Loi de finances pour 2010 (Suite)
Discussion générale (Suite)
M. le président. - Je vous rappelle que la Conférence des Présidents a décidé qu'aucune intervention orale des groupes ne doit dépasser dix minutes. Je serai intransigeant.
Mme Christine Lagarde, ministre. - Je souhaite apporter quelques réponses à la brillante intervention du rapporteur général : il nous a élevés vers des sommets littéraires qui nous ont tous réjouis ! (Sourires) Pour ce qui est de la concomitance nécessaire entre la relance, les réformes et la restauration des grands équilibres budgétaires, le Gouvernement s'inscrit lui aussi dans cette triple trajectoire.
Je n'ai pas eu l'occasion de vous remercier, monsieur Marini, pour votre excellent rapport sur la taxe professionnelle, qui contient une multitude d'informations, des tableaux, des simulations et des analyses approfondies. Le Gouvernement approuve votre suggestion de réorganiser le calendrier entre la première et la seconde partie du projet de loi de finances : cela nous donnera le temps de la réflexion. Vos propositions pour rebaptiser la contribution économique territoriale sont bienvenues. Nous cheminerons ensemble pour établir la péréquation nationale et le principe de territorialisation, dans la subtilité et la recherche de l'équilibre.
Je vous sais gré d'avoir noté que la dépense budgétaire baisse davantage que l'inflation, soit 1,2 % pour 1,1 %. Pour ce qui est de la dépense fiscale, j'ai confié à l'inspection générale des finances une mission sur les 468 niches existantes afin de s'assurer de leur efficacité et de leur adéquation à leur objectif initial. Les résultats en seront disponibles au début de l'année prochaine : nous pourrons alors juger de la nécessité d'aller plus loin que le plafonnement mis en place l'année dernière.
Monsieur le président Arthuis, je vous remercie d'avoir mentionné l'action du médiateur du crédit. Environ 63 % des dossiers ont été instruits, 8 000 entreprises ont bénéficié de son intervention, plus de 120 000 emplois ont été concernés. Vous avez également évoqué la définition de la valeur ajoutée : encadrée par un plafonnement et une cotisation minimum, elle entre déjà en compte dans l'actuelle taxe professionnelle. La réforme diminuera le poids de la taxe sur l'élément travail pour un peu plus d'1 milliard d'euros.
M. François Marc. - Vous réintroduisez la taxe sur les salaires.
Mme Christine Lagarde, ministre. - Nous réintroduisons une part de taxe sur les salaires, mais en diminuant la charge qui pèse sur ces derniers.
M. Thierry Foucaud. - D'après le Gouvernement, nous serions tirés d'affaire puisque le produit intérieur brut a augmenté de 0,3 % aux deuxième et troisième trimestres. La croissance a été d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros avec un jour ouvré de plus en 2009. Madame la ministre en semble satisfaite. Les communiqués victorieux et les satisfecit à bon compte de Nicolas Sarkozy et de quelques ministres visent à nous faire croire qu'il n'y aurait pas besoin de changer de politique gouvernementale ou de mode de gestion des entreprises, que tout a changé pour que rien ne change et que tout recommence.
Ces discours sont bien loin de la réalité vécue par les dizaines de milliers de salariés qui ont perdu leur emploi au troisième trimestre, par les centaines de milliers d'autres au chômage depuis un an et par tous ceux qui souffrent de la baisse du pouvoir d'achat et de la crise morale qui mine le pays devant le spectacle indécent de l'argent, du bling-bling et des passe-droits. La reprise se mesurera à l'aune des emplois et des salaires, et des changements qu'attendent les Français. La consommation des ménages a stagné au troisième trimestre tandis que l'investissement a continué à reculer, de 0,7 % pour les entreprises et de 2,9 % pour les ménages. La croissance s'explique par la hausse des exportations. Si rien ne change, la décroissance sera, en 2009, de 2,5 %, avec une baisse de l'investissement des entreprises de 7 % et un demi-million d'emplois supprimés.
Eric Heyer, économiste à l'OFCE, estime que les entreprises vont continuer à ajuster leurs effectifs à la baisse pour s'adapter à l'activité, regagner en productivité et restaurer leurs marges, ce qui aboutira à une reprise sans création d'emplois. Carlos Ghosn, le PDG de Renault, a déclaré : « Nous pouvons faire cette année ce que nous n'aurions jamais pu faire auparavant ». Il y a une semaine, PSA Peugeot Citroën a annoncé qu'une réduction de 10 % des effectifs du groupe en France, soit 6 000 postes, était nécessaire d'ici à 2012 pour améliorer sa productivité.
Grâce à l'injection d'argent public par milliards, les difficultés ont été de courte durée pour le secteur financier. Wall Street s'apprête à distribuer 160 milliards de bonus aux traders et dirigeants de banques d'affaires et de sociétés d'investissement ; près de la moitié des bénéfices des entreprises du CAC 40 seront transformés en dividendes. Toujours la vieille règle de la mutualisation des pertes et de la privatisation des profits !
Depuis trente-cinq ans, nous connaissons une crise durable du système économique libéral, avec de courtes phases de rémission et de longues périodes de ralentissement et de récession. Un demi-point à trois quarts de point de croissance, ce n'est pas la reprise !
La reprise ne sera une réalité que lorsque nous connaîtrons une vraie réduction du chômage, associée à de réels progrès économiques et sociaux pour l'ensemble du pays.
Méfions-nous de certains indices trompeurs : la croissance telle qu'elle a été longtemps conçue n'a pas toujours été respectueuse de l'environnement, n'a pas toujours été marquée par une juste répartition de la richesse. Mieux vaut regarder en face la réalité de la crise durable de notre économie et de notre société pour concevoir dès maintenant ce qui nous permettra, dans les années à venir, une fois le pays débarrassé des politiques libérales dont il paie chaque jour le prix, de définir une nouvelle croissance, plus juste et plus durable.
Nous avons aujourd'hui plus de 2,5 millions de chômeurs officiels -car grâce au travail statistique du Pôle emploi, la réalité est en partie masquée- et que fait-on ? On invente la taxe carbone et on supprime la taxe professionnelle. Comme si les 11,7 milliards attendus de cette mesure allaient suffire à créer les milliers d'emplois qu'attendent les habitants de notre pays ! Au fait, 11,7 milliards mobilisés pour une croissance en valeur de 10 à 15 milliards, cela fait un très faible effet levier...
Notre dette publique atteint les 1 000 milliards, et que fait-on ? On laisse courir les pertes de recettes fiscales en aménageant à la baisse le produit de l'impôt de solidarité sur la fortune, en laissant s'appliquer les mesures du paquet fiscal de l'été 2007 -15 milliards de pertes de recettes en année pleine-, pendant que la direction générale des finances publiques tient table ouverte pour les entreprises qui viennent récupérer les acomptes d'impôt sur les sociétés, la TVA déductible ou les multiples crédits d'impôt dont est truffée notre législation.
Il n'y a pas assez de rentrées, et que fait-on ? On défiscalise, on fait toutes sortes de cadeaux au patronat. Comment ne pas pointer, ainsi que l'a fait le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, les 20,5 milliards de bonus fiscal accordés à 6 200 grandes entreprises par la mise en place progressive de l'exonération des plus-values de long terme, véritable prime à l'externalisation et aux délocalisations ? 20,5 milliards perdus en trois ans, c'est pratiquement la somme que l'État s'apprête à lever sur les marchés financiers pour atteindre l'objectif des 35 milliards d'euros du grand emprunt.
Tout se passe comme si le Gouvernement attendait de la reprise qu'elle permette, par des effets mécaniques, de réduire les déficits et prouve par l'exemple que les choix mis en oeuvre depuis le printemps 2007, si ce n'est 2002, étaient les seuls possibles. Ce gouvernement qui a prêté, sans guère de contraintes, sans prise de participation au capital, plusieurs milliards d'euros aux banques françaises cultive la foi dans les vertus de la main invisible du marché. Foi du charbonnier, en vérité, que cette foi aveugle dans les stabilisateurs du marché.
Les demandeurs de logement, les privés d'emploi, les travailleurs précaires, les salariés stressés qui mettent parfois fin à leurs jours, les jeunes diplômés qui ne trouvent pas d'emploi au débouché de leurs études vont-ils attendre que toute cette belle mécanique se mette à fonctionner ? Cette loi de finances montre que les choix du Gouvernement sont loin de prendre en compte les besoins collectifs. Suppression de la taxe professionnelle, invention de la taxe carbone, alourdissement de l'impôt sur le revenu, hausse prévisible des impositions locales, suppression massive d'emplois publics, voilà à quoi ils se résument.
Quand des milliers de jeunes peinent à trouver un emploi, 35 000 emplois publics sont supprimés, au nom d'une idéologie désormais surannée. Un système fiscal de plus en plus injuste se développe, qui pèse sur la consommation populaire et quitte de plus en plus l'entreprise, lieu de production des richesses. Que d'un même élan on supprime la taxe professionnelle et crée la taxe carbone témoigne de cette inflexion. La taxe carbone est sans doute le plus mauvais tour que l'on ait joué à la cause de l'environnement, et ceux qui en soutiennent le principe en seront bientôt comptables devant l'opinion.
M. le président. - Il est temps de conclure.
M. Thierry Foucaud. - Je ne pense pas trahir la pensée de mes collègues du groupe CRC-SPG ni les attentes que m'expriment les Françaises et les Français, les habitants de ma ville, de ma région, que je côtoie dans mon action quotidienne, en choisissant de combattre, pied à pied, les orientations qui nous sont ici proposées. (Applaudissements à gauche)
M. Christian Gaudin. - (Applaudissements au centre ; M. le président Arthuis applaudit aussi) Nous vivons la crise économique et sociale la plus grave depuis soixante-quatre ans.
Le poids de l'ensemble des dépenses publiques dans le produit intérieur brut est passé de 52,7 % en 2008 à 55,6 % en 2009 et s'établira à 55,9 % en 2010. L'ensemble des dépenses publiques s'élèvera alors à 1 100 milliards pour un PIB de 1 970 milliards.
Alors que les charges publiques ont augmenté, le taux des prélèvements obligatoires a chuté. Si la crise n'a pas provoqué cette chute, elle l'a spectaculairement accélérée : 40,7 % du PIB en 2009, soit une baisse de 2,1 % en un an. Cette chute a été aggravée par des mesures fiscales non compensées à due concurrence, contrairement aux engagements. Cette année encore, les dépenses fiscales s'accroissent de 1,5 milliard pour atteindre 72,2 milliards en 2010.
Le niveau des déficits publics risque d'entraîner l'explosion de la dette. En 2010, le déficit public passera de 8,2 % à 8,5 % du PIB. La dette publique atteindra 84 % en 2010, hors grand emprunt. En trois ans, elle aura progressé de 20 points de PIB.
Face à ce constat, et pour encourager la sortie de crise, le budget que nous allons examiner est construit autour de trois axes : la poursuite de la relance autour de priorités ciblées, la maîtrise de la dépense avec un budget stabilisé au niveau de l'inflation et, enfin, une réforme de la fiscalité au service de l'investissement, de l'équité pour les ménages et du développement durable.
La création de la taxe carbone, que nous souhaiterions voir rebaptisée contribution climat-énergie est l'exemple d'une mesure fiscale incitative en faveur de l'environnement et nous la soutiendrons largement dans son principe, en proposant certains aménagements.
Le groupe de l'Union centriste, dans sa majorité, souscrit pleinement à ces louables objectifs mais n'est pas sûr que tout soit fait pour qu'ils soient atteints. Ainsi, l'efficacité et la pertinence de très nombreuses niches ne sont pas démontrées. Le bouclier fiscal, même si nous souscrivons à sa finalité, n'est pas satisfaisant dans sa forme actuelle : le plafond effectif du taux d'imposition est de fait bien inférieur à 50 %, puisque c'est le revenu fiscal, après déductions, qui est pris en compte et non le revenu réel ; la situation qui prévalait lors de sa mise en place par la loi de finances pour 2006, puis au moment de son renforcement dans le cadre de la loi Tepa, a profondément évolué ; enfin, nous ne pouvons accepter que les efforts nécessaires au redressement de nos finances publiques soient supportés par tous les contribuables sauf ceux que le bouclier protège.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Très bien !
M. Christian Gaudin. - Pour ces trois raisons, nous vous proposerons à nouveau d'abroger conjointement l'ISF et le bouclier fiscal en compensant le manque à gagner par la création d'une tranche supplémentaire de l'impôt sur le revenu. Notre fiscalité y gagnerait en simplicité, et surtout en équité.
Il nous faut, aujourd'hui, des solutions mais aussi de l'inspiration. L'exemple de nos voisins en est une source. Celui du Japon nous montre ainsi qu'il est, hélas, possible de passer de 100 % à 200 % d'endettement. A l'inverse, doit nous animer celui du Canada, dont le Wall Street Journal annonçait en 1994 la faillite et qui a, en trois ans, résorbé un déficit public qui dépassait 5 % du PIB et, avec une dette atteignant 67 % de la richesse intérieure, a assaini en dix ans sa situation financière. Il ne s'agit pas de se chercher un modèle mais de tirer quelques enseignements.
Le premier, c'est qu'une phase que les Canadiens ont appelée de « conscientisation » doit précéder l'action, une phase qui passe par un effort concerté de lucidité et de responsabilité de la part des acteurs publics, des élus locaux, de la société civile. C'est la conviction que remettre le problème à plus tard, c'est hypothéquer l'avenir des générations futures. C'est la volonté partagée de donner aux citoyens de demain la possibilité de bâtir l'avenir de leur choix.
Cette étape exige clarté et dialogue. En organisant chaque année dans mon département un rendez-vous de proximité avec les élus et en rapprochant les élus des entreprises installées sur leur territoire, j'ai constaté que le dialogue qui se noue profite au lien social, au développement du territoire, à la compréhension mutuelle.
Pour avoir rencontré de nombreux entrepreneurs dans le cadre de mes travaux de rapporteur spécial sur le crédit impôt recherche, j'ai constaté que de nombreuses PME hésitent à y recourir par crainte de l'administration fiscale. Pourtant, il est clair que le retour de la croissance passera par une baisse des charges pesant sur les investissements des entreprises.
Parallèlement, nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur la répartition des richesses. L'aide à la compétitivité des entreprises doit aller de pair avec une meilleure répartition des fruits de la création de richesse.
La « conscientisation », pour les collectivités territoriales, implique d'accepter, en même temps que le besoin de compétitivité des entreprises, leur propre besoin de se moderniser. La suppression de la taxe professionnelle ne peut consister en une simple substitution de ressources ; il faut réformer en profondeur. Figer la situation actuelle, avec ses anomalies, ses inégalités, serait une erreur grave.
Comme l'a dit M. le rapporteur général, une telle décision ne peut être prise à l'emporte-pièce. J'approuve donc la procédure en deux temps et la clause de revoyure : il faudra réexaminer la répartition des ressources entre les collectivités lorsque leurs compétences auront été redéfinies. La responsabilisation des collectivités et la rénovation de leur autonomie financière passent par des mesures fiscales mais aussi par la maîtrise de leurs dépenses : nous défendrons un amendement pour que les décisions qui leur imposent de nouvelles dépenses soient soumises à l'approbation des associations représentatives d'élus locaux.
Après la prise de conscience viendra l'action : ni baisse indiscriminée des dépenses, ni poursuite de la chimère qui consisterait à dépenser toujours plus en levant toujours moins d'impôts. Il faudra revenir à la discipline budgétaire.
Nous sommes en train de sortir de l'ornière. Le succès ne sera ni facile ni rapide, mais rien n'est plus encourageant que de l'apercevoir au bout du chemin. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions ; M. François Marc applaudit aussi)
Mme Nicole Bricq. - Un budget s'apprécie en fonction du contexte macro-économique, du schéma général des finances publiques et des orientations fiscales du moment. Celui-ci est fondé sur une hypothèse de croissance prudente de 0,75 %, alors que les experts tablent plutôt sur 1,2 %. Mme la ministre de l'économie s'est d'ailleurs réjouie de la croissance de 0,3 % au troisième trimestre 2009.
Si cela signifie techniquement la fin de la récession, il ne faut pas se dissimuler la réalité. Entre 2008 et 2009, la perte de richesse pour notre pays s'est élevée à 55 milliards d'euros ; à supposer que la croissance observée en 2007 se fût poursuivie sans la crise, celle-ci nous a même fait perdre 100 milliards d'euros. La France et les Français se sont appauvris. Quels seront les ajustements de la politique gouvernementale ou, pour le dire plus trivialement : qui paiera ? A en juger par ce qui s'est passé jusqu'ici, pas les riches : la rigidité idéologique du Président de la République et du Gouvernement empêche à cet égard toute évolution.
Ce matin, Mmes et MM. les ministres se sont réjouis de constater que l'économie française se porte mieux que celle des autres pays européens. Si l'on compare notre pays à l'Irlande, qui avait fondé sa stratégie sur le dumping fiscal et la financiarisation de son économie, alors oui, la France va mieux. Mais si on le compare à l'Allemagne, la comparaison est moins flatteuse...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'Allemagne s'engage dans une politique de baisse d'impôts !
Mme Nicole Bricq. - Le contexte économique morose se traduit par la hausse du chômage et la dégradation des finances publiques : le déficit atteindra 141 milliards d'euros cette année et 116 milliards l'année prochaine. M. le Premier ministre a annoncé qu'il présenterait début 2010 sa stratégie destinée à ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2014. Il est dommage que ce PLF ne soit pas l'occasion d'en débattre ! C'est un budget virtuel que nous sommes appelés à voter. (M. Woerth, ministre, proteste) L'emprunt pèsera lourdement sur les finances de l'État : le déficit dépassera 10 % en 2011, puisqu'il faudra bien y intégrer les 22 milliards d'euros annoncés. Il est vrai que nous avons déjà emprunté 252 milliards d'euros en 2009 et que nous emprunterons encore 212 milliards en 2010 : cela relativise l'importance du grand emprunt !
Les ajustements auxquels procède le Gouvernement portent sur les dépenses et non sur les recettes, avec pour seule exception... les recettes des collectivités ! La suppression de la taxe professionnelle privera ces dernières de leur principale recette et alourdira de 12 milliards d'euros le déficit.
M. Nicolas About. - C'est inexact.
Mme Nicole Bricq. - Le Président de la République a promis cette réforme au Medef lors de sa campagne de 2007 ; qu'importe alors si elle est menée dans la confusion et l'impréparation.
Ce qui n'est pas virtuel, en revanche, c'est l'acharnement du Gouvernement à défendre une fiscalité inégalitaire qui grève les recettes de l'État et prive celui-ci de toute marge de manoeuvre. Le Gouvernement a dû faire taire sa majorité qui souhaitait apporter quelques retouches au bouclier fiscal ; tout au plus lui a-t-il concédé un correctif technique dans la deuxième partie du PLF. En revanche, il a soutenu l'initiative du groupe UMP de l'Assemblée nationale tendant à soumettre à l'impôt les indemnités journalières versées au titre des accidents du travail, mesure injustifiable qui ne rapportera que 150 millions d'euros au budget de l'État alors que ses recettes ont été amputées de 3 milliards par la baisse de la TVA dans la restauration, consentie sans contrepartie ! (Marques d'approbation à gauche) Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que ce régime fiscal était une « anomalie » ; mais c'est toute la politique fiscale menée depuis 2002 qui constitue une anomalie ! Le président du groupe UMP de l'Assemblée nationale, initiateur de cette pitoyable mesure, la défend au nom de « l'équité » : il n'a pas froid aux yeux ! Toute notre fiscalité est inique ! Parmi les 500 niches fiscales, il en est une que M. Copé connaît bien : l'exonération des plus-values sur les titres de participation, instaurée en 2004, qui a coûté 12,5 milliards d'euros en 2008 et 8 milliards en 2009. Est-il bien nécessaire d'emprunter ? Ne devrait-on pas plutôt mettre fin à ces exonérations qui privent l'État de recettes considérables ? Mais le Gouvernement remet à plus tard le réexamen des niches fiscales, dont le plafonnement s'est pourtant révélé inefficace.
La feuille de route des socialistes est claire : nous voulons rétablir l'impôt dans ses fonctions essentielles de financement de services publics de qualité et de redistribution. A l'heure actuelle, toute baisse d'impôt est inepte car elle se paie par l'endettement. Mais ce sujet est tabou ! Ce rendez-vous, nous l'aurons avec l'opinion, dont une nette majorité se sent trahie par les promesses fallacieuses de 2007.
Le tableau de la société française dressé par l'Insee est éloquent : la stagnation salariale et les inégalités de patrimoine se soldent par la baisse de la consommation et de l'investissement. La plupart des Français craignent qu'on leur demande des efforts supplémentaires, alors que les plus riches sont protégés au nom de l'« attractivité » et de la « compétitivité » du pays. Cet argument, qui avait servi à justifier la loi Tepa, nous est resservi à propos de la taxe professionnelle, qui ne sera pas remplacée par un impôt efficient. Il s'agit, dites-vous, d'un « handicap majeur à l'installation et au développement des entreprises », d'un « impôt imbécile », selon le mot de François Mitterrand.
M. Nicolas About. - Un visionnaire ! Il l'a montré à propos du mur de Berlin !
Mme Nicole Bricq. - Mais vous oubliez que sa part salariale a été abolie en 1999, ce qui s'est révélé très bénéfique pour l'emploi !
M. François Marc. - La droite veut la rétablir !
Mme Nicole Bricq. - Certes, la taxe professionnelle pénalise nos industries exposées à la concurrence internationale. Faut-il pour autant procéder à un allégement général de la fiscalité des entreprises, présenté comme une réforme de la fiscalité locale ?
M. Albéric de Montgolfier. - Oui !
Mme Nicole Bricq. - Pourquoi ne pas réarmer plutôt notre appareil productif, insuffisamment novateur et mal orienté vers les marchés extérieurs ?
Cette mesure idéologique témoigne en outre d'une profonde méfiance à l'égard des élus qui gèrent au mieux leurs collectivités. Le message subliminal du discours prononcé par le Président de la République à Saint-Dizier était le suivant : « Il y a trop d'élus et ils coûtent trop cher ». Mme la ministre, dans une formule malencontreuse, a déclaré ne pas vouloir « organiser la féodalité ». La décentralisation est-elle donc le retour de la féodalité ? Quelle injustice à l'égard des élus, souvent bénévoles, qui administrent nos 36 000 communes !
M. Nicolas About. - Ce n'est pas à eux que pensait Mme la ministre.
Mme Nicole Bricq. - Cette recentralisation par le biais de dotations d'État, au demeurant en baisse constante depuis 2002, est une régression, d'autant plus que l'État impécunieux paie ses factures à coups d'emprunt. Les taux d'intérêts sont bas pour l'instant ; qu'en sera-t-il à l'avenir ?
En acceptant le premier volet de la réforme, la majorité sénatoriale suscite l'incompréhension des élus et des citoyens. Comment répartir une recette diminuée de moitié ? M. le rapporteur général, dans un bel euphémisme, prétend que cette réforme se déroulera en « un temps, deux mouvements ». Selon moi, elle se fera plutôt en « un mouvement, deux temps » : l'assèchement des ressources des collectivités d'abord, l'étouffement du pouvoir local ensuite. (Applaudissements à gauche) Depuis que Mme la ministre est venue défendre la suppression de la taxe professionnelle devant notre commission, le 9 septembre dernier, son discours n'a pas varié : elle prétend que cette réforme est menée pour les entreprises, non pour les collectivités. Mais nul ne peut nier que cette taxe ait été un accélérateur puissant de la décentralisation et de l'intercommunalité. Les collectivités devront contracter leurs dépenses pour respecter l'objectif des 3 % ; on leur demandera simultanément de poursuivre leur effort d'investissement. Elles ont pourtant réduit leur dette de 9,5 % à 7,5 % en 2008, alors que celle de l'État atteint 84 % du PIB ! Leurs dépenses se montent à 11,3 % du PIB, alors que la moyenne européenne est de 12,7 %. (Marques d'impatience à droite, où l'on fait remarquer que l'oratrice a épuisé son temps de parole) Ce PLF est expérimental et hasardeux : on se prépare à revoir la répartition des ressources en fonction de la nouvelle définition des compétences des collectivités.
Avec la même opiniâtreté, le Gouvernement défend le secteur bancaire. Nous souhaitons pour notre part que le contribuable cesse d'être l'assureur des risques excessifs pris par les banquiers.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Nicole Bricq. - Je conclus. La lassitude gagne les Français, surtout ceux qui avaient cru sincèrement à la réforme et qui se détournent de celui qui prétendait l'incarner. Le vernis a craqué, ne restent que l'idéologie, la posture et le conservatisme. Le temps de l'alternance vient, une alternance qui repose sur un nouveau pacte social avec les Français, sur un pacte de confiance entre l'État et les collectivités territoriales en vue d'assurer le financement de l'action publique. C'est à cela que nous travaillons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Michel Baylet. - La crise est aujourd'hui moins spectaculaire qu'à ses débuts, lorsque les grandes faillites bancaires avaient plongé le monde dans le souvenir cruel de 1929. Les banques, retournées à la spéculation, se sont refait une santé, parfois avec indécence, tandis que des dizaines de milliers d'entreprises mettent la clé sous la porte faute de liquidités. Ne nous voilons pas la face, cependant. Les bons indices boursiers ne sont pas le signe d'une véritable reprise, plutôt le reflet du décrochage persistant entre la finance et l'économie réelle.
La réalité quotidienne des Français est, hélas, en rapport avec une baisse de l'activité de 2 %, un chômage qui avoisine les 10 %, la pauvreté qui s'étend, en particulier chez les jeunes. La crise est profonde et durable. Moins grave que dans les autres pays de la zone euro, la récession est cependant plus grave que celles de 1975 et 1993. Le plan de relance, sans doute nécessaire à court terme, est insuffisant pour faire repartir la consommation et entraîner une vraie reprise.
Reconnaissons que, dans ce contexte, l'exercice budgétaire est difficile. Nos finances publiques sont dans un état déplorable et proche de celui de l'Espagne ou du Royaume-Uni, avec 8,5 % de déficit et un pacte de stabilité aux oubliettes -ce que Bruxelles risque de nous rappeler. Il faut certes distinguer entre ce qui relève du conjoncturel et ce qui relève du structurel mais le pilotage et les choix fiscaux du Gouvernement n'améliorent pas la situation. Depuis la loi Tepa, la politique gouvernementale consiste à distribuer des cadeaux à ceux qui n'en ont pas besoin et à mettre en oeuvre la RGPP. Avec 500 millions d'euros d'économies par an, combien de temps faudra-t-il pour éponger les 140 milliards de déficit ? A moins de supprimer des écoles, des hôpitaux et des élus qui, paraît-il, coûtent trop cher...
Alors un jour, le Président de la République a annoncé la suppression de la taxe professionnelle. Nous y voilà ! La réforme est présentée comme une nouvelle étape d'une politique de soutien à l'investissement et à l'emploi et, comme ne cesse de le claironner le Président de la République, une réponse aux délocalisations.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Il a raison !
M. Jean-Michel Baylet. - Mais tout le monde sait que délocaliser, c'est avant tout rechercher des salaires bas et des conditions de travail sans exigence sociale. Les entreprises clament que les cotisations sociales sont le premier obstacle à leur développement ! Depuis les réformes Juppé et Strauss-Kahn, on sait que les prélèvements sur les entreprises leur reviennent sous forme d'investissement des collectivités locales, infrastructures, formation ou haut débit.
Est-il opportun de programmer une telle réforme dans le contexte économique actuel ? Les collectivités locales ont pris leur part du plan de relance ; sur le terrain, nous avons plus que jamais besoin de sérénité et de clarté. Or de nombreuses incertitudes demeurent. La commission des finances a bien tenté un compromis pour calmer la grogne, mais le Gouvernement s'entête à vouloir faire passer une réforme rejetée de toutes parts ; il reste sourd aux messages que les parlementaires de tous horizons relaient sur le désarroi de milliers d'élus locaux, désarroi que chacun a pu constater au congrès des maires. Cette réforme ne sécurise pas les ressources de toutes, je dis bien toutes les collectivités locales, ne règle pas la question des dépenses de solidarité, ni pour le passé ni pour l'avenir, parce qu'elle porte atteinte à l'autonomie financière des départements et transfère sur les ménages le poids de l'impôt.
La suppression de la taxe professionnelle heurte la Constitution, en ce qu'elle fait peu de cas de son article 72-2. Certes, la taxe sera partiellement compensée par la « contribution économique territoriale » mais il manquera 10 milliards d'euros. Et pour nous les rendre, le Gouvernement a choisi de transférer des ressources d'État. Autant dire que ce choix recentralisateur nous ramène sous le régime des dotations et à une époque que nous croyions révolue depuis 1981... Autant dire qu'il entre en contradiction avec le principe de la libre administration des collectivités locales et entrave leur pouvoir fondamental de fixer et de prélever l'impôt.
Le dispositif entraîne de plus une rupture du lien contractuel entre les citoyens et leur collectivité. La recentralisation nuit au pacte qui soude les individus à leur territoire comme elle brise le lien fiscal entre l'entreprise et la collectivité. Les dotations, outre qu'elles ne sont guère dynamiques, sont une source d'insécurité pour les collectivités locales. Comment boucleront-elles leur budget au-delà de 2010 ? Comment croire à une compensation intégrale quand on fait le bilan des transferts passés ? Jamais les engagements n'ont été tenus. M. Copé, alors ministre du budget, s'était engagé, chez moi à Moissac, à une compensation intégrale du RMI-RMA.
M. Albéric de Montgolfier. - Et l'APA ?
M. Jean-Michel Baylet. - Parlons-en, de l'APA ! En 2002, dernière année du gouvernement Jospin, la répartition était comme prévu à 50-50 entre l'État et les collectivités ; nous en sommes à 30-70 ! Et l'État s'est bien gardé de prévoir la montée en charge du RSA ; avec le RMI, il a manqué 1 milliard entre 2003 et 2007 ! Quant à la charge de l'APA, elle augmente de 8 % par an... L'État n'a pas tenu ses engagements ; par quel miracle les tiendrait-il demain ?
La diversité des opinions et des idées fait la richesse de notre assemblée et de notre démocratie. Mais un consensus se dégage pour estimer que la réforme de la taxe professionnelle est une atteinte à nos équilibres institutionnels. En affaiblissant le lien avec les citoyens, en mettant les collectivités locales sous tutelle par la destruction de leur autonomie financière, le Gouvernement fait un choix profondément antirépublicain. Raison pour laquelle ce choix n'aura ni mon soutien ni celui des radicaux de gauche. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Fourcade. - Dans une conjoncture perturbée, et après une année 2009 dramatique pour la croissance et l'emploi, le budget 2010 doit faciliter la sortie de crise et préparer l'avenir.
Je regrette tout d'abord qu'aucun signal de retour à la maîtrise des finances publiques ne soit perceptible.
Mme Nicole Bricq. - C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Un déficit de 8,5 % du PIB, une dette supérieure à 1 500 milliards d'euros, des niches fiscales et sociales de 100 milliards, voilà qui a de quoi inquiéter nos concitoyens, nos partenaires et Bruxelles.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est bien vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Certes, l'hypothèse de croissance est prudente et on attend une stabilisation du chômage courant 2010. Mais il eût été opportun de ne pas renvoyer à plus tard le début des efforts de redressement. Le refus d'augmenter légèrement le taux de la CRDS ou la création de nouvelles niches fiscales compliquent la tâche de ceux qui auront à préparer le budget 2011.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - En effet !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Le grand emprunt va aggraver notre endettement et risque d'altérer l'excellente position de la France sur les marchés financiers. Il est de bon ton de se réjouir du bon fonctionnement du couple franco-allemand, si nécessaire à la construction européenne ; prenons garde de ne pas le détériorer en nous écartant trop de l'objectif du retour aux 3 % en 2012, 2013 ou 2014. Il faut avoir le courage de l'annoncer et de le faire.
En second lieu, je soutiens la courageuse réforme fiscale inscrite dans le budget 2010.
La contribution climat-énergie exprime l'engagement en faveur du développement durable, qu'il faudra faire partager à nos partenaires européens. Certes, les modalités pratiques sont complexes et nous n'en sommes qu'au début des modifications de comportement, mais cette contribution était nécessaire après le Grenelle de l'environnement. A nous de la faire accepter par nos concitoyens.
La suppression de la taxe professionnelle, instituée en 1975 pour remplacer la patente, soulève d'autres difficultés.
Mme Nicole Bricq. - Qui était au pouvoir ?
M. Jean-Pierre Fourcade. - Son existence est loin d'être la seule cause de la désindustrialisation...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Certes.
M. Jean-Pierre Fourcade. - ...mais la suppression de la base salariale par M. Strauss-Kahn a aggravé la situation. Je comprends que le Gouvernement veuille la supprimer, ou plutôt la modifier, pour soutenir l'investissement privé en sortie de crise.
Reste que cet impôt joue un rôle majeur dans la fiscalité locale et constitue le socle de l'intercommunalité. Il faut donc légiférer avec prudence. Je souhaite que le Gouvernement accepte les propositions de la commission des finances et les rendez-vous ultérieurs : la mondialisation interdit de taxer comme tels les investissements des entreprises mais la démocratie locale exige que les collectivités territoriales améliorent le cadre et les conditions de vie de nos concitoyens. (Nombreuses marques d'approbation à droite)
En troisième lieu, la question essentielle est de savoir si ce budget accompagne bien la sortie de crise.
