Projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l'environnement
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, complétant l'article premier de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement.
Discussion générale
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'ai l'honneur de vous présenter ce projet de loi constitutionnelle qui est l'un des aboutissements de la Convention citoyenne pour le climat, exercice inédit et remarquable de démocratie participative dans notre pays.
Parmi les 149 mesures de la Convention figurait la proposition de compléter l'article premier de la Constitution pour renforcer l'engagement et la responsabilité de la France dans la préservation de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. Le Président de la République l'a retenue et s'est engagé à faire adopter cette proposition par référendum, en application de l'article 89 de notre Constitution.
Ce texte, adopté par l'Assemblée nationale au terme d'un premier examen circonstancié, est la traduction fidèle de cet engagement. Il inscrit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique à l'article premier de la Constitution.
Je crois savoir que cette rédaction ne convainc par toutes les travées de la Haute Assemblée, et je sais que votre commission des lois propose une autre rédaction. Nous sommes ici pour en débattre.
Pour cela, je souhaite d'abord dissiper quelques malentendus.
D'abord, ce projet de loi constitutionnelle a pour ambition de rehausser la protection de l'environnement au coeur de nos principes constitutionnels. La protection de l'environnement figure dans la Charte de l'environnement, qui a été intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005 ; le Préambule de notre Constitution comporte également un renvoi à cette charte. Il n'y aurait donc aucune plus-value à inscrire un renvoi identique à l'article premier, comme le propose la commission des lois.
Au-delà de sa portée symbolique, qui n'est pas à négliger, le projet de loi constitutionnelle comporte deux autres avantages. D'abord, il renforce le poids de la protection de l'environnement dans la conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle.
Le Conseil Constitutionnel avait déjà, notamment dans son arrêt du 31 janvier 2020, déduit de la Charte de l'environnement que la protection de l'environnement est un objectif à valeur constitutionnelle. Mais, à la différence d'une règle constitutionnelle, il n'emporte qu'une obligation de moyens, et suppose l'intervention du législateur pour sa mise en oeuvre.
Par ce projet de loi constitutionnelle, nous souhaitons consacrer un principe à valeur constitutionnelle qui pourra être invoqué même sans intervention du législateur. Ce rehaussement n'implique cependant pas une hiérarchisation entre les principes constitutionnels : il s'agit de renforcer le poids de la protection de l'environnement dans sa conciliation avec les autres principes constitutionnels.
C'est pour cette raison que le Président de la République a refusé la modification du préambule de la Constitution proposée par la Convention citoyenne pour le climat. La force nouvelle conférée à la protection de l'environnement trouvera sa traduction dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Second avantage, ce projet de loi instaure un principe d'action pour les pouvoirs publics nationaux et locaux. Le Gouvernement veut insuffler la préoccupation environnementale dans chaque politique publique, au niveau national et international. D'où le choix de verbes aussi forts que « garantir » et « lutter ».
Je comprends que, pour votre commission des lois, la principale difficulté porte sur le terme « garantit ». Le Gouvernement a pris note des observations du Conseil d'État, dans son avis du 14 janvier, sur les conséquences de la mise en jeu de la responsabilité des pouvoirs publics ; mais nous avons fait le choix assumé d'une ambition forte qui doit se traduire dans notre texte fondateur.
D'un objectif, nous voulons faire une obligation, d'une ambition, une garantie.
Votre assemblée se montre également préoccupée par les conséquences du texte sur la responsabilité de l'administration. Or, l'État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale : « l'affaire du siècle » sur laquelle le tribunal administratif de Paris s'est prononcé le 3 février nous l'a récemment rappelé.
Ce texte renforce encore cette responsabilité en créant une quasi-obligation de résultat pour les pouvoirs publics ou, pour le dire autrement, une obligation de moyens renforcée. Cela signifie une charge de la preuve facilitée pour les requérants, et une plus grande difficulté pour l'État à s'exonérer de ses responsabilités. Il ne s'agit pas de condamner les pouvoirs publics à l'inaction, mais au contraire de les obliger à agir. Le Gouvernement assume cette ambition.
Le projet de loi constitutionnelle est équilibré et évite deux écueils : une répétition du droit existant et un statut d'impératif suprême conféré à la protection de l'environnement. Chaque mot de ce texte est pesé et assumé par le Gouvernement. Il est à la hauteur des enjeux à l'heure de la sixième extinction de masse, la première causée par l'humanité.
Il vous revient de nous prononcer. Ensuite, si vous votez ce texte dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, la proposition sera soumise à référendum, conformément aux engagements du Président de la République et à notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois . - Le débat sur ce texte a pris une tournure déconcertante, voire irritante.
Nous sommes tous convaincus de la nécessité de préserver la biodiversité et les équilibres climatiques. Comme certains de mes collègues, j'ai siégé au Congrès qui, le 28 février 2005, a adossé à la Constitution la Charte de l'environnement, un texte précurseur, précis, dont l'efficacité juridique est démontrée.
Si de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires, nous les voterons, comme nous l'avons fait, à l'unanimité, pour ratifier l'accord de Paris.
Mais ce texte est d'une ambiguïté extraordinaire ; le Gouvernement lui-même semble ne pas en mesurer les effets juridiques. À la vérité, le Gouvernement veut se racheter en nous faisant voter sans filtre cette proposition de la Convention citoyenne pour le climat, alors qu'il n'a pas donné suite à trois autres de ses propositions de révision constitutionnelle.
Nous sommes ainsi contraints d'aborder cet examen à l'envers : alors qu'il conviendrait de s'accorder sur les objectifs à atteindre, puis sur les changements dans le droit en vigueur qu'ils impliquent, avant de rechercher la rédaction qui y contribue le mieux, nous devons commencer par l'exégèse de ce texte, en essayant de discerner comment le juge l'appliquera. Le débat est devenu sémantique, plus que politique.
Dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a dégagé de la Charte de l'environnement la protection de celui-ci comme objectif à valeur constitutionnelle, en tant que participant de notre patrimoine commun. Or vous vous fondez sur cette décision pour faire valoir qu'il ne fixe pas d'obligation. Cela manque de rigueur. D'abord, un tel objectif s'ajoute aux obligations liées à la Charte ; il ne s'y substitue pas. De plus, les objectifs à valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative.
