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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Hommage au président Jacques Chirac

M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Questions d'actualité

Incendie à Rouen (I)

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Agenda rural

M. Didier Rambaud

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

M. Stéphane Artano

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Incendie à Rouen (II)

Mme Céline Brulin

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Incendie à Rouen (III)

M. Didier Marie

M. Édouard Philippe, Premier ministre

GAFA

M. Claude Malhuret

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Déficit de la sécurité sociale

M. Alain Milon

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Soutien aux forces de sécurité

Mme Christine Bonfanti-Dossat

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Budget de la sécurité sociale

M. Yves Daudigny

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Incendie à Rouen (IV)

M. Jean-François Husson

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Sapeurs-pompiers

M. Olivier Cigolotti

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Situation des agriculteurs

M. Jean-Paul Émorine

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Stage des internes en fin de cycle dans les zones médicales sous-dotées

M. Bernard Buis

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Fiscalité des Français de l'étranger

Mme Jacky Deromedi

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics

Régime de l'assurance chômage

Mme Michelle Meunier

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement

Hommage à une délégation slovène

Mises au point au sujet d'un vote

Commission (Nomination)

Sécurité des ponts : éviter un drame

M. Patrick Chaize, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Michel Dagbert, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports

Mme Françoise Cartron

Mme Éliane Assassi

M. Alain Fouché

Mme Nadia Sollogoub

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Michel Vaspart

M. Jean-Michel Houllegatte

M. Jean-Marie Mizzon

M. Antoine Lefèvre

Mme Nicole Bonnefoy

M. Didier Mandelli

M. Olivier Jacquin

M. Christophe Priou

Mme Catherine Deroche

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Avis sur une nomination

Intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques

M. Yvon Collin, pour le groupe RDSE

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique

M. Pierre Ouzoulias

M. Joël Guerriau

M. Olivier Cadic

M. Jean Bizet

M. Franck Montaugé

M. Jean-Yves Roux

Mme Noëlle Rauscent

M. Jean-Marie Mizzon

M. Cédric Perrin

Mme Sylvie Robert

M. René-Paul Savary

Mme Nadine Grelet-Certenais

M. Jean-Pierre Leleux

Mme Brigitte Lherbier

Mme Florence Lassarade

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE

Annexes

Ordre du jour du jeudi 3 octobre 2019

Nomination à une commission




SÉANCE

du mercredi 2 octobre 2019

2e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Jacky Deromedi, M. Daniel Dubois.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Hommage au président Jacques Chirac

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres.) Jacques Chirac nous a quittés jeudi dernier 26 septembre 2019, dans sa quatre vingt-septième année... La nouvelle de sa disparition nous a plongés dans une grande émotion.

La séance, le matin, a été suspendue dès l'annonce de cette triste nouvelle, rassemblant l'hémicycle dans un moment de recueillement.

Philippe Dallier, qui présidait notre séance l'après-midi, a tenu à rendre un premier hommage du Sénat à cet homme d'État au parcours exceptionnel, qui a profondément marqué la France et les Français.

Nous étions nombreux, les sénateurs et les anciens sénateurs, ce lundi, à la cérémonie d'adieu en l'église Saint-Sulpice.

Au nom du Sénat tout entier et en présence du Premier ministre et de nombreux membres du Gouvernement, je souhaite cet après-midi rendre un nouvel hommage solennel à Jacques Chirac, qui tout au long de plus de cinquante années de vie politique a occupé d'éminentes fonctions.

Il avait de la France une connaissance intime, celle d'un homme qui a gravi tous les échelons des mandats d'un élu de terrain avant de présider au destin de la Nation.

Né de parents corréziens, Jacques Chirac fit ses études primaires et secondaires d'abord à Sainte-Feréole en Corrèze, puis à Versailles et à Paris. Après son bac, rêvant de faire carrière dans la marine marchande, il s'engagea quelques mois comme pilotin sur un cargo charbonnier. Mais son père ne le laissa pas persévérer dans cette voie. Il reprit ensuite ses études, à Sciences Po, puis à l'université Harvard, enfin à l'École nationale d'Administration.

Au cours de son service militaire, il se porta volontaire pour partir vers l'Algérie en guerre. Cette période d'aspirant, de sous-lieutenant le marquera profondément et il ira jusqu'à dire qu'elle fut la plus passionnante de son existence.

Si Jacques Chirac débuta sa carrière à la Cour des comptes, très vite, il s'engagea dans la vie politique.

Dès 1962, à 30 ans, il devint chargé de mission au Secrétariat général du Gouvernement, puis au cabinet du Premier ministre Georges Pompidou, son mentor en politique envers qui il témoigna d'une fidélité indéfectible.

Parallèlement, avec l'énergie et la ténacité qui le caractérisaient, il se lança à la conquête de la Corrèze et se confronta avec succès au suffrage universel : il fut ainsi élu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965, puis député de la circonscription d'Ussel en 1967 et conseiller général du canton de Meymac en 1968.

Candidat aux élections présidentielles de 1981 et 1988, il fut élu en 1995 et réélu en 2002. J'y ajoute une touche personnelle : c'est comme ministre de l'agriculture en 1972 qu'il marqua profondément son empreinte, à l'époque où se mettait en place la PAC.

Autre souvenir plus actuel, sans lui, je n'aurais pas été élu maire de Rambouillet en 1983.

Je conserve aussi le souvenir un peu particulier de sa venue au Sénat, un soir de déclaration de politique générale, suivie d'un débat, le 15 avril 1987, où il arriva « en smoking » pour répondre aux différents orateurs, le groupe d'opposition d'alors ayant estimé qu'André Rossinot, qui était ministre en charge des relations avec le Parlement, ne pouvait seul représenter le gouvernement. Cet effort démontre ses qualités humaines.

J'eus l'honneur, avec d'autres, d'être deux fois ministre dans les gouvernements de Jacques Chirac. Que de souvenirs de ces conseils des ministres ! Je me souviens aussi de ces dimanches après-midi où il nous « convoquait » pour parler emploi et cohésion sociale. Ce sont des souvenirs vivaces !

Jacques Chirac a incarné les valeurs de notre République.

La liberté en refusant toute compromission avec les extrêmes, en assumant le passé de notre pays, ses lumières et ses ombres. Son discours du Vel' d'Hiv' de 1995 en est le symbole le plus éclatant.

L'égalité en tentant de résorber la « fracture sociale », après avoir créé le Samu social lorsqu'il était maire de Paris.

Maire de Paris, il eut cette formidable reconnaissance des Parisiens en remportant le Grand Chelem dans les vingt arrondissements de la ville qu'il a profondément aimée et transformée, tout comme la Corrèze, à laquelle il était si attaché.

La fraternité aussi dans sa proximité avec les Français, dans sa sensibilité à la souffrance de ceux qui sont empêchés par le handicap ou la maladie. J'ai le souvenir du texte de 2005 et de sa présentation en Conseil des ministres. Il attachait beaucoup de prix à être parvenu à faire adopter trois lois en faveur de l'intégration des personnes handicapées. Le plan Cancer constituait, de même que la sécurité routière, un autre grand chantier de son second mandat présidentiel ; il permit des améliorations dans la lutte contre cette terrible maladie.

Sur la scène internationale, le Président Chirac sut conforter la place de la France et développer son rayonnement dans le monde. Il faut avoir vécu un Conseil des ministres franco-allemand avec Jacques Chirac pour mesurer cette dimension de la relation avec notre voisin, avec des chanceliers différents : ce furent des moments de rayonnement constant et humain, où il sut conforter la place de la France, adapter les moyens de notre défense aux exigences du progrès technique et de la modernité. Il décida - ce ne fut pas simple - la professionnalisation des armées. Il chercha à promouvoir le multilatéralisme dans les relations internationales. Portant haut la voix de la France, il n'hésita pas à s'opposer aux Américains ; le « non à la guerre en Irak » restera dans l'Histoire.

Beaucoup évoquent, depuis quelques jours, son cri d'alarme à Johannesburg. Il est vrai que Jacques Chirac s'attacha à la préservation de l'environnement, domaine dans lequel il fut à bien des égards un précurseur. Deux textes majeurs furent adoptés lorsqu'il était Premier ministre en 1975 et 1976. La Charte de l'environnement fut intégrée au bloc de constitutionnalité en 2004, pendant son second mandat présidentiel.

Jacques Chirac était aussi un homme de culture, passionné par l'histoire des civilisations africaines et asiatiques, domaine dans lequel il faisait preuve d'une incroyable érudition. Il nous laisse un grand musée.

C'était un homme chaleureux, attentif aux autres, simple aussi. Il prenait le temps d'avoir un mot pour chacun, puissant ou humble. Il compatissait aux souffrances d'autrui, mais, pudique et discret, il n'évoquait jamais les siennes, alors même que la vie ne l'avait pas épargné.

Sa profonde humanité, sa proximité avec ses concitoyens, son contact charnel avec les Français ont suscité une sympathie qui dépasse toutes les sensibilités, comme en ont encore témoigné, dimanche dernier, les interminables files d'attente pour se recueillir devant son cercueil lors de l'hommage populaire aux Invalides.

Permettez-moi d'ajouter combien Jacques Chirac aimait la France des outre-mer. Il l'aimait passionnément. Il avait compris que la France n'était vraiment la France qu'avec ses outre-mer.

À son épouse Bernadette Chirac, qui a tant oeuvré pour nos hôpitaux - j'y suis sensible, ayant présidé la Fédération Hospitalière de France - à sa fille, Claude Chirac, à son petit-fils Martin, à toute sa famille et ses proches, ainsi qu'à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire, au nom du Sénat, en ce moment de recueillement, la part que nous prenons à leur chagrin. Peu d'entre nous l'ont connu Premier ministre... Quand sa grande silhouette arrivait ici, car c'était un grand homme d'État attaché au bicamérisme, c'était toujours un moment particulier. Je vous propose de vous recueillir un instant puis je vous donnerai la parole, monsieur le Premier ministre. (Mme et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, observent un temps de recueillement.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Beaucoup de choses ont été dites et très bien dites, sur Jacques Chirac. Par le président de la République, par vous-même, par de nombreux Français célèbres et inconnus. Sur ce sublime guerrier de la politique, son incroyable carrière, sans doute unique en son genre, ses victoires à la hussarde, ses défaites retentissantes, ses erreurs - qui n'en commet pas, surtout pendant une carrière aussi longue ? - sur ses intuitions politiques profondes.

Beaucoup de choses ont été dites et très bien dites sur les décisions majeures qu'il a prises, parfois soutenu, parfois seul, dont nous mesurons aujourd'hui la sagesse et la perspicacité.

Beaucoup de choses ont été dites et très bien dites sur sa personnalité attachante et complexe, ses habitudes, ses goûts, ses combats secrets et ses blessures intimes. Beaucoup de ces récits proviennent de compagnons, dont vous êtes, monsieur le président, ainsi que certains qui sont ici, et sont parfois devenus ses amis.

La politique peut être brutale, elle n'est pas toujours à la hauteur de ce qu'elle devrait être, mais elle est parfois aussi le lieu d'expression d'un certain panache et le creuset de profondes amitiés, qui dépassent les clivages, en particulier quand il s'agit de défendre une idée, un territoire, la Nation, des valeurs communes.

Le Sénat incarne lui aussi excellemment cette opiniâtreté courtoise de la République. « C'est beau mais c'est loin. » Au-delà de la formule, ce mot rappelle que Jacques Chirac a été un grand élu local, à la fois représentant de la France rurale et maire d'une des plus puissantes métropoles d'Europe. Il a montré que l'un n'exclut pas l'autre.

Nous sommes nombreux à avoir sillonné un canton de long en large, car nous savons qu'un territoire n'est pas un dossier et que pour le connaître, il faut l'arpenter physiquement, presque mètre carré par mètre carré. Nul n'a plus sillonné la France que Jacques Chirac. Pour avoir moi aussi emprunté des routes cabossées, jusqu'à des endroits comme il en existe partout en France, il m'est arrivé de dire cette phrase en moi-même, comme vous sans doute : « C'est beau mais c'est loin ». C'est peut-être justement parce que c'est loin que c'est beau, mais c'est un autre débat.

Pour Jacques Chirac, aucun territoire de la République n'était trop éloigné. C'est vrai pour le territoire métropolitain. C'est encore plus vrai pour les outre-mer auxquels il était si attaché. Au moment même où des élus des outre-mer rendaient hommage à Jacques Chirac, parmi des centaines de compatriotes, en l'église Saint Sulpice, Place de la République à Mamoudzou, à Mayotte, aux Jardins de l'État à Saint-Denis de La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie, des milliers de citoyens se sont rassemblés pour exprimer leur émotion dans plusieurs Livres d'or. Les quotidiens d'outre-mer ont consacré leurs unes à Jacques Chirac. Entre 1986 et 1988, il a su, grâce à la défiscalisation, orienter l'investissement privé vers les outre-mer. Autre inflexion majeure, aboutissement d'un long combat, l'alignement des salaires minimum et des prestations sociales des outre-mer sur la Métropole.

Souvenir plus douloureux, le drame d'Ouvéa en 1988, débouchera pourtant, dix ans plus tard, sous la présidence de Jacques Chirac et par le travail du Premier ministre Lionel Jospin, sur les accords de Nouméa et le gel du corps électoral pour les élections provinciales. Responsables indépendantistes et non-indépendantistes en Nouvelle-Calédonie ont salué avec la même émotion la mémoire du président défunt.

La décision difficile, car éminemment stratégique, de relancer les essais nucléaires en Polynésie française, a suscité des contestations parfois violentes, mais a assuré notre indépendance.

Jacques Chirac a enfin reconnu la mémoire de l'esclavage dans le droit fil du rapport d'Édouard Glissant. Une date officielle de commémoration a été instituée le 10 mai. C'est une politique qui consiste à regarder le passé droit dans les yeux et à nommer les choses.

