Mardi 10 mai 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Bilan annuel de l’application des lois – Communications
M. Jean-François Longeot, président. – Comme chaque année à cette époque, les commissions permanentes sont appelées à dresser le bilan de l’application des lois qu’elles ont examinées au fond lors des sessions précédentes, comme le prévoit l’article 19 bis A du Règlement du Sénat.
L’exercice intervient cette fois-ci dans un contexte particulier, marqué par la fin du quinquennat, ce qui permet d’avoir une véritable photographie de la manière dont le Gouvernement s’est mobilisé pour rendre applicables les textes qu’il a fait voter.
Le rôle de vigie que le Sénat joue chaque année lui permet de s’assurer que l’intention du législateur a été respectée et garantit un contrôle de conformité entre l’esprit des lois et les mesures réglementaires prises pour leur application.
Cet exercice présente aussi l’intérêt de vérifier si la cadence du Gouvernement est aussi infernale que celle qu’il impose au Parlement pour faire voter les textes inscrits à l’ordre du jour prioritaire qu’il établit. Par comparaison avec l’année dernière, quelques progrès ont été réalisés, mais ceux-ci s’expliquent avant tout par l’achèvement de la XVe législature et l’effet d’accélération propre à la fin du quinquennat.
Ce bilan porte sur les lois promulguées au cours des dix dernières années jusqu’au 30 septembre 2021. Sont comptabilisées les mesures d’application prises jusqu’au 31 mars 2022.
À titre liminaire, je souhaite attirer l’attention de la commission sur quelques constats généraux.
Une seule loi examinée au fond par notre commission est entrée en vigueur au cours de la session parlementaire 2020-2021, contre deux durant la session précédente : il s’agit de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que nous appelons plus volontiers loi « Climat et résilience ». Pour ce texte, une très faible partie des mesures attendues ont été publiées au 31 mars 2022. La loi Climat et résilience n’est en effet applicable qu’à 12 % si l’on tient compte des mesures prévues par les articles en vigueur. Ce défaut d’application interroge, car durant l’examen de ce texte, le Gouvernement n’a cessé de marteler l’urgence et la nécessité de légiférer sans tarder, afin de relever les défis de la résilience et de l’adaptation au changement climatique. Il est regrettable que l’urgence législative ne se soit pas doublée d’une urgence réglementaire, même si l’entrée en vigueur différée ou la technicité de certaines mesures contribuent en partie à expliquer ce retard.
S’agissant des textes plus anciens, parmi les vingt-cinq lois promulguées entre le 1er octobre 2011 et le 30 septembre 2021 relevant des domaines de compétence de la commission et nécessitant des mesures d’application, onze devaient encore faire l’objet d’une ou plusieurs mesures d’application au 1er avril 2022. Plus de cinquante mesures d’application de ces lois ont été prises entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022, ce qui a fait sensiblement progresser leurs taux d’application. C’est le cas en particulier pour la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dont le taux d’application est passé de 58 % l’année dernière à 89 % cette année. Quant à la loi n° 2020-105 du 11 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, son taux d’application est passé de 40 % à 78 %. Je mentionnerai également la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, dont l’examen au Sénat avait été renvoyé à une commission spéciale que je présidais, et qui est désormais applicable à environ 70 %.
Certains textes plus anciens attendent encore des mesures d’application, comme la loi relative à Voies navigables de France, qui date de 2012, ou encore la loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne, dite « Ddadue » de 2013, dont deux décrets d’application n’ont toujours pas été publiés à ce jour. Les textes les plus récents ne sont pas non plus épargnés, notamment certains textes emblématiques pour notre commission. Ainsi, seules onze des quinze mesures d’applications attendues de la loi créant l’Office français pour la biodiversité de 2019 ont été publiées : nous ne pouvons que regretter l’absence d’évolution du taux d’application de ce texte. Je citerai également la loi relative à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de 2019, pour laquelle nous attendons toujours la publication de deux mesures d’application.
Parallèlement à ces retards que l’exécutif aura du mal à justifier, on ne peut que déplorer que le recours aux ordonnances s’inscrive dans une tendance désormais structurelle, celle d’un accroissement de l’usage de la législation déléguée, notamment depuis 2017. Notre assemblée attache au suivi des ordonnances une importance toute particulière, puisqu’elle a modifié son règlement en juin 2021 pour faire explicitement figurer cette exigence parmi les missions des commissions permanentes et qu’elle a renforcé l’information du Sénat sur les intentions du Gouvernement en matière de publication et de ratification de ces dernières. Une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 mai 2020, connue sous le nom de « Force 5 », a clarifié la nature juridique des mesures prises sur le fondement d’une ordonnance qui, à l’expiration du délai d’habilitation voté par le Parlement, « doivent être regardées comme des dispositions législatives ». Cette évolution jurisprudentielle ne doit pas pour autant conduire le législateur à ne pas assumer ses responsabilités. Il est en effet crucial que le Parlement ne laisse pas s’appliquer indéfiniment des ordonnances emblématiques dans des domaines essentiels sans les examiner. Il est également primordial de veiller à la ratification expresse des ordonnances. Ainsi, il nous appartient de vérifier que le droit qui s’applique correspond effectivement aux intentions du législateur. Tel a d’ailleurs été tout le sens de la démarche engagée par notre commission, par la voix de son rapporteur Jean-Claude Anglars, dans le cadre de l’examen en novembre 2021 et en février dernier du projet de loi de ratification des ordonnances relatives à la compétence de la Collectivité européenne d’Alsace en matière de transports, qui portait notamment sur l’instauration d’une taxe sur le transport routier de marchandises. Nous pouvons nous féliciter que le Parlement se soit donné les moyens de débattre réellement du contenu de ces ordonnances, et notamment du périmètre d’application de cette nouvelle taxe. Rappelons aussi que c’est grâce à la mobilisation et à l’implication de notre Haute Assemblée que ce texte, très attendu, a pu être promulgué et le droit en vigueur substantiellement amélioré.
Le nombre d’ordonnances publiées ces derniers mois impose donc une vigilance constante et une veille attentive de la part de notre commission. À cet égard, il semble que le Gouvernement ne parvienne pas à publier les ordonnances pour lesquelles il a lui-même demandé une habilitation. L’exemple de la loi d’orientation des mobilités, dite LOM, est particulièrement éclairant. Ainsi, deux des habilitations prévues par le texte n’ont pas abouti, les délais de publication des ordonnances ayant expiré. C’est le signe d’un recours excessif, ou à tout le moins non maîtrisé, à l’article 38 de la Constitution, régulièrement dénoncé – à juste titre – par le Sénat.
S’agissant du suivi des ordonnances, un dernier point d’attention mérite d’être signalé : la proposition de loi visant à permettre l’implantation de panneaux photovoltaïques en zone littorale, déposée par Didier Mandelli et dont Jean-Claude Anglars était le rapporteur, a inspiré l’ajout d’une disposition dans un projet d’ordonnance qui était soumis à consultation publique jusqu’à hier. Si l’on peut se féliciter que le Gouvernement reprenne à son compte un dispositif introduit sur notre initiative, je déplore qu’il n’ait pas déployé les efforts nécessaires pour faire aboutir la proposition de loi avant la suspension des travaux parlementaires de février. Nous serons donc vigilants lors de la publication de l’ordonnance et ferons en sorte de faire appliquer la volonté du législateur. Le cas échéant, nous saurons évidemment proposer les mesures nécessaires pour ce faire.
Venons-en au deuxième temps de notre analyse. Comme le prévoit désormais l’article 19 bis B du Règlement du Sénat, chaque loi promulguée fait l’objet d’un suivi par le rapporteur désigné pour son examen au fond. Je cède donc la parole à nos rapporteurs, d’abord à Philippe Tabarot, Marta de Cidrac et Didier Mandelli en remplacement de Pascal Martin, rapporteurs de la loi Climat et résilience, puis de nouveau à Marta de Cidrac en tant que rapporteure de la loi AGEC, ainsi qu’à Didier Mandelli, rapporteur de la LOM et à Louis-Jean de Nicolaÿ pour ce qui concerne la loi portant création de l’ANCT.
M. Philippe Tabarot, rapporteur de la loi Climat et résilience. – Je me permets, en accord avec Didier Mandelli, de débuter mon propos par l’application de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. Le taux d’application de cette loi est de 100 %, dans la mesure où toutes les mesures réglementaires d’application attendues ont été publiées. Je signale qu’un rapport fait toutefois défaut : il s’agit de celui sur les petites lignes ferroviaires, qui devait être remis au Parlement en juin 2019, puisque la mission confiée au préfet François Philizot sur le sujet devait initialement simplement le nourrir. L’ouverture à la concurrence est aujourd’hui une réalité, avec notamment le lancement d’une ligne Paris-Lyon par la société Trenitalia. Pour autant, et au-delà de l’excellent taux d’application de cette loi, cette ouverture fait face encore, ici et là, à plusieurs freins concrets, notamment en matière d’accès aux informations. En outre, je me permets de revenir sur la question du contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, qui nous a été transmis il y a quelques semaines et qui est loin de faire l’unanimité tant il n’est pas à la hauteur du défi que représente le développement du transport ferroviaire.
J’en viens à présent au bilan d’application de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. Ce texte comporte 305 articles au total, dont 174 ont été examinés au fond par notre commission et 131 par la commission des affaires économiques, en vertu de la délégation au fond que nous lui avons consentie. Son taux d’application est globalement faible, puisqu’il s’établit à environ 12 %. Cela s’explique, d’une part, par l’entrée en vigueur différée de plusieurs articles et, d’autre part, par la technicité de certaines mesures, dont la rédaction a pris du retard. Le contexte électoral a également pu jouer.
Comme le fera Marta de Cidrac dans un instant, j’évoquerai également plusieurs articles dont notre collègue corapporteur Pascal Martin était plus particulièrement chargé. Je rappelle que près de 40 % des dispositions figurant dans la loi promulguée le sont dans la rédaction proposée par le Sénat, ce qui est un très bon bilan par rapport à d’autres lois promulguées durant ce quinquennat ; en outre, le taux de reprise en commission mixte paritaire des amendements adoptés en séance publique par le Sénat est de 65 %, ce qui est également un très bon résultat, témoignant de la qualité du travail de notre assemblée tout au long du parcours parlementaire de cette loi.
Sur ses 305 articles, quatorze ont été jugés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 2021 et deux ont fait l’objet d’une censure partielle. Pour être tout à fait précis, parmi ces seize articles censurés, six avaient été examinés au fond par notre commission, dont quatre introduits dans le texte lors de son examen au Sénat.
J’en viens maintenant au cœur des dispositions qui nous intéressent. S’agissant du titre « Se déplacer », qui comporte quarante-cinq articles, vingt mesures réglementaires d’application sont prévues. Quatre d’entre elles ont été prises à la date du 31 mars 2022. Deux autres mesures d’application ont en outre été publiées depuis cette date. Il manque donc 80 % des mesures prévues pour les articles d’application immédiate. Par ailleurs, une ou plusieurs ordonnances pourraient être prises sur le fondement de l’article 137 relatif à l’instauration, dans les régions volontaires subissant un report de trafic, d’une taxe sur le transport routier de marchandises. Enfin, sur les trois rapports qui devaient être transmis au Parlement au 31 mars, un seul nous a été communiqué. Compte tenu de ce faible taux d’application, je n’entrerai pas dans le détail de tous les articles dont j’étais le rapporteur et n’évoquerai que deux sujets : les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) et le secteur aérien.
Deux mesures ont été publiées après le 31 mars 2022, et ne sont donc pas comptabilisées dans nos statistiques d’application pour la période 2021-2022. Il me semble fondamental, pour autant, d’évoquer avec vous le décret relatif à l’instauration d’une expérimentation de prêt à taux zéro pour les personnes physiques et morales domiciliées dans ou à proximité d’une ZFE-m. Je me réjouis de la publication de ce décret, qui vise à mettre en œuvre ce prêt à compter du 1er janvier 2023, pour une durée de deux ans. Il s’agissait d’un dispositif que nous avions introduit en commission, et pour lequel nous nous sommes battus en commission mixte paritaire, car nous considérions que l’extension des ZFE-m risquait d’aggraver la fracture sociale existante. Il est indispensable d’accompagner nos concitoyens, dans la mesure où l’évolution proposée conduira à exclure de nos agglomérations les véhicules les plus polluants. Pour rappel, le parc de voitures à l’échelon national était composé au 1er janvier 2020 de 43 % de véhicules classés Crit’Air 3, 4 et 5 qui, demain, seront interdits de circulation dans certaines agglomérations. Les dispositifs qui existaient jusqu’à présent se sont révélés insuffisants pour permettre aux ménages les plus modestes, mais aussi aux classes moyennes, d’acheter des véhicules propres. Il était donc important que ce décret soit publié rapidement, afin de permettre aux ménages, ainsi qu’à ceux qui travaillent dans des ZFE-m, de se préparer aux évolutions à venir. Pour autant, nous sommes attentifs aux modalités définies par le décret et notamment aux seuils d’éligibilité retenus pour bénéficier du prêt, lesquels sont susceptibles de limiter la portée globale de ce dispositif.