Vous avez déclaré, monsieur le garde des Sceaux, qu'il était difficile de faire aboutir une QPC sur le fondement de la Charte de l'environnement. Cela n'est pas juste : le droit de vivre dans un environnement préservé peut déjà être invoqué dans le cadre d'une QPC, de même que les droits d'information et de participation prévus à l'article 7 de la Charte. D'autres principes énoncés par celle-ci peuvent également être invoqués en QPC, en tant qu'ils constituent le corollaire du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé : le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement cité à l'article 2, le principe de prévention à l'article 3 et le principe de réparation à l'article 4.
Le Conseil constitutionnel ne s'est pas encore prononcé sur l'invocabilité en QPC du principe de précaution, mais la solution serait sans doute la même.
Votre rédaction, avec le terme « garantit », faciliterait l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en leur imposant une quasi-obligation de résultat, mais cette dernière notion n'a aucun contenu défini en droit. Quelle en serait la portée ? Quelle juridiction serait chargée de le faire appliquer ? Bref, à quel régime de responsabilité songez-vous ?
Le Conseil d'État a certes évoqué la notion de quasi-obligation de résultat, mais pour souligner le caractère incertain de ses effets juridiques. S'en prévaloir relève du sophisme.
Autre objectif affiché, celui de rehausser la place de la préservation de l'environnement dans la Constitution. Rehaussement, dites-vous, n'implique pas hiérarchisation. Cette interprétation fait peser un doute sérieux sur les conséquences juridiques de votre proposition. En effet, l'utilisation du terme « garantit » laisse entendre que la protection de l'environnement aurait un poids supérieur dans la conciliation entre les principes constitutionnels.
La commission des lois juge une telle priorité déraisonnable. Les pouvoirs publics doivent avoir la possibilité d'arbitrer en fonction des circonstances.
Nous aurions pu rejeter ce texte, mais nous ne l'avons pas souhaité. Dans un esprit constructif, nous défendons une rédaction plus sûre juridiquement, inspirée des recommandations du Conseil d'État, dans son avis d'extrême prudence.
L'obligation de moyens ou de résultats n'est pas de même nature en droit constitutionnel qu'en droit civil. En outre, la Charte établit, à son article 6, une définition du développement durable en tant que conciliation de la préservation de l'environnement, du développement économique et du progrès social. Le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur cet article pour définir un équilibre.
La commission des lois considère que le verbe « garantir » comporte des risques : aucune certitude ne s'est dégagée de nos auditions quant à son interprétation. Nous avons préféré le terme « préserve », en y ajoutant la mention du climat et en renvoyant à la Charte de l'environnement de 2004, qui a donné lieu à une jurisprudence bien établie. Nous n'avons pas voulu constitutionnaliser le doute que porte le verbe « garantir ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nous nous apprêtons à endosser le rôle le plus éminent pour un parlementaire, celui de se prononcer sur notre texte fondamental. Le Sénat est attaché à la clarté et à la cohérence de notre édifice normatif. Sans céder à l'activisme juridique, le Constituant doit faire oeuvre de précision, peser chaque mot, légiférer la main tremblante.
L'urgence climatique n'est plus contestée. Les scientifiques sont unanimes. Une centaine de pays font désormais référence à la préservation de l'environnement dans leur texte constitutionnel. La France s'est dotée d'une charte de l'environnement, véritable Constitution environnementale.
Cependant, cette charte n'aborde pas la question climatique. Or, la France a promu la lutte contre le changement climatique au niveau international - en témoigne l'accord de Paris. Cette révision comble ce manque, mais pose des problèmes juridiques. L'usage du terme « garantit » impose des contraintes dont il est difficile de mesurer la portée.
Pour ne pas fragiliser les pouvoirs publics par des contraintes juridiques trop fortes, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a élaboré, en concertation avec la commission des lois, une rédaction alternative qui neutralise les risques pointés par le Conseil d'État et par certains juristes autour du verbe « garantir ».
Le rôle central de la Charte de l'environnement serait réaffirmé, avec une double référence, dans le Préambule et l'article premier de la Constitution.
Ce cadre est plus cohérent et lisible pour l'action publique et pour les entreprises et ne crée pas de hiérarchie entre les principes constitutionnels. Il porte une valeur symbolique forte.
La France serait le premier État du Nord à faire clairement référence au climat dans un texte fondamental, confirmant son rôle moteur dans le monde. C'est une invitation à mener une politique environnementale ambitieuse. Une ambition forte et partagée, conciliant préservation de l'environnement, développement économique et progrès social, sera plus utile que des prescriptions constitutionnelles ambiguës. Il ne faut pas se servir de la Constitution pour se donner bonne conscience.
La proposition du Sénat est équilibrée et apporte une vraie valeur ajoutée dans notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Guy Benarroche . - Événements climatiques, extrêmes, baisse brutale de la biodiversité, perturbation des océans... La liste des conséquences néfastes de l'inaction face à l'urgence climatique est bien longue. Après le succès de la COP21, sommes-nous à la hauteur ? À l'évidence, non.
La Convention citoyenne pour le climat a souhaité une plus grande protection de l'environnement, qui passe par une modification de l'article premier de la Constitution.
Certes, la rédaction proposée a ses limites - les écologistes prônent une rédaction plus complète et défendront des amendements dans ce sens - mais représente une avancée indéniable. Au-delà du symbole, elle oblige les pouvoirs publics, nationaux et locaux, dans leurs actions. Il ne faut pas négliger l'impact supranational : nous espérons que cela sera un outil à l'aune duquel nous définirons les contours des traités internationaux soumis à notre ratification.
Le terme « garantir » est devenu une pomme de discorde. Je suis ébahi par la réaction des rapporteurs : ce mot introduirait une hiérarchisation absolue et contraignante, tout en laissant au juge une trop grande marge d'interprétation...
M. Philippe Bas. - Exactement !
M. Guy Benarroche. - Ce qui vous effraie, c'est que le terme comporte une obligation d'action. Je crains que ceux qui adoptent cette posture politique ne soient en retard sur les élus locaux, sur les associations, sur les citoyens sur l'Histoire.
