Mercredi 2 novembre 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -
Avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et projet de loi de finances pour 2023 - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer et M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer
M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous auditionnons les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'avec Philippe Bas et Jean-Pierre Sueur, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie avant l'été et que nous avons présenté un rapport d'étape. La Première ministre a reçu la semaine dernière une délégation calédonienne dans le cadre d'une convention des partenaires, les ministres aujourd'hui auditionnés étaient présents : il nous a paru utile de faire un point de situation.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Concernant la Nouvelle-Calédonie, je souhaiterais revenir sur les quelques mois écoulés depuis notre nomination et notamment sur la réunion sous l'autorité de Mme la Première ministre qui s'est tenue la semaine dernière. La réunion de la semaine passée est conforme à parole de l'État et à l'envie des calédoniens de voir avancer les dossiers qui les concernent. Mais elle était incomplète car une partie des acteurs, notamment une partie des indépendantistes, ne s'est pas rendue à notre invitation à Paris, alors que le ministre délégué avait, lors de son déplacement, reçu publiquement les différentes parties et entendu leur envie de venir pour des réunions bilatérales puis trilatérales et une suite des accords à Paris. Nous avons avancé grâce à cette réunion que je qualifie de constructive, elle a notamment permis à la fois de répondre à la demande des représentants de Nouvelle-Calédonie que nous nous rendions à la fin du mois de novembre en Nouvelle-Calédonie pour un déplacement qui devrait permettre justement aux représentants des indépendantistes absents de continuer le dialogue avec l'État, et en particulier pour lancer les groupes de travail définis lors de cette journée autour de la Première ministre, qui vont être mis en place dans les jours qui viennent par le Haut-commissaire et que nous allons concrétiser par notre déplacement et par nos réunions en Nouvelle-Calédonie. Nous avons noté le sentiment positif de l'ensemble des présents à cette réunion, y compris donc une partie des indépendantistes, de nous voir donner suite aux demandes d'un bilan des accords de Nouméa et d'un audit de décolonisation. Le Haut-commissaire en a présenté le cahier des charges, qu'il a discuté avec l'ensemble des partenaires.
Il s'agit, après les trois référendums qui ont été organisés conformément aux accords de Matignon et de Nouméa, de pouvoir désormais inscrire la Nouvelle-Calédonie dans un avenir qui n'est pas celui de savoir si elle doit, ou pas, rester française. La question a été tranchée par le peuple souverain, et singulièrement les Calédoniens eux-mêmes, les trois référendums se sont d'ailleurs déroulés sous le quinquennat du Président de la République actuel, y compris le dernier à quelques mois de l'élection présidentielle. Je souligne le courage qu'il a fallu au Président de la République et à Sébastien Lecornu pour organiser ces trois consultations qui se sont passées dans les meilleures conditions démocratiques et de sécurité possibles, toutes les parties le reconnaissent.
La prochaine étape, pour pouvoir construire ce chemin avec nos amis Calédoniens, est celle de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie, je tiens à dire que notre porte est toujours ouverte. Nous regrettons, évidemment, l'absence d'une partie des indépendantistes mais nous les associerons, bien sûr, à l'ensemble des discussions que nous pourrons avoir. Avec le ministre délégué, nous avons reçu M. Mapou, par exemple, et continuons à avoir des échanges téléphoniques avec lui en attendant de se voir sur place. Désormais notre sujet est de voir comment nous construisons les choses ensemble. Ces sujets institutionnels sont évidemment extrêmement importants, mais au lendemain peut-être d'une révision constitutionnelle puisqu'il faudra bien tirer les conclusions de dispositions constitutionnelles qui aujourd'hui s'arrêtent bien évidemment au troisième référendum, sans ignorer qu'il y a une nouvelle situation créée par ce troisième référendum qui confirme l'attachement de la Nouvelle Calédonie à l'unité de la République. Il y a aussi les autres sujets d'importance, le nickel en premier lieu mais pas uniquement, pour mettre la Nouvelle-Calédonie dans l'avenir.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - J'ai noté la bonne ambiance de notre réunion avec la Première ministre, son atmosphère détendue, les tours de table ont été très sérieux. Chacun reconnaissait que le choix du Président de la République et du Gouvernement de tenir le référendum au mois de décembre était un choix courageux et déterminant. Que se passerait-il si on faisait le référendum maintenant ? Chacun se posait la question. Tout le monde a ressenti que ce qui a été fait avait été bien fait. Ensuite, sur le nickel, nous avons un problème de fiscalité et des problèmes de recettes pour le territoire. Vous vous êtes rendus là-bas, la situation n'est pas bonne, ni dans le sud, - l'usine de Yaté - ni à Nouméa, ni dans le nord. Il nous faut y réfléchir. Le ministère des finances, le ministère de l'intérieur et des Outre-mer et moi-même essayons de trouver la bonne formule de travail à Paris sur ce point. Bien évidemment, il faut que le ministère des finances soit impliqué, et qu'il accompagne tout ça, parce qu'il y a à la fois des questions techniques et des questions capitalistiques et qu'il s'agit finalement d'une question politique. Prenons un peu de temps mais le sujet est tout à fait essentiel.
Le dernier point que je voudrais mettre en avant c'est que tout le monde a bien dit qu'il y a les questions institutionnelles à régler d'une certaine manière et il y a le reste. Profitons de ce moment pour que l'État aide cette société calédonienne à se mettre en route après ces référendums une fois qu'a été confirmée l'appartenance à la République. Il y a un certain nombre de sujets : les questions institutionnelles, l'égalité des chances et la cohésion sociale, le développement économique, l'emploi et les grands investissements, le nickel, la souveraineté énergétique - qui vont un peu ensemble -, la souveraineté alimentaire, le foncier, les valeurs, l'identité commune et régionale. Le calendrier démarrera après préparation par le Haut-Commissaire, en ce moment même, du voyage du ministre de l'intérieur et de moi-même. Les ministres sont là pour lancer les groupes de travail, après un nouveau contact, bien sûr, avec les parties qui n'étaient pas là à Paris. J'ai bon espoir que le voyage, de huit jours, soit productif. Et qu'il enclenche un processus que nous espérons voir aboutir à la mi 2023, ce sur quoi tout le monde convergeait. Cela fait huit à dix mois nécessaires.
M. Philippe Bas. - Nous sommes tous dédiés à la recherche d'un accord en Nouvelle-Calédonie, et nous serions très heureux de pouvoir y contribuer. J'espère qu'après la rencontre informelle de Paris la semaine dernière, sans les indépendantistes, votre déplacement à Nouméa permettra de renouer le dialogue, car pour l'instant, c'est une situation où l'une des parties n'est pas présente dans les discussions. Je crois que nous partageons la même conviction : il n'y a pas de solution durable en Nouvelle-Calédonie sans un accord. Il ne peut pas y avoir une solution de l'État, une solution unilatérale qui soit une solution durable. Cela n'assurerait pas la coexistence des Calédoniens entre eux. Il n'y a pas non plus de majorité à Paris, au Parlement, sans un accord, et notamment pas de majorité au Congrès, possible, pour une révision constitutionnelle. Donc l'enjeu est bien là : réussir, - et c'est votre défi - à nouer d'abord ce dialogue, et ensuite ce trilogue, État, non-indépendantistes, indépendantistes pour créer des solutions durables. Les solutions ne sont jamais définitives, car nous sommes dans l'ordre du politique, mais au moins qu'elles puissent durer aussi longtemps que les accords de Matignon et de Nouméa pour assurer la stabilité et le développement de la Nouvelle-Calédonie.
Il y a un paradoxe, et c'est ce sur quoi portera mon unique question. Vous avez donné, depuis l'élection présidentielle, le sentiment de vous hâter avec lenteur. J'espère que cela permettra tout de même comme dans la fable d'atteindre la ligne d'arrivée d'un accord que nous souhaitons tous. Mais cette lenteur, qu'elle soit voulue ou liée à un certain nombre de péripéties, est-elle réellement compatible avec le calendrier que vous avez en tête ? C'est un calendrier très serré. M. le ministre délégué, après avoir paru hésiter, a confirmé en Nouvelle-Calédonie depuis Nouméa, le référendum annoncé M. Sébastien Lecornu, votre prédécesseur sur cette partie de vos compétences, d'ici la fin du premier semestre 2023. Il y a quand même un compte à rebours...
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Non, il n'y aura pas de nouveau référendum...
