La pédopsychiatrie en France
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « La pédopsychiatrie en France » à la demande du groupe CRCE.
Mme Laurence Cohen, au nom du groupe CRCE . - Ce n'est pas la première fois que le Sénat se préoccupe de la pédopsychiatrie : un rapport d'information a été publié en avril 2017 sur le sujet, à l'initiative de Michel Amiel. Trois ans après, le diagnostic reste dramatique. Les choses n'ont guère évolué, ou alors dans le mauvais sens. Les professionnels de la santé mentale sont d'ailleurs très mobilisés contre le Gouvernement. Leur domaine déborde le cadre de la santé stricto sensu : les pédopsychiatres travaillent avec différents acteurs dans le domaine social, médico-social, en lien avec l'éducation nationale et la justice, avec pour objectif commun la protection de l'enfance.
Le docteur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie à Necker, alerte : « Que va devenir un pays qui ne se donne plus les moyens de soulager la souffrance mentale de ses enfants et adolescents ? » Le docteur David Cohen, de la Pitié Salpêtrière, parle de « tiers-monde de la République ».
Les difficultés sociales, la violence économique et symbolique de notre société, les violences intrafamiliales sont facteurs de troubles psychiques, au-delà des simples causes neurobiologiques. Comment ne pas y voir le résultat d'années de restrictions budgétaires ?
Le rapport Moro-Brison de 2016 estime qu'un million de jeunes ont besoin d'un neuropsychiatre ; en psychiatrie hospitalière, 25 % des patients sont des mineurs. Quand un enfant va mal, il doit être vu par un spécialiste de l'enfance. Or le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux en dix ans, et le délai d'attente pour un premier rendez-vous dépasse parfois les dix-huit mois. Certains départements n'ont plus aucun pédopsychiatre, et des enfants en grande souffrance sont envoyés dans des services pour adultes. La prise en charge précoce, gage de possible guérison, est parfois impossible faute de professionnels. Or la moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif commencent avant 15 ans.
Naguère, la France était pionnière, créant le secteur pour sortir de la politique asilaire. Aujourd'hui, on intègre les services psychiatriques dans des GHT généraux, niant leur spécificité, quand on ne les supprime pas, laissant les patients dans une errance médicale, parfois sans soins.
Le centre médico-psychologique (CMP) de Chilly-Mazarin a été transféré dans une zone industrielle difficile d'accès, mettant à mal tout un précieux travail de proximité.
Autre exemple : la fondation Vallée, à Gentilly, établissement exemplaire, entièrement consacré à la pédopsychiatrie, connaît elle aussi des difficultés : baisse des dotations, impossibilité de rénover des locaux devenus trop exigus, poids du réglementaire et des protocoles au détriment du dialogue, de l'écoute, de l'humain. En Aquitaine, comme ailleurs, les soignants dénoncent une certaine psychiatrie d'État qui dicte aux professionnels la façon de soigner, sous peine de couper les financements, imposant une standardisation des soins à rebours des besoins des patients.
Quelle pédopsychiatrie voulons-nous ? L'approche uniquement médicamenteuse, prônée par les laboratoires pharmaceutiques, ou une approche centrée sur le psychisme, faisant appel aux sciences humaines ? Aux États-Unis, la première prévaut, avec des enfants de moins de 3 ans sous Ritaline... Le docteur Deloche, membre d'un collectif de pédopsychiatres, appelle à « défendre une solidarité créatrice luttant contre la fabrique d'enfants malades étiquetés « handicap » pour laquelle seule l'approche neuro-scientiste serait effective, jetant la psychanalyse aux orties ».
Certes, Mme Buzyn a nommé un délégué ministériel à la santé mentale et transféré quelques millions d'euros, mais la réponse n'est pas à la hauteur ; au contraire, avec l'introduction d'une part de T2A dans les hôpitaux psychiatriques, alors qu'on y renonce dans les hôpitaux généralistes !