Nous ne sommes pas dupes de ce jeu, certes commencé par le Président de la République, mais auquel vous vous prêtez, en faisant fi de l'urgence. Le Président a rappelé son ambition de soumettre ce texte au référendum, sans dire ce qu'il ferait si le texte adopté différait de celui de la Convention citoyenne...
C'est un enfumage politique : mettez-vous d'accord, quoi qu'il en coûte, nous dit le Président !
Pour le GEST, il s'agit de se mettre d'accord sur un texte, mais pas n'importe lequel. Les écologistes sont les seuls à avoir travaillé sur ce sujet depuis vingt ans. Sans être dupes, nous acceptons d'avancer sur cette ligne. Nous avons le devoir de voter ce texte dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. La maison continue de brûler... Ce texte n'est pas à la hauteur des enjeux, mais il faut avancer.
Reste que ce semblant de virage écologique n'absoudra pas le Gouvernement de ses renoncements sur le glyphosate, les objectifs d'émissions ou les néonicotinoïdes. Le courage politique, c'est d'accepter qu'une victoire pour l'intérêt général puisse faire l'objet d'une appropriation par certains. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Ce projet de loi constitutionnel est issu d'une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle le Président de la République a donné un avis favorable le 29 juin 2020, annonçant également son intention de convoquer un référendum sur le fondement de l'article 89 de la Constitution. L'implication pleine et entière des citoyens sur cet enjeu est en effet essentielle.
Une révision constitutionnelle doit être abordée avec sérieux, rigueur et sens critique. Le texte proposé présente une dimension symbolique forte ; il est très attendu par les citoyens, comme nous l'avons vu hier.
L'obligation qu'il imposera aux pouvoirs publics accompagne l'évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et offrira à ce dernier un levier supplémentaire. Seule la moitié des articles de la Charte de l'environnement sont invocables comme fondement d'une QPC ; et le Préambule de la Constitution de 1946 ne l'est pas.
Cette révision constitutionnelle ferait de la France le premier pays européen à inscrire la lutte contre le changement climatique dans sa loi fondamentale.
Je regrette que le débat se soit focalisé sur le choix du verbe. Les juristes que nous avons entendus divergent sur les effets de cette réforme. Mais comment un texte peut-il être à la fois dénué de valeur juridique et dangereux ?
Le verbe « garantir » n'emporte pas de hiérarchie entre les normes ; de plus, il figure déjà à huit reprises dans le bloc de constitutionnalité. Ainsi, je ne pense pas que la garantie du repos et des loisirs qui figure dans le Préambule de 1946 fasse concurrence au progrès social ou au développement économique...
En outre, le juge veille à l'équilibre entre les droits et libertés constitutionnellement garantis en se fondant sur l'intention du législateur. La prééminence de la préservation de l'environnement n'a pas été retenue. Nous ne sommes pas favorables à la proposition de réécriture des rapporteurs, qui n'apporte pas d'effets juridiques nouveaux. Dès lors, comment convaincre nos concitoyens de se rendre aux urnes pour une révision constitutionnelle sans portée ?
Circonscrire les effets de la révision au périmètre de la Charte de l'environnement, un texte vieux de quinze ans, paraît inopportun, alors que la question environnementale ne cesse de s'aggraver.
Pour ces raisons, le groupe RDPI ne votera pas le texte issu des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Pierre Corbisez . - L'article unique ne compte qu'une quinzaine de mots - mais ces mots ont déjà fait couler beaucoup d'encre et déchaîné les passions.
Le débat sémantique est intéressant, mais le Sénat ne doit pas s'immiscer dans des querelles juridiques. Il faut aborder ce texte avec un prisme différent : quelle est l'utilité de la révision envisagée ? Quel sera son impact sur la vie quotidienne des Français ? Rendra-t-elle l'action publique plus efficace ?
Cette réforme est-elle nécessaire ? Rien n'est moins sûr, à en croire de nombreux juristes. De fait, il n'existe pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles, comme l'ont rappelé le Conseil constitutionnel en 2008 et le Conseil d'État dans son avis de janvier 2021.
Les principes de la Charte de l'environnement sont bien établis et cinq de ses articles sont invocables dans le cadre d'une QPC. La réforme ne leur donnera pas de valeur supplémentaire.
À la vérité, nous pourrions y voir un aveu d'échec, celui d'une incapacité à faire en sorte que la Charte de 2005 n'en reste pas au stade des intentions. Le dérèglement climatique s'aggrave, malgré les engagements de la Conférence de Paris... Selon la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, compte tenu des plans de réduction des émissions adoptés par les États signataires, les émissions ne baisseraient que de 0,5 % d'ici à 2030. Nous sommes très loin des 45 % nécessaires pour contenir à 1,5°C l'augmentation des températures à l'horizon 2100.
Je doute que ce texte nous permette de dépasser notre relative inaction depuis quinze ans.
Si l'objectif est de contraindre l'action des gouvernements, je serais tenté de soutenir la première version du texte. Un recours accru aux QPC ? Tant mieux ! De nouvelles obligations pour l'État ? Tant mieux ! Une multiplication des contentieux ? Tant mieux ! Qu'avons-nous à craindre d'une pression supplémentaire sur l'action publique ?
Si le texte relève surtout du symbole, je m'en accommode, car le symbole compte.
Les récentes condamnations de l'État non assorties d'astreinte, comme la décision du tribunal administratif de Paris de février 2021 sur l'affaire dite du siècle, qui crée un lien de causalité entre le préjudice écologique et le non-respect par l'État de ses engagements internationaux, nous incitent à y aller franchement. Une fois n'est pas coutume, je suis donc plutôt favorable à la rédaction du Gouvernement.
Toutes nos décisions doivent s'orienter vers la préservation de l'environnement. Ce peut être un levier en vue des débats autour du projet de loi Climat. Il faut une bascule radicale dans nos choix.
Cette réforme n'a de sens que si elle se traduit en actes. Elle ne doit pas être incantatoire, mais marquer un point de non-retour. C'est pourquoi je défendrai le principe de non-régression.
Une partie de mes collègues du RDSE défendront la rédaction des commissions.