Comme en 2009, le Gouvernement laisse les recettes fiscales se réduire comme peau de chagrin et les dépenses s'accroître conformément à la loi de finances pluriannuelle, avec un encadrement plutôt strict, notamment par les réductions d'emplois et en respectant les priorités définies.
Les hypothèses économiques ont été revues au cours de la discussion à l'Assemblée nationale, mais la situation de l'emploi oblige à laisser libre cours aux amortisseurs sociaux et à laisser le déficit atteindre 70 % des recettes fiscales nettes. Du jamais vu depuis que je m'occupe de ces questions ! Dès que la conjoncture se redressera, il faudra fermer la parenthèse de cet épiphénomène.
Au demeurant, la bonne orientation des enquêtes Banque de France et Insee pour le troisième trimestre 2009 suggère que le pari de ce budget peut être gagné. C'est pourquoi je le voterai, avec le groupe UMP.
Je formulerai toutefois deux réserves : le grand emprunt ne doit pas être excessif et surtout, ses points d'application devront être bien ciblés car la politique de la semeuse serait la pire ; si les taux d'intérêt augmentaient en 2010, il faudrait immédiatement adopter des mesures d'économies compensant la charge supplémentaire.
M. Yvon Collin. - Même avant !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Nous devons tout faire pour éviter que le déficit n'atteigne 70 % des recettes fiscales nettes !
Le budget est un acte politique qui engage la majorité. Encore faut-il qu'elle soit lucide et courageuse ! (Applaudissements à droite)
M. Bernard Vera. - S'exprimant le 22 juin devant le Congrès du Parlement réuni à Versailles, le Président de la République a présenté la suppression de la taxe professionnelle comme le résultat d'un « choix stratégique en faveur du travail ». Évoquant ensuite la taxe carbone, il a déclaré : « plus nous taxerons la pollution et plus nous pourrons alléger les charges qui pèsent sur le travail. C'est un enjeu immense. Cet enjeu écologique. C'est un enjeu pour l'emploi. »
Avec cette loi de finances, nous arrivons au grand écart entre les mots et les choix, car l'essentiel des recettes fiscales de l'État provient des droits indirects pesant sur la consommation. Le principal contributeur est le consommateur salarié : son salaire finance la protection sociale, ses achats de vie quotidienne sont ponctionnés par la TVA.
Le salaire représente l'une des destinations de la richesse créée mais les autres utilisations, comme les dividendes ou les frais bancaires par exemple, sont nettement moins mises à contribution par notre fiscalité.
Sur le plan local, il n'y a qu'un lointain rapport entre la capacité contributive et les cotisations de taxe professionnelle, de taxe d'habitation ou de taxes foncières. Pourtant, une réforme de la fiscalité locale commençant par supprimer une ressource majeure ne présage rien de bon.
Les enjeux écologiques sont fort éloignés de la taxe carbone, qui ne touchera au début que les ménages et les collectivités territoriales. On peut prévoir que ce nouvel impôt va croître et embellir, mais sans rapport avec la cause de l'environnement dont le Gouvernement ne se préoccupe guère, lui qui ponctionne régulièrement les crédits destinés aux alternatives à la route.
Demain, la taxe carbone gagera de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises et aux ménages les plus aisés, pour « alléger la fiscalité du travail » ! Mais pour vous, moins taxer le travail ne signifie pas augmenter les salaires car vous privilégiez la participation et l'intéressement. La cause du travail ne préoccupe pas un gouvernement dont les choix sont dictés par celle du capital.
La suppression de la taxe professionnelle n'est que l'une des plus anciennes revendications du Medef, une de plus qui aura force de loi. Et les milliards gaspillés dans cette affaire conduiront encore le Parlement à la même litanie : toute proposition alternative tendant à satisfaire enfin les aspirations populaires sera trop chère.
Il n'y a qu'un point sur lequel nous soyons d'accord avec le Président de la République : il est grand temps de procéder à une profonde réforme fiscale rétablissant la justice et permettant une réduction vertueuse des déficits.
Or nous avons sous les yeux la démonstration la plus éclairante des inconséquences politiques de la France et l'Europe : loin de réduire les déficits publics, leurs choix les ont souvent aggravés, ce qui justifie d'ailleurs par avance de nouvelles coupes dans les dépenses publiques et de nouvelles injustices fiscales.
Il faut courageusement examiner ce qui tient lieu de première dépense budgétaire : l'incroyable ensemble des dispositifs dérogatoires. Examinons chaque composante de la dépense fiscale, en partant d'interrogations simples : combien coûte ce dispositif ? Quelle est son incidence économique ? Faut-il le maintenir ? La moitié du crédit d'impôt recherche reversé aux entreprises cette année étant arrivée dans des sociétés holding sans hausse visible des dépenses de recherche, on perçoit la nécessité de l'examen !
Nous souhaitons un système fiscal fondé sur des prélèvements à la source de la création de richesses, c'est-à-dire dans l'entreprise. C'est là que se trouve l'assiette fiscale la plus large ! C'est là que nous devons agir, sans oublier un impératif politique et moral : pénaliser la financiarisation des activités humaines et de la production.
Il faut profondément réformer la fiscalité des capitaux et des placements afin de décourager la spéculation financière qui, plus que tout impôt, asphyxie l'emploi. La remarque vaut également pour la mise à contribution des revenus. Or, au moment même où l'on craint une explosion de la fiscalité locale avec la révision des charges locatives, vous mettez en oeuvre l'amendement Scellier. Une fois encore, la fiscalité pèsera plus lourdement sur les locataires et, plus généralement, les familles. Cette situation doit être corrigée par l'application d'une véritable progressivité à l'impôt ainsi que par la réduction durable de la taxe sur la consommation populaire, mais sans doute d'une autre manière que celle retenue pour la baisse de la TVA sur la restauration.
Le Gouvernement faisant le choix diamétralement inverse de répondre aux attentes du patronat, le groupe CRC-SPG ne votera pas ce texte ! (M. Jean Arthuis, président de la commission, feint l'étonnement ; applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Jégou. - « État en faillite », crise historique de nos finances publiques, niveau d'endettement sans précédent, situation inquiétante de nos finances publiques, ces propos d'éminentes personnalités traduisent la même idée : notre pays est au bord de l'asphyxie !
Notre pays s'est accoutumé à une culture des déficits. Parlementaire depuis plus de vingt ans, je n'ai jamais vu un budget à l'équilibre ou s'en approchant, bien que cet objectif soit inscrit à l'article 34 de la Constitution. Notre situation budgétaire cette année est, au sens propre, extraordinaire. Le déficit public atteint 141 milliards, soit la moitié des dépenses du budget général. Une première en temps de paix ! Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, le déficit de nos administrations publiques se situera pendant deux années consécutives à plus de 8 % du PIB, 8,5 % très exactement l'an prochain.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - Sans parler du grand emprunt !
M. Jean-Jacques Jégou. - En effet, que valent les prévisions du Gouvernement quand les dépenses correspondantes ne figurent pas dans ce budget ? Notre situation budgétaire ne devrait pas s'améliorer. Le Gouvernement, d'ailleurs, n'envisage pas de retour aux règles du pacte de stabilité européen avant 2014, et non 2013 comme l'avait exigé la Commission, et ce, malgré des hypothèses de croissance particulièrement optimistes, pour ne pas dire irréalistes ! Une croissance de 2,5 % par an jusqu'en 2014, une augmentation de la masse salariale de 5 % par an en valeur et une baisse de la dépense publique de 1 % par an, je peine à y croire au vu de la conjoncture économique et de la politique menée depuis 2007. Ce matin encore, Mme Lagarde et M. Woerth ont justifié les déficits par la crise : 2009 était un budget de gestion de la crise, 2010 est un budget de gestion de la sortie de crise. Cette distinction habile permet de justifier leur politique attentiste avant le retour à une certaine rigueur. Mais en attendant, les déficits se creusent et la dette explose ! Certes, la dégradation de nos comptes publics s'explique, pour une grande part, par la crise économique et la réduction des rentrées fiscales qui s'ensuit. Je ne suis pas partisan d'une politique de rigueur excessive qui asphyxierait la reprise, d'où mon soutien global au plan de relance. En revanche, je déplore que la France n'ait pas, contrairement aux autres pays européens, profité du cycle de croissance qui a précédé la récession pour réduire son déficit public. Nous payons aujourd'hui le prix de cette attitude irresponsable. A déficit comparable en 2005, l'Allemagne avait résorbé son déficit à la veille de la crise en 2008 alors que celui de la France était de 3,4 %. Résultat, son déficit est limité à 3,7 %, le nôtre dépasse 8 % ! Les autres s'en sortiront mieux, grâce à une situation de départ plus saine. Laisser filer les déficits, nonobstant les déclarations du Gouvernement, ralentira la sortie de crise. Ils sont devenus insoutenables, j'espère que chacun en a conscience.
Avec une reprise économique lente et molle, de l'ordre de 1,7 à 1,8 % de l'aveu du Gouvernement, la seule issue sera de réduire les dépenses, de pérenniser les recettes et, surtout, de les augmenter. De fait, nos dépenses publiques, du fait de l'augmentation des dépenses sociales et des dépenses des collectivités territoriales, représenteront presque 56 % du PIB en 2010 quand le taux des prélèvements obligatoires, notamment en raison de mesures fiscales contestables, est passé de 43,9 % du PIB en 2006, à 42,8 % en 2008, contre 40,7 % en 2009. Était-il responsable de baisser la TVA dans la restauration ?
M. Jean Arthuis, président de la commission. - La question doit être posée.
M. Jean-Jacques Jégou. - La pertinence de cette mesure est très discutable, les chiffres de l'Insee le prouvent. En outre, le Gouvernement a enfreint à cette occasion la règle vertueuse de ne faire aucune dépense fiscale sans prévoir une économie à due concurrence. La question est posée : quand augmentera-t-on les impôts ? Après 2012 ? Il faut cesser, avait insisté la commission Pébereau, hélas !, tombée dans l'oubli, de financer les baisses d'impôt par le déficit et par l'endettement. Notre système fiscal est devenu d'une complexité extrême et, avec la combinaison des niches fiscales et du bouclier fiscal, il produit de profondes injustices. Nous devons procéder à une grande réforme fiscale, en réétudiant notamment une à une les 470 niches fiscales, ce qui nécessite du courage. Malheureusement, les gouvernements cèdent depuis de trop nombreuses années à la tentation de la procrastination.
M. Bernard Angels. - Ce budget n'est pas à la hauteur de la situation budgétaire de notre pays, marquée par la dégradation de nos finances publiques et les incertitudes sur les conséquences de la crise. En outre, il est fiscalement injuste et amputé du grand emprunt qui devrait s'élever à 35 milliards.
Tout d'abord, la situation budgétaire. L'indicateur d'une croissance de 0,3 % au troisième trimestre 2009 ne saurait, contrairement à ce qu'affirme Mme la ministre, signifier à lui seul le retour en France d'une croissance durable. De fait, la demande intérieure ayant reculé selon l'Insee, cette timide reprise est à mettre sur le compte des différents dispositifs appliqués dans l'Union européenne, en particulier la prime à la casse en Allemagne qui a considérablement relancé les exportations françaises.
Mme Nicole Bricq. - Oui, pour la moitié !
M. Bernard Angels. - Ce résultat montre l'erreur politique qu'a commise le Gouvernement : en faisant peu de cas des ménages, et surtout des plus modestes, il s'est privé d'un levier de relance majeur. De plus, le taux de chômage s'établira à 10,6 % l'an prochain, contre 7,8 % fin 2008. Le Gouvernement préfère ignorer cette réalité, allant même jusqu'à ne pas comptabiliser les demandeurs d'emploi de catégories B et C. Si l'on comptabilise ces salariés particulièrement vulnérables dans le chiffre officiel du chômage, celui-ci atteignait 3,7 millions en août 2009, et non 2,6. L'augmentation des chômeurs de longue durée aurait dû vous alarmer : en septembre 2009, presque 1,3 million de personnes qui tomberont dans la pauvreté sitôt en fin de droits.
Peut-on croire à une relance durable si on n'analyse pas les derniers chiffres ?
Mme Nicole Bricq. - Non !
M. Bernard Angels. - Une reprise pérenne passe par la maîtrise du solde public mais, dans son souci de ne pas revenir sur des mesures inefficaces, le Gouvernement laisse filer la dette. Si la croissance est de 0,75 % en 2010, il devra financer à crédit 40 % de ses dépenses. La France se place ainsi en situation de voir ses marges de manoeuvre hypothéquées par un déficit de 10 % du PIB et une dette publique en augmentation de 16 % pour atteindre 80 % du PIB à la fin de l'année prochaine. Sans la baisse de la TVA dans la restauration, sans le paquet fiscal mais avec une taxe exceptionnelle sur les banques, vous auriez limité le dérapage de 15 milliards...
La Commission européenne ayant engagé une procédure pour déficit abusif, il est fort probable que la BCE relèvera son taux directeur, et cela au moment où la France a remboursé des prêts à moyen ou long termes pour s'endetter à court terme. La situation va rapidement devenir intenable. J'observe que le rapporteur général partage cette analyse.
En refusant d'admettre que la croissance n'est pas le fruit de sa relance, en refusant de faire du budget un tremplin pour sortir de la crise, le Gouvernement affiche ses priorités : ne rien faire sinon traiter les collectivités territoriales comme des variables d'ajustement. L'injustice fiscale est une autre caractéristique de ce budget. La déductibilité des intérêts d'emprunt prévue dans la loi Tepa n'a eu aucun effet sur la part des primo-accédants : peut-on défendre ce qui n'est qu'un effet d'aubaine ? Quand toute recette supplémentaire doit être recherchée, pourquoi maintenir le bouclier fiscal et se priver d'une redistribution qui contribuerait à la consommation des ménages ? J'ai établi dans un récent rapport que le contenu moyen en importation de la consommation des ménages ayant les plus bas revenus est inférieur de 2,4 % à celle des ménages aux plus fort revenus. Une approche sociale de la relance aurait pu protéger les plus faibles et soutenir la demande en produits domestiques.
Si nous partageons la préoccupation d'une redynamisation de l'investissement, la suppression de la taxe professionnelle ne la garantit nullement. N'aurait-il pas été plus pertinent de cibler les entreprises dont le tissu économique a le plus besoin et qui présentent les facteurs de délocalisation les plus souples ? Cette réforme aura surtout des conséquences désastreuses pour les collectivités, qui sont pourtant les premiers investisseurs de ce pays. La perte de 15 milliards de taxe professionnelle représente une atteinte grave à l'autonomie fiscale : les collectivités devront se contenter de transferts dont elles ne contrôlent ni l'assiette ni le taux et cette modification fera peser plus de 70 % des impôts locaux sur les ménages. Comme il serait injuste d'accroître ceux-ci massivement, ce sont les services publics locaux qui en subiront les effets néfastes. Ce projet de loi de finances inacceptable prive les collectivités des moyens d'amortir la crise et réduit leurs capacités d'action. La volonté du Président de la République de ne pas revenir sur certaines de ses promesses continue de contraindre l'exercice budgétaire.
Un grand emprunt financera les dépenses d'avenir. M. Guaino parlait de 100 milliards, le Premier ministre de 20 à 30 milliards ; on sait désormais que ce sera 35 milliards. La sincérité budgétaire aurait voulu que cela figurât dans le budget mais vous préférez fragmenter le débat et empêcher les parlementaires d'appréhender la totalité des enjeux budgétaires. Face à ce budget insincère et injuste, les amendements du groupe socialiste tendront à rétablir la justice fiscale et à remettre notre pays sur les voies de la croissance durable. (Applaudissements à gauche)
M. Aymeri de Montesquiou. - Il faut absolument se donner des objectifs, assurait le Président Pompidou. Le nôtre doit être d'atteindre l'équilibre budgétaire en 2013 pour répondre aux exigences de la Commission ou en 2014 pour répondre aux exigences économiques et sociales comme à notre position internationale. Est-ce possible ? Ce sera en tous cas difficile, dans un contexte morose, marqué par la récession, le chômage, des déficits abyssaux et une dette en augmentation. Vos soucis sont grands, et extrême notre inquiétude !
Les déficits empoisonnent la vie politique depuis trop longtemps et tous les gouvernements en sont responsables, par facilité ou par lâcheté. Pour paraphraser Oscar Wilde, on pourrait dire que la France vit tellement au-dessus de ses revenus qu'en vérité, ils mènent, elle et eux, une existence entièrement séparée. Ces déficits ont été aggravés par la nécessaire relance comme par la diminution des recettes : l'impôt sur les sociétés est revenu de 39 à 19 milliards, la TVA de 186 à 171 milliards. De cet effondrement catastrophique, la responsabilité ne peut être imputée à votre politique : vos choix l'ont freiné.