Quelques propositions en conclusion : augmenter le nombre d'heures de psychiatrie dans la formation initiale des infirmiers, maintenir des postes de professeurs d'université en pédopsychiatrie, améliorer la reconnaissance des psychologues via leur statut et leur salaire, augmenter le nombre d'orthophonistes, éviter les sorties sèches de jeunes majeurs. Quel bilan des forfaits précoces pour la prise en charge des troubles du neuro-développement et de l'autisme ? Les premiers retours concernant les plateformes d'orientation et de coordination confirment nos inquiétudes...
En ce début d'année, je souhaite que chaque enfant qui en a besoin soit pris en charge, sur tout le territoire, dans des structures de proximité et en milieu hospitalier.
Tony Lainé, dans son livre Éloge de la démocratie, écrit qu'en psychiatrie, la loi est moins qu'ailleurs à l'abri des caricatures. « Il faut si peu de choses dans les systèmes clos pour la faire glisser vers des attitudes autoritaires qui ne protègent plus que le pouvoir du chef »... (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau . - Peu de sujets ont fait l'objet d'autant de rapports publics que la psychiatrie, pour un constat partagé : elle est sinistrée, la pédopsychiatrie encore davantage.
Les problèmes de santé mentale dans la jeunesse sont en passe de devenir l'un des principaux enjeux de santé publique du XXIe siècle. L'IGAS relève un effet ciseau, avec un doublement de la demande de soins psychiatriques en vingt ans alors que la démographie des professionnels est défavorable.
Merci au groupe CRCE d'inscrire ce débat à notre ordre du jour.
La pédopsychiatrie est à la croisée de politiques publiques en grande difficulté : organisation du système de soins, protection de l'enfance, suivi des mineurs non accompagnés mais aussi justice et éducation nationale. Le chantier est immense, comme en attestent les 52 propositions du rapport de Michel Amiel.
Le Gouvernement a tenté de répondre aux enjeux, élaborant une feuille de route, nommant un délégué interministériel, fléchant 80 millions d'euros en 2019 pour le secteur, créant dix nouveaux postes de chefs de clinique en 2018 puis autant en 2019. Un appel à projets, doté de 20 millions d'euros, a distingué 35 projets pour améliorer l'offre en pédopsychiatrie dans les territoires en grande difficulté.
Je salue cet engagement tout en regrettant l'absence de politique coordonnée avec tous les départements et acteurs de la protection de l'enfance. Faute de professionnels qui ont le temps, des projets territoriaux ne se mettent pas en place. J'ai regretté les conditions d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Un amendement de Mme Deroche à l'article 25 proposait une prise en compte des soins pédopsychiatres dans la pondération tarifaire ; cela aurait enfin permis une reconnaissance au niveau législatif.
Les services départementaux d'aide sociale à l'enfance ne sont pas équipés pour accompagner les mineurs souffrant de troubles psychiatriques. Alors qu'un tiers des mineurs confiés à l'ASE nécessite un soutien clinique, le temps d'attente pour une consultation peut atteindre un an. Les mineurs non accompagnés, malmenés par un parcours migratoire difficile, ont besoin d'une prise en charge - or ils ne sont pas éligibles à la protection universelle maladie (PUMA) mais seulement à l'AME, qui ne couvre pas les soins en centre médico-psychologique.
Il faut agir en amont, car une prise en charge précoce est essentielle. Cela suppose de renforcer le repérage à l'école en formant les enseignants et encadrants, de sensibiliser les parents, les médecins traitants et les services de PMI aux outils disponibles. Il faut agir sur la formation des nouveaux professionnels mais aussi accompagner les parents vulnérables. Le rapport « Pour sauver la PMI, agissons maintenant » mettait l'accent sur la prise en charge de la dépression post-partum par les techniciens d'intervention sociale et familiale (TISF).
En aval, il faut proposer un parcours de santé mentale qui privilégie l'ambulatoire. C'est l'objectif du plan « Ma Santé 2022 » qui organise le lien avec les soins de premier recours. A-t-on des éléments sur l'extension de la formation des infirmiers de pratique avancée à la psychiatrie ?
La détection précoce des pathologies suppose une politique ambitieuse de prévention et de coordination, de lutte contre la stigmatisation mais aussi de recherche en neurosciences. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et RDSE)
M. Jean-François Rapin . - La psychiatrie française est en crise. Cette discipline primordiale est le parent pauvre de la médecine. La pédopsychiatrie n'y échappe pas, or la spécificité des troubles des mineurs est réelle. Selon l'OMS, plus de la moitié des pathologies psychiatriques de l'adulte apparaissent avant 16 ans. Or selon le Conseil national de l'ordre des médecins, le nombre de pédopsychiatres a baissé de moitié entre 2007 et 2016.