Le travail accompli par la Convention citoyenne pour le climat doit aboutir maintenant. L'engagement politique doit se doubler d'une ambition pour susciter un espoir. Mais rien n'est pire qu'un espoir déçu... (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du GEST)
Mme Éliane Assassi . - Dans sa stratégie du « en même temps », le Président de la République a annoncé un référendum tout en reculant sur plusieurs mesures de la Convention citoyenne pour le climat. Les ONG ne s'y sont pas trompées, qui dénoncent l'arbre qui cache la forêt des renoncements.
Au-delà de l'opération de communication, les travaux de la Convention méritent mieux qu'une instrumentalisation, l'artifice du référendum et cette nouvelle manifestation de fétichisme constitutionnel.
Le piège était cousu de fil blanc, ce qui n'a pas empêché la majorité sénatoriale de s'y engouffrer, permettant au Président-candidat de rejeter la faute sur le conservatisme du Sénat. Hier, alors que 115 000 personnes marchaient pour le climat, le Journal du Dimanche annonçait déjà l'abandon du référendum, avant que le Président de la République ne rétropédale.
L'urgence climatique appelle autre chose que gesticulations et manifestations politiciennes. Nous sommes favorables à tout ce qui renforce la souveraineté du peuple, mais pas à un référendum démagogique confinant au plébiscite, comme celui de 1962. Il est à craindre que ce référendum ne fasse les frais de tous les mécontentements. Le choix de cette procédure surprend, au demeurant, de la part de ceux qui méprisent le peuple... Un référendum, nous en avions demandé un sur les retraites et sur la privatisation d'Aéroports de Paris. Là-dessus, silence. Est-il toujours question d'un référendum après les annonces contradictoires du Gouvernement ?
Ce projet de loi, avec ses dix-sept mots, méconnaît gravement notre conception de la démocratie parlementaire : le Parlement n'est pas une chambre d'enregistrement du fait du prince.
Le ministre a évoqué une quasi-obligation de résultats, mais en réalité ce texte n'apporte rien par rapport à l'existant. La Charte de l'environnement a déjà valeur constitutionnelle. Le 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a jugé que le respect du droit à la santé et la protection de l'environnement étaient des objectifs de valeur constitutionnelle. Le 8 décembre 2020, il a ajouté que les limites législatives à la Charte ne pouvaient être justifiées que par des exigences constitutionnelles ou un motif d'intérêt général.
L'État a donc déjà des obligations en matière de lutte contre le changement climatique. Il a récemment fait l'objet d'un recours administratif pour carence fautive dans la mise en oeuvre de ses engagements internationaux.
Le présent texte améliore-t-il l'état du droit ?
D'abord, la simple garantie de l'environnement marque un recul par rapport à la Charte de l'environnement : ne comprenant pas l'objectif d'améliorer ou de réparer, elle ouvre la voie à une régression.
Ensuite, la République n'est pas une personne. L'inscription de cet objectif à l'article premier l'assimile à une valeur qui n'ouvre aucun recours en responsabilité.
Le Conseil d'État lui-même pointe également les manques de la rédaction proposée qui scinde la protection de l'environnement en trois domaines et rompt avec une vision globalisante.
Rien n'empêchera le Conseil Constitutionnel de mettre en balance le droit de l'environnement avec d'autres principes constitutionnels : il n'y a que très peu de droits indérogeables. La jurisprudence future n'est donc nullement garantie. Le Conseil d'État a donc demandé au Gouvernement de préciser les conséquences de sa proposition.
La judiciarisation de l'action en matière environnementale n'est pas le gage d'un réel progrès. Le juge ne peut imposer de nouvelles contraintes sans poser la question de l'adhésion à la norme. Cela rejoint d'ailleurs notre critique de la légitimité du Conseil Constitutionnel.
Le débat sémantique en commission des lois était largement surjoué. Il ressort de l'article 61-1 de la Constitution que les droits et libertés constitutionnels sont garantis - cela ne les empêche pas, hélas, de rester largement fictifs, comme l'égalité entre les femmes et les hommes, l'accès à la santé, l'égal accès à l'éducation ou à la culture ou l'accès à un emploi.
La Charte devrait être complétée par les principes de solidarité écologique, d'utilisation durable des ressources et de non-régression.
La protection de l'environnement a surtout besoin de politiques publiques et de moyens financiers ; bref, que cessent la politique du rabot et les décisions régressives du Gouvernement, comme sur le glyphosate.
Ce texte est un jeu de dupes - nous voterons contre. L'environnement mérite mieux que cette mascarade ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quel est le sens des propositions de la Convention citoyenne pour le climat ? Une société décarbonée. C'est possible. Comment ? Par la taxe carbone aux frontières de l'Europe.
Le combat environnemental et climatique ne se joue donc pas à l'article premier de la Constitution, mais à l'échelle européenne et internationale. Ce texte illustre un tropisme français : rechercher des principes plus que des solutions.
Première remarque : la bataille des mots n'est pas essentielle.
Agir pour, favoriser, préserver, garantir... Le débat politique doit-il porter sur le choix des mots ? Chacun de ces quatre termes nous a été proposé par le Gouvernement depuis 2018 : le Gouvernement de 2021 ne saurait donc en taxer aucun de conservateur...
Cela ne modifiera pas non plus la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, qui concilie les principes constitutionnels en fonction de l'intérêt général et de la proportionnalité au regard de l'objectif. « Préserver » diminue certes l'incertitude financière, mais je ne crois guère à la judiciarisation ou au contentieux de masse qu'apporterait le verbe « garantir ».
Je crains davantage l'insécurité juridique induite par une modification de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, y compris sur des textes déjà examinés.
Deuxième remarque : nous nous opposons à toute hiérarchie des normes constitutionnelles entre elles. Vous semblez partager notre conviction, monsieur le ministre. Si c'est le cas, défendons notre rédaction !
Le droit est logique et emprunte notamment à la géométrie : si les principes sont sur la même ligne (L'orateur trace du doigt cette ligne dans l'espace) et que vous n'en rehaussez qu'un, vous créez, même malgré vous, une hiérarchie des normes - du fait du principe d'effectivité appliqué par le Conseil Constitutionnel, qui recherche l'effet utile d'une mesure.