M. Philippe Bas. - Ah ? J'ai mal compris. Il n'y aura pas de référendum en Nouvelle-Calédonie ? Vous n'avez pas prévu cela ? En tout cas, un référendum suppose qu'on soit parvenu à un accord, suivi d'une révision constitutionnelle : la mi-2023, c'est un peu court dans le contexte actuel... Ensuite, après la mi-2023, pensez-vous tenir le calendrier pour les élections en Nouvelle Calédonie ? Au fond, on met la pression sur le calendrier, on pose des espèces d'ultimatums. Et tout le monde n'est pas réuni à la table des négociations.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je dois vous dire que je garde un excellent souvenir de la délégation que nous avons conduite avec François-Noël Buffet et Philippe Bas en Nouvelle-Calédonie, avant l'été. Nous y avons mené 42 auditions pour entendre, avec une certaine humilité comme l'on dit là-bas dans la coutume, ce qui était dit. Nous avons eu le sentiment, comme le souligne notre rapport d'étape, qu'en dépit des oppositions, il y avait des possibilités de rapprochement : les différents leaders de la Nouvelle-Calédonie se connaissent très bien - et finalement il y a le discours, les postures, et puis il y a aussi ces fils mystérieux qui font que petit à petit les choses peuvent évoluer. À cet égard, je suis en total accord, ce n'est pas un hasard, avec ce que vient de dire Philippe Bas, et je dois dire que nous avons connu des moments difficiles au mois de juillet et encore récemment. Jean-François Carenco, nous vous connaissons depuis longtemps et nous connaissons votre sens du dialogue et même votre empathie avec les personnes avec lesquelles vous parlez. Mais vous avez quand même dit lors de votre dernier déplacement, - j'ai là le verbatim - devant une délégation, le matin : « il n'y aura pas de référendum de projet en juillet ou septembre 2023 ». Les gens ont alors compris qu'il n'y aurait pas de référendum. Puis, l'après-midi, devant d'autres interlocuteurs, vous avez dit : « Ce référendum de projet, il a toujours été question qu'il ait lieu, il n'y a aucun sujet là-dessus, le référendum de projet c'est une évidence. » Je vois votre sens du dialogue, je ne le conteste pas, simplement la réalité, c'est que, comme l'a dit d'ailleurs Philippe Bas, il n'est pas possible qu'il y ait un référendum à court terme. Il ne peut y avoir de référendum spécifique à ce territoire que si nous changeons la Constitution. Or, si vous pensez que les conditions politiques sont réunies pour que le Sénat et l'Assemblée nationale votent dans les mêmes termes un texte qui serait soumis au Congrès d'ici la fin 2023, je crois que c'est quelque peu utopique.
Ensuite, et il faut « parler vrai », comme le disait Michel Rocard. Un événement pèse lourd dans ce dossier : la nomination au Gouvernement de Mme Sonia Backès. Nous pensons, nous avons dit et écrit, encore récemment, qu'il nous paraissait que, pour avancer, le Gouvernement devait être impartial. C'est une position ; on peut considérer que le Gouvernement doit être partial. Mais jusque-là, et notamment pour le troisième référendum, le Gouvernement a tenu à une certaine impartialité. C'est nécessaire si l'on veut que les points de vue se rapprochent. Or, vous avez dans le Gouvernement, à vos côtés, une personne tout à fait estimable, mais qui est le fer de lance de l'une des parties et qui déclare, notamment dans la presse, que naturellement être membre du Gouvernement ne l'empêchera pas, s'il y a deux parties qui dialoguent, d'être clairement dans l'une des parties. Alors là, on ne comprend pas très bien. Et vous savez très bien, je ne vous l'apprends pas, que les indépendantistes n'ont pas été insensibles à la situation ainsi créée.
Je ne demande rien à votre collègue du Gouvernement, je ne demande même pas qu'elle démissionne de son poste de présidente de la province sud, conformément à ce qu'ont fait certains de vos collègues du Gouvernement, c'est son libre choix. Mais il me semble que si le Gouvernement est impartial, veut être impartial, se dit impartial, il faut peut-être régler cette question. Peut-être que l'intéressée peut faire des déclarations en disant qu'elle se retire du dossier ou qu'elle fait preuve d'impartialité ? Nous avons vu comment les choses se sont passées lors de la réunion à Paris où les indépendantistes n'étaient pas représentés puisque M. Lalié, que nous avons-nous-mêmes reçu, comme tous les interlocuteurs présents à Paris, nous a dit qu'il n'était là qu'en tant que président de la province des îles. Nous pensons qu'il y a là peut-être un préalable à lever de manière à ce que, lorsque vous vous rendrez à nouveau en Nouvelle Calédonie les groupes de travail soient acceptés par les deux parties, et que par un dialogue bilatéral puis, je l'espère, par un dialogue trilatéral, on puisse avancer.
Comment avancer ? La question du référendum « de projet » est un chiffon rouge qui ne sert à rien, puisqu'il est impossible de le mettre en place à court terme. Il me semble, en revanche, que la question du régime électoral est une vraie question, mais elle demande du temps, de la précaution pour arriver à avancer parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation. On a pu critiquer les accords de Paris et les accords de Nouméa, mais ils ont permis une certaine paix, un vivre-ensemble. Je crois qu'il faut repartir sur un chemin pour vivre ensemble en partant des réalités économiques, sociales et culturelles, coutumières, en avançant petit à petit sur ces sujets, peut-être en s'appuyant sur les maires dont nous avons pu comprendre là-bas à quel point ils étaient des hommes et des femmes de dialogue. Il y a un chemin mais il y a deux écueils. Une chose est impossible : c'est dire qu'il n'y aura plus de rapport culturel extrêmement fort entre la Nouvelle-Calédonie et la France. Je pense que personne, y compris parmi les indépendantistes, ne demande que le lien soit coupé. Et en même temps, il faudra des signes pour marquer l'autonomie et la spécificité de la Nouvelle-Calédonie. Par exemple, la question de l'autodétermination a toujours été présente dans le processus. Il me semble qu'entre ces deux points, il y a un chemin, sans doute étroit, mais je souhaite de tout coeur que vous puissiez avancer sur ce chemin.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Sur la question de M. le président Bas, je ne vois pas très bien comment nous aurions pu nous hâter autrement, sauf si vous considérez que nous aurions pu à organiser un déplacement du ministre ou de moi-même entre les élections présidentielles et législatives. Je rappelle que l'élection présidentielle a eu lieu au mois de mai, que le Gouvernement a été formé une semaine après, ce qui est bien logique, puis qu'il y a eu la campagne des législatives. Il aurait été bizarre d'entreprendre des discussions alors même que les Calédoniens choisissaient leurs représentants à l'Assemblée nationale. Nous avons décidé d'envoyer le ministre Jean-François Carenco au tout début du mois de septembre après deux conseils de défense organisés par le chef de l'État sur la question calédonienne. Nous avons-nous-mêmes reçu, à Paris, un certain nombre d'interlocuteurs calédoniens dès le début du mois de septembre. Nous avons organisé, après les invitations lancées lors du déplacement du ministre, ces deux journées de travail au mois d'octobre. Je ne vois pas comment nous aurions pu aller plus vite, sauf à bousculer les demandes même des Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes, d'attendre la fin de la campagne des élections législatives et qui ne souhaitaient surtout pas d'accélération du calendrier.
Vous incluez peut-être le moment entre le référendum de décembre et l'élection présidentielle ? C'est une autre question qui se pose. Je rappelle qu'à l'époque le FLNKS, en premier, avait dit qu'il ne discuterait pas avec des représentants de l'État tant que le président de la République n'était pas connu. C'est une position assez logique, il faut bien l'avouer, puisque la fin de la période des accords de Matignon et de Nouméa - trois référendums étaient prévus et nous avons mené ces trois référendums - crée une nouvelle situation à étudier, une discussion ne pouvait pas s'engager avec un président de la République qui n'était pas à coup sûr Emmanuel Macron. Chacun aurait très certainement contesté que M. le président de la République préempte des arbitrages qui engageaient bien au-delà de son quinquennat. Je ne vois pas très bien ce que nous aurions pu faire de plus rapide compte tenu du calendrier qui nous était imposé et d'ailleurs, le fait que nous retournions dès la fin du mois de novembre en Nouvelle-Calédonie démontre, me semble-t-il que l'on considère que chaque mois est une avancée. Au sujet de l'absence des indépendantistes, je veux aussi souligner que le FLNKS est incontestablement divisé. Son congrès politique arrive, et il a souhaité ne pas régler ses problèmes avant. Pour notre part, nous avons justement fait le choix de ne pas procrastiner et de ne pas encore attendre, trouvant une excuse pour ne pas avancer. Par ailleurs, une partie du FLNKS conteste la validité du troisième référendum, partant du principe qu'il pourrait demander à l'Assemblée générale des Nations-unies de saisir un tribunal qui pourrait remettre en cause la validité de ce référendum. Une partie des conseils de ceux qui contestent la possibilité de valider totalement ce référendum disent : « Si vous allez à Paris, alors vous validerez le fait que vous rendez légitime ce troisième référendum. ». Et ils nous disent : « Tant qu'on n'est pas sûrs que les Nations-unies ne valident pas ce référendum, on ne veut pas discuter. ». Ça nous amène à fin 2023, pour faire très vite. Pour nous, ce n'est évidemment pas un calendrier acceptable, parce que les Calédoniens, par trois fois, ont choisi de rester dans la République, après des élections, me semble-t-il, clairement disputées, démocratiques. D'ailleurs, je crois que les Nations Unies n'ont rien eu à redire ; le Comité spécial des Vingt-Quatre a même considéré que nous avons tenu tous les engagements internationaux de la France, dont en premier lieu le droit à l'autodétermination qui reste toujours dans notre droit.
