Mardi 2 avril 2024

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - Audition de M. Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous auditionnons cet après-midi M. Johann Remaud, directeur outre-mer de Business France, dans le cadre de nos auditions pour le rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Il est accompagné de M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations avec les parlementaires et les parties prenantes.

Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour apporter des réponses à nos interrogations sur le rôle de votre établissement public, qui est chargé du développement international des entreprises françaises, des investissements internationaux en France et de la promotion économique de la France, vis-à-vis des entreprises ultramarines.

Quel diagnostic portez-vous sur l'insertion régionale des économies ultramarines ? Quels sont les freins que vous identifiez : compétitivité, financement, normes, savoir-faire, langue... ? Comment ces stratégies sont-elles définies ? Quels sont vos partenaires ?

Fin 2023, vous avez renouvelé une convention avec le ministère de l'intérieur et des outre-mer afin d'encourager les initiatives des entreprises ultramarines dans leurs activités à l'export et d'inciter les investisseurs étrangers à venir s'implanter dans les outre-mer.

Cette promotion a bénéficié d'un soutien financier renforcé, avec en particulier la prise en charge de 50 % à 70 % du coût des solutions de préparation et de projection individuelles et collectives proposées par Business France et ses partenaires de la Team France Export (Régions, Bpifrance, CCI France).

La convention qui couvre tous les territoires ultramarins vise également à développer leur attractivité, à travers différentes actions menées avec les collectivités territoriales concernées comme : la prospection, l'accueil, l'accompagnement et le suivi d'entreprises étrangères susceptibles de développer de nouvelles activités créatrices d'emplois, la promotion de l'attractivité économique du territoire national et régional, ou encore la participation à des actions de prospection et d'accompagnement d'investisseurs.

Quel premier bilan tirez-vous de cette convention ?

Voici quelques problématiques sur lesquelles nous souhaitions vous entendre.

Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents développer tous ces sujets et ils vous interrogeront après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.

M. Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France. - Dans votre propos liminaire, vous avez cité la Team France Export et la Team France Invest, qui ont été créées à la suite d'une réforme mise en place il y a cinq ans, et qui consistent en une grande alliance avec nos principaux partenaires dans chaque région. Business France travaille main dans la main avec deux opérateurs publics de terrain : d'une part, les Chambres de commerce et d'industrie (CCI) dans leurs directions internationales en région, y compris dans les collectivités du Pacifique depuis février dernier et, d'autre part, Bpifrance sur le volet des financements, le tout sous couvert des collectivités régionales et de l'État dans chacune des régions.

Cette alliance nous a vraiment permis, sur le volet export dans un premier temps, de renforcer notre présence sur l'ensemble des territoires. En tant qu'opérateur public, Business France n'a qu'un seul équivalent temps plein (ETP) présent sur les territoires, se situant de manière historique à La Réunion. Nous avons décidé de maintenir ce collaborateur, qui était financé depuis plusieurs années par la région, au regard de la volumétrie d'actions que nous avions sur ce territoire. Sur les autres territoires, nous pouvons compter sur un total de neuf conseillers répartis dans le Pacifique, les Antilles et l'océan Indien, sur lesquels nous nous appuyons en collaboration avec les chambres consulaires. Cette alliance est importante car elle porte non seulement sur des objectifs communs, mais également sur le partage d'outils et d'un réseau commun. Cette évolution positive nous permet aujourd'hui de proposer une très large palette d'outils pour les entreprises, allant de la préparation jusqu'à la projection.

Nous accompagnons dans cette dimension internationale 150 entreprises par an sur l'ensemble des territoires, dans une progression constante depuis la mise en place de la Team France Export. Nous sommes appuyés en cela par la volonté de nos partenaires locaux et également par l'envie des entreprises locales de se projeter à l'extérieur. L'ensemble de ces démarches est soutenu par le ministère chargé des outre-mer qui apporte des soutiens financiers de 50 % à 75 % sur l'ensemble des prestations que nous proposons aux entreprises.

Concernant la dimension attractivité, nous travaillons avec les agences régionales de développement et les conseils régionaux, et dans un accompagnement direct en fonction de leurs besoins. Cet accompagnement passe notamment par de l'appui à la rédaction d'argumentaires territoriaux et par de la communication internationale. C'est ce que nous avons fait récemment avec Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe (avec la rédaction d'un guide Invest), de même qu'avec la Guyane. Concernant ce dernier territoire, nous avons rédigé en début d'année deux argumentaires territoriaux, l'un portant sur les bioressources - qui sera dévoilé à l'occasion de Viva Tech en mai prochain - et l'autre concernant davantage l'aspect « tech » au sens large, notamment spatial.

En quelques chiffres, il faut savoir que, depuis 2014, nous avons recensé 20 investissements étrangers représentant un total de 346 emplois sur l'ensemble des régions. On notera cependant que depuis 2017, nous avons recensé 38 projets supplémentaires qui restent actifs, dont quatre ont été gagnés, deux viennent d'Italie, un des Pays-Bas et le dernier du Canada. Ces projets concernent les technologies du numérique ou le BTP, essentiellement pour de l'implantation, du développement d'implantation existante ou des investissements financiers.

Sur la thématique plus précise de la coopération régionale, les chiffres précités de 250 entreprises accompagnées à l'export concernent le monde entier. La demande des entreprises accompagnées porte plus spécifiquement sur le grand export. Comme vous le savez, il existe des freins importants depuis les bassins à l'exportation, de sorte que plus de 80 % des entreprises accompagnées sont des entreprises de services. Les seuls produits exportés de nos territoires sont essentiellement des produits traditionnels de type rhum, et quelques produits agroalimentaires. Le reste des entreprises que nous accompagnons et qui sont en croissance depuis plusieurs années, évoluent dans tous les domaines des services (bâtiment, start-ups dans le domaine du numérique, développement durable etc...), avec parfois quelques spécialisations pour certains territoires.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Je souhaite revenir sur la convention signée il y a cinq mois entre le ministère de l'Intérieur et des outre-mer et Business France. Pouvons-nous déjà en tirer un premier bilan ? Quels sont les changements pour vous ?

Vous dénombriez par ailleurs un total de neuf conseillers, dont un seul à La Réunion. Par conséquent, avez-vous compensé la faiblesse de cet effectif par des partenariats ? Dans l'affirmative, quels sont-ils ?

M. Johann Remaud. - La convention signée avec le ministère de l'Intérieur et des outre-mer est historique. En effet, si nous sommes liés depuis quinze ans avec ce ministère, cette année une enveloppe un peu plus importante a été octroyée à Business France en tant que répartiteur de l'aide. En d'autres termes, la quasi-totalité de l'enveloppe est destinée aux aides directes aux entreprises ou permet de financer des actions sur mesure spécifiques à ces entreprises.

Parmi nos accompagnements, nous travaillons très régulièrement de façon individuelle avec les entreprises. Ainsi, si une entreprise de Guyane souhaite aller au Brésil, nous sommes en mesure de l'accompagner pour identifier des partenaires au Brésil. De ce fait, notre accompagnement sera comparable à celui d'un cabinet conseil individuel. Cette prestation sera prise en charge à 75 % de son coût réel, directement appliquée sur le bon de commande. Ces aides sont, bien entendu, limitées aux TPE et PME.

La convention nous permettra aussi de mettre en place des actions sur-mesure, à l'instar d'opérations de coaching et de sensibilisation dédiées à un univers spécifique. Nous sommes intervenus de cette manière à plusieurs reprises dans l'univers des techs pour sensibiliser une cohorte d'entreprises aux techniques de vente américaines pour les start-ups.

L'an dernier, au-delà du volet coaching, nous avons accompagné des entreprises des Antilles, de Guyane et de La Réunion lors d'une mission sur le salon Montréal Connect.

Nous organisons aussi de plus en plus, à titre exceptionnel puisque cela ne relève pas de l'activité habituelle de Business France, des pavillons outre-mer sur des grands salons internationaux ayant lieu dans l'Hexagone. Ainsi sur Viva Tech, nous aurons un espace d'une cinquantaine de mètres carrés avec, sur les quatre jours, une quarantaine d'entreprises des outre-mer exposant leurs produits et ayant la possibilité de rencontrer des opérateurs étrangers. De même dans un secteur plus traditionnel, nous étions présents au premier Mondial du Rhum organisé à Paris, tout comme nous le serons en janvier prochain à Sirha Lyon. Nous serons enfin présents au Cosmetic-360 en octobre prochain, pour réunir les entreprises innovantes de la filière cosmétique sur l'ensemble des outre-mer.