La proposition de révision vient contredire l'article 6 de la Charte qui repose sur la conciliation de tous principes de mêmes niveaux, à laquelle nous tenons, car c'est l'essence de la décision politique. Les élus le savent bien : celle-ci est toujours un équilibre identifié après un bilan des coûts et des avantages.
Notre pays a une histoire, incarnée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui protège les « droits naturels inaliénables et sacrés » de l'homme.
Par tradition, la France protège des droits individuels subjectifs. Cette conception est attaquée par les pays d'Europe centrale, notamment, pour qui les droits collectifs doivent primer. La primauté de la protection de l'environnement va à l'encontre de notre conception.
L'amendement proposé par la majorité sénatoriale prend en compte l'attente sociétale tout en préservant l'absence de hiérarchisation et les droits objectifs ; c'est un équilibre réfléchi et robuste, témoignage d'un dialogue sérieux entre les deux assemblées. Le groupe UC le soutient quasi-unanimement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Éric Kerrouche . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après deux tentatives avortées, la révision se résume finalement à cet article unique, mais il se murmure très fort que le Président de la République y renoncerait avant même que le Sénat ne l'examine - nouvelle preuve de son mépris. Mais contredisant cet oracle, il indique qu'il n'y aura pas d'abandon... J'ai l'impression de revivre le suspense sur le scrutin de juin !
Nous pourrions, de guerre lasse, ranger nos notes, éteindre la lumière et vaquer à d'autres occupations. Mais nous ne le ferons pas. Malgré la morgue de l'exécutif, le Sénat doit conserver sa dignité et protéger le bicamérisme.
Mépris aussi pour la Convention citoyenne pour le climat, dont toutes les mesures devaient être reprises sans filtre - on sait ce qu'il en fut. Cet ajournement possible du référendum sonne comme une dernière gifle symbolique : avec ce pouvoir, aucun engagement ne tient, tout n'est que question d'opportunité.
En réalité, il n'y a jamais eu volonté de modifier la Constitution, puisque le calendrier électoral rend la tenue du référendum quasiment impossible. Il aurait fallu passer par la voie du Congrès, ce qui permettait une deuxième lecture, loin d'être superflue pour une révision constitutionnelle.
Mais Emmanuel Macron a préféré le référendum ; si son intention était sincère, on pourrait entendre que la révision y gagnerait en portée. Mais c'était par pur calcul politique, et les groupes n'ont pas cédé au piège tendu, limitant leurs amendements par esprit de responsabilité.
Nous aurions pu trouver une rédaction commune avec l'Assemblée nationale, mais les délais ne le permettent pas, Emmanuel Macron le savait bien.
De fait, ce texte n'est qu'un prétexte. Nous pourrions en rire si le sujet n'était pas si important. Bientôt, nous en pleurerons... Nous sommes désormais dans un débat de pharisiens. Or, comme le disait Jean Giraudoux, « Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité ».
La seule question qui se pose, c'est celle de la volonté politique. Pouvons-nous nous cacher derrière le droit ?
Nous avons choisi de nous concentrer sur les biens communs ; Nicole Bonnefoy y reviendra.
La majorité sénatoriale a estimé que la Charte de l'environnement et la jurisprudence du Conseil constitutionnel étaient suffisantes et a minoré la portée du texte, le conduisant à une aporie qui le condamne.
Le rapporteur spécial pour les Nations-Unies sur les droits de l'homme et l'environnement, M. Boyd, a montré cependant que les conséquences d'une telle réforme n'étaient pas drastiques dans les pays qui y avaient procédé.
La France s'honorerait d'être le premier État du Nord à inscrire la protection de l'environnement à l'article premier de sa Constitution. Les perspectives en termes de changement climatique sont dramatiques : 40 % de la population mondiale serait confrontée à des pénuries d'eau d'ici 2050 ; les températures estivales augmenteraient de six degrés d'ici 2050 ; la recharge des nappes phréatiques diminuerait de 10 % à 25 % ; les populations de vertébrés ont chuté de 68 % en 45 ans...
Or comme le dit Bruno David, président du Museum national d'histoire naturelle : « plus la biodiversité est riche, plus les pathogènes infectent des espèces différentes, et plus ils nous épargnent. Plus nous portons atteinte à la biodiversité et plus la probabilité que des zoonoses se déclenchent augmentera.»
Ce défi collectif mériterait mieux que des calculs politiques dérisoires ! Soit il ne s'agit que de symbole, et cela importe dans la bataille culturelle. Soit cela aura des effets et c'est nécessaire.
Nous souhaitons une réécriture de l'article premier la plus ambitieuse possible. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Éliane Assassi et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)
M. Stéphane Ravier . - Le Parlement est devancé par la Convention citoyenne pour le climat dont le coprésident n'est autre que le directeur général de Terra Nova - l'organisme qui avait conseillé à François Hollande d'abandonner les classes populaires au profit d'un électorat d'origine étrangère. Nous sommes face à un simulacre de démocratie, un exercice oligarchique. Le peuple français demande une meilleure représentativité et plus de concertations par voie référendaire, non une manipulation pilotée par Terra Nova. Gare à la crise démocratique !
La révision aura des effets juridiques insupportables. Terra Nova et Emmanuel Macron considèrent sans doute la Constitution comme un simple règlement intérieur d'une association loi 1901 - ou 1958... L'écologie n'a rien à voir avec l'écologisme, elle est une exigence transversale, elle appartient à tous, pas aux talibans verdoyants.
On a vu au niveau local de quoi ils étaient capables. L'abus de tofu, de quinoa et de joints a conduit au remplacement des sapins de Noël, du rêve aérien et du Tour de France par la régularisation de tous les clandestins, la légalisation du cannabis et l'ignoble accusation de racisme systémique dans la police, entre autres délires de ces khmers aussi verts à l'extérieur que rouges à l'intérieur.
Les enjeux du XXIe siècle méritent mieux que ces idiots utiles de l'ultra-libéralisme : il faut au contraire valoriser l'écologie intégrale et le localisme, plus pragmatique, qui refuse par exemple de recouvrir nos territoires marins et terrestres d'éoliennes et de panneaux solaires sans considération de l'impact néfaste sur les milieux de vie et sur nos paysages. Signe du temps, les éoliennes sont plus hautes que nos cathédrales : on préfère brasser de l'air que s'enraciner dans la pierre.
