Mardi 21 mars 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales - Examen des amendements au texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Après l'article 2 bis

Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement n°  52 vise à mettre à jour l'article 380 du code civil en supprimant la référence au « droit de garde », qui n'existe plus depuis 1987.

L'amendement n°52 est adopté.

Article 3

L'amendement de précision n°  53 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 2

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  13 rectifié bis, 19, et 46.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je propose un avis favorable à l'amendement n°  30 qui supprime la mention de l'alternative que constitue un retrait de l'exercice de l'autorité parentale.

La commission émet un avis favorable à l'amendement no 30.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement no  7 rectifié ter.

Après l'article 2 ter

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  1 rectifié et 32 rectifié.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - J'émets un avis favorable à l'amendement n°  33 rectifié s'il est modifié par le sous-amendement de précision n°  54.

Le sous-amendement n° 54 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 33 rectifié, sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 54.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  50 rectifié bis et 24 rectifié.

Après l'article 3

Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement no  14 rectifié, les amendements identiques nos  2 rectifié et 23 rectifié, ainsi que les amendements nos  16 rectifié, 17 rectifié et 15 rectifié apparaissent irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution, car l'infraction de la non-représentation d'enfant ne présente pas de lien avec le texte.

L'amendement n° 14 rectifié, les amendements identiques nos 2 rectifié et 23 rectifié, et les amendements nos 16 rectifié, 17 rectifié et 15 rectifié sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution, de même que l'amendement n°  49 rectifié.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  43.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Les amendements nos  37, 34, 35 et 38 sont irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution, car l'ordonnance de protection ne présente pas de lien avec le texte.

Les amendements nos 37, 34, 35 et 38 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  36.

Après l'article 3 bis

Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement n°  5 rectifié ter est déjà satisfait. Retrait ou avis défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 5 rectifié ter et, à défaut, y sera défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  40.

Article 4 (supprimé)

L'amendement n°  4 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Après l'article 4 (supprimé)

L'amendement n°  39 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article additionnel après l'article 2 bis

Mme MERCIER,

rapporteur

52

Adopté

Article additionnel après l'article 2 ter

Mme MERCIER,

rapporteur

54

Adopté

Article 3

Mme MERCIER,

rapporteur

53

Adopté

La commission donne les avis suivants sur les amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er

Mme COHEN

22

Défavorable

Mme VÉRIEN

44 rect.

Défavorable

Mme BILLON

45

Défavorable

Mme HARRIBEY

25

Défavorable

Mme HARRIBEY

26

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

3

Défavorable

Mme HARRIBEY

27

Défavorable

Mme HARRIBEY

28

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

9 rect. bis

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

8 rect. bis

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

10 rect. bis

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

11 rect. bis

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

12 rect. bis

Défavorable

Mme HARRIBEY

29

Défavorable

Article 2

Mme ROSSIGNOL

13 rect. bis

Défavorable

Mme COHEN

19

Défavorable

M. MOHAMED SOILIHI

46

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

30

Favorable

M. BONNEAU

7 rect. ter

Défavorable

Article 2 ter

M. MOHAMED SOILIHI

47

Défavorable

M. BONNEAU

6 rect. ter

Défavorable

Article additionnel après l'article 2 ter

Auteur

Avis de la commission

Mme Valérie BOYER

1 rect.

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

32 rect.

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

33 rect.

Favorable si rectifié

Mme ROSSIGNOL

50 rect. ter

Défavorable

Mme COHEN

24 rect.

Défavorable

Article 3

Mme COHEN

20

Défavorable

Mme COHEN

21

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

18 rect. bis

Défavorable

M. MOHAMED SOILIHI

48

Favorable

Mme HARRIBEY

31

Défavorable

Mme HARRIBEY

41

Défavorable

Article additionnel après l'article 3

Mme ROSSIGNOL

14 rect. bis

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme Mélanie VOGEL

2 rect.

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme COHEN

23 rect.

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

16 rect. bis

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

17 rect. bis

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

15 rect. bis

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

49 rect. bis

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme HARRIBEY

43

Défavorable

Mme ROSSIGNOL

37

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme HARRIBEY

42

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

34

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

35

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

38

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Mme ROSSIGNOL

36

Défavorable

Article additionnel après l'article 3 bis

M. BONNEAU

5 rect. quinquies

Défavorable

Mme HARRIBEY

40

Défavorable

Article 4 (Supprimé)

Mme Mélanie VOGEL

4 rect.

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

Article additionnel après Article 4 (Supprimé)

Mme ROSSIGNOL

39

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 22 mars 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30

Réforme de la procédure pénale - Audition de Mmes Coralie Ambroise-Castérot, professeur à l'université Côte d'Azur, et Évelyne Bonis, professeur à l'université de Bordeaux, et de M. Antoine Botton, professeur à l'université Toulouse 1 - Capitole

M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Évelyne Bonis, professeur à l'université de Bordeaux, M. Antoine Botton, professeur à l'université de Toulouse-I-Capitole et, en visioconférence, Mme Coralie Ambroise-Castérot, professeur à l'université Côte d'Azur. Je vous prie d'excuser le professeur Serge Guinchard, qui, pour des raisons de santé, n'a pu être des nôtres.