Outre ce décret très attendu, une autre mesure réglementaire doit être prise pour clarifier le cadre juridique des ZFE-m, notamment pour définir les conditions d’application de l’obligation de création d’une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, ainsi que les modalités de dérogation à cette obligation pour des motifs légitimes ou en cas de mise en place d’actions alternatives. Il est indispensable de préciser au plus vite ces éléments, faute de quoi on risque de ne pas atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Je déplore à ce titre le retard constaté dans le déploiement de la lecture automatisée des plaques d’immatriculation. L’efficacité des ZFE-m dépend en effet de l’existence d’un contrôle adapté.
S’agissant des dispositions relatives au transport aérien que nous avions adoptées dans le cadre de la loi Climat et résilience, d’un point de vue strictement juridique, l’application de ce texte a pris un certain retard, a priori essentiellement parce que celui-ci introduit, d’une part, des innovations dont le paramétrage réglementaire est particulièrement complexe et, d’autre part, des interdictions qui nécessitent une validation au niveau européen. Un décret très important a été pris le 28 avril dernier, qui crée une nouvelle obligation de compenser les émissions de CO2 émises lors des vols à l’intérieur de l’Hexagone. Il prévoit des projets de stockage du carbone agricoles ou forestiers situés, autant que faire se peut, sur le territoire européen. Je précise que ce dispositif s’ajoute aux obligations européennes existantes, et que ce décret a le mérite de mettre en œuvre une mesure prise sur l’initiative du Sénat, lequel, sur ma proposition, avait défini les critères d’efficacité des projets de stockage du CO2. Plusieurs autres mesures réglementaires sont encore en attente, à l’instar du décret visant à limiter le développement des capacités aéroportuaires, qui devra notamment préciser les modalités de consultation des collectivités territoriales dont les territoires sont concernés par l’activité aéroportuaire – il s’agit là encore d’un apport du Sénat. En revanche, le décret sur l’interdiction des vols en cas d’alternative ferroviaire de moins de deux heures trente ne verra sans doute pas le jour avant plusieurs mois, alors que les lignes aériennes en cause ont été presque toutes fermées, sauf pour les vols majoritairement empruntés par des passagers en correspondance. En effet, il est nécessaire que les institutions et juridictions de l’Union européenne puissent vérifier que l’interdiction prévue à l’article 145 de la loi Climat et résilience est conforme à la possibilité de dérogation prévue par le droit européen, dont le principe fondateur demeure la liberté d’exploitation des liaisons aériennes.
J’en viens maintenant aux articles qui étaient plus particulièrement suivis par notre collègue Pascal Martin, absent aujourd’hui, et qui me permettent de faire le lien avec la mission d’information que nous conduisons avec Pascal Martin et Martine Filleul sur la prévention des risques liés aux nitrates d’ammonium dans les ports fluviaux et les installations de stockage de ces engrais, qui relèvent de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
L’article 288 de la loi Climat et résilience prévoyait la mise en place d’un Bureau d’enquête accident compétent pour les risques industriels (BEA-RI). Les dispositions de cet article avaient été largement réécrites en séance publique au Sénat, sur l’initiative de notre collègue, en lien avec les services de l’État. Je rappelle que la création de ce BEA-RI avait été annoncée par la ministre Élisabeth Borne à la suite de l’accident des usines Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen en septembre 2019, et que le Gouvernement avait reçu le soutien de la commission d’enquête sénatoriale à ce sujet. Outre l’arrêté portant création de ce bureau d’enquête, qui prendra la forme d’un service à compétence nationale (SCN), pris par le Gouvernement à la fin de l’année 2020, une instruction a été publiée en janvier 2021, puis un décret d’application de l’article 288 de la loi Climat et résilience le 25 mars 2022. Ce décret complète la partie réglementaire du code de l’environnement pour préciser les modalités de réalisation des enquêtes techniques par les agents du BEA-RI et l’articulation de ces enquêtes administratives avec les éventuelles enquêtes judiciaires qui pourraient être diligentées pour les mêmes installations. Le BEA-RI dispose désormais de l’ensemble du cadre juridique nécessaire à l’exercice de ses missions, ce qui constitue un point positif.
L’article 268 de la loi Climat et résilience révèle un point moins positif, qui concerne la réduction des émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac du secteur agricole. Dans le texte issu de l’Assemblée nationale ne figuraient qu’une demande de rapport et une disposition prévoyant la création d’une taxe sur les engrais azotés, fortement utilisés par nos agriculteurs, si les objectifs de réduction des émissions, définis par décret, n’étaient pas respectés durant deux années consécutives. Sur l’initiative de Pascal Martin, et avec le soutien de nombreux collègues, dont la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques Anne-Catherine Loisier, nous avions largement réécrit ces dispositions pour tenir compte du fait que l’élasticité-prix serait quasiment nulle si une telle taxe était instituée, c’est-à-dire que l’instauration d’un signal-prix sur ces engrais n’aurait pas ou très peu d’effet sur la consommation réelle d’engrais par nos agriculteurs, et donc pas ou peu d’effet sur les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques que ces engrais engendrent. Cette taxe n’aurait fait qu’accroître les charges et réduire les revenus de nos agriculteurs, ce qui aurait compromis par la même occasion leur capacité à investir dans les équipements et techniques nécessaires à la transition agroenvironnementale. Le compromis adopté par la commission mixte paritaire a permis de conserver les principaux apports du Sénat, à savoir la mise en place d’un plan national d’actions visant à accompagner les agriculteurs dans une démarche de réduction des émissions liées à l’utilisation de ces engrais et la remise au Parlement de deux rapports, l’un présentant le suivi de la mise en œuvre du plan « Éco’Azot », l’autre visant à proposer des scenarii alternatifs en cas d’instauration d’une taxe, afin de renforcer l’information des parlementaires et d’envisager l’ensemble des impacts économiques, environnementaux et sociaux de ladite taxe. Malheureusement, aucun texte d’application n’a été pris à ce jour. Il semble donc que la volonté du Gouvernement d’avancer sur ce sujet ne soit plus au rendez-vous. La guerre en Ukraine, qui renchérit l’exploitation agricole, en particulier la production d’engrais azotés, explique en partie ce retard. Il est toutefois regrettable, précisément dans ce contexte de tensions sur le marché agricole, que le Gouvernement n’ait pas jugé utile de s’emparer de l’outil que lui proposait le Sénat, à savoir ce plan « Éco’Azot » qui permettrait d’accompagner nos agriculteurs et de les soutenir davantage dans le cadre de la transition agroenvironnementale, en améliorant la résilience des exploitations. Je rappelle qu’une grande partie des engrais azotés sont produits à l’étranger et nécessitent d’utiliser du gaz pour être conçus : ce plan vise au contraire à conforter notre souveraineté alimentaire et semble particulièrement à propos.