Ne cédons pas au lobbying de ceux qui se goinfrent, comme la Chine, qui ne fait rien pour réduire ses taux d'émissions et tire tous les bénéfices des politiques du tout-renouvelable et du tout-électrique en maitrisant les technologies et exportant les métaux rares. Regardons le nouvel esclavage qui sévit en Asie, en Afrique et dans la péninsule arabique. Justice sociale et justice environnementale sont liées.
Les victimes de l'écolo-gauchisme sont nombreuses, à commencer par nos chefs d'entreprises et nos agriculteurs, victimes du dumping social et environnemental. Fermer Fessenheim, pour des raisons purement politiques, c'est ouvrir une centrale à charbon ou à gaz. On assassine notre compétitivité environnementale et économique.
Le Sénat, chambre de la réalité des territoires, doit défendre une écologie locale et enracinée. Je vous engage à faire l'économie des contradictions !
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Avec moins de 1 % de la population, la France émet 1 % des gaz à effet de serre. Elle est reconnue pour son engagement en faveur de l'environnement. Les normes internationales ont évolué et nos citoyens ont pris conscience des enjeux.
La France agit et recherche le meilleur équilibre. Notre Constitution est, comme l'écrit l'un de nos derniers premiers ministres, « une merveille d'équilibre des pouvoirs ».
Le réchauffement climatique s'accélère. Les actions à mener ont toute leur place dans notre Constitution. Le Président Chirac l'avait bien compris, lui qui initiait, le 3 mai 2001, la Charte de l'environnement dans une perspective d'écologie humaniste. C'était une promesse de campagne.
Cependant, on ne doit réviser la Constitution que « d'une main tremblante », pour citer Montesquieu. Il faut en envisager toutes les conséquences.
La protection de l'environnement est désormais un objectif de valeur constitutionnelle, c'est essentiel.
Les élus locaux sont conscients des enjeux. Dans l'Aveyron, la remise en état d'une route à flanc de montagne reliant le causse Noir à l'une des principales villes du département a ainsi été faite dans le respect de la biodiversité. Le droit actuel est contraignant, ce qui est heureux ; l'environnement est déjà pris en compte dans les décisions au quotidien.
Dans la Constitution, chaque mot doit être pesé ; il y a danger quand les conséquences d'un terme ne sont pas clairement cernées. Non, il ne faut pas constitutionnaliser le doute, comme disait François-Noël Buffet !
La rédaction proposée fait courir un risque sur la conciliation entre la préoccupation environnementale et les autres intérêts publics ainsi que les libertés individuelles, comme l'a indiqué le Conseil d'État.
Voyez comment la saisie de la Cour constitutionnelle allemande paralyse l'adoption du plan de relance européen et prive les États membres de ses 750 milliards d'euros ! Des mots trop contraignants ont des effets néfastes.
Nous sommes pour une écologie libérale et réaliste. Les normes sont nécessaires mais doivent demeurer souples.
Enfin, il faut éviter le gouvernement des juges. La Cour de Karlsruhe a ainsi censuré une loi allemande au motif que ses objectifs de protection de l'environnement étaient insuffisants. Certains plaignants ont même regretté qu'elle n'aille pas jusqu'à fixer elle-même ces objectifs !
Nous ne soutenons donc pas la rédaction du Gouvernement. Celle proposée par les commissions nous paraît équilibrée ; le groupe Les Indépendants la votera dans sa très grande majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Philippe Bas . - Mes chers collègues - citoyens - sénateurs, l'écologie est une science, mais elle n'est pas une science exacte - comme l'économie. De même qu'il y a plusieurs politiques économiques possibles, il y a plusieurs politiques écologiques possibles. C'est le coeur du débat, au-delà des arguties juridiques : personne n'a le monopole de l'écologie !
Qu'un référendum tranche entre les différentes politiques écologiques possibles serait une bonne chose : cela donnerait enfin un cap à notre navire qui faseye... Cela serait de nature à conforter le consensus autour la Charte de l'environnement, qui avait recueilli 531 votes favorables au Congrès en 2005, contre 23 votes défavorables. Cela permettrait d'écarter la piste d'une écologie radicale de la décroissance, dont les Français ne veulent pas. (Protestations sur les travées du GEST)
Le texte défend le Gouvernement est ambigu : nos commissions proposent de sortir de cette ambiguïté, qui ferait coexister dans les dispositions les plus fondamentales de la République deux approches contradictoires de la politique écologique.
La Charte de l'environnement s'inscrit, avec son article 6, dans une politique de développement durable fondée sur la conciliation entre protection de l'environnement, développement économique et progrès social. Cette approche me semble la bonne.
Le présent texte sort de cet équilibre puisqu'il érige en absolu la garantie non pas de la protection, mais de la préservation de l'environnement. Et vous nous le présentez comme un texte d'équilibre ! À vous entendre, nous sortirions de l'obligation de moyens, sans aller jusqu'à l'obligation de résultat. Au fur et à mesure que je vous écoutais, monsieur le garde des Sceaux, l'obscurité s'épaississait dans mon esprit... (Sourires)
M. Bruno Retailleau. - C'est une performance !
M. Philippe Bas. - J'en souffre et ferai les efforts nécessaires pour en sortir. (Rires)
Lorsque deux textes à valeur constitutionnelle contradictoires coexistent, la mission impossible - et néanmoins nécessaire - du Conseil constitutionnel est de les concilier. Plaignons-le, plaignons le Parlement, le Gouvernement et les préfets qui auront à les appliquer... Il en résulte que le juge devra aller beaucoup plus loin dans l'interprétation.
Peut-être suis-je vieux jeu, mais je crois à la démocratie. J'ai beaucoup de respect pour le travail et la sincérité des 150 personnes sélectionnées selon les méthodes des instituts de sondage - on notera cependant qu'une enquête faite sur un échantillon de 150 personnes aurait toutes les chances d'être censurée par la commission des sondages. Mais vous avez décidé qu'elles étaient légitimes et le Président de la République a décidé, avant même la remise de leurs conclusions, que celles-ci seraient reprises « sans filtre ».