Notre travail législatif est chargé, mais nous menons en même temps un travail prospectif, l'idée étant d'anticiper au maximum les réformes qui sont susceptibles de nous être soumises. Ainsi organisons-nous cette table ronde dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, dont la présentation a été annoncée par le Gouvernement. L'avant-projet de loi prévoit une habilitation du Gouvernement à modifier le code de procédure pénale, à droit constant.

La particularité de cet avant-projet de loi est qu'il prévoit, dans un autre article de « prendre en compte certaines préconisations issues des États généraux », c'est-à-dire d'améliorer les règles concernant l'enquête, l'instruction, le jugement et l'exécution des peines...

Nous souhaitons vous interroger sur ce que vous pensez d'une éventuelle réforme du code de procédure pénale. Nous savons tous ici que la procédure pénale est un élément essentiel de notre justice répressive : elle assure la possibilité de poursuivre les prévenus, tout en garantissant les droits de la défense. Peut se cacher, derrière toute réforme de la procédure pénale, une réduction ou un encadrement renforcé de certains droits ...

Quoi qu'il en soit, si l'idée est bien de simplifier, tout le monde s'accorde sur l'utilité d'une telle simplification, tant la procédure pénale est devenue complexe. Néanmoins, un tel chantier nécessite que nous soyons parfaitement éclairés sur les conditions dans lesquelles il pourrait être entrepris.

Tel est l'objet de la table-ronde de ce matin. La commission a besoin d'éclairages précis en vue de l'examen du texte du Gouvernement, qui interviendra probablement au cours du semestre.

- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-présidente -

Mme Évelyne Bonis, professeur à l'université de Bordeaux. - Je donnerai quelques pistes saillantes avant de me tenir à votre disposition pour répondre à toute question.

Voilà quelques années, j'ai pris part aux travaux de la commission présidée par Bruno Cotte sur la refonte du droit des peines, qui préconisait déjà une réforme du code de procédure pénale en parallèle de la création d'un code pénitentiaire. Je me suis évidemment réjouie, il y a quelques mois, de l'entrée en vigueur du code pénitentiaire, qui a déjà permis de réduire un peu le volume du code de procédure pénale ; mais convenons qu'il n'y avait là qu'une toute petite part dudit code, lequel demeure aussi épais qu'auparavant et n'a pas été rendu plus lisible.

Faut-il réformer le code de procédure pénale ? Le temps est bel et bien venu de cette réforme : il y a plus de soixante ans qu'il est en vigueur. Il a été tant et tant de fois réformé depuis lors qu'il ne ressemble plus du tout au code d'origine. Tout le monde appelle à sa réforme, à commencer par les citoyens - il est très difficile de connaître ses droits, les conditions de son éventuelle garde à vue par exemple - et par les magistrats, qui ne cessent de demander qui la simplification du régime des nullités, qui celle de l'expertise, qui la réforme du statut de témoin assisté, qui la fusion des cadres d'enquête, qui l'extension de la négociation, etc. On retrouve ces demandes dans le rapport des États généraux de la justice.

C'est aussi aux yeux de l'universitaire que je suis, qui enseigne depuis plus de vingt ans la procédure pénale, qu'il est devenu impératif de simplifier le code - j'en prendrai quelques exemples. L'enseignement de cette matière devient très compliqué, dans un contexte général de densification des formations ; malgré un nombre d'heures accru on ne parvient que péniblement à faire le tour de la matière...

Quelles sont les causes de ce caractère désormais illisible du code de procédure pénale ? J'en ai identifié trois.

Premièrement, le droit européen a conduit, depuis 2000, à ajouter de nombreux articles dans le code, parfois à des endroits où on ne les attend pas du tout, ce qui perturbe sa lisibilité. Je pense, par exemple, aux articles 803 et suivants, qui sont perdus à la toute fin du code de procédure pénale, au sein d'un titre consacré aux frais de justice : après l'énoncé de règles somme toute très techniques sur les frais de justice et le calcul des délais, on trouve des dispositions fondamentales relatives à la préservation des droits pendant la retenue policière ou à l'introduction du recours en cas de conditions de détention contraires à la dignité.

Deuxièmement, la jurisprudence constitutionnelle, à grand renfort de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), a conduit le législateur, au cours des dernières années, à faire tout un tas de petites retouches ponctuelles, souvent dans l'urgence. Ainsi est-il fréquent qu'un article soit retouché à la demande du Conseil constitutionnel, mais sans réflexion d'ensemble sur d'autres dispositions posant pourtant un problème analogue, ce qui se traduit par des successions de QPC. L'exemple des décisions en matière de droit de se taire en témoigne : le législateur a inséré à l'article préliminaire du code, par la loi du 22 décembre 2021, une disposition générale sur le droit de se taire tout au long de la procédure pénale, mais aucun des autres articles n'a été retouché... Et le code comporte de très nombreux doublons.