Les difficultés d'accès sont importantes, avec de fortes inégalités territoriales. La situation de certaines familles doit nous interpeller.
L'entourage du mineur, le personnel de la petite enfance, de l'Éducation nationale, la médecine scolaire, la médecine générale, les acteurs de la chaîne de soins doivent être mieux informés et mieux formés.
Le repérage et le diagnostic précoces sont essentiels, tout comme la prise en charge. Je pense aux enfants diagnostiqués autistes - en rappelant que le premier médecin à avoir décrit les symptômes de l'autisme, Leo Kanner, était pédopsychiatre.
M. Patrick Kanner. - C'est mon oncle !
M. Jean-François Rapin. - Il faut éviter la stigmatisation associée à l'autisme.
Parlons également du cannabis, dont la consommation suivie peut provoquer des troubles cognitifs, voire l'altération de capacités cérébrales. Les adolescents méconnaissent les risques - décrochage scolaire, forte anxiété, humeur dépressive... Cela exige une prise en charge spécifique, d'autant plus que le consommateur est jeune.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a posé les bases d'un nouveau financement de la psychiatrie. Espérons que la pédopsychiatrie verra aussi son financement rehaussé. Au-delà, il faut une réflexion plus large sur la formation, la prévention, le repérage, le diagnostic, la prise en charge, l'inclusion scolaire et sociale.
Il est urgent de réformer la pédopsychiatrie et de développer la recherche.
En tant que médecin, j'insiste particulièrement sur l'abandon très dommageable de la médecine scolaire, dont le rôle préventif est essentiel. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SOCR)
M. Jean-Louis Tourenne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'hôpital est malade et le Gouvernement n'a posé que des cautères qui ne règlent rien. Le secteur psychiatrique est plus atteint encore - et cela ne date pas d'hier.
La psychiatrie infanto-juvénile n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était. La pédopsychiatrie publique ne peut plus apporter aux enfants, protégés ou non, les soins dont ils ont besoin, faute de structures et de moyens humains.
Le dépistage, pourtant déterminant dans le pronostic, est de plus en plus tardif : 13 à 15 % des enfants confiés à l'ASE ont un dossier à la MDPH, sept fois plus que la population générale ; 1,6 % des mineurs placés sont sous antidépresseurs, 7,2 % sous neuroleptiques !
La médecine scolaire ne sait plus repérer les premiers troubles du comportement dès l'école maternelle.
Il faudrait un dépistage précoce de la dépression périnatale, source de risques pour l'enfant. Or l'âge moyen d'accueil des enfants dans la pouponnière spécialisée d'Angers est de 21 mois ; ils sont alors déjà cassés, avec des troubles fixés, plus compliqués à guérir. Muriel Salmona, psychiatre, rappelle que le délai minimum d'admission en CMP est de six mois, mais très souvent entre douze et dix-huit mois. Les enfants confiés à l'ASE présentent une surreprésentation des troubles.
Une mère désemparée dit essayer d'obtenir un rendez-vous en CMP. Elle est sur liste d'attente, alors que la situation devient urgente. « Mon fils pense souvent à la mort, je ne sais plus comment faire ».
Même embolie dans les centres médico-psychopédagogiques (CMPP) : résultat, une prise en charge trop tardive et une guérison aléatoire.
Les centres de planification familiale repèrent des signes d'addiction, de maltraitance mais ils n'ont pas les moyens d'agir. M. Amiel note dans son rapport de 2017 les pertes de chances liées au caractère tardif de la prise en charge.
L'offre de soins en France a été divisée par deux en dix ans, elle est la plus faible d'Europe ; quatorze départements sont sans pédopsychiatre. On est passé de 310 à 510 enfants par CMPP.
Dans un contexte de précarité, de désinsertion, les difficultés de comportement s'aggravent et sont subies par les professionnels avec angoisse.