À ce stade, le Gouvernement n’a pas jugé bon non plus de prendre le décret visant à décliner annuellement la trajectoire de réduction de ces émissions, pour atteindre – 13 % en 2030 par rapport à 2005 pour l’ammoniac et – 15 % en 2030 par rapport à 2015 s’agissant du protoxyde d’azote. C’est regrettable, car nos agriculteurs ont besoin de visibilité.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure de la loi Climat et résilience. – La loi Climat et résilience contribue à faire entre la moitié et les deux tiers seulement du chemin restant à parcourir pour passer du niveau d’émissions de gaz à effet de serre constaté en 2019 à l’objectif fixé pour 2030 d’une baisse de 40 % par rapport aux émissions de 1990, et même moins du tiers de ce chemin, si l’on tient compte de la nouvelle cible définie en juin 2021 dans le cadre de la nouvelle loi européenne sur le climat : diminution de 55 % des émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990. Nous aurons donc à examiner dans les prochains mois et les prochaines années de nouveaux textes visant à mettre en cohérence notre législation avec cette ambition climatique rehaussée.
Sur le volet « Consommer » de ce texte, je me réjouis que toutes les expérimentations relatives à la généralisation de l’affichage environnemental, prévues à l’article 2 aient été lancées, conformément au calendrier fixé à l’initiative du Sénat. Les travaux avancent bien, puisque le Gouvernement a transmis au Parlement un rapport d’évaluation sur l’expérimentation relative aux produits alimentaires en janvier 2022. Dix-huit méthodes ont été testées, dont les deux principales, l’Éco-score et le Planet-score, sont en phase avec celles qui sont actuellement élaborées au sein de l’Union européenne et intègrent même mieux que les autres les différents impacts environnementaux des biens et services. L’expérimentation relative au secteur du textile d’habillement prendra fin en septembre 2022 ; onze méthodologies sont actuellement à l’étude. Pour les trois autres secteurs identifiés comme prioritaires pour le déploiement de l’affichage environnemental – l’ameublement, l’hôtellerie et les produits électroniques –, quelques réunions ont eu lieu et certains travaux ont déjà été rédigés, mais le rythme est moins soutenu, en particulier pour le dernier secteur. Enfin, dans deux autres secteurs non identifiés comme prioritaires dans la loi – les chaussures et la cosmétique –, les choses avancent bien.
Les trois décrets d’application prévus pour l’application de l’article 2, devant rendre obligatoire l’affichage environnemental, procéder à la mise à disposition des données utilisées dans l’établissement de l’affichage environnemental et sanctionner les acteurs qui n’utiliseraient pas un affichage conforme aux prescriptions législatives, n’ont naturellement pas été publiés. Toutefois, le Commissariat général au développement durable (CGDD), qui pilote ce dossier, estime que cette mesure pourra entrer en vigueur en 2023 pour les produits alimentaires et le textile d’habillement, tandis que les deux autres décrets prévus par la loi pourraient être publiés dans le même temps. Une fois cette première étape passée, il sera plus facile pour les autres secteurs d’avancer en prenant appui sur des méthodologies éprouvées. La méthodologie européenne, qui se fonde sur l’analyse du cycle de vie (ACV) des produits, semble performante, mais elle présente un inconvénient majeur : elle est trop « carbocentrée » et ne prend pas suffisamment en compte les atteintes à la biodiversité. C’est un défaut qu’il faut corriger d’urgence, car, à ce jour, la méthode européenne dite de l’empreinte environnementale des produits, ou Product Environmental Footprint (PEF), encourage un mode de production intensif. La rédaction que nous avons retenue pour définir l’affichage environnemental a permis d’éviter cet écueil pour ce qui concerne notre pays. Nos objectifs s’agissant de la loi Climat et résilience semblent donc en grande partie atteints aujourd’hui ; nous serons donc en mesure de prendre toute notre part dans les débats européens et de faire valoir notre conception de l’affichage environnemental.
S’agissant des mesures relatives à la régulation de la publicité sur les produits ayant une incidence excessive sur l’environnement, les travaux avancent plus lentement. Le décret qui doit préciser la liste des énergies fossiles concernées par une interdiction de publicité est prêt depuis la fin du mois de mars 2022, mais n’a pas encore été transmis au Conseil d’État par le Secrétariat général du Gouvernement. Il faudrait pourtant qu’il soit pris au plus tard au milieu de l’été, car cette interdiction doit entrer en vigueur dès le mois d’août prochain. En revanche, le décret fixant les modalités de déclaration des entreprises qui sont soumises à l’obligation d’afficher une étiquette européenne, ou qui seront prochainement soumises à l’affichage environnemental obligatoire, est paru. Les entreprises concernées, dont le montant des investissements publicitaires est supérieur ou égal à 100 000 euros par an, devront se déclarer chaque année entre le 1er janvier et le 31 mai sur une plateforme dédiée du ministère de la transition écologique.
Au-delà, il n’y a pas eu d’évolution significative sur le volet « Publicité » de la loi Climat et résilience. Les autorités d’autorégulation actives dans le secteur de la publicité n’ont pas encore remis au Parlement le bilan de leurs actions visant à réduire les publicités sur les produits particulièrement polluants. Par ailleurs, l’interdiction de la publicité sur les véhicules polluants entrera en vigueur début 2028 et le décret n’a pas encore été publié. J’en profite pour vous informer qu’en application de l’article 18 de la loi de 1986 sur la liberté de communication, que nous avons modifiée via l’article 14 de la loi Climat et résilience, il est prévu que le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, rebaptisé Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), présente chaque année aux commissions chargées des affaires culturelles et du développement durable de chaque assemblée parlementaire un bilan des codes de bonne conduite qui doivent être élaborés par les professionnels, traduisant leurs engagements pour réduire le nombre de publicités sur les produits particulièrement polluants. Il serait intéressant d’organiser prochainement cette audition, en lien avec nos collègues de la commission de la culture et de l’éducation.