Les causes conjoncturelles risquent de devenir structurelles si la crise sert d'alibi pour ne pas s'attaquer aux 116 milliards de déficit. Ce chiffre était inimaginable il y a peu, mais le temps du traité de Maastricht semble bien lointain. D'accidentel, ce chiffre ne doit pas s'installer dans le paysage. Confucius ne disait-il pas « trop de poux cesse de démanger, trop de dette finit par ne plus attrister » ? (Applaudissements et marques d'admiration sur plusieurs bancs au centre et à droite) Lors du débat sur les prélèvements obligatoires, vous avez été clairs, il ne saurait y avoir d'augmentation d'impôt. Dès lors la solution passe par une baisse des dépenses. Or le non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux ne représente que 0,2 % des dépenses nettes.
Nous devons nous inspirer de l'exemple du Canada, de la Belgique et de la Suède. Celle-ci est celle qui a le mieux réussi en évitant de sombrer dans la spirale infernale du déficit en réduisant ses dépenses pendant dix ans. Elle est passée d'un déficit de 12 % à un excédent de 3 % en plafonnant ses dépenses et en s'obligeant à un excédent de 2 %. Elle a ainsi réduit le chômage de moitié, non pas malgré mais à cause d'une réduction de 15 % des emplois publics sans que les fonctions régaliennes ni la formation ne soient affectées. Pourquoi ne pas méditer ce précédent ? Faisons preuve de courage et refusons la facilité et la démagogie.
La dette publique explose et la Cour des comptes l'estime à 80 % du PIB en 2010, 88 % en 2011. Lors du débat sur les prélèvements obligatoires, j'avais soutenu la proposition de M. Warsmann d'un sommet national de la dette publique. L'urgence l'impose. Je fais donc appel à votre sens de l'hédonisme puisqu'aussi bien le beau moment de la dette, comme l'affirme un proverbe russe, c'est quand on la paie. Que cela se réalise sous votre ministère est sans doute une utopie mais soyez-en les initiateurs. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Dominique de Legge. - Le projet de loi de finances revêt, cette année, une importance et une portée toutes particulières : nous traversons une crise économique qui marquera l'histoire contemporaine et les mesures que propose le Gouvernement tiennent compte de cette situation et préparent la reprise.
En outre, il prévoit la suppression de la taxe professionnelle, réforme souvent annoncée et toujours différée, mais que le Président de la République s'est engagé à mener à bien.
Il est évident qu'il fallait supprimer la taxe professionnelle, déjà qualifiée de « stupide » par François Mitterrand, et modifiée, depuis sa création en 1975, pas moins de 68 fois afin d'en atténuer les effets antiéconomiques. La plus importante de ces modifications a été conduite par Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, qui ont supprimé la part salaire de la taxe professionnelle en expliquant que le meilleur moyen de lutter contre le chômage était de ne pas taxer les emplois. Hélas, ils ne sont pas allés au bout du raisonnement. Il est donc particulièrement curieux d'entendre ceux qui plébiscitaient cette évolution reprocher aujourd'hui au Gouvernement de poursuivre le raisonnement, en faisant valoir que le meilleur moyen de ne pas pénaliser l'investissement est d'éviter de le taxer, surtout dans le contexte de crise actuel.
Plus que jamais, il convient donc de ne pas différer cette réforme. Le débat ne porte pas sur la suppression de la taxe professionnelle mais sur le dispositif destiné à la remplacer. Un prélèvement sur la valeur ajoutée semble plus cohérent et plus juste économiquement, surtout dans la situation actuelle où les entreprises à forte valeur ajoutée ne sont pas forcément les plus contributives.
Sur le long terme, des rééquilibrages seront nécessaires entre les entreprises et les territoires. Nos collectivités n'ont rien à perdre à cette réforme, alors que l'industrie française a détruit 500 000 emplois en quinze ans et que sa part dans la valeur ajoutée est passée de 21 % en 1988 à 14,1 % en 2007.
Aussi, la vraie question est de savoir comment répartir ce nouvel impôt et la part respective qui doit revenir à chaque collectivité.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont élargi la cotisation assise sur la valeur ajoutée, initialement réservée aux départements et aux régions, aux communes à hauteur de 20 %. Heureuse initiative qui conforte le lien entre territoire et entreprise et qui, surtout, permet au couple commune-EPCI de bénéficier d'un impôt dynamique.
D'autres évolutions sont souhaitables mais je fais confiance à la commission des finances, et tout particulièrement à son président et au rapporteur général, pour que notre assemblée améliore et complète ce texte. Nous souhaitons obtenir des simulations et la garantie de clauses de revoyure en fonction de la future réorganisation territoriale.
J'en viens à l'autonomie fiscale et à la péréquation. Tout d'abord, peut-on parler encore d'autonomie fiscale lorsque la taxe professionnelle est aujourd'hui prise en charge pour plus d'un tiers par l'État ? C'est entre 1998 et 2002 que l'autonomie fiscale des régions a le plus diminué, conséquence de la réforme des droits de mutation en 1998, de la suppression de la part de la taxe d'habitation en 2000 et de la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle en 2001. Ainsi, pour la région Bretagne, la part des recettes décidées par l'assemblée est passée de 56 % en 1998 à 30 % en 2002. Ces chiffres qui font suite aux réformes fiscales de MM. Jospin et Strauss-Khan permettent de relativiser les accusations portées aujourd'hui sur la perte d'autonomie fiscale que génèrerait la réforme. De plus, les régions ont retrouvé une certaine marge de manoeuvre, avec la réforme de la Tipp opérée sous le gouvernement Raffarin. N'y a-t-il pas un paradoxe, voire une certaine hypocrisie, à réclamer davantage d'autonomie fiscale tout en appelant de ses voeux des dotations d'État supplémentaires et plus de péréquation ?
Je suis bien entendu, comme chacun d'entre nous, attaché au principe d'une autonomie fiscale la plus large possible.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bien !
M. Dominique de Legge. - Cependant, compte tenu des déséquilibres territoriaux, quelle est la signification de l'autonomie fiscale lorsqu'il y a peu de masse taxable, et donc pas de perspectives de recettes ? Prenons le cas de départements dont le coût des compétences transférées au titre du social, le RSA et l'APA, est sans commune mesure avec les contributions qui peuvent y être levées. Plus la décentralisation se renforcera, plus le principe d'autonomie fiscale sera difficile à assumer. Ainsi, en Bretagne, l'État collecte 11,3 milliards, et en redistribue 16,3 milliards.
La nouvelle contribution économique permettra d'assurer une meilleure équité entre les territoires. Les péréquations et les compensations sont peut-être des entorses au principe de l'autonomie fiscale mais elles expriment une autre valeur, celle de la solidarité nationale à laquelle nous sommes tous attachés, et qui est aussi respectable qu'un principe d'autonomie dont nous voyons bien les limites.
Je m'interroge aussi sur l'avenir du foncier non bâti. Aujourd'hui, cet impôt frappe lourdement l'agriculture alors que ce secteur économique est soumis, lui aussi, à une rude concurrence. Cette taxe s'apparente, à bien des égards, à une taxe professionnelle. Aussi le raisonnement qui prévaut pour alléger les charges qui pèsent sur les entreprises à fort investissement vaut aussi pour les entreprises agricoles, où le poids du foncier est lourd. Certes, le foncier ne s'amortit pas. Pour autant, lors de la révision des bases foncières, il faudra se pencher sur cet impôt.
Enfin, il serait fâcheux que la recherche de l'excellence en tous points -qualification des personnels, sécurité, environnement- conduise, par des contraintes et des normes nouvelles excessives, à augmenter les dépenses des collectivités territoriales. Ces dernières ne peuvent espérer une garantie de ressources de l'État, indépendamment du contexte économique. Mais dans le même temps, il ne faudrait pas qu'il mette à la charge des collectivités, au détour de quelques décrets et circulaires, de nouvelles charges. Si l'État ne peut pas toutes les compenser, il serait bien inspiré d'éviter d'en rajouter, surtout lorsque leur utilité reste à démontrer.
Je reconnais à la fiscalité écologique une finalité pédagogique salutaire, et je me réjouis de la récente annonce faite par le Gouvernement de l'affectation du produit de la taxe carbone acquittée par les collectivités à un fonds de I'Ademe qui financera les investissements des collectivités en matière d'économies d'énergie et de développement durable. La taxe carbone sera intégralement remboursée aux particuliers, mais il ne faudrait pas que les contributions écologiques absorbent l'intégralité du bénéfice de l'exonération de taxe professionnelle.
Ce projet de budget ouvre des perspectives et prépare la sortie de crise. II s'inscrit, au-delà de la conjoncture actuelle, dans une logique de libération de notre économie.
Je sais gré au Gouvernement, malgré un contexte difficile, de faire preuve de courage alors qu'il eût été plus facile de différer la réforme de la taxe professionnelle. Sachant qu'il sera attentif aux propositions du Sénat, nous abordons cette discussion avec confiance. (Applaudissements à droite)
M. Claude Biwer. - Je voudrais vous confier mes inquiétudes et mes espoirs sur la réforme de la taxe professionnelle. En février, le Président de la République a annoncé la suppression de la taxe professionnelle en 2010 « parce qu'il faut garder des usines en France ». Il est certain que la question de l'incidence de la taxe professionnelle sur les délocalisations est parfaitement légitime même si elle n'est peut-être pas totalement fondée. Lorsqu'on interroge les chefs d'entreprise sur les raisons qui pourraient les pousser à délocaliser, ils évoquent rarement le poids de la taxe professionnelle mais plutôt le coût de la main-d'oeuvre et le poids des charges sociales.
Même en supprimant la taxe professionnelle sur les investissements, il n'est pas dit que nous freinerons les délocalisations. Il était néanmoins utile de moderniser cette taxe : la réforme que vous nous proposez ne concerne qu'un article du projet de loi de finances mais qui couvre 135 pages, ce qui le rend quelque peu inintelligible. Le remplacement de cet impôt dynamique par diverses cotisations est-il une bonne solution ? Ce n'est pas sûr, à moins que le Sénat parvienne à modifier le dispositif proposé. Je compte sur les ministres pour nous y aider. Lorsque je regarde les simulations pour mon département, les 18 millions perçus au titre de la taxe professionnelle passeraient à 11 millions de taxes et recettes nouvelles, le solde devant être compensé par des dotations de l'État. Or, l'expérience nous a prouvé qu'il n'y avait rien de plus aléatoire que des dotations de l'État et il est à craindre que dès 2012, cette garantie de ressources fonde comme neige au soleil dans la mesure où l'État surendetté voudra réaliser des économies. Le versement de cette dotation risque donc de ne pas être pérenne, et c'est bien là le vrai danger de cette réforme.
S'agissant de la cotisation sur la valeur ajoutée, le texte n'est pas clair : 20 % de cette recette serait affecté aux communes mais, dans une note diffusée par vos services, madame la ministre, aucune recette n'est prévue pour les communes de mon département, ce qui ajoute à mon inquiétude.
Si les députés ont obtenu du Gouvernement la territorialisation de la cotisation sur la valeur ajoutée, ils se sont arrêtés au milieu du gué. La contrepartie consisterait en effet à abaisser à 150 000 euros le seuil au-delà duquel les entreprises concernées devraient acquitter une cotisation assise sur la valeur ajoutée. J'espère que Mme la ministre nous rassurera sur ce point. Que se passera-t-il en effet dans les communautés à taxe professionnelle unique qui n'ont aucune entreprise dont le chiffre d'affaires dépasse 500 000 euros ?
Si les communes et les EPCI qui soutiennent le développement de zones industrielles ou artisanales souhaitent poursuivre leur action, leurs élus devront augmenter les impôts locaux, donc diminuer l'attractivité de leur territoire. En outre, si les recettes des départements devaient diminuer en 2011, les communes perdraient le bénéfice d'un levier très important pour la relance. Enfin, la perspective de recettes de taxe professionnelle encourage les élus à investir dans des zones d'activité:
Si nous adoptons les principes généraux de cette réforme, il nous faudra mettre à profit le temps qui nous sépare de juin 2010 pour présenter un nouveau texte qui ne pénalise aucune collectivité territoriale. J'espère que ce débat nous rassurera. Comme Jean-Pierre Fourcade, j'espère pouvoir appartenir à la majorité « lucide et courageuse ». (M. Nicolas About approuve) Nous pourrons alors voter un texte que vous aurez accepté d'amender. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Marc Massion. - Ces dernières années, nous avons examiné des projets de loi de finances fondés sur des taux de croissance erronés, qui de surcroît risquaient d'être détricotés par des collectifs budgétaires intempestifs. Comment, toutefois, ne pas être stupéfaits par le texte que vous nous présentez aujourd'hui ? Nicole Bricq l'a justement qualifié de budget « virtuel ». Après une année de récession, que penser de cet agglomérat d'improvisations ? Comment ne pas s'inquiéter de tous ces chantiers ouverts sans cohérence ni certitude d'achèvement par un hyper président qui nous annonce, dans l'impréparation et sans concertation, la suppression de la taxe professionnelle, l'instauration de la taxe carbone et le lancement d'un grand emprunt ? Qui précise le montant de la taxe carbone en ignorant les avis d'experts avant de s'apprêter à arbitrer le montant du grand emprunt national ?
Nous examinerons dans quelques mois un collectif destiné à financer des dépenses d'investissement qui devraient plutôt figurer dans un projet de loi de finances digne de ce nom, donc une sorte de budget bis. La cacophonie qui règne dans la majorité parlementaire est chargée d'orchestrer, pour ne pas dire bricoler, ces annonces dans la plus grande précipitation et la plus décevante docilité.
Mois après mois, le déficit budgétaire ne cesse de se creuser. Au 30 septembre, les recettes de l'État ont atteint 169,7 milliards d'euros, contre 221,6 milliards un an plus tôt. Les recettes fiscales nettes ont baissé de 47,9 milliards en un an pour atteindre 156,8 milliards. Les dépenses sont passées de 255,9 milliards au 30 septembre 2008 à 263,9 milliards au 30 septembre 2009. La dette de l'État a doublé en un an pour atteindre 125,8 milliards d'euros. Les comptes publics sont à la dérive -nous pouvons parler de vertige des profondeurs...
Qu'aurions-nous entendu si, étant au Gouvernement, nous avions présenté un budget présentant un tel déficit ? A coup sûr, le président de la commission et le rapporteur général en auraient été les censeurs impitoyables. (M. François Marc le confirme) Ils nous auraient donné des leçons de rigueur et se seraient opposés à un tel projet jusqu'au bout. Au lieu de cela, ils vont voter, malgré leurs réserves, le texte que nous présente le Gouvernement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Face à des problèmes si complexes, il est plus facile d'être dans l'opposition !
Mme Nicole Bricq. - Nous compatissons...
M. Roland du Luart. - Il n'y a pas d'autre politique.
M. Marc Massion. - Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas été tendre avec nous entre 1997 et 2002, et nos budgets avaient pourtant une autre allure !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous en avons bien profité !
M. Marc Massion. - Pour la première fois en temps de paix, le déficit de l'État atteint la moitié des dépenses du budget général. Le Premier président de la Cour des comptes nous a pourtant avertis qu'à ce niveau de déficit, la dette publique deviendra incontrôlable
Mme Nicole Bricq. - Elle l'est.
M. Marc Massion. - Et que dire des remontrances de la Commission européenne, qui nous a demandé de ramener d'ici 2013 notre déficit public dans la limite de 3 % du PIB ? Les ministères des finances et du budget expliquent ce dérapage incontrôlé par « le poids de la conjoncture économique sur l'évolution des recettes et, à hauteur de 29,9 milliards d'euros, par l'effet des mesures du plan de relance ». Madame et monsieur les ministres, vous aimez comparer la France à ses voisins européens mais je ne suis pas sûr que cette chamaillerie officielle donnent une bonne image de l'Europe à l'extérieur et lui permette de tenir son rang face à la Chine et aux États-Unis. Malgré une récession deux fois plus forte que chez nous, due à son ouverture internationale, l'Allemagne affiche un déficit de 3,7 % quand le nôtre dépasse les 8 %. La France et la Grèce sont les seules nations européennes qui n'ont pas réduit leur déficit pendant le cycle de croissance précédent.