Je crois qu'il y a un sujet, qui est un sujet difficile pour les indépendantistes : c'est la première fois depuis très longtemps qu'ils ne sont pas dans une situation où il y a un référendum d'autodétermination certain à quelques mois ou quelques années près. Je pense que cela crée une difficulté dans le camp indépendantiste. Nous devons le respecter. Nous devons l'accompagner. Nous devons montrer que notre porte est toujours ouverte. Il ne s'agit d'humilier personne. Nous sommes prêts à discuter de plein de sujets qui concernent la Nouvelle-Calédonie : sa forme institutionnelle, la façon dont fonctionne son corps électoral, la façon dont on voit l'avenir. Mais on ne peut pas faire comme si ces trois référendums n'avaient pas exprimé par trois fois que les Calédoniens voulaient rester dans la République française. Du reste, si nous n'avions pas organisé ces réunions, ces déplacements, vous nous diriez à juste titre, en tout cas pour une partie de l'hémicycle du Sénat, que nous ne respecterions pas la voix des Calédoniens qui ont choisi la France, qui souhaitent un avenir et qui se posent désormais des questions sur le logement, la santé, l'énergie, le nickel, le travail, et leur environnement géopolitique. Chacun sait d'ailleurs que d'autres grandes puissances nous regardent pour savoir si nous sommes capables de pouvoir être forts dans ce territoire français.
Messieurs, cette audition va peut-être permettre de lever cette ambiguïté : il n'est pas prévu de nouveau référendum, et d'ailleurs pourquoi aurait-il lieu ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Le ministre a parlé d'un référendum de projet.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Il n'y a pas de nouveau référendum prévu dans les mois qui viennent, dans les années qui viennent. On peut discuter de tout, mais la Nouvelle-Calédonie a fait le choix de la République. Des questions se posent effectivement pour savoir si nous avons la possibilité de le faire dans le cadre constitutionnel actuel. Vous avez parfaitement raison, le changement constitutionnel et notamment de l'article 77 alinéa 4 de la Constitution, c'est-à-dire la question du corps électoral, va se poser puisque nous avons les élections provinciales à organiser en 2024. Mais il est évident que l'année de travail qu'évoquait le ministre délégué ne comprend pas de référendum. Elle comprend, me semble-t-il, le rendu des groupes de travail et, nous l'espérons tous et toutes, des discussions bilatérales et trilatérales conclusives ce qui nous permettra de faire un chemin, et pourquoi pas, Monsieur le Président Sueur, vous avez parfaitement raison, de voir quels sont les symboles, quelles sont les politiques que nous pouvons imaginer être soit des compétences partagées, soit des compétences entières de la Nouvelle-Calédonie.
Vous savez que c'est l'endroit le plus décentralisé qui existe dans la République, puisque hormis les affaires régaliennes, nous ne voyons pas très bien ce que nous pourrions décentraliser davantage. Mais nous pourrions ouvrir des voies et des chemins, et c'est d'ailleurs pour cela que nous continuons à discuter ainsi. L'axe indopacifique évoqué par le président de la République montre peut-être un de ces chemins : définir ce que nous voulons pour la Nouvelle-Calédonie et sa grande place dans la République française.
Ce que j'ai moins compris, Monsieur le Président Sueur, c'est votre assertion : « L'État doit être neutre. ». Si l'État devait avoir une impartialité particulière dans l'organisation des référendums, une fois que ces référendums sont établis et qu'ils ont eu lieu, lors d'élections disputées. L'État ne peut pas rester indéfiniment indifférent au sort de la Nouvelle-Calédonie et nous pouvons constater tous ensemble que la question a été désormais tranchée. J'ai d'ailleurs constaté que vous ne les remettiez pas en cause ni lors de votre prise de parole, ni dans le rapport d'étape que vous avez fourni et que j'ai lu attentivement ; et j'attends avec le ministre délégué votre rapport définitif et nous nous inspirerons bien évidemment de vos constats et de vos recommandations.
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai parlé d'État impartial...
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Le troisième référendum a été organisé et, pour la troisième fois en quelques années, les Calédoniens ont dit qu'ils souhaitaient rester français. On ne va pas interdire à tout Calédonien de participer au gouvernement de son pays parce qu'il faudrait que nous ayons une position ad vitam d'impartialité ! Ce serait de drôles de citoyens que ceux de Nouvelle-Calédonie si nous disions que tout le monde peut être membre du gouvernement sauf les citoyens calédoniens. Ce ne serait pas être pleinement dans la République française. Donc s'agissant de votre remarque sur Sonia Backès, qui n'est pas en charge des outre-mer ni de la Nouvelle-Calédonie, il s'agit de la place d'une citoyenne française qui, à la demande du Président de la République sur proposition de la Première ministre, a accepté de servir son pays. Il n'y a pas de contestation sur ce point. Les indépendantistes ne le contestent d'ailleurs pas, je le dis pour les avoir entendus, pour avoir lu leurs tracs et leurs communiqués de presse. Notre porte est ouverte, et si notre porte est toujours ouverte, la parole donnée compte énormément partout, et singulièrement en Nouvelle-Calédonie. Nous avons été un peu étonnés, avec le ministre délégué, que cette parole donnée de pouvoir venir à Paris, n'ait pas été tenue, de pouvoir venir à Paris. Je crois qu'il faut prendre en compte la peur, car par le passé ceux qui sont venus discuter ont pu subir les affres de la violence, nous devons rassurer. Une fois donc le troisième référendum organisé, la question n'est plus de savoir s'il y en aura un quatrième sur une potentielle indépendance, mais de considérer que l'Etat n'a plus de neutralité à avoir et de se mettre en ordre de marche pour aider la Nouvelle-Calédonie à avancer sur son chemin.
Vous dites, encore, que l'autodétermination était partie intégrante des accords de Matignon et de Nouméa, mais elle l'est de tout temps dans notre fonctionnement constitutionnel, et nous ne disons pas que la question ne se posera plus jamais : elle se posera peut-être encore, mais pas à court ou moyen terme, car ce serait, par définition, ne pas respecter le vote et le processus de Matignon.
Donc pour me résumer, il n'y aura pas, dans notre calendrier, un référendum à organiser dans les mois qui viennent. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en n'aura pas, un jour, sur le projet pour la Nouvelle-Calédonie, mais ce n'est pas dans l'année qu'évoquait le ministre délégué. Et oui, il faudrait faire, vous le savez tous, une réforme constitutionnelle pour adapter notamment la question du corps électoral, qui est posée par le Conseil d'État, par les juristes européens, et par nous-mêmes. On voit bien que la finalité pour laquelle on a fait ces dispositions exorbitantes du droit commun était conditionnée par le juge constitutionnel lui- même à des buts qui sont maintenant atteints. On sait tous que c'est une question extrêmement délicate par ailleurs. Elle ne mérite pas d'être traitée d'un revers de la main.
Peut-on espérer une majorité des trois cinquièmes au Congrès pour cette réforme électorale ? N'étant pas président de la République ni parlementaire, ce n'est pas à moi de le dire et mon travail, c'est plutôt de trouver le chemin, il n'est pas facile - en tout cas nous voulons le trouver, dans l'écoute des citoyens de Nouvelle-Calédonie, des indépendantistes comme de ceux qui n'ont pas choisi l'indépendance et qui ont été majoritaires dans les trois référendums. Je constate que tous les maires ont organisé les opérations électorales lors du troisième référendum, y compris par ceux qui, pourtant, et vous le savez bien, revendiquent l'indépendance, ce qui est leur droit le plus strict, que nous respectons profondément, en vertu des anciens et de leur engagement.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - Peut-être deux compléments. Tout d'abord, un témoignage : lors de la réunion à Paris, Sonia Backès a clairement dit qu'elle participait non comme ministre, mais comme présidente de l'Assemblée de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie.
D'autre part, sur le calendrier, les élections provinciales requièrent effectivement une révision constitutionnelle, et cela suppose l'accord des trois cinquièmes du Parlement : nous avons donc besoin de vous. Ce qu'on entend partout en Nouvelle-Calédonie, c'est une demande d'approfondissement du rôle de l'État, avec l'appartenance à la République comme ligne rouge, je crois que c'est un gage qu'il y a une solution consensuelle.
Ne nous pressons pas. Ne disons pas des choses trop brutales. On verra là-bas comment les choses se déroulent. Je me suis assuré d'une seule chose avant le 28 octobre, c'est qu'ils nous accueilleraient tous. Au-delà, laissons se nouer les choses.