L'an dernier, l'enveloppe s'élevait à 900 000 euros, que nous avons totalement utilisée en prestations directes et opérations sur-mesure au bénéfice des entreprises. Je précise que cette enveloppe permet aussi de financer le dispositif du Volontariat international en entreprise (VIE). Au titre de ce dispositif, la convention prend en charge 50 % de l'indemnité versée par les entreprises. À ce jour, vingt-cinq entreprises ultramarines différentes utilisent des VIE.

Nous travaillons aussi avec le ministère des outre-mer sur l'incitation aux jeunes originaires des outre-mer à se positionner comme VIE. De ce fait, nous organisons des manifestations auprès des étudiants originaires de l'ensemble des trois bassins pour leur faire connaître le dispositif du VIE et leur communiquer des exemples d'autres jeunes qui en ont bénéficié. Nous avons donc identifié une cinquantaine de témoins potentiels, ex-VIE originaires des trois bassins, qui « portent la bonne parole » et permettent aux jeunes de relever ce défi du VIE. Il s'agit donc d'un superbe outil, tant pour les jeunes que pour les entreprises, pour se positionner à l'international.

Concernant le volet export de la convention, sont prises en charge les prestations directes, les prestations sur-mesure et le financement du VIE.

Enfin sur le volet attractivité, nous venons en soutien aux agences régionales de développement en leur proposant des prestations d'accompagnement de type argumentaire, communication, atelier attractivité. Nous disposons d'une palette d'outils susceptibles d'être mis à leur disposition sur demande.

S'agissant des partenariats, nous avons bâti à travers la Team France Export et la Team France Invest un réseau de partenaires. Dans le domaine de l'export, les partenaires au quotidien sont les Chambres de commerce, et plus spécifiquement leurs services internationaux sur les territoires, qui ont positionné des conseillers internationaux. Ces derniers font véritablement partie de notre équipe, en ce sens que s'ils ont un besoin de mettre en relation l'entreprise qu'ils accompagnent au quotidien avec le bureau Business France à l'autre bout du monde ou de lui proposer un accompagnement sur mesure, ils sont connectés en direct à l'ensemble des collaborateurs de Business France.

M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations parlementaires et les parties prenantes, Business France. - À cet égard, il n'existe pas de différence avec le fonctionnement dans l'Hexagone, où ce partenariat de la Team France Export avec les CCI avait pour objectif de mettre en commun le réseau territorial fort et ancré des CCI, reconnu par les entreprises, et le réseau international de Business France, tout aussi connu et utilisé par les entreprises.

Finalement, cette mise en commun des réseaux a permis à des conseillers Business France d'aller dans les territoires, soit en tant qu'ETP de Business France, soit en travaillant au quotidien avec des ETP de CCI dans des équipes totalement intégrées.

M. Johann Remaud. - Sur une région hexagonale, nous avons 5 à 10 conseillers, tandis que dans l'ensemble des outre-mer nous avons 5 à 10 conseillers. Par conséquent, il existe une coordination unique dans les territoires, qui repose aussi sur du management intermédiaire. J'exerce cette coordination dans le cadre de mes fonctions, et me tiens au quotidien aux côtés des conseillers de la Team France Export outre-mer, qui d'ailleurs se rencontrent assez régulièrement. En effet, nous sommes très agréablement surpris des liens qui se créent entre l'ensemble des territoires. Dans le cas des Antilles Guyane, toutes les actions organisées par une CCI se font avec le concours des autres CCI.

À titre d'exemple, une mission récente à Sainte-Lucie était organisée par la CCI de Martinique, mais avec le concours de la CCI de Guadeloupe et de celle de Guyane et avec la participation d'entreprises de Guadeloupe. Enfin, l'an dernier, une mission au Guyana portée par la CCI de Guyane dans le cadre de la Team France Invest, a également inclus des entreprises de Martinique.

Nous jouons donc vraiment la carte commune, ce qui est un peu moins le cas du côté de La Réunion et de Mayotte mais nous y travaillons. La difficulté réside dans le fait que notre correspondant à Mayotte n'appartient pas à la CCI, qui n'est pas positionnée sur le volet de l'international. Nous travaillons donc à Mayotte avec l'agence de développement, ce qui rend plus complexe le travail avec deux structures différentes.

Dans le Pacifique, la coopération est plutôt bien engagée avec l'arrivée récente d'une conseillère en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Nos territoires ultramarins sont des territoires d'importation et nos entreprises cherchent, par la force des choses, davantage à importer des produits en provenance des territoires voisins, qui seraient moins chers que ceux de l'Hexagone. Il s'agit donc d'une forme de concurrence. Business France traite-t-il ce type de sujet, car nous savons que sa mission principale consiste surtout à implanter les entreprises françaises à l'étranger ?

Je crois savoir que l'un de mes compatriotes cherche à importer des produits du Brésil car ils lui reviendraient moins cher, mais qu'il se heurte à de nombreux obstacles. En particulier, les produits brésiliens susceptibles d'entrer en Guyane doivent nécessairement passer par un port français avant de repartir vers la Guyane. D'ailleurs cet entrepreneur va utiliser un VIE. Quel est donc le rôle précis des VIE ? Sont-ils réellement utiles aux entreprises ?

M. Johann Remaud. - Je reconnais qu'il serait beaucoup plus intéressant d'importer des produits moins onéreux de proximité, mais l'accompagnement des entreprises pour le sourcing ne fait pas partie de la feuille de route de Business France. Ceci ne signifie pas, cependant, que certains conseillers à l'international de CCI n'aient pas dans leur feuille de route cette mission d'appui au sourcing.

En revanche, nous accompagnons les entreprises qui produisent déjà sur les territoires pour dupliquer ce modèle sur d'autres territoires, et éventuellement pour faciliter une réexportation vers le territoire d'origine. Cela pourrait constituer une solution.

Le VIE est un dispositif de ressources humaines qui permet à toute entreprise implantée sur le territoire français de disposer des services d'un jeune jusqu'à 29 ans, en lui proposant une mission de six à vingt-quatre mois, se déroulant dans un ou plusieurs pays. L'intérêt, pour les entreprises, est de ne pas être lié contractuellement avec le jeune. Business France agit comme un intermédiaire tel qu'une agence d'intérim, ce qui facilite les démarches des entreprises pour les besoins de l'expatriation. Pour les entreprises, le vivier de jeunes très compétents est intéressant, à des coûts encadrés et avec un risque limité, puisque ces jeunes ne disposent pas d'un CDI expatriés. La formule fonctionne puisqu'elle est en progression constante ces dernières années, hormis la parenthèse des années Covid où le nombre de VIE était retombé à 8 000.

M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations avec les assemblées et les parties prenantes. - À l'automne dernier, nous avons fêté le 100 000ème VIE depuis le début du programme, ce qui nous ramène à des chiffres d'avant-Covid. Actuellement, 11 500 VIE sont en mission.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure pour le bassin océan Pacifique. - J'aurai deux questions. La première concerne la fragilité du tissu économique actuel à La Réunion. Lors de notre rencontre avec les trois chambres consulaires de l'île, des alertes ont été lancées. Quelle est votre analyse de cette situation, puisque vous travaillez en partenariat avec les acteurs économiques du terrain ?

Par ailleurs, diriez-vous que les aides européennes sont facilement mobilisables pour les entreprises ultramarines sur l'ensemble des bassins que nous connaissons ? Ces outils européens sont-ils adaptés aux territoires ultramarins par rapport au large marché européen ?

Quelle est la portée pour nos entreprises ultramarines, selon vous, des normes Régions ultrapériphériques (RUP) qui viennent d'apparaître, sur l'exportation et notamment en matière de coopération régionale, sur un bassin européen et international ?

M. Johann Remaud. - Nous ressentons assez peu la fragilité des entreprises dans le développement international. Nous menons des études d'impact spécifiques par bassin dans les outre-mer (côté Antilles-Guyane et côté océan Indien), dont l'une au premier trimestre de l'année passée. Même avec le Covid, le taux de chute de l'ensemble des entreprises que nous avons accompagnées était beaucoup plus limité que celui des entreprises qui n'interviennent pas à l'international. En effet, pour certaines de ces entreprises, l'international représente une bouée de sauvetage pour capitaliser sur d'autres marchés et générer d'autres revenus.

Dans un exemple très récent, nous avons lancé en novembre dernier à La Réunion, à l'occasion de la venue du ministre délégué au commerce extérieur et l'ancien ministre chargé des outre-mer, un programme d'accompagnement spécifique sur la zone de l'océan Indien, dénommé Impulse. L'objectif était d'inciter les entreprises à dialoguer avec l'ensemble de nos bureaux de la zone, pour se projeter sur un programme d'accompagnement structuré pendant douze mois et viser, de manière graduée, différents marchés de cette zone.

