Jeudi 24 novembre 2022
- Présidence de M. Mathieu Darnaud, président -
Examen du rapport sur l'avenir de l'eau (Rapporteurs : Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard, Jean Sol)
M. Mathieu Darnaud, président. - Mes chers collègues,
La réunion de notre délégation ce matin est consacrée à l'examen du rapport sur l'avenir de la gestion de l'eau, avec comme horizon 2050. Pour autant, c'est un sujet qui a une résonance très forte avec l'actualité, singulièrement après un été 2022 marqué par la sécheresse et les incendies qui l'ont accompagnée. D'autres épisodes d'inondations nous viennent également à l'esprit.
L'eau est un sujet majeur pour notre avenir. Nous l'avions déjà abordé avec Erik Orsenna que nous avons entendu il y a quelques mois. J'espère d'ailleurs que nous aurons l'occasion de lui présenter le rapport. Il pourrait nous accompagner dans la mise en lumière des préconisations et ainsi, nous permettre d'ouvrir plus largement le débat.
Je remercie nos quatre rapporteurs, Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et Jean Sol, pour leur travail d'auditions et de rencontres de terrain. J'ai participé à certaines d'entre elles, en Drôme, Ardèche, Loire. Ils ont été en mesure ainsi d'explorer les multiples aspects de la politique de l'eau.
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est essentiel. L'eau nous accompagne dans notre vie quotidienne sans même que nous y fassions attention. Mais qu'elle vienne à manquer ou qu'il y en ait trop et c'est la catastrophe. Or c'est bien là notre inquiétude. Si l'eau est trop polluée, pourrons-nous encore l'utiliser ? Si l'eau se raréfie, comment allons-nous faire face ? Si les inondations nous submergent, quel en sera le coût ? La Cour des comptes vient à cet égard de publier un rapport indiquant que l'Ile-de-France n'est pas assez préparée au risque d'inondation. Or, une crue centennale comme celle de 1910 ferait 30 milliards d'euros de dégâts.
Pourquoi avoir choisi de s'intéresser à l'eau, six ans après l'excellent rapport de prospective des sénateurs Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet ? Pour l'actualiser, certes, mais aussi pour maintenir notre attention sur une question véritablement stratégique.
En effet, avec le changement climatique, le régime des précipitations se modifie, le cycle de l'eau en est altéré et nous devons faire face à des réalités nouvelles sur nos territoires.
Nous nous sommes penchés à la fois sur l'enjeu de la qualité de l'eau et sur celui de sa gestion quantitative, mais c'est surtout ce dernier aspect qui nous a occupés et préoccupés, même si les deux sont liés : mécaniquement, lorsqu'on a moins d'eau, les polluants se diluent moins et sont plus concentrés.
Nous avons évacué de notre champ d'investigations la question de l'eau dans les outre-mer, d'abord parce que la délégation sénatoriale aux outre-mer serait mieux placée que nous pour y travailler et ensuite parce que les enjeux climatiques en zone tropicale ou encore de gouvernance dans des territoires insulaires ou enclavés, ne se posent pas du tout dans les mêmes termes que dans la France hexagonale.
Travailler sur l'eau n'est pas chose facile. Le sujet est complexe sur tous les plans : technique, mais aussi financier et administratif. On a souvent le sentiment que l'eau est une affaire de spécialistes, d'ingénieurs plus que de politiques. Lorsque nous avons débuté nos travaux, au printemps dernier, nous étions déjà convaincus qu'il n'en était rien. Le contexte de sécheresse de cet été et les manifestations contre la construction de retenues d'eau pour l'irrigation dans les Deux-Sèvres il y a quelques semaines apportent « de l'eau à notre moulin ». La gestion de l'eau comporte certes une dimension technique mais c'est pleinement une question politique dont nous devons nous saisir et qui, au-delà des soubresauts de l'actualité, se construit sur le temps long.
Nous avons procédé à plus d'une trentaine d'auditions et, fait inhabituel à la délégation à la prospective, deux déplacements en juin dans le secteur Drôme-Ardèche et dans la Loire, et en septembre dans les Pyrénées-Orientales, pour aller recueillir des témoignages de terrain, auprès d'élus, d'agriculteurs, de fonctionnaires des services de l'État ou d'établissements publics ou encore de représentants des pêcheurs ou d'associations de protection de l'environnement. Nous avons cherché à avoir le panel le plus large possible d'interlocuteurs.
Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui est issu de ces travaux. Nous avons fait le choix de le présenter sous la forme de huit questions.
Première question : à quoi nous sert l'eau aujourd'hui ? Qui sont ses différents utilisateurs ? Avec une préoccupation forte : allons-nous pouvoir nous en passer ou, au moins, réduire notre consommation ?
Deuxième question : quelles sont les modifications du cycle de l'eau auxquelles nous pouvons nous attendre avec le changement climatique ?
Troisième question, liée à la précédente : risque-t-on de voir exploser les conflits d'usage ? Va-t-on pouvoir gérer la pénurie sans difficulté ?
Quatrième question : comment est organisée notre gouvernance de l'eau ? Qui décide ?
Cinquième question : quelles sont les données sur l'eau dont nous disposons pour travailler ?
Sixième question : quelles sont les possibilités techniques pour « fabriquer de l'eau », quelles sont nos marges de manoeuvre pour construire des retenues, réutiliser l'eau, éventuellement la transporter d'un lieu à un autre ?
Septième question : quel est le niveau de qualité de l'eau que nous pouvons espérer à l'avenir et comment faire pour garder un haut niveau d'exigence ?
Huitième et dernière question : combien l'eau nous coûte-t-elle déjà et peut-elle demain nous coûter ?
Enfin, nous terminons ce tour d'horizon qui se veut le plus complet possible par les leçons que nous tirons et les orientations qui nous paraissent pertinentes pour la politique de l'eau.