M. Philippe Bas. - Merci de vos réponses très complètes, nous voulons tous avancer vers un accord et il est très important d'avoir un dialogue clair et complet, et que nous nous parlions avec franchise. Cependant, Monsieur le ministre, par la réponse que vous avez apportée sur le référendum de projet, vous ne pouvez ignorer que vous avez fait une annonce qui, de fait, était la plus importante de ce Gouvernement sur le dossier calédonien. Je trouve que ce renoncement est sage, qu'il eut été extrêmement difficile de forcer le passage pour organiser ce référendum de projet à la date où il avait été initialement prévu. Vous donnez un petit peu d'oxygène ; ce qui ne vous empêche pas d'envisager à l'issue d'un accord que celui-ci soit consacré par un vote des Calédoniens.
Vous ne répondez toutefois pas sur le calendrier des élections provinciales prévues en 2024, et vous avez raison, car tant qu'on peut espérer tenir le calendrier, autant ne pas envisager de le changer. Mais j'insiste simplement sur un point : s'il était possible de lever la difficulté du calendrier liée au référendum de projet, qui avait été annoncé et confirmé par le Gouvernement, il est en revanche beaucoup plus difficile de reculer cette échéance des élections provinciales. Cela crée tout de même, pour la négociation, une exigence parce qu' elles pourront difficilement se tenir tant que la question du corps électoral ne sera pas tranchée.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cette date du 2 novembre est importante. Il y a eu trois référendum, dont nous ne contestons ni l'existence, ni les résultats, et il y a l'annonce par le ministre Sébastien Lecornu qu'un référendum de projet interviendrait d'ici fin 2023. Vous nous dites qu'il n'aura pas lieu, je vous en félicite : ce n'est pas la peine de maintenir, comme ça en l'air, une espèce de chose dont on sait tous qu'elle ne pourra pas arriver. Cela dégage l'horizon pour reprendre les discussions sur une pluralité de sujets, de manière à recréer un climat qui permette d'aborder, sans fixer d'échéance particulière, cette question du corps électoral qui est difficile et qui ne pourra être réglée que si l'on crée un climat favorable.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je dois dire les choses très clairement. S'il doit y avoir un référendum, il ne sera pas d'autodétermination. Le ministre Lecornu a évoqué un référendum de projet. Il est tout à fait possible que ce référendum de projet, pour savoir quel est le nouveau statut, quelle est la nouvelle politique de la Nouvelle-Calédonie dans la République, puisse se tenir. Nous disons, avec le ministre Carenco, tout comme vous, que ce serait difficile de constater qu'il peut se tenir dans l'année qui vient. Car le mode de consensus qui prévaut en Nouvelle-Calédonie et qui demande du temps, doit être recherché par l'Etat, à travers des bilatérales, des trilatérales, des déplacements, de l'écoute et de l'envie de travailler en commun pour la Nouvelle-Calédonie. Plus on pourra se rapprocher d'une méthode consensuelle, moins on fera des choses clivées dans un temps trop court, qui ne feraient que séparer les uns des autres. En d'autres termes, mieux on se portera si on arrive à aller vers le consensus. Et il ne nous apparaît pas possible aujourd'hui de se mettre d'accord sur tous les sujets qui concerneraient ce projet pour la Nouvelle-Calédonie, dans un temps aussi court.
Dernier point : la réforme constitutionnelle : elle est obligatoire, au regard de notre Constitution, et mon travail est de parvenir à une formulation acceptable par toutes et tous. Cela pose plusieurs questions : faut-il donner des compétences supplémentaires à la Nouvelle-Calédonie ? Si oui, lesquelles et dans quelles conditions ? Cela répond-il aux attentes des Calédoniens de tous bords ? Et enfin, doit-on revenir sur le corps électoral ? Vous n'êtes pas sans savoir que le corps électoral varie selon les élections, selon qu'elles soient présidentielles, provinciales ou référendaires. La situation est difficile, en particulier parce que les indépendantistes demandent à ne pas toucher à cette distribution, alors que d'autres veulent le faire. Les élections provinciales doivent se tenir, mais avec quel corps électoral ?
On a un petit peu de temps avant de devoir décider de tout cela. Il y a tout d'abord les élections sénatoriales qui vont se dérouler en Nouvelle-Calédonie, et, de plus, on ne va pas faire le voyage avant d'y aller. Ils ont accepté de nous recevoir et, si j'ose dire, de faire la suite, en Nouvelle-Calédonie, de la réunion qu'a tenue la Première ministre à Paris. Nous sommes toujours dans la même philosophie : des bilatérales, puis des trilatérales, puis une avancée vers le consensus. Cela s'inscrira dans un avenir dans la République. Je ne veux pas nous lier les mains avant d'y aller. Cependant, il faudra bien que ces provinciales se tiennent et il faudra bien que nous nous mettions d'accord sur ce corps électoral et ces élections locales, qui sont importantes car, vous le savez, les provinces ont des compétences fortes en Nouvelle-Calédonie.
Nous ne sommes pas contre le référendum de projet annoncé par les ministres des outre-mer précédents. Mais ne nous engageons pas sur une date. Il faudra qu'il se tienne une fois qu'on aura fait ce travail. La méthodologie, c'est des groupes de travail sur tous les sujets, institutionnels mais pas seulement : le nickel, notamment, qui est un sujet complexe, tout aussi capitalistique qu'identitaire, et qui attise des convoitises étrangères. Et quand nous serons prêts, nous l'espérons le plus rapidement possible, a priori un an, nous reviendrons devant l'opinion publique, devant les assemblées parlementaires et devant le président de la République pour lui proposer le consensus que nous espérons avoir trouvé dans les jours et les semaines qui viennent.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous poursuivons notre audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, en évoquant le projet de loi de finances pour 2023, en particulier sur les missions « Sécurités », « Immigration, asile et intégration » et « Administration générale et territoriale de l'État ».
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je vous présenterai ces trois missions dans leurs grandes lignes, car nous en avons largement débattu lors de l'examen de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) - ce projet de loi de finances sert les engagements pris, tout en prenant en compte les annonces que le Président de la République vient de faire pour la sécurité civile et qui donneront lieu à des amendements en séance plénière.
Sur la mission « Sécurité », nous créons 3 018 effectifs dans les forces de police et de gendarmerie, soit le tiers des engagements pris dans la Lopmi, puis nous continuerons en 2024, Coupe du monde de rugby et Jeux olympiques obligent : nous avons donc cette année un rendez-vous très important de recrutement et de formation. Je pourrai, l'an prochain, ajouter 60 brigades de gendarmerie dans les départements, en prenant des gendarmes sortis d'école. Je souligne aussi la création de postes d'agents de préfecture : pour la première fois depuis 17 ans, nous projetons de créer 400 postes sur le quinquennat, dont une cinquantaine l'an prochain. Après des années de baisse continue et deux ans de stagnation des effectifs, je suis heureux de pouvoir annoncer un renforcement des moyens humains de l'administration territoriale de l'État. A cette première mesure s'ajoute la création de 6 sous-préfectures annoncée par le Président de la République lors de son déplacement en Mayenne le 10 octobre dernier. Par ailleurs, les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) augmenteront aussi fortement pour aider les communes à s'équiper en vidéo-protection. Nous y consacrerons 22 millions d'euros l'an prochain. Nous poursuivons le renouvellement de nos équipements, nous avons déjà changé les deux-tiers du parc automobile et nous prévoyons 340 millions d'euros pour la rénovation des commissariats de police et des brigades de gendarmerie. Nous lançons le réseau radio du futur et nous lançons l'achat progressif de 36 hélicoptères pour la sécurité civile.
Sur le sujet immigration qui va aussi avec l'outre-mer, nous aurons l'occasion de revoir l'opération Shikandra de Mayotte et aurons sans doute également une discussion sur l'opération Harpie en Guyane. Des annonces ont également été faites avec le ministre de la justice et le ministre des comptes publics pour la sécurisation totale de l'aéroport de Cayenne, en particulier pour mieux lutter contre les « mules ».
Un travail important est également mené contre l'immigration irrégulière, nous avons augmenté de 20 % les reconduites à la frontière par rapport à 2021 alors que nous sommes encore au mois de novembre et je viens d'accepter un amendement du député Éric Ciotti pour doubler le nombre de places en centres de rétention administrative (CRA) dans le quinquennat. Nous allons ajouter près de 500 places dès l'an prochain. Les crédits correspondants pour la lutte contre l'immigration irrégulière connaissent une progression importante de 34 %, simplement pour les centres ou les locaux de rétention administrative.
Nous poursuivrons, dans le même temps, le travail sur les moyens consacrés à l'intégration, avec plus de 51 millions, principalement sur le volet linguistique qui sous-tend le projet de loi que nous avons commencé à présenter. C'est également vrai des moyens attribués à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), puisque nous devons continuer à réduire les délais de traitement. J'ai accepté ce matin un amendement du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, pour fixer à 60 jours le délai d'études des dossiers. Nous y parviendrons avec les moyens supplémentaires pour l'Ofpra, je rappelle que 200 ETP supplémentaires avaient été accordés. Les crédits de l'allocation pour les demandeurs d'asile sont d'ailleurs, pour la première fois, sous exécutés : ce n'est pas parce que les demandeurs sont moins nombreux, mais parce que le traitement des dossiers est plus rapide. Reste, cependant, à améliorer le côté juridictionnel, c'est-à-dire les recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). C'est l'une des dispositions du texte, qui reprend d'ailleurs l'une des propositions de votre rapport, monsieur le président.
Je me présente donc devant vous comme un ministre heureux, qui voit ses crédits augmenter de 1,4 milliard d'euros, dont « seulement » 200 millions pour tenir compte de l'inflation, car le ministère de l'intérieur a des dépenses de personnel plutôt que de matériel - nous pourrons donc être au rendez-vous des politiques publiques.
M. Henri Leroy. - Vous l'avez dit, Monsieur le ministre, nous avons largement discuté des orientations budgétaires de votre ministère dans la Lopmi. Les chiffres de la mission « Sécurités » pour 2023 sont en hausse, c'est une très bonne chose que personne ne conteste. Cependant, la répartition des crédits par missions et programmes n'est pas définie dans la Lopmi, qui ne prévoit qu'une trajectoire applicable à l'ensemble du ministère de l'intérieur.
Dans ces conditions, comment garantir la réalisation de la trajectoire prévue par la Lopmi dans les dernières années du quinquennat ? Nous n'avons guère d'inquiétude jusqu'en 2024, mais que se passera-t-il après les Jeux olympiques ?
Mme Muriel Jourda. - Monsieur le ministre, ma première question est relative à l'allocation pour demandeurs d'asile. Vous avez indiqué que celle-ci était actuellement en sous-exécution du fait de l'amélioration du délai de traitement des dossiers. Toutefois, cette amélioration plafonne et l'allocation est également octroyée aux réfugiés Ukrainiens, dont le nombre sur le territoire français est important et va probablement encore augmenter. Au regard de ces deux éléments, la baisse de 36 % de la dotation prévue dans le budget est-elle bien pertinente ?
Le président de la République, ensuite, a récemment précisé que l'objectif d'un taux d'exécution de 100 % concernait les seules obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées sur des motifs d'ordre public. Pourquoi ce revirement ? Ou en est le taux d'exécution sur cette catégorie d'OQTF ? Cela signifie-t-il que l'on abandonne l'exécution des autres ?
Enfin, un sujet plus d'actualité mais qui peut avoir un impact sur le budget pour 2023 : monsieur le ministre, vous avez annoncé ce matin avec le ministre Olivier Dussopt des mesures qui pourraient être reprises dans le projet de loi sur l'immigration que vous envisagez, dont une qui est la régularisation des personnes en situation irrégulière qui travaillent dans une filière en tension. Cela ressemble à un un nouvel élargissement de la circulaire Valls qui permet de régulariser des clandestins. Comment faire pour que cela ne soit pas un « appel d'air » et une incitation à l'immigration irrégulière ?
Mme Nadine Bellurot, en remplacement de Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat ». - Après les « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 » et la Lopmi, qui prévoyaient un renforcement des services déconcentrés, le Gouvernement nous annonce, dans le projet de loi de finances pour 2023, un véritable « réarmement » de l'État territorial.
Je partage l'avis de Cécile Cukierman, rapporteure pour avis des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », qui tient à saluer la prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l'État ne peut pas continuer à diminuer sa présence dans les territoires au risque d'amplifier le sentiment d'abandon de nos concitoyens comme des élus locaux.
Toutefois, ces annonces interviennent après plus de dix ans de coupes budgétaires drastiques qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l'effectif initial de l'administration territoriale de l'État entre 2010 et 2021 et de nombreux plans de réforme qui ont mis à mal les services de l'État et la qualité du service public. Les secrétariats généraux communs départementaux (SGC-D) ont été créés au 1er janvier 2021. Nous n'avons pas encore eu le temps de dresser le bilan de cette réforme décriée que le Gouvernement nous annonce déjà un nouveau plan d'action pour les préfectures à horizon 2025.
La création de 210 équivalents temps plein (ETP) sur les trois prochaines années vous paraît-elle suffisante pour réarmer l'État territorial ? Comment ces ETP seront-ils répartis ? De même, le « déjumelage » de 5 sous-préfectures et la création d'une nouvelle sous-préfecture en Guyane, vous paraissent-ils répondre de manière satisfaisante au besoin de plus d'État dans les territoires ruraux ?
Sur quels critères entendez-vous vous baser pour rééquilibrer la répartition des emplois entre préfectures ? Quelles préfectures seront concernées par ces mouvements ?
Quelles mesures concrètes seront mises en oeuvre pour renforcer l'attractivité des métiers de l'administration territoriale de l'État, notamment dans les sous-préfectures rurales qui peinent à recruter ?
Nous souhaitons que les sous-préfectures reprennent vie. Dans l'Indre, par exemple, leur nombre est passé de trois à deux, alors que nous avons plus que jamais besoin de la présence de l'État dans nos territoires.
M. Henri Leroy. - Vous annoncez pouvoir former 60 nouvelles brigades de gendarmerie l'an prochain, mais les documents budgétaires prévoient 312 effectifs dédiés à ces brigades. A 10 personnels par brigade, cela ne fait que 30 brigades créées en 2023 : quel est donc le bon chiffre ?
M. François-Noël Buffet. - Françoise Dumont, rapporteure pour avis des crédits de la sécurité civile, s'interroge sur le plan de « réarmement aérien d'urgence » annoncé par le Président de la République dans son discours du 28 octobre 2022, à hauteur de 250 millions d'euros. Ce montant ne correspond pas à ceux du projet de loi de finances pour 2023 et est en deçà des ambitions de la Lopmi : pouvez-vous nous préciser le périmètre et les attentes de ce plan ? Elle s'interroge également sur l'objectif du Président de la République de renouveler et de renforcer notre flotte de Canadair « d'ici la fin du quinquennat », alors que vos services et vous-même, lors de votre audition au Sénat le 21 septembre 2022, avez mis en avant des difficultés industrielles justifiant des délais de production importants. Elle constate en outre l'absence de crédits spécifiques dans ce projet de budget. Comment comptez-vous tenir ce calendrier ambitieux ?
M. Jérôme Durain. - Le Sénat a adopté plusieurs amendements à la Lopmi pour doter de 100 millions d'euros un fonds dédié à l'immobilier de la gendarmerie : pensez-vous traduire cet engagement dans le projet de loi de finances pour 2023 ?
Nous avons découvert hier un rapport sur les luttes contre les discriminations dans les forces de sécurité, qui propose d'inclure cette thématique dans les travaux de l'IGPN : ne pensez-vous pas que nous pourrions l'inscrire également parmi les indicateurs de performance que nous regardons chaque année ?
Enfin, sur la régularisation dans les secteurs en tensions, je crois peu au risque d'un « appel d'air », alors que je sais combien la régularisation de salariés devenus irréguliers fait perdre du temps à tout le monde : comment voyez-vous les choses concrètement ?
Mme Françoise Gatel. - Pour « réarmer la présence de l'État territorial », je crois que nous avons besoin non pas de plus d'État mais de mieux d'État : nous avons surtout besoin d'améliorer l'organisation des services de l'État dans les territoires. Des agences qui jouissent d'une grande autonomie ont pu être mobilisées par le préfet pendant la crise sanitaire, il serait bon qu'elles puissent l'être en temps ordinaire - je vous renvoie au rapport d'Agnès Canayer et Éric Kerrouche, au titre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont le titre très parlant est « À la recherche de l'État dans les territoires ». L'État est souvent très discret dans les territoires et vous avez raison, il faut réarmer les sous-préfectures pour mieux accompagner les élus et ne pas se contenter de faire du contrôle de légalité.
Une question qui ne coûte pas grand-chose : serait-il possible que le préfet de région ne soit pas en même temps préfet du département ? Le cumul conduit à la surcharge ou à l'indisponibilité.
Enfin, sur les titres de séjour, des entreprises se trouvent en grande difficulté lorsqu'elles doivent demander le renouvellement de titres de séjour de salariés, elles font alors face à des délais décourageants, voire à l'absence de réponse sur les titres de séjour : peut-on accélérer les choses ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je transmets à votre commission ce document, que je vais communiquer dans les heures qui viennent à vos collègues députés, qui est la ventilation des 15 milliards d'euros de crédits de la Lopmi pour les cinq années à venir sur les différentes missions budgétaires concernées. Il peut se passer bien des choses en cinq ans, mais vous avez là le document que je vous avais promis en séance plénière dans le débat sur la Lopmi.
Des brigades de gendarmerie, ensuite, on peut en créer entre 20 et 70 nouvelles l'an prochain, mais tout dépend desquelles on parle, car les gendarmes, il faut les loger, avec leurs familles - les situations sont très différentes selon qu'il faut rénover ou construire des bâtiments, équiper telle brigade équestre ou telle brigade fluviale qu'on me demande en Guyane sur l'Oyapock ou le Maroni... tout cela dépend des projets, des lieux, des conditions. En tout cas, nous pouvons compter sur les effectifs que j'ai indiqués, de 380 par an.