Les conditions de travail se dégradent ; Il devient difficile de recruter quand le pédopsychiatre est écartelé entre les diktats de l'administration, la détresse des familles, le délitement des dispositifs de soins. En outre, les grilles de salaires sont peu attractives.
Le Président de la République a déclaré vouloir donner de nouvelles perspectives à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie ; mais ce n'est pour l'instant qu'une déclaration.
La pédopsychiatrie est une nécessité nationale car les conséquences d'une mauvaise prise en charge sont lourdes pour la société : développement d'une violence gratuite, coût pour la société de troubles psychiatriques non décelés, phénomènes de radicalisation chez des personnes déstructurées, reproduction de génération en génération des marginalisations et du déterminisme social, dont la France est vice-championne du monde. Il y va de la sérénité et du développement harmonieux de nos enfants, donc de l'avenir de notre Nation.
Mobilisons toutes les forces pour dépister, accompagner, guérir, pour attirer de nouveau des professionnels essentiels à notre cohésion sociale, pour créer des lits, afin que les enfants ne soient plus quatre par chambre.
Certes le malaise n'est pas nouveau mais vous êtes aujourd'hui en responsabilité et il vous appartient, monsieur le ministre, d'apporter un remède. L'absence de moyens est patente, or vous avez fait les poches de la sécurité sociale. Les économies de retraites ne seront réelles qu'à partir de 2037. D'ici là, la baisse de cotisations sur les hauts salaires coûtera 4 à 5 milliards d'euros par an, la réduction des cotisations patronales dans la fonction publique devra être compensée - mais comment ? Qui apportera les fonds nécessaires ?
Vous n'avez pas un sou pour financer vos bonnes intentions. C'est là tout le problème. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
Mme Véronique Guillotin . - Le sujet est vaste, les publics et les types de prise en charge, divers. Si l'état d'urgence a été décrété dans plusieurs secteurs de la santé, la pédopsychiatrie est très concernée.
Prévus par le plan « Ma Santé 2022 », des plans territoriaux de pédopsychiatrie devront être mis en oeuvre dès l'été. Ils organiseront la coordination territoriale. Dans la région Grand-Est, un dispositif pluriprofessionnel innovant, associant notamment télémédecine et plateformes dédiées a été mis en oeuvre.
Le repérage précoce est particulièrement pertinent en pédopsychiatrie, tant pour les enfants que leur famille. Mais nous avons besoin de professionnels spécialisés, or ils sont trop nombreux à partir à la retraite. Le manque de personnel entraîne une surmédication inquiétante.
On peut s'interroger sur la pertinence de faire basculer dès 16 ans les jeunes dans la psychiatrie adulte.
Le Gouvernement est enclin à faire bouger les lignes, tant mieux, mais la marche est haute, car les pénuries se multiplient.
La jeunesse de France souffre et de plus en plus d'enfants subissent des décompensations liées à des troubles antérieurs, un mal-être, ou une consommation de stupéfiants. Le nombre de tentatives de suicide augmente.
À l'hôpital, la prise en charge est effectuée par un professionnel non formé, dans un service non spécialisé, par exemple en pédiatrie. Pour une prise en charge en ambulatoire, les délais d'attente augmentent. Le manque de places à l'hôpital se répercute sur les institutions et centre d'accueil, où les enfants doivent être maintenus, ce qui crée des situations dangereuses.
Quarante années de promotion de psychiatres hors les murs, en dépit d'aspects positifs, ont entraîné la fermeture de nombreuses structures.
Chaque jeune doit bénéficier d'une prise en charge adaptée. La télémédecine peut apporter des réponses ; 10 millions d'euros financeront des projets innovants, notamment en télémédecine.
L'administration doit accueillir plus favorablement les initiatives. Le Gouvernement a annoncé qu'il les soutiendrait au plus près du terrain. Espérons que toutes les parties prenantes joueront le jeu. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et UC)
M. Xavier Iacovelli . - L'enfant et l'adolescent sont des êtres en devenir. L'un de leurs premiers droits est d'être en bonne santé. Or si leur santé physique s'est considérablement améliorée depuis le début des années 2000, le bilan est plus contrasté pour les troubles mentaux. Le délai de prise en charge est bien trop long.