Dans ce contexte, comment ne pas dénoncer le maintien des cadeaux fiscaux que la majorité n'a cessé d'accorder depuis 2002 aux plus riches ? Chaque année, 20 milliards sont fléchés pour les plus favorisés. La combinaison du bouclier fiscal et des niches conduit à des injustices telles qu'un contribuable possédant un patrimoine de 15 millions d'euros peut déclarer 1 000 euros de revenus et être totalement exonéré d'impôt sur celui-ci. (M. Jean Arthuis, président de la commission, approuve)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ne critiquez pas l'exonération des oeuvres d'art.
M. Marc Massion. - En 2008, l'État a dépensé 458 millions d'euros au titre du bouclier fiscal. Pourquoi, dans un contexte de crise, continuer de dispenser les plus riches d'un effort de solidarité ? Selon certains, la crise est derrière nous... La crise financière peut-être, mais certainement pas les crises économique et sociale : 400 000 emplois ont été détruits depuis 2008 et la France compte plus de 8 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. La justice fiscale serait de répartir la charge selon la capacité contributive de chacun. On lit dans la presse que le bouclier fiscal est « le marqueur idéologique du sarkozysme ».
M. François Marc. - Et oui !
M. Marc Massion. - N'est-il pas le marqueur d'une politique rétrograde qui surtaxe les plus défavorisés et met à l'abri les plus fortunés, de l'aveuglement de la droite qui demande aux plus faibles de contribuer proportionnellement le plus à la hausse du forfait hospitalier, au déremboursement des médicaments, à l'augmentation de la redevance audiovisuelle, à la fiscalisation au premier euro des indemnités de départ à la retraite volontaire ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous sommes les méchants, vous êtes les bons !
Mme Nicole Bricq. - Nous ne sommes pas mal.
M. Marc Massion. - Et aussi à la fiscalisation des indemnités d'accident du travail, à la diminution du crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt... Vous grattez euro par euro.
Le Président, de son côté, énumère les critères qu'il faut remplir pour être Français, soit chercher du travail quand on est chômeur, payer ses impôts en France... On pense aux amis de Nicolas Sarkozy !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Cela concerne aussi sans doute certains de vos amis. Personne n'a de monopole !
M. Eric Woerth, ministre. - Pour être Français, il n'est pas obligatoire de payer ses impôts en France.
M. Marc Massion. - De son côté, la ministre de l'économie évoque un « contrat de confiance passé entre la majorité et les Français ». Pour passer un contrat, il faut deux parties consentantes et la plupart des Français ne percevront aucun chèque remboursant le trop-perçu de leurs impôts. Le Gouvernement encourage une économie de rente et de spéculation. Lors de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, il a rejeté l'amendement proposant d'exclure la CSG et la CRDS de l'assiette du bouclier fiscal. L'argument selon lequel le bouclier permettrait de lutter contre l'évasion fiscale a fait long feu. Le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires révèle que l'évasion fiscale coûte 17 millions d'euros à l'État, contre 250 millions pour le bouclier fiscal.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons solennellement d'abroger un dispositif inique et indéfendable. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Dominati. - L'examen, on l'a assez dit, du budget est un acte politique. Son vote doit confirmer l'adhésion à l'action du Gouvernement et aux orientations retenues pour le futur. Si nous adhérons pleinement à ce qu'a fait le Gouvernement pour surmonter la crise, nous conservons, tout en assumant l'unité de la majorité, des divergences sur les moyens mis en place.
La France doit retrouver, en 2010, sa place sur la scène internationale et au sein du nouvel organisme que constitue le G20. Reste que notre nation est celle où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, en dépit d'une diminution conjoncturelle liée au manque de recettes, alors que partout ailleurs, on choisit de moins taxer ! Voilà qui prive le Gouvernement de marge de manoeuvre pour réduire le déficit.
Nous sommes le pays où la dette publique est la plus élevée. Songez qu'elle n'est que de 30 % en République populaire de Chine alors qu'elle est de 50 % chez nous. Notre taux d'emploi public est lui aussi le plus élevé : 22 % de la population active. Nous sommes aussi le pays où la redistribution des richesses est la plus forte.
Bref, nous avons l'économie la moins libérale de la planète. Ceux qui dénoncent l'ultralibéralisme qui serait à l'oeuvre chez nous ne font qu'agiter un leurre. Notre économie, au contraire, reste très dirigiste. Ce qui explique d'ailleurs en partie l'amortissement de la crise. Nous vivons dans ce que les économistes appellent « une économie protégée ». Le rapporteur général a parlé de la disjonction entre la sphère réelle et la sphère financière, on pourrait en dire de même de la sphère réelle et de la sphère protégée. Or le budget qui nous est proposé ne répond pas totalement à ce problème.
Sur les prélèvements obligatoires, vous gardez le cap : c'est essentiel. Maintien du bouclier fiscal, maintien de vos engagements sur les baisses d'impôts - j'aurais souhaité plus-, baisse des effectifs de la fonction publique, réforme de la taxe professionnelle, suppression de l'impôt forfaitaire sur les sociétés et, dans le même temps, hommage vous en soit rendu, madame la ministre, vous assurez un pilotage de la consommation d'une grande finesse.
Nous avons eu deux bonnes surprises. Les dispositions en faveur de la micro-entreprise nous ont valu 500 000 demandes de créations, preuve que lorsqu'on prend des mesures libérales, ça marche ; le crédit d'impôt a été un succès, preuve que la réflexion libérale, ça marche !
J'ai assisté à l'inauguration du centre de recherche de Microsoft à Paris. Il y a quelques années, nous étions parmi les outsiders. C'est grâce à l'allégement fiscal que nous avons été choisis, et que 1 700 emplois ont été créés.
Reste le prix à payer : un déficit historique. En une année, il s'est aggravé de l'équivalent de quatre ans. Preuve des difficultés que rencontre la sphère publique à réactiver l'économie réelle. Tous les mois, les chiffres annoncés doivent être revus. Le Président de la République a eu raison de dire, en annonçant le grand emprunt à Versailles, qu'il fallait rétablir la confiance. Ce qui valait avant l'été ne vaut plus aujourd'hui. Les banques, alors, empruntaient, il fallait les cautionner. Or elles ont toutes remboursé. Le problème d'aujourd'hui est celui du décalage entre la sphère protégée et l'économie réelle.
Si la croissance revient plus vite que prévu, ce sera une bonne surprise. Mais nous le devrons à l'économie réelle, pas à la maîtrise des déficits. Dès lors que les recettes ne peuvent être actionnées...
Mme Nicole Bricq. - Pourquoi ?
M. Philippe Dominati. - Le ministre du budget lui-même dit qu'il faut s'attendre à une baisse pérenne. C'est le déficit historique que nous connaissons qui conduit tout droit à l'emprunt, qui ne sera pas, heureusement, de 100 milliards, ce qui eût été insensé. Mais puisque emprunt il y aura, il est essentiel que l'argent public ainsi levé soit utilisé à bon escient.
Quant à maîtriser les dépenses publiques, vous n'y arriverez pas parce que manque à ce budget une vision libérale. Il n'est nulle part question de revoir le périmètre de l'appareil d'État. C'est pourtant ce que font les pays qui réforment. C'est pourtant ce que fait la Chine. Car là est la clé du retour à l'équilibre budgétaire.
La relance par l'investissement public ne suffira pas à faire redémarrer la croissance. Les méthodes keynésiennes ne sont pas adaptées à l'économie d'aujourd'hui. En favorisant la sphère protégée, vous pénalisez l'économie réelle. Vous n'arriverez à rien avec cette méthode. Regardez l'Allemagne : Mme Merkel n'a pas proposé d'autre politique qu'un allégement supplémentaire sur les prélèvements obligatoires. Elle a été débordée par le parti libéral, qui lui a imposé 24 milliards de baisse supplémentaires. Et les premiers indices de la croissance apparaissent. Lorsqu'on heurte un obstacle à 60, on se fait moins de mal qu'à 120, et on repart plus vite...
Quand Charles de Gaulle a voulu la Ve, il a voulu plus que tout éviter à la future république le chemin de la catastrophe, celui du déséquilibre financier, car, disait-il, il n'est pas d'État fort sans équilibre financier. (Applaudissements à droite ; M. Christian Gaudin applaudit également)
M. Georges Patient. - Alors que l'effort financier en faveur de l'outre-mer s'élève à 17,1 milliards, seuls 2,1 sont gérés par le ministère de l'outre-mer. Plus de 80 % de ces crédits sont ainsi gérés par d'autres ministères, au travers de 88 programmes relevant de 27 missions. Autant dire que la lisibilité n'y gagne guère... D'autant que ne ressort aucune politique spécifique, pas plus que ne sont identifiés les publics.
Le rapport rendu en juillet 2009 par la mission sénatoriale préconisait pourtant que chaque ministère abrite pour le moins un service dédié, correspondant pour l'outre-mer de l'administration centrale.
Le travail parlementaire souffre de ce flou. Les crédits de l'État sont ainsi séparés en deux unités, la mission outre-mer constituant l'unité de vote tandis que les programmes représentent l'unité de spécialité. Nous sommes là dans une logique tout à fait contraire à celle de la Lolf.
La mission outre-mer ne deviendra véritablement interministérielle que par une rationalisation de la politique menée outre-mer. Que le secrétariat fasse place à un ministère est une bonne chose mais son rattachement au ministère de l'intérieur laisse perplexe. Le rapport de la mission sénatoriale insistait sur le fait que seul un rattachement direct de cette administration au Premier ministre lui assurerait un rôle ministériel déterminant, expliquant, je cite, que la gestion des collectivités locales par la place Beauvau, et plus particulièrement la direction générale des collectivités locales, gardienne du droit commun et peu encline à envisager des adaptations locales, et celle de la rue Oudinot habituée à ciseler des statuts épousant les particularismes locaux sont culturellement très différentes, si ce n'est inconciliables.
Seul le rattachement de la mission auprès du Premier ministre permettrait de préparer et d'appliquer efficacement les mesures décidées au sein du comité interministériel de l'outre-mer.
Aujourd'hui, on se contente d'insister sur le montant des aides d'État et le coût de l'outre-mer, sans rien dire des objectifs ni des résultats. Or force est de constater l'enlisement des politiques publiques : le retard économique de l'outre-mer reste important, et son taux de chômage trois fois supérieur à celui de la métropole et à la moyenne européenne. Le chômage touche plus de la moitié des jeunes, alors même que ces derniers représentent 34 % de la population, contre 25 % en métropole. Leurs résultats scolaires sont très hétérogènes, ainsi que leurs perspectives d'insertion.
A cela s'ajoute l'aggravation des risques environnementaux liés à la pollution et au développement urbain. Cette situation risque de devenir apocalyptique si l'on n'y prend pas garde, car la population ultramarine est en rapide expansion : elle a plus que triplé depuis la fin des années 1940 alors que la population française dans son ensemble n'augmentait que de 50 %.
Au-delà des annonces, il faut donc des mesures réelles, financées et effectivement appliquées. Rappelons que les décrets d'application de la loi pour le développement économique de l'outre-mer n'ont toujours pas été publiés...
Je ne perçois aucun signe fort dans ce PLF : les chiffres n'ont pas varié par rapport à l'année dernière, exception faite des compensations aux organismes de sécurité sociale qui consomment 60 % du budget de la mission. Certaines mesures vont même aggraver la situation. Les collectivités d'outre-mer, qui sont déjà en butte à des difficultés financières en raison de la faiblesse de leurs recettes fiscales, vont subir de plein fouet la suppression de la taxe professionnelle. Les exonérations de fiscalité directe créées par la Lodéom dans le cadre des zones franches d'activité ne seront compensées par l'État que sur la base des taux votés l'année précédant leur entrée en vigueur ; pour accroître leurs recettes, les collectivités devront donc augmenter les autres impôts. Rappelons que le produit de la TP dans les DOM s'est élevé en 2007 à 518 millions d'euros. L'application de la taxe générale sur les activités polluantes portera elle aussi un rude coup aux finances locales.
Ce PLF accentuera les difficultés quotidiennes des ultramarins en réduisant leur pouvoir d'achat : la taxe carbone provoquera le renchérissement de l'essence ; le RSA n'entrera en vigueur qu'en 2011, remplacé pour l'instant par le revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA) ; mais l'article 11 du PLF dispose que les sommes perçues au titre du RSTA sont imputables sur le montant de la prime pour l'emploi. L'État va ainsi récupérer 300 millions d'euros sur le dos des salariés ultramarins !
La dégradation du pouvoir d'achat est un sujet brûlant en outre-mer car les revenus y sont inférieurs à ceux de la métropole -10 % pour les emplois les moins qualifiés- alors que les prix y sont plus élevés -la différence est de 35 % pour certains produits de première nécessité. Ce fut le détonateur des mouvements sociaux de cette année.
Les mesures annoncées par le chef de l'État à la suite du conseil interministériel vont-elles changer la donne ?
M. Eric Woerth, ministre. - Oui.
M. Georges Patient. - Leur chiffrage et leur destination sont encore trop imprécis ; d'ailleurs la plupart sont inapplicables en l'état actuel du droit national et communautaire. S'agirait-il d'un effet d'annonce, à quelques mois des prochaines échéances électorales ? Si tel était le cas, la déception des ultramarins serait immense. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jacques Muller. - Je me contenterai de commenter les deux principales innovations de ce PLF : la suppression de la taxe professionnelle et l'instauration de la taxe carbone, chères au Président de la République.
La première mesure pose des problèmes de forme et de fond. Comme plusieurs de mes collègues de la majorité, je déplore l'absence de simulations et d'évaluation préalable des effets de la suppression de la TP. Il s'agit pourtant d'un séisme pour les finances locales : cette taxe représentait pour nombre de collectivités une ressource essentielle au financement des services publics locaux, qui donnent un avantage comparatif à nos entreprises. Malgré la création d'une nouvelle contribution économique territoriale, d'une imposition forfaitaire des entreprises de réseaux transférée aux collectivités comme d'autres taxes perçues par l'État et d'un fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR), c'est à un saut dans l'inconnu que nous sommes conviés.
Dans l'inconnu ? Pas si sûr. Depuis des années, les transferts de compétences sans transfert de ressources correspondantes se sont multipliés, qu'il s'agisse des routes nationales, de l'insertion sociale, du service postal de proximité, des jardins d'éveil, de certains pouvoirs régaliens de police, des plans climats territoriaux ou d'autres missions imposées par le Grenelle de l'environnement. Les collectivités sont prises entre le marteau et l'enclume.
Il est incongru de supprimer la taxe professionnelle avant de réformer les collectivités territoriales : cela témoigne de la volonté du Président de la République de passer en force sur tous les sujets, sous couleur de « réformer la France ». A moins de croire à la quadrature du cercle, nul ne peut penser qu'il est possible de « conforter les liens entre territoires et entreprises » tout en « réduisant significativement les charges pesant sur le tissu économique et social » et en évitant de mettre à contribution les ménages. Le Gouvernement promet que la suppression de la TP n'aura aucune incidence sur les impôts locaux acquittés par les ménages, puisque les pertes qui en résulteront pour les collectivités seront compensées par l'État ; mais ce sont bien les ménages qui, par le biais des impôts et des taxes, alimentent le budget de l'État. La suppression de la TP, à supposer qu'elle soit neutre pour les collectivités, organise donc secrètement un transfert de richesses des ménages aux entreprises, non aux PME créatrices d'emplois mais aux grands groupes.
Quant à la taxe sarko-carbone -car c'est bien ainsi qu'il faut l'appeler-, elle s'annonce désastreuse. Le Gouvernement prend le risque insensé de discréditer une notion clé du développement soutenable : la fiscalité écologique. (Mme Nicole Bricq approuve) Celle-ci doit permettre d'internaliser les coûts des dommages causés à l'environnement, ce bien commun, et de financer les investissements nécessaires pour faire advenir une société de sobriété énergétique. La proposition issue du Grenelle d'une contribution climat-énergie répondait à cette ardente obligation.
Comme à l'accoutumée, le Gouvernement a galvaudé une belle idée : les lobbies industriels et productivistes savent toujours se faire entendre... La taxe sarko-carbone est vouée à l'inefficacité, d'abord parce que son montant est trop faible : alors que la commission Rocard recommandait un taux de 32 euros par tonne, le Président de la République l'a fixé à 17 euros par tonne, taux nettement insuffisant pour faire évoluer le système productif et les habitudes de consommation des ménages. Rappelons que le Danemark a instauré une taxe de 80 euros par tonne ! Malgré les rodomontades de son omniprésident, la France, actuellement au 21e rang européen pour la fiscalité écologique, n'est pas près de rattraper son retard.
Ensuite, cette taxe n'est pas affectée aux investissements nécessaires à la décarbonation de nos économies : relocalisation des productions, isolation des lieux de vie, réduction des transports routiers, production d'énergies renouvelables, etc. La taxe sarko-carbone, hors sujet à cet égard, répondrait-elle à d'autres objectifs, moins avouables ? Son application aberrante le laisse penser.