Sur le volet relatif à l’économie circulaire, très peu de mesures ont été prises et les principales évolutions que je souhaitais porter à votre connaissance concernent la loi AGEC. Nous aurons l’occasion de travailler spécifiquement sur la loi Climat et résilience dans les prochains mois avec les membres du groupe d’études « Économie circulaire », que j’ai l’honneur de présider : nous aurons vraisemblablement une vision plus précise de cette question dans le cadre du prochain bilan annuel de l’application des lois.
Concernant le volet « Produire et travailler », je m’arrêterai sur deux des sujets traités par notre collègue Pascal Martin : la commande publique et le code minier. S’agissant du premier, qui fait l’objet de l’article 35, un décret très attendu a été publié la semaine dernière. Dès 2026, les acheteurs publics devront retenir un critère environnemental pour attribuer leurs offres. Le décret leur offre également la possibilité d’écarter les entreprises qui n’auront pas satisfait à leur obligation de réaliser un plan de vigilance, comme l’avait souhaité notre commission. Nous avions également invité le Gouvernement à abaisser le seuil à partir duquel les collectivités territoriales sont tenues de réaliser un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, un Spaser : c’est chose faite avec ce décret, qui réduit ce seuil de 100 à 50 millions d’euros d’achats publics annuels.
S’agissant du code minier, trois ordonnances ont été publiées en avril 2022. Elles contribuent à faire aboutir la réforme du régime d’attribution des titres miniers, en vue d’une meilleure protection de l’environnement, de la santé, du droit de la concurrence et d’une plus grande participation du public. Une quatrième ordonnance adapte les dispositions concernées en outre-mer. Ces mesures permettent d’intégrer, à compter du 1er janvier 2023, les travaux de recherche et d’exploitation minière dans le champ de l’autorisation environnementale. Elles prévoient également une nouvelle définition des dommages miniers, qui comportent désormais une dimension environnementale et sanitaire pour le bien des populations. La responsabilité de l’explorateur ou de l’exploitant en cas de dommages miniers s’en trouve également renforcée. En revanche, les mesures réglementaires qui devaient préciser la nature des garanties financières exigées auprès de l’explorateur ou de l’exploitant d’une mine, afin de préciser l’exercice du pouvoir de police des mines par l’État et de sécuriser le régime des servitudes d’utilité publique appliquées dans le cadre de l’exploration ou de l’exploitation d’une mine, n’ont pas encore été publiées. Ces trois sujets seront traités dans un seul et même décret, qui a fait l’objet d’une consultation publique entre février et mars 2022. Sa publication devrait donc intervenir prochainement.
Je terminerai en abordant la question de la stratégie nationale des aires protégées, ainsi que celle de la lutte contre la déforestation importée. La stratégie nationale des aires protégées vise à couvrir 30 % du territoire national par un réseau d’aires protégées et à placer 10 % de ce même territoire sous protection forte. Le législateur a confié le soin au Gouvernement de définir ce qu’il convenait d’entendre par protection forte à l’article 227. En effet, les délais qui ont été imposés au Parlement pour examiner, en procédure accélérée, un texte à la volumétrie inédite n’ont pas permis à notre rapporteur Pascal Martin de proposer une définition qui puisse faire consensus et être juridiquement robuste. Plutôt qu’introduire, dans un texte législatif, une définition imparfaite et source d’insécurité juridique, le choix a été fait de renvoyer cette définition à un décret. Ce procédé présentait l’avantage, aux yeux d’un législateur soucieux de la qualité de la norme, de donner au pouvoir réglementaire le temps de procéder aux consultations nécessaires de l’ensemble des parties prenantes. Ce décret est finalement paru le 12 avril dernier, après une consultation du public et de quatre instances nationales. Il définit une zone de protection forte comme « une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées ». La manière dont les consultations ont été menées est néanmoins largement perfectible. Les 4 000 contributions recueillies au cours de la consultation du public étaient aux trois quarts défavorables à la méthode d’élaboration et au contenu du décret en l’état. Plusieurs associations d’élus locaux ont, dans un communiqué de presse conjoint, « déploré un passage en force du Gouvernement » et le fait que « le Gouvernement avait laissé moins de quarante-huit heures aux élus locaux qui siègent au Conseil national d’évaluation des normes pour émettre un avis » sur le texte. Je regrette profondément que le Gouvernement n’ait pas pris le temps de mieux associer les collectivités territoriales et les parties prenantes ou de revoir la rédaction du décret concerné, ce qui aurait permis de recueillir un assentiment plus large, préalable nécessaire pour atteindre les objectifs ambitieux de la stratégie nationale pour les aires protégées.
Nous nous sommes beaucoup impliqués, lors de l’examen du texte au Sénat, sur les mesures relatives à la lutte contre la déforestation importée. À cet égard, un premier décret est paru pour préciser et décliner l’objectif inscrit à l’article 272 de la loi Climat et résilience, lequel consiste à mettre fin à l’achat par l’État de biens ayant contribué directement à la déforestation ou à la dégradation de forêts et d’écosystèmes naturels en dehors du territoire national. Pour le reste, nous attendons encore l’arrêté qui doit lister les catégories d’entreprises soumises à l’obligation de réaliser un plan de vigilance spécifique en matière de déforestation importée. Il s’agit d’une mesure défendue avec force par Pascal Martin, qui était inspirée du rapport d’information Alimentation durable et locale, adopté par notre commission et la commission des affaires économiques en mai dernier.
M. Didier Mandelli, président du groupe d’étude « Mer et littoral ». – Pascal Martin souhaitait que j’évoque en son absence les articles de la loi Climat et résilience relatifs à l’adaptation des territoires face au recul du trait de côte. Seules deux mesures d’application ont été prises à ce jour concernant ce volet de la loi, postérieurement à la date du 31 mars 2022 : l’ordonnance du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte et le décret du 29 avril 2022 établissant la liste des communes exposées au risque d’érosion qui devront adapter leur action en matière d’aménagement et d’urbanisme. S’agissant du décret fixant la liste des communes concernées par la réforme relative au recul du trait de côte, 126 communes ont été recensées à la suite d’une large consultation des conseils municipaux, dont le principe a été inspiré par notre commission. Le délai-limite pour mener à bien cette consultation, initialement fixé à fin janvier par le Gouvernement, était trop réduit pour permettre aux élus locaux de se prononcer en connaissance de cause, d’autant que le projet d’ordonnance sur les nouveaux outils fonciers qui seront mis à leur disposition pour faire face au risque d’érosion n’était pas encore connu. Il a été allongé à la demande de l’Association des maires de France et de l’Association nationale des élus du littoral (Anel) ; d’autre part, le Gouvernement n’a toujours pas honoré ses engagements concernant l’accompagnement financier des collectivités territoriales confrontées au recul du trait de côte. S’il entend mener à bien sa réforme et inciter davantage de communes littorales à y prendre part, il est urgent qu’il apporte des garanties aux élus locaux sur ce point. Pour l’heure, seul le cofinancement par l’État des cartographies locales sur l’évolution du recul du trait de côte a été prévu en loi de finances pour 2022, ce qui est très loin d’être suffisant.