Faire de la prospective, c'est partir d'un état des lieux. Sur la première question relative aux utilisations de l'eau, quelques repères doivent d'abord être posés. L'eau douce provient des précipitations. En France, nous n'en manquons pas avec une moyenne de 900 mm de pluie par an, soit 510 milliards de m3 d'eau qui tombent sur le territoire métropolitain, dont environ 210 milliards de m3 de pluies dites «utiles », qui vont dans les nappes et les cours d'eau. Nous n'utilisons qu'une petite partie de ce volume : 32 à 35 milliards de m3 par an, pour énormément d'usages.
La production d'énergie électrique est le plus gros préleveur d'eau : 17 milliards de m3 par an. Nous produisons ainsi de l'hydroélectricité, qui nous apporte 12 à 13 % de la production annuelle d'électricité. L'hydroélectricité est très vertueuse : c'est une énergie décarbonée, pilotable, et en plus elle rend l'eau au milieu naturel. Sur un cours d'eau, on peut même turbiner plusieurs fois le même flux.
Les centrales nucléaires ont également besoin de beaucoup d'eau pour leur circuit de refroidissement, et l'essentiel de cette eau est restituée au milieu. Une annexe au rapport décrit le rôle de l'eau dans le refroidissement des centrales.
L'eau potable, ensuite, prélève 5 milliards de m3, dont 1 milliard sont perdus sous forme de fuites. Elle est indispensable à notre vie quotidienne, même si nous avons appris progressivement à être plus économes en eau, avec des consommations qui baissent tendanciellement et s'établissent aujourd'hui à 150 litres par personne et par jour, soit 120 à 150 m3 par ménage et par an, selon la composition des ménages.
L'agriculture prélève 3 à 3,5 milliards de m3 par an. Elle en est très dépendante car il n'y a pas d'agriculture sans eau. C'est certainement le secteur le plus sensible au changement climatique, avec des besoins en eau qui sont concentrés sur la saison chaude et qui vont mécaniquement augmenter avec le réchauffement climatique.
L'agriculture irriguée ne représente que 20 % des exploitations agricoles et 5 % de la surface, un chiffre stable depuis 20 ans, mais avec des secteurs très dépendants et des activités qui demain ne pourront pas survivre sans apport extérieur d'eau, comme la vigne sur le pourtour méditerranéen.
L'agriculture est aussi le secteur le plus exposé dans les débats sur la gestion quantitative de l'eau, puisque les plantes captent l'eau pour se développer et ne la rendent pas au milieu naturel. Lorsqu'on raisonne non pas en termes de prélèvement d'eau mais de consommation d'eau, on constate que l'agriculture en représente les deux tiers, avec un pic en été.
L'industrie prélève encore 3 milliards de m3 par an, et a développé des systèmes de réutilisation de l'eau. Elle rend au milieu l'essentiel des quantités d'eau prélevées.
De l'eau est utilisée également pour alimenter les canaux de navigation et les ouvrages hydrauliques, à hauteur de 5 milliards de m3 par an. Lorsque les voies navigables sont insuffisamment alimentées, on doit réduire le chargement des péniches, ce qui a été le cas sur le Rhin pendant deux semaines cet été. On peut noter que, pour le soutien d'étiage, il y a prélèvement d'eau mais pas de consommation d'eau, puisque l'eau est rendue au milieu naturel. On ne fait que l'intercepter temporairement.
Enfin, l'eau est le support de nombreuses activités récréatives et le moteur du tourisme dans certains territoires, y compris l'hiver, avec les enneigeurs artificiels qui équipent 30 % des pistes de ski. Pour la pêche de loisir, pour la pratique du kayak et des sports d'eau vive ou encore pour la pratique du golf, l'eau est indispensable et irremplaçable.
Mais si l'eau fait l'objet d'utilisations pour une multitude de besoins, et si la civilisation repose sur la domestication de l'eau et la mise en place d'outils pour organiser sa gestion collective, l'eau rend aussi des services à la nature qui font qu'il existe des limites fortes à nos possibilités de prélèvement et de consommation.
La gestion durable de la ressource en eau impose ainsi de préserver les zones humides, de protéger la faune et la flore aquatique, et de ne pas prélever trop. La directive cadre sur l'eau nous impose ainsi de garantir le bon état quantitatif des réserves d'eau souterraines comme des eaux de surface, pour préserver les écosystèmes, mais aussi pour ne pas nous retrouver demain en situation de ne plus avoir suffisamment d'eau pour satisfaire nos besoins.
M. Jean Sol, rapporteur. - Les modifications du cycle de l'eau qui vont nous toucher dans les décennies à venir constituent la deuxième question abordée par le rapport. Le cycle de l'eau, à l'échelle de la planète est très «thermosensible ». Il a déjà commencé à se modifier sous l'effet du réchauffement climatique. L'eau ne disparaît pas, les pluies ne cessent pas. Mais elles se déplacent. La géographie des précipitations se transforme, en particulier sous l'effet des variations de la zone de convergence intertropicale entre le 30ème parallèle Nord et le 30ème parallèle Sud. La temporalité des précipitations évolue aussi : nous allons vers des épisodes plus prononcés, plus violents, plus massifs, alternant avec des périodes prolongées sans pluie.
L'élévation des températures accélère la fonte des glaciers et renforce l'évaporation continentale. La déforestation ou encore l'urbanisation contribuent aussi à l'érosion des sols et une moindre infiltration de l'eau dans les nappes. Les littoraux sont en première ligne avec, outre l'érosion marine, les phénomènes de biseau salé dans les nappes côtières.
La France est assez riche en eau avec des précipitations largement suffisantes pour pourvoir à nos besoins et des massifs montagneux qui sont autant de « châteaux d'eau » naturels. Mais nous n'échappons pas au changement climatique, nous sommes même dans la zone où les changements du cycle de l'eau risquent d'être les plus prononcés, à l'inverse du Nord de l'Europe dont le régime des précipitations devrait être stable.
Il y a déjà des différences régionales prononcées en matière de disponibilité de l'eau, la zone méditerranéenne s'étant habituée de manière ancienne à faire face à une ressource plus rare. Cette rareté va cependant remonter vers le Nord.
Les experts n'anticipent pas une baisse générale du volume annuel de précipitations. Mais il y a un consensus pour estimer que nous aurons moins de pluie en été, avec une diminution de l'ordre de 16 à 23 %, une baisse du débit des cours d'eau de 10 à 40 % à cette période, une sécheresse agricole plus longue et une évapotranspiration accrue. Les tendances qui se dessinent pourraient être accentuées en cas de réchauffement climatique plus rapide que ce que prévoit le scénario central du GIEC.
L'exercice de prospective bassin par bassin auquel se sont livrées les Agences de l'eau sur la base de l'étude Explore 2070 montre qu'aucune région n'échappera totalement à ce mouvement, y compris les bassins plus septentrionaux : Rhin-Meuse, Artois-Picardie et Seine-Normandie. Plus on descend à une échelle fine, plus les prévisions sont difficiles à faire, avec parfois des phénomènes qui se contrebalancent. Ainsi, le système-Rhône devrait bénéficier jusqu'à la fin du siècle d'étiages peu prononcés du fait de la fonte des glaciers, qui alimentent le Rhône en été.
Globalement, il faut cependant s'attendre à faire face à davantage de sécheresses et aux problèmes de qualité de l'eau posés par l'eutrophisation, liés à l'augmentation de la température.
Ces problèmes vont s'accentuer, mais en réalité, ils sont déjà là et ils suscitent des conflits d'usage qui risquent eux aussi de devenir plus compliqués à gérer. Ces conflits d'usage de l'eau sont l'objet de la troisième question de notre rapport. Va-t-on pouvoir les gérer, ou est-on condamné à les voir se multiplier et s'envenimer ?
Le droit de l'eau est précisément là pour prévenir les conflits d'usage et les excès que les différentes catégories d'acteurs pourraient être tentés de commettre, au détriment des services rendus par la nature ou au détriment des autres utilisateurs. La gestion de l'eau est forcément collective. Pour utiliser sa force motrice ou pour la capter dans le sous-sol ou dans les rivières, on doit passer par un système d'autorisations administratives exigeant : les installations, ouvrages, travaux et aménagements (IOTA). Les zones de répartition des eaux, où l'on connaît des difficultés structurelles, se voient appliquer des règles renforcées de protection de la ressource.
Ce cadrage normatif organise le partage de l'eau mais n'empêche pas des situations de tension, notamment avec la multiplication des épisodes de sécheresse qui deviennent récurrentes et généralisées à toute la France. Les préfets sont appelés à réunir des comités sécheresse et prendre des mesures de restriction et l'ont fait dans quasiment tous les départements en 2022. Au 24 novembre 2022, le site Propluvia indique que des arrêtés sécheresse sont encore en vigueur dans la moitié des départements français.
Dans ces conditions, pourra-t-on à la fois poursuivre l'objectif environnemental de préservation des écosystèmes aquatiques et l'objectif économique d'utilisation de l'eau ? Pour l'instant, c'est cette ligne de crête qui est suivie. L'idée première est d'aller vers plus de sobriété, avec un objectif fixé par les Assises de l'eau de réduction des consommations d'eau de 10 % en 2025 et 25 % en 2035. On compte notamment sur des aménagements fondés sur la nature pour mieux maîtriser le cycle de l'eau, et sur la concertation des acteurs pour s'entendre sur la manière de faire. Mais ce n'est pas si simple. Un exemple en atteste, celui de la fixation du niveau des débits réservés. Pour conserver une vie biologique minimale, un débit minimal doit être garanti dans les cours d'eau. Il doit représenter 1/10ème voire 1/20ème du débit habituel. Or, les modalités de calcul de celui-ci sont localement contestées. Fixé trop haut, il conduit à interdire tout prélèvement agricole à certaines périodes critiques de l'année. Son principe même interroge dans des zones où l'assèchement total d'un cours d'eau l'été pourrait être acceptable, plutôt que de voir s'arrêter toute l'activité agricole d'une vallée. Un changement d'approche sur les débits réservés est nécessaire pour conserver une vision équilibrée de la gestion de l'eau.
Les conflits d'usage de l'eau se tendent en situation de sécheresse et pourraient bien se tendre encore plus dans les années à venir, en contraignant un peu plus les collectivités dans leurs projets. La pression démographique dans les zones littorales méditerranéennes commence ainsi à se heurter à la limite de la disponibilité de l'eau en été, où les touristes sont aussi des consommateurs d'eau supplémentaires à satisfaire. Les projets en matière d'urbanisme en seront immanquablement affectés.
Il va donc falloir à la fois faire de la gestion de crise, lorsque la sécheresse survient, mais aussi faire de la prévention de crise, par une stratégie de long terme de maîtrise de l'eau, en utilisant tous les leviers à disposition : la sobriété, mais aussi la réalisation d'aménagements, de retenues collinaires, de retenues de substitution et toute la panoplie de solutions à notre disposition aujourd'hui.
M. Alain Richard, rapporteur. - Je vais aborder la question de l'organisation collective de notre politique de l'eau. Il convient de distinguer deux dimensions : le « petit cycle » et le « grand cycle » de l'eau.
Le « petit cycle » de l'eau désigne les opérations menées autour des usages domestiques : pompage, potabilisation, stockage puis distribution, jusqu'au rejet des eaux usées dans les réseaux d'assainissement et leur traitement en station d'épuration avant restitution à la nature.
La politique du « petit cycle » est très ancienne. La fourniture d'eau potable est un service public historiquement organisé par les communes, qui ont construit le réseau d'approvisionnement pour leurs administrés. L'assainissement collectif est également un service public local par excellence, qui n'a pas totalement fait disparaître l'assainissement non collectif, qui couvre encore 15 % de la population, et s'effectue sous le contrôle des collectivités. Les communes se sont souvent regroupées entre elles au sein de syndicats de communes pour fournir ces deux catégories de services. Désormais, ces services sont placés sous la responsabilité politique et financière des établissements publics de coopération intercommunale. Ils peuvent être assurés en régie directe ou exploités en concession ou délégation de service public.
Le « grand cycle de l'eau » désigne l'eau « dans la nature ». La politique en direction du grand cycle de l'eau revêt une multitude d'aspects : prévention des inondations, restauration des berges, préservation de la biodiversité fluviale et aquatique, infiltration de l'eau dans les nappes.
On a tendance à penser que le petit cycle de l'eau concerne plutôt la qualité de l'eau et le grand cycle concerne la gestion quantitative de la ressource mais il faut sortir de cette vision. Les questions de qualité et de quantité se répondent. Pour fournir l'eau potable, il faut à la fois une ressource suffisante, mais aussi une protection des captages. Les rejets des stations d'épuration influent sur la vie aquatique, mais contribuent aussi au soutien d'étiage, qui peut par exemple être utile, en aval, en particulier en période de tension sur l'irrigation.
Les collectivités territoriales interviennent également dans les politiques publiques du grand cycle de l'eau, par exemple pour la protection contre les inondations, mais aussi pour faire du soutien d'étiage ou encore favoriser l'irrigation, bien souvent en se regroupant au sein de syndicats mixtes ou en participant aux établissements publics territoriaux de bassin, comme l'établissement public territorial de bassin des lacs de Seine, qui gère les quatre grands lacs en amont de Paris.
Là aussi, le regroupement de collectivités est nécessaire afin de disposer d'une capacité d'action suffisante pour assurer correctement ces missions et pour organiser une action cohérente et bien coordonnée. C'est la poursuite de ce raisonnement qui a conduit à confier la mission GEMAPI, globalisée, aux EPCI.
Si les collectivités locales sont l'échelon indispensable de mise en oeuvre sur le terrain des actions sur l'eau, la politique de l'eau repose sur un système, qui doit faire notre fierté, mis en place en 1964 avec pour chaque bassin hydrographique un comité de bassin et une agence financière de bassin, dénommée désormais Agence de l'eau, chargée de financer les travaux d'intérêt commun à partir de redevances prélevées sur les usagers de l'eau. Dès 1964 ont ainsi été posés des principes de gouvernance qui n'ont depuis pas varié.
La politique de l'eau se structure au niveau des bassins hydrographiques, qui forment un ensemble géographiquement cohérent, délimité par les lignes de partage des eaux des grands fleuves et de leurs affluents, voire des plus petits comme pour le bassin Artois-Picardie, plutôt que par des frontières administratives départementales. Ce découpage en districts hydrographiques est repris par la directive cadre sur l'eau. C'est à l'échelle des bassins que l'on met en oeuvre la solidarité territoriale amont-aval.
Les financements en faveur de l'eau sont concentrés pour l'essentiel au niveau des Agences, qui collectent les redevances payées par les usagers de l'eau et redistribuent l'argent collecté pour soutenir des projets jugés prioritaires, dans le cadre d'une programmation pluriannuelle qui en est au 11ème programme pour la période 2019-2024.
La prise de décision repose sur une large concertation des parties prenantes : État, collectivités territoriales, et usagers de l'eau, représentés dans les Comités de bassin. Ce modèle pluraliste a été repris au niveau national avec le Conseil national de l'eau (CNE).
Enfin, l'action sur l'eau s'inscrit dans le cadre d'une planification de bassin, avec les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), déclinés par sous-bassin au sein de SAGE élaborés là aussi collectivement, grâce aux commissions locales de l'eau (CLE).
L'État central, assure pour sa part un pilotage national de la politique de l'eau à travers son pouvoir réglementaire, ses capacités d'expertise, et applique des orientations négociées à l'échelon européen et contenues dans plusieurs directives - directive cadre sur l'eau, directive eau potable, directive milieux marins - qui visent deux objectifs : un haut niveau de sécurité sanitaire et un haut niveau de protection des milieux aquatiques.
La gouvernance de l'eau, malgré une certaine complexité, est jugée globalement satisfaisante et, durant les auditions, aucun interlocuteur n'a exprimé la volonté de bouleverser le système des Agences de l'eau ou de planification à travers les SDAGE. Cette « démocratie de l'eau » n'empêche pas des conflits réels et des tensions. Certains comités de bassin ont du se réunir plusieurs fois pour parvenir à un consensus sur le 11ème programme d'intervention des Agences. Les votes ont souvent été très partagés.
Les interrogations les plus fortes portent plutôt sur la viabilité à long terme du modèle économique des Agences de l'eau et du financement public de la politique de l'eau. Les moyens financiers sont en effet mobilisés essentiellement par les collectivités territoriales et les Agences, ces dernières encaissant un peu plus de 2 milliards d'euros de redevances, dont plus de 80 % sont payés par les usagers sur leur facture d'eau.
Une large part des aides des Agences retournait au petit cycle de l'eau sous forme d'aide à la modernisation des réseaux d'eau potable, d'aide à la protection des captages ou encore d'aide à l'amélioration de la performance des stations d'épuration. Les besoins liés au petit cycle de l'eau n'ont pas disparu, avec un sous-investissement chronique, qui se traduit par des fuites sur les réseaux. Le taux de renouvellement des canalisations est de l'ordre de 0,65 % par an, ce qui induit une durée de vie des réseaux de 150 ans ! Dans le même temps, les besoins liés au grand cycle de l'eau, comme la préservation des zones humides, la construction de retenues ou encore la préservation de la biodiversité, se sont accrus.
Se pose ainsi un double problème de volume de moyens déployés et de répartition de l'effort. La sécheresse de l'été 2022 a mis en lumière un besoin d'investir davantage pour l'eau et les milieux aquatiques et le Gouvernement a annoncé pour y répondre une rallonge de 100 millions d'euros pour les Agences. Mais les Agences sont pénalisées par le système du plafond mordant : elles ne conservent pas la totalité de leurs recettes. Leurs dépenses sont également plafonnées, avec un contrôle financier particulier. En réalité, il faut une réponse structurelle. À la demande du Gouvernement, j'avais été associé avec un collègue député de la Corrèze, Christophe Jerretie, pour travailler sur ce sujet. Nous partions du constat que, depuis les deux dernières programmations financières des Agences, les dépenses des Agences avaient été déplacées du petit cycle de l'eau vers le grand cycle. Les subventions se réduisant, l'autofinancement supporté par les intercommunalités a dû augmenter. Sous le vertueux motif de ne pas augmenter les redevances, les collectivités ont dû trouver elles-mêmes les ressources pour poursuivre leurs programmes d'investissements. Plutôt que de continuer à solliciter davantage les usagers domestiques, qui sont déjà les plus gros financeurs de la politique de l'eau, ou de chercher auprès des agriculteurs des recettes nouvelles alors que le secteur agricole reste financièrement fragile, nous avions alors proposé d'élargir à la biodiversité la fiscalité des Agences de l'eau, en leur attribuant une part supplémentaire de taxe d'aménagement, qui bénéficie aujourd'hui aux départements, à hauteur de 200 à 250 millions d'euros par an. C'est une piste légitime car on continue à urbaniser et cela pèse sur la biodiversité.
Il faut trouver des sources nouvelles de financement sans augmenter encore la contribution des usagers domestiques. Et il ne faut pas compter sur l'augmentation des volumes pour accroitre les recettes, puisqu'au contraire, la consommation d'eau par habitant tend à baisser peu à peu, de l'ordre de 0,5 à 1 % par an. L'équation financière d'une politique de l'eau plus ambitieuse est donc bien difficile mais elle doit être résolue, faute de quoi on risque de devoir abandonner certaines actions.
Pour finir, il convient de se pencher sur les données sur l'eau dont nous disposons et qui sont essentielles pour piloter une politique de l'eau avec pertinence. Le système d'information sur l'eau est remarquable et beaucoup d'informations sont publiques. Elles permettent précisément de faire vivre cette « démocratie de l'eau », de décider en étant éclairés, et d'exercer un contrôle concitoyen, notamment sur la qualité de l'eau.
Mais avec le changement climatique, nous allons devoir encore renforcer la surveillance des cours d'eau, le niveau des nappes et développer des analyses prospectives plus poussées. Nous avons par exemple du construire un système pour mieux connaître les micro-polluants et permettre aux stations d'épuration de mieux les traiter.
On ne peut que saluer la décision prise d'actualiser Explore 2070 par une nouvelle étude « Explore 2070 2 », dont la restitution finale devrait intervenir en 2024 mais dont les résultats provisoires permettent de discuter d'ores et déjà localement des plans territoriaux de gestion de l'eau et de mettre au point des stratégies locales pertinentes de gestion de l'eau à long terme.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - S'interroger sur l'avenir de l'eau c'est poser une question centrale : quelle doit être en France notre stratégie pour l'eau dans les années à venir ? D'abord, nous devons avoir une stratégie de qualité de l'eau. La qualité n'est pas négociable. Il en va de la préservation de nos écosystèmes. Il en va aussi de notre santé, car l'eau que nous buvons vient de nos rivières et de nos nappes. Le tableau n'est pas catastrophique. Nous avons amélioré les performances de nos stations d'épuration. Nous émettons moins de phosphates. La bataille des eaux usées est à peu près gagnée. Nous maîtrisons mieux les pollutions industrielles. Certains sites très pollués ont vu leur situation s'améliorer, comme l'estuaire de la Seine où sont revenues des espèces qui avaient disparu.
Mais nous avons aussi des points négatifs à corriger : la concentration de nitrates dus en grande partie aux engrais azotés ou aux effluents d'élevage continue à produire des algues vertes dans plusieurs « zones vulnérables » de Bretagne et remonte jusqu'à la baie de Somme. Nous constatons aussi que, malgré le plan Ecophyto et malgré les zones de non traitement, les pollutions diffuses agricoles persistent et sont encore la cause d'une majorité des déclassements des masses d'eau au regard des exigences de la directive cadre sur l'eau, en particulier les masses d'eau de surface. Enfin, les micropolluants comme les résidus médicamenteux, et les microplastiques, qui ensuite sont charriés vers les océans, doivent faire l'objet d'une attention accrue.
Il apparaît d'ores et déjà acquis que nous n'atteindrons pas l'objectif de bon état chimique et de bon état écologique de l'ensemble de nos masses d'eau en 2027, comme l'impose la directive cadre sur l'eau, adoptée pourtant il y a plus de vingt ans. Pour les masses d'eau de surface, on en sera même loin avec seulement un tiers en bon état écologique. On ne peut se satisfaire de ce constat, d'autant plus que le réchauffement climatique fait peser des menaces supplémentaires sur la qualité de l'eau, accélère l'eutrophisation, décime les poissons en réduisant l'oxygénation des cours d'eau. Nous avons donc intérêt à ne pas relâcher nos efforts en matière de qualité de l'eau, d'autant plus que, sur le plan économique, une eau de qualité à la source évite de recourir à des traitements coûteux de potabilisation.
À côté de la stratégie en faveur de la qualité de l'eau, nous devons avoir une stratégie ambitieuse de couverture de nos besoins quantitatifs en eau. Évidemment, le premier effort à faire pour ne pas manquer d'eau est un effort de sobriété. Par la sobriété, nous sommes plus résilients. C'est d'ailleurs l'un des éléments mis en avant dans le cadre du Varenne agricole de l'eau qui s'est achevé en début d'année 2022. Mieux préserver l'eau aujourd'hui permet en outre de s'assurer de gestions de crise moins chaotiques demain. La sobriété est aussi un bon moyen de garder un bon fonctionnement de nos écosystèmes aquatiques, en limitant notre empreinte sur la nature.
Mais la sobriété n'est pas facile. L'amélioration des réseaux d'eau potable en réparant les fuites peut apporter quelques marges de manoeuvre, mais probablement pas au-delà de quelques centaines de milliers de m3 par an. Les mesures coercitives mises en place durant les sécheresses ne se justifient par ailleurs que pendant ces périodes, pas toute l'année. Des économies d'eau pour l'irrigation agricole sont aussi possibles en améliorant la performance des systèmes d'irrigation. Certains efforts ont déjà été faits. Mais les économies d'eau réalisées pourraient être contrebalancées par des besoins supplémentaires liés à l'augmentation des sécheresses agricoles. Un rapport récent du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) estime que les besoins en eau de l'agriculture, du fait du changement climatique, pourraient passer de 3 à 6 milliards de m3 par an. Des changements de pratiques culturales, l'abandon de productions trop gourmandes en eau doivent certes être envisagés sur certains territoires, mais ne sont socialement acceptables que s'il existe des cultures de substitution, si les agriculteurs qui s'engagent dans une nouvelle voie sont accompagnés, et s'ils y trouvent un équilibre économique.
La stratégie de sobriété ne suffira donc sans doute pas. Dès lors, comment davantage mobiliser la ressource en eau ? Il ne s'agit pas de le faire n'importe comment, mais en respectant les équilibres écologiques, en n'asséchant pas les milieux. Est-ce possible ? Notons d'abord que la gestion de l'eau est consubstantielle à la civilisation. Toutes les grandes civilisations ont basé leur système agricole sur la gestion de l'eau, même en milieu aride.
Aujourd'hui, des techniques variées existent. Les transferts d'eau sont pratiqués depuis très longtemps. Il ne s'agit pas de reproduire les excès espagnols de l'aqueduc Tajo-Segura, l'infrastructure de transfert d'eau la plus longue d'Europe (292 km) accusée aujourd'hui d'assécher les bords du Tage dans la province de Guadalajara. Un programme plus modeste mais essentiel pour le maintien de l'agriculture et la sécurisation de l'approvisionnement en eau potable comme Aqua Domitia, visant à alimenter l'Est de l'Occitanie à partir du Rhône, mérite d'être considéré. La recharge artificielle des nappes est une piste également intéressante, comme la réutilisation des eaux usées traitées, tandis que la désalinisation de l'eau de mer est encore une solution coûteuse à réserver à des régions littorales très dépourvues en eau.
Les débats se focalisent plutôt sur les retenues d'eau, et particulièrement celles destinées à l'irrigation. Elles se sont fortement développées jusqu'aux années 1990, avec un niveau d'entretien variable. Les retenues existantes pourraient être modernisées et remobilisées. Des débats plus houleux peuvent surgir à l'occasion des projets de création de retenues supplémentaires. Le principe lui-même est contesté. Or, retenir l'eau l'hiver quand elle est abondante est peut-être plus pertinent que de pomper l'eau l'été. C'est le principe des réserves de substitution. La réglementation est très stricte et ne permet pas de faire des stockages de confort. Les études d'impact demandées sont très détaillées et les autorisations ne sont délivrées que lorsqu'il n'y a pas d'effets négatifs sur l'environnement. Il convient naturellement de contrôler avec soin les conditions de fonctionnement de ces réserves, une fois celles-ci construites, et de surveiller les effets sur la ressource en eau des nouveaux ouvrages. Mais disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement. C'est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s'il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves.
L'avenir est d'ailleurs plutôt aux réserves multi-usages, capables de soutenir l'irrigation, mais aussi de servir de base de loisirs, de réserve de pêche, voire de support à des installations de production d'énergie, comme nous l'avons vu avec les panneaux photovoltaïques flottants de la Compagnie nationale du Rhône au Lac de la Madone en juin dernier.
Il va donc falloir faire preuve d'inventivité et refuser tout dogmatisme, pour à la fois préserver l'environnement mais ne pas cesser d'utiliser l'eau pour nos besoins.
En conclusion, le rapport vise à tordre le cou aux idées reçues, pour éviter de tomber dans l'éco-pessimisme mais sans être naïf sur les difficultés que le changement climatique nous prépare. En 2016, le rapport de nos prédécesseurs Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet s'intitulait : « Eau, urgence déclarée ». Nous sommes toujours dans l'urgence, mais nous pouvons gérer l'eau intelligemment sans céder à la panique.
Pour cela, nous avons identifié deux impératifs : d'abord disposer des bons outils de mesure et de suivi de la ressource ainsi que de ses utilisations, et de prévisions affinant les modèles prédictifs, ensuite prévenir les conflits d'usage insolubles et les guerres de l'eau en confortant la gestion participative de la ressource.
Nous avons aussi identifié deux scénarios possibles.
Le scénario catastrophe serait celui d'une baisse significative de la disponibilité en eau dans de nombreuses régions, avec une baisse généralisée du niveau des nappes et une réduction des possibilités d'irrigation ou même d'approvisionnement en eau potable, qui se traduirait par l'abandon d'exploitations agricoles, des ruptures d'approvisionnement en eau potable et une dégradation des écosystèmes dépendants de l'eau.
Le scénario vertueux serait celui d'une gestion de l'eau apaisée, capable de faire face à une moindre disponibilité estivale un peu partout, à travers l'anticipation des difficultés et la mise en place d'un partage de la ressource entre tous les secteurs qui en dépendent.
La réalité risque de se situer entre les deux. Mais pour qu'on se rapproche le plus du scénario vertueux, il convient de soutenir quelques propositions. Nous en avons identifié sept :
- permettre la construction de nouvelles retenues d'eau, de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif ;
- prioriser les solutions fondées sur la nature dans la gestion du grand cycle de l'eau ;
- accélérer l'adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques ;
- augmenter les moyens financiers consacrés à l'eau, en particulier ceux des Agences de l'eau ;
- re-politiser les instances de gouvernance de l'eau ;
- encourager la recherche et l'innovation, par exemple dans la réutilisation des eaux usées traitées. À cet égard, un élu rencontré lors du déplacement à Perpignan regrettait que l'eau usée traitée, d'excellente qualité, parte totalement à la mer ;
- davantage décentraliser la décision publique sur l'eau et faire confiance aux échelons locaux.
Notre rapport a pour ambition d'ouvrir le débat. L'eau le mérite.
M. Mathieu Darnaud, président. - Merci pour cette présentation très complète, qui ne va pas manquer de susciter le débat.
M. René-Paul Savary. - Je suis élu d'une région qui connaît bien la gestion de l'eau avec des lacs de retenue, des bassins d'écrêtement dont le fonctionnement n'est pas évident pour tout le monde. On attend parfois avant de remplir le bassin pour mieux gérer la crue. Les terres agricoles sont inondées pour que Paris ne soit pas sous l'eau.
J'aurais souhaité que le rapport comporte une recommandation supplémentaire portant sur la responsabilisation de nos concitoyens par rapport à l'eau. Lorsque l'on installe des cuves de récupération d'eau de pluie, on ne peut être que sidéré de voir à quelle vitesse elles se remplissent lorsqu'il y a un orage. Avec une cuve, on peut arroser. Cela relève de la responsabilité individuelle.
La mer est une ressource quasi-illimitée. La désalinisation d'eau de mer n'est-elle pas une solution à l'horizon de 15 à 20 ans ?
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - La sécheresse de l'été 2022 a contribué à la prise de conscience individuelle de la nécessité d'agir sur l'eau. Dans mon département, beaucoup de personnes ont installé des bacs de récupération d'eau de pluie.
La désalinisation est une piste intéressante. En Israël, on pratique cette technique. En outre, on n'y perd pas une goutte d'eau. Toutes les eaux usées sont récupérées. Nous pourrions nous en inspirer.
M. Jean-Raymond Hugonet. - La nécessité de faire des efforts de pédagogie sur l'eau devrait faire l'objet d'une recommandation supplémentaire. En tant qu'élu local, je me suis aperçu de la méconnaissance presque totale que nos concitoyens avaient de notre système d'eau et d'assainissement. Dans mon territoire, une station de traitement des eaux usées avait été construite grâce à 7 millions d'euros d'argent public. J'expliquais aux habitants que lorsqu'ils avaient chez eux un branchement non conforme, cela conduisait à détruire l'investissement réalisé avec leur propre argent. Ce message a été répété inlassablement et cet effort de pédagogie a certainement eu un effet positif avec le temps.
La sensibilité sur les questions d'eau est le reflet de l'état de notre pays. Des clivages inutiles se créent sur le mode de gestion, en régie publique ou sous forme de délégation. Or, nous devrions plutôt aller vers le consensus et éviter les approches partisanes. De l'eau, il y en a et il faut éviter les faux débats.
M. Stéphane Sautarel. - Le rapport a finalement une tonalité plutôt optimiste, même s'il en appelle à notre responsabilité. Je me retrouve largement dans les propositions du rapport, en particulier la demande d'une approche non dogmatique dans les retenues d'eau et le renforcement de la place des élus dans la gouvernance de l'eau.
Je souhaiterais savoir si la réutilisation des eaux usées traitées ne pose pas de problème sanitaire et si elle peut être conciliée avec la délivrance d'une appellation d'origine protégée.
Par ailleurs, le conflit entre le petit cycle et le grand cycle de l'eau apparaît de plus en plus. Comment concilier les deux, qui sont tout autant essentiels ?
M. Jean-Jacques Michau. - Nous entendons depuis longtemps les récriminations sur l'utilisation des recettes des Agences de l'eau à d'autres fins que celles prévues initialement. Quelles sont les solutions ?
La mise en place de la GEMAPI avait suscité un tollé. Où en est-on aujourd'hui ?
M. Bernard Fialaire. - Nous pouvons être optimistes non pas sur le constat mais sur le fait qu'en matière de politique de l'eau, on peut trouver des solutions.
Des efforts de pédagogie doivent être faits vis-à-vis de nos concitoyens, mais j'insiste sur la nécessité du dialogue avec le monde agricole et d'un discours responsable de tous les côtés. L'agriculture nourrit et ne peut le faire en asséchant ou en polluant.
Concernant les fuites dans les réseaux d'eau potable, posent-elles vraiment un problème ? Finalement, l'eau retourne au milieu naturel et n'est ainsi pas perdue. Engager d'importantes dépenses pour lutter contre les fuites n'est peut-être pas la solution la plus pertinente.
M. Mathieu Darnaud, président. - La situation a évolué par rapport à celle qui prévalait en 2016, au moment du précédent rapport sur l'eau de la délégation à la prospective. La prise de conscience de l'importance de la question est généralisée. Tous les territoires de France sont concernés. Dans le Loir-et-Cher où je me suis rendu il y a quelques semaines, l'eau et la question des nappes étaient devenus un thème central.