Le Président n'assume pas ses choix, il est « sans filtre », le Gouvernement suit, « sans filtre », l'Assemblée ne filtre pas davantage... Qui va filtrer ? (Rires) Eh bien, nous allons le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous souhaitons que les Français puissent trancher, nous l'espérons, contre l'écologie dogmatique, radicale et coercitive, l'écologie de la décroissance.
M. Ronan Dantec. - Contre l'écologie tout court, plutôt !
M. Philippe Bas. - Nous voulons l'écologie du développement durable, celle de la conciliation, celle de l'article 6 de la Charte de l'environnement, celle de l'équilibre trouvé en 2008.
Nous ne voulons pas un gouvernement de la Convention citoyenne, qui est un comité de Salut public 3.0, non plus qu'un gouvernement des juges. Où est la démocratie dans un tel système ? (On ironise sur les travées du GEST.)
Notre devoir est d'extraire le venin du texte en réitérant le consensus autour de la politique du développement durable. Les Français pourront ainsi se prononcer. (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Corbisez applaudissement également.) Pour une sixième République écologique : cet ouvrage de Dominique Bourg a dix ans ; depuis, nous n'avons cessé de défendre cette idée.
Malgré la Charte de l'environnement, notre Constitution n'est pas adaptée à la nécessaire transition écologique. Pire, elle est un frein, comme en témoigne la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, révolutionnaire à son époque, sacralise la propriété privée et a donc quelque peu vieilli. Il faut écrire collectivement sa version du XXIe siècle. L'évolution inquiète : l'avis alarmé du Conseil d'État et la panique de la droite sénatoriale en sont le vibrant témoignage.
Nous appelons de nos voeux un vote conforme du Sénat et la tenue du référendum. Chers collègues de droite, sortez du côté obscur, réveillez le souvenir du général de Gaulle et ne vous interposez pas contre la volonté populaire ! (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)
Gardez vos arguments pour la campagne référendaire ! Monsieur Bas, ne faites-vous pas confiance aux Français ? Avez-vous peur que le scrutin révèle - comme l'a fait la Convention citoyenne - que quand ils prennent le temps de mesurer l'ampleur du défi, les Françaises et les Français rejoignent les propositions des écologistes ? Aujourd'hui, les pragmatiques sont de notre côté (on ironise à droite) et les idéologues du vôtre ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Le Président de la République sera sans doute soulagé : il a même été jusqu'à faire fuiter le résultat dans le Journal du dimanche... Il aura beau jeu de se défausser de ce renoncement sur le Sénat, mais il ne fera pas oublier tous les autres, et notamment la loi Climat vidée de sa substance par Bercy. Le quinquennat Macron est un quinquennat perdu pour la lutte contre le réchauffement climatique. Seul un quinquennat écologiste pourrait rattraper le retard.
Dans la suite du débat, nous vous donnerons un échantillon de ce que pourrait être la Constitution d'une véritable République démocratique, écologique et sociale - celle que nous proposons aux Françaises et aux Français d'écrire. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme Nadège Havet . - Les députés ont adopté ce texte par plus de 400 voix pour. Même large majorité sur le projet de loi Climat. Cette révision constitutionnelle poursuit le même objectif : agir, plus vite et plus fort, pour sauvegarder la biodiversité. S'ajoute le pilier financer, avec les 30 milliards d'euros supplémentaires que le plan de relance consacre à la transition écologique.
Les sénateurs RDPI partagent l'ambition du Gouvernement et appelle à en bâtir la nouvelle fondation.
La Charte de 2005 fait partie du bloc de constitutionnalité, mais la jurisprudence a atteint sa portée maximale en faisant de la protection de l'environnement un objectif de valeur constitutionnelle. Il faut franchir une nouvelle étape en consultant les Français.
La protection de l'environnement doit irriguer toutes les politiques publiques. Avec la députée Sophie Beaudouin-Hubière, je suis chargée par le Gouvernement d'une mission sur la commande publique comme levier écologique et social ; il faut sécuriser les acheteurs qui font valoir leur engagement environnemental. Nous en débattrons à l'article 15 du projet de loi Climat.
Le Gouvernement a été clair : il s'agit d'instaurer un principe d'action, un dispositif efficace et équilibré, loin du monstre radical que d'aucuns caricaturent.
Par référendum - le premier depuis seize ans ! - les Français diront si nous devons aller plus loin ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-François Longeot . - Changement de paradigme pour les uns, éco-blanchiment constitutionnel pour les autres : la vérité est sans doute moins manichéenne.
Nous avons vécu un premier âge du constitutionnalisme environnemental : une centaine de pays citent la préservation de l'environnement dans leur norme suprême. La France n'a pas été en reste, en intégrant la Charte de l'environnement au bloc de constitutionnalité dès 2005.
Quinze ans après, on ne peut que constater la dégradation du climat et de la biodiversité, et le bilan en demi-teinte des décisions juridictionnelles prises sur le fondement de cette Charte.
Faut-il dès lors compléter les normes existantes ou inscrire plus explicitement l'action climatique dans la Constitution pour renforcer l'obligation d'agir ?
La question s'était posée en amont de la COP21, puis avec différentes propositions de révision constitutionnelle. Elle a été reprise par la Convention citoyenne pour le climat.
Une révision s'impose-t-elle ? Quels seront les effets concrets de cette seconde vague de constitutionnalisme vert ? Le Gouvernement lui-même a entretenu la confusion sur la portée juridique de son texte.
Ne risque-t-on pas de remettre en cause tout projet - énergies renouvelables, lignes de train - susceptible d'avoir une incidence même mineure sur la biodiversité ? Nous renoncerions à la conciliation des principes, essence même du politique !
Nous rejoignons l'analyse de la commission des lois : il ne faut pas faire primer la préservation de l'environnement sur les autres principes constitutionnels. Ces derniers ne se hiérarchisent pas ; ils se concilient. Nous préférons donc suivre le Conseil d'État et conforter la Charte de l'environnement afin d'affirmer la primauté du principe cardinal de développement durable.
Le Constituant ne peut se satisfaire d'une réforme aux effets incertains ni se défausser sur le juge en matière environnementale.