L’ordonnance publiée en avril vient, quant à elle, compléter les outils fonciers mis à la disposition des communes concernées par la réforme pour faciliter les opérations de recomposition territoriale face au risque d’érosion. Ce texte suscite des interrogations sur lesquelles notre commission ne manquera pas de se pencher, s’agissant notamment des décotes qui seront appliquées sur le prix des biens exposés au recul du trait de côte et des possibilités de déroger à la loi Littoral pour faciliter les relocalisations d’activités. Le Gouvernement semble avoir restreint le champ de ces dérogations par rapport à l’habilitation qui figurait à l’article 248 de la loi, puisque pourront uniquement se soustraire à l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante les collectivités ayant conclu un « projet partenarial d’aménagement » avec l’État.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure de la loi AGEC. – La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, doit beaucoup à l’implication et au travail de notre commission, qui a largement complété le texte initial. Gaspillages alimentaire et non-alimentaire, lutte contre le suremballage et les dépôts sauvages, amélioration de l’information du consommateur, création d’un fonds de réemploi et d’un fonds de réparation, réduction de la production des plastiques à usage unique, exemplarité de l’État en matière d’économie circulaire : de nombreux apports du Sénat ont été conservés tout au long de la navette parlementaire et figurent dans le texte définitif. L’implication du Sénat dans l’élaboration d’un texte auquel il a très largement contribué exige par conséquent un suivi particulièrement attentif de son application, afin que l’ambition du législateur soit pleinement et fidèlement retranscrite par le pouvoir réglementaire. C’est d’ailleurs tout le sens du travail que nous menons tout au long de l’année avec le groupe d’études « Économie circulaire », qui nous avait déjà permis de contribuer à certaines évolutions du droit via le véhicule législatif qu’a été la loi Climat et résilience. Parmi les ajustements à la loi AGEC introduits sur notre initiative, citons l’accroissement des moyens mobilisés par Citeo en faveur du réemploi, l’orientation du fonds de réemploi en direction des acteurs de l’économie sociale et solidaire, l’obligation pour les entreprises de contribuer aux frais de stockage des invendus, l’encouragement à la mobilisation des pièces de rechange des véhicules hors d’usage, notamment par la reprise sans frais des véhicules au domicile, ou encore la clarification du régime de sanctions associé aux filières de responsabilité élargie du producteur (REP). L’an passé, le taux d’application de la loi AGEC était de 65 %. Au total, le taux d’application de la loi AGEC s’élevait à 40 %, en tenant compte des mesures d’application de dispositions législatives dont l’entrée en vigueur était différée. Au 31 mars 2022, ces chiffres atteignent respectivement 82 % et 78 %. Ils reflètent une réelle accélération dans la mise en œuvre de la loi, qui compense pour partie les retards pris dans les premiers mois. Plusieurs articles importants ont fait l’objet de mesures d’application. Je citerai la réduction des emballages en plastique à usage unique, le renforcement de la mise à disposition des pièces détachées, l’instauration d’un cadre juridique du reconditionné, l’obligation d’incorporation de matière recyclée dans les bouteilles en plastique, la création ou l’extension de filières de responsabilité élargie du producteur (REP), la réutilisation des eaux usées, l’obligation d’un tri « sept flux » pour les professionnels, l’interdiction progressive du conditionnement plastique pour la vente des fruits et légumes, etc. Aussi, deux ans après sa promulgation, la loi AGEC continue d’entrer dans le quotidien des Français.
Ces motifs de satisfaction ne doivent cependant pas éclipser certains retards particulièrement dommageables. Le renforcement de l’information du consommateur sur les produits générateurs de déchets constituait un des axes importants de la loi. Or le décret d’application a été publié tardivement, en avril 2022, et n’entrera progressivement en vigueur qu’au 1er janvier 2023, soit un an après ce qu’avait prévu le législateur. Le diagnostic portant sur la gestion des produits, équipements, matériaux et déchets issus de la démolition ou de la rénovation significative de bâtiments doit accélérer la transition de la filière vers l’économie circulaire. Or, là encore, les décrets ont été publiés avec retard, sans compter que le dispositif ne peut pas s’appliquer actuellement sans arrêté de mise en œuvre. La mise en place de la REP sur les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment connaîtra également un an de retard, avec une mise en œuvre dont les débuts sont repoussés en pratique à 2023. Il s’agissait pourtant de l’une des réformes les plus importantes de la loi AGEC, devant offrir une filière de valorisation à un gisement de déchets particulièrement volumineux et garantir une meilleure traçabilité pour résorber les dépôts sauvages. Nous regrettons, par ailleurs, la baisse du montant alloué au fonds de réparation et les retards d’application du fonds de réemploi, créé sur l’initiative de la commission.
J’attire en outre votre attention sur plusieurs mesures d’application qui appellent selon nous une grande vigilance vis-à-vis du Gouvernement. Ainsi, l’arrêté sur les emballages ménagers pourrait entraîner un profond changement de la filière de la collecte, du tri et du recyclage des emballages : il nécessite donc une attention toute particulière quant à sa mise en œuvre, notamment pour ce qui concerne le soutien financier alloué aux collectivités territoriales pour améliorer la performance de leurs centres de tri. C’est un point sur lequel nous avons déjà interpellé la ministre et avons déjà obtenu certaines garanties. À l’article 76, les textes d’application permettant le financement du suivi des filières REP pourraient révéler une certaine fragilité juridique : si cette dernière se confirmait, la loi devra peut-être faire l’objet d’ajustements pour que nous nous assurions de l’adéquation entre les moyens financiers attribués à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) et l’importance stratégique des missions qui lui sont désormais confiées.
Enfin, l’abrogation récente de l’article 91 de la loi par le Conseil constitutionnel saisi d’une question, prioritaire de constitutionnalité, qui visait à accorder une priorité pour l’accès aux centres de stockage aux déchets issus d’activités de tri, de recyclage ou de valorisation performantes, implique un nouvel ajustement législatif, tant le dispositif voulu par le législateur semblait indispensable au regard de la raréfaction des capacités de stockage et d’une nécessaire gestion plus vertueuse des déchets.