Ainsi, d'après Maurice Corcos, pédopsychiatre à l'institut mutualiste Montsouris, les délais de prise en charge en pédopsychiatrie peuvent aller de six mois à un an.
Comment comprendre que des jeunes ne puissent être pris en charge immédiatement aux urgences après une tentative de suicide ? Notre collègue Amiel a montré pourtant que les besoins étaient considérables : entre 1991 et 2003, le nombre de mineurs de 15 ans vus au moins une fois dans une année par les services de pédopsychiatrie a augmenté de 80 %.
Quand le nombre de postes non pourvus atteint 30 %, il est en outre particulièrement difficile pour les étudiants de se former. En dix ans, le nombre de pédopsychiatres a diminué de moitié.
Quelque 40 millions d'euros sont promis par le Gouvernement pour sauver la psychiatrie. Les mesures ont été annoncées fin juin, notamment pour former plus de professionnels et créer 20 postes de chef de clinique en pédopsychiatrie. Dans le cadre de votre stratégie nationale, 20 millions sont alloués à la pédopsychiatrie. Nous nous réjouissons mais les dégâts du passé obligent à davantage.
Le Conseil national de la protection de l'enfance propose un véritable parcours de soins spécialisé. Il faut garantir une offre de soins solide sur l'ensemble du territoire. Monsieur le ministre, vous présenterez bientôt des conclusions de la commission « 1000 premiers jours » présidée par Boris Cyrulnik. J'espère que cela débouchera sur un meilleur repérage et une prise en charge de l'enfant renforcée.
Les départements doivent protéger les enfants mais l'État doit mieux former les professionnels. Les enfants sont l'avenir de notre pays et les graines de l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme Michelle Gréaume . - La pédopsychiatrie française va mal. Une réponse forte et urgente doit être apportée. Délais trop longs, manque de professionnels, familles laissées dans la difficulté... Il faut faire les diagnostics précoces, notamment des troubles autistiques.
La prévention reste un objectif évoqué mais dépourvu de moyens. Prenons l'exemple de la prévention prénatale. Quelque 12,5 % des femmes enceintes ont déclaré une détresse psychologique anténatale. Or seulement 42 % ont eu une consultation avec un spécialiste. Le dépistage et l'accompagnement apparaissent essentiels.
Dans mon département, des services de PMI ont été fermés, malgré les besoins. Les familles, souvent sans ressources, vont chez le médecin généraliste, qui les oriente notamment vers les CMP et les CMPP. Et les 300 000 mineurs de l'ASE présentent des troubles particuliers.
Or alors que les demandes explosent, les moyens de prise en charge diminuent, ce qui augmente les délais d'attente. Le fonctionnement des structures est de plus en plus menacé par la pénurie de professionnels : pédopsychiatres, orthophonistes, psychomotriciens, autant de métiers de plus en plus en tension. En 2016, on comptait 4 professionnels pour 100 000 habitants de 0 à 20 ans ; 14 départements étaient sans pédopsychiatre, l'âge moyen des praticiens était de 62 ans. Il faut modifier la grille de salaires des professionnels ! Dans le Nord, en 2018, 40 postes de médecine générale étaient vacants sur 80.
La situation de l'enseignement et de la recherche est très problématique. Comment intéresser les étudiants en médecine à une discipline qu'ils n'étudieront que peu ? Comment faire évoluer les traitements quand les crédits de la recherche sont en berne ? Il faut arrêter les restrictions budgétaires et passer du constat aux actes.
J'espère que le Gouvernement prendra enfin la mesure de l'urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Daniel Chasseing . - Je remercie le groupe CRCE d'appeler l'attention sur la pédopsychiatrie en France. Elle souffre d'un numerus clausus trop bas mais aussi de la crise des vocations, comme le montre le grand nombre de postes vacants. Ce sont les territoires ruraux qui en pâtissent le plus. C'est un problème de santé publique majeur.
Le Gouvernement souhaite renforcer la psychiatrie dès 2020. Nous nous en réjouissons. Quelque 1 million de jeunes a des problèmes de santé mentale. Plus la prise en charge est précoce, plus la chance de guérir sans séquelles est élevée.
