Jeudi 12 janvier 2023
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Table ronde avec des chercheuses de l'Institut national d'études démographiques (Ined)
Mme Annick Billon, présidente. - Chers collègues, Mesdames et Messieurs, je vous souhaite une très belle année, aussi dynamique et constructive que l'a été l'année 2022 pour la délégation. Nous avons connu de belles réussites et avons été occupés par des travaux très marquants psychologiquement, notamment ceux concernant l'industrie pornographique. Cette année, nous avons décidé de travailler, d'une part, sur la santé des femmes au travail, sujet qui me semble pertinent à l'heure où nous échangeons sur les retraites, d'autre part, sur la parentalité dans les territoires ultramarins. Merci à tous d'être présents pour cette première audition de l'année.
Nous poursuivons ce matin nos travaux sur la thématique « santé des femmes au travail » avec trois de nos quatre rapporteures : Laurence Cohen, Annick Jacquemet et Marie-Pierre Richer. Laurence Rossignol est excusée.
Je suis très heureuse d'accueillir deux chercheuses de l'Institut national d'études démographique (Ined) : Émilie Counil, spécialisée dans l'étude des inégalités sociales de santé et de leurs liens avec le travail et l'environnement ; et Constance Beaufils, auteure d'une thèse sur L'inactivité professionnelle au cours du parcours de vie : un déterminant social de la santé des femmes aux âges élevés, réalisée à l'Université de Paris-Saclay et à l'Ined. Je dois excuser Anne Lambert, qui devait être parmi nous mais qui ne peut malheureusement être présente. Elle nous a cependant transmis des documents présentant ses recherches sur les horaires atypiques et sur les conditions de travail des femmes durant la crise sanitaire.
Merci à vous, Mesdames, d'être présentes ce matin. Vous nous présenterez les résultats de vos travaux de recherche portant sur les thématiques qui nous intéressent plus particulièrement, à savoir :
- les parcours professionnels et les conditions de travail des femmes et leurs conséquences sur la santé ;
- l'exposition des femmes aux risques et maladies professionnels ;
- la prise en compte de leur état de santé général, de leur grossesse, et de leurs maladies dans le milieu professionnel ;
- les problématiques de burn out.
Nous sommes particulièrement intéressés par les statistiques et données que vous pourrez nous communiquer au cours de cette audition. La richesse des informations recueillies par l'Ined à l'échelle nationale sera une ressource précieuse pour nourrir notre rapport. N'hésitez pas à nous transmettre également des documents écrits complémentaires après cette audition.
S'agissant des risques professionnels, nous avons pu constater que les femmes étaient de plus en plus sujettes aux accidents du travail comme aux troubles musculo-squelettiques (TMS), auxquels elles sont d'ailleurs deux fois plus exposées que les hommes.
En revanche, les cancers d'origine professionnelle restent souvent sous-évalués chez les femmes. Émilie Counil nous présentera les résultats de ses travaux sur cette question.
Des travaux de l'Ined, conduits par Anne Lambert, ont également mis en évidence l'exposition croissante des femmes aux horaires atypiques de travail (horaires de nuit, tôt le matin, tard le soir ou le week-end), occasionnant des conséquences néfastes sur leur qualité de vie et leur santé. Une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a par ailleurs montré une augmentation de 26 % du cancer du sein en cas de travail de nuit.
Vous nous direz comment tenir compte de ces inégalités de genre en matière de prévention et de réparation des maladies professionnelles.
Nous nous intéresserons également aux liens entre conditions socio-économiques et santé physique et mentale des femmes. Les femmes sont en effet deux fois plus exposées que les hommes au risque de dépression.
Enfin, Constance Beaufils nous présentera ses travaux de thèse sur les conséquences d'épisodes d'inactivité professionnelle sur la santé des femmes âgées.
Je laisse sans plus tarder la parole à Émilie Counil.
Mme Émilie Counil, chargée de recherche à l'Ined, chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), auteure de travaux de recherche sur les inégalités sociales de santé. - Je commencerai mon propos liminaire en vous exposant une précaution et un avertissement. La précaution concerne la sous-évaluation des questions de santé au travail chez les femmes. Des chercheuses - il s'agissait majoritairement de femmes - se sont intéressées aux questions de santé au travail des femmes depuis les années 1980, y compris en France. Nous ne pouvons donc pas parler de déficit de connaissances en général. Les champs disciplinaires doivent être distingués, notamment les sciences sociales ou l'ergonomie des autres disciplines plus biomédicales, comme l'épidémiologie ou la toxicologie. Même au sein de ces disciplines, des domaines de spécialisation tels que la sociologie du travail, de la santé et du genre se sont saisis de manière assez différente de ces questions au fil du temps.
Néanmoins, les problèmes des femmes demeurent encore largement invisibles, encore plus que ceux des hommes. Tandis que les femmes souffrent davantage d'usure physique et psychique, les hommes sont toujours plus exposés aux dangers visibles. Pour autant, il ne faut pas oublier que la faible visibilité sociale et la faible prise en charge des atteintes à la santé liées au travail concernent autant les hommes que les femmes, bien qu'elles tendent à être plus marquées chez ces dernières. J'en donnerai des explications tirées de recherches liées aux cancers d'origine professionnelle.
L'avertissement porte sur la nature des recherches sur lesquelles je vais m'appuyer. Les travaux que je vais résumer en quelques mots ont été conduits, au début et au milieu des années 2010, par le Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle en Seine-Saint-Denis, le Giscop93. J'y ai apporté mes compétences en épidémiologie, au sein d'une équipe pluridisciplinaire où se côtoyaient des médecins de santé publique et des chercheuses en sciences sociales. C'est bien par le biais de ces frictions disciplinaires et par des apports conceptuels et méthodologiques alors étrangers à ma discipline que j'ai pu faire évoluer mon propre regard de chercheuse et prendre conscience des biais de genre. Ceux-ci peuvent générer des points aveugles dans les connaissances en épidémiologie des risques professionnels et ainsi contribuer à renforcer les inégalités sociales en matière de prévention et de reconnaissance des atteintes à la santé liées au travail.
Partant du constat d'une faible visibilité sociale des cancers d'origine professionnelle, l'équipe du Giscop93 s'est fixé pour objectif d'étudier les inégalités sociales de cancers liés au travail, à partir d'une enquête de santé publique conduite en Seine-Saint-Denis. Le passé industriel de ce territoire, sa population longtemps ouvrière, son histoire migratoire et la surmortalité par cancer observée au milieu des années 1990 en faisaient un terrain emblématique pour l'étude des inégalités sociales d'expositions professionnelles aux cancérogènes. Au début des années 2000, l'équipe de ce groupement d'intérêt scientifique a mis en place un dispositif d'enquête original, considérant les personnes atteintes de cancer comme des sentinelles, indépendamment de leur passé professionnel. À partir du signalement par les hôpitaux partenaires, s'engageait alors une démarche de reconstitution des histoires professionnelles fondée sur le recueil par entretien de l'activité de travail à chaque poste occupé, servant encore aujourd'hui de base pour l'expertise pluridisciplinaire des expositions à des cancérogènes connus. Lorsque les expositions retrouvées sont susceptibles d'ouvrir droit à une réparation pour maladie professionnelle, un suivi prospectif est proposé afin de connaître et de faciliter les processus d'accès à l'indemnisation. La notion de parcours occupe ainsi une position centrale dans cette enquête, qu'il s'agisse de parcours professionnels, d'exposition ou de réparation. Ils sont patiemment documentés.
Passons maintenant aux résultats de cette recherche. À partir des données accumulées au cours des dix premières années de l'enquête, sur plus d'un millier de patientes et de patients atteints de cancers des voies respiratoires, nous avons pu tirer quatre principaux enseignements d'intérêt pour la délégation. D'abord, les femmes avaient effectivement été moins exposées que les hommes à des cancérogènes professionnels. Toutefois, une proportion non négligeable de patientes avaient bel et bien été exposées, et même multi-exposées au cours de leur parcours, y compris sur certains postes de travail multi-exposés également. Elles présentaient d'ailleurs certains profils spécifiques de multi-expositions, retrouvés à l'occasion de situations souvent moins faciles à repérer, en lien avec les postes et les tâches spécifiques effectuées dans leur travail. À titre d'exemple, nous avons retrouvé une combinaison d'expositions à des agents biologiques et à des polluants organiques liés à des activités de soin ou de nettoyage, dans lesquelles les femmes sont beaucoup plus représentées que les hommes. Ces profils s'inscrivaient en outre dans des parcours ou des carrières plus hachés ne leur permettant pas de cumuler les durées ou les intensités requises par le système de réparation des maladies professionnelles, fondé sur les tableaux de maladies professionnelles. S'en suivait, d'une part, une moindre proportion de femmes éligibles à une déclaration en maladie professionnelle parmi les patientes exposées et, d'autre part, une moindre reconnaissance en maladie professionnelle parmi celles ayant voulu recourir à ce droit. Ce dernier point implique en particulier une absence d'indemnisation de ces atteintes à la santé liées au travail.