Le programme Impulse était pensé pour les entreprises de La Réunion et de Mayotte. Nous imaginions avoir davantage d'entreprises de La Réunion, mais avons finalement eu la surprise de constater que six entreprises de Mayotte s'étaient positionnées et ce, malgré la crise spécifique que rencontre le territoire actuellement. Nous sommes donc en train de poser le constat que finalement pour les entreprises locales, ce programme pourrait être attractif pour se sortir du marasme.

Les aides mises en place par les collectivités régionales sur fonds européens sont difficilement mobilisables. Tout dépend de la façon dont les collectivités s'en emparent. Chaque région et collectivité possède son régime d'aides et ses processus spécifiques. Je note cependant une amélioration, depuis un ou deux ans, dans la disponibilité de l'accès aux aides, notamment à La Réunion. Il existe en effet, sur ce territoire, un dispositif d'aide complémentaire à celui proposé par le ministère des outre-mer par notre biais, et qui semble facilement mobilisable.

Depuis le début de l'année, une vingtaine de demandes d'entreprises ont pu être traitées, sachant qu'il s'agit de petites enveloppes et d'actions à court terme. Par conséquent, il est important d'avoir des réponses rapides même si les financements arrivent plus tard.

Nous avons en outre noté une amélioration en Guadeloupe.

En Guyane, il existe un mécanisme intéressant par lequel la collectivité a demandé à la CCI d'être répartitrice d'une petite enveloppe de 40 000 euros.

À Mayotte, il n'existe pas d'aides directes fléchées pour les entreprises.

En Martinique, les aides existantes restent assez difficilement mobilisables pour le moment.

Dans le Pacifique, aucune aide directe pour accompagner les entreprises n'a été mise en place. Il s'agit plutôt de financements de programmes collectifs et d'un crédit d'impôt export en Nouvelle-Calédonie.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Est-ce une priorité, de prendre en considération les liens économiques de vos implantations avec les territoires ?

M. Johann Remaud. - Notre priorité est celle des entreprises.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Par exemple, vous parlez beaucoup de la Guyane. Le fait de prendre en considération les liens que la Guyane pourrait avoir avec le Brésil, fait-il partie de vos priorités ?

M. Johann Remaud. - Avec le Brésil et même au-delà. Dans le cadre de la mise en place de la Team France Export, nous avons un pilier d'opérateurs dans un rôle très opérationnel, tandis que la dimension stratégique est représentée par la collectivité. Chacune des collectivités, dans le cadre de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), a la charge de sa stratégie économique locale. De ce fait, des comités de pilotage se réunissent dans l'ensemble des territoires, à charge pour la collectivité de leur faire part de sa feuille de route.

Les opérateurs de la Team France Export proposent aussi des actions destinées à répondre aux demandes de la collectivité. Ainsi l'an dernier nous avons organisé une mission au Guyana, ce qui n'était pas dans la feuille de route de Business France au niveau national, mais répondait aux besoins locaux des entreprises.

Mme Audrey Bélim. - Il est vrai que la convention de partenariat entre le ministère des outre-mer et Business France prévoit d'accélérer le développement des entreprises déjà exportatrices, et de détecter les entreprises qui pourraient exporter.

Cette convention prévoit donc d'attirer des entreprises étrangères pour investir, ouvrir des sites et créer des emplois dans les outre-mer. Nous avons appris hier la construction d'une usine de batteries de lithium à l'île Maurice par la société canadienne NSM, qui exploite une mine de graphite dans le sud de Madagascar. Cette usine emploiera une centaine de personnes à l'île Maurice.

Nous avons certes à La Réunion un coût du travail différent, mais nous disposons également de nombreux atouts que vous avez présentés : une population bien formée, une couverture en fibre optique excellente (la meilleure en France après l'Île-de-France), des services publics de qualité.

Quelles sont les entreprises et les secteurs économiques pouvant investir dans notre île ? Auriez-vous des pistes sérieuses d'investissements pour les prochains mois ou années ? Le fait d'attirer ces entreprises impliquerait-il des évolutions fiscales et législatives ?

Enfin, avez-vous estimé les conséquences de la potentielle suppression ou réforme de l'octroi de mer sur la concurrence de produits étrangers au sein de nos territoires ?

M. Johann Remaud. - Effectivement, le coût de main d'oeuvre à l'île Maurice permet d'accueillir des projets d'investissements à forte volumétrie d'emplois, ce qui est moins le cas à La Réunion. Sur ce dernier territoire, je peux citer un investissement récent dans le domaine des services, et créateur d'une dizaine d'emplois. L'investisseur est un groupe de Hong Kong qui, à travers sa filiale mauricienne, est venu investir à La Réunion.

La plupart des investissements étrangers à La Réunion sont plutôt originaires de Maurice mais sont créateurs de valeur ajoutée. Pour attirer davantage d'investissements, il est nécessaire d'être en lien avec les agences régionales de développement, et que celles-ci soient bien en ligne politique avec leurs collectivités respectives.

Nous rencontrons encore, sur certains territoires, une difficulté pour poser une stratégie réellement définie sur l'attractivité internationale. Par conséquent, nous ne savons pas toujours quels sont les secteurs ouverts. Je note avec intérêt qu'en début d'année, la région Réunion a lancé un appel d'offres pour définir la stratégie d'internationalisation, tant sur le volet attractivité que sur le volet export, afin de définir l'ensemble des filières d'export susceptibles d'être renforcées. C'est un préalable. Il conviendrait donc que ce travail soit mis en place par l'ensemble des régions afin qu'un argumentaire précis existe, et qu'il soit porté par l'ensemble de notre réseau. Aujourd'hui, la démarche est quelque peu artisanale en connectant les uns aux autres. Ainsi, mes collègues de la Team France Invest dans le monde, lorsqu'ils se trouvent en contact avec un investisseur étranger, pourront lui parler de quelques opportunités à développer dans les outre-mer.

Malheureusement, il n'existe pas d'autre démarche cadrée. C'est pourquoi il conviendrait, dans un futur proche, que nous amenions l'ensemble des agences et même des élus des outre-mer, à parler directement à notre réseau dans les territoires pour l'informer de la nature des secteurs ouverts aux investissements étrangers, et des outils mis en place pour accompagner la venue d'investisseurs étrangers. Aujourd'hui, nous manquons de solutions et d'une feuille de route déterminée.

M. Saïd Omar Oili- J'observe que malgré le nombre de structures telles que la vôtre chez nous, la pauvreté ne recule pas. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Nous ne voyons donc pas les bienfaits de ces structures conçues en métropole, et qui permettraient à la population de vivre décemment.

Lors de l'audition récente par notre délégation de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEDOM), j'ai été surpris d'entendre que le rhum jamaïcain était le plus vendu au monde, davantage que le rhum antillais. Je ne comprends pas compte tenu de toutes ces structures d'accompagnement. Avez-vous une explication ?

Mme Micheline Jacques, président. - En effet, lors de l'audition de l'IEDOM, son président a souligné que les produits français étaient surtaxés à l'entrée sur le territoire américain, alors que les produits issus du reste de la zone Caraïbe, tels que le rhum, n'étaient quasiment pas taxés. De ce fait, le marché américain se fermait aux productions françaises puisque leur coût était beaucoup plus élevé.

M. Johann Remaud. - Pour le rhum, il existe d'autres marchés que le marché américain. Dans ce domaine, les petites productions sont très qualitatives et peuvent se positionner sur des niveaux de prix importants. Je n'ai donc pas trop d'inquiétude pour ce secteur du rhum, où sont présents des acteurs très innovants produisant des produits très qualitatifs. Les marchés sont très demandeurs. Il suffit donc de bien « marketer » et d'adopter la bonne stratégie pour vendre son produit.

S'agissant de Mayotte, Business France n'y est pas directement. Nous passons par notre partenaire, qui est l'agence de développement de Mayotte. Nous ne sommes donc pas une structure supplémentaire. Nous venons juste apporter, par le biais du partenariat entre le ministère de l'intérieur et des outre-mer et la Team France Export, des solutions techniques et un appui financier pour les quelques entreprises de Mayotte qui souhaitent pouvoir se projeter à l'international.

M. Quentin Geevers. - La Team France Export et la Team France Invest ne sont pas des structures supplémentaires à proprement parler, mais sont davantage des méthodes de travail. Les acteurs publics et les acteurs privés peuvent travailler ensemble et cesser de se faire concurrence, dans l'intérêt même des entreprises. Il ne s'agit pas d'ajouter une strate supplémentaire mais de naviguer entre les structures existantes au moyen d'un guichet unique, pour simplifier les choses.