Les départements n'ont plus les moyens d'assurer leur mission ; il est impossible pour un généraliste d'obtenir une consultation ou un avis téléphonique en urgence. Or les pathologies sont durables si elles ne sont pas prises en charge. En outre, des problèmes infantiles peuvent ressurgir lors des ruptures de l'adolescence. Le harcèlement scolaire, amplifié par les réseaux sociaux, concerne 700 000 jeunes chaque année. Il faut les accompagner, sans quoi des troubles peuvent s'installer. « Je suis responsable de ce qui arrive à autrui », écrivait Emmanuel Levinas.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoit un examen systématique des enfants pris en charge par les centres départementaux de l'enfance : cela va dans le bon sens. La continuité des soins est une priorité ; or trop souvent elle n'est pas assurée, faute de moyens. Dans les maisons d'enfants à caractère social (MECS), un enfant violent peut déstabiliser et user toute une équipe !
La télémédecine pourrait jouer un rôle important. Des équipes mobiles de pédopsychiatres pourraient apporter des renforts ponctuels aux professionnels des maisons d'enfants. Elles pourraient aussi aller à domicile, lors de crises ou pour assurer la continuité des soins dans la phase de stabilisation. Ce serait une alternative à l'hospitalisation.
Monsieur le ministre, avez-vous la volonté de développer ces équipes mobiles, notamment en milieu rural ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Sylviane Noël . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Postes vacants, sous-effectifs permanents, crédits en berne... La pédopsychiatrie est en crise, or la demande de soins explose : 700 000 enfants ont été pris en charge dans des centres spécialisés en 2018. Leur activité a augmenté de 60 % entre 1996 et 2006 et de 16 % entre 2006 et 2017. Le nombre de patients a augmenté de 14 %. Or le fonctionnement de ces structures est de plus en plus menacé par des pénuries de personnel. Ainsi, 16 % des postes de pédopsychiatres sont vacants. Les pédopsychiatres sont accablés de travail, isolés, non rémunérés à la hauteur de leur engagement. Quatre praticiens pour 100 000 enfants et jeunes !
La France est le pays européen le plus pauvre en praticiens. La Haute-Savoie ne déroge pas à la règle. Le coût élevé de la vie, la concurrence des salaires deux ou trois fois supérieurs en Suisse aggravent la situation.
Il faut attendre deux, trois mois avant un accueil ou un transfert. J'ai une pensée pour un jeune Haut-Savoyard mort récemment en montagne lors d'une crise de schizophrénie. Il n'avait pas été pris en charge malgré les appels à l'aide.
Face à la hausse continue de l'activité de service, des professionnels finissent par se décourager, brisant la chaîne de soins. Les moyens ne sont pas à la hauteur en Haute-Savoie. La dotation de fonctionnement des établissements publics est inférieure à la moyenne.
Que va faire le Gouvernement pour y remédier, en tenant compte des spécificités frontalières ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du groupe RDSE)
M. Michel Raison . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Mon intervention est inspirée par ma mission d'administrateur de l'association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté et par mes contacts avec les services.
Je me suis penché sur le rapport Milon-Amiel de 2017. La grande majorité de ses 52 propositions, de l'avis des personnels, sont pertinentes pour sauver la discipline.
Nous manquons de pédopsychiatres un peu partout. Dans certaines facultés de médecine, il n'y a plus de professeurs de cette spécialité. Les pédopsychiatres ne représentent que 0,73 % de l'ensemble des professionnels de médecine. L'offre de soins est insuffisante, par manque de moyens.
Or le repérage et la détection précoces sont indispensables, sans verser dans le sur-psychiatrisme. Alors qu'une prise en charge suffisamment précoce peut faire disparaître les troubles, il y a des pertes de chance. Trop de jeunes adultes arrivent finalement en soins sans consentement, ce qui est la conséquence des échecs antérieurs. Le parcours de soins est plus souvent le fruit du hasard que de la cohérence.
En Bourgogne-Franche-Comté, l'urgence dure depuis trente ans ; Les services n'ont plus les moyens de leurs missions ; les listes d'attente s'allongent.
La recherche en psychiatrie est délaissée ; les associations de médecins psychiatres ont vu leurs moyens réduits dans le projet de loi de finances.