M. Didier Mandelli, rapporteur de la LOM. – Il me revient désormais de présenter le bilan de l’application de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), dont le taux d’application, qui s’élevait à 58 % lors du dernier bilan, s’est sensiblement accru depuis l’année dernière, atteignant 89 %. Sur les cent trente mesures d’application prévues, seules quatorze font encore défaut. En l’espace d’un an, plusieurs textes d’application ont été publiés, assez tardivement pour certains, retardant de fait l’application de dispositions législatives. C’est le cas des ordonnances visant à créer des établissements publics locaux ayant pour mission le financement d’un ensemble cohérent d’infrastructures de transport terrestre, des ordonnances relatives à la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur, au Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest ou encore à la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan, lesquelles ont permis de clarifier les modalités et de faciliter la réalisation de ces grands projets. L’ordonnance du 19 mai 2021, prévue à l’article 130 de la LOM, a institué l’établissement public portuaire de l’État, Haropa ports, au 1er juin 2021. Je regrette que certaines propositions formulées par le Sénat sur la gouvernance des grands ports fluviomaritimes, notamment celles qui figuraient dans la proposition de loi de Michel Vaspart de 2020, n’aient pas été prises en compte dans cette ordonnance. Reste que la publication de ce texte constitue l’aboutissement d’un long processus de préfiguration concernant la fusion des ports du Havre, de Rouen et de Paris. Notre commission suivra attentivement l’évolution de ce grand ensemble portuaire, qui a vocation à constituer un atout pour notre pays en vue de rivaliser avec les grands ports d’estuaire du nord de l’Europe et de renforcer le report modal sur l’axe Seine, dont les capacités demeurent largement sous-exploitées en matière de fret. Un déplacement du groupe d’études « Mer et littoral » pourrait d’ailleurs être envisagé au port du Havre cet été.
En outre, le décret prévu pour l’application de l’article 68 de la LOM a permis de préciser les conditions d’élaboration, de validation et de suivi des schémas directeurs de développement des infrastructures de recharges ouvertes au public pour les véhicules électriques et les véhicules hybrides rechargeables. Il s’agit d’une étape nécessaire compte tenu des enjeux qui touchent à l’essor de ces véhicules et à la décarbonation des transports terrestres.
Enfin, des mesures importantes ont été adoptées pour mieux encadrer les activités des plateformes d’intermédiation numérique. À titre d’exemple, une première ordonnance publiée en avril 2021 prévoit l’obligation pour les plateformes de vérifier que les acteurs proposant un service de transport agissent dans le respect de la réglementation en la matière, nouvelle règle assortie d’un dispositif de contrôle et de sanction. Une autre ordonnance, également publiée en avril 2021, détermine les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes pour leur activité. Le projet de loi de ratification de cette ordonnance a d’ailleurs été examiné par l’Assemblée nationale et le Sénat, ce qui a permis d’aboutir à l’adoption définitive de ce texte.
Malgré une nette accélération dans la publication des mesures d’application de la LOM, plusieurs textes se font toujours attendre près de deux ans et demi après son adoption. Je pense en particulier aux mesures réglementaires attendues sur le thème du cotransportage ou encore aux arrêtés visant à préciser les modalités d’évaluation des nuisances sonores et vibratoires des transports ferroviaires.
Par ailleurs, et au-delà de l’application stricto sensu de la loi, j’observe que certaines dispositions peinent à se traduire concrètement. L’exemple le plus frappant est celui des zones à faibles émissions mobilité. Alors que la loi Climat et résilience renforce et étend les obligations en la matière, force est de constater que seules sept des onze ZFE-m rendues obligatoires par la LOM ont été mises en place. En outre, le dispositif de contrôle n’est toujours pas opérationnel, ce qui réduit considérablement l’efficacité du dispositif.
J’en viens enfin à la question plus générale des ordonnances et de leur ratification. Comme l’a relevé le président, je regrette également que deux des habilitations n’aient pas été utilisées par le Gouvernement : l’habilitation prévue à l’article 135, laquelle visait à prendre des mesures dans le domaine de la loi, afin de clarifier, de modifier et de compléter les règles applicables aux établissements flottants et celle qui était prévue à l’article 83, permettant au Gouvernement de prendre des mesures relevant du domaine de la loi pour définir les conditions de la prise en charge par l’employeur du forfait mobilité durable. Je me félicite, en revanche, que notre commission ait proposé et ainsi permis de ratifier plusieurs des ordonnances de la LOM dans le cadre de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances, promulgué en octobre dernier. Grâce à cette initiative, le Parlement n’a pas laissé une législation s’appliquer durablement sans qu’il l’examine et l’autorise.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur de la loi portant création de l’ANCT. – S’agissant de la loi du 22 juillet 2019 portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), nous sommes passés d’un taux d’application de 73 % en 2021 à un taux de 82 % en 2022. Cela s’explique par la publication d’un décret du 29 septembre 2021 relatif à la mise en œuvre de la réserve citoyenne pour la cohésion des territoires. Désormais, toute personne intéressée ayant des capacités et des compétences correspondant aux missions d’intérêt général qu’elle sera amenée à réaliser pour le compte de l’Agence pourra s’engager et contribuer à des actions concrètes dans les territoires. La mise en place de l’ANCT est donc quasiment achevée. Outre les décrets d’application nécessaires à son organisation interne, et pour préciser l’application des dispositions du code général des collectivités territoriales concernant ses missions, l’Agence dispose d’une feuille de route pluriannuelle, d’une direction d’administration centrale de tutelle, d’une circulaire détaillant ses modalités d’intervention et, dorénavant, d’un contrat d’objectifs et de performance (COP) pour la période 2021-2023, qui a été conclu en octobre 2021 et qui comporte neuf objectifs prioritaires.
Au-delà de ces aspects juridiques, elle s’installe progressivement dans notre paysage administratif avec des moyens stables : 332 équivalents temps plein travaillés (ETPT), pour un budget de 28 millions d’euros en masse salariale, contre 301 ETPT un an plus tôt, soit une hausse de près de 10 % de ses effectifs. De la même manière, 94 comités locaux de cohésion territoriale, dont le Sénat avait pris l’initiative de la mise en place, sont désormais installés, contre 87 un an plus tôt. Il n’en manque plus que deux.