Mme Micheline Jacques, président. - La délégation s'est déplacée à l'île Maurice, où nous avons constaté que les Mauriciens étaient trilingues français, anglais et créole mauricien. Pensez-vous que la barrière de la langue soit un frein aux discussions et négociations entre les territoires ultramarins et leurs potentiels investisseurs proches ?

Nous avons aussi évoqué les difficultés de la mobilité humaine dans les transferts aériens mais aussi, les difficultés en matière de transports de marchandises. C'est pourquoi la mise en place d'une petite compagnie maritime a été demandée par la CCI locale.

Enfin, les crises sociales conséquentes constatées dans certains territoires ultramarins ne sont-elles pas un frein aux investissements étrangers ? Comment attirer ces investisseurs dans nos territoires ?

M. Johann Remaud. - Le problème de la langue tend à s'atténuer. La jeune génération maîtrise de plus en plus l'anglais, ainsi que nous le constatons dans les entreprises que nous accompagnons à l'étranger. Il est vrai qu'il y a dix ans, cette barrière de la langue représentait un frein réel à l'investissement dans les outre-mer. Aujourd'hui, la jeune génération peut travailler confortablement en anglais, langue qu'elle maîtrise suffisamment pour se projeter à l'international.

En revanche, le frein réel à la coopération régionale réside dans l'absence de compagnies maritimes régionales, alors que les entreprises les appellent de leurs voeux depuis de très nombreuses années. Plusieurs initiatives engagées depuis vingt ans, n'aboutissent malheureusement pas. Ce point figure d'ailleurs parmi les axes identifiés par le Comité interministériel des outre-mer (CIOM). Un partenariat public-privé pourrait représenter une solution dans un premier temps.

Nous rencontrons d'ailleurs la même problématique dans le domaine aérien, à des degrés divers selon les territoires. Dans la zone de l'océan Indien, la satisfaction est à peu près correcte, sauf depuis Mayotte qui nécessite un voyage de vingt-quatre heures pour se rendre au Mozambique alors que ce territoire se trouve juste en face. Il est sûr que les échanges seraient plus nombreux en présence de lignes régulières. Il faut donc trouver le bon modèle économique pour ces petites lignes, sans doute en s'inspirant d'exemples qui fonctionnent. J'ai eu vent d'une ligne qui s'était ouverte depuis la Bourgogne Franche-Comté pour gagner Paris, soutenue à l'origine par la collectivité régionale. L'avion de petite capacité mis à disposition à la création de la ligne s'étant rempli rapidement, un avion de plus grosse capacité l'a remplacé, ce qui a permis à la collectivité de se retirer partiellement pour laisser la place à un opérateur privé.

Je confirme que la situation sociale sur les territoires entraîne un impact négatif pour attirer les investisseurs internationaux. Bien entendu, un investisseur international possède la capacité de se projeter à plus long terme, et pourrait être intéressé par un « package » d'arguments à l'appui de son installation sur place.

Dans le cas de Mayotte, nous avons eu des discussions avec des investisseurs du secteur pétrolier, en lien avec les mouvements de Total au Mozambique. L'idée était de faire de Mayotte une base arrière pour les grands projets au Mozambique. L'établissement de taille intermédiaire (ETI) qui souhaitait s'implanter posait deux questions de base, qui m'ont été rapportées par l'agence du développement de Mayotte : si j'investis aujourd'hui, pouvez-vous me garantir la sécurité de mes employés et pouvez-vous me garantir que j'aurai de l'eau pour mener à bien mes opérations ? L'investisseur dont il s'agit a donc exclu à court terme Mayotte de sa réflexion, ce qui ne signifie pas qu'il ne pourrait pas revenir plus tard.

En résumé, la situation sociale est clairement un frein aux implantations.

M. Saïd Omar Oili- Nous avons réalisé des travaux dans la perspective d'une coopération avec le Mozambique, notamment le quai n° 1 du port de Longoni. Le Mozambique s'est donc montré intéressé. Or actuellement, le problème ne provient pas du manque d'eau ni de l'insécurité à Mayotte, mais surtout de l'insécurité au Mozambique. Pour notre part, nous sommes prêts à recevoir Total, mais le blocage vient du Mozambique actuellement.

M. Quentin Geevers. - Je souhaite compléter les échanges sur l'objectif à long terme de notre action, et notamment sur le développement du VIE.

Que ce soit un jeune des outre-mer qui parte à l'étranger ou une entreprise des outre-mer qui emploie un jeune à l'étranger, nous obtenons un résultat immédiat qui est celui de l'internationalisation des outre-mer. Il existe aussi des effets de plus long terme à prendre en considération. En effet, lorsque le nombre de VIE issus des outre-mer augmente, et que les jeunes reviennent ensuite sur leur territoire d'origine enrichis d'une forte expérience internationale, ils deviennent aussi des ambassadeurs de leur territoire à l'étranger.

J'indiquais tout à l'heure que nous avions fêté le 100 000e VIE depuis le début du programme dans les années 2000. Lorsque nous rencontrons à l'étranger des Français qui sont présents pour vendre leurs produits, nous constatons que beaucoup d'entre eux sont d'anciens VIE. Ce programme permet d'intégrer une dimension internationale sur toute une carrière, ce qui est majeur pour le développement des outre-mer.

Mme Micheline Jacques, président. - Sur les 100 000 VIE, combien sont revenus dans leur territoire d'origine pour y développer des entreprises ?

M. Quentin Geevers. - Nous ne disposons pas de statistiques sur les retours car ces mouvements de retours sont difficiles à quantifier. Néanmoins, sur l'ensemble de la carrière, cette idée de l'international est très forte.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Comment ces jeunes sont-ils choisis ? Existe-t-il des critères par territoire ?

M. Johann Remaud. - C'est l'entreprise qui choisit les jeunes. C'est pourquoi nous menons ces actions de sensibilisation auprès des étudiants ultramarins à Paris ou ailleurs, car les entreprises elles-mêmes sont demandeuses de VIE originaires de leur territoire. Nous devons donc amener de plus en plus de jeunes à candidater, et leur faire comprendre que finalement, le fait d'être ultramarin peut aussi représenter un avantage en se positionnant sur certains postes. De nombreux témoins nous l'ont dit.

Bien entendu, l'aspect de financement pris en charge par l'État est attractif. C'est pourquoi nous sensibilisons les jeunes qui effectuent leurs études, à l'intérêt de créer eux-mêmes leur VIE en démarchant les entreprises de leur territoire qui exportent, ou ont des velléités d'exportation. Nous fournissons donc à ces jeunes l'ensemble des arguments pour qu'ils puissent se positionner. L'idéal, pour un jeune partant en VIE pour le compte d'une entreprise ultramarine, serait de rester ensuite dans le groupe, que ce soit sur le territoire ou à proximité. À un moment de sa carrière, il sera susceptible de revenir sur le territoire.

M. Quentin Geevers. - Je précise qu'en application des accords issus de la COP 26 à Glasgow, nous n'envoyons plus de VIE subventionnés par l'État dans tout le secteur des énergies fossiles.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de clore cette audition, je constate que Business France joue un rôle de catalyseur et de fédérateur auprès des CCI et d'appui aux collectivités. La réussite dépend de nombreux facteurs, notamment des stratégies économiques de chaque collectivité ultramarine et de leur volonté de s'organiser au sein d'un même bassin.

Vous avez évoqué le cas des Antilles-Guyane, qui commencent à fédérer des projets. De même, l'activité économique et l'implication des CCI sont des facteurs qui permettent de développer l'entrepreneuriat.

Malheureusement, la mobilité des personnes et des biens reste un frein. Néanmoins, on observe aussi une évolution puisqu'entre 2014 et 2023, le nombre d'entreprises étrangères ayant investi dans les territoires ultramarins est passé de 20 à 38 projets, ce qui représente une dynamique positive.

Nous serons très attentifs à l'évolution et à votre action au bénéfice des territoires ultramarins.

M. Johann Remaud. - Je n'ai pas souligné le volet de communication positive, que nous mettons en place via différents canaux sur les réussites à l'international des territoires et entreprises ultramarins. Lorsque les entreprises, y compris les TPE, ont un pied à l'international, elles souffrent moins.

M. Quentin Geevers. - Je profite de votre fort intérêt pour le développement international des entreprises pour mentionner le plan « Osez l'Export ! », dévoilé par le ministre délégué chargé du commerce extérieur le 30 août dernier, qui comprend notamment un volet dénommé « Parlementaires pour l'export ». Vous avez tous déjà dû recevoir, à l'automne dernier, une brochure. Il s'agit de permettre aux députés et sénateurs qui le souhaitent, de s'investir davantage, avec l'accompagnement de Business France, au profit des entreprises de leur département, notamment dans le cadre de l'organisation d'évènements.

Je me tiens à votre disposition pour davantage d'informations.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci à vous. Nous sommes attentifs à toutes les contributions que vous souhaitez apporter à la délégation, y compris les idées que nous n'aurions pas évoquées ce soir.

Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - Audition de MM. Hervé Mariton, président, et Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale, Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)

Mme Micheline Jacques, président. - Nous auditionnons à présent M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération régionale. Il est accompagné de Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale.

Madame, Monsieur, nous vous remercions vivement d'avoir répondu à notre invitation.

Nous venons d'échanger avec Business France et attendons que vous nous apportiez, à votre tour, votre regard sur le sujet de l'insertion régionale des économies ultramarines.

Quels atouts et quels freins identifiez-vous ? Une meilleure intégration régionale peut-elle, selon vous, être un levier de lutte contre la vie chère ? À votre connaissance, la mise en oeuvre de la mesure 9 du CIOM - définir des stratégies commerciales par bassin - est-elle avancée ?

Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur l'action des opérateurs publics - qui sont nombreux : collectivités, Business France, Banque des territoires, Banque publique d'investissement (BPI), Agence française de développement (AFD), CCI, Services économiques dans les pays voisins...- pour développer le rayonnement économique régional des outre-mer ?

Nous savons également que, comme notre délégation, vous vous préoccupez de l'adaptation des modes d'action de l'État et que vous avez des réflexions à partager sur ce thème qui est au coeur de notre seconde étude en cours, bien que celle-ci ne soit pas l'objet principal de votre audition aujourd'hui.

Les préfets qui disposent d'un pouvoir de dérogation depuis le décret de 2020 l'utilisent-ils, par exemple, en matière économique pour débloquer des situations ? Si oui, faut-il l'étendre encore ?

Vous avez pointé depuis longtemps la question de la production de données statistiques fiables sur les outre-mer. Selon vous, la situation s'améliore-t-elle ? Comment aller plus loin ?

Voici quelques-unes des problématiques sur lesquelles nous souhaitions vous entendre.

Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents développer tous ces sujets et ils vous interrogeront après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.

M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM). - Pour répondre très directement à votre question, ce sujet de la coopération régionale est régulièrement abordé par nos adhérents - la FEDOM est une association d'entreprises et d'organisations d'entreprises présentes dans tous les outre-mer - mais ne figure pas au centre de leurs préoccupations. Je pense que c'est déjà un élément en soi : le sujet n'est pas absent du « scope » mais est rarement perçu comme central, dût-on le regretter.

Le thème de la coopération régionale est assez présent dans le discours et l'action politiques. L'articulation de l'échelon politique avec la vie économique, qui n'est jamais simple en outre-mer, est encore plus compliquée s'agissant de la coopération régionale. Lorsqu'on observe la chronique médiatique, on constate une relation politique assez régulière entre les élus des territoires et leurs environnements régionaux. Les conséquences économiques de ces échanges sont néanmoins plus discrètes.

Par conséquent, la coopération régionale est clairement un sujet politique, qui devrait sans doute davantage être un sujet économique. Je dirai même que la dimension économique n'est pas la première dimension de la coopération régionale pour les acteurs régionaux, en particulier les élus des territoires concernés. Ce propos est général et comporte évidemment un certain nombre d'atténuations. Pour autant, c'est une réalité.

En deuxième lieu, s'agissant des atouts et des freins, la présence géographique dans les territoires est une donnée importante, ces territoires étant tous insulaires, à l'exception de la Guyane. Lorsqu'on parle d'économie, même la Guyane est assez souvent perçue sur le plan économique comme une île, ce qui pose une sorte de distance par rapport aux environnements régionaux.

Le président de la République, à l'occasion de son récent déplacement, a souligné les relations de proximité, y compris sur le terrain économique. Un certain nombre de chefs d'entreprise de Guyane étaient présents parmi sa délégation au Brésil dans les jours qui ont suivi sa visite en Guyane, ce qui constitue une excellente initiative. Il reste que, sur la plupart des territoires, y compris lorsque la question du développement des relations régionales est posée à Business France, les réponses sont discrètes et timides. Le sujet est similaire concernant nos services économiques régionaux. J'ai eu l'occasion d'échanger il y a un peu plus d'un an avec les représentants de Business France à Sydney, et la réponse était assez rapidement un constat d'étonnement : de quels types de flux parlait-on ? Que s'agirait-il d'exporter ?

Nous partons donc d'une situation très modeste et de questions souvent renouvelées auprès des services publics, qui prennent l'habitude de répondre qu'en vérité, il n'y a pas tant de choses que cela à décrire en matière de coopération économique régionale.

S'agissant des différentes catégories de freins, il peut aussi y avoir un certain nombre de freins politiques très légitimes que nous-même, en tant qu'association d'entreprises, n'avons pas à qualifier. Lors de notre dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, nous avions été interpellés sur des intentions côté australien, d'importation de minerai à teneur relativement modeste pour un processus de transformation écologiquement pertinent. Cette possibilité d'échanges se heurtait clairement à un positionnement en termes de « doctrine nickel » et à des conditions de décision des autorités locales.

Récemment - et cela a fait la une de la presse - une compagnie de croisières américaines, Virgin Croisières, a annoncé son choix d'abandonner l'escale de Pointe-à-Pitre pour la suite de son programme de cette année, en raison de très mauvais retours d'expérience de la part de ses clients. Or, cette escale s'insérait dans un ensemble d'escales dans la Caraïbe, ce qui correspondait à une économie touristique régionale. Le frein, ici, était perçu en termes d'offre : à tort ou à raison, les croisiéristes de Virgin se sont exprimés défavorablement dans leur questionnaire de satisfaction.

Grâce au très heureux vote du Sénat, nous essayons de promouvoir le duty-free croisiéristes à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et sur quelques autres destinations. C'est un peu compliqué si les compagnies de croisières considèrent elles-mêmes, au fond, que Pointe-à-Pitre n'aurait malheureusement pas sa place.

Il existe un grand écart entre ce que les marchés régionaux peuvent fournir à nos territoires et à l'inverse, ce que nos territoires peuvent fournir aux marchés régionaux. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas de possibilités, mais elles sont difficiles à accomplir du fait des coûts salariaux côté français. De plus, dans certains cas, nous ne sommes pas tant en complémentarité qu'en concurrence. Nous pourrions être en complémentarité dans des domaines non marchands, tels que l'économie de la santé. Je pense notamment au positionnement de La Réunion en la matière, et en particulier aux traitements de l'insuffisance rénale, mais cela fait souvent appel à des marchés plus lointains. Nous savons en outre que la marchandisation des soins, y compris pour des publics non français, n'est pas l'une de nos spécialités. En termes de complémentarité, nous pourrions aussi sans doute considérer l'enseignement supérieur, mais là non plus nous ne sommes pas spécialistes dans la marchandisation.

La situation est évidemment très différente selon les territoires. À Saint-Pierre-et-Miquelon, la relation avec l'économie canadienne est tellement forte qu'il existe évidemment une coopération régionale, même si elle bute parfois sur des difficultés liées aux normes. Il s'agit d'ailleurs aussi de normes de méthodes, à l'instar des échafaudages à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il existe aussi des phénomènes paradoxaux de produits qui arrivent dans de meilleures conditions tarifaires depuis l'Hexagone jusqu'au Canada, que depuis l'Hexagone vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour l'attractivité du territoire, il ne s'agit pas d'un atout.

S'agissant des normes, sur lesquelles la FEDOM travaille beaucoup, en particulier dans le domaine du bâtiment, le CIOM de juillet avait évoqué le marquage RUP, terminologie qui nous paraît impropre. L'idée est plutôt d'avoir, non pas une marque RUP mais, dans le cadre d'une analyse locale, une admission de produits qui ne répondent pas exactement aux contraintes communautaires, mais qui ont du sens pour le marché local. Ce dispositif devrait permettre d'accueillir, dans le cadre d'une coopération régionale, des produits moins chers que ceux venus d'Europe, avec toutefois le souci suivant : comment s'ouvrir à des importations régionales tout en répondant aux enjeux de la production locale ? À quelles normes ne veut-on pas renoncer pour des enjeux environnementaux, sanitaires ou d'emploi ?