Sur la question de l'ADA, le montant proposé ne comprend pas les montants versés aux ukrainiens parce que si, effectivement, ils touchent cette allocation, ils sont aussi plus nombreux à travailler que les demandeurs d'asile classique puisqu'ils y ont droit dès leur premier jour sur le territoire. Nous adaptons donc le montant des crédits, et nous constatons d'ailleurs que le flux d'entrants est désormais inférieur aux sortants, en particulier du fait du nombre de personnes qui retournent dans les zones moins touchées par le conflit ou dans les pays limitrophes. Je ne partage donc pas le constat qu'il y en aura de plus en plus sauf en cas d'évolution du conflit. Nous avons donc convenu avec le ministère des comptes publics d'adapter nos prévisions pour cette allocation s'agissant des Ukrainiens, nous avons dépensé à ce titre 244 millions d'euros pour les Ukrainiens, nous pourrons intégrer ces crédits en gestion pour cette année. Quant au délai de traitement des demandes d'asile, on est en 2022 à 140 jours et il devrait encore baisser. Cela ne fait pas la une des journaux, alors même que c'est une prouesse administrative, mais nous sommes le pays qui traitons le plus rapidement les demandes d'asile dans l'Union européenne, grâce au recrutement de quelque 200 contractuels supplémentaires que vous avez accordés à l'Ofpra.
Sur les OQTF, ce débat est très important démocratiquement. Chacun commente un taux d'exécution que personne ne connait. Les chiffres utilisés pour ce taux d'exécution ne reposent sur aucune réalité statistique. Car que fait la presse quand elle le calcule, et produit un chiffre que nous, les politiques, reprenons collectivement sans y regarder de plus près ? Elle rapporte le nombre des OQTF prononcées par les préfectures dans une année pleine au nombre d'exécution de ces OQTF - pour 2021, c'est 120 000 OQTF prononcées. Or, vous savez qu'il y a deux sortes d'exécution des obligations, celles qui sont volontaires, ce qu'avait l'assassin présumé de la petite Lola, et celles qui sont forcées - elles se répartissent pour moitié, donc environ 60 000 chacune. Avec l'an dernier 16 000 reconduites à la frontière effectuées, le pourcentage d'exécution est de moins de 20 %, voire moins si l'on enlève les retours spontanés alors qu'il faut tout prendre.
Cette base n'est pas la bonne d'abord car il y a un décalage temporel, les obligations exécutées ont souvent été prononcées l'année d'avant et il peut y avoir 20 000 à 30 000 OQTF de différence dans cette base, par exemple entre 2020 et 2021. Il y a également le fait que la moitié environ des OQTF contraintes fait l'objet d'un recours judiciaire, qui est suspensif : on demande au ministre de l'intérieur d'exécuter toutes les OQTF, alors qu'une bonne partie fait l'objet d'un recours suspensif - il serait plus honnête de prendre pour base, donc, les OQTF contraintes et de tenir compte des procédures judiciaires : le résultat, alors, c'est plutôt 40 % d'OQTF exécutées, et non pas 6 %, comme on l'entend parfois dire. Enfin, il y a aussi le fait que des gens partent sans nous le dire et c'est pour cela que j'ai demandé que toutes les OQTF soient rentrées dans le fichier des personnes recherchées (FPR). Il y en a beaucoup - c'est le cas, par exemple, de l'assassin présumé de la petite Lola, qui faisait l'objet d'une OQTF sans inscription au FPR. Seules les OQTF pour motifs d'ordre public font l'objet d'une inscription au FPR.
Comment les choses se passent-elles à l'aéroport, quand une personne à qui on a demandé de quitter le territoire, se présente avec son passeport pour rentrer dans son pays : la police des frontières la laisse partir, sans signaler à la préfecture émettrice de l'OQTF que cette personne est partie, sauf si c'est une exécution contrainte, donc accompagnée par un policier. Il y a comme ça des milliers de personnes, peut-être même plus, qui exécutent elles-mêmes leur OQTF de manière volontaire sans que nous le sachions nécessairement. C'est pourquoi je proposerai que toute personne faisant l'objet d'une OQTF soit inscrite dans le FPR : ce sera le moyen pour que son départ soit signalé automatiquement, et puisse être comptabilisé. Il y a, encore, le fait que des personnes partent dans un pays voisin, comme la Belgique, l'Allemagne ou l'Espagne, sans qu'on n'en sache rien puisqu'il n'y a pas de contrôle aux frontières.
Il y a donc bien des personnes qui partent de notre pays et qui continuent d'être considérées comme à expulser. Dans la loi sur l'immigration que nous allons vous présenter avec Olivier Dussopt, nous allons proposer une nouvelle organisation du travail des préfectures, pour que les agents, au lieu de passer beaucoup de temps à contrôler des étrangers qui ne posent aucun problème sur le territoire de la République, se concentrent sur ceux qui font l'objet d'une OQTF, pour contrôler effectivement si cette obligation est respectée, avec des relances répétées et régulières - ce que les agents ne font guère aujourd'hui, faute d'effectifs.
Donc je le répète : oui, on peut atteindre 100 % d'OQTF exécutées, mais si l'on compte ce qui doit l'être, et si l'on réforme les catégories de recours - nous vous proposerons ainsi de passer de 12 à 4 catégories de recours, et de considérer également que le refus d'asile vaut OQTF, avec un délai de 15 jours pour que le tribunal administratif statue sur le refus. Aujourd'hui, nous savons bien que les personnes les plus difficiles à expulser sont les déboutés du droit d'asile. Les choses se passent aujourd'hui ainsi : lorsque l'asile est refusé par l'Ofpra, dans un délai de 6 à 8 mois, le demandeur saisit la CNDA, c'est 9 mois de délai supplémentaire ; la CNDA rejette la demande dans 70 % des cas, le préfet prend une OQTF et il y a encore un recours, donc six mois de plus, et si l'OQTF est confirmée, le demandeur peut encore faire appel devant le Conseil d'État... Au total, les demandeurs peuvent rester jusqu'à deux ans sur le territoire national, avec parfois des naissances, donc une famille en France... Je n'invente rien, le rapport Buffet l'avait déjà en partie souligné. Nous vous proposerons de changer ces règles, et si nous adoptons ce texte nous pourrons, alors, atteindre quasiment les 100% d'OQTF exécutées. Les quelques points manquants seraient le fait des étrangers qui se voient refuser leur laissez-passer consulaire, ou des étrangers non éloignables, du fait que nous n'avons pas de relations diplomatiques avec leur pays d'origine, c'est le cas des Syriens et des Afghans - et je ne sais pas si quelqu'un ici propose qu'on rétablisse nos relations diplomatiques avec les Talibans, mais je n'y suis pas favorable...
La question sera donc de savoir ce que nous faisons des étrangers à qui l'on ne donne pas l'asile, mais qu'on ne peut expulser. Les Allemands ont dans ce cas ce qu'ils appellent une tolérance, avec une protection temporaire qui ne crée pas de droit et qui prend fin lorsque la personne redevient expulsable - nous en reparlerons dans le projet de loi sur l'immigration. Quoiqu'il en soit, nous avons augmenté les reconduites à la frontière de 20 % cette année et, en attendant les mesures que nous vous proposerons prochainement, j'ai demandé à la direction générale des étrangers en France et à l'Insee de travailler sur les statistiques disponibles, c'est nécessaire pour éviter de nourrir les fantasmes sur ces questions.
Le titre de séjour pour les métiers en tension est tout le contraire de la régularisation massive telle qu'elle a été pratiquée par les circulaires Chevènement ou Valls. D'abord, ces régularisations nous les faisons depuis 10 ans : nous régularisons à peu près 30 000 personnes par an, 23 000 au titre de la vie privée et familiale, et 7 000 par la régularisation d'un travail au noir, et quand nous le faisons, la régularisation est ad vitam. Alors que le titre de séjour pour les métiers en tension, lui, est délivré pour un an, et tant que le métier est effectué. Rien à voir, donc, avec la régularisation massive. J'ai d'ailleurs invité le président des sénateurs LR pour expliciter notre projet puisque nous allons faire de grandes consultations. Ensuite, on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas de métiers en tension, dans lesquels le patronat demande davantage d'immigration de travail. L'enjeu, dans notre pays, c'est de diminuer l'immigration familiale et d'aller vers une immigration de travail, l'Allemagne a dix points de plus que nous d'immigration de travail, et nous en sommes arrivés là parce que nos titres de séjour sont fondés sur la famille plutôt que sur le travail.
