SÉANCE
du jeudi 11 décembre 2014
40e séance de la session ordinaire 2014-2015
présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente
Secrétaires : M. Christian Cambon, M. Serge Larcher.
La séance est ouverte à 9 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Reconnaissance de l'État de Palestine
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution sur la reconnaissance de l'État de Palestine, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.
M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution . - C'est avec émotion que je monte aujourd'hui à la tribune. Notre débat est attendu, car la voix de la France, pays fondateur de l'Union européenne, membre du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies, amie du peuple israélien et du peuple palestinien, est entendue. Elle compte, sur la scène internationale. La France est forte quand elle défend un intérêt général supérieur à elle-même.
Depuis la Révolution française, jusqu'au général de Gaulle et à François Mitterrand, la France, chaque fois qu'elle porte les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, a toujours conservé une influence supérieure à son poids réel : c'est sa spécificité, c'est sa grandeur.
Le rêve issu des accords d'Oslo - qui ont valu à Yitzhak Rabin et à Yasser Arafat le prix Nobel de la paix, anéanti, ne verra jamais le jour si personne n'incite les parties au conflit à s'entendre. De longues négociations ont encore échoué au printemps et l'été a été marqué par le conflit à Gaza qui a fait 2 160 morts dont 83 % de civils du côté palestinien. L'échec de la diplomatie laisse la place au compromis militaire et aux conférences de reconstruction, une fois encore, une fois de trop.
La France défend la reconnaissance de l'État palestinien depuis les déclarations de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982. Depuis, tous les présidents de la République ont suivi cette voie. Le président François Hollande prend aujourd'hui des initiatives fortes pour que soit réunie une conférence internationale. La cheffe de la diplomatie européenne a dit, elle aussi, qu'elle serait heureuse si, au terme de son mandat, l'État de Palestine existait.
La France doit reprendre l'initiative. Jusqu'ici, on a toujours considéré que la reconnaissance de l'État palestinien dépendait de négociations bilatérales et d'un accord sur les frontières et sur le statut de Jérusalem. Mais aujourd'hui, cet argument perd de sa force après l'échec de la médiation américaine, aucun préparatif de pourparlers ne se dessine. Que la France prenne donc ses responsabilités, comme le ministre des affaires étrangères l'y appelait récemment.
La colonisation à marche forcée des territoires occupés ampute le futur État de Palestine : 400 hectares ont été annexés depuis la rentrée, 1 000 nouveaux logements doivent être construits, des maisons palestiniennes ont été confisquées.
Il faut donc inverser la procédure actuelle, qui exclut l'ONU et reconnaître dès à présent l'État palestinien. Ne pas le faire, c'est accepter que le climat actuel de violence et d'insécurité perdure. C'est ainsi que nous inciterons Israéliens et Palestiniens à négocier. Et cette reconnaissance serait conforme au droit international. Le législateur doit se tenir du côté du droit. Au nom du droit à l'autodétermination le peuple palestinien est fondé à se doter d'un État conforme aux normes de la communauté internationale qui ont présidé à la création de l'État d'Israël.
Selon l'ambassadeur d'Israël en France, toute reconnaissance unilatérale serait perçue comme une stratégie d'évitement des négociations par les Palestiniens. Mais depuis la mort d'Yitzhak Rabin, aucun processus de paix sérieux n'a été engagé. La colonisation menace la viabilité même du futur État palestinien. Enfin, invoquer le droit à l'autodétermination n'est pas s'opposer aux négociations. La Palestine ne peut continuer à être une exception aux normes internationales mais les dirigeants palestiniens ne pourront se soustraire aux choix difficiles qu'ils auront à faire pour définir les relations entre les deux États, s'agissant de Jérusalem, des colonies et des frontières.
Pour certains, la reconnaissance ne serait que symbolique. Je crois, au contraire, qu'elle a du sens, que c'est la seule option pour promouvoir la paix. C'est un acte politique fort.
Initiative prématurée ? Voilà quarante-sept ans que les territoires palestiniens sont occupés, trente-deux ans que François Mitterrand est monté à la tribune de la Knesset, vingt ans que le processus d'Oslo est au point mort, quinze ans que le Conseil de l'Union européenne a déclaré : « Le moment est venu ! ». Oui, il est temps d'agir, avant qu'il ne soit trop tard.
Unilatéralisme ? Non : la reconnaissance de la Palestine est un soutien aux démocrates des deux camps. Ce ne serait pas aux parlementaires de se prononcer ? La représentation nationale est souveraine.
La France, pays de tolérance, refuse toute instrumentalisation de ce conflit sur son territoire. Elle doit rappeler que ce conflit n'est pas une guerre de religion, mais un conflit territorial.
Mmes Michelle Demessine et Éliane Assassi. - Parfaitement !
M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution. - Que toute forme de racisme, d'antisémitisme et de terrorisme est intolérable. (Applaudissements sur la plupart des bancs de la gauche à la droite)
Par ce vote, la Haute Assemblée adresserait un message aux démocrates palestiniens et israéliens, pour adresser un soutien au camp de la paix et pour sauver la solution des deux États.
M. le ministre des affaires étrangères et du développement international a proposé un changement de méthode, que nous soutenons, avec la convocation d'une conférence internationale. La reconnaissance est un élément de cette nouvelle dynamique. Il appartiendra au Gouvernement de décider du moment opportun pour reconnaître l'État palestinien. À mes yeux, le moment est venu.
J'ai souhaité consulter les députés, pour que le Parlement français parle d'une voix cohérente, et m'entendre avec les groupes CRC et EELV, pour déposer un texte commun. Merci aussi au président Jean-Pierre Raffarin d'avoir présidé mercredi dernier aux auditions et aux échanges de grande qualité en commission, ouverts à tous les sénateurs et à la presse, et au président Gérard Larcher que j'ai tenu, dès le début, informé de mon initiative. Le ministère des affaires étrangères et du développement international a été longuement consulté, pour que cette proposition de résolution vienne en appui de la politique étrangère du Gouvernement.