Ce projet de loi permettra-t-il d'agir face à l'urgence climatique, au-delà du symbole ? C'est tout le paradoxe du présent texte, symbolique et pourtant source possible d'insécurité juridique.
Le groupe UC votera ce projet de loi tel qu'amendé par nos deux commissions. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Nicole Bonnefoy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous sommes à un moment clé de l'évolution de notre civilisation ; la crise sanitaire marque une rupture. Il y aura un avant et un après.
Le monde de demain défendra des priorités que nous nous fixerons. Les États-Unis de Joe Biden montrent la voie, avec un plan de relance de 5 000 milliards de dollars, à la fois social et écologique, financé par la taxation des multinationales et des plus riches, remettant en cause la théorie du ruissellement et des premiers de cordée.
Répondant à l'appel de 155 personnalités, dont de nombreux prix Nobel, pour faire du vaccin contre la Covid un bien commun mondial, Joe Biden a accepté de lever la propriété intellectuelle sur les vaccins. L'Union européenne veut lui emboîter le pas. C'est une avancée considérable. Il existe en effet des biens « communs » qui doivent être soustraits à la logique du marché, du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre : les vaccins, l'eau, le climat, les biens informationnels. Pour construire un monde socialement plus juste et écologiquement viable, nous devons les protéger.
Le groupe SER avait déposé en mai 2020 une proposition de loi constitutionnelle bien plus ambitieuse, visant à inscrire à l'article premier de la Constitution le principe selon lequel la France s'engage à garantir la préservation des biens communs mondiaux.
Le modèle productiviste et le consumérisme à outrance sont à l'origine de catastrophes climatiques et industrielles aux conséquences désastreuses pour la santé comme l'environnement. La pandémie illustre les dérives de notre modèle de développement : elle a conduit à l'arrêt brutal de pans entiers de notre économie, avec des conséquences socio-économiques dramatiques. Le modèle de croissance infinie, qui fut certes une réponse à la Grande dépression et au défi de la reconstruction, a provoqué une crise écologique et sociale qui menace nos institutions et notre civilisation même. Notre monde n'y survivra pas.
Comme le souligne Mireille Delmas-Marty, il est urgent de nous intéresser au destin commun de l'humanité afin d'éviter la résurgence d'un Empire monde. Il est temps que l'Europe se libère de ses tentations souverainistes.
Comment mieux protéger l'environnement et la biodiversité ? Comment répondre à l'urgence climatique ? Comment protéger la forêt amazonienne ? En en faisant un bien mondial, non appropriable, contribuant au bien-être de tous.
Nous vivons un moment décisif pour l'humanité. La notion de biens communs permet un changement de paradigme. Le Président de la République lui-même, dans son discours du 13 mars 2020, reconnaissait « qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».
Le groupe SER veut renverser la hiérarchie des valeurs et responsabiliser les acteurs pour que les droits fondamentaux soient considérés comme des biens communs de l'humanité.
C'est le sens de nos deux amendements, qui déclinent notre proposition de loi constitutionnelle de mai dernier.
Le monde d'après ne doit pas être le même « en un peu pire », comme dirait Houellebecq, mais un monde écologiquement soutenable, socialement inclusif et démocratiquement participatif.
L'homme n'est pas au centre de la terre ; il fait partie de la nature, dont il n'est qu'une composante.
Le groupe SER réserve son vote en fonction du sort réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La protection de l'environnement et de la biodiversité - bref, de la nature, pour employer un terme qui n'a plus cours -, la lutte contre le dérèglement climatique sont des objectifs partagés.
Sachant que la France ne produit que 1 % de CO2 mondial, on imagine mal comment elle pourra influer sur le dérèglement climatique - mais soit.
Sachant que l'évolution du climat obéit à des phénomènes naturels sur lesquels nous n'avons aucune prise - je pense au Petit âge glaciaire qui atteignit son apogée en France au XVIIe siècle, ou à l'ère glaciaire qui nous fut promise dans les années soixante-dix - on peut juger que la lutte contre le réchauffement climatique est un objectif un peu présomptueux - mais admettons. (Protestations sur les travées du GEST)
Pour autant, la modification constitutionnelle proposée suscite deux réserves. D'abord, réviser la Constitution n'est pas une mince affaire. Le président Buffet l'a dit : la Charte de l'environnement appartient depuis quinze ans au bloc de constitutionnalité, et a une véritable opérationnalité. Pourquoi modifier la Constitution ? Je n'ose y déceler une manoeuvre électoraliste...
Ma seconde réserve tient au fait qu'au sein de la biodiversité, l'être le plus remarquable, celui qui mérite le plus d'attention, c'est l'homme. (Protestations sur les travées du GEST) L'homme est l'être le plus extraordinaire que la nature ait créé, il suffit d'ouvrir les yeux pour le constater. (Protestations sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Je crois que M. le ministre partage cette opinion, lui qui a récemment préfacé le livre du président de la fédération des chasseurs (on se gausse sur les travées du GEST) et fustigé les ayatollahs de l'écologie. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)
Tel n'est pas le cas de ce membre de la Convention citoyenne pour le climat qui nous a affirmé, en commission, que l'homme et la pierre sont faits des mêmes atomes...
Que dira le juge constitutionnel ? Je l'ignore. À l'heure où l'impartialité de la justice a cédé le pas à l'indépendance, qui peut dire s'il ne s'affranchira pas de la volonté du législateur et ne décrétera pas que le développement de l'homme ne prime en rien ?
M. Bruno Retailleau. - Évidemment !
Mme Muriel Jourda. - Selon les constitutionnalistes, il n'existe aucune interprétation stable du droit en la matière. Dès lors, ce texte ne serait pas seulement inutile, mais dangereux...
L'homme, cependant, ne peut pas tout, car le pouvoir a pour corollaire la responsabilité - notion sans doute dépassée, dès lors que la démocratie trouve son apogée mais dans le tirage au sort ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Ces notions de pouvoir et de responsabilité se retrouvent dans un texte, la Charte, et dans une notion, le développement durable. Je vous invite à voter le texte de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
La séance est suspendue à 19 h 50.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Laurent Burgoa. - Lors du scrutin n°116, M. Le Gleut souhaitait ne pas prendre part au vote.
M. le président. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.