En témoignent : la taxation préférentielle du transport routier, à 64 % sur quatre ans, qui est pourtant le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre ; la non-taxation de l'électricité, qui est une prime de plus au nucléaire ; la non-taxation des activités agricoles, dont les systèmes intensifs de production sont fortement émetteurs ; la non-taxation proprement scandaleuse des compagnies aériennes, alors que l'avion est le mode de transport le plus polluant ; enfin la non-taxation des entreprises soumises au marché des quotas d'émission. Cette dernière exemption est un cadeau de 2 milliards d'euros par an sur quatre ans aux grands groupes qui, tels Total, Arcelor, EDF, Veolia ou GDF-Suez, n'achèteront leurs quotas qu'en 2013 et interviennent dans des secteurs fortement émetteurs.
La colère gronde chez nos compatriotes, d'autant que la compensation qu'on leur promet est injuste et aberrante. Contrairement à ce qui se fait chez nos voisins, le Gouvernement n'a pas retenu un critère de revenu -en France, le meilleur est le quotient familial- mais un critère territorial : les ménages riches des villes seront favorisés au détriment des ménages modestes des campagnes, qui le plus souvent n'ont pas de chauffage central collectif et sont contraints d'utiliser leur voiture pour se déplacer, ne serait-ce que pour chercher un emploi. L'enjeu climatique n'est en réalité qu'un prétexte pour continuer à augmenter les inégalités.
L'heure est grave. La taxe sarko-carbone fracasse la notion de contribution climat-énergie sur l'autel des privilèges. Dans tous les sens du terme, elle fera rouler les petits pour les gros, les PME pour les grands groupes, les plus modestes pour les plus riches, avec un effet environnemental garanti : nul ! Nicolas Sarkozy a déclaré que la taxe carbone était le minimum qu'on puisse faire ; on ne pouvait pas faire pis !
Ce projet de budget est dans la droite ligne des précédents. La suppression de la taxe professionnelle, source d'insécurité pour les collectivités locales, ponctionnera les ménages au profit des grands groupes tandis que la taxe sarko-carbone continuera de servir les puissants, et plus particulièrement les courtisans du monarque de l'Élysée.
M. Roland du Luart. - C'est excessif !
M. Jacques Muller. - Et ce, au prix de la lutte contre le changement climatique. Le Grenelle de l'environnement est bien tombé aux oubliettes. (Applaudissements à gauche)
M. Eric Woerth, ministre. - De nombreux orateurs ont évidemment évoqué les déficits et la dette. L'endettement est une affaire mondiale, la dette augmente partout, un peu moins vite en France cependant, l'endettement public et privé est chez nous plus modéré que chez beaucoup de nos partenaires. Les gouvernements -je ne sais si cela rassurera M. Jégou- sont conscients qu'une bulle d'endettement public ne doit pas venir remplacer une bulle d'endettement privé.
La hausse des dépenses publiques en pourcentage du PIB est liée avant tout à la chute de celui-ci ; elles ont été parfaitement tenues, tant celles de l'assurance maladie que celles de l'État. M. le rapporteur général et M. Fourcade ont évoque l'insupportable lourdeur de la dette - « l'insoutenable légèreté » pour M. Marini ; il faut savoir que sa composition est elle aussi tenue, nous avons un peu plus de court terme, ce qui est normal en temps de crise, mais parallèlement, une hausse de la part des titres à très long terme. Le volume de la dette augmente mais la charge des intérêts a plutôt tendance à baisser. Vous le verrez en collectif.
Je remercie tous ceux, nombreux, qui ont apporté leur soutien à la stratégie du Gouvernement de renforcement de la croissance et de maîtrise des dépenses publiques. J'ai entendu des critiques de la part de l'opposition, mais guère de propositions...
Mme Nicole Bricq. - Vous n'avez pas écouté !
M. Eric Woerth, ministre. - J'ai entendu les antiennes habituelles, qu'il fallait faire payer les riches et autres choses de la même eau...
Mme Nicole Bricq. - Nous avons dit qu'il fallait rééquilibrer !
M. Eric Woerth, ministre. - Comme si en France, il n'y avait que deux catégories, les pauvres et les riches...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Les bons et les méchants !
M. François Marc. - Prenez donc le métro !
M. Eric Woerth, ministre. - Notre pays est heureusement plus complexe et doté d'un système de redistribution sociale.
Oui, monsieur de Montesquiou, notre stratégie est tournée vers l'avenir. Nous ne lutterons contre les déficits que par davantage de croissance, c'est elle qui fera régresser leur part conjoncturelle. Quant à la RGPP, si souvent décriée, elle est inspirée par ce qu'ont fait d'autres pays, comme la Suède, qui ont réussi à réduire progressivement la part de leurs dépenses publiques dans le PIB.
J'ai bien entendu les propos du président Arthuis sur le grand emprunt. Les conclusions rendues ce matin par la commission Juppé-Rocard sont en même temps responsables et ambitieuses ; il faudrait plutôt parler de grand investissement que de grand emprunt. Alors que la part de l'investissement dans les dépenses de l'État régresse depuis longtemps, l'emprunt sera un accélérateur de compétitivité. Nous ferons en sorte d'en limiter le coût et d'en augmenter le taux de retour, vous le verrez en collectif.
Comment la bonne dette peut-elle chasser la mauvaise ? En guise de zakouski, j'ai dit que les charges d'intérêt de l'emprunt seraient gagées par une baisse à concurrence des dépenses de fonctionnement.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - C'est de la finance islamique ! (Sourires)
M. Eric Woerth, ministre. - Et la vision est vraiment patrimoniale : en face de 60 % des sommes prévues on trouvera des actifs.
La fiscalité et la dépense fiscale... Nous avons baissé les impôts de 16 milliards d'euros depuis 2007, 10 au bénéfice des ménages et 6 à celui des entreprises ; mais on sait que lorsqu'on soutient celles-ci, on soutient aussi ceux-là. Nous avons engagé, monsieur le rapporteur général, monsieur Christian Gaudin, une évaluation des plus de 450 niches fiscales, ce qui prend un peu de temps... Le Parlement a d'ailleurs voté, dans le cadre du budget triennal, une règle selon laquelle toute dépense fiscale doit être gagée ; et c'est le cas, contrairement à ce que croient certains, non pas en instantané mais sur deux ans.
L'affaire de la TVA sur la restauration est réglée en une seule fois, mais il faut plusieurs années pour obtenir le plein effet d'une suppression de niches fiscales touchant l'impôt sur le revenu. Nous présenterons un bilan des résultats obtenus à l'horizon 2013.
Que la fiscalité soit juste ou injuste, on peut en débattre, mais le fait est qu'elle évolue comme jamais avec ce projet budgétaire, après le plafonnement des niches fiscales décidé l'an dernier. Je mentionnerai la suppression de la taxe professionnelle, l'imposition forfaitaire annuelle, la taxe carbone. Au demeurant, la justice ne doit pas être considérée seulement à l'aune de la fiscalité : il faut prendre en compte les transferts sociaux. Ainsi, le revenu de solidarité active a augmenté de 47 % le revenu des personnes particulièrement modestes, contre 42 % en 2006. La redistribution a en fait progressé vers une plus grande justice sociale. Les 20 % de contribuables les plus aisés gagnent plus de 54 000 euros par an. A ce stade, 14 000 euros repartent dans le système redistributif.
J'en viens aux collectivités territoriales, pour partager les observations faites par M. de Legge sur l'autonomie fiscale. Elle est constitutionnellement garantie, mais doit être conciliée avec la péréquation. Au demeurant, une très forte autonomie politique coexiste dans certains pays avec des ressources locales presque exclusivement constituées par des dotations d'État. Une réforme fiscale ménage l'autonomie des collectivités.
Il est vrai que les dotations de l'État ont augmenté moins vite qu'auparavant, mais sans régresser. Nous avions eu, par ma faute, un débat quelque peu confus l'an dernier car j'avais regroupé le FCTVA et les dotations à proprement parler. Comme vous m'en aviez fait assez vivement le reproche, la distinction est claire aujourd'hui. Le FCTVA augmentera de 6 %, les autres dotations seront réévaluées comme la moitié de l'inflation, soit 0,6 % en moyenne. L'Assemblée nationale ayant fixé à 0,9 % la hausse de la dotation globale de financement, le reste augmentera un peu moins.
Depuis 2003, les concours de l'État aux collectivités territoriales ont progressé de 2 %, soit bien plus que les dépenses de l'État dont les recettes fiscales ont elles-mêmes diminuées de 20 %. Il est normal que l'État amortisse la crise pour les collectivités territoriales mais il n'est pas interdit de le reconnaître.
M. Baylet a parlé de l'APA. Le Gouvernement Jospin n'avait compensé qu'un tiers de cette allocation, dont les départements avaient donc assumé les deux tiers. Je ne fais pas de l'archéologie politique en leur rappelant. Monter sur ses grands chevaux pour donner des leçons est très bien mais vous n'aviez guère compensé les compétences lourdes transférées aux départements ! (Applaudissements à droite)
En grande forme, M. Massion a tenu des propos sans nuance : nous sommes les plus mauvais et présentons le pire budget. Mais en oubliant la crise, il m'a fait penser à Hibernatus. Maintenant que vous êtes réveillé, je vous en informe ! Elle influence les finances publiques. Vous dites que tout allait mieux à l'époque du gouvernement Jospin, mais en omettant que la croissance annuelle atteignait alors 6 %. Ça aide. Avec un pareil taux, mon budget serait bien meilleur que le vôtre !
Monsieur Muller, vous avez dénoncé la taxe carbone. Très bien. Vous voulez donc taxer la pollution, mais à condition de s'en tenir aux discours. Il est indéniablement plus difficile de passer à l'action puisque certains devront payer. Nous assumons la taxe carbone, ainsi que le principe de son évolution future. La meilleure chose serait d'instituer une taxe carbone aux frontières, à l'issue des négociations internationales. En attendant, je suis fier d'appartenir au gouvernement qui a créé cette taxe ! (Applaudissements à droite)
Mme Christine Lagarde, ministre. - Mme Bricq m'a reproché de ne pas avoir bougé d'un iota sur la taxe professionnelle. Or, le Gouvernement a accepté le découplage, qu'il refusait initialement. Nous avons également admis la nécessité d'un chemin de répartition des ressources fiscales. Nous avons en outre abandonné les transferts initialement envisagés de Tipp. Enfin, au lieu de mettre en extinction sur vingt ans les fonds de garantie des collectivités territoriales, nous les avons pérennisés. Ainsi, le projet a connu quatre évolutions majeures.
M. Baylet a parlé de recentralisation à propos de la taxe professionnelle. Pourtant, avec 11 milliards d'euros versés pour compenser les plafonnements et dégrèvements, l'État est aujourd'hui le principal contributeur des 30 milliards acquittés chaque année au titre de la taxe professionnelle. Le pouvoir de redistribution est entre ses mains.
En revanche, la contribution économique territoriale renforcera le lien direct entre l'entreprise et le territoire qui l'accueille, puisque l'État n'interviendra plus. Le principe constitutionnel de l'autonomie budgétaire des collectivités territoriales est donc parfaitement respecté. Ainsi, le taux d'autonomie financière des communes passera de 62 % à 61,7 % ; celui des départements évoluera de 66 % à 62,9 % ; enfin, celui des régions s'établira à 49,7 % contre 51,6 % aujourd'hui. Pour l'essentiel, nous sommes dans l'épaisseur du trait.
M. Baylet a parlé des dotations budgétaires, qui atteignaient 3,9 milliards à l'origine, puis 3,7 milliards à la fin du débat à l'Assemblée nationale, mais qui se seraient établies à 9,3 milliards en appliquant à la lettre l'article 72-2 de la Constitution. Le Conseil d'État a été particulièrement sensible à ce point.
M. Angels estime qu'il faudrait centrer les allégements de taxe professionnelle sur le secteur industriel. Mais c'est ce que nous avons fait puisque nous avons sorti de l'assiette les biens immobiliers, que l'on retrouve le plus dans l'industrie, pas dans les services. Le secteur industriel bénéficiera de 40 % des gains procurés par la réforme de la taxe professionnelle, alors qu'il ne représente que 14 % du PIB. C'est de la discrimination positive, obtenue aussi en diminuant de 15 % la valeur locative foncière de ce secteur.
M. Biwer a évoqué les autres dotations de l'État, qui s'établissent donc à 3,7 milliards d'euros. Le Premier ministre a fait des ouvertures devant le congrès de l'Association des maires de France pour diminuer les dotations et accroître les transferts de fiscalité.
Monsieur Massion, décidément très en forme, vous avez prétendu que la taxe professionnelle et la taxe carbone avaient été déterminées sans concertation. Il se trouve que certains candidats tiennent leurs engagements. Nicolas Sarkozy avait signé la charte de Nicolas Hulot, il a donc promis d'instituer une taxe carbone. J'ai été auditionnée huit fois par les commissions parlementaires, j'ai reçu à trois reprises les représentants des collectivités territoriales en séance plénière et nous avons consacré des centaines d'heures au travail technique. Considérablement aménagé par l'Assemblée nationale, le dispositif évoluera encore au Sénat, car nous avons décidé, avec le Premier ministre, de préparer dans la concertation cette réforme en profondeur.
Mme Nicole Bricq. - Vous n'avez rien changé à l'assiette !
Mme Christine Lagarde, ministre. - Certains pays se fondaient sur un prix de la tonne de carbone très supérieur à 17 euros. Nous avons opté pour un niveau qui nous paraissait acceptable et qui était proche de la moyenne entre le plus haut et le plus bas des cotations sur le marché.
Ce taux nous a paru tout à fait acceptable pour un impôt particulièrement moderne puisque, justement, a souligné le rapporteur général, il n'est pas un impôt pesant sur les ménages.
J'en viens à la taxe professionnelle en zone franche, pour répondre à M. Patient. Dans un premier temps, l'idée était d'accorder une exonération de la part foncière aux entreprises concernées. Après passage à l'Assemblée nationale, celles-ci bénéficieront également d'une exonération de la cotisation sur la valeur ajoutée. Nous proposerons, en outre, un mécanisme de crédit d'impôt pour que l'aide relative à la taxe professionnelle existante soit intégralement maintenue dans les ZFA et les ZFU.
Ce nouveau dispositif, contrairement à ce qu'a soutenu M. Muller, ne bénéficie pas qu'aux grands groupes. Regardons les chiffres : les gains de réduction sont de 49 % lorsque le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million, de 61 % quand il est compris entre 1 et 3 millions, de 26 % entre 3 et 7 millions et de 14 % au-delà ; la moyenne s'établissant à 23 %.
La comparaison avec nos partenaires ne nous donnerait pas matière à pavoiser. Je ne citerai pas Bossuet mais rappellerai quelques données. En 2009, notre croissance serait de -2,2 %, contre -4,1 % en Europe et -5 % en Allemagne. Notre résultat est donc deux fois meilleur à celui de la zone euro. Le chômage, si on compare les chiffres avec ceux de 2007 -année durant laquelle nous avions eu les meilleurs résultats en mai depuis quelques années-, a augmenté de 21 % en France, contre 32 % en moyenne en Europe, 123 % aux États-Unis et le chiffre en Espagne est encore pire... La dette publique, qui nous est aussi chère qu'au ministre Fourcade...
Voix à gauche - En effet, elle est chère ! (Sourires)
Mme Christine Lagarde, ministre. - ...a augmenté de 19 % en France, contre 30 % en Allemagne, 32 % aux États-Unis et 38 % en Grande-Bretagne. Certes, notre dette est plus élevée, mais sa hausse est moins importante que celle de l'Allemagne au regard du PIB. Cela ne nous empêchera pas, monsieur Lambert, de nous concentrer sur certains chiffres, notamment le déficit structurel, dès 2010, avec un objectif de diminution de 0,34 % -car nous serons encore dans le plan de relance- puis de 1 %, soit de manière plus ferme en 2011 et les années suivantes. Nous négocions actuellement avec la Commission européenne pour repousser d'un an l'échéance d'un retour sous la barre des 3 % car M. Woerth et moi-même pensons qu'une année supplémentaire est indispensable. Nous travaillons en bonne intelligence avec nos partenaires économiques car l'Union a fait notre force durant la crise. En tout état de cause, l'évolution de la croissance déterminera la manière dont nous rétablirons ces équilibres indispensables ! (Applaudissements à droite et au centre)
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°I-135, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de finances pour 2010, adopté par l'Assemblée nationale (n°100, 2009-2010).
M. Thierry Foucaud. - Madame la ministre, comment pouvez-vous affirmer que ce texte garantit la libre administration des collectivités territoriales quand leur autonomie financière est réduite à la portion congrue ? Les élus locaux auront seulement la liberté de déterminer le taux d'imposition à la cotisation locale d'activité, soit un élément de ressources plus faible que la taxe professionnelle...