Le texte qui vous est soumis est plus consensuel qu'initialement : j'ai souhaité un compromis entre tous les groupes politiques. (Murmures à droite) J'ai donc accepté des amendements du président Raffarin, en accord avec nos collègues des groupes CRC, écologiste et socialiste.
Le Sénat doit marquer sa volonté de sortir de l'impasse sur la question palestinienne en approuvant cette proposition de résolution, au-delà des clivages partisans. Je vous invite à le faire largement pour que le message envoyé au Gouvernement et au reste du monde soit clairement entendu. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)
Mme Éliane Assassi . - Après l'Assemblée nationale, le Sénat est appelé à un vote historique. La reconnaissance de l'État palestinien a pour seul objectif de contribuer à l'instauration d'une paix juste et durable. Je suis heureuse que les groupes CRC, socialiste et écologiste aient pu s'entendre. (M. Jean-Louis Carrère applaudit) et je remercie le président Raffarin qui a permis que ce débat se déroule dans un climat serein et responsable.
La reconnaissance de l'État palestinien est une exigence de longue date : nous avions déposé la même proposition de résolution en juin 2011, mais il aurait été regrettable d'agir en ordre dispersé. Un mouvement se dessine : le gouvernement suédois, la Chambre des communes britannique se sont prononcés en ce sens. Beaucoup appellent à changer de méthode pour trouver enfin une solution à ce conflit vieux de soixante ans. Faire dépendre la paix de la bonne volonté des deux parties ne saurait suffire. La guerre menée contre la population à Gaza cet été, la poursuite de la colonisation sont aujourd'hui les principaux aliments du conflit. Un ministre palestinien vient encore d'être tué au cours d'une manifestation pacifique. Le morcellement des territoires palestiniens par les colonies israéliennes, que les dirigeants du pays multiplient, rend le futur État palestinien non viable et voue les négociations à l'échec. Israël ne cherche pas à maintenir le statu quo mais à le modifier par la force. La crise politique actuelle traduit une fuite en avant suicidaire du gouvernement israélien dans un durcissement identitaire, avec l'affirmation de la nature religieuse de l'État, et dans une spirale sécuritaire.
Il n'est plus possible de laisser Israéliens et Palestiniens dans ce face-à-face déséquilibré et sans issue. La solution existe : c'est la coexistence de deux États dans les frontières de 1967, avec Jérusalem comme capitale partagée. Il faut faire respecter les résolutions de l'ONU, dont la première date de 1947. Sans volonté politique de la communauté internationale, il n'y aura pas de paix.
À mes yeux, le principal moyen de pression diplomatique est la reconnaissance de principe de l'État palestinien. Il existe un peuple, un territoire et un gouvernement - même s'il est en partie contesté : les conditions de la reconnaissance d'un État sont donc réunies. Cette reconnaissance rendrait illégale l'occupation du territoire d'un État souverain.
Gênerait-on ainsi les initiatives diplomatiques du Gouvernement ? Non, elles sont complémentaires de la nôtre même si l'on peut craindre, d'après les récentes déclarations de M. Fabius, que cette reconnaissance ne soit encore repoussée. (Mme la présidente invite l'oratrice à conclure, tandis qu'on appelle à droite au respect du temps de parole) Le moment est historique ! (Marques d'encouragement sur les bancs CRC, d'impatience à droite) Notre vote irait dans le sens de la résolution que M. Abbas va déposer à l'Assemblée générale des Nations unies, appelant Israël à se retirer des territoires occupés depuis 1967.
La voix des membres permanents du Conseil de sécurité est déterminante.
La reconnaissance de l'État palestinien ne serait pas une faveur, mais un droit.
Pendant des décennies, les peuples palestiniens et israéliens ont été meurtris par l'Histoire. Nous sommes nombreux à rêver que les enfants israéliens et palestiniens grandissent un jour côte à côte, en paix. Donnons enfin une chance à la paix. (Vifs applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)
Mme la présidente. - J'appelle chacun à respecter son temps de parole.
Mme Éliane Assassi. - Le moment est historique, tout de même. (Marques d'approbation sur les bancs CRC)
M. Roger Karoutchi. - Nous dépasserons autant que vous ! (On approuve à droite)
M. Aymeri de Montesquiou . - Quel que soit notre vote, nous aspirons tous à ce que cesse un conflit source de destructions, de deuils et de haine. La peur et le sentiment d'injustice suscitent des réactions violentes. Les Israéliens éprouvent un sentiment obsessionnel mais compréhensible d'insécurité. Les Palestiniens ont été meurtris par le désastre, la Nakba, qu'a constitué la reconnaissance internationale d'Israël, d'autant qu'Israël ne respecte pas les résolutions de l'ONU.
Il ne faut pas céder à l'émotion mais chercher à apaiser par des solutions pragmatiques et justes. Quelle est la situation des Palestiniens de Cisjordanie ? La colonisation, le mur, les entraves à la circulation, l'abattage des oliviers, la confiscation de l'eau et la destruction des maisons rendent leur quotidien insupportable.
M. Roger Karoutchi. - C'est équilibré !
M. Aymeri de Montesquiou. - À Gaza, après 1 400 morts en 2009, le conflit de cet été a provoqué 2 200 morts, essentiellement civils, dont beaucoup d'enfants. Personne ne peut souhaiter que la situation perdure.
Aujourd'hui, le chef du Hamas et le Premier ministre israélien défendent des positions qui rendent la paix inaccessible. Les États-Unis opposeront leur veto à toute proposition de résolution du Conseil de sécurité qui irait contre les intérêts d'Israël. Alors, que faire ?
Les initiatives du ministre des affaires étrangères vont dans le bon sens. Israël a été reconnu par l'OLP et en août dernier, le Hamas, en reconnaissant la création de l'État palestinien dans les frontières de 1967 a implicitement reconnu Israël.