Le Gouvernement aime les lois : précisément, nous en demandons une sur le financement de la pédopsychiatrie et la formation des psychiatres et pédopsychiatres. Monsieur le ministre, c'est le moment de laisser votre nom dans l'histoire !
Faites confiance au Sénat, étudiez ses propositions pour répondre au cri d'alarme lancé par les personnels soignants. Ceux-ci sont à bout de souffle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Je remercie le groupe CRCE d'avoir pris l'initiative de ce débat. Nous partageons une grande partie des constats. « La santé est un bien qu'il faut conquérir et conserver. Le bien-être n'est ni le confort, ni le contraire de l'effort. Bien-être, c'est être bien. C'est un droit et un devoir, envers soi et envers les autres ». Tels sont les propos de Marie-Rose Moro et Jean-Louis Brison, deux experts missionnés fin 2016 par le Gouvernement pour travailler sur la santé des jeunes.
Le rapport de 2017 du Sénat a souligné la forte fragilité de la pédopsychiatrie en France marquée par une forte augmentation de la demande et la saturation des dispositifs de soins, dans un contexte de démographie médicale préoccupante. Certains départements sont ainsi dépourvus d'offres d'hospitalisation en pédopsychiatrie.
Le Gouvernement a engagé un travail d'analyse pour améliorer le parcours de soins en santé mentale. Je pense notamment aux missions conduites par l'IGAS sur les CMP, les CMPP et les centres d'action médico-sociale précoce.
En tant que secrétaire d'État spécifiquement chargé de l'enfance, je me suis attelé à répondre aux attentes et aux besoins. Or, depuis un an, pas un déplacement, pas un rendez-vous avec des associations ou des professionnels ne s'est conclu sans une interpellation sur la situation de la pédopsychiatrie.
Certaines études ont montré que 32 % des enfants qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance ont des troubles psychiatriques contre 2,6 % dans la population générale.
Quelque 26 % des enfants en pédopsychiatrie ont un père souffrant d'addiction ; pour 16 %, c'est la mère.
Un délégué ministériel, le professeur Franck Bellivier, a été nommé au printemps 2019 sur cette question spécifique. Il se rend dans toutes les régions et territoires et il apportera des réponses concrètes et opérationnelles.
Ce ne sont pas quelques millions, madame Cohen, mais des moyens exceptionnels qui ont été alloués fin 2019 : 20 millions d'euros pour un appel à projets du renforcement des ressources de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Nous avions demandé aux ARS de faire remonter des projets concrets. Quelque 35 projets ont été retenus ; ils renforceront l'offre dans les territoires en grande difficulté par la création de lits d'hospitalisation, de places de crise et de place d'hospitalisation. Les CMP seront renforcés et les équipes mobiles développées.
Des projets ont été retenus dans les Alpes de Haute-Provence, en Corrèze, en Creuse, dans les Côtes d'Armor, dans l'Indre. Non, les départements ruraux ne sont pas oubliés.
La pédopsychiatrie et la périnatalité font partie des thématiques retenues dans le fonds pour les pratiques organisationnelles en psychiatrie, fonds doté de 10 millions d'euros. Quelque 19 des 42 projets retenus visent le repérage et la prise en charge précoce. Cette offre supplémentaire se concrétisera cette année.
La feuille de route Santé mentale et psychiatrie vise à renforcer l'attractivité de la pédopsychiatrie en ville et à l'hôpital, notamment avec la création de 20 postes de chefs de clinique en deux ans. À terme, chaque faculté devra compter au moins un poste de PU-PH sur la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.
Les professionnels qui accompagnent l'enfant au quotidien, notamment les infirmiers, ne seront pas oubliés. Madame Doineau, les textes sur les infirmiers en pratique avancée, mention psychiatrie et santé mentale, ont été publiés en août 2019 ; les élèves spécialisés ont débuté leur formation à la dernière rentrée universitaire.
Toutes les actions menées s'articulent au sein de la feuille de route globale du ministère et du secrétariat d'État à la protection de l'enfance. J'ai présenté ma stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance le 14 octobre 2019 qui inclut un volet important en matière de prévention et protection. Au titre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous expérimentons un parcours de soins coordonné en Loire-Atlantique, Pyrénées-Atlantiques et Haute-Vienne. Nous souhaitons généraliser le dispositif au plus tôt.