Nous proposons donc de contrecarrer l'automaticité de l'immigration familiale, tout en respectant la Convention européenne des droits de l'homme, bien entendu, donc le regroupement familial. Nous proposerons par exemple un examen de français, parce qu'il faut bien parler notre langue, ainsi qu'un titre spécifique pour le travail. Ce sera aussi une façon de reconnaitre ces sans-papiers qui travaillent dans les restaurants, qui nettoient nos bureaux, qui délivrent des repas, qui payent des cotisations et de la fiscalité sans être jamais protégés - on ne peut plus faire comme s'ils n'existaient pas. Nous disons donc qu'il faut lutter fort contre les entreprises qui font faire du travail au noir, le ministre du travail propose même une fermeture administrative, c'est bien plus sévère qu'une amende. En contrepartie nous pourrions discuter des métiers en tension chaque année au Parlement, pour définir des secteurs et le nombre de titres de travail dont ils ont besoin, par exemple 5 000 emplois dans l'hôtellerie-restauration, ou 3 000 médecins et personnels hospitaliers. On pourrait actualiser cette liste et ce nombre chaque année, et ces titres sont tout le contraire d'une régularisation massive puisque quand le métier sera retiré de la liste, la personne ne pourra rester sur le territoire national, nonobstant les droits qu'elle aurait créés dans la vie privée et familiale - nous aurons l'occasion d'en reparler.
Sur les préfectures, nous prévoyons 50 agents supplémentaires l'an prochain, et 400 sur le quinquennat. Je déplore qu'en préfecture, ne viennent plus que des étrangers qui demandent des papiers et des personnes qui, ayant raté leur permis de conduire, demandent à le repasser. Les sous-préfectures accompagnent beaucoup les collectivités territoriales mais les citoyens n'ont plus guère d'autres raisons de se rendre physiquement en préfecture, car nous avons délégué de nombreuses missions aux collectivités territoriales, par exemple la délivrance des papiers d'identité. Donc le service ces étrangers mobilise beaucoup les agents des préfectures, mais je crois que la solution est moins dans l'accroissement des effectifs que dans un changement de méthode. Au lieu de faire en sorte que les agents passent leur temps à contrôler des centaines de milliers d'étrangers qui ne posent aucun problème à la République mais qui doivent renouveler leur titre de séjour et à qui l'on demande de venir faire des heures d'attente en préfecture dans de mauvaises conditions, qui peuvent être vexantes - je pense aux vieux Chibani de Tourcoing, qui ont servi dans l'armée française et qui sont dans ces longues files, parmi tous les autres -, pourquoi ne pas demander aux agents de se concentrer sur les primo-arrivants, pour vérifier qu'ils parlent le français, qu'ils n'ont pas de casier judiciaire, qu'ils ne sont pas suivis pour radicalisation, et sur le suivi des OQTF ? J'ai donc proposé que les centaines de milliers de dossiers étudiés chaque année ne le soient plus manuellement mais automatiquement, avec possibilité bien sûr pour l'État de reprendre la main et de traiter au cas par cas lorsqu'il y a un signalement, ou bien si le casier judiciaire a changé. Cela libèrera des ressources en préfecture pour mieux contrôler les personnes en situation irrégulière et les étrangers délinquants et se concentrer sur leurs autres missions.
Un préfet de région qui ne serait pas aussi préfet de département ne verrait les choses que régionalement, il serait en décalage vis-à-vis de ses collègues préfets de département et déconnecté de l'aspect concret de l'action préfectorale. Le préfet de région, souvent préfet zonal, n'a pas d'autorité sur les préfets de département ; il a juste des dossiers supplémentaires à traiter. Je vous accorde que la fonction est devenue plus lourde avec la création des grandes régions, mais je crois que ce serait une erreur que le préfet de région ne soit plus préfet de département, cela créerait une superstructure, avec un état-major régional, qui renforcerait l'échelon régional - alors qu'il faut renforcer l'échelon départemental, ce n'est pas au Sénat que je vais me retenir de dire que je suis départementaliste...
Je suis très favorable aux conclusions du rapport de Christian Vigouroux, déontologue du ministère de l'intérieur, sur les actes et propos racistes et discriminants au sein de la police - et je suis favorable au changement. Je suis donc prêt à travailler à des amendements sur le sujet, par exemple dans la Lopmi en vue de la CMP. Cependant, entre le titre de presse que vous évoquez, Monsieur Durain, et le contenu du rapport de Christian Vigouroux, il y a un monde - vous noterez d'ailleurs qu'il ne propose pas le récépissé pour le contrôle d'identité. Je suis donc très favorable à ce rapport, je vais le rendre public, le sujet concerne l'ensemble des forces de l'ordre et nous savons aussi qu'il y a des propos racistes à l'encontre de policiers ou gendarmes - « sale traitre » ou « sale arabe » - et aussi des propos entre agents des forces de l'ordre; nous devons avancer sur ce sujet.
Enfin, je veux rassurer sur la sécurité civile. Les sommes dont nous parlons sont en plus de la Lopmi, le montant est net. Et s'il n'y a pas de ligne budgétaire spécifique aux Canadair, c'est parce que, comme l'a dit le président de la République, avant d'acheter des Canadair, il faut recréer l'usine qui les fabrique - et l'achat de ce type d'équipements est couvert à 90 % par des crédits européens, il est donc normal que les crédits ne figurent pas dans le projet de loi de finances.
Mme Muriel Jourda. - Nous avons tout de même des éléments sur l'exécution des OQTF. On peut admettre une discussion sur le périmètre et les effets du décalage temporel entre le moment où une OQTF est prononcée et celui où elle est exécutée, mais la direction générale des étrangers en France, vos services, donne des chiffres très précis sur le nombre d'OQTF prononcées et sur le nombre qui ont été exécutées, ils me les ont encore donnés mercredi dernier. Ce nombre comprend les retours spontanés qui ne sont pas très importants...
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je travaille avec les mêmes chiffres, qui sont ceux que nous connaissons mais je vous parle, moi, du continent que nous ne connaissons pas. C'est pourquoi je veux changer les choses et je regrette de ne pas avoir eu plus tôt les idées que je vous ai exposées.
J'ai voulu vérifier comment les choses se passent à l'aéroport, j'ai été maire, j'aime les choses concrètes. Ce que les policiers m'ont dit, c'est que quand un étranger se présente avec une OQTF et un passeport du pays dont il a la nationalité et un billet pour ce pays, le policier le laisse passer sans traiter l'information concernant l'OQTF - ce qui n'est pas le cas, bien entendu, lorsque l'étranger est inscrit au FPR. J'avoue que j'ai découvert la chose : les chiffres ne sont pas recoupés entre la préfecture, qui prononce l'OQTF, la police aux frontières, qui contrôle les personnes, et la direction générale des étrangers en France, qui établit les statistiques. Lorsque nous comptons l'exécution des OQTF, nous nous limitons à celles qui sont contraintes puisque les autres, nous n'avons pas l'outil pour les enregistrer systématiquement. On ne sera pas à 100 % d'exécution en les comptant tous, je l'admets volontiers, mais le chiffre que nous vous donnons c'est le minimum des exécutions que nous connaissons parce que nous les accompagnons par l'OFII ou la police aux frontières.
Mme Muriel Jourda. - Le titre pour emploi dans un secteur en tension reste de la régularisation, puisqu'on donnera des titres à des clandestins. Le recrutement d'un étranger dans une entreprise qui ne trouve pas de candidat est déjà possible, mais la procédure est alors un préalable à l'entrée sur le territoire national, c'est très différent.
M. Hussein Bourgi. - Pour les côtoyer depuis des années, je témoigne que les services des étrangers dans les préfectures sont parmi ceux où l'on rencontre le plus d'agents en souffrance, qui s'interrogent sur les missions qu'on leur confie sans leur en donner les moyens; ce sont des hommes et des femmes dévoués qui sont souvent en sous effectifs parce que leurs services ne sont pas prioritaires. Au fil des ans, j'ai créé une forme de complicité avec certains d'entre eux qui m'ont expliqué comment les longues files d'attente devant les grilles de la préfecture étaient alimentées par des étudiants arrivés en septembre et auxquels on demande une carte d'étudiant pour avoir un titre de séjour, alors que l'université leur demande un titre de séjour pour les inscrire...
La semaine dernière, j'ai sollicité à deux reprises le secrétaire général de la préfecture sur des situations particulières qu'on retrouve partout en France : un ressortissant étranger qui travaille dans les transports scolaires, qui n'obtient pas de rendez-vous pour renouveler son titre de séjour qui a expiré, son chef d'entreprise recevant de ce fait des lettres comminatoires des services de l'emploi - le cas a été réglé en quelques jours, mais il a fallu l'intervention du parlementaire que je suis. Autre cas : un étudiant étranger fait son stage au Medef, dans l'Hérault; le Medef veut le recruter, mais rencontre les plus grandes difficultés pour le faire passer du statut d'étudiant à celui de salarié. Ici encore, il a fallu des interventions - et pour ces exemples qu'on a réglés parce que l'on a pu se mobiliser, combien de personnes se retrouvent dans les trop longues files d'attentes devant les préfectures ? Il y a quelques années, l'un de vos prédécesseurs a pensé trouver l'astuce contre les files d'attente, en obligeant à un rendez-vous préalable en ligne. Résultat : un véritable marché noir des places s'est développé, des personnes réussissent à réserver des places et à les revendre plusieurs centaines d'euros à des personnes qui désespèrent d'en trouver : c'est cela, la réalité. C'est pourquoi, sans préjuger de vos propositions sur l'immigration, je vous appelle à améliorer les choses pour les agents de préfecture eux-mêmes, pour qu'ils n'aient plus à jeter l'éponge tous les deux ou trois ans - je peux vous assurer qu'ils sont usés par ces missions répétitives et cette question permanente et lancinante qu'ils se posent sur le sens de leur fonction.