M. Roger Karoutchi. - Implicitement !
M. Aymeri de Montesquiou. - Cette reconnaissance doit être formalisée. La paix est le seul moyen de mettre un terme à la propagation insupportable de l'antisémitisme.
Comme certains collègues de l'UDI-UC, je voterai pour cette proposition de résolution tout en regrettant que, pour des raisons sémantiques dérisoires, le Sénat n'ait pas su s'entendre sur un texte commun. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)
Mme Esther Benbassa. - Bravo !
M. Aymeri de Montesquiou. - Cette proposition de résolution n'est pas hostile à Israël, mais au statu quo. Après quarante-sept ans, avons-nous le droit de dire aux Palestiniens que ce n'est pas le moment ? Pour la paix, tous les moments sont propices. (Vifs applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)
Mme Esther Benbassa. - Bravo ! Très bien !
M. Christian Cambon . - Une résolution incitant le Gouvernement français à reconnaître l'État palestinien suffira-t-elle à mettre fin à ce vieux conflit ? Nous ne le croyons pas.
M. Daniel Reiner. - Nous si !
M. Christian Cambon. - Tentant de déchiffrer « l'Orient compliqué », selon la formule du général de Gaulle, la nouvelle majorité sénatoriale et la commission des affaires étrangères ont préféré l'écoute. Or nos auditions n'ont pas démontré l'intérêt de cette proposition de résolution pour la paix. (Exclamations socialistes)
M. Roger Karoutchi. - Eh oui !
M. Christian Cambon. - Tout d'abord, la diplomatie est du ressort du Gouvernement à qui il appartiendra de reconnaître, le moment venu, l'État palestinien.
On nous a opposé la vertu du symbole. Que cette proposition de résolution apporte un symbole apaisant à la communauté musulmane de France heurtée par vos réformes de société. (M. Roger Karoutchi le confirme, tandis que l'on proteste vigoureusement à gauche)
Comme l'a dit M. Fabius, ce vote n'apporte aux Palestiniens qu'une reconnaissance d'un État de papier : les Palestiniens méritent mieux que cela.
La solution des deux États, nous la partageons tous. Comme beaucoup d'amis d'Israël, nous n'approuvons pas les confiscations de terres qui attisent le conflit. Mais comme amis des Palestiniens nous considérons que la paix ne sera possible que si cesse le terrorisme et si la sécurité d'Israël est garantie.
Il faut reconnaître pour négocier. Immobilisme ? Les parties et la communauté internationale ont failli aboutir à plusieurs reprises. Le contexte a beaucoup évolué depuis soixante ans. Nous ne nous satisfaisons évidemment pas de ces résultats partiels, mais seules les négociations peuvent aboutir à une reconnaissance mutuelle.
Pour vous, la reconnaissance unilatérale de l'État palestinien serait un instrument de la paix. Quel cynisme ! C'est vouloir exercer une pression unilatérale sur Israël. D'ailleurs, votre proposition ne lève aucun des obstacles qui ont empêché jusqu'ici la reconnaissance.
M. Jean-Louis Carrère. - Ce n'est pas son objet !
M. Christian Cambon. - Le Hamas appelle toujours à détruire Israël, c'est inacceptable.
Si le Gouvernement appliquait votre résolution à la lettre, la France perdrait tout crédit. C'est en conservant une position équilibrée que nous continuerons à exercer une influence sur Israël.
Votre proposition de résolution ne répond qu'à des fins de politique intérieure. Elle déséquilibrerait la diplomatie française telle que pratiquée depuis le général de Gaulle et l'affaiblirait.
Nous avons essayé de trouver un compromis. (M. Daniel Reiner le conteste) Quel serait le sens d'une initiative diplomatique qui ne surmonte pas les clivages politiques ?
Le ministre des affaires étrangères lui-même a appelé de ses voeux un texte rassembleur.
M. Didier Guillaume. - C'est celui-ci. (M. Roger Karoutchi le conteste)
M. Christian Cambon. - Le prétendu mouvement européen en faveur de la reconnaissance de l'État palestinien est illusoire. En Espagne, la résolution votée a fait l'objet d'un consensus politique, et elle ne fait de la reconnaissance qu'une conséquence et non l'instrument de la négociation. Le sens du compromis du PSOE fait défaut visiblement au parti socialiste. (Exclamations à gauche)
M. Didier Guillaume. - De telles polémiques, sur un tel sujet !
Mme la présidente. - Concluez, monsieur Cambon.
M. Christian Cambon. - Un compromis était possible. (Exclamations à gauche, où l'on souligne que l'orateur a largement épuisé son temps de parole) Nous ne voterons pas cette proposition de résolution, qui n'apporte aucune solution utile pour une paix durable. (Applaudissements à droite, sur la plupart des bancs au centre ; huées sur les bancs CRC)
M. Didier Guillaume . - Je veux m'adresser aux Français qui nous regardent. L'enjeu de ce débat n'est pas politicien. Comment penser contribuer à résoudre le conflit israélo-palestinien, si l'on cède ainsi à la polémique ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Nous venons d'assister à un nouveau drame. Je souhaite que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Ziad Abou Ein, ministre palestinien. Nous sommes tous pour la paix. Les extrémistes de tout poil sont nos ennemis. Nous ne pouvons tolérer que, sous prétexte de religion, ces fanatiques tuent des hommes et des femmes. Ces fanatiques ne vivent que de la terreur.
Notre vote, aujourd'hui, peut leur montrer que la France est déterminée à choisir la paix. C'est la position équilibrée de la France qui l'a toujours fait écouter. Conservons ce juste équilibre.
Il appartient aux parlementaires de s'exprimer, de s'engager. Nous appelons de nos voeux la reconnaissance des deux peuples, vivant côte à côte en paix. La France est l'amie des Israéliens comme des Palestiniens. Nous combattons tous les amalgames. Nous ne pouvons ignorer les débordements qui se multiplient en France même : le pays de la Révolution française, de la Résistance, de Jaurès, de de Gaulle, ne peut accepter la progression du racisme et de l'antisémitisme. Ce qui s'est passé à Créteil est insupportable. (Applaudissements à gauche) Je soutiens le Premier ministre, lorsqu'il dit que sans les Juifs de France, la France ne serait pas elle-même.
Cette résolution poursuit le mouvement international en faveur d'un État palestinien : les 135 pays qui se sont déjà prononcés en faveur de la reconnaissance de l'État palestinien souhaitent que soient prises des initiatives de grande ampleur. Martin Schulz, président du Parlement européen, a déposé une résolution qui sera prochainement débattue.
En votant cette proposition de résolution, le Sénat dira son désir de paix, dans la tradition de la France. Je regrette que la commission des affaires étrangères ne s'exprime pas ce matin. Je salue le travail de Gilbert Roger en son sein. Ce n'est pas cette résolution qui mettra un terme au conflit immédiatement, mais il faut agir, maintenant, pour que ne se perpétuent plus ces actes inacceptables. Je ne veux plus voir ces enfants qui meurent, ces familles qui pleurent ! (Vifs applaudissements à gauche)
Après soixante ans d'impuissance, ce texte soutiendra l'action du Gouvernement pour la paix, après l'échec du processus d'Oslo. Conférer le statut d'État souverain aux Palestiniens, c'est faire vivre les paroles de François Mitterrand devant la Knesset, paroles que tous ses successeurs ont reprises à leur compte. Cet équilibre constitue la ligne constante de notre politique extérieure, pour un État souverain, en paix et en sécurité, aux côtés d'Israël.
Cette résolution prend acte de l'impasse actuelle. C'est un changement de méthode. C'est en Républicains responsables, convaincus d'une juste cause, soucieux de notre démocratie, que nous souhaitons une expression juste, digne et forte, en solidarité avec les peuples palestinien et israélien. C'est un symbole de paix.
Il y a un an disparaissait Nelson Mandela. Nous disons avec lui à nos amis israéliens que « pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé ». Et nous disons avec lui à nos amis palestiniens qu'« être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ». Le droit à la sécurité d'Israël est aussi inaliénable que le droit souverain des Palestiniens à disposer d'un État. Il appartient à la France, parce qu'elle est l'amie de ces deux peuples, de poser, avec d'autres, les jalons de cette paix durable. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Raffarin. - Le Règlement veut que les commissions ne soient pas saisies des propositions de résolution, qui sont l'affaire des groupes politiques. Notre commission a tenté un accord politique. Celui-ci n'étant pas possible, la commission a fait un choix, celui de ne pas parler pour exprimer un désaccord. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Louis Carrère. - C'est dommage ! Nous préférons la commission aux partis.
Mme Esther Benbassa . - Les fondateurs du sionisme eurent pour objectif de normaliser et sécuriser le peuple juif. Mais la question juive posait une question arabe. Martin Buber rapporte l'anecdote suivante : lorsque Max Nordau, qui soutenait le projet sioniste, apprit que vivait en Palestine une population arabe, il courut chez Theodor Herzl pour lui dire que si c'était vrai, ils commettaient une injustice !
Herzl et ses successeurs, imprégnés par l'idéologie coloniale du XIXe siècle, s'imaginèrent qu'en apportant les « bienfaits de la civilisation », ils réussiraient à convaincre les Arabes d'accepter une implantation juive massive. Dans son récit Altneuland, paru en 1902, Herzl imagine la Palestine vingt ans après la création d'un état juif, et il fait dire à l'un de ses héros arabes que « L'immigration juive fut une bénédiction ». Pourtant, dès 1891, le publiciste juif russe Ahad Ha'Am avait lancé une claire mise en garde : « il ne faut pas nous cacher que nous allons vers une guerre difficile ». La revendication d'un « droit historique » sur la terre biblique occulta longtemps, aux yeux de ses promoteurs, la réalité d'une présence arabe qui pouvait, elle, se prévaloir d'un « droit national » tout aussi légitime, sur cette même terre.
On ne reviendra pas en arrière. L'État d'Israël est né en 1948, et nul ne conteste son droit à l'existence et à la sécurité.
M. Roger Karoutchi. - Certains, si !
Mme Esther Benbassa. - Ce qui, pour beaucoup de Juifs, après l'épreuve tragique de l'extermination, a marqué le temps d'une renaissance, a ouvert, pour les Palestiniens, le temps du déracinement, puis de l'occupation à partir de 1967.
Martin Buber rêvait d'un État binational. « Nos destinés nous forcent à vivre ensemble, sur le même sol, sur la même terre », disait plus modestement Yitzhak Rabin. La coexistence de deux États est la seule issue à des décennies de déni mutuel.
N'abandonnons pas le terrain aux extrémistes des deux bords. Messianisme et irrédentisme mènent au désastre. Remettons-nous en à la raison.
En 1976, Yeshayahou Leibowitz, penseur israélien religieux écrivait : « Il se peut que l'histoire des relations israélo-arabes de ces dernières décennies soit un "chaos irréparable". D'évidence, dans la situation créée à la suite de la conquête par les Juifs de tout le territoire de la Palestine au cours de la guerre des Six Jours, il est impossible que les Juifs et les Arabes ne viennent à s'entendre pour la partition du pays entre les deux peuples et qu'ils le fassent de leur plein gré. C'est pourquoi il faut souhaiter une solution imposée aux deux parties par les superpuissances ».
Je n'y crois pas. J'ai longtemps vécu en Israël. J'ai consacré une grande part de mes travaux à l'histoire du sionisme. Je fus témoin des souffrances quotidiennes du peuple palestinien. Les écologistes voteront unanimement cette proposition de résolution dont ils sont tous signataires. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) Nous aurions tout à perdre à laisser se propager les amalgames inacceptables, terreau de l'antisémitisme dont le hideux visage nous fut montré, il y a quelques jours, à Créteil. N'hésitons pas à appeler le Gouvernement de la France à reconnaître enfin l'État de Palestine. (Vifs applaudissements sur tous les bancs à gauche)
M. Hervé Marseille . - Texte de circonstance, déséquilibré. Il a des relents d'électoralisme.
M. Jean-Louis Carrère. - Dont vous n'êtes pas capables !
M. Hervé Marseille. - Oh ! Je compte sur vous ! Le groupe socialiste est arrivé en tête de la course de vitesse entre groupes de gauche.
M. Didier Guillaume. - Franchement !
M. Jean-Louis Carrère. - La vulgarité n'est pas d'un parti...
M. Hervé Marseille. - C'est ainsi, ne vous en déplaise !
Mme la présidente. - Poursuivez, je vous prie.
M. Hervé Marseille. - On peut encore s'exprimer tout de même ! Texte électoraliste, oui, qui cherche à vous faire retrouver les bonnes grâces d'électeurs que vous avez perdus. (Protestations sur les bancs socialistes ; on approuve sur les bancs UMP)
Ce type de gesticulation ne fera pas avancer d'un iota la résolution du problème, dont on sait très bien qu'elle est le fruit d'un accord global qui est loin d'être en vue.
Il eût fallu faire droit aux recommandations du président de la commission des affaires étrangères, pour aboutir un texte qui est pour le moment unilatéral, qui ignore le Hamas, l'accord de réconciliation entre celui-ci et le Fatah, la question de Jérusalem.
M. Didier Guillaume. - Elle y est.
M. Hervé Marseille. - Votre texte est incantatoire. Il n'appartient pas au Parlement d'intervenir ainsi dans la politique internationale de la France. Que le Gouvernement, que le président de la République, s'ils en ont le courage, reconnaissent l'État palestinien. Qu'ils le fassent, nous les soutiendrons.
Quand il s'agit du génocide arménien on nous dit de ne pas voter. Roger-Gérard Schwartzenberg à l'Assemblée nationale a parlé d'injonction courtoise.
M. Didier Guillaume. - C'est une incitation.
M. Hervé Marseille. - Non, une injonction.
Des femmes qui pleurent, des enfants qui meurent, il y en a partout, dans le monde, tous les matins. (On s'indigne sur les bancs socialistes) Cela ne vous plaît pas, mais je le rappelle tout de même. Le Parlement montre sa division, cela aide-t-il le président de la République, le gouvernement d'un pays qui compte la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d'Europe. Je ne voterai pas ce texte...
Mme Éliane Assassi. - Dommage.
M. Hervé Marseille. - ... qui ne fait pas avancer la paix. (Applaudissements sur la plupart des bancs au centre et à droite)
M. Roger Karoutchi . - Je vais changer mon propos, après avoir écouté le président Guillaume. Cela ne changera pas mon vote.
Mme Bariza Khiari. - Dommage !
M. Roger Karoutchi. - Qu'est-ce que ce débat vient faire au Parlement ?
Mme Éliane Assassi. - Il en a le droit.
M. Roger Karoutchi. - Je n'ai interrompu personne !
M. Jean-Louis Carrère. - Voire.
M. Roger Karoutchi. - En 2008, lors du débat constitutionnel, je me souviens des arguments provenant du groupe socialiste : pas de résolution dans les domaines régaliens, comme la défense et les affaires étrangères. Vérité en 2008 ne l'est plus en 2014...
M. Gaëtan Gorce. - C'était Sarkozy !
M. Roger Karoutchi. - C'est au Gouvernement, en matière de diplomatie et d'affaires étrangères, d'avoir, seul, la main. Car il détient beaucoup d'éléments dont le Parlement n'a pas connaissance, et heureusement, sinon à quoi servent les ambassadeurs, la diplomatie ? L'interférence n'a pas de sens. C'est une première raison de voter non.
Monsieur Guillaume, votre propos était plus admissible que cette proposition de résolution, car vous avez rappelé que le Hamas est une organisation terroriste, qui envoie des missiles sur Israël, une organisation avec laquelle il est difficile de négocier. Il y a un problème : on dit qu'il faut reconnaître l'État palestinien et je suis pour les deux États, mais deux États avec chacun un territoire, un vrai pouvoir.
La mort de qui que ce soit est un drame, des deux côtés. Mais pour faire la paix, il faut être deux.
Mme Éliane Assassi. - Justement !
M. Roger Karoutchi. - Le Hamas dit qu'il ne participera pas aux conférences internationales, qu'il effacera Israël de la carte. On peut soutenir qu'il n'appliquera pas sa charte, mais qu'il commence par l'abroger, ce serait un pas en avant.
Cette proposition de résolution est beaucoup trop unilatérale pour que nous puissions la voter. Elle dit la responsabilité d'Israël, que je ne conteste pas, mais pas celle d'un mouvement terroriste, qui existe bel et bien. Alors, prenons des initiatives, oui, mais pas ainsi, car ce n'est pas acceptable. Oui, monsieur Guillaume, les sénateurs réfléchissent, mais nous réfléchissons ici en démocrates, issus des Lumières. Acceptent-ils qu'un peuple soit sous la menace d'une organisation terroriste ? Non.
Nous avons une responsabilité collective. Elle peut s'appuyer sur la compassion inutile. Mais elle s'exerce en premier lieu à l'égard des citoyens français. Personne ne peut ignorer les drames, les tensions, le climat qui prévaut dans notre pays. Le gaulliste que je suis souhaite l'unité nationale. Il faut des signes. N'allons pas émettre un signe qui serait perçu comme négatif par une communauté qui se sent menacée. En tout cas, il risque fort d'être interprété ainsi, fût-ce à tort. Nous sommes depuis des mois dans une situation critique dénoncée à juste raison par MM. Valls et Cazeneuve. Faut-il en rajouter ? Les parlementaires que nous sommes sont là d'abord pour tisser du lien social. Nous devons d'abord dire que tous les Français doivent se sentir bien ici. (Applaudissements sur la plupart des bancs au centre et à droite)
Mme Bariza Khiari . - Cette résolution est une tentative pour contribuer à la paix juste et durable. Notre vote positif exprimerait la volonté du Sénat, qui n'a pour lui que la puissance des mots, de voir cesser ce conflit. Il s'agit bien de la voix de la France, où vit la première communauté juive d'Europe, où la marque des conflits passés est profonde, la France qui sait, comme le disait Aimé Césaire, que « La colonisation déshumanise l'homme, même le plus civilisé ». Je pense au ministre palestinien mort hier.
L'Europe a sombré moralement en laissant prospérer en son sein les haines qui aboutirent à la Shoah. La France de Vichy a contracté vis-à-vis de ses citoyens juifs une dette de sang. Mais cette dette, ce n'est pas aux Palestiniens de la payer.
Ceux qui craignent l'importation du conflit israélo-palestinien en France se trompent, car ce conflit fait depuis toujours partie de notre Histoire.
La ligne de fracture n'oppose pas les uns aux autres comme le bien et le mal. Elle passe au sein même de nos consciences, c'est un conflit de principes. La bienveillance pour Israël, née en raison de la faute de Vichy, se nourrit aussi de l'extraordinaire vitalité de la société civile israélienne. Ce capital de sympathie n'interdit pas de prendre conscience de l'asymétrie des forces et de l'injustice faite aux Palestiniens.
Notre conscience politique, née de l'histoire récente, fait que toute entreprise coloniale suscite notre réprobation. Or Israël poursuit sa politique de colonisation jusque dans Jérusalem. Tous les parlementaires qui sont allés sur place ont pu constater cette évolution, contraire au processus d'Oslo. Le constat est terrible : le dialogue se révèle impossible. Rarement, l'avenir aura été aussi sombre, la détresse si forte, dans cette région.
Ranimons la flamme de la paix. La position de la France, en faveur d'un État en Palestine, a été affirmée et réaffirmée constamment, tant par la droite que par la gauche. La situation actuelle présente un réel danger pour Israël. L'espoir peut servir d'antidote à la violence. Israël, parce que c'est une démocratie, suscite de notre part plus d'exigence, envers le respect de la vie humaine en particulier.
Ce n'est pas en votant contre cette résolution que l'on mettra fin aux actes antisémites qui nient notre pacte républicain. Je dénonce la faiblesse des réactions après le drame de Créteil, aussi bien que l'apathie face aux actes islamophobes. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur certains bancs socialistes)
Je regrette que nous ayons perdu notre capacité d'indignation parce que, comme le disait saint Augustin, à force de tout banaliser, on finit par tout supporter ; à force de tout supporter, on finit par tout tolérer ; à force de tout tolérer, on finit par tout accepter et à force de tout accepter, on finit par tout approuver.
Contribuons par notre vote à soutenir tous ceux qui, en Israël, en Palestine, ailleurs dans le monde, en dépit de tous les drames, oeuvrent pour la paix. Cette vision n'est pas utopique. Il n'y a pas de fatalité. La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité, peuvent se prévaloir, aux Nations unies, du soutien de leurs parlements. Le moment est venu. Allons d'une paix froide en bas d'un parchemin, à une réconciliation des coeurs, entre Israéliens et Palestiniens. Il appartient à la France de faire cesser ce tête-à-tête sans issue. Soyons, par notre vote, à la hauteur. (Applaudissements à gauche)
M. Roger Karoutchi. - Je suis décidément le seul à avoir respecté mon temps de parole...
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Pour une fois, je donne raison à Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, quand elle a parlé d'indifférence coupable et d'inaction meurtrière. On ne peut rester inactif, face à ce conflit. La communauté internationale a une responsabilité majeure pour établir une paix durable.
Comment agir, donc ? Le groupe socialiste nous propose, par une résolution sans valeur contraignante, d'inviter le Gouvernement à agir ? Pourquoi passer par le Parlement, alors qu'il s'agit d'une prérogative de l'exécutif et du président de la République.
M. Christian Cambon. - Absolument.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - En 2011, par la voix du président Sarkozy, la France a soutenu l'adhésion de la Palestine à l'Unesco, puis son entrée à l'ONU en 2012. Depuis, plus rien. Cette résolution n'est-elle pas une entreprise de whitewashing pour dissimuler sous un maquillage l'immobilisme diplomatique de la France ? (Protestations sur les bancs socialistes) Je ne peux que vous faire part de nos doutes. Retarder de deux ans supplémentaires une initiative diplomatique forte serait meurtrier. En 2008, avec d'autres parlementaires, nous avions rencontré tous les dirigeants sur place. Rien n'a changé. Les lignes n'ont pas bougé.
Depuis 1988, pas moins de 135 pays, deux tiers des membres de l'ONU, ont reconnu la Palestine, avec des conséquences nulles sur l'avancée de la paix. Je suis convaincue que la paix durable suppose la coexistence de deux États indépendants dans les frontières de 1967. C'est aussi la doctrine traditionnellement affirmée par notre diplomatie. Mais, au-delà des mots, il faut adopter une attitude beaucoup plus ferme, car la passivité internationale s'apparente à un véritable permis de tuer. La Cour internationale de justice a déclaré le mur de séparation contraire au droit international. Cet été, le Conseil de sécurité a été contraint d'appeler au respect du droit international humanitaire et à la protection des civils à Gaza. La poursuite du processus de colonisation est illégale, et le non-respect de la liberté de circulation des Palestiniens porte atteinte à leurs droits fondamentaux.
