelle une forfaiture. (Applaudissements) "."
Forfaiture ", le mot était lancé. Comme on le voit, Monnerville visait expressément le Premier ministre, Georges Pompidou. Il l’accusait de couvrir, par son silence, la fiction selon laquelle il aurait, Premier ministre, proposé lui-même le référendum.
Mais le mot de " forfaiture " fit sensation. Des journalistes estimèrent plus piquant de considérer que l’accusation visait le Général lui-même. Sauf Georges Pompidou, qui ne pouvait s’y tromper, l’opinion suivit les chroniqueurs. Elle crut (et croit toujours) que Monnerville a lancé le mot de forfaiture contre le Général de Gaulle. Une erreur passée dans le domaine public devient une vérité historique.
Deux jours plus tard, Monnerville est triomphalement réélu au fauteuil présidentiel de la Haute Assemblée. Un score impressionnant ; il ne lui manque, bien sûr, que les suffrages de l’U.D.R. Considérant qu’une telle réélection valait approbation sans réserve, Monnerville renouvelle ses attaques contre le référendum. Le Sénat fait un succès à ce discours, particulièrement au passage suivant : " Dans sa récente allocution télévisée, le Président de la République a dit : " J’ai le droit ! ". Avec la haute considération due à ses fonctions, mais avec gravité, avec fermeté, je réponds : " Non, monsieur le Président de la République, vous n’avez pas le droit. Vous le prenez ! ".
Enfin, la Haute Assemblée décide, fait rarissime, que le discours de son Président sera affiché dans toutes les mairies de France. On sait la suite : le Général remportera le référendum, avec 62 % des suffrages, et le Conseil Constitutionnel, saisi par Gaston Monnerville, se déclara incompétent.
Les rapports entre le chef de l’Etat, le Gouvernement et le Président du Sénat furent de plus en plus tendus. Monnerville se représenta, une dernière fois, à la présidence de la Haute Assemblée, le 2 octobre 1965. Il fut élu au premier tour, mais avec une voix seulement de majorité.
Au cours de la session extraordinaire de septembre 1968, Gaston Monnerville annonça à ses collègues son intention de ne pas briguer leurs suffrages, lors du renouvellement du Bureau, le 2 octobre 1968.
Vingt-deux ans de présidence prenaient ainsi fin