Ensuite, vous dites qu'il est difficile de trouver un interlocuteur pour les Canadair. Mais alors, quelle alternative avons-nous et que répondre aux soldats du feu qui attendent des moyens ? Et dans quel délai peuvent-ils espérer ces moyens ?
Mme Brigitte Lherbier. - Quel est le coût du retour au pays ? Celui qui est volontaire paie son billet, mais celui qui est expulsé doit être accompagné : comment prévoir les crédits afférents ?
Mme Catherine Belrhiti. - L'idée d'un titre pour le travail dans les secteurs en tension apportera peut-être une solution à ceux qui travaillent et qui, dans la situation actuelle, ont beaucoup de mal ne serait-ce qu'à prendre des congés.
Vous parlez, ensuite, de doubler le nombre de places en CRA, mais les personnes n'y sont retenues que 90 jours : que se passe-t-il après ce délai ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Monsieur Bourgi, vous avez raison, il faut changer notre façon de faire et c'est ce dont je vous ai parlé, pour mieux suivre les primo-arrivants et les OQTF. Quant aux Canadair, je vous renvoie à ce qu'a dit le Président de la République.
Le placement dans un CRA n'est pas une obligation, il y a aussi les assignations à résidence, les locaux de rétention administrative par exemple dans des chambres d'hôtel, dans des commissariats, en brigade de gendarmerie ou en prison. Que fait-on après le CRA ? Dans les faits, nous expulsons dans les trois mois la moitié de ceux qui y entrent, sachant que la plupart sont inscrits en fichiers S ou qu'ils sont délinquants et qu'on ne fait quasiment plus entrer en CRA des personnes qui ne posent pas de problème d'ordre public. Ceux qui n'ont pas été expulsés dans les trois mois sont assignés à résidence, avec pointage au commissariat, et parfois des surveillances. La directive européenne ne nous permet pas d'allonger la durée de rétention administrative, car n'est pas une peine complémentaire mais une mesure privative de liberté. Cependant, le fait de prolonger ne règlerait pas la difficulté parce que le problème qui se pose, en général, c'est d'obtenir le laissez-passer consulaire du pays d'origine, c'est un travail diplomatique très important dont nous ne pouvons pas nous passer.
Madame Jourda, dans la proposition de titre pour emploi dans un secteur en tension, ce n'est pas l'employeur mais l'employé qui demande la régularisation, et c'est un changement capital parce que cela évite l'exploitation et nous cesserons alors d'encourager les filières d'immigration. Actuellement, les employeurs ne peuvent pas légalement recruter des sans-papier mais ils le font et ils fournissent ensuite une attestation d'emploi pour que leur salarié soit régularisé. Notre droit refuse l'emploi d'un sans-papier, mais l'administration demande une attestation d'emploi pour régulariser, avouez que c'est bizarre et cela encourage les filières d'immigration. Nous proposons de changer les choses : que l'employeur discute par branche pour les métiers en tension, sachant que ces métiers ne peuvent pas fonctionner sans population immigrée - nous le savons tous, et ceux qui le taisent sur les plateaux de télévision, sont souvent les premiers à demander des dérogations pour leur circonscription... -, puis l'employé aura son titre parce qu'il travaillera dans un métier en tension, on inverse la charge de la preuve. Alors qu'aujourd'hui, on peut créer une autoentreprise sans justifier de son droit de résidence, - je l'ai fait, pour le vérifier -, on peut comme cela travailler plusieurs années, payer ses charges et ses taxes, et se trouver après plusieurs années dans cette situation où les gens ne sont pas protégés ni expulsés, ce qui a entrainé l'adoption de la circulaire Valls, et la régularisation massive.
Nous inversons les choses, en disant que c'est à la personne de demander sa régularisation, pas à l'employeur. Dès lors, soit la personne est hors de France et veut exercer un métier en tension, et on l'acceptera son entrée sur notre territoire avec vérification préalable, comme vous le dites, Madame Jourda ; soit elle est déjà présente sur notre territoire, c'est l'exemple donné par M. Bourghi, ou encore de l'étudiante en infirmerie ou du jeune pâtissier en formation qui ont des promesses d'embauche parce que l'on ne trouve personne d'autre et qui ne parviennent pas aujourd'hui à passer du statut d'étudiant, à celui de salarié, et qui deviennent irréguliers le temps que l'administration traite leur dossier : pour ceux-là, le titre de séjour pour métier en tension sera une solution - et on arrêtera avec cette hypocrisie actuelle où on leur demande, pour pouvoir être embauchés, de retourner dans leur pays d'origine puis d'adresser un courrier à notre consulat... Avec le titre de séjour pour métier en tension, on régularise pour un an renouvelable. Enfin, il y a le cas des demandeurs d'asile qui ont le droit de travailler après 6 mois, et parmi eux ceux dont on sait qu'il vont obtenir leur titre de protection - par exemple les femmes yézidies sont certaines d'obtenir l'asile quand elles le demandent, ou encore les Afghans qui nous ont aidés et que nous avons fait venir après la chute de Kaboul ; ne peut-on, dans ce cas, donner un titre temporaire d'une année, en attendant l'asile, pour travailler - et qui peut être repris si l'asile n'est pas obtenu ? C'est une proposition innovante, nos voisins le font, en particulier l'Allemagne. Faut-il lister les métiers en tension et voter chaque année, mettre des quotas ? Il faut en débattre. Aujourd'hui notre pays compte entre 600 000 et 900 000 irréguliers, ce n'est pas nouveau et c'est bien parce que des filières existent, qui créent des non régularisables non expulsables, c'est parce que notre droit prévoit des recours trop long et trop nombreux, c'est aussi le fait d'une hypocrisie capitalistique - le patronat a une part de responsabilité en faisant travailler des étrangers, alors nous leur disons : si vous les faites venir, comment les logez vous, comment leur donnez vous des cours de langue, comment leur permettez-vous de vivre et de s'intégrer dans notre société ?
La philosophie de notre projet de loi à venir sur l'immigration, c'est qu'on doit aider les gens qui veulent s'intégrer et travailler dans notre pays et qu'on doit expulser les personnes qui se comportent mal et qui ne respectent pas les règles de notre pays.
Combien coûte une expulsion ? Je vérifierai ces données mais j'ai plus de dix mille euros par personne en tête...
M. François-Noël Buffet. - Entre 12 000 et 13 000 euros.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - En tout cas, moins ça dure et moins ça coûte. Nous payons le billet d'avion, il y a aussi le retour aidé, mis en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy et qui a fait débat parce qu'il y avait des retours. Nous avons maintenant des cartes prépayées dans le pays, que la personne ne peut donc toucher que dans son pays, et le versement est accompagné d'une interdiction de territoire. Je ne pense pas qu'augmenter cette aide soit une bonne chose, car cela donne l'idée d'une récompense à la présence irrégulière. Cela dit, il y a des personnes qui doivent partir et qu'il faut aider, parce qu'elles sont éloignées de la vie administrative. À Tourcoing, La Poste m'avait dit un jour que 22 % des personnes n'ouvraient pas leur courrier quand leur nom et adresse étaient dactylographiées, par peur de l'administration : cela laisse imaginer les difficultés que des étrangers peuvent ressentir devant une OQTF, qui n'est pas toujours facile à comprendre, surtout quand on ne maîtrise pas le français... L'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) peut aider ceux qui sont dans l'incapacité de repartir, à acheter un billet d'avion, à faire les démarches et à se préparer - ces personnes peuvent être éloignées de ces démarches, sans penser à mal, et en les aidant, nous les éloignons des filières clandestines ou encore de tous ceux qui leur expliquent comment contourner les lois et, finalement, lutter contre la République. Dans le même temps, nous devons être très fermes contre ceux qui trichent et qui commettent des actes de délinquance : c'est pourquoi j'ai demandé qu'on lève les réserves législatives contre ce qui avait été qualifié de « double peine », consistant à pouvoir expulser un étranger qui commet un acte de délinquance. En quelque sorte, nous voulons être gentils avec les gentils, et méchants avec les méchants - alors qu'on est parfois gentil avec les méchants et méchant avec les gentils.
M. François-Noël Buffet. - Nous en débattrons largement en séance plénière. J'ai lu des choses intéressantes dans vos articles récents, notamment que vous entendiez reprendre nos propositions en la matière. Nous avons besoin de mesures concrètes, mais également d'une stratégie en matière migratoire. Merci pour toutes vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.