Globalement, l'écosystème local tient à la présence d'une raffinerie à Fort-de-France, qui apporte des produits conformes aux règles européennes, ce qui ne serait pas le cas d'hydrocarbures en provenance de Trinidad. Cette raffinerie assure aussi un certain nombre d'emplois industriels dans une économie qui en manque. En tout état de cause, le schéma que nous connaissons amène probablement un produit plus coûteux que ne le serait un produit intégré régionalement dans le cadre d'un flux d'importations venant de Trinidad, mais il s'agit ici de choix politiques et économiques.

En préparant cette audition avec nos adhérents, ceux-ci ont évoqué notamment le sujet des financements des implantations d'entreprises venant de nos territoires sur les secteurs voisins. L'économie des outre-mer est très largement armée par des PME structurées pour aller à l'étranger, mais qui éprouvent des difficultés à trouver des financements pour leurs projets qui sont en-deçà de la maille traitée habituellement par les opérateurs. Il s'agit donc d'un problème d'accès au marché du financement. Parfois, des difficultés procédurales aboutissent, pour les entrepreneurs ultramarins, à passer par un marché intermédiaire. Par exemple, un entrepreneur de La Réunion a constitué une entreprise à l'île Maurice pour affronter le marché tanzanien. Vue de France, cette situation n'est pas idéale, mais elle est pourtant vécue par cet entrepreneur qui a tenu à témoigner.

Les entreprises locales ont parfois le sentiment d'être victimes d'ajustements politiques. Le sénateur Georges Patient dirait sans doute des choses plus justes que moi, mais je souhaite évoquer le monde de la pêche en Guyane, qui a eu le sentiment d'être victime d'arbitrages et de négociations politiques. Il prétend en effet avoir été, à un moment de son histoire, victime d'arbitrages franco-français consistant à minorer les intérêts de la pêche pour privilégier la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de drogue.

Par ailleurs, le manque de conditionnalité des aides européennes et la concurrence éventuelle qui en résulte sur les marchés tiers ou ultramarins, est un vrai sujet.

En outre, l'intégration régionale se heurte à des constats opérationnels lorsque la société Orange installe des centres d'appels à Maurice plutôt qu'à La Réunion pour des raisons de compétitivité. Je pense que nous pourrions accomplir des progrès sur le terrain des normes, en particulier dans le domaine du bâtiment.

Des progrès nécessitent en outre d'être accomplis en matière de financement. Les difficultés pourraient paraître quelque peu surprenantes puisque des banques des outre-mer sont aussi présentes sur les marchés voisins.

Il y a des ambitions, mais qui se heurtent à des problèmes géostratégiques. Ainsi, Mayotte avait imaginé se positionner comme base arrière des activités de Total en Afrique orientale. Or, la situation sur ce dernier territoire n'est pas simple. De ce fait, les ambitions fortement marquées de Mayotte et de Total ont été affaiblies des deux côtés du canal du Mozambique. Enfin, il n'est pas évident qu'un cadre de Total ait envie de se rendre à Mayotte dans le contexte actuel, ce dont il faut aussi être conscient.

Nous avons des ambassadeurs dans ces bassins. Je pense que davantage de leur énergie devrait être mise sur le terrain de la coopération économique. Lors de la commission économique de la FEDOM qui s'est tenue cet après-midi, nous avons abordé ce sujet. Certes, les chefs d'entreprise n'attendent pas de miracle des délégations publiques, mais ils aimeraient être davantage associés aux déplacements politiques des élus dans les territoires. En effet, lorsque les milieux économiques organisent les déplacements, ils pensent en général aux acteurs de proximité. Les ministres ont aussi pris cette habitude, même si elle n'est pas généralisée.

Les questions d'intégration régionale se posent aussi dans le domaine des transports, en particulier dans le transport maritime, avec des liaisons très marquées sur la métropole mais pas uniquement. Je pense aux Antilles-Guyane mais aussi à la desserte de l'océan Indien et du Pacifique. Cela peut aussi être le cas dans le transport aérien. Toutefois, les compagnies aériennes nous indiquent qu'elles gagnent de l'argent sur les relations régionales intra-françaises mais qu'elles en perdent au-delà des territoires français.

La coopération régionale concerne aussi les entreprises extérieures qui viennent sur nos territoires, mais qui ne sont pas toujours accueillies avec un enthousiasme débordant. Les entreprises mauriciennes ont pourtant des enjeux importants à La Réunion. Mon propos est tout de même atténué par le fait que dans une certaine discrétion, des acteurs de la Nouvelle-Calédonie ont des enjeux en Australie, tout comme des acteurs de Maurice ont des enjeux à Madagascar. Les entreprises ne se développent pas toujours sur les territoires les plus proches, pour des raisons de taille. En définitive, les relations existent mais ne se conçoivent pas très articulées avec la coopération régionale au sens politique du terme. De surcroît, la coopération économique est peu articulée avec la coopération politique.

Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale de la FEDOM. - Lorsque des relations se créent, elles peuvent être discrètes et sans publicité. De plus, sur le plan économique, le brouillage peut provenir du rôle des grandes structures régionales de type Commission de l'océan Indien (COI), qui travaillent quelque peu en chambre. Je pense qu'il y aurait sans doute un audit à réaliser sur le rapport coût-efficacité de ces structures très consommatrices de fonds publics, notamment français.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Je salue le président Hervé Mariton, que je me félicite de retrouver au Sénat, après l'avoir côtoyé pendant quelques mandats à l'Assemblée nationale.

Pourriez-vous nous rappeler quelques informations sur la FEDOM, son statut, son organisation, son histoire et son financement ? Quels liens entretenez-vous avec les organisations patronales connues, telles que le MEDEF et les organisations patronales locales ?

Pourriez-vous nous donner votre vision de la situation mahoraise ? Nous avons entendu qu'un certain nombre d'entreprises étaient en très grande difficulté et qu'elles risquaient de disparaître.

M. Hervé Mariton. - Monsieur le sénateur, le plaisir et l'honneur sont partagés.

La FEDOM est une association loi de 1901 à but non lucratif, dont les membres se répartissent en trois catégories : les organisations d'entreprises (MEDEF territoriaux, associations de promotion de l'industrie, CPME, CCI, fédérations de branches, clusters maritimes et numériques), les entreprises ultramarines d'une certaine taille adhérentes directes, et les entreprises nationales ayant des enjeux outre-mer (Total Energies, Air France, Vinci, Orange...).

La FEDOM vit des cotisations de ses adhérents, avec lesquels nous entretenons un lien comme il sied à toute association. C'est une toute petite structure dotée d'un président, d'un bureau, d'un conseil d'administration et d'une petite équipe de quelques permanents, auxquels s'ajoutent parfois des alternants de talent.

À Mayotte comme souvent en outre-mer, notre message est d'insister sur l'importance des enjeux économiques, tout en respectant les débats institutionnels et régaliens. Ces sujets ne sont d'ailleurs pas déconnectés puisque les économies ultramarines ont besoin de sécurité. L'insécurité peut aussi provenir de considérations régionales telles que l'immigration clandestine, le trafic de drogue, l'orpaillage...

À la FEDOM, nous sommes perplexes face à l'énergie mise sur des enjeux institutionnels ne paraissant pas centraux. Par conséquent, une partie de notre message dans le cadre de la crise connue par Mayotte ces dernières semaines, a consisté à recommander de ne surtout pas oublier l'économie. Nous sommes intervenus auprès du Gouvernement pour que ses représentants rencontrent les acteurs économiques de Mayotte qui, à un moment de la crise, se sentaient très délaissés. Par la suite, ils ont été satisfaits que le Gouvernement déploie beaucoup d'énergie pour le rétablissement de l'ordre, de la sécurité et de la liberté de mouvement, tout en ayant le sentiment que la situation économique n'était pas regardée avec assez d'attention.

Par ailleurs, à Mayotte, encore davantage que sur les autres territoires ultramarins, l'importance du travail informel est un phénomène significatif. Lorsque j'étais parlementaire, le préfet de Mayotte m'expliquait la densité de la relation avec les Comores en raison des communications téléphoniques avec ce territoire. Je serais curieux de connaître les chiffres des transferts d'argent - par le biais notamment de Western Union - entre Mayotte et les Comores, qui expriment une forme d'interaction régionale, sinon de coopération.

L'économie à Mayotte bouge car il y a beaucoup d'argent. Il y a aussi une interaction très forte avec La Réunion. Cette interaction n'est d'ailleurs pas toujours flatteuse pour Mayotte, car elle provient de ces cadres d'entreprise qui sont présents pendant quinze jours, pour alterner avec un séjour de quinze jours à La Réunion, où demeure leur famille. Finalement, cette coopération que j'évoque est une coopération régionale inter-DROM entre La Réunion et Mayotte.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure pour le bassin océan Pacifique. - Merci pour vos propos très clairs et votre vision de nos territoires. Vous avez pointé le décalage entre le politique en matière de coopération régionale, et le volet économique où vous parlez davantage d'« interaction ». Pour une véritable coopération régionale en matière économique, comment envisagez-vous l'aspect diplomatique ? Lorsque vous évoquez le politique, vous pensez sans doute davantage à l'exécutif territorial, mais en matière territoriale un volet diplomatique et stratégique est souvent en jeu.

