Protection de l'enfant
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant.
Discussion générale
Mme Michelle Meunier, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission des affaires sociales . - Déposée par Mme Dini et moi-même en septembre, cette proposition de loi fait suite à notre rapport d'information sur le sujet. Nous sommes toutes deux familières du sujet et vice-présidentes chargées de l'enfance et de la famille dans nos départements. Nous nous sommes aussi inspirées des préconisations de nombreuses instances dédiées à l'enfance, mais aussi du Défenseur des droits, du GIP qui gère le 119 ou d'associations et organisations professionnelles.
Ce texte, qui n'est pas révolutionnaire, vise à mettre l'intérêt de l'enfant au centre des préoccupations. Des dysfonctionnements inter-institutionnels peuvent entraîner le martyr et la mort d'enfants, comme le récent cas tragique de la petite Marine. Je pense aussi aux enfants en attente d'adoption. On n'a encore rien trouvé de mieux qu'une famille pour élever un enfant.
La loi du 5 mars 2007 est une bonne loi, qui mérite cependant d'être complétée. Près de 300 000 jeunes sont chaque année pris en charge par les services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) à laquelle les départements consacrent 7 milliards d'euros. Malgré des avancées majeures depuis sept ans, des inégalités territoriales persistent, ainsi que des retards et des inerties.
Cette proposition de loi améliore d'abord la gouvernance de la protection de l'enfance, car le cloisonnement reste fort entre les acteurs. Il manque à cette politique un cadre autorisant une impulsion nationale.
L'article premier crée un Conseil national de la protection de l'enfance, chargé de proposer au gouvernement les orientations nationales, d'en évaluer la mise en oeuvre et de promouvoir les bonnes pratiques. L'article 2 tend à rendre effective l'obligation de formation initiale et continue des acteurs de la protection de l'enfance pour faire émerger une culture commune ; les observatoires départementaux de la protection de l'enfance auront une mission de programmation et d'évaluation des formations. Il faut apprendre à repérer précocement les signes de négligence ou de maltraitance. Les professionnels de santé sont des acteurs de proximité indispensables ; pourtant, les médecins sont à l'origine d'un très faible nombre de signalements, en raison de la méconnaissance des procédures, de l'isolement professionnel, de la crainte de poursuites pour dénonciation calomnieuse... Aussi l'article 4 crée-t-il, dans chaque service départemental de PMI un médecin référent pour la protection de l'enfance.
D'autres mesures tendent à sécuriser le parcours de l'enfant protégé. Le projet pour l'enfant, outil de coordination entre les acteurs, est la principale innovation de la loi de 2007. Mais les services départementaux y voient trop souvent une lourdeur administrative. Réaffirmons-en l'importance. Le projet devra être régulièrement réactualisé et un comité de suivi veillera à sa mise en oeuvre. Tel est l'objet des articles 5 à 7. L'étude de la situation de l'enfant protégé doit être pluridisciplinaire et la décentralisation poussée jusqu'au bout - car la responsabilité du président du conseil général est considérable, même si elle est encore parfois méconnue. Certains craignent une obligation chronophage, mais on évitera ainsi que des situations ne se compliquent. La situation de jeunes dans l'impasse mobilise beaucoup de temps professionnel et d'argent public.
La commission des affaires sociales a voulu limiter la saisine obligatoire de la commission aux cas préoccupants et aux enfants en bas âge. Les actes usuels de l'autorité parentale pourront être exercés par les assistants familiaux. L'article 9 enrichit le contenu du rapport annuel par une analyse de l'état de santé physique et psychologique de l'enfant, de son développement, de sa scolarité ou encore de sa vie sociale. La commission des affaires sociales a prévu un référentiel commun établi par décret.
D'autres dispositions du texte tendent à garantir une plus grande stabilité du parcours des enfants pris en charge par l'ASE. En France, l'éloignement du domicile familial n'est envisagé qu'en dernier recours ou en cas de maltraitance. Pourtant, certaines familles ne sont plus en mesure d'élever leurs enfants ; dans d'autres, le maintien des liens peut être néfaste. Les enfants sont alors placés pour une durée longue, mais leur parcours est très instable, et il est très difficile de faire évoluer leur statut juridique. Il est indispensable d'encadrer le changement de lieu d'accueil. La proposition de loi vise à garantir à l'enfant plus de stabilité en requérant dans certains cas l'avis du juge ; celui-ci pourra se saisir d'office s'il l'estime nécessaire au regard de l'intérêt de l'enfant. Il arrive que l'ASE confie l'enfant à une nouvelle famille d'accueil, ce que ni lui ni la famille où il est accueilli ne souhaitent... Une délégation d'autorité parentale, voire une adoption, pourront, le cas échéant, être envisagées.
Il s'agit ensuite de défendre les droits de l'enfant dans le cadre de la procédure d'assistance éducative. Le juge peut désigner un administrateur ad hoc. Or ceux-ci sont peu nombreux ; dans les faits, ce sont le plus souvent les services du conseil général qui sont désignés par défaut. L'article 17 exige la désignation d'un administrateur indépendant du service gardien, chargé de veiller au rappel des droits de l'enfant.
Pour se construire, ces enfants, durablement voire définitivement éloignés de leur famille d'origine, ont besoin de développer une relation d'attachement, d'appartenance à une autre famille. En France, l'adoption comme modalité de protection de l'enfant n'est que très peu entrée dans les mentalités. Elle permet pourtant de construire des projets de vie adaptés à la situation de certains enfants. Plusieurs articles de la proposition de loi initiale visent donc à encourager cette démarche.
Pour promouvoir l'adoption comme dispositif de protection de l'enfance, l'article 12 visait à rendre l'adoption simple irrévocable pendant toute la durée de la minorité de l'enfant, sauf motif grave. L'article 14 ouvrait en outre la possibilité de ré-adopter par la voie de l'adoption plénière des enfants déjà adoptés sous ce régime mais devenus pupilles de l'État. Très peu d'enfants sont concernés. La commission avait supprimé ces deux articles ; elle a finalement donné un avis favorable aux amendements qui les rétablissent.
Parallèlement, l'article 15 prévoit d'améliorer la prise en compte de l'intérêt de l'enfant dans la procédure d'adoption.
L'article 18 substitue à la procédure de la déclaration judiciaire d'abandon une procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental, fondée sur des critères plus objectifs. En l'état actuel du droit, la déclaration judiciaire d'abandon est peu mise en oeuvre ; la rédaction ambiguë de la loi dissuade souvent les services sociaux de déposer une requête, la notion de « désintérêt manifeste » des parents étant sujette à interprétation.
Enfin, l'article 20 incite au développement du recours au retrait total de l'autorité parentale. La procédure est rarement utilisée, les professionnels étant réticents à envisager une rupture du lien de filiation biologique. L'article prévoit le retrait de l'autorité parentale dès lors que le parent s'est rendu coupable d'un crime ou délit sur la personne de l'autre parent ou de l'enfant. Sur ma proposition, la commission des affaires sociales a adopté un amendement qui laisse une marge d'appréciation au juge, conformément aux principes constitutionnels.
La proposition de loi comporte plusieurs articles qui ne sont pas directement issus du rapport d'information mais qui répondent eux aussi à l'objectif d'une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant.
L'article 13 impose un accompagnement médical, psychologique et éducatif lorsqu'un enfant né sous le secret est reconnu par au moins un de ses parents. Il répond à une préconisation du Défenseur des droits.
L'article 19 renforce la sécurité juridique du recours contre l'arrêté d'admission en pupille de l'État en définissant de façon plus précise les membres de la famille ayant qualité pour agir.
L'article 22 propose d'inscrire expressément dans notre code pénal l'inceste sur mineur comme une infraction à part entière.
Par un heureux hasard, nous examinons cette proposition de loi à quelques semaines du 25e anniversaire de la Conférence des Nations unies relative aux droits de l'enfant. J'y vois un heureux présage. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Nombre de dispositions de ce texte concernent le code civil et le code pénal, ce qui justifie la saisine de la commission des lois sur treize articles. Je tiens à souligner la parfaite entente dans laquelle j'ai travaillé avec Mme Meunier. Nous avons rédigé ensemble plusieurs amendements que la commission a adoptés.
La commission des lois a reconnu la pertinence du diagnostic établi par Mmes Meunier et Dini : la loi de 2007, due à Philippe Bas, alors ministre, est une très bonne loi. Elle mérite des ajustements sans que sa construction en soit bouleversée ni nuise à ses objectifs.
La commission des lois a exprimé son attachement aux grands principes de la protection de l'enfant en droit français : protéger l'enfant et faire prévaloir son intérêt, prendre en compte autant que possible le point de vue des familles, refuser tout systématisme, distinguer le rôle des services sociaux de celui des juges.
Sur bien des points, nos deux commissions se sont rejointes. Elles ont par exemple rejeté la remise en cause des modalités d'adoption simple ou plénière, qui ne serait envisageable que dans le cadre d'une réforme globale. Sur la procédure d'abandon, la commission des affaires sociales s'est rangée à l'avis de la commission des lois.
Hélas, la commission des affaires sociales est revenue sur certains de ses choix. J'ai ainsi redéposé des amendements qu'elle n'avait pas adoptés sur deux points principaux : le retrait de l'autorité parentale et la création d'une surqualification pénale d'inceste.
L'article 20 de la proposition de loi prévoyait initialement de rendre automatique le retrait de l'autorité parentale pour les parents coupables de crimes ou de délits sur la personne de leur enfant ou de l'autre parent. Cette automaticité serait contraire au principe de l'individualisation des peines, à notre Constitution et à nos engagements internationaux. Ce serait revenir cinquante ans en arrière. La grande loi de 1970, qui a modernisé la notion d'autorité parentale, l'a supprimée. La meilleure protection que l'on peut apporter à un enfant doit correspondre à sa situation individuelle, loin de tout simplisme, de tout automatisme. Il est préférable, parfois, dans l'intérêt de l'enfant, que le juge renonce au retrait de l'autorité parentale. Tous les crimes, tous les délits, y compris une blessure involontaire, une simple atteinte à la vie privée de l'autre parent, seraient concernés ! Pourquoi montrer tant de défiance envers les juges ? Gardons-nous de légiférer sur le fondement de craintes, d'angoisses qui ne sont pas justifiées. La justice doit prendre les mesures nécessaires. Les représentants des avocats, des magistrats et de certaines associations familiales se sont tous inquiétés de cet article, qui modifie une disposition déjà examinée en août dernier, dans le cadre du projet de loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. À la place, nous avons adopté une mesure raisonnable sur laquelle il ne convient pas de revenir, six mois après.
De même, votre commission des lois, après de longs débats, vous propose de renoncer à la pénalisation de l'inceste. Ce n'est pas du tout une opposition de principe à l'insertion de l'inceste dans le code pénal. Cependant, la censure du Conseil constitutionnel en 2010 nous conduit à veiller à la précision de notre législation. Nos auditions ne nous permettent pas de nous prononcer sur la question définitivement. Ce serait prématuré. Gardons-nous des risques d'une nouvelle censure constitutionnelle, et des déceptions qu'elle ne manquerait pas de provoquer, à nouveau.
Ce thème entraîne nécessairement beaucoup d'affect, d'émotion. Astreignons-nous à réfléchir avec objectivité, à nous extraire de nous-mêmes, pour rechercher les meilleurs mesures, en faveur de l'intérêt de l'enfant. Débattons avec sérénité, objectivité, prudence. Si nous nous trompons dans la rédaction de ce texte, nous échouerons, mais de surcroît, nous fragiliserons l'équilibre de la loi de 2007.
La commission des lois a, sous réserve de ces observations, donné un avis favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - Cette proposition de loi prolonge la loi du 5 mars 2007, qui mettait l'accent sur la prévention, affirme le rôle central du département et élargit les modes de protection traditionnels de l'enfant, en plaçant en son coeur l'intérêt de l'enfant.
Cette proposition de loi tient compte des travaux récents, dont le rapport d'information de la commission des affaires sociales, celui de la députée Michèle Tabarot ou le rapport de février 2014 du groupe de travail présidé par Mme la professeure Gouttenoire, tous travaux tendant à rendre effectifs les droits de l'enfant, affirmés il y a vingt-cinq ans par la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE).
La proposition de loi va selon moi dans le bon sens, en privilégiant la recherche de la stabilité affective de l'enfant. Je souligne trois aspects positifs : la création du CNPE, s'il lui est imparti un rôle fonctionnel et s'il ne fait pas double emploi avec d'autres organismes ; la précision du contenu du projet pour l'enfant, qui définira les objectifs des interventions ; la sécurisation des parcours de protection de l'enfant, afin qu'il soit stabilisé avec plus de cohérence dans les actions mises en place. Ainsi, les personnes qui accueillent les enfants peuvent accomplir les « actes usuels » de l'autorité parentale sans formalités préalables.
Le texte de la commission des affaires sociales institue aussi plus de modération dans le changement des structures d'accueil, sans automaticité. Lorsque le placement, en principe provisoire, se prolonge, au-delà d'une durée à définir par décret, la proposition de loi améliore aussi le dispositif existant. Mais il est difficile de trouver des solutions pérennes. Nous regrettons que les deux commissions ne soient pas parvenues, à l'article 18 de ce texte, à récrire l'article 350 du code civil, introduit par la loi de 1966, rédigé par Simone Veil, alors magistrate à la Chancellerie.
Lorsqu'un enfant est délaissé ou abandonné par ses parents, et l'on peut concilier ces deux termes, l'abandon est constaté par le juge au moyen de la « déclaration judiciaire d'abandon ». Le délaissement caractérise la situation de l'enfant. Inscrire la notion d'abandon ou de délaissement volontaire dans le texte n'est pas satisfaisant. J'avais défendu l'abrogation de la notion de « grande détresse ». Introduire la notion d'abstention volontaire, c'est méconnaître la vocation de la déclaration judiciaire d'abandon, qui ne se limite pas à établir une intention des parents, c'est détourner nos regards de l'enfant lui-même, pour ne considérer que les adultes et leur responsabilité. Des enfants placés à l'âge de quelques semaines, en l'absence de tout contact avec leurs parents, deviennent pupilles de l'État en cinq ou six ans. Les dossiers sont bien documentés et il y a rarement besoin d'enquête supplémentaire. Le législateur de 1993 a mis en conformité la loi française avec la CIDE. Il a veillé à établir un délai de six mois avant que l'adoption soit prononcée, alors que l'enfant est déjà accueilli : ce délai a valeur incitative.
Il nous parait préférable de nous abstenir - volontairement - de modifier une nouvelle fois l'article 350 du code civil. Sur la révocabilité de l'adoption, je regrette que la commission soit revenue sur deux amendements, même si je reconnais que les arguments du rapporteur pour avis sont fondés et cohérents. L'adoption est une mesure de protection de l'enfant. Simple ou plénière, elle lui donne une nouvelle identité et une nouvelle filiation. L'adoption simple crée un lien de filiation pérenne, qui a vocation à se perpétuer de génération en génération. La jurisprudence est rigoureuse, quant aux demandes de révocation, qui sont nombreuses, mais plus des deux tiers sont rejetées. Il faudrait limiter la possibilité d'agir en révocation aux plus proches parents. Il semble inimaginable que des cousins germains puissent agir.
De même, l'article 14 visait initialement à protéger les enfants adoptés une première fois, qui ont vécu un échec, en leur donnant une deuxième chance d'être adoptés dans une nouvelle famille.
C'est la raison pour laquelle une seconde adoption plénière est possible en cas de décès des premiers adoptants pléniers et même une adoption simple après une adoption plénière, en cas d'échec de celle-ci. Jean-François Mattei avait proposé un dispositif, qui a permis, en dix-huit ans, l'adoption, une seconde fois, de dizaines d'enfants, qui n'ont été nullement déstabilisés.
Il n'est pas besoin d'attendre je ne sais quelle réforme globale de l'adoption pour retoucher notre législation, ainsi que le recommande le Conseil supérieur de l'adoption. Notre droit de l'adoption continue à servir de référence dans de nombreux pays. Il faut revoir les conditions d'admissibilité de l'enfant à la qualité de pupille de l'État. Le Conseil constitutionnel a récemment censuré la procédure de recours contre l'arrêté d'admission pris par le conseil général, prévu à l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles. Comme l'a jugé la Cour de cassation, un délai de recours ne peut commencer à courir, lorsqu'une décision est prise de façon non contradictoire et sans que chaque partie soit informée. La loi du 26 juillet 2013, votée dans la précipitation, pèche encore sur ce point.
La loi ne prévoit pas les modalités d'un recours effectif. Les services départementaux, en l'absence de filiation établie, sont confrontés à des difficultés insurmontables : comment informer des personnes dont on ne connaît ni l'identité ni l'adresse ? Cependant, celui qui se prétend apparenté à l'enfant juridiquement, peut intenter un recours : on imagine les fraudes à l'état civil qui pourraient en résulter. À un texte inconstitutionnel s'est substitué un autre, tout aussi inadapté. Le texte proposé limite le droit à agir aux très proches parents de l'enfant, qui ont manifesté leur intérêt pour l'enfant lorsqu'il était pupille à titre provisoire. Il serait nécessaire de l'aménager. D'où mon amendement rédactionnel à l'article 19.
Je ne peux conclure sans mentionner les enfants dits de kafala qui sont les grands oubliés du droit français. Dans certains pays la seule filiation reconnue est la filiation procréatrice dans le mariage. La France est le seul pays européen à avoir reproduit dans son propre droit les observations des pays qui prohibent l'adoption, essentiellement l'Algérie et le Maroc. Ce texte est discriminatoire. Or une récente circulaire du ministère de la justice, du 22 octobre 2014, clarifie enfin la situation de ces enfants. Elle reconnaît pour la première fois que l'enfant recueilli en kafala - ou recueil légal - peut être adopté. Si cette adoption suppose le recueil du consentement des personnes habilitées à l'exprimer, c'est un progrès. Mais il leur faudra attendre encore cinq ans. En effet, un enfant recueilli et aidé par une personne de nationalité française ne peut le réclamer avant ce délai. Il est opportun, madame la ministre, de réduire ce délai, à deux ans, ce qui serait raisonnable. Il s'agit encore d'une disposition protectrice de l'enfance qui mérite de figurer dans cette proposition de loi. (Applaudissements)
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Mme Dini a cosigné avec vous, madame Meunier, cette proposition de loi. Je suis particulièrement heureuse qu'elle commence son parcours législatif au Sénat. Les conseils généraux sont en effet depuis la loi de 2007 confirmés dans leur rôle de chef de file de la protection de l'enfance, au plus près des familles, des enfants. Ils sont les piliers, les pivots de la politique de l'enfance. Le temps nous manquera aujourd'hui pour étudier votre proposition de loi dans sa totalité. Ne manque-t-il pas toujours pour aider les enfants à grandir, pour « protéger l'enfant du monde et lui y donner accès » comme disait Hanna Arendt ? Pour protéger l'enfant, il faut pousser des portes, bien verrouillées ; celles que passent chaque jour les professionnels pour accéder à des informations ; celles, symboliques, qu'avait érigé le code Napoléon, reproduisant l'antique modèle du pater familias.
Il fallut attendre les années 1960 et l'historien Philippe Ariès pour que l'enfant devienne, enfin, sujet d'histoire.
La protection de l'enfance a toujours fait l'objet de réflexions : la première loi fut adoptée en 1889 après huit ans de débat.
Gardons-nous de tout manichéisme. Interrogeons nos propres pratiques. Oui, la maltraitance institutionnelle existe aussi, et pas que dans les médias. Elle est vécue, exprimée par les premiers concernés. Travaillons donc pour « le meilleur intérêt de l'enfant ». Nous nous retrouvons ici en effet sur les valeurs portées par la Convention internationale des droits de l'enfant, qui a vingt-cinq ans, et que la France fut l'une des premières à signer. J'eus l'honneur de me rendre à l'ONU à l'occasion de ce vingt-cinquième anniversaire pour signer le troisième protocole à cette convention, qui - outre les avancées procédurales - remet l'enfant à sa place, le restitue comme un sujet de droit, entend sa parole. La position de la France était attendue, pour que progressent encore les droits de l'enfant. Nous devons montrer l'exemple. C'est une nouvelle approche des droits de l'enfant que nous promouvons ainsi, non seulement pour notre image internationale, mais aussi pour nos propres pratiques au quotidien.
De nombreux rapports ont pavé ce chemin. Il n'est plus nécessaire d'en commander davantage, mais de passer à l'acte, d'harmoniser et de faire évoluer nos pratiques, mais aussi de faire évoluer la loi, quand c'est nécessaire. L'État doit veiller à assurer l'égalité de la protection de l'enfance, sur tout le territoire, où, nous le savons, des disparités existent : certains départements privilégient le placement, d'autres le maintien des liens affectifs. Le rôle collectif de la société, le rôle des pouvoirs publics, car c'est une mission régalienne, c'est de promouvoir « le développement complet de l'enfant », comme l'entend François de Singly. L'enjeu de la bientraitance se traduit dans notre politique de l'éducation, de la jeunesse. La lutte engagée par le Gouvernement contre le décrochage scolaire illustre cette cohérence, de politiques concrètes, pour améliorer la protection de l'enfance.
Les conseils généraux sont chefs de file, cela fut confirmé par la loi de 2007. L'État doit, pour sa part, assurer la coordination des acteurs.
La loi de 2007 comporte des avancées considérables notamment les commissions de recueil des informations préoccupantes (Crip). Pour autant, il convient de changer les pratiques, pour un meilleur partage des informations entre professionnels et départements.
Les travaux les plus récents des psychiatres, psychanalystes et pédopsychiatres, montrent que la priorité doit être accordée à la stabilité des figures d'attachement. Or notre protection de l'enfance est encore trop tournée vers les droits des parents. Que l'on ne se méprenne pas ! Je ne pointe nul doigt accusateur envers eux ! C'est un dur métier que celui de parent !