Lors des déplacements des rapporteurs auxquels j'ai pu me joindre, nous avons constaté que la profession agricole, avec qui nous avons beaucoup échangé, a la volonté de mieux faire sur l'eau. Mais le chemin n'est pas facile et nous devons les y aider.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Je partage l'idée que la pédagogie est nécessaire auprès de nos concitoyens pour que l'eau ne soit pas une question inconnue du grand public. La responsabilité individuelle n'est pas la seule réponse. Les usages domestiques de l'eau, de l'arrosage du potager au remplissage de la piscine, ne sont pas ceux qui représentent l'enjeu quantitatif le plus massif. Les économies en matière de prélèvement et de consommation sont plutôt à regarder du côté du secteur énergétique ou des utilisations agricoles. Les industriels ont développé des circuits fermés.
Concernant les fuites sur le réseau d'eau potable, le problème réside dans le fait que c'est une eau traitée, d'excellente qualité, que nous perdons, alors que le milieu a simplement besoin d'eau et pas d'eau de cette qualité.
Concernant la désalinisation, notre situation est bien différente de celle d'Israël, qui ne peut pas compter sur des ressources fluviales, compte tenu des apports du Jourdain. La désalinisation est une solution coûteuse et pas forcément pertinente pour nous.
Je rappelle que l'eau doit se gérer. Il n'y a de civilisation humaine que parce qu'on a maîtrisé le feu et l'eau. Ne renonçons donc pas à gérer intelligemment la ressource. La France n'est pas dans une situation catastrophique. La qualité de l'eau doit certes être améliorée mais nous ne partons pas de rien. Et la quantité d'eau n'est pas un problème insoluble. Je donnerai l'exemple des activités de sports d'hiver de ma région. On y produit de la neige artificielle qui, du coup, reporte la fonte de quelques semaines et fournit de l'eau dans les régions plus arides du Sud de la vallée du Rhône.
M. René-Paul Savary. - L'eau potable représente une part mineure de l'eau dont nous avons vraiment besoin. Peut-on imaginer une eau non potable pour nos usages domestiques - sanitaires ou arrosage du jardin ?
M. Alain Richard, rapporteur. - L'alternative passerait par la création d'un deuxième réseau de distribution d'eau, ce qui est peu envisageable.
Réutiliser l'eau en sortie de station est pertinent lorsque l'on est en bas de bassin, pour éviter de la perdre dans le milieu naturel, comme c'est le cas sur le littoral des Pyrénées-Orientales. En haut de bassin, cela présente peu d'intérêt car les utilisateurs sont moins intéressés
Notre rapport est équilibré, il n'est ni catastrophiste, ni accusateur. Nous aurons donc du mal à nous faire entendre... mais nous voulions être sérieux.
Il serait bon en effet d'ajouter une recommandation sur l'exigence de pédagogie vis-à-vis du public. La science doit être davantage mise en avant et nous devons éclairer nos concitoyens qui connaissent mal la question de l'eau.
Le sujet le plus délicat, l'éléphant dans la pièce comme le disent les Anglais, est celui de l'agriculture. Elle contribue à la pollution de l'eau. Et elle consomme l'eau dans les périodes de tension. Tout ceci peut être surmonté mais au prix de modifications de pratiques, de changements et d'investissements lourds pour un secteur économiquement fragile. On va donc devoir trouver des moyens pour augmenter les subventions à l'agriculture. Parallèlement, nous allons vraisemblablement devoir facturer davantage l'eau et faire payer plus l'action de prélever sur la ressource. La montée lente de nos tarifs d'eau potable est une réalité. En parallèle l'amélioration de nos équipements électroménagers a fait baisser notre consommation, si bien que l'équilibre du financement des réseaux d'eau et d'assainissement est difficile.
La taxe GEMAPI a prospéré à bas bruit mais les élus ont désormais bien appris à s'en servir et l'ont instituée dans de plus en plus de territoires. La GEMAPI a trouvé son rythme de croisière. J'ai néanmoins un regret. Imposée suite à l'action d'un ancien collègue élu du Var, la taxe GEMAPI finance la politique de l'eau par la fiscalité locale. Était-ce le bon choix ? N'aurait-on pas mieux fait d'aller chercher des ressources assises sur l'eau elle-même ? Par ailleurs, on a le même plafonnement national de taxe, que l'on soit dans les zones de crue à cinétique lente ou dans celles touchées par des épisodes cévenols. Or, nous ne pouvons traiter ces risques de la même façon. Il conviendra probablement d'envisager une péréquation entre régions et davantage de mutualisation.
Le plafonnement des redevances des Agences de l'eau relève de l'idée qu'il faut limiter les prélèvements obligatoires. Mais les Agences de l'eau ont besoin de davantage de financements pour atteindre l'objectif de qualité et de maîtrise quantitative des ressources en eau. Une remarque au passage : lors d'une réunion récente, les responsables européens de la mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau indiquaient que, si la France est loin des objectifs, d'autres pays européens sont encore plus loin et des reports d'échéance seront probablement proposés.
Je termine par la police de l'eau : elle est indispensable pour que les règles soient respectées sur le terrain. Or, elle dispose de peu de moyens dans beaucoup de départements.
M. Jean Sol, rapporteur. - Dans notre rapport, nous n'oublions pas l'enjeu de la lutte contre le gaspillage. Des campagnes sont menées et la consommation d'eau par les ménages est en baisse tendancielle. Jouer sur le prix n'est pas un outil très efficace pour faire baisser la consommation car l'eau est finalement d'un poids limité dans le budget des ménages avec un prix d'environ 4€ par m3 pour une consommation de 120 à 150 m3 par an et par famille.
La lutte contre les fuites dans le réseau d'eau potable reste une priorité pour certaines collectivités qui rencontrent des taux de perte importants déséquilibrant les résultats de leurs services d'eau. Il convient donc d'aider ces collectivités.
M. Mathieu Darnaud, président. - Merci à nos rapporteurs. Je suggère d'ajouter une recommandation sur l'engagement d'une démarche de pédagogie sur l'eau en direction du grand public.
Sous cette réserve, êtes-vous d'accord pour adopter le rapport et l'ensemble de ces recommandations ?
Le rapport est adopté à l'unanimité.