Concernant l'octroi de mer, qui est une question d'actualité, le considérez-vous comme un frein pour les entreprises ou un outil ? Dans sa version actuelle, protège-t-il les entreprises ultramarines ou s'agit-il d'une taxe à revoir ?

M. Hervé Mariton. - J'ai en effet fait référence, dans mon propos, aux élus territoriaux. Sur l'aspect diplomatique, je pense qu'il existe en partie une problématique de type « poule et d'oeuf ».

Lors d'une rencontre avec notre ambassadeur en Inde et son collaborateur, peu de temps après l'interruption de la liaison aérienne entre Saint-Denis de La Réunion et Chennai, j'ai trouvé cet interlocuteur intéressé par les enjeux touchant La Réunion. Mais j'ai pu constater que ce volontarisme n'était pas communément partagé dans tous les pays de la zone régionale. Il m'apparaît par conséquent que le Gouvernement pourrait donner pour instruction à des représentations diplomatiques de garder un oeil sur les relations ayant un impact commercial pour les outre-mer.

Je devais rencontrer le directeur général du Trésor avant qu'il ne devienne Directeur de cabinet du Premier ministre. Le rendez-vous a donc été reporté avec son successeur. Je souhaiterait notamment évoquer avec ce dernier un grand nombre de sujets, parmi lesquels celui de savoir si, au Trésor, il y a un certain investissement sur le sujet de la relation de nos outre-mer avec leur environnement régional. C'est sans doute le cas, mais je n'en connais pas les proportions. Cette question de la coopération régionale pourrait utilement être étudiée au sein du Trésor.

À la FEDOM, nous défendons l'octroi de mer en tant qu'outil de compensation en faveur de la production locale. Nous n'avons pas d'ambiguïté sur le sujet car il s'agit de notre mandat.

Mme Françoise de Palmas. - Le terme « protection » pourrait heurter Bruxelles. Pourtant, si les entreprises éprouvent des difficultés à exporter leurs produits dans la zone, c'est bien parce qu'elles se trouvent dans une situation d'étroitesse de marché et d'absence d'économies d'échelle, ayant pour conséquence un handicap de compétitivité. Le différentiel d'octroi de mer, tel qu'autorisé par Bruxelles, n'a pas pour objet de protéger les entreprises faibles mais de compenser des handicaps structurels.

C'est à ce titre que la Commission de Bruxelles et la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont autorisé le différentiel d'octroi de mer, car il compense des handicaps reconnus à de multiples reprises, notamment par l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est donc bien à ce titre qu'il nous paraît plus prudent d'employer le terme de « compensation » plutôt que celui de « protection », qui est inaudible à Bruxelles.

Les pays des zones avoisinantes ont longtemps fait de l'octroi de mer un cheval de bataille, mais il faut bien avoir à l'esprit que l'octroi de mer taxe aussi les produits en provenance de métropole. Il ne s'agit donc pas d'une taxe équivalant à un droit de douane. À l'inverse pour exporter à Maurice ou Madagascar, les outre-mer sont soumis à un droit de douane tout à fait spécifique.

Mme Audrey Bélim. - Je poursuis sur l'octroi de mer car je tiens à réitérer mon inquiétude concernant cette réforme. Nous avons le sentiment que le Gouvernement souhaite définir d'ici l'automne, pour une entrée en vigueur au 1er janvier prochain, un nouveau dispositif. Or, à La Réunion, nous demandons la transparence sur la formation des prix, que nous ne parvenons pas à obtenir. Il existe par conséquent un manque de concertation avec le Gouvernement sur le sujet, qui est très inquiétant pour nous, collectivité.

L'opinion accuse l'octroi de mer d'être responsable de la vie chère dans les outre-mer. Nous avons bien compris les explications du Premier Président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, lors de sa visite à La Réunion. Nous avons même apprécié ces échanges, car il a apporté des éclaircissements nécessaires sur le fait qu'il ne parlait pas de suppression, mais bien de réforme de l'octroi de mer.

Je note cependant que vous avez indiqué : « Il est d'ailleurs à peu près évident qu'un système qui viserait à augmenter la TVA afin de compenser les pertes de recettes consécutives pour les collectivités, conduirait à un renchérissement certain du prix des services, aujourd'hui non assujettis à l'octroi de mer, dans un contexte où l'essentiel de la consommation des ménages des DOM est lié aux services ».

Finalement, la FEDOM pourrait-elle nous aider dans notre posture face à l'octroi de mer, qui doit être proactive, pour ne pas le subir ? Disposez-vous d'études d'impact sur les conséquences pour l'activité économique, l'emploi, le pouvoir d'achat dans les outre-mer, notamment liées au renchérissement du coût des services ?

M. Hervé Mariton. - Nous sommes au-delà de l'étude sur la coopération régionale mais je réponds bien volontiers sur ce sujet important.

Je confirme que nous ne disposons pas de tous les chiffres. Les carences de l'approche statistique sur les outre-mer sont évidentes - malgré quelques statistiques de l'Insee - de sorte que le retard à rattraper est grand.

Si le Gouvernement entend mettre en oeuvre une réforme dès le projet de loi de finances (PLF) 2025, au vu des différences de points de vue au sein de l'appareil étatique et indépendamment du fond, je crains que les choses ne soient très fragiles. Ces sujets demandent une préparation de calcul extrêmement soigneuse, et nous sommes déjà en avril.

L'an dernier pour le PLF 2024, un travail extrêmement cabossé - parce précipité - a été mené sur les aides fiscales à l'investissement. Pour l'octroi de mer, il faut prendre garde à cela.

En matière de transparence, l'économie de nos outre-mer est souvent plus administrée que celle des territoires voisins. Je me permets d'indiquer, Madame la sénatrice, que la transparence est une notion assez ambigüe. J'ai exercé la fonction de ministre des outre-mer assez brièvement, mais j'ai mis en place les observatoires sur les marges et les prix en 2007. Je considère qu'il est essentiel de mener ce travail cognitif, ce qui confère aux observatoires une place importante.

Dans une économie de marché, vous n'aurez jamais une parfaite transparence de la formation des prix, car à un certain moment, on entre dans le domaine de la « recette de cuisine ». Il m'apparaît par conséquent que la prudence est de mise. À titre d'exemple, les marchés pétroliers outre-mer sont des domaines très administrés, ce qui relève d'un choix sans doute légitime. Néanmoins, lorsqu'on décide d'administrer un secteur de l'économie, il ne faut pas trop en faire. L'octroi de mer n'est pas le seul composant de la vie chère, car il n'y a pas de facteur unique. L'Autorité de la concurrence a travaillé sur ce sujet. Toute taxe, de quelque nature qu'elle soit, fait partie du prix. En d'autres termes, tout impôt finit par être payé par le consommateur.

M. Saïd Omar Oili- Vous avez évoqué les normes, et vous vous êtes interrogé sur celles que nous voulons et celles que nous ne voulons pas. Pendant la crise de l'eau à Mayotte, le Gouvernement, dérogeant aux normes régissant l'importation des bouteilles d'eau, en a importé de Maurice alors même que cette pratique était interdite aux commerçants. J'ai moi-même bu cette eau, et comme vous le constatez, je suis bien portant.

Par ailleurs, pour répondre à l'insuffisance des capitaux dans les outre-mer, l'investissement se fait souvent par l'endettement des entreprises. Dans les DOM, les coûts de production sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs, ce qui participe de la vie chère. À l'inverse les coûts de production dans les pays voisins sont beaucoup plus bas.

Je souhaite que nous évoquions aussi les retards de paiement, qui représentent des difficultés supplémentaires pour de nombreuses entreprises de nos territoires.

M. Hervé Mariton. - Les délais de paiement font partie de l'insécurité économique. Nous souhaiterions, à l'occasion des débats prochains autour de la loi Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte 2) et des mesures de simplification - sur lesquels le Sénat est particulièrement attendu - que l'exécutif, ou le législatif à l'occasion des débats, prennent des engagements sur l'amélioration des délais de paiement.