À ce sujet, il convient de rappeler que les statistiques sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, dites « statistiques de sinistralité » reflètent uniquement les travailleuses et travailleurs couverts par le régime général d'assurance sociale - en sont donc notamment exclus les indépendantes et indépendants. Les ATMP sont par ailleurs enregistrés dans un système d'information national ad hoc, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas pour les fonctionnaires d'État, non couverts dans ces statistiques. En outre, les statistiques concernent uniquement les accidents du travail et les maladies professionnelles indemnisés. On peut ainsi tout au plus se baser sur ces statistiques pour rendre compte des écarts entre hommes et femmes dans l'accès au droit à réparation, et non pas pour poser un diagnostic complet sur la nature et l'étendue des atteintes à la santé liées au travail parmi l'ensemble des actuels et anciens actifs et actives.
Pour terminer ce rapide panorama, je soulignerai une autre inégalité structurelle qui concerne les femmes. Leurs postes de travail, comme leurs parcours, sont effectivement moins souvent exposés et multi-exposés que ceux des hommes pour ce qui est des cancérogènes professionnels. Pour autant, nous avons pu observer que les nombreux mécanismes concourant à l'invisibilisation des liens entre travail et cancer chez les hommes sont renforcés chez les femmes par un certain nombre de biais dans la construction des connaissances. Ces biais ont été qualifiés de « biais de genre » dans la littérature. Ils se traduisent en particulier par une moindre inclusion des types d'emplois occupés par les femmes, et des femmes en général, dans les enquêtes épidémiologiques portant sur les liens entre travail et cancer. Ils questionnent l'effectivité de la prévention les concernant, puisque sans connaître, comment prévenir ? Ils contribuent également certainement à forger les difficultés particulières que rencontrent les femmes dans l'accès au droit à réparation. La référence implicite suivie en santé au travail, mais aussi dans les connaissances scientifiques produites par l'épidémiologie, a ainsi longtemps été celle d'un travailleur masculin, dont le genre était réputé neutre. De ce fait, les pratiques de prévention ont été plus faibles et moins efficaces pour les travailleuses. Le modèle de réparation fondé sur les tableaux de maladies professionnelles suit cette même logique. Or comment attribuer une maladie à une seule exposition devant donc être massive pour compter, lorsque la réalité du travail a été de cumuler des expositions diverses et de plus faible durée ou intensité au sein de parcours de plus en plus mouvants, pour partie précarisés ?
Mme Constance Beaufils, auteure d'une thèse sur L'inactivité professionnelle au cours du parcours de vie : un déterminant social de la santé des femmes aux âges élevés, réalisée à l'Université de Paris-Saclay et à l'Ined. - Je compte aujourd'hui vous présenter certains résultats de mon travail de thèse, notamment les résultats qu'il pointe en termes de santé publique en ce qui concerne les carrières à risque pour la santé. J'ai étudié comment les interruptions de carrière féminines étaient liées à la santé des femmes plus tard dans leur vie, aux âges du vieillissement. Je suis partie du constat selon lequel, en dépit de la féminisation du marché du travail depuis les années 1960, l'inactivité professionnelle continue de marquer les parcours de vie des femmes. Ce sont en effet presque toujours elles qui réduisent leur temps de travail ou qui sortent de l'emploi au moment des maternités. L'inactivité professionnelle reste très fréquente dans certaines configurations familiales. Par exemple, selon les données du recensement effectué en 2019, 20 % des mères de trois enfants ou plus sont en inactivité professionnelle. Cette statistique monte à 40 % lorsque le plus jeune de ces enfants est âgé de moins de trois ans. Ce constat croise celui des inégalités de santé entre les hommes et les femmes et celui de la spécificité des formes de la mauvaise santé féminine aux âges du vieillissement. Nous savons que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais elles passent plus d'années à souffrir d'incapacités ou de symptômes dépressifs. Leurs années supplémentaires sont ainsi des années en mauvaise santé. Je me suis alors demandé comment ces périodes d'inactivité professionnelle, qui marquent les carrières féminines, étaient reliées à leurs chances de vieillir en bonne ou en mauvaise santé.
Pour répondre à ces questions, j'ai utilisé les données de l'enquête « santé et itinéraires professionnels » de l'Insee et celles de la cohorte épidémiologique Constances, qui comporte 200 000 individus recrutés entre 2012 et 2017. À partir d'analyses statistiques, j'ai ensuite pu identifier les parcours critiques pour leur vieillissement. En d'autres termes, j'ai pu identifier pour qui et dans quels cas des interruptions pouvaient être liées à des problèmes de santé plus tard. J'ai ensuite réalisé des entretiens biographiques auprès de trente femmes âgées de plus de 50 ans et passées par l'inactivité. Ils m'ont permis de comprendre les processus situés derrière ces parcours critiques.
Par ces analyses, j'ai identifié trois marqueurs des parcours de vie féminins par lesquels des inégalités de santé se forment et sur lesquels des politiques publiques pourraient agir. Ce sont ces résultats que je compte partager avec vous aujourd'hui.
Tout d'abord, que les femmes interrompent leur emploi ou non, des conditions de travail délétères, des emplois précaires ou instables et des difficultés à articuler les rôles familiaux et professionnels sont associés à des problèmes de santé aux âges élevés. Combiner maternité et emploi tout au long du parcours de vie est globalement lié à une meilleure santé. Les mères ayant toujours été en emploi entre 18 et 50 ans, que ce soit à temps partiel ou à temps plein, déclarent plus tard une meilleure santé perçue, mentale et fonctionnelle, que celles ayant interrompu leur emploi. Ces bénéfices en termes de santé concernent également les femmes séparées ou sans conjoint. Ces résultats diffèrent donc en partie de ceux observés au Royaume-Uni ou aux États-Unis et semblent attester d'une organisation famille-travail globalement facilitée par les politiques familiales et sociales françaises. Pour autant, dans certains cas, rester en emploi semble tout de même lié à des risques de santé mentale. On a notamment identifié le cas de femmes devenues mères aux alentours de 24 ans, soit un âge médian pour ces générations, ayant également passé du temps en charge d'enfants en bas âge. Celles-ci présentent des risques accrus d'anxiété pour l'avenir. Cela suggère que le fait d'affronter durablement des conflits famille-travail à un moment de la carrière où se joue potentiellement l'avancement professionnel, expose à des tensions se manifestant par des troubles anxieux aux âges du vieillissement. Des politiques réduisant les tensions famille-travail à ces périodes critiques de la carrière pourraient donc limiter les risques de vieillissement en mauvaise santé pour certains groupes de femmes. En outre, mes résultats montrent que les trajectoires d'emploi, qu'elles soient interrompues ou non, sont liées à des risques de santé fonctionnelle et perçue aux âges élevés lorsqu'elles sont composées de périodes d'emploi instables ou précaires, et lorsqu'elles sont marquées par des expositions professionnelles.
Pour rappel, les données de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistique (Dares) montrent que les femmes sont particulièrement exposées aux risques psychosociaux et aux contraintes organisationnelles, beaucoup plus que les hommes. Elles sont aussi concernées, dans certaines professions de la santé et des services aux particuliers, par les contraintes physiques lourdes ou les expositions chimiques. Si, à l'échelle de la population active, elles le sont moins que les hommes, c'est surtout à cause de la distribution des emplois. Les femmes sont en effet sous-représentées dans les secteurs secondaires où se trouvent les professions aux pénibilités fortes, bien identifiées dans les grilles de mesure. Les femmes sont également souvent confrontées à des contraintes physiques particulières, telles que les gestes répétitifs et cadencés, associés aux TMS. Ces conditions de travail délétères concernent d'autant plus les femmes que celles-ci connaissent moins de promotions, notamment en lien avec l'inactivité professionnelle, et restent donc plus longtemps dans des emplois exposés.
Ensuite, ma thèse a montré que des obstacles anticipés ou effectivement rencontrés lors du retour en emploi peuvent enfermer les femmes ayant interrompu leur carrière dans des trappes à inactivité. Celles-ci s'accompagnent plus tard de symptômes dépressifs. En effet, les femmes ayant connu des sorties définitives d'emploi à des âges précoces, autour de la maternité, présentent en général une moins bonne santé mentale aux âges élevés que celles qui ont connu une carrière continue. Elles déclarent plus souvent un épisode dépressif majeur et des consommations de psychotropes. Les récits de vie que j'ai recueillis montrent que ces trajectoires traduisent pour l'ensemble de ces femmes une trappe à inactivité, c'est-à-dire qu'elles manifestent des difficultés vécues ou anticipées à se réinsérer sur le marché du travail sans subir un déclassement professionnel ou en exerçant un emploi avec des conditions de travail compatibles avec leur santé. Elles retournent plus tard sur le marché du travail avec un état de santé s'étant potentiellement dégradé.
J'observe que ces trappes à inactivité concernent l'ensemble des femmes, quel que soit leur niveau de diplômes ou de qualifications. Les plus qualifiées perçoivent une impossibilité à réintégrer leur métier antérieur, souvent en raison des évolutions de ce métier ou parce qu'elles considèrent avoir perdu leurs compétences. Elles pensent qu'il leur est impossible de revenir sur le marché sans subir un déclassement professionnel. Les moins qualifiées perçoivent elles aussi une impossibilité à réintégrer leur métier antérieur, mais elles sont également parfois contraintes économiquement à reprendre un emploi. Elles tentent de revenir sur le marché du travail et échouent à plusieurs reprises, puisque les emplois qu'elles réintègrent sont plus souvent précaires ou incompatibles avec leur santé. Ainsi, des politiques publiques favorisant les retours en emploi des femmes sont nécessaires pour que celles-ci évitent de tomber dans des trappes qui semblent critiques pour leur santé mentale plus tard dans la vie.
Enfin, certains évènements biographiques, comme une séparation conjugale, mettent en péril l'équilibre économique des femmes éloignées de l'emploi, et donc, in fine, leur santé. Mes résultats montrent des cas dans lesquels des interruptions ne seraient pas liées à des problèmes de santé aux âges élevés. Par exemple, ce ne n'est pas toujours le cas pour les femmes plus diplômées ou dont le conjoint est cadre. Leurs conséquences économiques sont réduites pour ces femmes, soit par leur patrimoine, soit par le revenu de leur conjoint. Les conséquences de l'inactivité en termes d'identité sociale peuvent quant à elles être amorties par les nombreux loisirs et engagements associatifs de ces femmes.
Toutefois, mes résultats montrent que cet équilibre des femmes en inactivité professionnelle est fragile et qu'il peut être remis en question par des événements tels que des séparations ou une évolution de la situation professionnelle de leur conjoint.
J'observe en effet dans ma thèse que l'absence de conjoint aux âges élevés accentue les risques de mauvaise santé mentale portés par une longue période d'inactivité professionnelle passée. Elle contraint les femmes ayant interrompu leur carrière à se maintenir en emploi coûte que coûte aux âges tardifs. Elles disposent de moins de marges de manoeuvre pour réduire leur temps de travail ou partir en retraite plus tôt, lorsque les conditions d'exercice de leur emploi sont incompatibles avec leur santé. Elles ont moins de marges de manoeuvre, parce qu'elles n'ont pas suffisamment cotisé.
Par ailleurs, pour les femmes en couple avec un ouvrier, les trajectoires de sortie définitive ou les interruptions longues sont liées à encore plus de risques de mauvaise santé mentale plus tard. Pour elles, l'inactivité professionnelle amène une dépendance économique vis-à-vis du revenu de leur conjoint. Or les ouvriers sont plus susceptibles de connaître des accidents de travail ou des arrêts maladie. Dès lors, l'inactivité professionnelle supprime pour ces femmes un filet de sécurité économique et leur fait courir le risque d'épisodes de difficultés économiques importants et récurrents. Ces épisodes, on le sait, sont liés à la santé des individus.
Ainsi, dans la mesure où ces événements catalysant les risques liés aux périodes d'inactivité professionnelle tendent à devenir plus fréquents, encourager le maintien des femmes dans l'emploi constituerait une politique de santé publique. Elle pourrait passer par la réduction des contraintes qui empêchent ce maintien, à savoir les contraintes liées à l'organisation du travail, au mode de garde, à la disponibilité du conjoint et à la répartition du travail au sein du foyer.
Pour conclure, ma thèse montre que les interruptions d'emploi des femmes au cours de leur carrière constituent des enjeux de santé publique par les trappes à inactivité professionnelle sur lesquelles elles peuvent déboucher, et par les risques dont elles sont porteuses en cas de séparation ou d'accident lié à la situation d'emploi du conjoint. Les expositions professionnelles, les conditions d'emploi précaires et les tensions famille-travail à des moments charnières de la carrière sont d'autres leviers qui ressortent comme cruciaux pour réduire les inégalités de santé aux âges élevés. Il est par ailleurs à noter que leurs risques peuvent se cumuler avec ceux liés aux interruptions d'emploi.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ces exposés qui nous éclairent sur différents sujets, tels que l'organisation du temps de travail, les contraintes ou l'identification de la pénibilité. Nous le ressentons à travers vos propos, on ne s'est pas toujours intéressé à la santé des femmes au travail ou on l'a étudiée différemment de celle des hommes au travail, en raison d'une visibilité différente. Vos propos concernant les différents parcours de vie sont particulièrement intéressants dans un contexte où nous discutons d'une réforme du système des retraites.
Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Merci pour vos propos introductifs. J'aimerais disposer de plus amples éléments sur certaines données que vous avez exposées ce matin, qui m'ont interrogée. Vous me semblez avoir beaucoup insisté sur les conséquences des différentes tensions au travail ou périodes d'inactivité sur la santé mentale et beaucoup moins sur les TMS ou autres accidents du travail, qui touchent par exemple autant les travailleurs du bâtiment que les aides à domicile. Est-ce un parti pris, ou ce constat découle-t-il des données que vous avez pu recueillir ? Nous savons que 31 % des femmes sont en situation de tension au travail, contre 27 % des hommes. J'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.
Vous n'avez par ailleurs pas évoqué les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes au travail, qui restent taboues, voire niées, au sein d'un certain nombre d'entreprises. Lorsque les femmes subissent ces agressions, ce sont souvent elles qui doivent quitter l'entreprise et pas leur agresseur. Pourquoi n'avez-vous pas mentionné cette question ?
Ensuite, vous indiquez que les femmes qui ont eu des enfants, mais ont poursuivi leur carrière professionnelle, rencontrent moins de problèmes de santé que celles qui l'ont interrompue pendant une période importante. Je pense que tout l'environnement social et économique auquel doivent faire face les femmes dans leur vie professionnelle doit ici être pris en compte. Vous l'avez, il me semble, abordé rapidement, mais j'aimerais là aussi disposer de plus amples éléments.
Enfin, je comprends de vos propos qu'il n'y a pas de déficit de recherche au niveau de la santé des femmes au travail puisque des chercheuses ont beaucoup travaillé sur le sujet et que des travaux existent. Je m'interroge tout de même. J'étais hier sur Public Sénat. Les interlocutrices présentes expliquaient que les travaux de recherche étaient nombreux et qu'il y avait beaucoup de chercheuses, mais que ces sujets ne semblaient pas intéresser l'ensemble de la société, mais plutôt exclusivement les femmes. Si nous souhaitons des progrès en la matière, il faudrait pourtant que toute la société se sente concernée.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ces premières questions. Il est vrai que nous avons été interpellés par certains points durant vos exposés.
Vous indiquez que la santé des femmes au travail serait meilleure que celle des femmes qui n'auraient pas travaillé. Pouvez-vous en préciser la raison ? Les femmes qui travaillent bénéficient-elles d'un meilleur suivi avec la médecine du travail ? Est-ce plutôt lié à la sédentarité développée lorsqu'elles ne travaillent pas ? Quels sont les motifs de cette différence de santé ?
Mme Constance Beaufils. - Je répondrai d'abord à votre dernière question, afin de préciser mon propos. Plusieurs mécanismes sont susceptibles de lier les interruptions de travail à la santé, raison pour laquelle j'ai eu du mal, au départ, à anticiper les résultats que j'obtiendrais par mes analyses statistiques. En réalité, l'inactivité professionnelle peut être néfaste à la santé des femmes par ses conséquences sur leurs ressources économiques, sociales et symboliques. Elle amène un manque à gagner à l'instant t, mais aussi à la retraite. Nous savons que les inégalités économiques mènent directement à des inégalités sociales de santé. Les femmes passées par l'inactivité professionnelle font davantage face à des risques de difficultés économiques qui débouchent ensuite sur de la mauvaise santé.
Il était également dit que l'inactivité professionnelle pouvait mener à de l'isolement social. Je n'ai pas retrouvé ce constat dans mes recherches. En effet, les femmes n'étant pas en situation d'emploi s'engagent parfois dans des associations et ont des réseaux d'amis se trouvant dans la même situation d'emploi. En revanche, j'ai souvent retrouvé le stigma lié à l'inactivité professionnelle. Il est au centre de mon argument reliant la santé mentale et ces périodes d'inactivité professionnelle. Toutes les femmes, qu'elles soient très qualifiées, peu diplômées ou pas du tout, quelle que soit leur position sociale, rapportent et décrivent des remarques ou jugements vis-à-vis de leur situation d'emploi. Une partie d'entre elles disent en avoir honte et l'avoir parfois cachée. C'est par ces mécanismes, à la fois économiques et symboliques, que j'interprète les risques de santé portés par les interruptions de carrière.
J'anticipais également que l'inactivité professionnelle aurait pu protéger la santé des femmes des risques liés aux expositions professionnelles. Toutefois, on peut aussi penser que la sphère domestique n'est pas épargnée par ces expositions professionnelles. Simplement, on ne les mesure pas. Aucune enquête ne permet de documenter des expositions et des pénibilités auxquelles feraient face les femmes dans la sphère privée. Les enquêtes sur les conditions de travail ne s'appliquent que pour les employés. On peut toutefois imaginer que si on les reproduisait pour les femmes qui ne sont pas en emploi, on trouverait également les sources de pénibilité et d'exposition dans la sphère domestique. On sait que des accidents et expositions y surviennent, en lien avec l'exécution de tâches parentales et domestiques.
S'agissant des liens entre inactivité et santé mentale, j'ai moi-même observé trois indicateurs de santé. Ils sont généraux et déclarés par les femmes elles-mêmes. D'abord, j'ai travaillé sur la mauvaise santé perçue. Il s'agit de demander aux femmes si elles jugent que leur état de santé est très bon, bon, moyen, mauvais ou très mauvais. Cet indicateur peut apparaître comme très subjectif et peu fiable, mais il est l'un des plus corrélés à la mortalité. Il documente à la fois les volets physiques et mentaux de la santé. J'ai également utilisé des indicateurs de symptômes dépressifs et les limitations d'activité. Sur ce dernier point, on demande aux femmes si elles sont empêchées de réaliser des tâches du quotidien. Je n'ai pas trouvé de lien significatif entre les interruptions d'emploi et la santé fonctionnelle ou perçue, mais uniquement avec la santé mentale. Pour autant, je tiens à rappeler que l'instabilité de l'emploi ou la précarité, autres dimensions cruciales de la carrière, ou les expositions professionnelles sont liées à la santé perçue, intégrant de nombreux éléments de la santé physique, ainsi qu'à la santé fonctionnelle.
Enfin, je n'ai pas travaillé sur les violences sexistes et sexuelles et n'ai donc pas pu intégrer cette donnée dans mon analyse. J'ai toutefois retrouvé cette dimension dans mes entretiens, notamment dans la sphère privée. Cet argument peut également expliquer la mauvaise santé des femmes en inactivité professionnelle car elles sont plus souvent exposées, et plus vulnérables, aux violences sexuelles et conjugales dans la sphère privée.
Mme Émilie Counil. - Je n'ai pas dit qu'il n'existait pas de déficit de recherche, mais qu'il fallait bien distinguer les champs disciplinaires et les champs de spécialisation. Les sciences sociales se sont emparées de la question de la santé au travail des femmes depuis longtemps. Cela n'a pas été le cas des sciences biomédicales. Je dressais une opposition un peu caricaturale entre la sociologie et l'épidémiologie. En tant qu'épidémiologiste, j'ai moi-même constaté que mon regard, très forgé par un apprentissage de la biologie, de la physique-chimie ou des mathématiques, a été amené à changer au contact de mes collègues de sciences humaines et sociales. Ces derniers avaient pensé les questions de genre et les différences entre hommes et femmes au-delà du biologique. Il me semble qu'il y a encore beaucoup à faire en la matière mais aussi que de nombreuses connaissances ont déjà été acquises. Je vous rejoins sur le fait que l'enjeu est sans doute de les rendre visibles, bien qu'il reste important de travailler sur les points aveugles et de continuer à progresser.
Vous soulignez que ces questions intéressent peu de monde. Je ne veux pas me montrer démesurément optimiste, mais la loi du 4 août 2014 pour l'égalité des femmes et des hommes introduit tout de même une obligation de réaliser une évaluation genrée des conditions de travail et des risques professionnels. Ainsi, la loi existe. L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) a proposé dès le milieu des années 2010 un guide pour penser l'égalité femmes-hommes, y compris en termes de conditions de travail et de conditions de rémunération et de carrière. À quel point ces démarches sont-elles mises en oeuvre ? Je ne dispose pas des données pour vous le dire. Vous devez disposer de sources pour vous y intéresser. Nous connaissons en tout cas déjà beaucoup de choses.
L'appareil statistique national fournit également des données intéressantes qui peuvent être exploitées. Les résultats ne sont pas systématiquement présentés par sexe ou genre, mais ils le sont de plus en plus. Toutes les enquêtes conduites de manière récurrente par le ministère du travail, comme les enquêtes « Conditions de travail » et « Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) » recueillent évidemment les informations sociodémographiques cruciales, et peuvent être exploitées sous cet angle. Des exploitations ont par exemple permis de connaître les problèmes généraux auxquels sont confrontées les femmes en termes de santé au travail et de conditions de travail. Elles ont notamment montré qu'elles n'affrontaient pas uniquement de l'usure psychique mais aussi de l'usure physique. La ségrégation sexuée du travail et des tâches, au sein de mêmes postes, a eu tendance à les affecter à des tâches dites plus fines, peut-être considérées comme plus légères, mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes temporelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes. Les hommes ont peut-être, dans certains secteurs, davantage bénéficié d'une automatisation les rendant chefs opérateurs d'une machine au lieu de les exposer à des pénibilités physiques.
Ensuite, nous sommes confrontés à un déficit genré de connaissances sur la santé, pas uniquement au travail. L'ostéoporose chez les hommes n'est pas encore vraiment un sujet de recherche. Une grande attention a été portée sur l'infarctus du myocarde chez les femmes, notamment en raison du déficit de reconnaissance à l'arrivée aux urgences et des conséquences sur la santé de ces populations. Le sujet est donc de plus en plus connu mais il reste tout de même des progrès à faire. En effet, les stéréotypes ont la peau dure s'agissant de la santé des femmes et des hommes et des mécanismes par lesquels ces problèmes surviennent.
Constance Beaufils a exposé de nombreux éléments sur les autres questions. Je voudrais tout de même rappeler que lorsque l'on s'intéresse aux questions d'activité, d'inactivité et de santé, nous sommes toujours confrontés à l'effet qualifié en épidémiologie de travailleur sain ou de travailleuse saine. Pour travailler, il faut être en suffisamment bonne santé. Les travaux de recherche en tiennent compte pour bien dégager l'effet propre de l'inactivité et des raisons pour lesquelles on a pu être amené à prendre des périodes d'inactivité. Elles ne sont pas uniquement liées au fait pour une femme de devenir mère, avec un ajout de tâches familiales. Ces périodes d'inactivité peuvent également être liées à la santé.
Nous devons également tenir compte de la question de l'articulation des temps professionnels et personnels ou familiaux, et donc du cumul des tâches et des expositions liées au travail productif et au travail dit non productif, familial, domestique ou reproductif. Des expositions chimiques dans les activités de nettoyage domestique quotidiennes, que les femmes continuent à effectuer plus que les hommes, peuvent par exemple se cumuler à des expositions chimiques de même nature dans le travail. Peut-être pourrions-nous même dire que plus les femmes ont ce genre d'activité dans leur travail quotidien et plus il sera facile, dans le couple, de les assigner à ces mêmes tâches dans le cadre domestique.
J'insisterai également sur le fait que les femmes avec des parcours marqués majoritairement par de l'emploi, des périodes d'interruption, de l'instabilité et de la précarité de l'emploi ont des parcours moins gratifiants, y compris au moment de la retraite. De nombreuses données illustrent leur lien avec la santé psychique, mais aussi fonctionnelle. La documentation disponible sur ces sujets est très vaste.
Enfin, les violences sexistes et sexuelles sont un sujet très important, y compris en santé au travail. Elles ne sont pas seulement un facteur de mal-être au travail. Elles peuvent également empêcher la prise en compte des conditions de travail des femmes, le fait d'en parler et d'y trouver des solutions. Je pense que l'ergonomie est une discipline bien outillée pour traiter ces sujets. Karen Messing, ergonome américano-canadienne, travaille depuis très longtemps sur les questions de genre et de santé au travail. Parmi d'autres exemples exposés dans ses nombreuses publications et ses nombreux ouvrages, que je vous invite à consulter, elle a réalisé une étude qualitative en observant le travail de techniciennes travaillant dans l'installation de dispositifs de communication à Montréal. Je vous cite un extrait de ce travail. Il s'agissait d'un milieu de travail presque exclusivement masculin, ne comptant que sept femmes parmi plusieurs centaines de salariés. Elles ont été rencontrées par des ergonomes pour discuter de leur travail. Au début, elles ne comprenaient pas le but de l'échange. Elles n'identifiaient en effet pas de problème spécifique aux femmes. Au bout de deux heures, elles ont toutefois évoqué le problème des ceintures portant les outils, qu'elles trouvaient très inconfortables. Les femmes ont en effet les hanches plus évasées que la taille, par rapport aux hommes, et les outils pesaient lourd sur leurs hanches. L'ergonome a eu le réflexe de leur proposer une ceinture reposant sur l'épaule, avec des croisillons sur la poitrine, afin de les soulager. Ces femmes ont crié que ce n'était pas possible car ce système aurait mis leur poitrine en avant. Or elles cherchaient en permanence à faire oublier qu'elles étaient des femmes. Ce n'est qu'après trois heures d'échange qu'elles ont évoqué les vraies affaires, à savoir le harcèlement qu'elles subissaient de la part de leurs collègues, du contremaître et des clients. Elles en ressentaient une forme de honte et se disaient que si elles étaient harcelées, c'est qu'elles l'avaient peut-être mérité. C'est un exemple parmi d'autres. Le fait d'avoir pu parler entre femmes, en prenant ce temps incompressible - qui n'est pas celui d'une enquête statistique par questionnaire - a permis de faire émerger ce problème très concret qui relie directement la question du harcèlement sexuel à celle de la prévention des risques professionnels.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ces réponses. On parle souvent de la santé des femmes au travail dans les métiers de la santé. Avez-vous identifié d'autres activités critiques dans les secteurs de l'industrie ou des professions libérales ? Existe-t-il une différence en matière de santé des femmes au travail selon les secteurs ?
Dans mon propos liminaire, je vous interrogeais également sur le travail de nuit. Disposez-vous de références sur le sujet ?
Mme Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Beaucoup de secteurs ont été évoqués, notamment la santé ou l'entretien. Avez-vous également réalisé des études selon la taille de l'entreprise ?
J'ai par ailleurs noté que le retour au travail après un cancer semblerait plus compliqué pour les femmes. Est-ce plus compliqué par rapport au maintien dans l'emploi, parce que les femmes auraient moins la possibilité de revenir au poste qu'elles occupaient, ou d'évoluer par la suite ?
Il apparaît en outre que la mobilité professionnelle des femmes est impactée par leur âge. Ce sujet a-t-il été étudié ?
On s'aperçoit enfin que la santé des femmes au travail n'est pas qu'une question de biologie, mais qu'elle est aussi sociale et sociétale. Quelles seraient vos préconisations à ce sujet ?
Mme Constance Beaufils. - Je n'ai plus exactement les références mais je pourrais vous communiquer des études ayant porté sur la difficulté d'articuler les rôles de femme en emploi et de mère, en fonction des entreprises. Elles montrent que cette articulation est souvent plus facile dans les grandes entreprises, proposant plus de dispositifs et de modes de garde. Je pense que les dispositifs de réparation et de santé au travail sont également plus importants et présents dans les entreprises de plus grande taille.
Mme Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Je pense que le sujet est aussi lié au secteur d'activité et à l'importance de l'entreprise, en fonction du nombre de femmes y travaillant. Ces chiffres pourraient être intéressants.
Mme Constance Beaufils. - Je n'ai plus les chiffres en tête mais je pourrai vous communiquer un article à ce sujet.
L'inactivité a très peu intéressé les gens et les études sur le sujet sont très rares. C'est d'autant plus surprenant que les femmes en inactivité liée à leur trajectoire familiale sont nombreuses. J'ai moi-même dû me démener pour trouver des données sur le sujet. Je pense qu'elles commencent à émerger mais nous n'avons pour l'heure que peu d'éléments sur le lien entre les carrières hachées et la santé, alors même qu'ils seraient très intéressants en termes de santé au travail. Le fait d'avoir des carrières hachées empêche souvent d'avoir des carrières ascendantes. Dans ce cadre, les personnes concernées restent plus longtemps au même poste et sont donc exposées plus durablement à des contraintes physiques, des risques psychosociaux, des expositions chimiques ou biologiques, en bref, à des conditions de travail délétères dans tout leur éventail.
En ce qui concerne la mobilité professionnelle, votre question portait-elle sur le retour en emploi ?
Mme Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Anne Lambert, que nous devions auditionner aujourd'hui, a étudié la mobilité professionnelle, notamment celle du personnel navigant. Elle montrait que cette mobilité dans le temps était plus compliquée pour les femmes en raison de l'articulation de la vie professionnelle, familiale et de couple. Elle indiquait aussi qu'il était de plus en plus compliqué d'accepter ces mobilités au fur et à mesure que l'on vieillissait.
Mme Constance Beaufils. - J'ai en tête ce travail d'Anne Lambert, écrit avec Delphine Remillon, portant sur le personnel navigant. Elles montrent que la disponibilité biologique des femmes et le fait de devoir être disponibles pour leur famille et leurs enfants limitent leurs possibilités de mobilité professionnelle ascendante. Dans l'entreprise étudiée, un système de mobilité au choix a été mis en place. Une part des mobilités se fait en fonction de l'ancienneté mais l'autre se fait lorsque les personnels navigants eux-mêmes demandent une promotion. Elles sont ensuite déterminées sur la base des avis de leurs équipes et supérieurs. Il est démontré qu'il est très important de passer voir l'équipe ou de se rendre dans les bureaux après un vol, par exemple, pour augmenter ses chances de mobilité au choix. Ainsi, la disponibilité des femmes empêche ces stratégies de promotion et les expose à des carrières moins souvent ascendantes. C'est ce qui explique que même lorsque l'on prend en compte le fait qu'elles sont plus souvent à temps partiel ou en inactivité professionnelle, elles ont tout de même des promotions moins importantes. Même en comparant un homme et une femme affichant la même ancienneté, étant tous deux à temps plein et n'ayant pas connu d'interruption professionnelle, nous observons des inégalités de carrière en lien avec les mécanismes de promotion en vigueur au sein de ces secteurs.
Mme Émilie Counil. - L'appareil statistique national permet de bien documenter la ségrégation sexuée des emplois et des postes et d'observer les différences de conditions de travail. Les enquêtes « conditions de travail », récurrentes, couvrent l'ensemble des actifs, contrairement à l'enquête « Sumer » (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) qui ne couvre pas les salariés indépendants et une partie de la fonction publique. Les femmes sont particulièrement présentes au sein des métiers de service, dans la vente et les métiers du soin, tandis que les hommes sont plus souvent conducteurs de véhicules, techniciens et agents de maîtrise de la maintenance, ouvriers qualifiés de la manutention et du second oeuvre du bâtiment. Nous disposons de statistiques et pourrons vous donner des sources plus précises. Cette ségrégation horizontale du travail entre hommes et femmes, qui se distribuent dans des secteurs et types de métiers différents, explique une bonne part des différences d'expositions professionnelles. Pour les hommes, elles portent davantage sur la pénibilité physique, bien que les femmes soient tout de même confrontées à de l'usure physique de différentes manières. Par ailleurs, tout le travail émotionnel réalisé par les femmes plus que par les hommes au sein de la famille ou du réseau social se retrouve souvent dans l'assignation de leurs tâches au travail. Je pourrai vous communiquer des sources plus récentes. La Dares réalise des bilans sur les conditions de travail permettant de disposer des différences entre hommes et femmes à ce sujet.
La question de la taille des entreprises est importante mais elle n'est absolument pas prise en compte en épidémiologie, ma discipline de départ, parce qu'on ne pose pas ces questions aux gens. Par ailleurs, dans le parcours de vie, et concernant le cumul des expositions et des conditions de travail au cours de la vie, il est compliqué de construire des indicateurs cumulatifs sur le type d'entreprises dans lesquelles les personnes ont travaillé, sauf quand les carrières ont été très stables. Plus elles sont instables et hachées, avec des changements d'emploi choisis ou subis, plus on peut faire face à des changements d'entreprise. Le profil des tailles d'entreprises dépend en effet des secteurs, mais pas uniquement. En termes de prévention, les très petites entreprises (TPE) ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) sont plus en difficulté pour mettre en oeuvre des mesures de prévention. Je n'ai pas mené de travaux sur la question, mais ce constat est connu et s'explique bien. Par ailleurs, les anciens comités d'hygiène et de sécurité (CHSCT) étaient par le passé réservés aux entreprises de plus de 50 salariés. La fusion des instances représentatives du personnel dans le CSE a complexifié le travail des représentants du personnel. La question de la santé au travail ne disparaît pas, mais elle fusionne avec de nombreuses autres questions. Dans ce cadre, nous nous interrogeons sur le temps qui pourra être consacré à la formation des représentants du personnel et au traitement de ces questions dans le cadre des travaux de ces comités. En termes de prévention, la question se pose donc dans toutes les entreprises, qu'elles soient de grande taille, mais aussi et surtout de plus petite envergure. Les TPE ne disposent en effet pas des mêmes outils et peuvent rencontrer plus de difficultés. Une attention particulière doit y être portée.
Autre point, l'instabilité des parcours professionnels et la question de la taille des entreprises ont des conséquences au moment de la réparation en maladie professionnelle. Nous savons qu'il existe une présomption d'imputabilité dans les tableaux de maladies professionnelles et qu'il n'est plus nécessaire de fournir une preuve d'exposition dès lors qu'on remplit les conditions de maladies professionnelles. Je rappelle que ces tableaux comprennent des colonnes reprenant la maladie, le type d'exposition professionnelle éligible, et la liste limitative ou indicative d'activités professionnelles dans lesquelles il faut avoir été actif pour être éligible, avec des durées minimales d'exposition. Il faut alors prouver ce travail exposé. Quand on fait une déclaration de maladie professionnelle, on doit en effet prouver que l'on a travaillé dans une entreprise, à un poste de travail donné, en fournissant tous les éléments de connaissance de la carrière, au-delà de ce que peut fournir la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) en termes de reconstitution de carrière. Il faut ainsi communiquer la preuve de son parcours professionnel. Lorsque l'entreprise a disparu et que l'on n'a pas conservé ses bulletins de salaire, la déclaration en maladie professionnelle peut alors être plus compliquée et les dossiers peuvent ne pas être complets. Ensuite, lorsque l'assurance maladie enquête pour s'assurer de la complétude des critères d'éligibilité, elle peut contacter les entreprises pour obtenir des informations sur les conditions de travail. Si celle-ci était de petite taille, elle a pu changer de raison sociale. Elle a également pu cesser son activité entre temps. Il sera dans ce cas plus compliqué de faire état des expositions ayant eu lieu et donc d'accéder aux droits.
Sur le volet prévention, l'enquête sur les conditions de travail comprend un volet « salarié » et un volet « employeur ». Les coupler peut apporter de nombreuses informations. Je n'ai pas travaillé sur ce sujet mais je peux me renseigner sur ces éléments s'ils vous intéressent.
Vous parliez ensuite du travail de nuit. Je commencerai par émettre une préconisation, très humblement, puisque je suis une chercheuse. Ce n'est pas mon rôle de faire des préconisations en termes de politiques publiques. Pour autant, nous disposons déjà d'outils et il existe déjà une obligation de prise en compte des différences entre hommes et femmes dans l'évaluation des risques professionnels. Il suffit d'insister sur ce fait et de mieux former et informer à ce sujet. Par ailleurs, le rôle des acteurs de la société civile et des représentants du personnel ne doit pas être négligé. À titre d'exemple, la CFDT a commencé à s'intéresser en 2017 à la question des cancers professionnels chez les femmes. Cette dynamique a trouvé son origine dans un groupe de retraités du secteur minier dans l'Est de la France. Ils connaissaient très bien cette question, pour avoir été fortement impactés et pour s'être battus pour faire reconnaître leurs atteintes respiratoires en tant que maladies professionnelles. Arrivés à la retraite, ses membres se sont rendu compte que toutes les compétences et connaissances accumulées finiraient par s'épuiser. Ils continuent à recevoir d'anciens travailleurs pour les conseiller et les accompagner, mais l'ancien régime minier du Grand-Est est aujourd'hui passé au secteur sanitaire et social, comptant majoritairement des femmes beaucoup plus jeunes qu'eux et n'ayant pas la même culture de la santé au travail. En échangeant avec le secteur sanitaire et social, mais aussi avec les personnels de bord des compagnies aériennes, ils ont réalisé que le cancer du sein pourrait être un sujet d'importance en termes de prévention et de réparation, puisqu'un certain nombre de facteurs de risques sont connus. Je peux citer ici le travail de nuit, dont le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a confirmé qu'il s'agissait d'un cancérogène probable pour le cancer du sein. S'est alors engagée une initiative, y compris en travaillant avec des associations de femmes malades d'un cancer du sein. Des courses à vélo et autres opérations de communication ont été lancées. Une enquête a par ailleurs été menée dans la lignée des enquêtes ouvrières pour documenter les expositions des femmes au travail dans ces secteurs. Je pense que les mobilisations sont très importantes.
Pour finir sur la question du travail de nuit, je pense bien entendu que le cancer du sein est un sujet, mais nous ne devons pas oublier tous les effets déjà très bien connus sur de nombreux autres aspects de la santé physique et mentale. Nous n'avons pas besoin d'attendre qu'une énième enquête de l'Inserm assoie de façon encore plus forte le lien entre le travail de nuit et le cancer du sein. De nombreux autres effets sont déjà constatés, y compris sur des aspects de la vie généralement liés aux habitudes de vie et aux comportements de santé. Le sommeil et les habitudes alimentaires sont liés aux rythmes de travail. C'est un fait établi. Les personnes travaillant de nuit ont tendance à avoir une alimentation moins saine et moins équilibrée, parce qu'elles vivent sur des rythmes sociaux décalés ou qu'elles mangent plus souvent seules. Bien sûr, les conditions de travail peuvent aussi affecter les comportements de santé. Le travail de nuit en est un bon exemple.
Le retour au travail après un cancer est une question très importante, mais ce n'est malheureusement pas mon domaine. Je sais que des recherches sont conduites en France sur ce sujet. La recherche biomédicale s'en saisit, notamment concernant le retour au travail après un cancer du sein et les inégalités sociales qui peuvent exister en matière de retour à l'emploi. Je n'ai pas de résultats à vous communiquer mais je pourrai regarder si quelque chose a déjà été publié.
Mme Constance Beaufils. - J'ai en tête un rapport de Patrick Peretti-Watel sur la vie deux ou cinq ans après le diagnostic d'un cancer. Il est très riche et fourni. Vous y trouverez certainement des éléments de réponse.
Mme Annick Jacquemet, co-rapporteure. - Merci Mesdames pour toutes ces informations. Mes collègues ont posé bon nombre de questions qui m'interpellaient également. J'y ai ainsi obtenu une partie de réponses. Il me semble que nous assistons à une évolution en ce qui concerne le travail, mais également la façon d'envisager la vie en général. Il me semble que la gestion du travail et de la vie familiale forment un ensemble.
Je m'interroge donc sur l'évolution des pratiques en matière de travail des femmes, depuis les années 1960, et sur la façon dont cela affecte leur santé. Disposez-vous d'un comparatif de la santé mentale des femmes qui ne travaillaient pas par le passé, et de celle des femmes qui ont aujourd'hui des carrières hachées ?