Avec Mmes Buzyn et Cluzel, nous renforcerons la réponse à la situation des enfants souffrant de handicap. Ce ne sont pas 15 % mais plus de 25 % des enfants pris en charge par l'ASE qui ont un dossier à la MDPH.
Dans un pays marqué par un fonctionnement en silo, nous allons croiser les approches avec des équipes mixtes et une offre nouvelle, volet obligatoire de la contractualisation avec les départements.
Quelque 15 millions d'euros ont été fléchés vers des dispositifs au service de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. C'est une première.
Concernant la prévention, vous avez pointé avec raison le repérage précoce. Le sujet des 1 000 premiers jours de la vie de l'enfant est emblématique de notre approche préventive. Comme l'a démontré le Prix Nobel d'économie James Heckman, le retour sur investissement de la prévention augmente de façon exponentielle quand on intervient tôt.
Une commission d'experts présidée par Boris Cyrulnik travaille depuis septembre pour nous éclairer sur les fondamentaux scientifiques sur lesquels nous devons nous appuyer et pour en dégager des recommandations de politiques publiques.
Madame Cohen, vous avez rappelé l'importance du langage et des orthophonistes. Nous avons engagé avec ces derniers un partenariat de dépistage en petite section de maternelle sur trois bassins de vie.
Le repérage précoce est aussi au coeur de la stratégie nationale pour l'autisme au sein des troubles du neuro-développement 2018-2022 que porte Sophie Cluzel et avec laquelle je travaille étroitement.
Vous avez pointé, monsieur Rapin, la question des troubles du spectre de l'autisme. Le développement de plateformes d'orientation et de diagnostic autisme est l'un des chantiers majeurs de cette stratégie. Quelque 3 millions d'euros de crédits complémentaires seront alloués aux ARS en 2020 à cette fin.
Je n'entrerai pas dans le débat sur autisme et psychanalyse. Il semble qu'il ne soit pas possible de conclure à la pertinence des interventions psychanalytiques en matière d'autisme.
Mme Laurence Cohen. - Pas seulement en matière d'autisme !
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Au 31 décembre 2019, 29 plateformes étaient ouvertes. Elles seront 47 fin 2020. D'après la déléguée interministérielle Claire Compagnon, nous sommes bien au-delà du cadencement prévu. Je ne dispose pas encore de tous les chiffres, mais en Isère, la plateforme ouverte mi-septembre a pris en charge 70 cas.
Nous mettons en oeuvre à titre exceptionnel en Île-de-France, Grand-Est et Pays-de-la-Loire, le dispositif « Écoutez-moi » pour douze consultations gratuites pour des jeunes en souffrance psychique avec des professionnels libéraux et intégralement remboursées par l'assurance maladie. Pleinement opérationnelle depuis mi-2019, cette expérimentation a déjà concerné 300 jeunes.
À la demande du Président de la République, un appel à projet national doté de 4 millions d'euros a été lancé sur le psychotraumatisme en 2018. La lutte contre les violences faites aux enfants est une priorité absolue et a fait l'objet d'un nouveau plan de mobilisation que j'ai dévoilé le 20 novembre dernier lors de la célébration des 30 ans de la Convention internationale des droits de l'enfant : c'est pour cela que j'ai annoncé la mise en place de cinq nouveaux dispositifs de prise en charge du psychotraumatisme visant à renforcer le maillage du territoire national.
Les projets territoriaux de santé mentale seront tous effectifs d'ici juillet 2020. Des parcours gradués seront élaborés et mis en oeuvre avec les acteurs du médico-social et du social. Nous devons travailler main dans la main avec les collectivités territoriales.
Certes, nous ne sommes pas responsables de 40 ans d'abandon mais, monsieur Tourenne, nous sommes en responsabilité. Nos décisions prises depuis deux ans ne peuvent pas produire d'effets immédiats tant les difficultés sont profondes mais ma détermination et celle d'Agnès Buzyn sont totales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Prochaine séance, demain jeudi 9 janvier 2020, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 heures.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication