Débat sur les déserts médicaux
M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail de la commission du développement durable sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire . - La santé de leurs administrés est au coeur des préoccupations des élus locaux. Quand ils ont constaté que leur territoire ne comptait plus de médecin, que leur pharmacie fermait et qu'il ne leur resterait au mieux qu'un cabinet d'infirmiers à proximité, ils se sont émus. Dès 2009, j'avais alerté Mme Bachelot lors de l'examen de la loi « HPST » (hôpital, patients, santé et territoires. En vain.
En juin 2012, j'ai eu l'honneur d'être nommé président du premier groupe de travail sur les déserts médicaux de la commission du développement durable. Après huit mois d'auditions menées de concert avec M. Maurey, nous avons rendu un rapport qui a eu un large écho dans les médias.
J'ai débattu, depuis, dans ma région et au-delà : avec l'association Bretagne durable et rurbaine pour un développement durable (Bruded), l'agence régionale de santé de Bretagne ; j'ai participé au colloque Paris-Santé « nouveaux besoins », à la conférence des villes de Bretagne ; j'ai discuté avec les représentants des médecins libéraux des Pays de la Loire, ainsi qu'avec des élus et des citoyens.
Pas plus tard que vendredi dernier, j'étais invité par les maires du Finistère et l'Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne à participer à une réunion sur la permanence des soins. Preuve que le sujet est d'actualité.
La France n'a jamais compté autant de médecins ; et pourtant, les déserts médicaux s'étendent, dans les périphéries des villes comme à la campagne. Mme la ministre de la santé, ayant pris la mesure du problème, a proposé un pacte « territoire-santé » en douze points concrets. Il reprend et complète certaines de nos préconisations essentielles : former et accompagner les jeunes médecins, transformer les conditions de travail des professionnels de santé, investir les territoires délaissés pour qu'au moins un pôle de santé existe dans chaque territoire, voici le coeur de ce pacte qui constitue également l'un des engagements de campagne du président de la République. Le contrat de praticien territorial est également une avancée.
Nous avons travaillé avec vous là-dessus, madame la ministre. Nous avons aussi entendu Mme Duflot.
M. Jean-Vincent Placé. - Très Bien !
M. Jean-Luc Fichet,,président du groupe de travail. - Nous avons publié un rapport d'information sans tabou, qui propose des solutions. En laissant à M. Maurey le soin de détailler nos préconisations, disons d'emblée que nous avons découvert un imbroglio d'une inefficacité totale, doublé parfois d'un effet d'aubaine dans le maquis des dispositifs d'incitation à l'installation des jeunes médecins dans les déserts médicaux. Qui fait quoi ? Le transfert de compétences entre professionnels de santé est une question clé pour répondre aux besoins des Français. Les maisons de santé, dont les collectivités territoriales sont à l'initiative et qui jouent un rôle essentiel...
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Jean-Luc Fichet,,président du groupe de travail. - ... doivent partir d'un projet médical, et non d'un projet immobilier. Enfin, madame la ministre, votre politique de soutien à l'hôpital de proximité est très appréciée. Que de temps avons-nous perdu !
La question des déserts médicaux est très large. Il faut agir sur toute la chaîne des professionnels de santé, laquelle ne peut vivre sans médecin prescripteur. Si le bilan du pacte territorial de santé dans un an était insuffisant, il faudra aller plus loin et - pourquoi pas prendre des mesures coercitives. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre et à droite)
M. Hervé Maurey, rapporteur du groupe de travail . - Merci à M. Vall d'avoir bien voulu organiser ce débat et à M. Fichet pour la liberté d'esprit avec laquelle il a présidé nos travaux. Ce n'est pas facile quand on est dans la majorité !
Nous avons constaté que les déserts médicaux existent, quoique prétendent certains, et ne sont pas, contrairement à une idée reçue, circonscrits à certaines zones, qui seraient des déserts tout court. Les difficultés d'accès aux soins concernent l'ensemble des territoires, ruraux et urbains. Situation paradoxale car la France, avec 330 médecins pour 100 000 habitants, se situe dans la moyenne haute de l'OCDE. En revanche, les écarts entre départements sont de un à deux pour les généralistes, de un à huit pour les spécialistes libéraux. Les écarts infra-départementaux sont encore plus grands.
L'accès aux soins est de plus en plus difficile pour nos concitoyens. Certes, 95 % des Français sont situés à moins d'un quart d'heure d'un médecin, mais il en manque 5 %, soit trois millions de nos concitoyens, et surtout, il faut attendre parfois jusqu'à dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste. Comment, dès lors, parler d'égalité et de justice ? Déjà, 58 % des Français renoncent à des soins.
Les perspectives ne sont guère rassurantes. D'une part, la démographie médicale va accuser une baisse de 10 % entre 2010 et 2020, tandis que les jeunes médecins, qui souhaitent travailler moins que leurs aînés, consacrent déjà 7 % de leur temps au travail administratif. Qui plus est, 63 % des jeunes médecins n'envisagent pas d'exercer en zone rurale et 62 % en banlieue.
Devant cette situation, les gouvernements, de droite comme de gauche, ont pris des mesures incitatives, totalement insuffisantes, depuis deux décennies. Ces mesures, qui fonctionnent pour les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes, ont fait, pour les médecins, la preuve de leur inefficacité.