Jacques Chirac, bien qu'il en ait toutes les qualités, n'a jamais été sénateur, et cela ne l'a pas empêché de bien connaître le Sénat, avec lequel il a toujours entretenu des relations courtoises, comme il le dît en 1995 en recevant son Bureau ! C'est un sénateur, Jean-Pierre Raffarin, qu'il a nommé Premier ministre pour engager l'acte II de la décentralisation, qui s'est traduit dans la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

Son patriotisme ignorait le chauvinisme, pour paraphraser Malraux. Sa France souveraine, autonome, farouchement indépendante, c'était celle du multilatéralisme, du projet européen, de l'amitié franco-allemande, de la cause écologique, du combat pour réduire les inégalités entre le Nord et le Sud, soit une conception très gaulliste, en somme. En mars 2007, il nous exhortait à refuser l'extrémisme sous toutes ses formes. Douze ans après, ses propos n'ont rien perdu de leur acuité.

Je pense à son épouse, à sa fille Claude, à son petit-fils. Après la défaite de 1988, son épouse avait déclaré : « Les Français n'aiment pas mon mari ». Ils l'aimaient passionnément, peut-être plus qu'ils ne l'imaginaient eux-mêmes, et que lui-même sans doute ne l'aurait pensé. Ils l'aimaient comme on aime parfois ceux qui vous ressemblent le plus, avec des intermittences, des impatiences, mais aussi avec une profonde tendresse et une fidélité peu commune qui résistent à tout, aux vicissitudes de la vie politique, aux erreurs, aux opinions du moment, et surtout, au temps. (Applaudissements sur la plupart des travées ; Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, observent à nouveau, à l'invitation de M. le président, un moment de recueillement.)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Soyez attentifs au respect des uns et des autres et du temps de parole.

Incendie à Rouen (I)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Jeudi dernier, un terrible incendie qui, heureusement, n'a fait aucune victime, a ravagé l'usine Lubrizol de Rouen. Merci aux forces de l'ordre, aux salariés de l'usine et à nos pompiers, car le pire a été évité.

Chez les habitants, une colère légitime demeure. Les enquêtes doivent déterminer les responsabilités. Des réponses précises et des explications claires sont attendues.

Lors de votre venue, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes engagé à la transparence, qu'impose l'article 7 de la Charte de l'environnement. Les prochaines analyses doivent nous informer sur les molécules dégagées. Un suivi médical strict doit être mis en place. Si l'état de catastrophe technologique n'est pas déclaré, que ferez-vous pour indemniser les victimes ? Je remercie Didier Guillaume qui a reconnu la gravité de la situation et promis des aides à nos agriculteurs, éleveurs et maraîchers des 206 communes de Normandie et des Hauts-de-France impactées. L'ensemble des maires doivent être informés pour jouer leur rôle auprès de la population. Certains regrettent de n'avoir pu le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Michel Savin applaudit également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Lundi soir, nous étions sur le site avec d'autres parlementaires. Cet incendie spectaculaire et grave a été maîtrisé en douze heures sans victimes grâce à l'exceptionnelle qualité de l'intervention des pompiers. Ils ont su éviter l'effet domino et l'expansion du feu vers une zone de production. Une remarquable collaboration entre les salariés, les forces de l'ordre et de secours l'a empêchée.

Je comprends l'émotion et l'inquiétude des habitants qui peut aller jusqu'à la colère. Je redis l'engagement ferme du Gouvernement et de l'État à la transparence totale. Toutes les informations, tous les résultats des analyses seront communiqués au public.

Le principe de précaution a été appliqué avec vigilance dès le début. Le préfet - auquel je redis tout mon soutien, car son action était délicate - a reconnu que la qualité de l'information à destination des maires n'avait peut-être pas été, dans les premières heures, à la hauteur des attentes légitimes des premiers magistrats des communes concernées. Les retours d'expérience sont utiles pour apprendre et améliorer.

Nous avons fait nettoyer toutes les écoles avant leur réouverture lundi. Des consignes de surveillance ont été données, dès vendredi. Des analyses de l'eau, de l'air et des sols seront menées, dont les résultats seront tous rendus publics, j'y insiste.

Le préfet de Normandie rendra compte de l'avancement des travaux chaque semaine lors d'une conférence de presse, appuyé par une cellule nationale d'appui scientifique, car beaucoup de questions techniques demeurent posées qui appellent des réponses précises. Le directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), ainsi qu'un expert de Santé publique France et le chef du service de pneumologie du CHU de Rouen seront associés à ces prises de parole.

Hier soir, le préfet a rendu publique la liste des produits qui étaient conservés dans l'entrepôt qui a brûlé. Cette liste mentionne les caractéristiques précises des produits et les risques associés.

Sur la base de cette liste, nous saisirons l'Ineris et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Nous ne savons pas tout aujourd'hui, mais tous les prélèvements font apparaître une qualité de l'air habituelle à Rouen. Les premiers résultats dans un rayon de 300 mètres autour du site ne montrent aucune anomalie sur le plan sanitaire.

J'ai bien conscience que les odeurs incommodantes qui perduraient hier inquiètent la population. Elles ne présentent pas de risque pour la santé. Des opérations de nettoyage du site sont en cours.

Je vous prie d'excuser cette réponse très longue...

M. le président.  - Il est important que la population soit informée à travers le Sénat.

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - La loi Bachelot de 2003 a mis en place un régime d'indemnisation des catastrophes technologiques. Le précédent d'AZF à Toulouse, en 2001, où des milliers de logements ont été touchés, sert de modèle ; mais dans le cas présent, d'après les premières analyses, les critères ne semblent pas adaptés : le dispositif ne couvre pas les dommages des producteurs agricoles.

Je veillerai, avec le Gouvernement et l'État, que les agriculteurs, les riverains et tous ceux qui ont subi un préjudice puissent mettre en cause la responsabilité de l'entreprise, de l'industriel ; seule en cause dans le régime des installations classées.

Quant à la mise en place d'une étude épidémiologique, le Gouvernement mettra tout en oeuvre pour faire connaître l'ensemble des causes et des conséquences de cette catastrophe industrielle dont nous veillerons à ce qu'elle ne devienne pas une catastrophe sanitaire ou environnementale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Cette crise est grave. Toutes les leçons ont-elles été tirées du drame d'AZF ? Nous créerons une commission d'enquête au Sénat pour qu'un tel cas ne se reproduise pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Agenda rural

M. Didier Rambaud .  - Au congrès des maires nous a été présenté l'agenda rural avec ses 173 mesures. Il fait du cousu main : il n'y a plus une seule ruralité, mais plusieurs formes de ruralité, depuis l'hyper-rural jusqu'au périurbain.

Maire d'une commune rurale et d'un bourg-centre, je sais que nos communes attendent ces mesures depuis longtemps : accès facilité aux aides et aux services comme les cartes de transports, ou le numérique, ainsi qu'au système de santé. Après le temps des annonces, vient celui des actes concrets.

Madame la ministre, comment est définie la carte des géographies prioritaires des ruralités et quel est le calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Oui, il existe des ruralités, et il faut passer des annonces aux actions. Le Gouvernement a repris beaucoup des propositions de la mission de l'agenda rural.

Ainsi nous définissons une géographie prioritaire des territoires ruraux. Les ZRR couvrent près d'une commune sur deux ; le temps est venu d'évaluer leur effet. Mme Espagnac et MM. Pointereau et Delcros ont récemment publié un rapport sur le sujet.

Le Gouvernement va prolonger jusqu'à fin 2020 le zonage des 4 074 communes ZRR qui devraient en sortir en juin 2020.

Le Gouvernement veut partir des besoins des territoires et co-construire les solutions avec ceux qui les représentent.

Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

M. Stéphane Artano .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE) Une mission d'information du Sénat, conduite par Jacques Mézard et Alain Milon, proposait 41 recommandations pour la lutte contre les dérives sectaires. L'efficacité de la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), créée en 1996, n'est plus à démontrer : en témoigne sa récente révélation d'un essai clinique non autorisé sur 350 personnes atteintes d'Alzheimer et de Parkinson.

Unique au monde car à la fois observatoire et régulateur, elle nous est enviée par tous. Or depuis un an elle n'a plus de président et des rumeurs de rattachement circulent, au ministère de l'Intérieur, auprès du Bureau des cultes ou auprès du Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Cela signifie-t-il qu'elle perdrait ses pouvoirs en termes de police judiciaire ? Quelles sont vos intentions ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE ; Mmes Valérie Létard et Pascale Gruny applaudissent également.)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Depuis 2002, la Miviludes a analysé le phénomène des dérives sectaires, coordonne la prévention de la répression et forme les agents publics tout en sensibilisant le public aux dérives sectaires.

Depuis lors, d'autres organismes ont vu le jour qui nécessitent un meilleur partage des informations et des compétences, parce qu'ils travaillent également sur les phénomènes d'emprise mentale et autres, tel que le secrétariat général du Comité de prévention de la délinquance et de la radicalisation. C'est pourquoi il a été décidé de rattacher la Miviludes au ministère de l'Intérieur, conformément au rapport de la Cour des comptes de 2017. Mais ses moyens et ses missions ne sont aucunement remis en cause. Il n'est pas question de revenir en effet près de vingt ans de bilan très positif. (M. le Premier ministre approuve ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Incendie à Rouen (II)

Mme Céline Brulin .  - Monsieur le Premier ministre, vous avez enfin accepté de publier la liste des produits stockés chez Lubrizol. J'imagine que l'État en disposait depuis longtemps. Pourquoi ne pas avoir analysé plus tôt la toxicité de ces produits ? Les élus locaux vont se réunir comme nous le demandions. Pouvez-vous nous garantir qu'ils seront associés à tous les niveaux, ce qui n'a pas été le cas ? L'isolement, le mépris qu'ils ont ressentis sont non seulement regrettables, mais contre-productifs, car le Gouvernement s'est privé de relais efficaces.

L'usine Lubrizol a bénéficié de ce que vous appelez une « simplification » de la législation - disons plutôt d'un détricotage de cette législation environnementale. Nous attendons des réponses précises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues du groupe SOCR applaudissent également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Je me suis également rendue sur le site et mesure pleinement l'émotion et l'inquiétude des populations. Je redis l'engagement du Gouvernement à agir avec la plus grande exigence et dans une transparence totale. Dès le début de l'incendie, une surveillance de l'environnement a été lancée. Les analyses ont fait apparaître l'absence de concentration anormale de molécules toxiques.

La liste des produits présents sur la partie incendiée du site - qui représente 15 % - a été publiée, hier. Nous ne connaissions que la liste des produits autorisés sur l'ensemble du site. Sur cette base, nous allons, avec Agnès Buzyn, saisir l'Anses et l'Ineris pour des analyses supplémentaires.

Les élus seront associés et tous les éléments seront fournis à la commission d'enquête.

Mme Céline Brulin.  - Vous répétez en boucle des réponses qui ne correspondent pas à ce qu'attendent nos concitoyens.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Céline Brulin.  - Nos concitoyens attendent une protection de l'État. Cette demande est légitime. Écoutons-les. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)

Mme Martine Filleul.  - Très bien !

Incendie à Rouen (III)

M. Didier Marie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) J'associe Nelly Tocqueville, sénatrice de Seine maritime, ainsi que nos collègues des Hauts de France, à mon intervention. L'incendie de Lubrizol a produit une fumée tapissant jardins, cours d'écoles, maisons et récoltes, telle une véritable marée noire terrestre. Le dévouement et le courage des 240 sapeurs-pompiers ont évité le pire.

Mais les maires ont été livrés à eux-mêmes, les consignes de confinement étaient confuses, la colère a rempli le vide de l'information.

Quand le préfet dit qu'il n'y a pas de toxicité aigüe, il reconnaît implicitement qu'il y a une toxicité... Pas moins de 165 fûts ont été endommagés et les agriculteurs de 206 communes ne sont toujours pas autorisés à faire leurs récoltes.

Pour apaiser les angoisses, il faut être transparent, mettre en place un suivi médical de long terme, reconnaître l'état de catastrophe technologique, appliquer dès aujourd'hui le principe du pollueur-payeur. C'est ainsi que l'on rétablira la confiance et la sérénité, en faisant preuve de sérieux et de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Les engagements de transparence totale du Gouvernement, je les ai rappelés à Catherine Morin-Desailly. Mais je ne puis produire le résultat des analyses avant qu'elles aient été conduites. Dès que nous les aurons, nous les communiquerons.

Tout ce qui est connu sera rendu public, et ne manquera pas de soulever de nouvelles interrogations... mais nous y répondrons.

Je mesure, et je déplore, la défiance à l'égard de la parole publique ; mais je ne crois pas pour autant me mettre à dire n'importe quoi ou arrêter de donner des informations !

Oui à la transparence, au suivi scientifique de long terme, à la discussion des éléments scientifiques mis au jour par l'Anses et l'Ineris. La discussion ne me fait pas peur : elle aura lieu.

L'instrument juridique conçu par le Parlement en 2003 ne répond en rien aux caractéristiques de cet accident. Je ne veux pas me payer de mots. Je dis les choses telles qu'elles sont.

Je le redis : la responsabilité incombe à l'industriel. C'est le sens de toute la législation sur les installations classées. La loi sera appliquée avec vigueur et transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

GAFA

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Vingt ans de développement hors de toute régulation ont permis aux géants d'internet de devenir les maîtres absolus du marché, voire du monde.

Google truste 90 % des moteurs de recherche, Facebook représente deux tiers de la publicité sur internet, Amazon la moitié de la vente en ligne aux États-Unis. En adoptant, pour s'opposer à ces nouveaux empires, la taxe sur les services numériques (TSN), la France s'est attiré l'hostilité de ces géants et les foudres du président des États-Unis, qui veut adopter des mesures de rétorsion contre les vins français.

Amazon annonce son intention de répercuter cette taxe sur les vendeurs de sa plateforme : 10 000 PME se retrouvent pieds et poings liés. Le 24 octobre, Google entend forcer les éditeurs de presse à lui céder tous leurs droits, tout en faisant pression sur les autres États membres pour une transposition plus favorable de la directive relative aux droits d'auteur et aux droits voisins.

Monsieur le Premier ministre, le Sherman Act de 1890, la réglementation européenne ne sont plus adaptés aux pratiques des Gafam. Piller la production des éditeurs de presse, racheter la concurrence, monopoliser la publicité, ce n'est plus la même chose que concentrer 90 % du marché du dentifrice. Rien à voir avec la Standard Oil en 1911 ou AT & T en 1982 !

Il faut redéfinir la législation antitrust. Que fait l'Union européenne ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et SOCR)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Parallèlement aux annonces d'Amazon contre la taxe sur les services numériques, Google a présenté la semaine dernière un nouvel outil de publication qui ne respecte pas les droits voisins. Le timing n'est pas un hasard. Il n'est pas acceptable que des acteurs changent unilatéralement les règles d'utilisation pour contourner leurs obligations légales.

L'objectif politique des deux règlements - taxe sur les services numériques et proposition de loi sur les droits voisins, qui transposent la directive européenne - sont là pour un égal partage de la valeur produite y compris sur les supports numériques.

Les entreprises doivent mesurer qu'en s'y opposant, c'est aux citoyens libres des États qu'elles s'opposent. Je veux croire que Google a fait une erreur d'appréciation et ne cherche pas à engager une épreuve de force. Le ministre de la Culture a invité l'entreprise à reprendre les négociations.

La réponse doit être européenne. Si nous voulons bâtir l'espace de liberté que nous appelons de nos voeux, l'Union européenne doit se saisir de ces problèmes. Cela implique d'étendre l'ambition de la Commission. Ce n'est pas une petite chose : les avis divergent en Europe.

C'est un des éléments qui ont été au coeur de la discussion entre le président de la République et la nouvelle présidente de la Commission, et dans la nomination des commissaires. Nous avons en face de nous des lobbies puissants. Mais il faut livrer ce combat. (Applaudissements des travées du groupe LaREM jusqu'à celles du groupe Les Républicains)

Déficit de la sécurité sociale

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse au ministre des Comptes publics. Mme Dubos aura la lourde charge de répondre. La sécurité sociale est malade et vous aggravez son état en la privant de 3 milliards d'euros avec les mesures d'urgence pour répondre aux gilets jaunes et, contre la loi Veil de 1974, en mettant fin à son autonomie et à son universalité. Alors que la branche famille est excédentaire, vous gelez des aides aux familles. Quant à votre réforme des retraites, on voit mal comment elle contribuera à rétablir l'équilibre des comptes. Le Gouvernement entend-il uniquement agir sur la baisse des pensions d'aujourd'hui et de demain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Le Gouvernement a adopté fin 2018 des mesures fortes pour améliorer le pouvoir d'achat des Français. Notre objectif en matière de désendettement de la sécurité sociale reste entier. L'effort de maîtrise des dépenses sociales sera poursuivi l'an prochain. (Exclamations à gauche)

Le projet de loi de finances prendra mieux en compte les parcours de vie et l'accompagnement des familles monoparentales. (Mêmes mouvements) Nous prenons en compte de nouveaux risques sociaux, nous entendons mieux lutter contre les déserts médicaux. (Exclamations sur de nombreuses travées) Vous aurez à débattre de tous ces sujets dans la loi de finances et la loi de financement (Mêmes mouvements ; applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)

M. Alain Milon.  - Simone Veil disait que la sécurité sociale « c'est d'abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale en France, que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures ».

Souhaitons que vous restiez fidèles à cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SOCR)

Soutien aux forces de sécurité

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - Les policiers sont dans la rue. Ils crient leur rage à cause des violences subies et qui restent impunies, à cause de l'indifférence générale quand leur fonction est salie, à cause du sentiment d'être lâchés par les autorités. Ils ne sont pas les seuls : les pompiers, les personnels d'hôpitaux, les enseignants crient aussi leur désespoir : agressions, violences verbales et physiques, menaces, eux aussi sont seuls face à ces tensions quotidiennes. Et n'oublions pas les maires, qui, comme on l'a vu cet été, ne sont plus seulement à portée d'engueulade, comme aime à le dire notre président, mais à portée de coups. Ils font face avec détermination, faute de soutien, mais la résistance humaine a des limites.

Faute de réponse pénale, faute d'une politique qui ne concède rien à la violence, nous assistons à une perte d'autorité sans précédent. C'est dire le sentiment d'abandon par la puissance publique. Or un État qui ne protège pas ses serviteurs est un navire sans boussole.

Monsieur le ministre, quand vous déciderez-vous à sanctionner ceux qui appellent à la violence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Oui, la police souffre d'un trop long abandon budgétaire, elle paie les conséquences des baisses d'emplois alors même que les attentats et la menace terroriste exigeaient de se mobiliser toujours davantage. (Exclamations sur de nombreuses travées)

Nous augmentons le budget des forces de l'ordre : celui de la police nationale augmentera d'un milliard d'euros, et de 5,3 % dans la prochaine loi de finances; 10 000 emplois seront créés, 1 398 policiers supplémentaires seront recrutés.

Nous allons améliorer les conditions d'exercice des gardiens de la paix. D'abord par des revenus supplémentaires, avec une augmentation représentant 130 euros nets par agent. Ensuite, par un effort immobilier sans précédent, qui représentera 300 millions d'euros dans le prochain budget.

M. François Grosdidier.  - Ce n'est pas assez !

M. Christophe Castaner, ministre.  - C'est plus qu'avant. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM ; protestations à droite)

M. François Grosdidier.  - Payer les heures supplémentaires !

Budget de la sécurité sociale

M. Yves Daudigny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Il y a tout juste un an, le Gouvernement annonçait que la sécurité sociale dégagerait un excédent de 700 millions d'euros cette année. Or le déficit atteint 5,4 milliards et nous serions, l'an prochain, à un déficit de 5,1 milliards d'euros. Y a-t-il eu dérapage financier depuis 2001 ? Non ! La faute en est-elle à des dépenses exceptionnelles ou à des crédits qui viendraient légitimement au secours de l'hôpital ? Guère plus.

Il y a un an, le Gouvernement se préparait à transférer les excédents de la sécurité sociale vers le budget de l'État. Pillage, ont dit certains. Aujourd'hui, vous dérogez à la loi Veil en refusant de compenser vos choix fiscaux. Quelle est la philosophie du Gouvernement pour la sécurité sociale du 21e siècle ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2020 poursuit la transformation vers un système social plus juste, tout en soutenant le pouvoir d'achat des Français. Il prend mieux en compte les nouveaux risques sociaux : accompagnement des familles monoparentales, création d'un parcours d'accompagnement pour les personnes se remettant d'un cancer, fonds d'indemnisation pour les victimes de pesticides, ouverture du congé de proche aidant, une mesure portée par les sénateurs Jocelyne Guidez et Olivier Henno.

Nous entendons la demande sociale. Le PLFSS 2020 poursuit l'effort important de maîtrise des déficits, tout en protégeant les citoyens les plus fragiles.

M. Yves Daudigny.  - Nous devons acter notre profond désaccord de fond, qui porte sur des valeurs, celles de solidarité et de justice que porte notre protection sociale. La sécurité sociale est une assurance solidaire de toute la société. Ce n'est pas une chambre de compensation de déficits de l'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Roger Karoutchi et Mme Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

Incendie à Rouen (IV)

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Quatre questions au Gouvernement démontrent la gravité de la situation provoquée par l'incendie de 5 000 tonnes de produits chimiques dans l'usine Lubrizol à Rouen. La population attend des réponses claires et sans ambiguïté. Elles se sont trop fait attendre. Une communication brouillonne et inadaptée n'a fait qu'accroître le malaise et le sentiment que la crise est mal gérée.

Madame la ministre, a-t-on tiré les leçons de l'incident de 2013, et si oui, sur quelles mesures ont-elles débouché ? Les réglementations Seveso ont-elles été intégralement respectées ? Pourquoi avoir attendu cinq longues journées pour publier la liste des produits présents sur le site ? Vous engagez-vous à une totale transparence sur les analyses engagées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - À nouveau, je veux rendre hommage à l'engagement total des services de l'État et des forces de la sécurité civile, mobilisés sur le terrain face à cette catastrophe industrielle. Nos services se sont pleinement engagés pour réaliser et faire réaliser par l'exploitant de nombreux prélèvements dans l'air, dans l'eau, dans le sol. Les résultats des analyses ont été rendus publics, ceux des analyses à venir le seront également.

Les leçons de 2013 ont été en effet tirées. À l'époque, les services de l'État n'avaient pas la capacité de faire réaliser des analyses dans un délai aussi bref. Forcément, nous aurons encore à progresser et nous devons encore nous améliorer, comprendre pourquoi l'incendie s'est déclaré. Pas moins de 39 inspections avaient eu lieu sur le site depuis 2013, dont 10 ces deux dernières années. Il faudra analyser les causes du drame. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean-François Husson.  - Entretenir le flou par la cacophonie, ce n'est pas acceptable. La parole publique a été défaillante. Pas moins de cinq ministres se sont rendus sur place et ont tenu cinq discours différents. Les défis et enjeux écologiques exigent la transparence. Nous avons un devoir de vérité. Il reste beaucoup à faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Sapeurs-pompiers

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre de l'Intérieur, le Premier ministre a rendu un hommage légitime à l'intervention de nos sapeurs-pompiers, dont l'engagement sans faille force notre respect. Or, sur-sollicités pour des missions non urgentes, les soldats du feu sont à bout de souffle. Ils sont devenus dans nos territoires des soldats de la santé, à force de pallier les lacunes de notre système de santé.

Lors du congrès de la fédération nationale, à Vannes, il y a quelques jours, vous rappeliez la relation spéciale entre les Français et les sapeurs-pompiers. Mais ils ne peuvent répondre à tous les défis, au changement climatique, à la désertification médicale, à la réorganisation et disparition des services publics. Leur situation est comparable à celle des urgences.

Beaucoup de questions sont posées, peu de réponses apportées. Aucune information sur la future directive européenne sur le temps de travail ; pas de suite législative au rapport Volontariat ; rien sur le transport héliporté.

Deux ans après l'annonce, par le président de la République, du lancement d'un numéro d'urgence unique, le 112, la France reste à la traîne dans la prise en charge des appels d'urgence. La France va-t-elle se priver d'objectifs ambitieux en matière de sécurité civile ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Oui, le malaise est palpable. Pas moins de 84 % de l'activité des sapeurs-pompiers est mobilisée par les appels individuels d'urgence, souvent pour des interventions qui ne relèvent pas de leurs compétences.

Nous travaillons à la mise en place de plateformes communes d'appel ; la Loire, la Haute-Loire ont déjà fusionné leurs plateformes.

Avec la ministre de la Santé, nous allons mettre en place des coordinateurs ambulanciers, améliorer la collaboration entre l'ARS et les SDIS, limiter le temps d'attente aux urgences.

Quant à l'arrêt Matzak, de la CJCE, il n'aura pas de conséquence négative sur le modèle français du volontariat.

Enfin, nous faisons un effort sur la grille salariale, mais je ne peux engager de dépenses relevant des départements et des mairies sans leur accord - je réunis les financeurs le 10 octobre prochain. (Applaudissements sur quelques travées du groupe LaREM)

Situation des agriculteurs

M. Jean-Paul Émorine .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Hier après-midi, le débat au Sénat a porté sur la place déclinante de l'agriculture française sur les marchés internationaux. Elle n'occupe plus que la moitié de la surface de notre territoire.

Nos agriculteurs se désespèrent. Leurs revenus sont en moyenne de 500 euros par mois. La loi EGalim a été une déception de plus, que le Sénat avait prédite sans être écouté.

Les plus jeunes sont endettés et les plus âgés, désespérés. Certains vont jusqu'à commettre le geste ultime, plongeant les familles dans le deuil. Que dirait-on d'une catastrophe qui fait 300 morts par an ? Quelles mesures structurelles et conjoncturelles allez-vous prendre pour enrayer cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Veuillez excuser le ministre de l'Agriculture, qui participe à la foire internationale de Cournon.

Vous évoquez le drame du suicide des agriculteurs et la situation très difficile pour les professions agricoles.

Sur l'élevage, la conjoncture de la filière Lait s'améliore : le prix payé au litre a augmenté depuis janvier. On perçoit les premiers effets de la loi EGalim. Nous restons vigilants sur la possibilité d'un Brexit dur et un rétablissement des droits de douane aux États-Unis.

Pour la filière Viande en revanche, la conjoncture est plus difficile, la mise en oeuvre des orientations des plans de filières est plus que jamais nécessaire. Nous pouvons faire mieux que les 200 tonnes exportées vers la Chine.

Un suicide tous les deux jours, c'est toujours un drame familial mais aussi national, c'est une crise de sens. Nous devons trouver les mots et éviter de vilipender les agriculteurs. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean-Paul Émorine.  - Cette réponse n'est pas satisfaisante. Nous défendons nos terroirs et nos territoires pour maintenir les hommes et les femmes sur le territoire, eux qui travaillent sans compter : monsieur le ministre, prenez les décisions qui s'imposent et qui sont devenues des plus urgentes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)

Stage des internes en fin de cycle dans les zones médicales sous-dotées

M. Bernard Buis .  - Dans cette assemblée, en juin dernier, dans le cadre de l'examen sur la transformation du système de santé, nous débattions de la possibilité pour les internes d'effectuer leur stage de troisième cycle ambulatoire dans les zones sous-dotées. Les élus de ces territoires peuvent vous dire à quel point le manque de médecins y est cruel et combien il est difficile de trouver un médecin traitant. Cette bonne mesure, concrète, réaliste et pragmatique a été saluée par les acteurs de la profession. Elle favorise l'installation des jeunes praticiens dans ces territoires. C'est une mesure d'urgence. Dans ses annonces du 23 septembre, le Premier ministre a confirmé l'engagement de 600 médecins salariés dans les déserts médicaux.

Comment appliquerez-vous très rapidement ces mesures et comment ferez-vous pour y associer les maires ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Le Gouvernement entend l'inquiétude légitime dans les territoires. Depuis 2017, nous avons apporté des réponses en faveur de l'accès aux soins. Nous avons augmenté le nombre de maisons de santé de 37 % en deux ans, 80 % sont en milieu rural. Nous multiplions les outils : coopération professionnelle, développement du numérique, assistants médicaux, déploiements de 400 médecins généralistes entre médecine de ville et hospitalière dans les zones tendues.

Nous systématiserons le stage des internes en zones sous-dotées à compter de 2021. Les contours seront définis par décret pour plus de souplesse dans l'organisation territoriale des stages. Un groupe de travail a été mis en place. Je retiens votre proposition d'y associer les élus locaux.

M. Bernard Buis.  - Merci pour ces précisions. (Murmures ironiques sur les travées du groupe Les Républicains)

Fiscalité des Français de l'étranger

Mme Jacky Deromedi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Gouvernement aime-t-il les Français de l'étranger ? Des centaines de Français de l'étranger ont vu une augmentation faramineuse de leurs impôts, CSG, CRDS et prélèvement de solidarité à 17,20 %. C'est une catastrophe fiscale. Ils ne bénéficient d'aucune prestation en France.

De plus les Français de l'Union européenne ont saisi la CJUE et obtenu une exemption du prélèvement de solidarité de 17,20 % ; les Français hors Union européenne y restent soumis. Pourquoi cette injustice ?

Pour la retenue à la source, vous avez décidé d'augmenter le taux minimum de 20 à 30 %, à quoi il faut ajouter la CSG et la CRDS pour les résidents hors UE. Pour ceux dont les revenus sont inférieurs à 25 519 euros, la retenue à la source est de 27,5 % lorsqu'ils résident dans l'UE, et de 37,20 % lorsqu'ils résident hors de l'UE. Pour ceux dont les revenus sont supérieurs à 2 300 euros par mois, la retenue sera, hors Union européenne, de 47 %, contre 37 % dans l'Union européenne. Pourquoi cette discrimination ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - Vous utilisez des termes assez durs... Dans la loi de finances 2019, nous avons réformé la fiscalité des non-résidents en mettant en place une retenue à la source de droit commun.

Nous avons aussi choisi un taux minimum d'imposition. Les conséquences sont à relativiser : le droit commun est plus ou moins avantageux en fonction de la composition du foyer et de la nature des revenus ; il est toujours possible d'opter pour l'imposition au taux moyen.

Il y a aussi de nouveaux avantages pour les non-résidents, comme la déduction des pensions alimentaires.

M. François Bonhomme.  - On vous croit sur parole !

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - La jurisprudence de Ruyter a été inscrite en droit français en 2019 et rendue effective par le Gouvernement français. Il y a certainement des améliorations à apporter ; le Gouvernement y travaillera dans le projet de loi de finances 2020.

Régime de l'assurance chômage

Mme Michelle Meunier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'Unedic vient de démontrer que les deux décrets de la réforme de l'assurance chômage feront bien des perdants : 1,3 million de chômeurs, soit 4 sur 10, verront leur indemnité baisser ; plus de 20 000, soit 10 %, en seront privés. La baisse des allocations sera de 19 % en moyenne.

C'est un mouvement de précarisation massif qui surviendra si vous appliquez les nouvelles règles au 1er novembre. De l'avis des associations représentants les précaires et des syndicats, ce seront les plus jeunes et les plus fragiles qui seront les plus touchés.

Madame la ministre, votre vision est très conservatrice. Vous dites que ces mesures inciteront les chômeurs à reprendre une activité mais cela masque mal des ambitions d'économies budgétaires. Les agents de Pôle emploi craignent une poussée d'agressivité. Qu'allez-vous faire pour les accompagner et les protéger ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Veuillez excuser Mme Pénicaud.

En France, 87 % des embauches sont réalisées en CDD dont 70 % de moins d'un mois et, parmi ceux-là, 85 % sont des réembauches. Le Gouvernement ne peut pas accepter cette réalité.

Un chômeur sur cinq peut toucher plus du chômage qu'en travaillant. (On s'indigne sur les travées du groupe SOCR.)

Nous avons voulu en terminer avec le recours abusif aux contrats courts, en modulant la cotisation chômage de l'employeur en fonction de ses pratiques. Nous avons aussi incité à la reprise sans changer le capital d'indemnité auquel les demandeurs d'emploi ont droit, mais en les répartissant différemment dans le temps. Enfin, nous renforçons considérablement l'accompagnement des personnes en recherche d'emploi. Le ministre du Travail va annoncer un grand nombre d'embauches à Pôle Emploi. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président.  - Mme Meunier, vous avez 8 secondes de réplique.

Mme Michelle Meunier.  - 8 secondes : c'est trop ! Devant tant de caricatures et d'idées reçues, je reste sans voix. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains)

M. le président.  - Je salue Pascal Martin, sénateur de Seine Maritime, remplaçant notre doyen Charles Revet qui a beaucoup oeuvré pour notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de tous les groupes)

La séance est suspendue à 16 h 45.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 17 heures.

Hommage à une délégation slovène

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs et M. le ministre se lèvent.) J'ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d'honneur, d'une délégation de membres du Conseil national de Slovénie, conduite par M. Bojan Kekec, président de la commission des relations internationales et des affaires européennes.

La délégation est reçue cette semaine au Sénat et en Seine-et-Marne par le groupe interparlementaire d'amitié France-Slovénie, présidé par notre collègue Colette Mélot.

La visite en France de la délégation porte en particulier sur les thèmes de l'énergie et du climat, l'économie circulaire, et sera aussi l'occasion d'évoquer les enjeux européens.

Je forme le voeu que cette visite en France contribue à renforcer encore les liens qui unissent nos deux assemblées et nos deux pays.

Mes chers collègues, en votre nom à tous et au nom du Sénat, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Conseil national de Slovénie la plus cordiale bienvenue, ainsi qu'un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements sur toutes les travées, ainsi que sur les bancs de la commission et du Gouvernement)

Mises au point au sujet d'un vote

M. François Patriat.  - Hier soir, lors du vote sur la loi tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi, au scrutin public n°1, mes collègues Amiel, Bargeton, Dennemont, Gattolin, Karam, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient, Schillinger et Yung souhaitaient voter contre et non s'abstenir.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Mon collègue Daudigny et moi-même voulions nous abstenir sur l'amendement n°2 rectifié ter, et non voter contre. Avec le nouveau système, le bouton rouge ne signifie plus abstention, comme les bulletins auxquels nous étions habitués, mais vote contre !

M. le président.  - Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.

Commission (Nomination)

M. le président.  -  J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a été publiée. Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévue par notre Règlement.

Sécurité des ponts : éviter un drame

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport d'information : « Sécurité des ponts : éviter un drame », à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Patrick Chaize, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 14 août 2018 s'effondrait le pont Morandi de Gênes, tuant 43 personnes. Ce drame a soulevé des inquiétudes sur l'état des ponts. Une telle catastrophe serait-elle possible en France ?

La commission de l'aménagement du territoire du Sénat a donc lancé une mission sur la sécurité des ponts. J'en remercie le président Maurey et mon collègue Michel Dagbert. Notre question était : quel est l'état des ponts en France et comment ce patrimoine est-il entretenu par l'État et les collectivités territoriales ? Après plusieurs mois de travaux et un grand nombre de témoignages, le constat est inquiétant.

Personne ne sait dire avec exactitude combien il y a de ponts en France.

M. Roland Courteau.  - Ça c'est sûr !

M. Patrick Chaize.  - On estime qu'il y aurait 200 à 250 000 ponts routiers, dont 90 % gérés par les collectivités territoriales. Leur état s'est dégradé ces dernières années au point de devenir préoccupant. En dix ans, le taux de ponts gérés par l'État nécessitant un entretien est passé de 65 % à 79 %. Plus de 700 ponts nécessitent des travaux. Quelque 8,5 % des ponts gérés par les départements, soit 8 500 ponts, sont en mauvais état, 30 % nécessiteraient des travaux d'entretien spécialisé.

Pour les ponts gérés par les communes et les intercommunalités, c'est la grande inconnue. Selon un rapport de 2008, 16 % étaient en mauvais état. Ils ont dû se dégrader encore, avec la fin de l'assistance technique de l'État, l'absence de surveillance et d'entretien, la mauvaise santé financière des collectivités. Au total, au moins 25 000 ponts auraient une structure altérée ou gravement altérée.

Cela pose un problème de sécurité et de disponibilité des infrastructures. D'après un audit externe, 7 % des ponts gérés par l'État risquent de s'effondrer, ou de devoir être fermés préventivement à la circulation.

Dans la Nièvre, à Lamenay-sur-Loire, ou dans le Loir-et-Cher, au Poislay, on nous a alertés sur des risques prévisibles. Lors de nos déplacements en Moselle ou en Seine-et-Marne, nous avons vu combien la fermeture d'un pont pouvait pénaliser les usagers. Il est urgent de prendre conscience du problème.

M. Michel Dagbert, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur le banc de la commission) Le constat rappelé par Patrick Chaize est inquiétant. Comment en est-on arrivé là ? Cette dégradation s'explique d'abord par le vieillissement de ce patrimoine ; un quart des ponts de l'État a été construit entre 1950 et 1975. Quant aux ponts des communes, ils ont souvent plus de 50 ans.

Deuxième raison, l'insuffisance des moyens consacrés à l'entretien. L'État a consacré en moyenne 45 millions d'euros par an à ses ouvrages d'art, mais l'audit a démontré qu'il faudrait deux, voire trois fois plus.

Troisième raison, les collectivités territoriales, et notamment le bloc communal, ne disposent ni de l'expertise en interne, ni des ressources financières pour employer une expertise externe.

Dans les deux communes que nous avons visitées, où les ponts sont fermés à la circulation, les travaux coûteraient un million d'euros pour chacun, sur un budget communal de 3 millions d'euros seulement.

Nous réclamons donc un véritable plan Marshall et un fonds d'aide aux collectivités. Sans concours, les petites communes et intercommunalités ne pourront pas faire face. (M. Roland Courteau renchérit.)

Il faut aussi recréer une ingénierie publique locale pouvant être mobilisée par les collectivités. Nous attendons beaucoup de la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). La mutualisation de la gestion mérite d'être encouragée.

Au-delà, il faudrait la prise en compte des dépenses d'entretien de ces ouvrages dans la comptabilité publique, et renforcer la connaissance du patrimoine par la mise en place d'un système d'information géographique (SIG) national et de « carnets de santé » pour chaque pont. Je vous renvoie à notre rapport. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Indépendants)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - Merci pour ce rapport important, sur un sujet abordé dans la loi d'orientation des mobilités (LOM) et qui reste d'actualité - en témoigne l'effondrement d'un pont à Taïwan hier.

Les ouvrages d'art de l'État sont plutôt bien connus. On en dénombre environ 12 000, inventoriés et entretenus selon une maintenance ou des programmes de soutien calendaires, avec des budgets croissants. La LOM prévoit 120 millions d'euros à horizon 2023, comme votre rapport le préconise, avec une montée en puissance dès l'an prochain.

Concernant le pont de Gennevilliers, c'est le mur de soutènement en terre armée qui était en cause. Cette technique qui date d'une vingtaine d'années n'est plus utilisée.

J'en viens aux ouvrages d'art des collectivités territoriales. Sur la connaissance et l'inventaire, les situations sont hétérogènes.

Le conseil départemental de la Haute-Saône, présidé par M. Krattinger, compte en son sein des entités spécialisées et peut proposer de l'ingénierie de proximité à ses communes et intercommunalités. Même chose en Mayenne.

Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) peut apporter un soutien en ingénierie, en attendant la future ANCT. Plus de 10 % des effectifs du Cerema sont consacrés aux ouvrages d'art. C'est certes insuffisant en volume, mais la compétence est mobilisable.

Sur le financement, pour faire court...

M. Pierre Ouzoulias.  - Très court !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - ... nous pourrions envisager, en loi de finances, que certaines dépenses de régénération non récurrentes puissent s'imputer aux sections d'investissement et échapper aux règles de Cahors. Il faudra en débattre avec MM. Lecornu et Darmanin.

La DETR ou la DSIL peuvent-elles constituer une réponse ? C'est une piste à creuser.

La loi Didier traite des ouvrages de reclassement, construits pour rétablir une voie de communication interrompue par une LGV ou une autoroute. Ces 15 400 ouvrages d'art sont en cours de recensement ; la revue est ouverte jusqu'à la fin de l'année. Une fois la liste fixée par arrêté ministériel, ils feront l'objet d'un cofinancement entre les collectivités territoriales et les gestionnaires d'infrastructures.

Enfin, nous devons ouvrir la réflexion sur la maintenance dite prédictive, notamment sur les ouvrages les plus circulés, via des capteurs permettant de faire varier le pas de maintenance en fonction de la circulation et de l'usure des ouvrages.

Mme Françoise Cartron .  - Préserver l'état de nos ponts est un enjeu majeur de sécurité. Comme le rapport le note, l'importance du patrimoine routier géré par les collectivités territoriales est une spécificité française : 98 % du réseau routier pour deux tiers du trafic, mais aussi un tiers des ponts gérés par les communes, deux tiers par les départements. En Gironde, hors métropole, 1 800 ponts et 200 murs de soutènement sont gérés par le département. Ce patrimoine est en partie dégradé, faute d'entretien. Or les communes et intercommunalités n'ont pas les moyens de mener les travaux nécessaires. La mission appelle donc à développer une offre d'ingénierie améliorée à destination des collectivités. L'ANCT, voulue par les collectivités et portée par le Gouvernement, serait un bon outil. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Tout à fait. L'ANCT sera opérationnelle au 1er janvier 2020. Il faut toutefois un bouquet de solution. Certains conseils départementaux ont une forte expertise et pourront offrir de l'ingénierie, je l'ai dit. Le Cerema est aussi bien doté et a publié en septembre 2018 un guide à destination des collectivités territoriales sur la surveillance et la maintenance des ouvrages.

Mme Françoise Cartron.  - Il n'y a plus qu'à faire.

Mme Éliane Assassi .  - Après un travail d'une grande rigueur, que je salue, la commission de l'aménagement du territoire a produit un excellent rapport.

À l'initiative d'Évelyne Didier, notre groupe a fait adopter une proposition de loi sur ce sujet. Le mauvais état des ouvrages d'art est une bombe financière pour les collectivités territoriales. Quelque 98 % du réseau routier, quelque 150 000 ponts dépendent des collectivités. Or les infrastructures se dégradent rapidement. La décentralisation de 1982 a été un cadeau empoisonné.

Grâce à la loi Didier, les gestionnaires d'infrastructures doivent signer une convention avec les collectivités territoriales pour chaque ouvrage d'art. Il faut un bilan de l'application de cette loi, voire envisager une application rétroactive dans le cadre d'un grand plan de rénovation.

Il faut des moyens financiers, faute de quoi le mauvais état des infrastructures servira d'argument pour privatiser. Quels moyens le Gouvernement va-t-il mobiliser pour aider les plus petites collectivités à entretenir leurs ouvrages d'art ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Les quelque 15 400 ouvrages dits de rétablissement visés par la loi Didier sont en cours de recensement. La liste est publiée sur le site du Gouvernement. L'arrêté ministériel est prévu pour janvier prochain. Les ouvrages concernent pour 4 400 des voies navigables, pour 2 700 des voies ferrées ; le reste concerne les routes. Une fois recensés, ils pourront faire l'objet d'une convention entre le gestionnaire des ouvrages et les collectivités concernées à compter de 2020.

M. Alain Fouché .  - Je remercie le président Maurey à l'initiative de cette mission, ainsi que les rapporteurs. Je souhaite que leurs recommandations soient rapidement suivies d'action.

Le constat est alarmant : nous ne sommes pas à l'abri d'une catastrophe analogue à celle du pont Morandi. Les collectivités territoriales ne sont pas en mesure d'entretenir les 90 % du réseau qui leur échoit. Nous n'avons d'autre choix que de lancer un ambitieux plan d'action afin d'éviter toute catastrophe. Le Gouvernement doit s'engager à déployer un plan Marshall d'ici 2021.

Monsieur le ministre, vous connaissez les difficultés financières des collectivités territoriales. Elles devront être associées à ce plan.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le réseau routier d'État, c'est 2 % des ponts mais 20 % du trafic. En 2015, 50 millions d'euros étaient engagés pour l'entretien des ponts, 70 millions d'euros cette année ; avec la LOM, ce sera 79 millions en 2020 et 120 millions à partir de 2023 pour faire face à la vétusté du réseau. Il faudra aussi voir s'il est possible de sortir des critères de Cahors les efforts de régénération non récurrents.

M. Alain Fouché.  - Le plus important pour nous, ce sont les ponts gérés par les collectivités. Nous avons besoin d'un engagement financier très fort de l'État. Le Gouvernement aura une part de responsabilité en cas de catastrophe.

Mme Nadia Sollogoub .  - Quiconque a été maire sait que la question des ponts n'est pas simple. Quand les problèmes surviennent, c'est qu'il est déjà trop tard et les travaux coûteux. Pourquoi cette politique de l'autruche, comme si les ponts étaient éternels ?

La loi sur l'eau a imposé des procédures complexes et coûteuses. Il y a quelques années le cantonnier communal pouvait faire quelques travaux préventifs. Maintenant, il faut faire un appel d'offres, trouver un bureau d'études : une visite initiale sommaire coûte de 2 000 à 5 000 euros par ouvrage. L'entretien courant au-dessus d'un cours d'eau n'est plus possible.

Nombre de collectivités ne sont pas au courant du partage des charges avec VNF. Peut-on raisonnablement laisser VNF dire qu'elle ne s'intéresse qu'à la partie navigable ? Elle se borne à vérifier que les morceaux de pont tombés dans l'eau ne modifient pas trop la profondeur pour les bateaux, mais quid de l'usager de la voie d'eau qui risque de recevoir un morceau de pont sur la tête ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Nous avons collectivement trop tardé et plus nous tardons à maintenir les ouvrages dégradés, plus le coût pour la collectivité sera élevé. D'où l'intérêt de conventions de cofinancement pour les 4 400 ouvrages enjambant des voies navigables. Nous veillerons à ce qu'elles soient signées dès le début de l'année 2020, puisque l'arrêté sera pris une fois la revue achevée, au 31 décembre.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Le rapport a mis en exergue un état inquiétant des ouvrages d'art : pour 25 000 d'entre eux, la sécurité des usagers est en péril. Les collectivités territoriales sont particulièrement impactées puisque c'est 20 % de leurs ponts qui sont touchés. Or elles n'ont pas les moyens, techniques et budgétaires, pour y répondre. Une petite commune de mon département devrait débourser 700 000 euros pour un pont rétrocédé par VNF sans qu'elle n'ait rien demandé. Résultat, il a fallu restreindre la circulation...

Il est regrettable que les fonds de l'Afitf dédiés à la sécurisation des tunnels aient été reversés dans le budget du réseau routier et non fléchés vers les ponts. Nous ne demandons pas une réorientation des crédits mais une enveloppe nouvelle ! Espérons que la loi de finances sera l'occasion de prendre la pleine mesure de la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Pour les ouvrages d'art d'État, le budget est fixé dans la LOM avec une montée en puissance jusqu'à 120 millions d'euros par an à compter de 2023.

Pour les ouvrages dits de reclassement, qui feront l'objet de conventions de financement, les crédits seront à trouver en loi de finances. C'est bien de l'argent nouveau qu'il faudra leur consacrer.

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Les élus locaux sont déjà échaudés par le projet de loi Lecornu. À six mois des municipales, le Gouvernement devra apporter des réponses juridiques, techniques et financières s'il veut éviter une catastrophe.

M. Michel Vaspart .  - Je pose la question au nom d'Édouard Courtial. La catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, en 1999, puis l'effondrement du pont Morandi ont inquiété. Hier encore, un pont de 140 mètres s'est effondré à Taiwan.

Le rapport montre qu'il y a un besoin urgent d'investissement mais aussi de gestion de long terme. Il faut un fonds spécial et de l'ingénierie à destination des collectivités locales, même si certaines ont pris le problème à bras-le-corps. Ainsi, le conseil départemental de l'Oise a voté en 2017 un plan de 5 millions d'euros par an sur dix ans pour rénover ses 700 ouvrages d'art.

Reste des difficultés pratiques lorsque les ponts enjambent des voies SNCF ou des voies d'eau. Le pont de Saint-Ladre à Crépy-en-Valois appartient au gestionnaire de la chaussée mais son entretien est assuré par la SNCF. La responsabilité de l'entretien voire de la reconstruction est confuse. Depuis des années, malgré un référé, c'est le statu quo. Tout juste un expert a-t-il interdit la circulation des poids lourds... Cela illustre le blocage administratif.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Vous avez raison de souligner les difficultés administratives.

Il est compliqué d'établir le diagnostic et de préciser les responsabilités. La loi Didier est à cet égard une avancée considérable : la liste des 8 700 ouvrages enjambant une voie ferrée est en cours d'élaboration et sera publiée au 1er janvier 2020. Les conventions de financement qui seront passées établiront très clairement les responsabilités.

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Mark Twain disait : « La catastrophe qui finit par arriver n'est jamais celle à laquelle on s'est préparé. » Jean-Louis Nicolet nous invitait à penser les objets technologiques comme des systèmes complexes dont les éléments en interaction dynamique pouvaient entrer en résonance jusqu'au dépassement des limites de rupture. D'où l'importance de l'analyse et de la surveillance pour déclencher les interventions prédictives ou curatives.

Les collectivités territoriales gèrent désormais seules 90 % du réseau routier. Or le transfert des compétences pour les ouvrages d'art et la voirie ne s'est pas toujours accompagné du transfert des plans de récolement et de la documentation technique. Les directions départementales de l'équipement qui apportaient un appui technique ont été redéployées, voire supprimées. Enfin, les financements nécessaires à l'entretien n'ont pas été transférés non plus.

Pouvez-vous préciser selon quelles modalités l'ANCT interviendra ? À quand un plan national pour développer et diffuser les innovations technologiques en matière de maintenance des ponts : géolocalisation, maquettes numériques, capteurs et jauges de déformation ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Les modalités concrètes de l'action de l'ANCT sont en cours d'élaboration. Il faut penser l'ingénierie du Cerema et de l'ANCT ensemble.

L'utilisation des objets connectés et plus largement la maintenance prédictive me parait être un futur désirable. Elle est déjà expérimentée. Il serait utile de pouvoir s'assurer en temps réel de la santé des ouvrages les plus circulés, ou ceux qui font déjà l'objet de restrictions.

Quelque 10 % des camions et poids lourds sont en surcharge, ce qui fragilise plus que prévu les ouvrages. Il faudra réfléchir collectivement à un plan d'équipement des plus grands ouvrages, et particulièrement à un équipement technologique des ouvrages les plus sensibles.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Il est aussi nécessaire de développer la recherche sur les nouveaux matériaux, comme les polymères, qui évitent de modifier l'esthétique du pont.

M. Jean-Marie Mizzon .  - Un cas particulier fait l'actualité en Moselle : le pont de Petite-Rosselle, construit au XIXe siècle pour l'acheminement du charbon. Son délabrement est tel qu'il faut le reconstruire.

Le 19 mars 2019, devant la commission, Mme Borne a reconnu que ce pont appartenait sans ambiguïté à l'État, qui a repris le patrimoine des Houillères, et confirmé qu'il appartient à l'État de le remettre en l'état, disait-elle, annonçant des travaux prochainement.

C'est pourquoi le maire de Petite-Rosselle a été très surpris d'apprendre du préfet que les travaux seraient uniquement cofinancés à hauteur de 35 %, qui plus est au titre de DETR, privant la commune d'un autre projet prioritaire. C'est la double peine !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Je dois vérifier ce point : mes services ne sont pas d'accord. La ministre a proposé une prise en charge partielle...

M. Jean-Marie Mizzon.  - Non, totale !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Je ne m'avance pas et m'engage à vous faire une réponse écrite.

M. Jean-Marie Mizzon.  - J'en prends acte. Mais Mme Borne a bien dit et écrit que la prise en charge serait totale, le président Maurey en est témoin.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Je le confirme.

M. Jean-Marie Mizzon.  - La commune a épluché toutes les délibérations depuis 1850. C'est complexe, car il faut lire l'allemand et la Spitzschrift ! Elle n'a trouvé aucune trace de la moindre participation à la construction du pont. En revanche, les archives départementales regorgent de plans, de notes de calcul, de devis qui démontrent que le pont a bien été construit par les Houillères.

Monsieur le ministre, il faut faire vite si vous ne voulez pas que cette actualité locale ne fasse l'actualité nationale.

M. Antoine Lefèvre .  - Bon nombre d'ouvrages SNCF concernant des routes départementales ou communales de l'Aisne ne figurent pas sur la liste provisoire publiée en août 2019.

Le Conseil d'État a admis une valeur conventionnelle aux procès-verbaux de récolement fixant la répartition des charges d'entretien. Or ces procès-verbaux ne traitent que des opérations d'entretien courant, pas des grosses réparations.

Si seuls les ouvrages figurant sur la liste pourront faire l'objet d'une convention nouvelle, le problème restera entier pour les collectivités gestionnaires de ces voies portées.

Que comptez-vous donner comme moyens financiers aux collectivités, au-delà de l'ingénierie ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - La liste est en cours d'élaboration. Les collectivités territoriales peuvent se manifester jusqu'à la fin de l'année pour demander l'inscription d'un ouvrage.

S'agissant du financement, j'ai saisi mes collègues Lecornu et Darmanin pour voir si les opérations d'entretien non récurrentes ne pourraient être considérées comme des investissements et, à ce titre, être exclues du pacte de Cahors. Autre piste : que les conseils départementaux étudient l'allocation éventuelle de moyens non récurrents au travers de la DETR ou puissent abonder la part collectivité du financement.

M. Antoine Lefèvre.  - Il faudra des moyens importants et des systèmes dérogatoires.

Mme Nicole Bonnefoy .  - Le rapport d'information a mis en avant les carences de l'État dans la gestion des ponts. Surveillance et entretien sont pourtant la clé de la sécurité des ouvrages.

L'expertise du Cerema est indispensable pour analyser les risques et réaliser les travaux d'entretien, or ses effectifs sont en constante baisse, ce qui a des conséquences sur ses capacités d'intervention, voire sur ses compétences. Il en va de même à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar).

Cette tendance risque de se poursuivre, sachant que le projet de loi de finances supprime 1 700 postes au ministère de la Transition écologique. Comment l'État peut-il alors garantir une expertise de qualité et en assurer la transmission ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le Cerema et l'Ifsttar avec leurs compétences et leur savoir-faire, sont capables de se projeter dans l'avenir sur les technologies embarquées qui permettront une surveillance moderne.

Au Cerema, 10 % des effectifs, soit 300 personnes, travaillent sur les ouvrages d'art. Elles peuvent mettre à disposition des collectivités territoriales des outils, des logiciels, des formations...

Quant au budget, je ne doute pas qu'il y aura débat en loi de finances.

M. Didier Mandelli .  - La catastrophe de Gênes a ému. Le rapport d'information a mis en lumière l'absence de contrôle effectif : faute d'un recensement exhaustif de nos ouvrages, 25 000 ponts sont en mauvais état structurel. Il y a urgence à agir. La LOM pouvait être l'occasion de soutenir les collectivités territoriales via l'Afitf.

Le Sénat avait fait en sorte d'y inscrire qu'au travers de partenariats avec les collectivités territoriales, l'État accompagnait l'inventaire, la surveillance, l'entretien et, le cas échéant, la réparation des ouvrages. Je regrette que l'Assemblée nationale l'ait supprimé au profit d'un simple accompagnement logistique et non financier.

Après la catastrophe du Mont-Blanc en 1999, quelque 2 milliards d'euros avaient été débloqués pour sécuriser les tunnels. Faut-il attendre un drame pour obtenir les fonds nécessaires à la sécurisation des ponts ? Allez-vous valider la création du fonds préconisé par la mission ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Je salue vos travaux à l'occasion de la LOM, monsieur le sénateur.

Mauvais état n'est pas synonyme de dangerosité : on estime que 6 % des ponts en France sont en mauvais état, ce qui implique des travaux, mais les ponts jugés dangereux sont interdits à la circulation.

Les financements inscrits dans la LOM - 120 millions d'euros par an à partir de 2023 - coexisteront avec des financements nouveaux qui seront inscrits en loi de finances.

M. Olivier Jacquin .  - Lors de la LOM, j'ai interpellé Mme la ministre sur le pont de Pierre-la-Treiche en Meurthe-et-Moselle. Ce pont a été construit par Voies navigables de France (VNF) en 1980 et est en mauvais état. La ministre m'a confirmé qu'il faisait partie du périmètre de la loi Didier. En juin, une rencontre a été organisée entre le maire, VNF, le sous-préfet pour faire un point précis. J'ai le sentiment qu'il y a peu d'empressement à conclure la convention qui fixera les responsabilités et les financements des uns et des autres.

J'ai cru comprendre qu'une pré-évaluation fixait à près de 50 millions d'euros les besoins pour les 2 200 ouvrages relevant de VNF, qui n'a pas les moyens ni l'ingénierie nécessaire.

Pour la part communale, vous incitez les collectivités territoriales à solliciter de la DETR et de la DSIL. C'est habituel... Pouvez-vous être plus précis ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le 12 mars, Mme la ministre vous a bien indiqué que Pierre-le-Treiche relevait de la loi Didier. La convention ne pourra être signée qu'en début d'année prochaine dans la mesure où le recensement des 4 400 ouvrages impliquant VNF est en cours. Le volume financier et le nombre d'ouvrages à réhabiliter sont considérables, l'État en prendra sa part.

J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que la piste DETR et DSIL était la bonne. En outre, il faudrait pouvoir inscrire les dépenses d'entretien de ces ouvrages au titre des dépenses d'investissement des communes : la loi de finances sera l'occasion d'en débattre.

M. Olivier Jacquin.  - C'est de la procrastination. Malheureusement, un accident risque de finir par accélérer les choses. Nous ne le souhaitons pas. Vous pourrez compter sur mon opiniâtre courtoisie républicaine pour suivre ce dossier.

M. Christophe Priou .  - La mission souligne la nécessité d'une gestion patrimoniale des ponts. Un exemple : en Loire-Atlantique, le pont de Saint-Nazaire, construit en 1975, qui relie la Bretagne à la Nouvelle Aquitaine, long de plus de 3,3 km ce qui en fait le plus long de France devant le pont de Normandie, a besoin de travaux de consolidation. Or près de 30 000 véhicules l'empruntent chaque jour.

De 2010 à 2014, ce pont a fait l'objet de 20 millions d'euros de réparations sur sa partie Sud. 8 millions d'euros pour sa partie Nord en 2018. Tous les trois ans, des spécialistes auscultent ses sommets et fondations immergées.

Mais, à côté, 200 000 petits ponts périclitent dans l'indifférence.

Nous attendons un signal fort de l'État : quelles suites donnera-t-il à notre excellent rapport ? En économie, sans infrastructure, pas de vie et de développement économique.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Le pont de Saint-Nazaire pourrait être équipé, à titre expérimental, de dispositifs d'analyse des vibrations pour adapter l'entretien. Il semble que cela pourrait dégager des économies substantielles.

Mme Catherine Deroche .  - Après un accident tragique, la chute d'un balcon à Angers en 2016, j'ai alerté le Gouvernement sur la nécessaire certification des armatures de béton. Des poses incorrectes peuvent avoir des conséquences dramatiques. Fin 2017, le ministre Mézard annonçait une étude, rendue cet été, mettant en évidence des défauts structurels dans 15 % des ouvrages. L'étude propose des audits et des contrôles mais qu'en est-il de la certification des armatures ?

Plusieurs pays européens comme l'Allemagne, l'Espagne ou la Belgique ont introduit une certification obligatoire pour les entreprises construisant des armatures de béton. Dans notre pays, seules 50 % des entreprises du secteur en ont une.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire ? Le sujet déviant un peu de celui des ponts, j'admettrais une réponse différenciée.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Vous me surprenez en flagrant délit d'incompétence sur le sujet... (Sourires) Je solliciterai la ministre de la Cohésion des territoires : une réponse par écrit est nécessaire.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Il a fallu attendre la catastrophe du pont Morandi, 43 morts dont 4 Français, pour se pencher sur la question des ponts. Le Sénat l'a fait avec MM. Dagbert et Chaize.

Bien entendu, plusieurs ingénieurs tirent la sonnette d'alarme et appellent à investir davantage. Mais la véritable question est : qui va payer ? En France, les collectivités territoriales sont en première ligne, car elles gèrent près de 90 % de ces ouvrages d'art. Je suis marqué par le désarroi des élus locaux qui gèrent des communes de taille modeste : 20 % des ponts communaux, soit 16 000, auraient une structure altérée.

Limours, dont j'ai été maire pendant 17 ans et qui se situe à 30 km de Paris, possède 25 bâtiments communaux, une église du XVIe siècle, 56 km de voiries, 100 km de canalisations, trois ponts et un viaduc - et une DGF en retrait de 650 000 euros sur quatre ans.

Il faut un fonds d'aide spécifique pour le suivi patrimonial des ponts.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Il y a plusieurs dispositifs. D'abord la trajectoire définie par la LOM, pour ce qui relève de l'État : 120 millions sont prévus. Il faudra aussi des fonds, répartis entre État et collectivités territoriales, pour 15 400 ouvrages supplémentaires.

Le Gouvernement ne procrastine pas ; le travail très utile de MM. Dagbert et Chaize apporte un éclairage nouveau sur ce sujet. Le Gouvernement apportera les réponses nécessaires.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Merci aux rapporteurs, aux groupes politiques d'avoir participé à cette mission et à ce débat, et au ministre dont c'est le baptême du feu, même si nous avons eu l'occasion de travailler ensemble sur le nouveau pacte ferroviaire.

Monsieur le ministre, vous annoncez que les travaux sur les ponts pourraient être imputés aux dépenses d'investissement. Ce serait une bonne nouvelle, qui permettrait de récupérer la TVA, mais ce n'est que l'une des dix propositions du rapport. Nous sommes loin du plan Marshall que nous avons appelé de nos voeux.

En France, 25 000 ponts sont considérés à risque. Et 7 % des ponts d'État sont en situation insatisfaisante. La trajectoire budgétaire engagée est positive ; on nous annonce 120 millions d'euros à partir de 2022. Il faut monter en puissance très rapidement : si nous ne faisons rien, nous aurons dans dix ans deux fois plus de ponts en mauvais état qu'aujourd'hui. Nous sommes loin de ce qui se fait en Allemagne, par exemple.

Pour les communes et les communautés de communes, la situation est préoccupante. Elles n'ont pas, comme les départements, des services compétents. Il faut les aider à acquérir une connaissance qualitative et même quantitative de leurs ponts, avant de les réparer.

Dans mon département, on s'est aperçu un matin qu'un pilier manquait à un de nos ponts. Un coût : 300 000 euros pour la communauté de communes. En deux ans, elle aura dépensé près d'un million pour deux ponts.

En Seine-et-Marne, des communes ont dû fermer leurs ponts à la circulation. Comme M. Corbisez, je regrette que l'on n'ait pas pu mobiliser le fonds créé après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc. On a le sentiment qu'il faut attendre une catastrophe pour dégager les moyens nécessaires.

Avec la suppression de l'Assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) en 2014, l'ingénierie nécessaire n'est plus là. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) demeure dans le flou. Enfin, le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) n'a pas les moyens suffisants.

Il y a eu Gênes, puis Taïwan. Il y aurait pu y avoir Gennevilliers. Arrêtons-nous là, et mettons les moyens nécessaires. (Applaudissements sur le banc de la commission)

La séance est suspendue quelques instants.

Avis sur une nomination

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable (29 voix pour, aucune voix contre) à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président du directoire de la SNCF.

Intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur « L'intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques », à la demande du groupe RDSE.

M. Yvon Collin, pour le groupe RDSE .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Parce qu'elle concentre de forts enjeux stratégiques, économiques et éthiques, l'émergence de l'intelligence artificielle est qualifiée de quatrième révolution industrielle.

Je salue les travaux du groupe de suivi de notre assemblée qui s'est emparée du sujet dès 2017. Étudiée dès 1956 aux États-Unis, l'intelligence artificielle a surtout évolué grâce aux recherches récentes.

Je ne m'attarderais pas sur sa définition qui interroge souvent tant cet outil est disruptif : il seconde l'intelligence humaine pour augmenter celle-ci...

La compilation de données du big data, combinée à la puissance de calcul, ouvre des horizons incroyables pour effectuer des fonctions - pas forcément mieux qu'un homme - mais beaucoup plus rapidement.

Des fantasmes fleurissent, véhiculés par les oeuvres littéraires ou cinématographiques. En 2015, 700 chercheurs de renom ont signé une lettre ouverte alertant la société sur les méfaits à redouter d'une intelligence artificielle trop autonome. Relativisons ces craintes, tout comme la vision d'une intelligence artificielle triomphante, car il lui manquera toujours l'intuition et l'imagination qui font la supériorité humaine.

La France et l'Union européenne sont particulièrement soucieuses de la protection des données. En témoignent le règlement sur la libre circulation des données à caractère non personnel, la directive sur la réutilisation des données du secteur public ou encore les règles sur la cybersécurité. L'Europe s'est dotée d'un cadre juridique qu'on ne peut qu'applaudir.

Il est aussi question de responsabilité et de transparence des algorithmes.

L'intelligence artificielle doit être inclusive, n'oublier personne et protéger tout le monde des bouleversements sociétaux qu'elle porte en elle, par exemple en matière d'organisation du travail. Le rapport au Gouvernement de Cédric Villani, remis l'année dernière, est éclairant à cet égard.

Doit-on autoriser l'accès aux données européennes à des entreprises qui ne seraient pas implantées en Europe et qui ne se plieraient donc pas à nos principes éthiques ?

Cette réserve s'impose en raison de la domination des GAFAM sur la récupération de données, et plus globalement en raison de la compétition entre la Chine et les États-Unis qui prend en étau l'Union européenne.

Les investissements que les GAFAM consacrent à l'intelligence artificielle combinés à ceux des États-Unis leur donnent un leadership incontestable, tout comme à la Chine, qui investit dans ce domaine plusieurs dizaines de milliards par an.

Quid de l'Union européenne ? En avril, la Commission européenne a souhaité augmenter les investissements alloués aux recherches sur l'intelligence artificielle pour qu'ils atteignent 20 milliards d'euros par an au cours des dix prochaines années. Où en sommes-nous ?

II y a urgence ! Le manque de capitaux dans les entreprises innovantes aboutit parfois à la perte de fleurons européens comme ce fut le cas en 2016 avec le rachat de l'entreprise anglaise Deepmind par Google et de l'allemande Kuka par un groupe chinois.

En février dernier, le Conseil européen a confirmé la volonté de faire de l'Europe un acteur essentiel de l'intelligence artificielle.

Pour ce qui est des secteurs à privilégier, il faut faire une place particulière à la santé. La France possède un atout de taille en matière de données médicales : la centralisation grâce à l'administration. La RGPD a été intégrée dans notre législation, ce qui va garantir la sécurité de l'exploitation des données médicales.

La sécurité est un autre secteur important. L'enjeu est de pouvoir conserver notre souveraineté.

Le défi de l'intelligence artificielle impose la mobilisation de moyens considérables.

Je vous remercie d'avoir été attentifs à mon intervention qui n'a pas été rédigée à la plume Sergent-Major, mais qui n'est pas non plus le fruit d'un algorithme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. René-Paul Savary applaudit également.)

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique .  - Merci pour ce débat : l'intelligence artificielle est un sujet décisif pour l'avenir économique de notre pays.

Le constat est clair : les États-Unis et la Chine dominent le paysage numérique et l'Europe est relativement absente. On ne peut pas limiter le débat sur la souveraineté numérique européenne à la seule intelligence artificielle. D'autres secteurs sont en jeu - Google a ainsi annoncé avoir atteint la suprématie quantique. L'essentiel est de faire surgir des acteurs clés du numérique en France et en Europe, capables de concurrencer Google ou Facebook. Même si ces derniers n'étaient pas des spécialistes de l'intelligence artificielle à l'origine, ils sont capables de dégager près de 40 milliards par an pour investir dans ce domaine.

La France a une carte à jouer ; pour avoir rencontré les responsables de l'intelligence artificielle de tous les géants américains, je peux vous le dire : ils sont tous français.

M. Jean Bizet.  - Exact !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - C'est lié à la qualité de l'école française de science de l'informatique et de mathématique. Nous disposons donc des compétences. Or le combat pour l'intelligence artificielle est d'abord un combat pour l'intelligence humaine. Comment inciter nos chercheurs à rester en France ? Sur les 1,5 milliards prévus sur la mandature pour financer la recherche en intelligence artificielle, la majeure partie sera consacrée aux salaires des chercheurs.

À court terme, il sera difficile de rivaliser avec la Chine et les États-Unis sur les bases de données des consommateurs.

Cependant, dans certains secteurs, comme l'énergie, la santé ou la mobilité, nous avons un savoir-faire et des données remarquables.

La question des calculateurs, du matériel, du développement de l'intelligence artificielle dans les entreprises est également prégnante. Nos PME doivent avoir aussi accès à l'intelligence artificielle.

Agir au niveau européen est indispensable si l'on veut pouvoir concurrencer les États-Unis ou la Chine. L'Union européenne a estimé qu'il fallait 20 milliards par an : à titre personnel, j'estime que nous sommes en dessous de 10 milliards.

Des initiatives sont à saluer : supercalculateurs ou agence consacrée à l'innovation de rupture. Beaucoup de choses restent à faire au niveau franco-allemand.

Certains produits de reconnaissance faciale, importés d'Asie et développés en contradiction avec notre vision de la vie privée, risquent d'entrer sur le marché européen. Nous devons décider si oui ou non nous les acceptons chez nous.

J'en viens à la question éthique. La RGPD est inspirée de la législation française et du travail de la CNIL. La création en cours d'un groupe d'experts de l'intelligence artificielle co-porté par la France et le Canada faciliterait l'instauration de règles communes.

Nous ne sommes qu'au début de l'histoire - et pas d'une dystopie, selon moi. Nous devrons nous montrer à la hauteur des enjeux tant au niveau français qu'européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées des groupes Les Républicains et SOCR)

M. Pierre Ouzoulias .  - Avec des moyens considérables, les GAFAM développent des stratégies de recrutement des chercheurs des institutions publiques françaises efficaces et prédatrices. Les rémunérations de cinq à dix fois supérieures à celles de notre recherche publique, la mise à disposition d'infrastructures et de matériels puissants encouragent la fuite des cerveaux français. Quelle stratégie mettre en place pour que notre pays ne se vide pas de ses capacités intellectuelles ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Je salue votre rapport sur l'intelligence artificielle co-signé par André Gattolin. La qualité de notre recherche publique est un fait. Nous avons fait un peu de judo et de GAFAM, mais d'autres aussi, ont localisé en France leurs centres de recherche.

Cependant, pourquoi les chercheurs sont-ils séduits par les GAFAM ? Hormis les conditions matérielles, il y a aussi l'intérêt de la recherche dans ces centres. Nous avons choisi de construire un écosystème de recherche attractif pour lutter contre la fuite des cerveaux, en nous concentrant sur quatre hubs à Paris, Grenoble, Toulouse et Nice. Les départs se sont taris et divers chercheurs sont même revenus dans notre pays. Ainsi, l'institut de Toulouse a réussi à faire venir l'un des meilleurs chercheurs chiliens de l'université de Stanford.

M. Pierre Ouzoulias.  - Que les GAFAM s'installent en France ne me rassure pas. Nous allons nous faire « boulotter » par les grands carnassiers. Vous dites que le phénomène s'inverse, mais mes collègues mathématiciens du CNRS me disent que les laboratoires sont vides.

M. Jean Bizet.  - C'est vrai.

M. Pierre Ouzoulias.  - La loi de programmation de la recherche devra donner à nos chercheurs ce qu'ils ne trouvent pas chez les GAFAM. Quoi donc ? Un sens à leur carrière, la liberté et la capacité à mener leur recherche fondamentale sur le long terme.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Joël Guerriau .  - Un débat parlementaire sur le rôle de la France et l'Europe dans la course à l'innovation avait déjà eu lieu en 2017, à notre initiative. Deux ans plus tard, nous sommes devant les mêmes craintes face à l'intelligence artificielle : cette nouvelle révolution technologique percutera de plein fouet notre modèle social ainsi que nos modes d'organisation. L'intelligence artificielle recourt à des algorithmes pour reproduire des processus cognitifs humains. D'où le sentiment de dépossession que nous éprouvons face à ses utilisations toujours plus diverses. Nous le voyons bien lorsque nous entendons une réponse pleine d'humour d'un assistant vocal...

Le risque existe de voir émerger de nouveaux réseaux de crimes organisés qui utiliseraient l'intelligence artificielle pour mieux tromper particuliers et entreprises. Quelles mesures sont prévues pour punir ces délinquants de l'intelligence artificielle ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Nous n'avons aucun intérêt à laisser entendre que l'intelligence artificielle est un cauchemar qui s'annonce. L'intelligence artificielle va permettre de nombreux progrès. Ainsi, elle servira à mieux détecter certains types de cancer, comme celui du sein. Profitons des opportunités.

Des dérives existent, certes ; nous n'en sommes qu'au début. Notre stratégie est que l'État puisse se donner les compétences en interne pour traiter ce type de sujet : éviter, par exemple que les algorithmes n'intègrent des critères racistes ou genrés. Nous devrons recruter des data scientists - pardon pour l'anglicisme. Mais ils sont rares et chers...

M. Bruno Sido.  - Et peut-on les payer ?

M. Joël Guerriau.  - Ne nous illusionnons pas. Le monde n'est pas tout beau, ni tout gentil.

M. Olivier Cadic .  - La Chine ne reconnaît pas les droits de l'homme et la démocratie comme des valeurs universelles. Elle a construit un cybermur pour imposer un contrôle social de sa population. Elle utilise l'intelligence artificielle à des fins de contrôle social à très grande échelle.

Chaque citoyen et entreprise dispose d'un capital initial de mille points. En fonction de leur comportement et fréquentations, ils gagnent ou perdent des points. Les « mauvais citoyens » sont sujets à des restrictions médicales, d'accès à l'emploi et peuvent faire l'objet de traitements humiliants. Leur portrait est ainsi affiché parce qu'ils auraient un retard de paiement ou auraient jeté un mégot par terre...

Cette dictature 5G utilise les routes de la soie pour diffuser ses technologies, à l'image de Huawei, qui a vendu des technologies de surveillance à plus de cinquante pays.

Envisagez-vous de restreindre l'accès de Huawei ou d'Alibaba à notre pays ?

Est-ce que notre pays dispose d'un plan pour nous protéger des pratiques intrusives chinoises susceptibles de menacer à terme nos libertés ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Distinguons le défensif de l'offensif. Certaines technologies développées sur des valeurs autres que les nôtres doivent être prises en compte au niveau européen. Les Chinois sont meilleurs que nous en matière de reconnaissance faciale. Mais nous ne pouvons pas accepter une distorsion de concurrence fondée sur une éthique autre que la nôtre.

Dans le monde du numérique où les usages s'imposent et où il n'y a qu'un seul moteur de recherche, il faut aussi que nous nous mettions en capacité de faire émerger nos propres leaders.

M. Olivier Cadic.  - Je vous parle de la Chine et vous me parlez de Google et de Twitter, qui ne sont pas autorisés en Chine. Comment pouvez-vous croire que nos leaders y auraient accès ? La question est celle de la réciprocité dont nous devrions appliquer le principe à l'envers : si nos entreprises sont interdites en Chine, les entreprises chinoises doivent l'être dans l'Union européenne. Posons-nous la question de savoir dans quel monde nous voulons vivre.

M. Jean Bizet .  - La France dispose d'une recherche d'excellence, dont les liens avec le monde industriel doivent être renforcés. C'est précisément l'un des axes identifiés par la commission. La France doit se constituer en leader en Europe, avec l'Allemagne, dans le domaine de l'intelligence artificielle, face aux géants américains et chinois.

Le Sénat a recommandé en mars dernier que l'intelligence artificielle puisse être considérée comme un intérêt commun, autorisant les aides publiques. Un Airbus de l'intelligence artificielle serait une bonne nouvelle. Monsieur le ministre, porterez-vous cette ambition au Conseil, au-delà des coopérations bilatérales que nous saluons ?

M. Bruno Sido.  - Très bonne question.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Ce projet est au coeur de la volonté commune de Bruno Le Maire et Peter Altmaier de faire émerger des champions dans le numérique. Intelligence artificielle mais aussi cloud souverain et calcul quantique. Sur les supercalculateurs, sur le plan nano - car les puces sont aussi un élément de souveraineté  - nous avons pu avancer. L'intelligence artificielle est sur le haut de la pile des dossiers prioritaires de la nouvelle commission.

Il faut également penser aux PME. En effet, il est important de favoriser la consolidation des start-up européennes pour qu'elles soient au niveau de leurs concurrents américains et chinois.

M. Franck Montaugé .  - L'exploitation algorithmique des grandes bases de données entraîne des conséquences systémiques sur le travail et l'emploi. Avec les travailleurs du clic et la nouvelle industrie des plateformes qui émergent sous nos yeux et partout dans le monde, la sphère du travail est peu préparée. Or la plupart des métiers et des organisations seront touchés. Cédric Villani appelle à une réflexion sur la complémentarité non aliénante et écologique entre l'humain et la machine. Quelles initiatives et démarches structurées le Gouvernement encouragera-t-il pour y faire face ?

Selon la sociologue Dominique Meda : « Le capitalisme de plateforme participe de l'émergence de formes renouvelées, voire exacerbées, de l'aliénation du travail ». La proposition de Cédric Villani de créer un laboratoire public de transformation retient-il votre intérêt ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - La recherche n'est pas unanime pour savoir si l'intelligence artificielle détruira ou créera de l'emploi. Les Allemands ont six fois plus de robots que nous et ils ont le plein-emploi. Il faudra donc s'y préparer, former et reformer les gens. C'est au coeur du pacte sur lequel nous travaillons avec Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud. Il y aura 20 000 emplois dans le numérique. Il ne faut pas se limiter aux métropoles. Les choses se feront autour de bassins d'emploi. C'est autour de Perpignan et de Lille que les acteurs doivent se voir pour s'adapter au changement.

M. Franck Montaugé.  - Merci d'avoir évoqué les questions territoriales. Il est urgent de créer, selon le jargon de la commission, un « Projet important d'intérêt européen commun. » Ce pourrait être d'ailleurs une réponse à la question de M. Bizet.

Les moyens financiers ne sont clairement pas suffisants aujourd'hui.

M. Jean-Yves Roux .  - Parmi les usages les plus emblématiques de l'intelligence artificielle, il y a les fils d'actualité des réseaux sociaux, qui constituent la première source d'information des jeunes. D'après Tristan Mendès-France, maître de conférences à la Sorbonne, ils accentuent non pas ce qui est vrai, mais ce qui est choquant, clivant.

Comment permettre à l'homme, au citoyen, à la démocratie, à la République, de garder la main ? Là où celle-ci pose des règles, les jeunes s'informent dans un espace dérégulé, international, où la réalité peut être distendue. Comment comptez-vous proposer une stratégie mais aussi des usages éthiques et régulés de l'intelligence artificielle à l'oeuvre dans le secteur de l'information ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Aujourd'hui, l'État ne peut pas dire pourquoi telle ou telle information vous est présentée. La première chose à obtenir, c'est la transparence : obliger les entreprises à dire comment elles traitent l'information pour chaque profil. Si une plateforme faisait campagne pour tel ou tel, nous ne le saurions pas.

Nous aurons l'occasion de débattre plus tard des contenus haineux et des obligations que nous imposerons aux opérateurs. Nous devons mener un débat de société sur ce point. Le noeud du problème contre les manipulations de l'information, c'est la formation à l'esprit critique chez les jeunes et les moins jeunes, beau sujet à voir avec l'Éducation nationale et dont le Sénat pourrait se saisir.

Mme Noëlle Rauscent .  - Service public et intelligence artificielle peuvent apparaître comme très éloignés l'un de l'autre. Pourtant, un grand nombre de dispositifs utilisent l'intelligence artificielle pour accompagner au quotidien les citoyens. Elle pourrait servir à l'administration, en recentrant les agents publics sur leur coeur de métier, sans diminuer le contact humain.

Quelles sont les prochaines étapes de la transformation de notre administration - et Dieu sait qu'elle en a besoin - vers l'e-administration, et avec quels moyens financiers et humains ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - L'intelligence artificielle peut diminuer la pénibilité.

Nous consacrerons 10 % des moyens du plan à l'administration. Nous procéderons en deux temps : nous avons lancé un appel à projets des cas d'usage d'intelligence artificielle qui a rencontré beaucoup de succès et sélectionné 21 projets dont la détection du cabanage illégal dans les espaces protégés de l'Hérault ou la différenciation des cas de jurisprudence à la Cour de cassation.

Mme Noëlle Rauscent.  - Merci de votre réponse. J'espère qu'il y aura des projets sur l'élevage parmi ces 21 projets, car la transformation de l'agriculture et l'innovation dans ce secteur en particulier représentent un défi majeur.

M. Jean-Marie Mizzon .  - En 2015, le Gouvernement présentait ses grandes lignes concernant l'intelligence artificielle, à laquelle il consacrera plus de 600 millions d'euros, pour des doctorants ou quelque 40 chaires. Ce programme ne semble pas à la mesure de la concurrence internationale.

Demain, des machines autonomes pourraient prendre le contrôle de nos données pour nous exclure et former une élite. Les machines ont désormais des capacités d'apprentissage profond. Elles peuvent analyser des quantités immenses de données. Pourquoi ne pas s'engager davantage ? Les Français le comprendraient et rejoindraient notre médaille Fields, Cédric Villani, qui réclame une réflexion pour défendre la responsabilité humaine, éviter les discriminations et définir un meilleur partage des tâches entre humain et machine.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Le programme national de recherche a pour objet de constituer un réseau attractif, mettre en place des outils, recourir à des partenariats entre le public et le privé, et augmenter le nombre de doctorants et de chaires.