« Oxygène de la République, la décentralisation a libéré les initiatives et les énergies locales. Elle a, par ailleurs, accru l'efficience de l'action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité. (...) Enfin, la décentralisation a contribué, même si des progrès restent à accomplir, à donner corps et âme à la démocratie locale à un moment où les inquiétudes suscitées par l'inéluctable mondialisation exacerbent notre besoin d'enracinement. Pourtant, force est de constater, vingt ans après les lois Defferre, que la décentralisation, en dépit de son bilan globalement positif, apparaît comme « à bout de souffle », « au milieu du gué », et surtout « à la croisée des chemins ». Ce propos n'est nullement de notre groupe mais du président Poncelet ! Il constitue l'exposé des motifs de sa proposition de loi constitutionnelle, qui a inspiré la réécriture, par le Sénat, de la loi du 29 mars 2003. La situation est originale : sept ans après, la majorité sénatoriale jette aux orties ses convictions pour voter sans trop broncher, hormis une petite fronde via les médias, un texte par lequel la décentralisation se perd dans les sables de la rupture démocratique menée par M. Sarkozy. Que deviendra la coopération intercommunale quand la suppression de la taxe professionnelle conduira à réduire la compensation attribuée par le conseil communautaire à chacune des communes membres ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pourquoi la réduire ?
M. Thierry Foucaud. - La réforme aura des effets désastreux sur les dotations de solidarité communautaires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Elle n'aura aucun effet !
M. Thierry Foucaud. - Que devient la décentralisation quand les régions...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ah !
M. Thierry Foucaud. - ...ne disposeront plus bientôt que des ressources dédiées par le partage d'une cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée, dont l'affectation sera décidée par le pouvoir législatif ? Que devient la décentralisation quand les départements connaîtront le même sort alors qu'ils font depuis plusieurs années l'expérience pour le moins douloureuse des transferts de charges non compensées, notamment avec le RSA ou encore l'APA ?
Avant les débats sur la révision constitutionnelle de 2003, le président Arthuis s'interrogeait en commission sur le fait que la libre disposition des ressources soit présentée comme la seule garantie de la libre administration des collectivités territoriales et, avec M. Frimat, sur la part et la nature des ressources propres et la notion d'autonomie financière. Dans l'hémicycle, le président Fourcade affirmait : « La majorité d'alors a fortement réduit le domaine de responsabilité des élus locaux et la jurisprudence du Conseil constitutionnel a laissé faire, qu'il s'agisse du remplacement d'impôts locaux par des dotations budgétaires ou bien des prélèvements multiples sur les recettes fiscales de certaines collectivités. Il faut donc élever une barrière ».
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Eh oui ! Il y a beaucoup de pailles et de poutres ! (Sourires)
M. Thierry Foucaud. - « Cette barrière, mes chers collègues, doit être solide », poursuivait-il, « car la pente naturelle de l'État est de refuser le maintien du lien entre l'élu local et les citoyens qui paient l'impôt ». Lors de la conclusion de ces débats à Versailles, M. Raffarin, alors Premier ministre, qui nous fait aujourd'hui bénéficier de son expérience, indiquait : « Le premier principe est celui de l'autonomie financière : les collectivités disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées par la loi. Le deuxième, très important, est celui de la juste compensation : les transferts seront financés loyalement. (...) Nous voulons sincèrement rétablir la confiance entre l'État et les collectivités. Le juge constitutionnel empêchera les décentralisations de charges qui n'auront pas été préalablement financées. Troisième principe : l'autonomie fiscale. La part des ressources propres des collectivités dans le total de leurs ressources devra être déterminante. En privilégiant le transfert des recettes fiscales sur celui des dotations, nous responsabiliserons les élus, qui pourront rendre des comptes aux contribuables sur les dépenses financées par l'argent public. Des élus dotés d'une capacité d'initiative mais rendant des comptes aux électeurs, voilà notre conception de la décentralisation ».
Nous sommes aujourd'hui dans un autre cadre et cette loi de finances met à mal l'organisation décentralisée de la République comme l'autonomie des collectivités locales, deux concepts de valeur constitutionnelle. Avec la cotisation supplémentaire assise sur la valeur ajoutée, une recette fiscale est remplacée par une dotation budgétaire, bientôt normée et insuffisante. Que signifie l'encadrement de ces dotations par rapport à la libre fixation des ressources et au droit de lever l'impôt ? Le montage juridique douteux de l'article 27 n'annonce-t-il pas une non-compensation du nouveau prélèvement opéré sur les ressources des collectivités au titre de la taxe carbone ? On met bel et bien en cause le principe d'autonomie.
Dans le champ de la fiscalité, la cotisation complémentaire échappe complètement aux élus locaux. L'article 2, même revu par le rapporteur général, indique que les règles ne seront pas fixées localement, de sorte que les efforts déployés pour accueillir une entreprise ou l'aider à s'agrandir ne seront pas récompensés localement mais pourront se traduire par une augmentation des ressources d'une autre collectivité !
Les dépenses contraintes sont de plus en plus lourdes, ainsi de l'APA. Voilà ce qui, au coeur de ce projet de budget, fait de l'article 72-2 une simple déclaration de principe.
Ce rappel suffit à justifier le vote de la motion et à simplifier du même coup un travail parlementaire singulièrement lourd ces jours-ci, mais le principe d'égalité devant l'impôt, pourtant inclus dans le bloc de constitutionnalité, est une nouvelle fois en brèche. Où est l'égalité quand certains contribuables sont dispensés de contribution, quand les artisans déduiront la taxe carbone de la cotisation locale d'activité alors que le particulier ne le pourra pas et que le remboursement forfaitaire est typique des dispositions méconnaissant les capacités contributives de chaque contribuable ? Une taxe inégalitaire inégalitairement remboursée, cela fait beaucoup. Et je ne dis rien des niches fiscales qui profitent à certains redevables de l'ISF.
Votre politique fiscale ne respecte pas ce fondement de la République : la loi est l'expression de l'intérêt général. J'attends que vous répondiez sans détour à nos arguments. Oserez-vous prétendre que le principe constitutionnel d'autonomie des collectivités territoriales n'est pas remis en cause ? J'attends vos explications car les milliers d'élus locaux ont bien compris l'exercice de recentralisation autour du Président de la République. La mise au pas des collectivités locales constitue une rupture démocratique au profit de l'exécutif et de son chef, Nicolas Sarkozy. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Puisque votre motion s'appuie sur une analyse juridique, je relève une confusion entre le principe d'autonomie financière et l'autonomie fiscale, celle-ci n'ayant pas valeur constitutionnelle. On peut le regretter -je l'avais fait à l'époque- mais tel est l'état du droit : vous ne pouvez pas vous appuyer sur cet argument. Le Conseil constitutionnel sera d'ailleurs l'observateur vigilant et impartial de nos débats vers les fêtes de Noël.
L'égalité devant l'impôt, qui oblige de traiter de manière identique les situations identiques, permet ou oblige de traiter de manière distincte des situations différentes. L'égalité selon la jurisprudence est proportionnelle plus qu'arithmétique et elle n'est sûrement pas un égalitarisme. Enfin, la jurisprudence considère que l'intérêt général justifie, dans une certaine mesure, des différences de traitement malgré des situations a priori équivalentes.
Vos arguments sont inopérants et je propose de rejeter votre motion.
M. Eric Woerth, ministre. - Demandez-vous des nouvelles de la décentralisation ? (Dénégations à gauche) Elle sera consolidée, épanouie et clarifié. Le principe d'autonomie, financière et non fiscale, est respecté. En Allemagne, qui est un État fédéral, les recettes sont partagées et l'absence de liberté des taux n'empêche pas l'autonomie politique. On ne peut pas raisonner comme si l'autonomie dépendait de la fixation du taux des impôts.
La décentralisation sera renforcée car la réforme de la taxe professionnelle renforce l'autonomie des collectivités, ainsi que la justice, car la péréquation sera plus forte et la base de l'impôt plus juste et plus économique. La taxe professionnelle n'était d'ailleurs pas une ressource garantie : combien d'élus ne se sont-ils pas plaints du départ d'une entreprise ?
Consolidée, la décentralisation sera aussi clarifiée avec la réforme des collectivités déjà largement débattue, qui crée des pôles clairs, des compétences lisibles et rompt avec l'opacité actuelle.
Évitons les contre-vérités sur les compensations. Les transferts d'équipements et de personnels sont compensés mais vient un moment où les collectivités lancent des actions plus ambitieuses. (Exclamations à gauche) Les prestations sociales sont allées plus vite que le reste et c'est pourquoi le Gouvernement a maintenu les 500 millions du fonds dédié. Quant à la taxe carbone, le Premier ministre a annoncé aux maires l'intervention de l'Ademe. Pour toutes ces raisons et pour celles qu'a dites le rapporteur général, je propose de ne pas retenir cette motion.
Mme Nicole Bricq. - Le groupe socialiste votera la motion. Je veux rappeler la mise en garde du rapporteur général au sujet de la règle de l'autonomie financière. C'est sa théorie du « un temps, deux mouvements ». Le texte, tel qu'il arrive, contrevient au principe d'autonomie financière.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pas du tout !
Mme Nicole Bricq. - C'est l'argument que vous utilisez pour convaincre les collègues de la majorité qui restent réticents : dans un premier temps, la suppression de la taxe et le report à plus tard de l'examen du deuxième volet. Par une sorte de gesticulation intellectuelle, vous êtes obligés de proposer une configuration de ce que pourraient être, en 2011, la répartition et la compensation. Il y a donc bien un risque d'inconstitutionnalité. Si vous ne l'avez pas dit dans votre intervention, cela figure noir sur blanc à la page 11 de votre rapport.
Mme Marie-France Beaufils. - Votre rapport comporte des éléments très intéressants.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est un succès d'édition ! (Sourires)
Mme Marie-France Beaufils. - La taxe professionnelle a rapporté 32,4 milliards en 2009 alors que les deux nouvelles contributions sur l'activité économique ne rapporteraient que 15,8 milliards. Nous ne disposons pas encore de la liste complète des autres transferts, puisqu'on nous dit que nous verrons tout cela dans un deuxième temps, surtout pour les communes et les intercommunalités. Pour ces dernières, en restera-t-on aux 20 % de la cotisation complémentaire ou cette répartition évoluera-t-elle encore ?
En l'état, le projet ne permet pas aux collectivités de préparer leurs budgets. Nous sommes dans une situation où l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales n'est pas assurée.
Quand vous dites qu'il faudra revoir au premier semestre 2010 la définition de ces nouvelles impositions, c'est bien que rien n'est réglé. Nous vous invitons donc à voter notre motion.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je remercie Mmes Bricq et Beaufils d'être des lectrices attentives de mon rapport. Mais je m'y contente de dire que l'on ne peut se borner dans cette loi de finances à traiter d'un aspect sans aborder l'autre. Il n'est pas possible de décider de ce qui est agréable aux entreprises sans traiter le sujet difficile de la contrepartie à trouver pour les collectivités territoriales.
Mme Nicole Bricq. - Le texte est muet sur ce point !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pour qu'il ne le soit pas, il faut, dans un premier temps, rejeter cette motion et examiner les articles !
Pour respecter la Lolf, il doit y avoir un temps -la loi de finances- et deux mouvements -la première et la deuxième partie de cette même loi de finances ! Seule la première partie a des conséquences sur le solde de l'année qui vient alors que la deuxième partie comporte des mesures à effet différé qui ne se traduiront qu'à partir du 1er janvier 2011. Mais elles seront bien incorporées au corpus de la loi et devront être les plus précises possibles pour servir de base aux concertations mais aussi aux simulations indispensables qui auront lieu au cours de l'année prochaine. La méthode que nous vous proposons est strictement conforme à notre droit parlementaire. Dès lors, je ne comprends pas les objections que vous avez formulées, mais nous aurons l'occasion d'en reparler si votre motion est rejetée.
La motion n°I-135 est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l'adoption | 139 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. - Motion n°I-136 présentée par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés tendant à opposer la question préalable
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2010 adopté par l'Assemblée nationale (n° 100, 2009-2010).
M. Gérard Collomb. - S'il est inhabituel pour l'examen d'un projet de loi de finances d'opposer la question préalable, c'est peut-être qu'aujourd'hui les circonstances ne sont pas habituelles. M. le rapporteur général l'indiquait implicitement en répondant à la motion d'irrecevabilité : nous allons aujourd'hui débattre en deux parties, l'une agréable pour les entreprises et l'autre particulièrement désagréable pour les collectivités territoriales.
Il faut que la rupture soit profonde pour que trois anciens Premiers ministres aient jugé bon de s'exprimer. Lorsque Jean-Pierre Raffarin estime que « l'actuelle proposition n'est ni claire, ni juste, ni conforme à nos convictions d'élus enracinés », il émet un jugement que beaucoup d'entre nous partageons. Pour Édouard Balladur, « Nous ne sommes pas dans le bon temps. On ne peut pas faire une véritable réforme fiscale avant de savoir quelles sont les compétences de chacun des niveaux des collectivités territoriales. Il faut d'abord fixer la règle du jeu avant de savoir comment on va leur affecter ce qui va remplacer la taxe professionnelle ». Mon collègue Alain Juppé, qui sait comment fonctionnent les collectivités locales, notamment les communautés urbaines, estime, quant à lui, que « la réforme de la taxe professionnelle en l'état...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - En l'état !
M. Albéric de Montgolfier. - Oui, en l'état !
M. Gérard Collomb. - ...me parait difficilement acceptable ». Certes, monsieur le rapporteur général, en l'état ! Mais je ne suis pas sûr que même après le passage au Sénat de ce projet de loi de finances, la communauté urbaine de Bordeaux retrouve la totalité de ses capacités actuelles. J'en reviens à M. Juppé : « Pour ne prendre que l'exemple de la communauté urbaine de Bordeaux, elle y perdrait une grande part de ses ressources fiscales propres et donc de l'autonomie que lui garantit la Constitution ».
On ne sait pas comment évoluerait la compensation de l'État. Tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont tendance à oublier les compensations au fil des ans. Alain Lambert, avec qui j'en ai longuement discuté au sein de l'Association des communautés urbaines de France (Acuf), sait de quoi je parle.
L'inquiétude qui se manifeste actuellement au congrès de l'Association de maires de France (AMF) face à la suppression de la taxe professionnelle, à la création de deux nouvelles taxes et à leur répartition, est profonde. Philippe Laurent, président de la commission des finances de l'AMF, considère que cette réforme marquera un recul de l'autonomie locale et aura d'immenses conséquences sur l'investissement public. Ce texte marque une profonde rupture : le Gouvernement sacrifie l'investissement des collectivités territoriales après l'avoir réclamé en soutien du plan de relance. Et cette position n'est pas idéologique puisque des élus de toutes les sensibilités partagent cette préoccupation.
Le rapporteur général a dû nous proposer de scinder le débat en deux parties : l'une sur la fiscalité des entreprises, l'autre sur les implications pour les collectivités territoriales des mesures prises. Le malaise est profond, et nous craignons que la potion soit particulièrement amère après que nous aurons goûté, dans un premier temps, aux délices des félicitations de certains amis entrepreneurs.
La taxe professionnelle a été créée en 1975, et tout le monde a en mémoire les propos de François Mitterrand qualifiant cet impôt d'imbécile. Ce n'est pas parce qu'on envisage une nouvelle fois de la réformer que les élus s'inquiètent : dès 1976 ont été décidés un écrêtement de la base et le plafonnement de la cotisation. La part salariale a été réduite en 1983, puis supprimée entre 1999 et 2003. La part de la valeur ajoutée a été plafonnée en 1991, etc. Depuis trente ans, la taxe professionnelle a connu près de 70 modifications législatives.
M. Albéric de Montgolfier. - Soixante-huit !
M. Gérard Collomb. - L'actuel projet de réforme, radical, suscite une bronca car il bouleverse l'architecture des rapports économiques entre l'État et les collectivités locales, ces dernières étant condamnées à s'affronter entre elles sans qu'aucune catégorie ne soit pleinement satisfaite.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est un procès d'intention, une vision politicienne !
M. Gérard Collomb. - Toutes les collectivités locales vont perdre leur autonomie fiscale avec une cotisation complémentaire, dont le taux sera fixé au niveau national, et une cotisation locale d'activité plafonnée et totalement liée par l'évolution des taxes des ménages. Cela va à l'encontre du développement économique, comme le montre le tableau réalisé par l'Association des maires des grandes villes de France et l'Acuf. Les villes les plus industrialisées y perdront le plus. Ainsi les recettes propres de Fos-sur-Mer, Dunkerque et Montbéliard baisseront de 69 %. A l'inverse, Nice-Côte d'Azur gagnera 23 %.