Pourquoi la France, si prompte à condamner la Russie, tient-elle des prises de position aussi tièdes sur ce dossier ? Cela pourrait passer par une réduction de la coopération et des échanges avec Israël. Ce serait une action beaucoup plus tangible que la reconnaissance diplomatique. La France ne doit jamais se faire complice des exactions du Hamas : surveillons les circuits de financement de cette organisation.
L'adhésion de la Palestine à la Cour internationale de justice, proposée par Dominique de Villepin, aurait un impact beaucoup plus concret qu'une simple reconnaissance diplomatique. Enfin, une initiative européenne aurait beaucoup plus de poids.
Convaincue de la nécessité de reconnaître l'État de Palestine, je considère que cette proposition de loi ne contribuera pas à la relance du processus de paix...
M. Daniel Reiner. - Quelle contorsion !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - ... elle n'est qu'un maquillage de votre immobilisme diplomatique. Nous vous avons proposé de la récrire, vous avez refusé. Je ne la voterai pas. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs de l'UMP)
M. Jean Germain . - Nous sommes nombreux à être éclairés, via les groupes interparlementaires d'amitié, par nos contacts avec les pays arabes et du Proche-Orient. Ceux-ci disent trop souvent « les Israéliens » plutôt que « Israël ». Inversement, on dit plutôt « les Palestiniens » que « la Palestine ». Ce n'est pas indifférent. Les mots ont du sens : il faut que les mots « Israël » et « Palestine » soient utilisés pour que leur réalité soit reconnue.
Si notre pays, qui jouit d'un grand prestige au Proche-Orient parle de Palestine, d'autres pays parleront plus volontiers d'Israël. L'histoire, les valeurs et les intérêts de notre pays nous poussent à reconnaître l'État de Palestine à côté de celui d'Israël. Ne cédons pas aux adeptes des théories du déclin !
Loin d'être une injonction, ce que la Constitution ne permettrait pas, cette proposition de résolution procède d'un constat partagé, au-delà de la gauche, au Sénat, à l'Assemblée nationale et dans le pays tout entier. Elle est équilibrée.
M. Roger Karoutchi. - Mais non !
M. Jean Germain. - Nos relations sont très étroites avec le Proche-Orient. Un ancien ministre français, devenu souverainiste, déclarait, il y a quelques années, que l'Europe ne devait pas accueillir en son sein d'autres pays que ceux qui appartenaient jadis à l'Empire romain.
M. Didier Guillaume. - Karoutchi !
M. Jean Germain. - Or je rappelle que celui qui présida aux célébrations du millénaire de Rome, en 247, s'appelait Philippe l'Arabe et était né au sud de Damas.
M. Didier Guillaume. - Un agrégé d'histoire devrait le savoir !
M. Jean Germain. - Les Palestiniens auraient-ils plus de raison que tout autre peuple libre de s'effacer ? Je crois que non. L'histoire s'est faite de conquêtes, de spoliations, d'atteintes aux droits des personnes. Cela n'est plus légitime. La France, monsieur Karoutchi, monsieur Marseille, a joué un rôle historique dans l'affirmation des droits de l'homme. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes) Elle doit faire entendre sa voix, qui est attendue. Beaucoup d'Israéliens influents soutiennent notre démarche.
Mme Bariza Khiari. - Oui.
M. Jean Germain. - Combien de nos concitoyens réalisent-ils que le Liban est une démocratie arabe présidée par un chrétien ?
Mme Bariza Khiari. - Oui.
M. Roger Karoutchi. - Quelle belle démocratie !
M. Jean Germain. - La France, sa diplomatie, ne manquent pas de perspectives. Certaines d'entre elles sont tracées depuis longtemps. Soutenons notre diplomatie, soutenons la place de la France, libre de tout alignement sur les États-Unis.
M. Jean-Noël Cardoux. - Temps écoulé depuis plus de deux minutes ! (On renchérit à droite)
M. Jean Germain. - La France sera écoutée. La paix au Proche-Orient est notre avenir, dans un monde ouvert.
Plusieurs voix à droite. - C'est fini !
Mme la présidente. - Concluez !
M. Jean Germain. - Oui, cette résolution revêt un intérêt stratégique pour notre pays. Soyons à la hauteur de la France, de son histoire, de ce moment. (Applaudissements à gauche)
M. Yvon Collin . - Dès 1949, la France fut l'un des premiers pays à établir des relations diplomatiques avec Israël. Malgré l'intransigeance d'Israël vis-à-vis des Palestiniens, les relations sont toujours restées courtoises, et François Mitterrand a rappelé en 1982 devant la Knesset que la France était l'amie d'Israël. La France est aussi depuis longtemps l'amie de la Palestine, et a approuvé en 2011 son adhésion à l'Unesco. De même, les gouvernements successifs ont toujours déploré les colonies illégales ; ils n'ont jamais cessé d'être au côté des Palestiniens dans les moments les plus difficiles - la France est l'un des principaux contributeurs à l'aide destinée aux territoires palestiniens, avec 43 millions d'euros en 2013.
La France, qui compte les communautés juive et musulmane les plus importantes d'Europe, ne peut qu'être attentive à la situation du Proche-Orient. Fidèle à ses valeurs humanistes et de solidarité, à ses traditions diplomatiques, elle a toujours recherché le chemin de la paix ; celui-ci s'est malheureusement transformé en impasse. Toujours l'assassinat répond à l'assassinat, et des deux côtés du mur de séparation, les mères pleurent leurs fils...
Le consensus international est fondé sur les résolutions 242 et 1860 du Conseil de sécurité ; il reconnaît l'existence d'un État de Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Afin de relancer le processus de paix, initié par les accords de Camp David et d'Oslo, mais aujourd'hui en échec, la Suède a reconnu l'État palestinien, les députés britanniques et espagnols ont voté des résolutions en ce sens et le Parlement belge s'apprête à faire de même. Certains y verraient, en France, une injonction inconstitutionnelle au Gouvernement, mais laissons de côté ce débat juridique. Il s'agit de prendre une position politique.
Cette proposition de résolution est une incitation à reprendre les négociations de paix, aussi la majorité des membres du RDSE la soutient-elle. M. Fabius soutient lui-même l'adoption par le Conseil de sécurité d'une résolution appelant à aboutir d'ici deux ans. L'ensemble du groupe soutient cette démarche.
Mais rien ne sera possible si les deux parties ne font pas obstacle aux extrémistes. L'intransigeance du Hamas, le renvoi de deux ministres israéliens modérés, la mort hier d'un ministre palestinien, la poursuite de la colonisation inquiètent...
Dans son dernier discours, Yitzhak Rabin se disait sûr que la majorité des Israéliens étaient prêts à prendre des risques pour la paix. Le pire ne serait-il pas de perdre tout espoir ? (Applaudissements à gauche)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes . - Le ministre des affaires étrangères et du développement international est retenu à Lima par la COP20, le dernier rendez-vous international avant la grande conférence Paris Climat 2015. Il m'a chargé de vous exprimer ses regrets et ses excuses.
L'exceptionnalité de la procédure choisie répond à l'exceptionnalité de la situation. Vous exprimez ainsi votre désir de paix, face à la dégradation dramatique de la situation sur le terrain. Une invitation au Gouvernement n'est en rien contraire à la Constitution, comme l'a montré M. Fabius (M. Jean-Louis Carrère applaudit) même si la reconnaissance d'un État relève bien de l'exécutif.
Nos seuls ennemis au Proche-Orient sont les fanatiques, les extrémistes des deux bords qui entravent le processus de paix. La France a toujours défendu la solution à deux États, un État palestinien aux côtés de l'État d'Israël. Le 29 novembre 1947, elle a apporté une voix décisive à l'adoption de la résolution 181 de l'ONU. Elle fut l'une des premières à reconnaître le jeune État d'Israël avec la Russie et les États-Unis. Cela ne l'a pas empêché de reconnaître le bien-fondé de l'aspiration légitime du peuple palestinien à avoir un État, du général de Gaulle à François Mitterrand, devant la Knesset et depuis lors. Le règlement définitif du conflit passe par la coexistence de deux États vivant dans la paix et la sécurité dans des frontières sûres et reconnues. C'est pourquoi la France reconnaîtra l'État palestinien, qui est de droit, et affirme que la sécurité d'Israël n'est pas négociable.
En vingt ans, un long chemin a été parcouru. Le président de la République disait devant le Parlement israélien « que des mots imprononçables hier sont devenus communs », que le statu quo était intenable, que « la paix requérait plus de courage sans doute que de faire la guerre. ». La question est avant tout celle de la méthode.
M. Christian Cambon. - Oui !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Comment et quand reconnaître l'État palestinien ? Ce débat témoigne de notre sentiment d'urgence, alors que la solution des deux États semble s'éloigner. Tous, nous devons refuser le fatalisme et l'inertie. Il faut reprendre l'initiative. La viabilité même d'un État palestinien est menacée par la poursuite illégale de la colonisation tandis que le Hamas continue de rejeter l'existence d'Israël et n'a pas renoncé à la terreur. Assassinats dans une synagogue, mort hier d'un ministre palestinien, relance du processus sans cesse suivi de rechutes : l'escalade de la violence est chaque fois plus amère. Une étincelle peut conduire à l'embrasement.
La seule issue est pourtant connue : la coexistence de deux États vivant dans la paix et la sécurité, sur le fondement des frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale commune. Comment la France peut-elle défendre le plus efficacement la cause de la paix ? Depuis longtemps, nous appelons à une résolution globale et négociée du conflit. Nous voulons donner aux négociations une chance d'aboutir, un changement de méthode : le face-à-face entre Israël et la Palestine a montré son peu d'efficacité.
Après plus de soixante ans de conflits, plus de vingt ans de négociations sans issue, il faut un accompagnement, un engagement déterminé - certains diront une pression - de la communauté internationale pour aider les deux parties à franchir le pas ultime. C'est ce à quoi la diplomatie française s'emploie. Le Gouvernement travaille en ce moment à une proposition de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, appelant à la reprise immédiate des négociations, qui devront aboutir d'ici deux ans. Le compromis sera aussi difficile à trouver que l'accompagnement de la communauté internationale est indispensable. La France est prête à accueillir à cette fin une conférence internationale.
Si cette ultime tentative échouait, la France devrait assumer ses responsabilités en reconnaissant l'État palestinien. Nous y sommes prêts.
Nous ne cèderons ni sur les droits des Palestiniens, ni sur le droit à la sécurité d'Israël. Nous refusons l'importation en France du conflit : la lâche et odieuse agression de Créteil nous renforce dans notre détermination à combattre l'antisémitisme et à lutter contre le racisme.
Nous avons un cap : rechercher la paix. Votre vote n'opposera pas ceux qui soutiennent Israël et ceux qui soutiennent les Palestiniens. La reconnaissance d'un État palestinien est nécessaire pour assurer durablement le développement et la sécurité d'Israël ; elle devrait être soutenue par tous les amis d'Israël. Être l'ami d'Israël, ce n'est pas être l'ennemi de la Palestine. C'est cette vérité que votre vote doit exprimer.
Le Gouvernement ne ménagera pas ses efforts. Le temps est compté pour ceux qui veulent la paix. La France ne tient qu'un seul cap : elle n'aura de cesse d'agir jusqu'à la paix. (Applaudissements à gauche)
À la demande du groupe UMP, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente - Voici le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 299 |
Pour l'adoption | 153 |
Contre | 146 |
Le Sénat a adopté.
(Mmes et MM. les sénateurs des groupes CRC, socialiste et écologiste se lèvent et applaudissent longuement)
La séance, suspendue à 11 h 30, reprend à 11 h 35.