Madame la ministre, il est temps de considérer la question sans tabou et de faire preuve de courage. Quelles sont nos préconisations ?
Premier axe, nous proposons une réforme des études de médecine, qui forment davantage de praticiens hospitaliers que de médecins de ville ou de campagne, afin de diversifier les recrutements, en sélectionnant les candidats, non plus à l'issue de la première année, mais sur dossier ou concours après le baccalauréat. Notre groupe de travail n'a pas été plus loin, mais cela mérite une réflexion approfondie. Une ouverture des enseignements est également nécessaire, qui pourraient inclure des cours de gestion, de communication, de psychologie, d'éthique, afin d'éviter que les jeunes ne se trouvent mis d'emblée sur les rails de l'hôpital. Les stages de médecine générale doivent devenir réellement obligatoires pour accéder au deuxième cycle. Pour le troisième cycle, nous suggérons de régionaliser les épreuves classantes.
Deuxième axe, mettre en place une convention de l'ARS sur la démographie médicale, territoire par territoire. Favorisons l'exercice regroupé pluridisciplinaire, ce qui suppose l'existence de forfaits ; facilitons l'exercice des médecins en retraite et l'installation de médecins salariés dans les centres communaux. Autre piste : déployer la télémédecine à grande échelle plutôt que d'en rester à l'expérimentation. Pour l'aide à l'installation des jeunes médecins, les ARS doivent être le point d'entrée unique.
Troisième axe, promouvoir les mesures incitatives existantes : l'information doit être mieux diffusée au sein des universités.
Quatrième axe, une politique plus volontariste de régulation, envisagée dès 2008, par le rapport du sénateur Jean-Marc Juilhard et celui du député Marc Bernier, est désormais nécessaire. Les gouvernements successifs n'ont jamais osé franchir ce pas, par peur des syndicats.
Madame la ministre, n'oubliez pas que vous avez cosigné en février 2011 la proposition de loi de M. Ayrault sur le « bouclier rural » ! Votre proposition était d'ailleurs plus audacieuse que la nôtre... Bref, les esprits ont évolué, jusqu'à la Fédération hospitalière de France, qui maintient cette proposition.
M. Fichet et moi-même avons étudié le système mis en place en Allemagne en 1992 : le conventionnement est possible dans les seules zones sous-dotées, ce qui met en cause le sacro-saint principe de la liberté d'installation, pourtant inscrit dans la Constitution allemande, au nom de l'intérêt général, comme l'a jugé la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Autrement dit, il s'agirait d'étendre aux médecins ce qui s'applique aux infirmiers libéraux depuis trois ans et a fait ses preuves : le nombre d'infirmiers a crû de 33 % dans les zones sous-dotées.
La gravité de la situation exige désormais de prendre en compte le seul intérêt général contre tous les corporatismes.
Nous partageons le diagnostic, mettons-nous d'accord sur le remède.
À défaut d'une réponse reposant à la fois sur l'incitation et la régulation car l'une ne peut pas aller sans l'autre, des drames surviendront et le Gouvernement en portera la responsabilité. Madame la ministre, je vous en conjure : un peu de courage, souvenez-vous de ce que vous proposiez il y a seulement deux ans ! (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes CRC, EELV et RDSE et quelques bancs socialistes)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - L'accès aux soins, question prioritaire pour les Français, ne se limite pas à la question de la présence des médecins. Merci à M. Fichet d'avoir souligné les points de convergence entre les travaux du Sénat et ceux du ministère. À M. Maurey, je veux dire que je n'ai pas de leçon de courage à recevoir de la part de quelqu'un qui a soutenu le précédent gouvernement sans faille.
M. Jean-Paul Emorine et M. Gérard Dériot. - Vous n'en avez pas à donner non plus !
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Pas sur ce sujet ! Relisez les débats sur la loi HPST !
Mme Marisol Touraine, ministre. - Vous n'avez pas le monopole de l'intérêt général ! (Protestations à droite) J'aurais aimé que vous rappeliez les mesures que j'ai prises sur les dépassements d'honoraires.
M. Jacky Le Menn. - Très Bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. - Que ne l'avez-vous fait ! (Nouvelles protestations à droite)
Les inégalités dans l'accès aux soins sont très sensibles entre régions : la Champagne-Ardenne, la région Centre, sont touchées, l'Île-de-France ne l'est pas.
Cela est vrai, mais elles sont plus flagrantes encore au niveau infrarégional : l'écart va de un à quatre. Bien souvent, il faut attendre trois, voire six mois pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste.
Dans le même temps, nous devons tenir compte des attentes des médecins. De là notre proposition d'un pôle de santé par territoire. Disons très clairement aux Français que le temps où il existait un médecin par commune est révolu. Charge à nous de définir la bonne échelle.
Le pacte territoire santé comprend douze mesures, qui ne représentent pas un bloc ; à utiliser et adapter selon les besoins. Son suivi est assuré par un comité qui réunit mensuellement au ministère les ARS.
Nous avons fait, c'est vrai, le choix non pas de la coercition, mais de l'incitation. Celle-ci n'est pas seulement financière ; un seul des douze engagements du pacte est financier, il est dépourvu de sens, pris isolément. De fait, l'incitation tient surtout à la mise en exergue d'un mode d'exercice de la médecine attractif.
Le pacte repose sur trois axes. Mieux former, d'abord. L'objectif est d'atteindre 100 % d'étudiants en stage de médecine générale, ce qui a été le cas dans sept régions cette année universitaire. Pour ce faire, les ARS recrutent des maîtres de stage et j'ai créé une indemnité forfaitaire de 130 euros par mois pour les frais de déplacement des étudiants et des internes qui effectuent un stage à plus de 15 kilomètres de leur centre universitaire. Ainsi, 3 000 étudiants supplémentaires effectueront ce stage, indispensable à nos yeux, l'an prochain.
Deuxième engagement : donner un nouvel élan aux bourses de service public, avec 1 500 bourses d'ici 2017. Mais seul 200 contrats sont signés chaque année : il faut simplifier. Un décret y pourvoira. Il sera transmis au Conseil d'État fin juin. Et les ARS renforcent leur communication. Avec déjà des résultats, comme en Poitou-Charentes.
Troisième engagement : mettre en place 200 praticiens territoriaux de médecine générale, pour sécuriser l'installation des jeunes. Nous avons associé à ce dispositif l'ensemble des parties prenantes et défini des règles qui seront publiées prochainement. Les premiers recrutements interviendront dès la rentrée dans les territoires les plus déficitaires. Un référent unique est installé dans chaque région depuis le 1er février. En Île-de-France, des permanences locales ont déjà été mises en place dans chaque département pour accueillir tout étudiant non professionnel, porteur d'un projet d'installation.
Répondre aux besoins du travail en équipe, tel est le deuxième axe du pacte. Il y a un an, on comptait 200 maisons de santé - et je ne sais comment distinguer celles qui relèvent d'un projet de santé de celles qui correspondraient à un projet immobilier. Depuis, 50 maisons, correspondant à de vrais projets de santé ont été créées et le mouvement se poursuivra. La généralisation de modes de rémunération adaptés est engagée depuis la loi de financement pour 2013. Le sixième engagement vise à rapprocher les maisons de santé des universités : c'est déjà le cas dans neuf régions.
Septième engagement : le développement de la télémédecine, qui permet de libérer du temps médical pour un service de proximité accru. En Aquitaine, elle permet d'améliorer la prise en charge dans les maisons de retraite et les Epad. Elle améliore le dépistage du mélanome en Rhône-Alpes et la communication d'imagerie médicale au CHU de référence dans la région Centre. L'ophtalmologie peut particulièrement en bénéficier.
Le transfert des compétences est une autre piste, mais à emprunter avec précaution, sous l'égide de la Haute autorité de santé (HAS). Des protocoles d'accord expérimentaux ont été signés, en particulier à la Martinique, pour le dépistage de la rétinopathie diabétique, qui pourront être étendus à tout le territoire.
Troisième pilier : agir dans les zones sous-dotées en médecins. Le premier engagement est l'accès aux soins urgents en trente minutes Les situations sont très hétérogènes. Dans certaines régions, une bonne part de la population se trouve à plus d'une demi-heure de soins d'urgence. La solution peut passer par la création de Smur comme à Saint-Yrieix ou leur renforcement comme à Agde, le transport héliporté comme en Bourgogne, la création de réseaux de correspondants des Samu en Auvergne, Rhône-Alpes ou Languedoc-Roussillon.
Les structures hospitalières doivent participer à la lutte contre la désertification, ce qui suppose de lever de nombreux freins : nous y travaillons. Les CHU doivent aussi assurer leur responsabilité à l'égard de leur territoire. Nous évaluerons les structures de proximité, sans a priori, en prenant en compte les projets de santé. Les regroupements décidés pour raison financière ne donnent souvent pas de bons résultats. C'est ainsi que j'ai choisi de maintenir la maternité de Die, qui remplit indéniablement un besoin.
M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail. - Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. - Certains CHU, comme celui de Rennes, ont commencé à nouer des liens avec ces structures de proximité. Dans plusieurs régions, des dizaines de postes d'assistants spécialistes à temps partagés ont été créés.
Il s'agit, enfin, de conforter les centres de santé, dont le modèle de financement doit être revu.
La coercition ? Je n'y crois pas. Les jeunes professionnels y voient une brimade et les autres une rupture de contrat. La proposition de loi Vigier ne préconisait au reste sa mise en place qu'après 2020. Or c'est ici et maintenant qu'il faut agir. J'ajoute que face à une forte opposition de la profession, on peut craindre un risque de contournement des règles posées.
Reste que les médecins doivent entendre les besoins de nos concitoyens. C'est en faisant le pari de la coopération que nous avancerons. La volonté a manqué dans le passé. Sachez que je n'en manque pas ; et je manque encore moins de courage ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Stéphane Mazars . - Le diagnostic est connu : certains de nos territoires sont malades de l'absence de médecins. C'est le cas de mon département, l'Aveyron. Les perspectives sont sombres, car nombreux sont les médecins proches de la retraite, alors que la relève n'est pas assurée.
Les solutions ? Certaines, qui sont incluses dans votre pacte territoire santé, font l'unanimité, depuis le stage obligatoire jusqu'à la télémédecine. D'autres, non, telle que la coercition.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Non, la régulation !
M. Stéphane Mazars. - Le rapporteur Maurey est, de ce point de vue, courageux. La coercition est tentante, tant les dispositifs incitatifs se sont sédimentés ces dernières années sans effet, sinon sur l'équilibre de nos comptes sociaux... Cependant, gardons-nous de décourager les vocations. Sans aller jusqu'à la coercition, ne pourrait-on au moins interdire les dépassements d'honoraires en cas d'installation en zone sur-dotée ?
Nous soutenons l'action du ministère, qui mise sur la conviction et la coopération. Cela suppose d'agir, aussi, sur l'attractivité des territoires. Ni l'inertie ni l'inaction ne nous seront pardonnées.
Si le bilan se révélait négatif, alors oui, il faudra aller vers la coercition. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs socialistes)
M. Pierre Camani . - La désertification médicale prend des proportions inquiétantes dans certains territoires. Nous ne manquons pas de médecins mais ils sont mal répartis. La diagonale de la ruralité est aussi celle de la désertification. Les zones rurales, de montagne mais aussi certains quartiers sensibles sont les plus touchés. La médecine de premier recours connaît une crise de vocation.
Il y a désormais urgence. En Lot-et-Garonne, 110 médecins sur 277 ont plus de 60 ans. Un quart prendra sa retraite dans les trois ans.
Ainsi votre pacte va-t-il dans le bon sens, même si je partage l'analyse de notre rapporteur, qui souhaiterait aller un peu plus loin.
La présence médicale participe, aussi, de l'attractivité des territoires. C'est parce que les départements se sont beaucoup impliqués, voire les maisons de santé. Mais les incitations restent partielles, parfois concurrentes : il appartient aux pouvoirs publics de les coordonner.
Le rapporteur Maurey préconise la création d'une commission départementale de la démographie médicale. C'est ce qu'a fait le Lot-et-Garonne en 2009. Cette commission, qui fédère les acteurs, a pour mission de valider les projets de création des maisons de santé, pour qu'ils soient coordonnés. Ce cadre permet ainsi d'organiser des réseaux et de rationaliser les financements, en même temps qu'il répond au voeu des jeunes médecins de travailler en équipe, pour concilier soin et prévention et apporter des réponses adaptées aux besoins des populations.
Le programme national d'aide aux maisons de santé est hélas épuisé, ce qui met en péril bien des projets en cours : il conviendrait, madame la ministre, de le prolonger. (Applaudissements sur les bancs des commissions et quelques bancs socialistes)
M. Jean-François Husson . - Merci à notre commission d'avoir pris l'initiative de ce débat. Sur cette question préoccupante, les solutions ne font pas consensus. Les médecins sont réticents à toute forme de coercition, tandis que les mesures incitatives ont eu des résultats décevants. La géographie des déserts médicaux rejoint la carte des territoires en déprise. Des quartiers sensibles sont également touchés. La concentration de l'exercice dans des centres de santé a pu créer des déséquilibres dans certains territoires, menacés. Pour autant, les regroupements en pôle sont au bénéfice des médecins comme des patients pourvu que la qualité de l'accueil n'en pâtisse pas. Mise en réseau et télémédecine sont des pistes à ne pas négliger.
Pour un médecin, les études sont longues et coûteuses : la contrepartie en est la liberté d'installation, qu'il est difficile de mettre en cause. Mais il faut, sur notre territoire, une politique de santé qui ne laisse aucun territoire de côté. Cependant, la pratique des primes d'incitation à l'installation, coûteuse et inéquitable, ne devrait pas prospérer.
Je serai attentif, madame la ministre, à la mise en oeuvre du pacte que vous avez initié.
M. Daniel Laurent . - Notre débat porte sur un sujet préoccupant, qui a donné lieu, au Sénat, à une abondante littérature, avec le dernier rapport en date, celui de M. Maurey. La situation s'aggrave. L'accès à des soins de qualité et de proximité est pourtant une exigence garantie par le Préambule de 1946.
Parmi les praticiens, n'oublions pas les pharmaciens qui devraient être mieux associés à la pratique des médecins. Pour remédier au manque de médecins dans certaines zones, bien des mesures réglementaires ont été prises, bien des textes votés. Mais malgré toutes les mesures d'incitation qui ont ainsi été mises en place, les résultats sont décevants. En Charente-Maritime, où la zone côtière voit sa population multipliée par dix en période estivale, nous avons mis en place une politique incitative avec une bourse évolutive de troisième cycle, avec engagement du jeune bénéficiaire de s'installer dans une zone déficitaire pour quatre ans : sept contrats sont en cours. Preuve que l'incitation financière fonctionne chez nous. Nous offrons également aux patients un service de transport à la demande, qui évite les visites à domicile chronophages et coûteuses.
S'orienter vers des maisons de santé, comme le suggère la proposition n°8 du rapporteur, semble une piste intéressante. Mais à condition de la réserver aux zones sous-médicalisées, sans concurrencer les praticiens déjà installés.
Certains plaident pour le conventionnement d'un nombre limité de praticiens par département. Mais la coercition suscite l'opposition des professionnels et des étudiants.
Un mot sur les certificats de décès. Les médecins de garde n'étant pas rémunérés pour remplir cette tâche, refusent souvent de se déplacer, si bien que les maires sont en première ligne. L'ARS, dans ma région, a décidé d'indemniser les médecins. Un bilan de l'expérimentation sera bientôt élaboré.
J'en viens à la question des PMI et de la médecine du travail, qui ont le plus grand mal à recruter. Au point qu'il devient de plus en plus difficile aux entreprises et collectivités territoriales de respecter leurs obligations légales.
Ne nous y trompons pas : la santé publique est un enjeu majeur, qui exige la collaboration de tous les acteurs. (Applaudissements à droite)
Mme Évelyne Didier . - Il n'est pas anodin que la question ait fait l'objet d'un rapport de la commission du développement durable : c'est la preuve de notre volonté commune de développer nos territoires dans le respect des aspirations de celles et ceux qui ont choisi d'y vivre. Point de leçon à donner, car l'héritage remonte à dix ans. Le groupe CRC approuve les conclusions du rapport, dont il partage le constat, l'esprit et l'essentiel des propositions. Il appelle à une politique plus audacieuse. Car le taux de renouvellement des professionnels posera, à l'avenir, un problème, mais dès aujourd'hui, la mauvaise répartition des praticiens crée des déserts.
Les mesures que vous préconisez, madame la ministre, vont dans le bon sens. Je pense notamment à la possibilité du salariat, vilipendé naguère par certains sur les bancs de droite : nous sommes aujourd'hui de plus en plus nombreux à en reconnaître l'utilité. Comme celle des maisons de santé, sous réserve d'un réel encadrement. La Fédération nationale des centres de santé plaide pour une renégociation de la convention, reconduite à l'identique. Ceux-ci ne peuvent pas exercer certains actes : entendez-vous, madame la ministre, y remédier.
M. Jacky Le Menn. - Très bien !
Mme Évelyne Didier. - Comment, enfin, ne pas réfléchir à la question de la rémunération de l'acte. Les médecins dits « libéraux » n'ont de libéral que le nom, puisque leur rémunération est garantie par les pouvoirs publics.
Le CRC soutient l'idée d'une régionalisation des places au classement, comme la proposition d'informer dès à présent les étudiants d'un possible passage, à l'avenir, à une politique que je ne qualifierai pas de coercitive mais de solidaire. Il faut partir des besoins des patients. C'est pourquoi nous soutenons l'idée du stage obligatoire en zone sous-dotée, mais au-delà, celle de l'engagement, à l'image de ce qui se faisait dans les écoles normales pour les instituteurs : dix ans, je l'ai fait, je n'en suis pas morte. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)
M. Henri Tandonnet . - Les bassins ruraux sont particulièrement menacés par la désertification médicale. Les écarts peuvent aller de un à huit, tandis que 65 % des étudiants n'envisagent pas de s'installer à la campagne. Il y a donc urgence. Une réforme volontariste de la formation doit être l'axe majeur, quand les étudiants sont aujourd'hui concentrés dans les CHU. La formation doit se faire en situation réelle, dans les hôpitaux régionaux ou chez les médecins généralistes.
Une communication d'ampleur s'impose aussi. La loi Fourcade a favorisé l'exercice pluriprofessionnel : il faut pousser dans ce sens. Constituer des réseaux est essentiel pour sortir les médecins de l'isolement et répondre aux besoins des patients et de la prévention.
La loi permet aux collectivités territoriales d'aider les maisons médicales, mais le système, face à la pénurie de généralistes, a ses limites. Dans mon département, nous inaugurerons bientôt une maison de santé à Duras : il nous manquera cependant un médecin. Et les investissements immobiliers sont lourds : les professionnels de santé devraient y participer. Pas de mutualisation possible, enfin, sans une bonne couverture numérique. Je partage pleinement les conclusions de M. Maurey, mais j'insiste sur la réforme de la formation. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)
M. Ronan Dantec . - Je salue la qualité du travail de notre mission d'information. L'accès aux soins médicaux est un droit fondamental, et un enjeu majeur de l'aménagement du territoire. Le paradoxe français, c'est qu'en dépit du nombre de médecins, la désertification médicale existe partout. Les propositions du rapport, qui ne vient pas contredire le pacte territoire santé, lèvent le tabou de la coercition. Car le problème tient aujourd'hui à l'inégale répartition des praticiens, qui ne sera pas réduite par les mesures d'incitation existantes.
Nous nous retrouvons donc dans les propositions du rapporteur. Il y aurait beaucoup à dire, concentrons-nous sur quelques points.
Pour assurer une couverture médicale du territoire, nous appuyons l'exigence de définir un service public de médecine générale et soutenons l'idée d'un conventionnement sélectif.
La question des déserts médicaux recouvre celles de l'aménagement du territoire et de l'accessibilité financière. Des quartiers populaires souffrent aussi du manque de médecins - l'ARS classe d'ailleurs trois zones de Paris dans la catégorie des territoires sous-dotés.
Des solidarités nouvelles sont nécessaires via une organisation territoriale en réseau, ce qui implique le maintien de services publics de qualité dans les villes moyennes et petites, au premier rang desquels les hôpitaux locaux. Nous soutenons aussi l'idée de définir avec la profession les nouvelles missions de la médecine générale et plaidons comme le rapporteur pour une évolution de la formation des médecins, qui ne peut se résumer à des cours techniques, aussi pointus soient-ils. Quant aux maisons de santé, elles doivent davantage s'engager dans la prévention, parent pauvre de notre système de santé.