J'ai fait réaliser une estimation par les services de la ville de Lyon, que je suis prêt à confronter avec celle effectuée par les services de l'État. Les recettes de taxe professionnelle pour l'agglomération lyonnaise s'élèvent actuellement à 523 millions d'euros. Si ce texte était voté en l'état, Lyon recevrait 229 millions de la cotisation complémentaire, auxquels s'ajouteraient 29 millions de taxes économiques, 125 millions d'impôts ménages et 139 millions de compensation de l'État. Quelles en seraient les conséquences sur le tissu économique lyonnais ? L'industrie, qui contribuait à 38 % de la ressource, n'en verserait plus que 26 %. La part des services augmenterait de 55 à 59 % et celle des professions libérales de 3 à 11 %.
J'ai rencontré, avant de participer à ce débat, un consultant pour de grandes entreprises. Il m'a confirmé que les entreprises de services souffriraient de cette réforme. Madame la ministre, vous vous trompez quand vous nous dites que les autres vont y gagner. Sur le territoire de l'agglomération lyonnaise se trouve la vallée de la chimie : cette source de nuisances ne rapportera demain plus de recettes. J'ai, lors de l'affaire AZF, été un des rares maires à défendre le maintien de ces activités sur nos territoires. Comment, demain, les habitants supporteront-ils ces industries polluantes sans la contrepartie que constitue le financement par la taxe professionnelle d'équipements collectifs ? Et nous ne pourrons plus tenter de transformer ce secteur dans le cadre d'un pôle de compétitivité.
Cette réforme incitera à la désindustrialisation ainsi qu'à la délocalisation des services, dues à l'augmentation des taxes. Notre tissu économique sera touché, dont les petites entreprises de services qui en constituent une part importante. Plutôt que de revoir ces mesures dans six mois, il vaut mieux ne pas examiner un texte qui ne peut être adopté en l'état. Si cette réforme est essentielle, assurons-nous de ses qualités avant de l'appliquer, plutôt qu'après.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je suis surpris que vous conseilliez au Sénat de ne pas délibérer sur un texte. En outre, vos critiques portent sur la version initiale présentée par le Gouvernement et non sur le texte adopté par l'Assemblée nationale. (M. Gérard Collomb le conteste) Vous vous ferez votre opinion d'après nos délibérations, à moins que vous ne considériez le bicamérisme comme vide de sens... En l'honneur du Sénat, il nous faut prendre nos responsabilités.
Je respecterai vos positions, mais il vous faut participer à la discussion qui apportera les aménagements nécessaires à ce texte, déjà amendé par la commission. La question préalable ferait tomber brutalement le couperet et empêcherait chacun de s'expliquer et de faire évoluer cette réforme. La taxe professionnelle a été créée quand Jean-Pierre Fourcade était ministre des finances. Elle n'a cessé d'être revue depuis. Au cours de ce débat, nous pourrons semer des petites graines là où il faut afin que le dispositif puisse évoluer.
Voilà ce que nous vous proposons, sur la première et la deuxième partie ; voilà pourquoi le fonctionnement normal du bicamérisme appelle le rejet de cette question préalable. (Applaudissements à droite)
Mme Christine Lagarde, ministre. - Je vous invite également à participer au débat sur ce texte, que nous sommes très désireux d'enrichir. M. Collomb s'est inquiété de la communauté urbaine de Bordeaux. Je l'invite à se reporter au tableau de simulations tel qu'il est ressorti de l'Assemblée nationale : on y retrouve les mêmes soldes pour les mêmes montants. Nous aurons un débat sur les questions qui vous intéressent, sur le panier du transfert, la dotation, le montant des cotisations mais, je le répète, il n'y a pas de manque à gagner. Le tableau présenté au congrès des maires, auquel j'ai participé hier, avec M. Juppé, présentait des chiffres inexacts puisque n'y figurait pas le montant de la taxe foncière. Or, elle fait partie du panier qui doit remplacer la taxe professionnelle. Certains nous ont accusés de hold-up. Faire l'impasse sur un élément du calcul, c'est cela le hold-up. (Applaudissements à droite)
M. Gérard Collomb. - Vérifiez plutôt vos chiffres !
Mme Nicole Bricq. - La loi de finances ne peut être une simple loi d'orientation ou d'expérimentation. Or, c'est bien ce que vous nous proposez en nous demandant de légiférer à l'aveugle. Nous savons les efforts méritoires du rapporteur général, mais on n'arrivera à rien sans modifier l'assiette. La preuve, c'est qu'il nous a proposé en commission d'émettre des options à partir d'une préfiguration de la répartition, afin que le Gouvernement puisse faire des simulations et boucler la question quand nous aurons débattu de la réforme des collectivités locales.
Que dit M. Collomb sinon que nous ne pouvons pas débattre sur une expérience non chiffrée ? Le 9 septembre, vous nous avez dit, madame la ministre, que vous ne feriez rien sans simulations. Or ces simulations, nous ne les avons pas !
M. Bernard Vera. - Merci à nos collègues socialistes d'avoir déposé cette motion, que nous déposons tous les ans pour dire notre opposition de fond aux projets de loi de finances qui nous sont soumis.
Le premier budget de la législature était destiné, nous avait-on dit, à soutenir le travail, l'emploi, le pouvoir d'achat. Ce budget se résume en une équation simple : tout pour alléger les impôts des entreprises et des ménages les plus aisés, tout pour accroître ceux du plus grand nombre. Aux uns la suppression de taxe professionnelle, l'exemption de taxe carbone, toujours moins d'ISF et d'impôt sur le revenu ; aux autres la taxe carbone, la mise en cause de la prime pour l'emploi, la hausse des impôts locaux et la hausse de l'impôt sur le revenu. C'est proprement caricatural.
M. Alain Fouché. - Et vous donc ?
M. Bernard Vera. - Après avoir rendu 24 milliards sous prétexte de relance, des milliards de remboursement anticipé de TVA, le crédit d'impôt recherche, vous ajoutez 11,7 milliards de taxe professionnelle. Et pour quel résultat ? Plus de chômage, plus de déficit public.
Les salariés et leurs familles sont mis à rude épreuve. L'évolution du barème de l'impôt ne suffira pas à éviter la hausse de la cotisation moyenne, tandis que certaines dispositions correctrices sont amoindries.
Le détournement de l'accord Bino va reprendre plus de 100 millions d'euros dans la poche des salariés d'outre-mer et la mise en oeuvre du RSA en métropole va permettre à l'État d'économiser tant sur la prime pour l'emploi que sur les allégements de fiscalité locale. Et pendant ce temps, la compensation aux départements ne cesse de se réduire.
Ce ne sont là que quelques exemples des choix qui sont ici opérés et qui culminent avec la taxe carbone, le plus mauvais tour que l'on puisse jouer à la cause de l'environnement. Le groupe CRC-SPG votera cette question préalable.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Je vais tenter, avec les quelques lueurs que je possède, d'apporter la contradiction à M. Collomb.
Il ne faut pas croire que les bases de la taxe professionnelle vont continuer d'augmenter comme avant la crise. Au point qu'il fallait chaque année trouver des parades pour freiner l'augmentation des bases. A l'heure où l'on s'emploie à faire redémarrer l'investissement, on ne va tout de même pas le taxer, ce qui serait le cas avec la taxe professionnelle.
Il faut aller au fond du texte, pour en tirer les conséquences. En reprenant dans l'assiette la valeur ajoutée, on retrouve ce qu'était l'assiette initiale de la taxe professionnelle, à laquelle s'ajoutent les bénéfices des entreprises. Voilà donc un impôt qui progressera plus vite que depuis quelques années.
Le vrai problème est celui de la territorialisation des cotisations sur la valeur ajoutée. C'est ce qui permettra aux communautés urbaines, aux grandes villes, aux départements et aux communautés de base d'en bénéficier. De 1945 à nos jours, la base de la taxe valeur ajoutée, c'est-à-dire au fond le PIB, a progressé plus vite que les bases de la taxe professionnelle. (Applaudissements à droite)
Le scrutin public ordinaire est de droit.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l'adoption | 139 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°I-137 rectifiée, présentée par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des finances le projet de loi de finances pour 2010 adopté par l'Assemblée nationale (n° 100, 2009-2010).
M. François Marc. - M. Collomb nous a engagés à mettre fin à la discussion, je vais tâcher de vous persuader de travailler plus.
M. Gérard Longuet. - Pour gagner plus ! (Rires)
M. François Marc. - M. le rapporteur général nous a invités tout à l'heure, dans son discours de la méthode, à fractionner le problème de la fiscalité locale ; il faut aussi se donner le temps de le résoudre. Il a dit qu'il fallait appeler un chat un chat : eh bien, ce texte n'est que l'ébauche d'une loi de finances. Il serait dangereux de légiférer dans le brouillard.
Ce texte souffre d'abord d'insuffisances formelles. Nous ne disposons pas des simulations nécessaires pour adopter une réforme aussi importante que la suppression de la taxe professionnelle. Contrairement à ce que disait Mme la ministre, le parallélisme des formes n'a pas été respecté : les simulations relatives aux effets de la réforme sur les entreprises ont été établies depuis des mois, mais pas sur les collectivités, sauf quelques indications transmises récemment. (Mme le ministre le conteste) De multiples ajustements sont à prévoir dans les mois à venir. Comme le disait un de nos collègues de la majorité, la clause de revoyure ne suffit pas : il aurait été beaucoup plus logique d'inverser le calendrier et de réformer la fiscalité locale après avoir redéfini les missions des collectivités, comme le soulignait la commission des lois elle-même dans un communiqué du 29 octobre.
Il est irréaliste de mener une réforme aussi importante dans un délai si court. Au Sénat, il a été décidé, conformément à la Lolf, de distinguer les règles applicables dès 2010 -c'est-à-dire la suppression de la TP- de celles qui n'entreront en vigueur qu'en 2011 -la réforme des finances locales. Nous devrons donc légiférer à nouveau avant le 30 juin.
Cette procédure en deux temps n'est qu'un rideau de fumée destiné à faire taire les admonestations de la majorité : les sujets sensibles sont renvoyés à plus tard. Le Sénat ne peut tolérer ces petits arrangements entre amis, ni la modification des règles en cours de partie ! Nous ne pouvons nous prononcer sur le seul volet de la réforme relatif aux entreprises : il faut indiquer dès à présent aux élus quelles recettes de substitution ils peuvent escompter. Mais l'improvisation et la confusion règnent au sein de la majorité et du Gouvernement.
Seules les injonctions de Bercy ont été entendues. La discrétion du ministre de l'intérieur, en charge des collectivités locales, ne manque pas d'étonner. Il est vrai qu'il s'agit, pour son ami Président de la République, d'honorer une de ses promesses de campagne... Tout cela illustre les dérives du quinquennat et les dysfonctionnements du parlementarisme en France.
Ces raisons pourraient suffire à exiger le renvoi du texte en commission. Je ne critique pas le travail de la commission (M. le rapporteur général s'en félicite) mais elle a encore besoin de plusieurs mois pour approfondir le sujet.
M. Jean Arthuis, président de la commission. - C'est bien pourquoi nous procédons en deux temps !
M. François Marc. - Mais on peut aussi avancer des raisons de fond pour justifier cette motion. De nombreuses critiques ont été émises ces dernières semaines par d'anciens Premiers ministres et d'anciens ministres de la majorité : certains vont jusqu'à dire qu' « on se fout du monde »...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Vous ne variez guère vos citations...
M. François Marc. - Les élus sont inquiets : leur détresse fut palpable lors du congrès des maires. Il est à craindre que les collectivités, faute de ressources suffisantes et assurées, rognent sur leurs investissements alors même que le Gouvernement compte sur elles pour remplir les objectifs du plan de relance et que les entreprises reconnaissent l'importance de leur action.
L'autonomie fiscale des collectivités est remise en cause car si elles bénéficieront de la création de nouveaux impôts et du transfert de certains impôts d'État, elles ne pourront en fixer ni le taux, ni l'assiette. De même que les dotations, ces ressources seront aléatoires : or les élus n'ont plus confiance dans la parole de l'État, quelques années après le vote de la loi relative aux libertés et responsabilités locales... En ce qui concerne les dotations de substitution, c'est le brouillard complet : les mécanismes de garantie restent flous et les compensations de l'État diminuent au fil des années : elles sont en baisse de 6 % dans ce PLF, qu'en sera-t--il par la suite ?
Nous refusons le basculement des impôts locaux sur les ménages. Actuellement, ces impôts pèsent à peu près également sur les particuliers et les entreprises ; après la réforme, 70 % des recettes proviendront des ménages. En outre, les collectivités n'ont une pleine latitude que sur les impôts pesant sur les ménages : il est donc à craindre qu'elles cherchent des ressources de ce côté là.
Nous déplorons aussi l'absence de péréquation et de solidarité entre les territoires, qu'illustrent le maintien des inégalités actuelles, le gel du montant des fonds départementaux de péréquation de la TP et du fonds de solidarité de la région Ile-de-France.
Ce cadeau aux entreprises coûtera 11 milliards d'euros à l'État en 2010 et plus de 5 millions les années suivantes. L'ensemble des Français en subiront la charge car malgré les promesses du Gouvernement, les impôts locaux augmenteront immanquablement. L'État laissera aux collectivités le sale boulot !
Mme Nicole Bricq. - Eh oui !
M. François Marc. - Étant donné la configuration politique actuelle, la manoeuvre est claire...
Parmi les autres effets pervers du dispositif prévu par le projet de loi, le barème progressif va à l'encontre du principe d'égalité devant l'impôt : la cotisation reposera davantage sur le chiffre d'affaires des entreprises que sur la valeur ajoutée, qui fonde pourtant leur capacité contributive. Le lien entre les entreprises et les territoires s'atténuera.
Deux visions de la décentralisation, du rôle des collectivités locales et de leur capacité à incarner l'intérêt général s'opposent. (Mme Nicole Bricq approuve) Hostiles à une conception libérale qui met en péril les services publics locaux, nous pensons que la réforme des finances locales est l'occasion de renforcer la citoyenneté locale, de consolider l'égalité républicaine et de légitimer les 500 000 élus locaux.
Voilà pourquoi nous demandons le report de la réforme. Oui, il faut réformer, mais pas n'importe comment ni à n'importe quel prix. Nous ne voulons pas que nos concitoyens subissent les effets de l'entêtement du Gouvernement et d'une réforme inaboutie. Le Parlement ne doit voter ni des mesures qui relèvent du domaine réglementaire ni des lois expérimentales.
« L'ensemble des actions menées par les collectivités territoriales ne sont pas aujourd'hui clairement financées ; il faut savoir comment elles le seront avant de voter ». Voilà ce qu'a déclaré un sénateur de la majorité...
Il est nécessaire de repousser la réforme de la taxe professionnelle jusqu'après l'adoption du texte relatif aux compétences. Si l'on s'en tient aux propos du Président de la République, selon lequel on ne réforme pas la France contre les élus locaux, nous devrions être entendus. Si la décentralisation mérite d'être améliorée, la Parlement a toute légitimité à refuser de voter un projet de loi inabouti. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La commission des finances, à laquelle M. Marc appartient, estime avoir fait tout son possible depuis que le sujet est sur la table. Un rapport entier de 130 pages, sans les annexes, est consacré à la taxe professionnelle. Grâce au président Arthuis, et pour la première fois depuis que j'exerce les fonctions de rapporteur général, trois réunions consécutives ont été consacrées à des débats d'orientation, qui ont débouché sur les mandats que la commission a bien voulu me donner. Des pans entiers du sujet ont été disséqués. Tout cela permet d'envisager une réunion de la commission demain matin, au cours de laquelle seront examinés les amendements dits extérieurs ainsi que les quelques rectifications que je lui soumettrai.
On ne peut escompter de progrès substantiels d'un renvoi en commission dans les jours ou semaines qui viennent, ni de méthode, ni sur le fond. Si la motion est rejetée, nous entrerons dans l'examen de la première partie, et je vous proposerai en seconde partie un dispositif qui est déjà largement avancé et qui porte plus particulièrement sur la répartition de la nouvelle cotisation entre les différentes strates de collectivités territoriales. Ce sujet doit être traité en toute transparence.
Je préconise que le Sénat poursuive ses travaux. On sait que le diable se niche dans les détails ; comme la réforme a beaucoup de détails, il y a beaucoup de diables à pourchasser... La seule façon de le faire, c'est de prendre le texte à bras-le-corps, de le malaxer comme il convient et d'entrer avec le Gouvernement dans une meilleure compréhension du dispositif.
M. Eric Woerth, ministre. - Avis défavorable à la motion.
La motion n°I-137 rectifié n'est pas adoptée.