Il faut désormais prendre un peu de hauteur afin d'harmoniser les choses : à certains égards, le plan du code lui-même ne tient plus, du fait de ces ajouts successifs faits à la demande du Conseil constitutionnel. Voyez le titre consacré aux règles particulières de procédure applicables aux personnes placées sous un régime civil de protection : le titre ne correspond plus du tout au contenu de la matière.

Troisième cause d'illisibilité : l'impact de la politique pénale et des choix qui nous sont imposés par l'évolution de la criminalité et de la société. Il ne s'agit pas de remettre en cause les règles particulières qui ont pu être instaurées en matière de lutte contre la criminalité organisée, contre le terrorisme et contre la criminalité économique et financière. Mais, à force de construire de tels régimes spéciaux, on a produit un code d'une très grande complexité. D'une certaine manière, il est difficile de savoir désormais si la procédure pénale se trouve dans les premiers articles du code ou aux articles 705 et suivants et 706-73 et suivants.

On parle beaucoup de la fusion des cadres d'enquête. Pourquoi pas... J'attire néanmoins l'attention sur la nécessité d'élargir le spectre de la réflexion. S'il s'agit de revenir sur la différence entre enquête préliminaire et enquête de flagrance telle qu'on la trouve aux articles 53 et suivants du code de procédure pénale, cela n'a pas grand sens. En revanche, il y a une question à se poser sur ce qu'est le cadre commun de l'enquête, car le cadre dérogatoire de la criminalité organisée envahit de plus en plus le droit commun de la procédure pénale.

N'y a-t-il pas désormais deux cadres, le cadre « classique » de l'infraction de droit commun et celui, par exemple, de la criminalité organisée ? Ces dernières règles, qui étaient au départ conçues comme des règles exceptionnelles, celles de l'article 706-80, dont le champ d'application a été étendu, doivent mieux trouver leur place dans le code. Les articles 706-73 et suivants, et en particulier l'article 706-80, ont été écrits en 2004 pour la criminalité et la délinquance organisées, mais ils servent aujourd'hui de socle. Dès que l'on veut créer une nouvelle règle, on le fait toujours par renvoi à ces articles, de sorte qu'un certain nombre d'articles du code de procédure pénale deviennent illisibles. Les dernières réformes, qui ont trait à la procédure pénale applicable en matière économique et financière, ne peuvent pas se comprendre sans des allers-retours avec les textes relatifs à la criminalité organisée : on ne s'y retrouve plus du tout. La difficulté tient encore à une autre raison : le législateur use beaucoup trop des techniques du renvoi et de la liste. Les listes d'infractions s'allongent, faisant perdre sa logique au dispositif. Il suffit de lire l'article 706-73 du code de procédure pénale, censé être le socle du droit applicable à la criminalité et à la délinquance organisées, pour s'en convaincre. Tel que réformé par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), cet article perd beaucoup de sa cohérence : désormais, on peut utiliser les règles particulières qui y sont énoncées pour autre chose que ce pour quoi le dispositif a été conçu, c'est-à-dire les infractions commises en réseau, le trafic et la véritable criminalité organisée.

Que faut-il attendre de cette réforme ? Il faudrait avant tout qu'elle pose des principes clairs, valables tout au long de la procédure. L'article préliminaire est très important à cet égard ; il mériterait peut-être de laisser sa place à un chapitre préliminaire qui intégrerait l'ensemble de la procédure pénale, depuis la phase de l'enquête jusqu'à celle de l'application des peines.

Il faudrait, ensuite, que le plan du code permette de clairement marquer les phases de la procédure pénale, transitions comprises, et de désigner les acteurs importants à chaque phase, application des peines incluse - celle-ci a été juridictionnalisée en 2000, mais les articles afférents ont été placés dans le code un peu au hasard, ce qui pose des difficultés. Il suffit de penser par exemple au recours fréquent, en phase d'application des peines, à l'article 515 du code de procédure pénale, qui n'a pourtant pas été prévu pour cela puisqu'il a pour objet l'appel contre les jugements du tribunal correctionnel.

Enfin, il me semble nécessaire de s'interroger sur la répartition de la matière entre partie législative et partie réglementaire. Mon sentiment est que les articles de la partie législative du code de procédure pénale sont devenus beaucoup trop techniques : on y entre dans le détail plus que nécessaire. Certains articles de la partie réglementaire ne font parfois que reprendre exactement des phrases déjà contenues dans la partie législative... Je pourrais vous en donner de nombreux exemples. Voyez la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : la procédure applicable devant la cour d'assises ayant été réformée à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, dans l'attente de l'intervention du législateur, s'est contentée de l'article réglementaire, dont elle estimait qu'il préservait les droits des individus, considérant que la référence à cet article plutôt qu'à un texte législatif n'emportait aucun grief.

M. Antoine Botton, professeur à l'université Toulouse 1-Capitole. - Le code de procédure pénale est un code très ancien, qui commence à être daté en considération de l'évolution de la procédure pénale.

J'aimerais axer mon propos sur le décalage entre le code de procédure pénale et la réalité du procès pénal en 2023. Un exemple : la place de l'instruction dans le code. Dans le code d'éditeur que j'ai avec moi, 400 pages sont, par exemple, consacrées à l'instruction en matière pénale, pour 6 % du traitement pénal - c'est la part, arrondie au supérieur, des affaires qui passent par la case de l'instruction en France en 2021. Dans le même code, l'enquête, qui est un élément de toute procédure, avec ou sans instruction, dès lors qu'il y a des poursuites, représente 100 pages. Cette disproportion a évidemment des incidences sur le fond : il existe des « trous » considérables dans la législation à propos des droits - je pense notamment au principe du contradictoire et à la question de l'accès au dossier au stade de l'enquête.

Autre décalage faramineux : 40 % de la réponse pénale, dont l'assiette est composée des 1,3 million d'affaires poursuivables - il faut déjà faire un sacré tri pour arriver à cette assiette -, passe par des alternatives aux poursuites. Combien d'articles, dans le code de procédure pénale, sont-ils consacrés aux alternatives ? Un seul : l'article 41-1. En d'autres termes, 40 % de la réponse pénale est concentrée dans un article du code.

Autre exemple : l'ordonnance pénale, la procédure simplifiée, est quantitativement le premier mode de comparution et de jugement en matière correctionnelle : il y en a eu 200 000 en 2021 sur 660 000 poursuites. Or les dispositions afférentes sont « coincées » aux articles 495 à 495-6, placées de surcroît à un endroit très étrange du code, puisque les comparutions sont traitées aux articles 388 et suivants.

À l'inverse, la lecture du code suggère que le mode de comparution principal serait la citation directe, laquelle figure à l'article 388 que je viens d'évoquer ; or on a dénombré seulement 11 000 citations directes en 2021, sur 660 000 poursuites...

La place de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) pose aussi problème : quoiqu'étant un mode de comparution à part entière, elle n'est pas traitée avec les comparutions, mais juste après l'ordonnance pénale, c'est-à-dire la procédure simplifiée en matière délictuelle.

Et je peux vous assurer que d'autres décalages apparaîtront à l'avenir, liés à la montée en puissance d'un autre mode de jugement, à savoir l'amende forfaitaire. Cette désorganisation va donc sans doute s'amplifier, la Lopmi ayant considérablement ouvert le champ de l'amende forfaitaire en matière délictuelle.

J'adhère absolument à tout ce qu'a dit ma collègue sur le livre IV du code de procédure pénale, qui est une véritable catastrophe. Ce livre liste des procédures relatives à des problèmes très différents, du faux à la criminalité organisée en passant par les règles applicables en matière sanitaire. Il suffit de parcourir le plan du livre IV pour constater qu'il s'agit en réalité d'un livre résiduel, dans lequel on insère toutes les dispositions que l'on ne peut pas mettre ailleurs.

Le titre XXV de ce livre, notamment, consacré au régime dérogatoire applicable à la criminalité organisée, est aujourd'hui très utilisé et le sera de plus en plus, puisqu'à chaque réforme, y compris provenant du ministère de l'intérieur, on étend son champ d'application. On vient ainsi de l'étendre aux crimes sériels, qui n'ont pourtant rien à voir avec la criminalité organisée. Le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à y redire, mais cette extension désorganise l'ensemble du code.

Un mot sur les nullités de la procédure : la question de la sanction des irrégularités et de la fraude à la procédure pénale est essentielle ; ce code ne sert à rien à défaut d'un régime de nullité efficace. Or ce régime est éclaté entre deux « cases » du code, la plus grande partie se trouvant dans la case relative à l'instruction ; or il n'y a pas qu'en instruction que l'on soulève la nullité, cette phase, je le rappelle, ne concernant que 6 % des affaires en France ! Le législateur devrait reprendre la main sur cette question, qui a été trop longtemps laissée à la jurisprudence, notamment à la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle a fait de ce régime, selon moi, un régime ineffectif. Des exemples montrent, ces dernières semaines, que la sanction des fraudes à la procédure pénale est en très grande partie coupée de son ineffectivité.

Une simplification est-elle nécessaire ? Vous savez qu'à l'université on se méfie beaucoup du terme « simplification », puisqu'on aime compliquer les choses...

S'il faut une simplification, c'est au sens d'une clarification renforçant l'effectivité des droits des personnes mises en cause. Le régime des nullités est si peu clair, à l'heure actuelle, qu'il n'y a aucune prévisibilité, pour les personnes poursuivies, quant à la sanction qui frapperait une éventuelle irrégularité de la procédure pénale.

Je songe à la loi du 4 janvier 1993, qui visait, précisément, à clarifier le régime des nullités : une alternance politique ayant eu lieu dans l'intervalle, ces dispositions furent immédiatement défaites par la loi du 24 août 1993. Le reproche principal qui était fait à la première loi était qu'elle rendait les nullités trop claires, trop lisibles, faisant du code de procédure pénale un code trop risqué pour les enquêteurs et pour les parquets. C'est toute la question de l'obscurité nécessaire du code...

Je pense aussi à une série d'arrêts rendus en juillet 2022 par la chambre criminelle de la Cour de cassation à propos du contrôle des réquisitions par le procureur de la République : dans le même arrêt, la Cour indique, d'un côté, que notre législation est contraire au droit européen, notamment à la jurisprudence Prokuratuur de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et, de l'autre, qu'il faut appliquer notre droit national, notre régime des nullités, et qu'en l'occurrence aucune annulation ne sera prononcée. Pourquoi ? Parce que notre régime des nullités est draconien : il faut notamment prouver un grief qui ne doit pas consister dans la violation de la règle elle-même. Quel est le grief personnel retiré du fait que, par exemple, le procureur a requis des informations personnelles à votre propos ? Cela paraît très difficile à prouver... Par cette impossibilité, on organise le défaut de sanction du non-respect des règles, ce qui nous expose au niveau européen. Certains avocats ont d'ailleurs commencé à évoquer le dépôt de recours en manquement contre l'État français.

Dernière question : que faut-il attendre d'une telle réforme ?

Il va falloir clarifier la phase présentencielle du procès pénal. J'en reviens au chiffre que j'ai cité : 6 % des affaires passent par l'instruction. Or cette phase présentencielle très minoritaire représente grosso modo un tiers du code, une partie très « garantiste » qui autorise beaucoup de recours. En matière délictuelle, sur décision d'une seule personne - le procureur de la République -, le justiciable peut donc faire l'objet soit d'une instruction, assortie de maintes garanties et possibilités de recours, soit d'une enquête préliminaire, sans aucun droit ni garantie. Or cette décision d'orientation du procureur de la République ne peut elle-même faire l'objet d'aucun recours juridictionnel. Des efforts ont été faits sur le principe du contradictoire - je pense à l'article 77-2 du code de procédure pénale - depuis la loi du 3 juin 2016, mais ces efforts sont insuffisants, du point de vue de l'accès au dossier notamment.

Dans le rapport spécial des États généraux, il est d'ailleurs indiqué qu'une telle situation pose un problème d'égalité des justiciables devant la justice pénale : cet aiguillage engendre des différences de traitement considérables.

Nous disposons d'un point de départ : c'est l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale de 2010, dans lequel était imaginé un système sans instruction. Cet avant-projet nous livre quelques clés, sous forme de possibles dispositions législatives, quant à ce que pourrait être un système doté d'un contrôle juridictionnel plus puissant. Il y était notamment envisagé de créer un juge de l'enquête et des libertés, avec des possibilités de recours assez spectaculaires.

Je prends un seul exemple : la qualité de suspect dans l'enquête. Cette qualité, qui donne lieu à un renvoi potentiel devant une juridiction pénale, ne peut aujourd'hui être contestée, à la différence de la qualité de mis en examen dans le cadre de l'instruction, que l'on peut attaquer par le biais d'une requête en nullité. Et il n'existe pas de recours contre la décision d'orientation, c'est-à-dire la décision de comparution. De manière générale, les modes de comparution sont si nombreux que cela engendre des inégalités de traitement... Dans l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale, la « partie pénale », c'est-à-dire le suspect, avait la faculté de contester son statut devant le juge de l'enquête et des libertés, ce qui aurait pu conduire, ensuite, à contester son renvoi devant une juridiction pénale. Cela n'est pas possible, actuellement, dans le cadre d'une enquête, contrairement à ce qui se passe, évidemment, dans le cadre d'une instruction.

Il est donc indispensable d'unifier ; mais dans quel sens ? sur quelle base ? En la matière, il reviendra au législateur de trancher.

Mme Coralie Ambroise-Castérot, professeur à l'université Côte d'Azur. - Je remercie mon collègue Antoine Botton d'avoir si souvent cité le code des éditeurs : étant moi-même l'une des rédactrices du code de procédure pénale Dalloz, je sais que de nombreux défauts y demeurent ; nous essayons de les corriger.

Faut-il réformer le code de procédure pénale ?

On pourrait réformer tous les codes : à peine sont-ils réformés qu'ils sont déjà pétris de défauts - voyez le code de la consommation, qui venait juste, en 2016, d'être recodifié, et devait déjà, le mois suivant, être modifié en raison de directives européennes. À peine le code de procédure pénale sera-t-il réformé qu'il faudra le modifier à nouveau pour tenir compte de nouvelles décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de la CJUE.

Par ailleurs, une fois adoptée une codification scientifique, on risque de se retrouver, comme dans le code pénal, avec des doubles tirets, des triples tirets, voire des quadruples tirets dans la dénomination des articles...

En outre, la question de savoir s'il faut réformer le code a déjà été tranchée, puisqu'un avant-projet a été rédigé. Un comité scientifique composé de magistrats, d'avocats et de professeurs de droit est d'ailleurs d'ores et déjà constitué et a débuté ses travaux début 2023 ; c'est ce qui est écrit dans le rapport annexé au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, page 31, point 2.4.3.1.

Une simplification est-elle nécessaire ? Je rejoins ce qu'a dit mon collègue Antoine Botton : qui a envie de répondre qu'il vaudrait mieux ne pas simplifier ? Mais telle n'est pas la bonne question à poser, car c'est une illusion de croire que tous les problèmes sont simplifiables.

Il faut surtout que le plan du code de procédure pénale soit réorganisé afin d'éviter les doublons et les problèmes de renvoi. Mais simplifier est une illusion : tout ne doit pas être simplifié, d'autant moins lorsqu'il s'agit de sujets complexes. La procédure pénale restera une matière technique, et il n'y va d'aucune argutie ou ratiocination : les libertés fondamentales sont en jeu.

Que faut-il attendre de la réforme ? Je vous renvoie au point 1.2.3 du rapport annexé, intitulé « Une justice pénale insuffisamment lisible » : le nombre d'articles du code est passé de 800 à plus de 2 400 depuis 1959. J'ai avec moi un code pénal et d'instruction criminelle qui date de 1928 : il est minuscule. Le code actuel, en comparaison, est monstrueux ; et il ne va cesser de grossir.

J'en viens à quelques exemples. J'ai l'habitude, dans le cadre de mon travail pour Dalloz, de parcourir ce code de long en large afin de rationaliser les notes, de modifier les plans, d'introduire de nouvelles annexes.

Concernant la phase d'enquête, un problème se pose à propos des patrouilles de police, qui ne sont prévues ni dans le code de procédure pénale ni dans le code de la sécurité intérieure. Dit autrement, il n'existe pas de régime unifié des contrôles d'identité, des palpations de sécurité et des fouilles corporelles. La fouille corporelle est traitée par la jurisprudence, depuis 1953, comme une perquisition, ce qui paraît surréaliste. Aucune législation ne traite de ces questions. Le problème naît d'ailleurs en partie de la multiplicité des codes : les palpations de sécurité sont traitées dans le code de la sécurité intérieure et les contrôles d'identité dans le code de procédure pénale.

Dans le code de procédure pénale, il n'y a rien d'unifié sur les preuves. Michèle-Laure Rassat en avait beaucoup parlé dans un rapport remis à Jacques Toubon en 1997 : il était question de créer, comme dans le code civil, une partie sur les preuves dans le code de procédure pénale. La question des témoignages est disséminée, et il n'y a rien sur les indices. Certains domaines mériteraient des régimes communs, des principes généraux déclinés selon les phases, enquête, instruction, jugement.

Il n'y a rien non plus, dans le code de procédure pénale, concernant les saisies lors des perquisitions, sinon un micro-texte qui ne dit pas grand-chose. Comme de nombreux autres, l'article 54, qui a pour objet la préservation des indices, vise seulement les crimes, et non les crimes et les délits... La personne reconnaît-elle les objets qui lui sont présentés après une perquisition ? Le cas échéant, n'est-elle pas en train de s'auto-incriminer ? L'avocat ne devrait-il pas être présent au moment de la perquisition, à supposer qu'elle ait lieu hors instruction ? Il manque un régime unique et des règles claires : la question de l'auto-incrimination est traitée dans le régime de la garde à vue, et il n'y a pas de texte propre aux saisies. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation conduit à reconnaître une absence de nullité : la reconnaissance d'un objet ne signifie pas auto-incrimination.

Encore peut-on souligner nombre d'incongruités : le code de procédure pénale est plein d'infractions pénales - il y en a une bonne trentaine. Et, inversement, il est des infractions de procédure qui sont placées en dehors du code de procédure pénale ; ainsi le refus de communiquer la convention secrète de déchiffrement d'un téléphone portable se trouve-t-il dans le code pénal, alors qu'il s'agit d'une infraction d'enquête.

Parmi les infractions pénales disséminées dans le code de procédure pénale, je citerai le délit consistant à ne pas se soumettre à des mesures de prise d'empreintes génétiques. Certains prélèvements forcés sont d'ailleurs autorisés par la chambre criminelle sur le fondement de l'article 60 du code de procédure pénale alors qu'ils sont parfaitement contraires à la jurisprudence européenne, celle de la CEDH, qui dispose que nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Si un jour l'État français était poursuivi, il perdrait ces procès, j'en suis persuadée.

M. Alain Richard. - Mon témoignage sera un peu particulier, puisque j'ai le grand honneur, depuis une petite dizaine d'années, de représenter le Sénat au sein de la Commission supérieure de codification. J'ai donc contribué, à ma modeste place, à la construction et à la réfection de certains codes, mais aussi à leur modernisation. Nous ne l'espérions plus, mais le ministère de l'économie et des finances a enfin souhaité qu'on rénove le code général des impôts, qui date d'un temps où les conceptions actuelles de codification n'avaient pas cours et qui est devenu impénétrable ; le travail sur la partie relative à la fiscalité indirecte sera achevé d'ici à la fin de l'année.

J'ai toujours défendu la voie des textes d'habilitation là où il s'agit de recodifier, mais à droit constant : c'est la condition pour obtenir l'acte de confiance du Parlement en la matière. Or, dans le cas du code de procédure pénale, il est clair que telle n'est pas la voie qu'il faut emprunter.

Que l'on remanie le plan du code à droit constant est concevable ; cela serait même utile à certains égards. Mais il y a matière à repenser, donc à réécrire, toute une série des règles de procédure contenues dans le code de procédure pénale. Il existe bel et bien des effets de frontière : l'un des exercices intellectuels passionnants auxquels se livre la Commission supérieure de codification consiste à savoir que faire lorsqu'on est à la bordure entre deux codes. Ainsi a-t-on extrait le code pénitentiaire du code de procédure pénale. Les zones de friction entre deux codes sont légion ; dans pareils cas, on pratique la formule du code « pilote » et du code « suiveur ».

Tout en étant évidemment favorable au projet de loi dans son principe, je ne pense pas que l'on puisse en rester à la formule d'habilitation qui figure dans l'avant-projet. J'avais d'ailleurs suggéré au garde des sceaux, lors d'une audition récente, de ne pas faire passer cette réforme par un article d'habilitation : il faut faire les deux séparément. Si le Gouvernement veut obtenir de la part du Parlement l'acte de confiance consistant à voter une habilitation de grande ampleur, il faut que le contrat soit clair. Écrire en même temps que l'on va réorganiser à droit constant le code de procédure pénale et qu'en même temps on va le modifier, cela ne tient pas.

Par ailleurs, vu l'ampleur et la complexité du sujet, il est nécessaire que soit installée une grande commission de pénalistes, à charge pour eux de développer le concept général du nouveau code. Le travail préliminaire doit être accompli par des autorités scientifiques ; ensuite il sera temps que le Parlement, et en premier lieu le Sénat, examine la réforme proposée ; ensuite seulement le moment viendra de procéder à la mise en ordre générale du code de procédure pénale.

Une petite remarque sur le fond : l'expérience montre combien l'issue du procès pénal diffère suivant que vous soyez puissant ou misérable. Le code de procédure pénale étant une extraordinaire mine à nullités pour les prévenus les mieux aidés et les mieux « artistiquement » conseillés, ce qui se traduit par un potentiel d'impunité et d'échec de la mission constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions, un arbitrage politique très intense reste à faire, qui doit évidemment être délibéré « en dur » devant le Parlement, sans se contenter d'une habilitation. Cet arbitrage a trait à l'équilibre entre l'efficacité de l'enquête pénale et le respect des libertés individuelles. Il me semble en tout cas que la méthode qui a été retenue pour la confection de ce projet de loi n'est pas aboutie - je suis désolé de le dire en l'absence du Gouvernement, que je soutiens.

Mme Évelyne Bonis. - À la lecture du plan d'action du Gouvernement, je me suis également posé cette question : comment annoncer une codification à droit constant et en même temps une reprise des pistes issues des États généraux de la justice ? Le travail en cours va au-delà d'un simple réagencement du code de procédure pénale.

M. Antoine Botton. - Sur le rapport entre efficacité et protection en matière de nullité, vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur, mais sans doute parce que les nullités sont mal pensées : il y a dans le code certaines formalités qui ne devraient pas être prescrites à peine de nullité. Le législateur a d'ailleurs, dans la Lopmi, exclu de l'article 15-5 du code de procédure pénale le recours en nullité en cas d'absence de formalisme - l'objet de cet article est l'habilitation des officiers de police judiciaire à procéder à certaines écoutes.

M. Alain Richard. - Vieille technique du juge administratif...

M. Antoine Botton. - Le Conseil constitutionnel opère de surcroît un contrôle de proportionnalité, puisqu'il a déjà censuré ce type d'exclusion du recours en nullité. Il l'a fait notamment pour l'enregistrement audiovisuel des audiences de cour d'assises. Cela pourrait être une bonne piste à suivre pour éviter que le code de procédure pénale ne devienne le code des voyous...

Mme Coralie Ambroise-Castérot. - Je suis tout à fait d'accord avec M. le sénateur Richard  : il paraît compliqué, pour ne pas dire antinomique, de rectifier le code dans une large mesure, jusqu'à y ajouter des droits fondamentaux, tout en prétendant travailler à droit constant ; mais ce choix semble déjà acté.

Il vaudrait mieux commencer par « nettoyer » ce code et par mener les réformes nécessaires avant éventuellement de recodifier.

Mme Agnès Canayer. - Compte tenu des enjeux et de la technicité du sujet, chacun comprend que les professionnels du droit et les scientifiques doivent s'y pencher. Dans le rapport annexé à l'avant-projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, il est écrit qu'un comité est censé travailler à la rédaction des ordonnances. Existe-t-il une association des pénalistes ? Est-elle associée à ces travaux ? Avez-vous une visibilité sur ce qui est en train de se jouer ?

Mme Évelyne Bonis. - Je n'en ai pas la moindre idée : vous êtes les premiers à nous avoir contactés à ce propos.

M. Antoine Botton. - Je connais nos collègues universitaires qui participent à ce travail.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Lorsqu'on aborde la procédure pénale, il est systématiquement question de la distinction entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire. La complexité dont vous avez fait état n'est-elle pas due, au moins pour partie, au fait que le système français combine ces deux procédures ? Cette distinction ne mérite-t-elle pas d'être clarifiée ?

Mme Coralie Ambroise-Castérot. - Ma thèse de doctorat portait sur l'accusatoire et l'inquisitoire.

Quelle est l'alternative ? Soit on s'oriente vers un système anglo-américain, ce que préconisait le projet de réforme de 2010, soit on en reste à notre tradition, dite inquisitoire, définie par ces caractéristiques que sont le secret, l'écrit et le non-contradictoire. Il s'agit d'un choix entièrement politique.

Je me contente de dire qu'il ne faut pas croire que l'herbe est plus verte ailleurs : notre procédure pénale est de tradition inquisitoire, et il est compliqué d'importer un système qui, à l'origine, nous est étranger. Une bascule avait eu lieu en 1789 : l'habeas corpus avait été introduit dans les codes postrévolutionnaires, très inspirés du droit britannique ; petit à petit on en est revenu. Le code d'instruction criminelle avait finalement repris la grande ordonnance de Colbert de 1670, c'est-à-dire l'ancien droit purement inquisitoire. Le seul élément symbolique que l'on a conservé de l'autre tradition, c'est le jury populaire ; et, de nouveau, on en revient - je suis moi-même assez favorable à cette restriction concernant le juré populaire.

Je ne suis donc pas certaine qu'il soit opportun de s'orienter vers un système anglo-saxon qui, comme beaucoup de collègues l'ont brillamment montré - je pense notamment à Geneviève Giudicelli-Delage ou au regretté Jean Pradel -, a des défauts monstrueux, notamment en matière d'inégalités. Tout y repose en effet sur les parties et sur les pouvoirs qu'on leur donne : pour avoir beaucoup de pouvoirs, il faut avoir beaucoup de moyens. Le plea bargaining, ou son équivalent français, la CRPC, est une négociation qui, comme telle, suppose d'avoir les moyens de négocier. Des procès, aux États-Unis, il y en a très peu : 80 % à 90 % des procédures sont évacuées par d'autres moyens.

M. Antoine Botton. - Je ne suis pas du tout un défenseur de l'accusatoire ; cela étant, force est de constater que l'inquisitoire, dans notre système de procédure pénale, est facteur d'inégalités, puisqu'il est réservé, d'une certaine manière, à une partie seulement de la délinquance, notamment correctionnelle, dans le cadre de l'instruction. Pour le reste, quoi qu'on en dise, la procédure devient de plus en plus accusatoire, étant fondée principalement sur une enquête qui est menée par le futur accusateur - le problème est d'ailleurs posé aujourd'hui au niveau européen.

Par ailleurs, je ne suis pas certain que la France ait les moyens financiers de conserver ce système inquisitoire : il est en effet beaucoup plus cher que le modèle accusatoire, puisqu'il prend à sa charge la question probatoire. Il s'agit d'une question de finances publiques : il est probable que la contrainte financière nous conduise à réduire comme peau de chagrin cette partie inquisitoire de notre procédure pénale. Cette partie inquisitoire demeurera, accompagnée d'une procédure accusatoire qui ne dit pas son nom, manquant de moyens et produisant, en matière délictuelle, des inégalités.

M. Alain Richard. - Pour autant, l'inquisitoire dégradé n'est pas de l'accusatoire...

Mme Évelyne Bonis. - Cela a été dit, 6 % seulement des procédures font l'objet d'une instruction, donc d'une procédure inquisitoire. Et rappelons que l'instruction n'est obligatoire que pour les crimes. Pour ce qui est des délits, aujourd'hui et en pratique, les instructions se font presque toutes dans le cadre des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), en matière économique et financière comme en matière de délinquance organisée. Pour la délinquance de tous les jours, celle du citoyen « lambda », il n'y a pas d'instruction. Autrement dit, notre système inquisitoire, via l'instruction, est utilisé pour des personnes dont les moyens ne sont pas ceux de M. Tout-le-Monde et qui ont à leur disposition des règles de procédure particulièrement « garantistes » en matière de crime.

M. Alain Richard. - À l'ouverture de certains procès américains, on délibère d'abord du montant du crédit que l'on va y affecter ; c'est évidemment déplaisant mais cela est objectif. La justice française est bien obligée de faire ce travail à sa façon, « en crabe ». L'exercice de la justice suppose inévitablement des moyens. Les sujets de recrutement et de déroulement de carrière, notamment, doivent être traités : vous pouvez créer tous les postes que vous voulez, cela ne sert à rien si vous ne trouvez pas les agents qualifiés pour les occuper durablement. La réforme du code de procédure pénale devra tenir compte de cette contrainte de moyens et de la disproportion entre les conditions de l'enquête préliminaire et celles de l'instruction. Il faudra que l'écart entre ces deux procédures soit réduit et, autant que possible, que cela ne se fasse pas dans le sens de l'inflation des moyens. L'arbitrage final devra faire disparaître ce déni de justice de plus en plus criant, d'ailleurs très épisodiquement sanctionné, que constitue le décalage anormal dans le temps de l'issue du procès pénal.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous vous remercions pour vos éclairages précieux en ce début de chantier, celui-ci s'annonçant colossal. Nous poursuivrons notre cycle d'auditions la semaine prochaine avec de nouveaux universitaires.

La réunion est close à 11 h 35.