M. Jean Desessard. - Absolument !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. - Je vois qu'il y a de l'expérience dans cet hémicycle. (On le confirme sur divers bancs)
Adressons un signal en adoptant ici un texte qui aura rassemblé le Sénat. Votre Haute Assemblée peut aboutir à ce consensus. Il faut, pour cela, voir les angles morts.
Mon intuition est que si les juges des enfants et l'Aide sociale à l'enfance (ASE) parviennent à bien travailler ensemble, tout le monde suivra : normalement, tel est le sens du projet pour l'enfant (PPE), élément central de cette proposition de loi.
J'ai engagé il y a quelques semaines une grande concertation avec les anciens mineurs de l'ASE, les magistrats, les associations. Je verrai aussi les parents, les assistants familiaux et tous les acteurs, pour mettre de l'huile dans les rouages de la protection de l'enfance. Il fallait améliorer la loi de 2007. Je rends hommage à Philippe Bas qui l'a portée. Sept ans, c'est l'âge de raison, le temps nécessaire pour confronter loi et pratique. Le rapport d'information de Mmes Meunier et Dini, tend à conforter le cadre national de la protection de l'enfance, traduit par le CNPE, l'importance du médecin référent, pour la protection de l'enfance, dans chaque département.
Il faut parler des non-dits. Réfléchissons à ce que nous pouvons faire quand l'enfant n'est plus suffisamment protégé. Ne faut-il pas repenser l'autorité parentale ? Les anciens mineurs de l'ASE m'ont dit : « j'avais un père et un papa ; ma mère m'a mis au monde, ma maman m'a élevé ». Ne soyons pas psychorigides, sachons adapter nos principes.
Je souhaite que nos débats soient apaisés, mus par le seul souci de l'intérêt de l'enfant.
Si les amendements du Gouvernement n'ont pu être examinés en commission, c'est en raison de la concertation que j'ai engagée. Je préfère que nous les étudiions ensemble, d'ici la prochaine séance, pour construire ce consensus que j'appelle de mes voeux. (Applaudissements)
Mme Hermeline Malherbe . - Le 4 juin dernier, j'ai eu l'honneur en tant que présidente du GIP Enfance en danger, de publier son neuvième rapport qui montre que fin 2011, près de 2 % des moins de 18 ans, soit plus de 275 000 mineurs, étaient pris en charge au titre de la protection de l'enfance. Je recommandais ainsi la construction d'un référentiel national des besoins de l'enfant, le suivi des décisions des parquets, l'écoute des parents et des familles. Je me félicite que le rapporte de Mmes Dini et Meunier, que je salue pour leur excellent travail, reprenne ces pistes.
Depuis la loi de 2007, les conseils généraux se sont mobilisés, à moyens constants, dans un contexte de travail, déjà tendu. Ils ont constitué des cellules « Enfance en danger », appelées Crip. Je suis fière du travail accompli par les professionnels du service public de la protection de l'enfance, même si nous avons tous à coeur d'améliorer notre travail. Éducateurs, acteurs sociaux et médico-sociaux, assistants familiaux, je salue toutes ces personnes qui oeuvrent chez eux parfois, ou en établissements ; ils sont parfois injustement décriés.
Refusons tout dogmatisme, toute dualité entre droits des enfants et droits des parents. La proposition de loi améliore la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance, en respectant l'équilibre entre les partenaires. Je rappelle l'importance des missions du GIP « Enfance en danger » : le fonctionnement du 119, l'observation et l'évaluation des politiques publiques.
Il faut considérer l'enfant, non selon son statut, mais dans sa globalité. Il faut interroger la finalité du PPE. Quelles actions mener pour permettre à l'enfant de devenir un adulte autonome, s'insérant socialement avec des repères affectifs ?
Les délaissements et abandons devront être mieux repérés. L'adoption est souvent identifiée comme un dispositif à part, devant répondre à la situation des couples sans enfant. Le pire, pour les enfants, est de ne pas savoir pendant cinq, dix, voire quinze ans s'ils sont abandonnés ou pas.
Croisons les regards pour construire ensemble la protection de l'enfance, cette proposition de loi devra y contribuer, afin qu'elle puisse être mise en oeuvre. C'est un bon support législatif pour améliorer la loi de 2007. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Desessard. - Très bien !
Mme la présidente. - Je rappelle que la suite de l'examen de cette proposition de loi aura lieu le mercredi 28 janvier 2015.
La séance est suspendue à 13 heures.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.