On ne peut dissocier accessibilité géographique et financière. J'alerte sur le fait que les déserts médicaux peuvent s'exporter. Des chasseurs de tête recrutent des médecins roumains. Résultat, il en manque 40 000 dans ce pays ; la France n'est pas seule responsable, l'Allemagne l'est aussi.
C'est donc dans une approche globale que nous devons traiter la question des déserts médicaux, tous ensemble et sans demi-mesure.
Mme Muguette Dini . - Je veux saluer le travail du groupe de la commission du développement durable. Le groupe UDI défendait seize mesures dès la loi HPST- ni le gouvernement d'alors ni la majorité actuelle ne les soutenaient alors ; trois ans plus tard, nous y revenons.
J'insisterai sur la promotion et la valorisation de la médecine générale au cours de la formation, le développement des maisons de santé pluridisciplinaires et le transfert de certaines compétences médicales vers d'autres professionnels de santé - Mme Génisson et d'autres y travaillent au sein de la commission des affaires sociales. Le président de l'Observatoire de la démographie médicale préconise un recentrage du médecin sur son coeur de métier - la libération de temps médical. Cela m'amène à la question du numerus clausus. Il est fini le temps où les médecins étaient corvéables à merci, beaucoup de jeunes médecins n'entendent pas sacrifier leur vie de famille à l'exercice de leur profession ; et 58 % des médecins en France sont des femmes, qui veulent souvent travailler à temps partiel, surtout en début de carrière. Le temps moyen de travail est de 52 heures par semaine, dont 61 % seulement consacré à l'activité de soin. Ce qui doit prévaloir, ce n'est pas un nombre idéal de médecins par habitant mais la durée moyenne de temps médical.
En outre, plus de 21 000 médecins à diplôme étranger, dont certains ne maîtrisent pas le français, sont inscrits à l'ordre début 2013 tandis que de jeunes Français vont étudier en Roumanie, où ils suivent dans leur langue des cours dispensés par des professeurs... français. Il est plus que temps de revoir le numerus clausus en tenant compte de la réalité. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
M. Robert Tropeano . - Depuis cinq ans, deux millions de Français supplémentaires souffrent de la désertification médicale ; les inégalités territoriales progressent. Je salue l'initiative du Gouvernement, en décembre 2012, de remettre à plat cette question.
En Languedoc-Roussillon, l'ARS a défini après diagnostic un plan régional sur cinq ans. Dans l'Hérault, la démographie médicale est importante mais très inégalement répartie. Dans l'arrière-pays, les difficultés d'accès aux médecins généralistes sont prégnantes, et je ne parle pas des spécialistes ; 60 % des médecins ont plus de 60 ans... Les maisons de santé constituent une solution à condition d'être encadrées. Je pense aussi à un nouveau statut de praticien territorial de médecine généraliste, qui remet cependant en cause la liberté d'installation...
Un mot sur les urgences à l'hôpital d'Agde : elles sont indispensables, sachant que la population augmente l'été dans d'importantes proportions. Espérons que le pacte territoire santé apportera les corrections nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Jean-Noël Cardoux . - Le constat est partagé. Sénateur du Loiret, je suis bien placé pour connaître la question des déserts médicaux. Devant cette situation, les collectivités territoriales ont pris des mesures disparates et désordonnées - dont les ARS ne parviennent pas à dresser un bilan. Je note, entre parenthèses, que personne n'a évoqué l'échec de la politique de recrutement des médecins étrangers, qu'on voit repartir chez eux six mois ou un an après leur installation...
Les gouvernements successifs ont toujours hésité à prendre des mesures coercitives mais il ne faut pas oublier, Mme Didier a raison, que l'employeur des médecins est la sécurité sociale, c'est-à-dire la collectivité nationale. Un conventionnement à plusieurs vitesses, la suppression des dépassements d'honoraires dans les zones sur-dotées peuvent être des solutions.
Deuxième piste, la réforme des études de médecine. Pourquoi ne pas réfléchir à un numerus clausus dès l'entrée en faculté en fonction des besoins de la région où se trouve ladite faculté ? Des médecins libéraux que j'ai interrogés plaident pour des stages dans des hôpitaux de proximité. Cela aurait l'avantage de rapprocher les étudiants du terrain. Ces mesures, parce qu'elles mettront du temps à produire leurs effets, devront être complétées.
En milieu rural, la solution des maisons de santé est nécessaire mais non suffisante. D'abord, parce que ces établissements ne peuvent être installés que dans des chefs-lieux de canton ; ensuite, parce qu'obtenir des financements est un véritable parcours du combattant. Si je refuse l'idée de médecins salariés dans les villes moyennes ou en zone rurale, j'approuve la création de maisons médicales de garde ; le transfert d'actes médicaux simples vers les infirmiers et les pharmaciens ; la télémédecine, c'est une évidence, à condition d'équiper l'ensemble du territoire en très haut débit ; l'aide aux communes pour la mise à disposition de petits locaux, comme nous l'avons fait dans le Loiret, pour assurer les opérations de télémédecine ou le secrétariat et assurer les transports des personnes seules ou âgées.
Laissons libre cours aux initiatives en milieu rural plutôt que de donner le commandement aux ARS ; charge à nous, collectivités locales, de coordonner ces initiatives. Laissons de côté les polémiques pour travailler dans le même sens. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Georges Labazée . - La question relevant de l'aménagement du territoire, la présence de Mme Duflot dans cet hémicycle aurait été un signal fort. Pourquoi se forment des déserts médicaux dans un pays qui compte tant de médecins ? Pourquoi les mesures incitatives ont-elles échoué ? Prudence, dit le rapporteur ; avançons avec audace, réplique la ministre...
L'idée de développer les maisons pluridisciplinaires de santé, proposition n°8 du rapport, est bonne, même si elle ne résoudra pas toutes les difficultés. Certes, la qualité des locaux importe mais ce sont surtout les conditions d'exercice qui font l'attractivité. De là, dans mon département des Pyrénées atlantiques, l'accent mis sur l'innovation et la dynamique locale, l'idée d'une plate-forme d'innovation en santé qui mériterait de prospérer ; innovation dans la rémunération aussi, avec des rémunérations forfaitaires négociées dans un cadre conventionnel, comme l'autorise la dernière loi de financement de la sécurité sociale ; innovation enfin avec l'expérimentation de parcours de santé pour les personnes âgées à risque de perte d'autonomie.
Bref, je défends une organisation territorialisée, la mise en réseau des professionnels de santé. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour donner aux mesures incitatives la force qui les rendra efficaces.
M. René-Paul Savary . - Je parlerai de mon expérience de président de département et de médecin. Le terme de désert médical est trop vague, les idées reçues sont légion. Je citerai quelques exemples : un hôpital local dont tous les postes de praticiens sont pourvus alors que le canton manque de généralistes ; une maison de santé qui a dû faire appel à des médecins étrangers salariés ; une autre à l'inverse que les médecins libéraux ont rejointe avec enthousiasme, alors qu'elle ne procédait pas d'un projet de santé ; une autre enfin, où les professionnels volontaires se battent pour le label et les subventions d'État...
On dit que les cursus dans certains pays sont de moindre qualité que les nôtres... Tandis que les diplômes européens sont reconnus chez nous, les médecins les mieux formés partent au Canada ou en Allemagne... C'est le grand mercato des médecins... Et les recalés de première année choisissent d'autres filières ou s'inscrivent en médecine dans des pays étrangers proches, moyennant finances - 5 00 euros par an.
J'en viens au numerus clausus : on a longtemps pensé que davantage de médecins coûterait trop cher à la nation, quand il aurait fallu doubler leur nombre pour tenir compte des évolutions de la profession et des besoins de la population.
Quelques remarques sur l'exercice dans les cabinets : la technicité des logiciels absorbe beaucoup de temps, la gestion du personnel et la lourdeur des charges découragent. Réduisons les contraintes de gestion si nous voulons que les jeunes s'installent en zone rurale.
Quelques propositions à titre personnel : promotion du statut de collaborateur et de celui de remplaçant ; respect de la liberté d'installation tout en passant des appels d'offre pour des conventions de secteur 1 ; ouverture du numerus clausus ; harmonisation de l'entrée dans les études de médecine au niveau européen ; mise en oeuvre de la structure spécifique à l'exercice en groupe prévu dans la loi HPST ; maintien du paiement à l'acte mais renforcement des rémunérations complémentaires ; rattachement possible des maisons de santé aux hôpitaux locaux. Et surtout, faisons confiance aux territoires. Voici ce que je propose en me fondant sur trois maîtres-mots : compromis, liberté, souplesse. Parions sur la complémentarité de la médecine salariée et de la médecine libérale. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Odette Herviaux . - Comme le président Fichet, j'interviens en tant qu'élue d'un territoire marqué par des inégalités entre la côte et l'intérieur, sans parler des îles chères à mon coeur que sont Belle-Île-en-Mer et Marie-Galante.
Malgré la mobilisation des élus, la recherche de nouveaux praticiens ressemble à un véritable parcours du combattant. L'augmentation récente du numerus clausus ne suffira pas à répondre aux besoins, notamment au vieillissement de la population.
L'ARS de Bretagne s'est engagée sur les douze mesures du pacte territoire santé, qui font en partie écho aux propositions du rapport. J'insisterai sur le stage d'initiation à la médecine générale, l'objectif de 100 % est atteint au CHU de Brest alors que la moyenne nationale n'est que de 37 %. La mobilisation des généralistes doit se poursuivre, il faut accentuer les aides financières aux étudiants pour les inciter à quitter les grandes villes.
J'insisterai également sur l'exercice en équipe. Les collectivités territoriales se sont engagées massivement. À Josselin, une maison de santé pluridisciplinaire a vu le jour. Après deux ans de travaux entre l'ARS et tous les acteurs concernés, dont le conseil régional et la SNSM, un contrat local de santé a été signé en 2013 à Belle-Île-en-Mer où la population est nombreuse l'été ; l'implication de l'hôpital a été décisive pour permettre la venue de praticiens hospitaliers. La situation reste en revanche préoccupante à Marie-Galante, mon collègue Cornano y insiste.
La lutte contre les déserts médicaux doit être territorialisée. Nous avons besoin de la mobilisation de tous. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Josette Durrieu . - Je parlerai plutôt de fracture médicale. Mon département des Hautes-Pyrénées compte 230 000 habitants ; la population y est vieillissante. Mais elle quadruple l'été et les touristes sont exigeants : ils veulent un hôpital moderne, des médecins faciles d'accès...
Je vous parlerai du bassin de vie de Lannemezan : 200 000 habitants avec cinq stations de ski et deux stations thermales... Nous avons essayé de faire face, créé un groupement de coopération sanitaire ; des chirurgiens et des spécialistes en traumatologie viennent de Toulouse et pratiquent sans dépassement d'honoraires. Quand on veut, on peut ! Mais la maternité a fermé en 2008 pour des motifs purement comptables - quinze accouchements en urgence...
Merci, madame la ministre, pour votre pacte territoire santé. Je suis surprise par la position de M. Maurey, spécialiste du numérique, la télémédecine est plus qu'une réponse partielle. La région Midi-Pyrénées vient de lancer un projet pilote ambitieux d'e-medecine dans le piémont pyrénéen qui, j'espère, attirera l'attention de la ministre. Autre projet pilote, la télémédecine et la téléradiologie en milieu pénitentiaire.
Des outils nouveaux existent, mais ils resteront inertes si manquent la volonté et les crédits. Faisons le pari de la confiance comme nous l'a demandé Mme la ministre. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes
Mme Delphine Bataille . - Facteurs économiques, sociaux et culturels expliquent aussi la formation des déserts médicaux. Les écarts de couverture de la population sont de un à deux pour les généralistes, de un à huit pour les spécialistes. La région du Cambrésis et de l'Avesnois, où a grandi Pierre Mauroy, manque grandement de médecins quand Lille est bien dotée. C'est le résultat de la politique menée ces dernières années, que les collectivités territoriales ont tenté d'enrayer. Il faut une approche globale pour éviter les ruptures de prise en charge des patients.
Je salue la volonté de la ministre de s'attaquer aux déserts médicaux par les douze mesures du pacte territoire santé, et le travail du président Fichet et du rapporteur Maurey. Si le pragmatisme doit prévaloir, l'idée d'une carte médicale organisant la présence des médecins dans les zones sous-dotées contrevient à la liberté d'installation à laquelle les médecins sont attachés. Les maires du sud du département du Nord ont lancé un appel au secours : plus de 2 000 habitants n'ont plus de médecins, les deux derniers sont partis malgré les mesures financières d'incitation.
Des discriminations importantes existent selon le lieu de résidence. On ne peut se contenter des solutions proposées, à Lille, à plus de 80 kilomètres de mon domicile, par Medi'Ligne, service de diagnostic en ligne, prodiguant des conseils ou orientant vers le 15, un médecin de garde, une maison de santé quand elle existe ou... les services des urgences des hôpitaux. Le résultat, c'est que des patients qui ne devraient pas y avoir recours, viennent encombrer ces services.
Il est devenu plus facile de trouver un vétérinaire d'astreinte qu'un médecin de permanence. C'est dire combien le problème appelle d'urgence une solution. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes)
Mme Marisol Touraine, ministre . - Ma réponse, qui doit être rapide, sera globale, mais mon cabinet se tient à votre disposition pour répondre aux questions locales que vous avez posées. L'idée d'un service public doit trouver son prolongement dans l'ancrage territorial. D'où la loi à venir, faite pour concevoir la mise en place de politiques de santé à l'échelle de l'ensemble des territoires : c'est l'idée de stratégie nationale de santé que je veux promouvoir. Le temps où il existait un médecin par village est révolu. Il faut s'orienter vers le développement de pôles de santé de proximité, de premier recours, adossés à l'hôpital, qui doit irriguer son bassin de vie, sans délais. Beaucoup de mesures préconisées dans votre rapport recoupent le pacte territoire santé : formation de médecins généralistes, travail en équipe - enjeu majeur - présence des hôpitaux de proximité qui engage l'articulation avec le CHU, place de la télémédecine, collaboration entre les professionnels.
Certains points méritent d'être approfondis. La puissance publique doit être régulatrice quant à l'installation des maisons de santé : je vous ai entendus. Grâce au schéma régional d'investissement, l'ARS hiérarchisera les choix, afin d'assurer un réel maillage, sans trous, ni concurrences. Les schémas régionaux d'organisation de l'offre de soins méritent d'être mieux connus
Le succès du pacte viendra de la mobilisation de tous les acteurs. Chaque directeur d'ARS devra poursuivre le travail engagé lors de la mise en oeuvre du pacte, via des rencontres, y compris avec les élus, associant, sans exclusive, secteurs public et privé, professionnels libéraux et hospitaliers, pour faire partager les options retenues.
Jusqu'alors, la priorité n'était pas la lutte contre les déserts médicaux. La réorganisation du numerus clausus n'apportera pas, à mon sens, de changements majeurs. Sa régionalisation, à laquelle on peut réfléchir, est déjà un peu réalité, pour les spécialités. Je ne suis pas sûre que cela bouleverse la donne.
Le salariat est une option. C'est la Fédération des centres de santé qui a souhaité une reconduction tacite de la convention en attendant que la réflexion soit menée à terme. Le salariat, j'en suis convaincue, peut apporter des réponses, et pas seulement dans les centres de santé, mais y compris à l'hôpital.
Je vous remercie de votre souci de faire que l'égalité d'accès aux soins demeure une réalité vivante de notre démocratie. (Applaudissements à gauche)
Le débat est clos.