Ce plan avance très bien. Aujourd'hui s'ouvrait l'Institut « Prairie » de Paris. Les chaires seront portées à près de 200 en intelligence artificielle. L'appel à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR) a reçu 450 réponses.

Nous pourrons avoir une discussion en aparté sur le deuxième sujet, trop vaste...

M. Cédric Perrin .  - L'intelligence artificielle, en matière de défense, est tirée par le secteur civil. Il faut un effort de formation et de programmation. Comment former l'ensemble des forces armées ? Comment faire entrer la défense dans l'écosystème de la recherche française, pour la décloisonner ? Comment assurer une valorisation croisée des innovations, à la fois pour les domaines civil et militaire, et en faire bénéficier nos entreprises françaises ?

Les investissements prévus sur l'intelligence artificielle permettront-ils de dégager des technologies de rupture dans le domaine civil ? Comment classer défense des innovations pour les protéger temporairement ?

Ne répétons pas l'erreur commise en matière de télécommunications militaires, que nous n'avons pas su appliquer au civil, avec la 5G.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Dans les 1,5 milliards d'euros consacrés par l'État à l'intelligence artificielle, 450 millions le sont par le ministère des armées avec 200 personnes à Rennes qui se consacrent à l'intelligence artificielle.

Avec la ministre des Armées, Florence Parly, nous devons faire en sorte que les start-up civiles ou duales soient plus financées par des crédits de défense.

Parmi les « Next40 », des pépites technologiques françaises, dont on peut penser qu'elles pourraient devenir des licornes, aucune n'a été financée par le ministère de la Défense - c'est très différent de ce qui se passe aux États-Unis ou en Chine. Oui, nous devons progresser sur cette capacité à financer des innovations duales.

M. Cédric Perrin.  - La création de l'Agence de l'innovation de défense (AID) devrait y contribuer. Avec Joël Guerriau, nous proposons que des réservistes se chargent de faire cette liaison.

Mme Sylvie Robert .  - La série Black Mirror, imaginant une société dystopique conduisant à des comportements proches de la bestialité, illustre la capacité de l'intelligence artificielle érodant le lien social et affectif entre les individus, amène à questionner notre rapport éthique à l'intelligence artificielle. Celle-ci n'est ni bonne ni mauvaise en soi.

Récemment, un mécanisme de reconnaissance faciale sur la voie publique a été expérimenté en France et une région veut expérimenter la reconnaissance biométrique à l'entrée d'un lycée.

Il faut que la puissance publique crée un cadre, qui déterminera l'acceptabilité par la population du développement de ces technologies.

Monsieur le ministre, entendez-vous ouvrir un débat public sur la reconnaissance faciale et les autres technologies qui touchent aux libertés ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Ne présentons pas que les risques de l'intelligence artificielle.

Nous devons développer nos propres produits, sinon les Français utiliseront des produits américains ou chinois.

Le député Didier Baichère a proposé récemment de créer un cadre d'utilisation de la reconnaissance faciale en permettant aux collectivités territoriales de l'expérimenter ; il faut tenir une ligne de crête entre les impératifs économiques et la protection de la vie privée. Le Gouvernement est tout à fait prêt à avancer dans cette direction.

Au niveau international et européen, la Commission a l'intention dans les prochains jours de produire un décret sur l'éthique de l'intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale.

Nous serons vigilants à respecter la ligne de crête entre innovation économique et respect des citoyens.

M. René-Paul Savary .  - Le déploiement de l'intelligence artificielle pourrait se traduire par des comportements nouveaux. Les services représentent 75 % de l'emploi en France. Avec Marie Mercier et la délégation à la prospective, nous travaillons sur la transformation des emplois de service par l'intelligence artificielle.

Il y a plusieurs scénarios catastrophes. Le premier, le plus probable, aboutit à une destruction massive d'emplois. Dans le deuxième, l'intelligence artificielle, capable de réaliser des tâches de plus en plus complexes, pourrait menacer les emplois peu ou moyennement qualifiés, voire les emplois intermédiaires.

Quelle est la stratégie du Gouvernement pour accompagner la montée en gamme des emplois et développer la culture de l'adaptabilité du travail en France ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Les projections sur l'impact de l'intelligence artificielle sur l'emploi sont peu claires aujourd'hui. On songe naturellement aux tâches répétitives, dans la banque, la distribution, mais des métiers tels que celui d'avocat, où il s'agit de repérer des schémas dans de grandes bases de données, pourraient là aussi être menacés.

Tout l'enjeu est de gérer la transition, grâce à la Gepec, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Il y a aujourd'hui 80 000 emplois dans le numérique ; il y en aura 200 000 en 2022 ; il y aura 900 000 postes d'ingénieurs à pourvoir en Union européenne. Certains métiers ne sont pas pourvus. Il y a une tension à la fois sur les postes de techniciens et d'ingénieurs.

Le numérique crée des emplois. C'est aux acteurs sur le terrain d'assurer la transition, car c'est un sujet profondément local.

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - L'article 20 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) porte sur les travailleurs de plateformes. Il y a un risque de cyber précariat. Cash investigation a mis en évidence les micro-tâches effectuées par de véritables ouvriers du web travaillant isolément ; ils sont victimes de la dissociation du lien social, notion créée par le sociologue Robert Castel.

De plus, il y a un vide juridique. Les plateformes font croire aux autoentrepreneurs qu'ils sont libres. Or ils dépendent d'algorithmes. Nombre de ces travailleurs du clic étudiés par Antonio Cassilli, partout dans le monde, effectuent des micro-tâches.

La fiscalité est une des conditions de la souveraineté, face à la montée du tâcheronnage numérique : les plateformes qui multiplient les emplois invisibles en Asie et ailleurs ne paient pas de charges. Quand allez-vous changer de braquet et imposer à ces entreprises un cadre beaucoup plus strict et protecteur pour le travail, pour enrayer cet engrenage inquiétant ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Il y a un sujet de transformation, de fragilisation des rapports sociaux, mais aussi d'opportunité. Dans certains quartiers, l'ubérisation de l'économie a créé de l'emploi.

Le livreur Deliveroo peut être à temps plein et quasiment dans une relation de salariat ou être étudiant et travailler une heure par mois. Une partie de la réponse peut résider dans le syndicalisme. Un équilibre de rapports de forces doit être trouvé.

Le cabinet de Muriel Pénicaud travaille sur la représentativité de ces travailleurs. Il y a là une dialectique où se situe une partie de la réponse.

M. Jean-Pierre Leleux .  - Le rapport de Cédric Villani d'avril 2018 a largement ouvert le débat sur l'urgence de développer la recherche dans l'intelligence artificielle.

Cédric Villani tente de nous convaincre qu'il n'est pas trop tard pour entrer dans le jeu mondial. Il y a trois types de problème : éthiques, juridiques et culturels.

Quand on parle d'éthique, on s'appuie sur notre histoire ; et on pense que nos valeurs, françaises, européennes, sont universelles. Or tel n'est évidemment pas le cas. Certains estiment que si nous bridons les initiatives de nos chercheurs, nous prenons un retard concurrentiel sur le plan technique vis-à-vis de pays qui n'ont pas la même interprétation. Il y a un équilibre à trouver.

Deuxième question, jusqu'où faire confiance à la machine ? Quelle est la responsabilité civile et morale pour les actes générés par l'intelligence artificielle ? La décision humaine ne doit-elle pas reprendre la main au-delà d'une certaine limite ? Il y a aussi tout un pan culturel auquel je pourrai consacrer ma réplique...

M. le président. - Vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Il n'est pas trop tard. On peut encore monter à bord du dernier wagon. Nous avons les cerveaux. Il faut les retenir et en former davantage. Nous sommes passés de 18 à 34 masters en intelligence artificielle en deux ans.

Il faut être capable de développer nos champions sans renoncer à nos valeurs. Il faut libérer les expérimentations dans des cadres très variés.

Il est difficile de répondre sur le sujet juridique, par exemple sur la responsabilité en cas d'accident d'une voiture autonome. La réponse, je le crois, est dans l'expérimentation. C'est pourquoi il faut la permettre.

Mme Brigitte Lherbier .  - C'est avec un oeil de juriste que j'aborde le débat. L'intelligence artificielle est l'une des plus grandes avancées scientifiques de l'histoire humaine. Son impact dans notre vie quotidienne est croissant. Elle peut susciter l'émerveillement mais il faut aussi étudier les cas pratiques tels celui d'un accident causé par une voiture autonome.

Quelle place prendront les intelligences artificielles dans notre droit ?

Qui sera considéré comme pénalement responsable d'un accident grave causé par une voiture autonome : le conducteur, le propriétaire, le constructeur, l'informaticien, l'auteur des algorithmes ?

Aujourd'hui, le conducteur doit toujours être en mesure de prendre le contrôle de sa voiture : il est donc en théorie responsable d'un accident éventuel. Mais qu'en sera-t-il si les voitures deviennent entièrement autonomes ? Qui sera responsable en cas d'échec d'une mission militaire utilisant les intelligences artificielles prédictives ? Ces questions sont souvent posées au Forum international de la cybersécurité organisé tous les ans en janvier à Lille par la gendarmerie. Gouverner, c'est prévoir !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Il est vraisemblable qu'il y aura moins d'accidents automobiles quand toutes les voitures seront autonomes. J'ajoute que la plupart des accidents d'avions sont dus à des erreurs humaines.

La loi Pacte est venue préciser les règles dans le cadre des expérimentations. L'expérimentateur est pénalement responsable d'un délit d'atteinte involontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne.

Votre question est extrêmement liée à celle de la certification, l'un des grands défis des industriels. L'un des enjeux devant nous est de mettre en place cette certification. En tout cas, nous devons en discuter au Parlement. Il y a, là aussi, une ligne de crête à trouver.

Mme Florence Lassarade .  - Les outils d'intelligence artificielle se développent depuis plusieurs années dans la santé. C'est une aide au diagnostic. Les évolutions sont rapides. La Health Data Hub est ainsi une avancée importante. Mais les Gafama cherchent à s'introduire dans le domaine de la santé avec une stratégie d'influence et des valeurs qui ne sont pas humanistes.

La baseline study, lancée par Verily life Science qui appartient à Alphabet donc à Google récolte des données phénotypiques en partenariat avec Harvard. Alphabet a déposé, entre 2013 et 2017, 186 brevets dans le domaine de la santé.

En France, certaines données de santé sont collectées et transmises sans aucun contrôle. Il est évident qu'il faut développer ce contrôle. Comment faire en sorte que les Gafama ne mettent pas la main sur les données de santé des Français ? Quelle stratégie envisagez-vous de mettre en oeuvre pour préserver le système de santé français face aux géants américains ?

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - C'est un sujet extrêmement important. Il faut être à la fois défensif et offensif. On pourrait interdire l'accès et la recherche sur les données de santé ; voir en parallèle des entreprises chinoises se développer, et qu'ensuite chacun, à l'idée de gagner par exemple cinq ans de vie en l'échange de données, se tourne vers les Chinois, car beaucoup n'hésiteront pas une seconde à faire le choix de livrer leurs données pour gagner une telle espérance de vie. Nous devons nous assurer que le leader dans ce domaine soit français ou européen, mais aussi que les algorithmes fonctionnent et soient adaptés aux Européens.

Mme Florence Lassarade.  - L'exploitation des données et leur protection sont un marché juteux. Les données de santé frauduleusement obtenues se vendent vingt fois plus cher que les données bancaires sur le dark net.

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE .  - Je me félicite de l'intérêt suscité par ce sujet d'actualité qui concerne tout le monde.

Yvon Collin a souligné la prépondérance de la Chine et des États-Unis et le retard européen dans le numérique. Nous vivons à l'heure des machines apprenantes. Les évolutions entamées après la seconde guerre mondiale ont pris depuis vingt ans un rythme qui donne le vertige, au risque d'accroître le clivage entre les métropoles hyperconnectées qui ambitionnent de devenir des villes intelligentes et les territoires souvent ruraux de plus en plus marginalisés pour des raisons démographiques ou économiques. Or ces derniers pourraient pourtant profiter de l'intelligence artificielle, par exemple pour pallier le manque de médecins généralistes, qui ne pourra être résorbé avant plusieurs années. C'est une question structurante de l'aménagement du territoire de demain.

Le rapport Villani contient des développements très intéressants sur l'agriculture intelligente. Ainsi le bilan énergétique et l'utilisation d'intrants pourraient être optimisés. L'ouvrage de Gaspard Koenig, La Fin de l'individu, montre le risque de déresponsabilisation qu'entraînent ces technologies.

L'Union européenne doit mobiliser beaucoup plus de moyens pour combler le retard technologique. Quelque 50 millions d'euros, pour créer un réseau européen de recherche dans le cadre du programme « Horizon 2020 », c'est bien trop peu. Dans la santé, l'industrie ou les transports, nous disposons de compétences, mais la politique européenne de concurrence menée par l'ancienne commissaire Margrethe Vestager empêche parfois de faire émerger des champions européens. Il est pourtant urgent de créer l'Airbus de l'intelligence artificielle.

Je conclurai par cette citation de Woody Allen : « L'intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise humaine. » (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi que sur plusieurs autres travées)

Prochaine séance, jeudi 3 octobre 2019, à 10 h 30.

La séance est levée à 20 heures.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 3 octobre 2019

Séance publique

À 10 h 30

Présidence : M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

Secrétaires : M. Guy-Dominique Kennel - Mme Françoise Gatel

1. Débat sur les conclusions du rapport d'information : « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 : urgence déclarée » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective)

À 14 h 30 :

Présidence : Mme Catherine Troendlé, vice-présidente

2. Débat sur les conclusions du rapport d'information : « Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité » (demande de la MCI Répression infractions sexuelles sur mineurs)

3.  Débat sur la santé en Guyane (demande de la commission des affaires sociales)

Nomination à une commission

M. Pascal Martin est membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.