Mme Constance Beaufils. - À partir des années 1960, les femmes sont massivement entrées dans l'emploi. Leur taux d'activité avoisine les 85 % pour les 25-45 ans depuis les années 2000 environ. Cette féminisation du marché du travail répond à une volonté politique de développer l'emploi féminin, notamment via l'offre de garde ou les politiques familiales. Elle est par ailleurs concomitante à la diffusion d'une norme d'emploi. Il est devenu de plus en plus normal et attendu, pour une femme, qu'elle occupe un emploi lorsqu'elle est mère. Pour les femmes nées dans les années 1930 ou 1940, entrées dans le marché du travail à un moment où le taux d'activité s'élevait à 30 %, la norme était moins forte. Ce constat peut être directement relié aux conséquences de l'inactivité sur la santé. On peut en effet imaginer que le stigma était beaucoup moins fort sur ces femmes. Le fait de ne pas occuper d'emploi était en effet beaucoup moins critiqué ou mal vu socialement. Le mécanisme pouvant rendre l'inactivité délétère ne s'appliquait pas nécessairement pour ces femmes. Avec la féminisation du marché du travail, la norme d'emploi s'est diffusée et ce stigma lié à l'inactivité professionnelle est devenu de plus en plus fort. Les liens varient en fonction des générations.
Les études montrent que l'inactivité professionnelle reste présente. 20 % des mères de trois enfants ou plus sont en effet dans cette situation entre 25 et 49 an, d'après un recensement réalisé en 2019. L'enquête « Familles et employeurs » et les études sur les modes de garde ont permis à des chercheurs de montrer que, lorsqu'on leur en demandait les raisons, les femmes en inactivité professionnelle répondaient qu'il s'agissait d'un choix fait pour leur famille. Lorsqu'il leur était ensuite demandé de détailler le contexte et les configurations entourant leur sortie du monde du travail, elles indiquaient toutefois que celle-ci était liée à des contraintes, telles que des horaires décalés, ou à l'état du marché du travail. En effet, les sorties coïncident parfois avec un licenciement ou une fin de CDD. L'augmentation de la précarité et des difficultés à trouver un emploi vont favoriser la sortie du marché du travail autour de la maternité, qui constitue alors une échappatoire face à ces contraintes à une insertion pérenne sur le marché, dans des conditions de travail plutôt bonnes. S'y ajoutent des contraintes liées aux modes de garde, puisqu'il peut être difficile de trouver une crèche ou une assistante maternelle. Aujourd'hui, ce sont donc principalement des contraintes qui entourent les sorties du marché du travail. Elles ne sont en outre pas incompatibles avec des affirmations de certaines selon lesquelles elles préféreraient être en inactivité professionnelle pour s'occuper de leurs enfants.
Ainsi, la question du choix est un peu compliquée pour les générations actuelles. Pour les générations antérieures, elle ne se posait pas réellement, puisque le fait de ne pas être en emploi était une norme.
Mme Émilie Counil. - Concernant les différences de génération, et en matière d'expositions aux pénibilités, j'ai travaillé sur les effets différés, à long terme. Nous avons pu constater des différences entre les femmes et les hommes entrés sur le marché du travail avant le début des années 1990, ou depuis le début des années 1990, mais quand on s'intéresse au cancer, on étudie des populations d'un âge plus mûr, et on ne peut se prononcer pour les plus jeunes. En revanche, nous constatons dans les statistiques nationales que tant chez les femmes que chez les hommes, les accidents du travail avec arrêt touchent majoritairement les plus jeunes. Les secteurs dans lesquels s'insèrent les femmes sont concernés.
D'une manière générale, l'un des problèmes se posant en termes de santé au travail relève du fait que l'on veut gérer la pénibilité par le biais du recrutement. On affecte ainsi les travailleurs les plus jeunes et en meilleure santé sur les postes plus difficiles. Tout l'enjeu des ergonomes vise à adapter le poste à l'homme ou à la femme, plutôt que l'inverse. Il est important de veiller à ne pas compromettre l'avenir des plus jeunes en les affectant sur les tâches plus pénibles, au motif de préserver les plus âgés ayant eux aussi été exposés à des pénibilités. Nous devons continuer à améliorer les conditions de travail pour tous et pour toutes.
Mme Annick Jacquemet, co-rapporteure. - Madame Beaufils, vous nous avez indiqué qu'il existait trois marqueurs par lesquels les inégalités de santé se formaient et pour lesquels les politiques publiques pouvaient intervenir. Quelles politiques publiques existantes incomplètes ou inexistantes avez-vous identifiées, sur lesquelles il serait nécessaire de travailler plus spécialement ? Quelles solutions préconisez-vous après toutes les études que vous avez menées ?
Mme Constance Beaufils. - J'ai identifié des politiques mais elles sont très générales et n'ont rien de révolutionnaire. Parmi les trois marqueurs que j'ai identifiés, je citerai d'abord les carrières avec de la précarité et de l'instabilité, qui sont associées à des risques de santé plus tard pour les femmes. Réduire leur occurrence et faire en sorte qu'il y ait moins de précarité dans les carrières des femmes, en les rendant moins instables et en réduisant les expositions aux risques professionnels, leur fréquence et leur cumul, pourrait ici constituer une solution. Les conséquences de ces expositions sur la santé pourraient également être réduites par des adaptations des postes de travail, par exemple.
Le deuxième marqueur identifié concerne les trappes à inactivité. De nombreuses femmes interrompent leur emploi et ne retournent pas sur le marché du travail, parce qu'elles considèrent qu'il est impossible pour elles de le faire. Certaines ont déjà essayé, mais n'y sont pas parvenues, parce que c'était trop difficile, parce qu'elles n'ont pas été accompagnées. D'autres occupaient des postes avec des compétences techniques spécifiques. Leur poste a évolué, via des logiciels par exemple, et elles se sentent incapables d'y revenir. Je précise bien qu'elles s'en sentent incapables, car il serait possible qu'elles y reviennent si on développait des politiques favorisant les reconversions ou les retours en emploi des femmes qui se sentent bloquées dans leur inactivité professionnelle. Elles sont souvent victimes d'une perte de confiance en elles, liée à leur inactivité. Il serait donc essentiel de jouer sur cet aspect du retour en emploi et de réfléchir à des politiques qui le favoriseraient ou qui feraient que les femmes qui ont interrompu leur emploi puissent ensuite y revenir. Pour ce faire, des dispositifs et des tremplins pourraient être mis en place, ou on pourrait réduire leur perte de confiance et leur sentiment d'incapacité à re-exercer un emploi.
Enfin, le dernier marqueur concerne le fait que, dans certains cas, l'inactivité professionnelle n'est pas un problème. Les femmes disposant de patrimoine, n'étant pas mises en péril économique, peuvent ne pas exercer un emploi. Elles sont ainsi protégées des pénibilités liées à celui-ci. Si leur conjoint touche des revenus importants, cette inactivité ne se répercutera pas sur leur niveau de vie. En revanche, si elles font face à une séparation conjugale ou si leur conjoint subit un accident du travail, l'inactivité professionnelle pourra devenir critique, notamment par ses conséquences économiques. Celles-ci contraindront par exemple les femmes à rester dans l'emploi jusqu'un âge très tardif, car elles ne pourraient pas se permettre de faire autrement au regard du montant de leur retraite. Ici, les solutions sont doubles. D'abord, il est nécessaire d'encourager le maintien dans l'emploi, puisque ces événements de la vie, tels que les séparations, deviennent plus fréquents. Pour que les situations critiques soient plus rares, les femmes doivent pouvoir se maintenir dans l'emploi. Nous pourrions ensuite penser à des dispositifs de filets de sécurité pour éviter au mieux des situations extrêmement critiques d'un point de vue économique.
Mme Laure Darcos. - Avez-vous mené des études sur le fait que les femmes empêchées par des problèmes de santé ou de grossesse reprennent plus rapidement leur activité professionnelle que les hommes ? Dans un traitement de chimiothérapie ou de rayons, comme dans le cas d'une grossesse, ou après une infection au Covid assez lourde, j'ai pu constater autour de moi que les femmes reprenaient plus rapidement le travail que leurs homologues masculins.
M. Jean-Michel Arnaud. - Nous sommes en plein débat sur les retraites. Disposez-vous d'éléments dans vos analyses et travaux nous permettant d'avoir un regard maîtrisé sur la reprise d'activité à l'issue de la période familiale intense des femmes, au-delà de 50 ans ? Auriez-vous des éléments à porter à notre connaissance, nous offrant des arguments afin de distinguer la situation des femmes et celle des hommes face à l'âge pivot de la retraite ?
Ensuite, vous avez essentiellement dressé un état de travaux sur la Seine-Saint-Denis, cumulant un certain nombre de spécificités. Disposez-vous également de références sur l'extrême ruralité ou la ruralité forte ? Notre délégation a en effet mené des travaux importants l'année dernière, sur ce sujet. J'aimerais savoir s'il existe une spécificité rurale sur les sujets présentés ce matin.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci de revenir sur ce rapport intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité. Cette question est très intéressante, dans la mesure où des freins peuvent empêcher les femmes de revenir au travail dans les périodes charnières évoquées plus tôt. Existe-t-il des politiques publiques en termes de mobilité ? Avez-vous identifié ces sujets ?
Mme Émilie Counil. - Au regard de mon domaine de compétences, j'aurai moins de données à vous communiquer que ma collègue, tant sur la question de la reprise plus rapide du travail après un arrêt maladie ou un congé maternité ou parental, que sur la question des retraites. Je sais que des collègues de l'Ined ont été très sollicités sur le sujet de la retraite, avant la crise sanitaire notamment. Je pourrai les renvoyer vers vous si vous le souhaitez.
Par ailleurs, mes travaux ont été menés en Seine-Saint-Denis, mais ils nous apportent des enseignements de portée plus large concernant les expositions cancérogènes au travail.
La question de la ruralité est quant à elle très pertinente mais je n'ai pas de réponse à vous apporter. Je n'ai pas connaissance d'enquêtes ad hoc mais il me semble que la statistique publique prend au moins en compte la taille de l'unité urbaine de résidence. Je ne sais pas comment recouper les informations. Je n'ai pas entendu parler de travaux sur le sujet. De toute évidence, la question des accidents de trajet et de la structuration de l'emploi semble particulièrement intéressante à cet égard.
Mme Constance Beaufils. - Je ne dispose pas d'éléments concernant la reprise du travail des femmes ayant connu des problèmes de santé par rapport aux hommes. Je ne voudrais pas émettre de suppositions. Je pourrai toutefois me renseigner et vous communiquer d'éventuels travaux ayant trait à ces questions.
De même, vous nous interrogez sur la reprise et les comportements d'activité des hommes et des femmes autour de l'âge pivot. J'ai surtout étudié les femmes entre 25 et 50 ans car les données au-delà de ces âges devenaient compliquées à traiter. Je n'aurai donc que peu d'éléments à vous apporter. En revanche, concernant les facteurs facilitant la reprise d'emploi, j'ai pu identifier le type de contrat avant l'interruption, donnant une idée de la sécurité de l'emploi et de l'inscription dans celui-ci dont bénéficiaient les femmes en question et le type de secteur. Par exemple, les fonctionnaires peuvent toujours reprendre leur emploi, ce qui facilitera leur retour, parfois après dix ans d'interruption. Elles peuvent donc sortir des trappes à inactivité. Dans le secteur privé, l'emploi n'est quant à lui pas garanti au retour. Par ailleurs, plus la durée d'interruption est longue, moins les chances de reprise sont importantes, puisque les obstacles que j'évoquais plus tôt croissent à mesure du temps d'inactivité.
Enfin, la question de la santé recoupe différents facteurs. Souvent, les femmes essayant de reprendre un emploi après quinze ou vingt ans d'interruption n'ont pas la même forme physique que lorsqu'elles en sont sorties. Elles ressentent ainsi ce retour comme très difficile, même si le poste est le même. Si des troubles de santé se sont développés pendant la période d'interruption, il sera plus compliqué de revenir par la suite. Comme le soulignait Émilie Counil, la santé est un facteur d'emploi. En effet, on a besoin d'être en bonne santé, notamment mentale, pour retrouver un emploi, cela influencera directement les possibilités qu'on perçoit à revenir sur le marché du travail. Si on est dans un état dépressif, on peut s'en sentir d'autant plus incapable.
Mme Annick Jacquemet, co-rapporteure. - Vous parliez à l'instant de l'état dépressif. Dans votre étude, avez-vous pu dresser un distinguo dans l'origine de ces troubles ? On parle beaucoup de l'influence du travail sur les problèmes psychologiques ou sur les dépressions, mais d'autres facteurs personnels peuvent entrer en ligne de compte, par exemple la situation de couple.
Mme Constance Beaufils. - Nous contrôlons toujours les liens entre les interruptions de travail et la santé à situation conjugale égale. Toute une littérature documente par ailleurs les conséquences des ruptures conjugales sur la santé. Une étude d'Emmanuelle Cambois a notamment montré la différence de conséquences d'une séparation pour les hommes et pour les femmes en termes de santé mentale. Pour les hommes, elles se traduisent par une perte de soutien social, en raison d'une perte d'un réseau social, de contacts, de relations et d'occasions de sociabilités. Pour les femmes, elles se traduisent par la perte de ressources économiques. Ainsi, les voies conduisant à une mauvaise santé mentale à l'issue d'une séparation sont distinctes pour les hommes et les femmes.
Mme Émilie Counil. - Je me permettrai de revenir sur les politiques publiques. Vos questions portaient spécifiquement sur les carrières des femmes et des hommes. Si nous revenons spécifiquement sur les questions de santé au travail, nous devons garder certains éléments à l'esprit. Bien sûr, les politiques de prévention sont essentielles. Il est nécessaire de genrer les approches et de tenir compte des différences entre les hommes et les femmes dans les dispositifs de traçabilité et les facteurs de pénibilité retenus. Il est également primordial de rappeler que la réparation des atteintes à la santé au travail a été pensée pour dédommager et indemniser les victimes, mais aussi pour inciter les employeurs à adopter des mesures de protection des travailleurs, obligation légale de sécurité et de résultat. À ce titre, nous voulons signaler que le système de réparation, bien qu'il soit relativement plus ouvert en France que dans d'autres pays d'Europe, reste encore très limité en termes d'accessibilité. Les problèmes de santé psychique ne sont notamment pas pris en compte. Nous avons pourtant vu qu'ils peuvent principalement toucher les femmes, bien que nous n'éludions pas ceux qui peuvent affecter les hommes, pour lesquels l'accès à la réparation en cas de maladie professionnelle est également difficile. Ces dimensions de genre doivent vraiment être intégrées, tout comme celles, plus larges, d'invisibilisation, de non-recours au droit et d'accès aux droits dans les dispositifs de réparation.
Enfin, au-delà des grandes enquêtes dans lesquelles nous intégrons un maximum de données sociodémographiques contextuelles, de manière à comprendre la construction des parcours de vie et de santé, nous avons besoin que la statistique publique inclue systématiquement le sexe - c'est déjà le cas -, la profession - ce n'est pas le cas de manière exploitable sur les certificats de décès -, la position sociale et l'histoire migratoire des personnes. Il est en effet important de tenir compte des mécanismes plus larges de division sociale et sexuelle du travail et des risques. Ce sujet a été documenté dans d'autres pays. La France ne fait pas exception, mais est à ce jour moins outillée pour le montrer.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour vos réponses complètes. Votre dernière intervention est éloquente pour nos rapporteures. La santé des femmes au travail est liée aux conditions de travail, qui évoluent très vite. Vous nous avez présenté certains résultats datant de 2010. Nous savons que la crise sanitaire a depuis modifié l'organisation du travail et le rapport à celui-ci. De nouvelles méthodes, telles que le télétravail, sont apparues. Il affecte de manière importante, et peut-être différenciée, la santé des femmes et des hommes. Il apparaît ainsi nécessaire de disposer de données genrées, par secteur d'activité et par taille d'entreprise ; Marie-Pierre Richer le soulignait plus tôt.
Le sujet est extrêmement vaste. Nous devons aujourd'hui réaliser un travail d'état des lieux et de prospective pour demain. Les inégalités salariales et d'emploi ont un impact sur la santé des femmes tout au long de leur vie, mais l'inactivité aussi, lorsqu'elles y sont contraintes, notamment du fait de périodes charnières de maternité par exemple. Je le découvre un peu ce matin. Je ne voyais pas l'inactivité comme une mise en danger de la santé des femmes à ce moment-là. Merci, Mesdames, de nous avoir apporté ces éléments de précision. N'hésitez pas à nous communiquer des données chiffrées, genrées et sectorisées. Nous l'imaginons bien, la Seine-Saint-Denis est une photographie, mais elle ne reflète pas forcément l'ensemble de nos territoires.