Pour revenir à la coopération régionale, il importe de comprendre que les délais de paiement représentent une éviction d'intérêts extérieurs. Ce sujet est à l'évidence un élément négatif dans la balance des investisseurs extérieurs, lorsqu'ils songent à l'économie ultramarine. Cette attrition de la concurrence et de l'engagement de capitaux est un élément de la vie chère. Les délais de paiement sont une explication de la vie chère puisque les entreprises locales, moins nombreuses et peu exposées à la concurrence, se rattrapent sur le prix.

En Guyane, le président de la République a invité les élus locaux à lui faire des propositions en matière de réforme institutionnelle. Il leur a rappelé, notamment, qu'il existait des possibilités d'adaptation au titre de l'article 73 de la Constitution, qui n'étaient pas toujours mises en oeuvre sur les territoires. À la FEDOM, nous insistons aussi beaucoup sur le pouvoir de dérogation des préfets.

Il est toujours délicat pour nous de faire comprendre à des élus, que les institutions ne sont pas les seuls éléments sur lesquels ils doivent travailler. Nous ne nous privons cependant pas de les interpeller à ce sujet. Puisque vous évoquez le terrain normatif et la possibilité d'une meilleure coopération internationale, je pense qu'il existe des marges à ce sujet.

Heureusement qu'en présence d'une situation d'urgence absolue telle que vécue à Mayotte, nous sommes capables de déroger.

Pendant la crise Covid, alors que je n'étais pas encore président de la FEDOM, j'avais considéré que cette crise pouvait être facteur d'accélération de la mise en oeuvre du pouvoir dérogatoire des préfets. L'État n'a pas eu ce courage, malheureusement.

Sur l'insuffisance des capitaux, nous insistons beaucoup sur la nécessité de favoriser la collecte des fonds propres outre-mer. Les entreprises ultramarines souffrent en effet d'une insuffisance de leurs capitaux. Mes mandants, qui sont pour l'essentiel des entreprises locales, ont vocation à être soutenus et encouragés. Quand une grande entreprise nationale abandonne les outre-mer car les délais de paiement sont insupportables, ce n'est jamais une bonne nouvelle. Quand des acteurs étrangers s'intéressent aux outre-mer puis font marche arrière, il en va de même.

La prospérité économique des outre-mer ne permet pas que des barrières aussi importantes soient présentes partout.

M. Saïd Omar Oili. - L'État est venu à Mayotte pendant la crise que nous avons connue dernièrement. Le montant des aides proposées aux entreprises n'était que de 4 000 euros.

M. Hervé Mariton. - Cette somme paraît faible.

M. Georges Naturel. - Nous avons auditionné, il y a un mois, le directeur de l'IEDOM, qui devrait produire un rapport prochainement sur les relations commerciales dans nos territoires. Nous disposerons donc, à cette occasion, d'intéressants éléments d'ordre général.

En Nouvelle-Calédonie, où vous étiez il y a peu, vous avez rencontré le monde économique. À cette occasion, nous avons abordé la crise institutionnelle que nous vivons. Le président de la CCI était également présent lors de votre visite, car nous subissons aussi une crise économique et sociale en Nouvelle-Calédonie.

Vous avez donc raison sur le fait que certes, la problématique institutionnelle existe, mais que nous devons aussi traiter le sujet du développement économique. Je ne m'étendrai pas ici sur la crise du nickel, qui représente une vraie problématique.

En tout état de cause, la Nouvelle-Calédonie possède un tissu économique très vivant, avec peu de consommateurs mais des voisins tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande. J'ai rencontré les consuls de ces deux pays, avec lesquels un réchauffement de nos relations s'est produit. Ils ne demandent donc qu'à se rapprocher de nous économiquement, en incluant la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Quelle appréciation portez-vous sur l'action des opérateurs publics sur nos territoires ? En Nouvelle-Calédonie, la situation est quelque peu complexe car les compétences sont partagées entre le territoire et l'État. Bercy et le Quai d'Orsay sont très vigilants, ce qui pourrait constituer des blocages parfois, mais les entreprises aspirent à se développer.

Que pensez-vous du fait que les collectivités tentent d'accompagner au mieux les entreprises pour un développement régional ?

M. Hervé Mariton. - La question de l'environnement régional est en effet appréhendée de manière particulière en Nouvelle-Calédonie. J'étais présent sur ce territoire en juin 2023, et ai prévu d'y retourner le mois prochain.

Nous avons posé un constat partagé avec Business France, à savoir qu'il était important que tous les acteurs prennent leur part dans le développement de la coopération régionale, y compris les instances consulaires. La CCI de Nouvelle-Calédonie est ambitieuse sur le sujet des relations régionales.

Tout à l'heure, j'ai fait allusion à cette proposition de toutes petites quantités de minerai entre la Nouvelle-Calédonie et l'Australie. Sur ce sujet, le Gouvernement de la République est prudent car il existe une compétence de territoire. J'avais moi-même été amené à intervenir, à l'époque, auprès de Franck Riester, sur une convention de bonnes pratiques à Fidji, avec un retour de bons procédés de Business France en Australie. Les courriers n'étaient jamais signés car le ministre n'osait pas toucher à une prérogative du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

La situation est donc compliquée en raison des compétences institutionnelles de Nouvelle-Calédonie, qu'il convient de respecter.

M. Georges Naturel. - À chacun de ses déplacements en Nouvelle-Calédonie, le président de la République nous parle de l'axe Indopacifique. En ce qui nous concerne, il nous importe de savoir comment la Nouvelle-Calédonie s'inscrit dans cet axe, dont fait partie le développement économique.

M. Hervé Mariton. - Je vais vous raconter une anecdote. Je suis membre de la World Policy Conference (WPC), organisation internationale sous l'égide de Thierry de Montbrial, fondateur de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Lors d'une table ronde sur l'Indopacifique organisée à l'automne 2022, présidée par un Français, je me trouvais dans la salle. Pas un mot n'a concerné la France. Je suis donc intervenu, à partir de la salle, en demandant au panel si la France était une anecdote dans l'Indopacifique. La réponse à mon interpellation a été un « blanc ».

Étant d'un naturel tenace, l'année suivante, en octobre 2023, je me suis imposé dans le panel. J'ai parlé à cette occasion de la France dans l'Indopacifique, en particulier de la Nouvelle-Calédonie, de Mayotte, de La Réunion, de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française. Le modérateur du panel avait trouvé mon propos pertinent. Pour le dire autrement, les choses ne viennent pas seules.

En définitive, pour être ambitieux et présenter l'Indopacifique vu de France et accroître l'intégration et la coopération régionales, le travail est encore long.

Mme Micheline Jacques, président. - La norme RUP rejoint une recommandation de la délégation sénatoriale aux outre-mer dans son rapport sur la politique du logement outre-mer. Le concept a peut-être mal été compris, mais il s'agissait de trouver des équivalences. Nous trouvions en effet surprenant de faire venir du bois de Norvège pour les charpentes en Guyane, alors que ce territoire regorge de bois. De plus, pour utiliser le bois du Brésil voisin, il arrive qu'il traverse à deux reprises l'Atlantique pour obtenir un tampon « norme européenne ». C'est donc précisément dans ce souci de limiter l'empreinte carbone et d'avoir des coûts réduits pour la construction en outre-mer, que nous avons envisagé la norme RUP.

Vous connaissez mon attachement au sujet de la révision constitutionnelle, mais je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur ce point. L'expérience montre, pour les avoir expérimentées en Martinique et en Guadeloupe, qu'il existe un réel problème de coûts en matière de dérogations et habilitations. Il appartient en effet aux collectivités de préparer et demander l'autorisation. De surcroît, en la matière, il s'agit d'un prêt de compétence et non d'un transfert de compétence.

Par ailleurs, la loi avait donné un pouvoir de dérogation aux agences régionales de santé (ARS). Pour le moment, aucune collectivité d'outre-mer ou nationale n'a pleinement utilisé ce pouvoir. Par conséquent, s'il est toujours intéressant d'avoir des outils, j'estime que les élus sont les représentants du peuple qui sont les plus à même de mettre en place la politique qu'ils désirent sur leur territoire.

Enfin, vous avez commencé votre propos en indiquant que la coopération était un sujet régulièrement abordé, mais qu'il ne figurait pas au centre des priorités des entreprises ultramarines. Puis, au fil de l'évolution de l'audition, vous avez regretté que le secteur économique ne soit pas associé à la discussion des politiques lors des déplacements. Par conséquent, comment harmoniser et ouvrir la discussion entre les politiques et le secteur économique, pour fluidifier les relations en matière de coopération régionale ?

Merci infiniment pour vos éclairages. Nous restons donc très attentifs à vos travaux. N'hésitez pas à nous faire parvenir vos suggestions pour enrichir notre rapport.