Enfin, la loi prévoit que la mise en œuvre déconcentrée des programmes nationaux territorialisés de l’Agence s’opère par le biais de contrats de cohésion territoriale, lesquels ont vocation à intégrer progressivement l’ensemble des supports contractuels existants entre l’État et les collectivités territoriales. Ils sont en phase de déploiement. Vous les connaissez sous un autre nom, puisqu’il s’agit en réalité des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). La circulaire du Premier ministre du 20 novembre 2020 a précisé les modalités d’élaboration de ces contrats. L’ANCT et ses partenaires, en particulier l’Ademe et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), sont au cœur du déploiement de ce nouvel instrument contractuel.
Il ne manque donc plus que deux mesures d’application pour que la loi de 2019 soit applicable à 100 %. À l’article 2, une convention doit encore être formalisée entre le ministre chargé de l’aménagement du territoire et le ministre chargé des communications électroniques et du numérique pour définir les mesures et moyens permettant l’exercice, par l’ANCT, des missions anciennement assurées par l’Agence du numérique, service à compétence nationale dissous au 1er janvier 2020. La rédaction de cette convention a pris du retard en raison de changements intervenus au sein de la direction générale des entreprises, de la mise en œuvre du plan de relance et du transfert à l’agence du Fonds national pour une société numérique (FSN). Elle devrait toutefois être finalisée et publiée d’ici à l’été 2022. À l’article 7, ensuite, les conventions pluriannuelles liant l’ANCT et ses cinq opérateurs partenaires, qui fixent les conditions dans lesquelles ceux-ci participent financièrement aux missions de l’agence, n’ont toujours pas été transmises au Parlement par la voie officielle du Secrétariat général du Gouvernement (SGG), comme nous le demandons depuis deux ans, alors même que ces conventions ont été adoptées par le conseil d’administration de l’Agence puis signées en septembre 2020. Je tiens particulièrement à ce que l’ensemble de mes collègues parlementaires, sénateurs comme députés, puissent en prendre connaissance. Sur le fond, un premier bilan de la mise en œuvre de ces conventions, dont la durée est de trois ans, a été réalisé lors du conseil d’administration de l’agence du 29 septembre 2021. La préparation de la prochaine génération de conventions ne débutera pas avant le second semestre de l’année 2022.
La crise sanitaire et économique renforce l’importance des missions de l’Agence. Plus que jamais, l’ANCT doit se mobiliser en soutien des projets portés par nos collectivités. D’ailleurs, le récent rapport de nos collègues Bruno Belin et Serge Babary sur le commerce en milieu rural propose de créer un nouveau programme d’actions territorialisées au sein de l’ANCT, pour soutenir la revitalisation des petites communes. L’ANCT devrait, à mon sens, s’engager dans cette voie en capitalisant sur son expérience en matière de restructuration des fonds commerciaux. Plus largement, la mission d’information de notre commission sur les perspectives de la politique d’aménagement du territoire permettra de rappeler et d’insister sur le rôle de guichet unique que doit jouer l’ANCT.
S’agissant de l’ingénierie, l’agence a mis en place un contrat-cadre, qui lui permet de s’appuyer sur des prestataires extérieurs pour disposer d’éléments de diagnostic et de conseil aux collectivités territoriales. Il me semble toutefois qu’elle gagnerait à développer ces ressources d’ingénierie en interne. La création de cet organisme avait en effet pour objectif de marquer le retour du soutien technique de l’État aux petites collectivités. Cette mission doit encore être approfondie.
M. Jean-François Longeot, président. – Je remercie nos rapporteurs pour la clarté de leurs exposés.
M. Jean-Pierre Corbisez. – Est-il exact que les consultations préalables à la publication du décret d’application de la loi Climat et résilience définissant les aires de protection forte n’ont pas permis l’association et le recueil de l’avis des chambres d’agriculture ?
Mme Marta de Cidrac, rapporteure de la loi Climat et résilience. – En effet, malgré la consultation du public organisée au début de l’année 2022, la rédaction de ce décret ne donne pas entière satisfaction, notamment aux collectivités locales. Celles-ci, comme les associations représentatives des agriculteurs, regrettent notamment que les 4 000 contributions déposées n’aient pas été mieux prises en compte par les services du ministère de la transition écologique.
En concertation avec Pascal Martin, le rapporteur de cette disposition relative aux aires protégées, notre commission pourrait proposer plusieurs modes d’action pour faire évoluer cette situation. Nous pourrions reprendre la main en lançant une mission d’information « flash » ; nous pourrions également envisager d’adresser un courrier au Premier ministre à ce sujet ; dernière possibilité, nous pourrions exprimer notre mécontentement et faire réagir l’exécutif à l’occasion d’une question d’actualité au Gouvernement.
M. Jean-François Longeot, président. – Marta de Cidrac vient de suggérer trois pistes d’action qui me semblent intéressantes et sur lesquelles il nous faudra nous décider rapidement.
M. Joël Bigot. – S’agissant de la loi AGEC, a-t-on identifié les freins à la mise en place de la filière de collecte et de traitement des déchets du bâtiment ?
Mme Marta de Cidrac, rapporteure de la loi AGEC. – La loi AGEC a d’ores et déjà confié aux collectivités locales un certain nombre de leviers d’action pour lutter contre les dépôts sauvages. En revanche, la mise en place d’une filière REP dans le secteur du bâtiment a pris du retard, ce qui a des conséquences très négatives. Ainsi, le décret d’application relatif aux produits, équipements, matériaux et déchets du bâtiment est bel et bien paru, mais les entreprises qui réalisent les diagnostics se heurtent à l’absence de filière REP opérationnelle. De ce fait, celles-ci ne peuvent pas travailler.
Désignation de rapporteurs
M. Jean-François Longeot, président. – Nous allons désigner nos rapporteurs sur la mission de contrôle relative à la lutte contre les mégafeux, conjointe avec la commission des affaires économiques.
La mise en place de cette mission a été arrêtée par le bureau de notre commission le 16 février dernier. Nous y avons acté la nécessité d’associer la commission des affaires économiques, compétente au titre de la forêt.
Cette mission de contrôle a pour objet d’étudier l’adéquation de nos politiques publiques de prévention aux conséquences du réchauffement climatique en matière d’incendies. Nous savons en effet que le risque de feux de forêt est appelé à s’étendre sur l’ensemble du territoire français et à s’intensifier, jusqu’à provoquer des phénomènes nouveaux – les mégafeux, des incendies d’ampleur particulièrement difficiles à maîtriser, comme on a pu le voir récemment en Australie ou aux États-Unis. La lutte contre les mégafeux est essentielle au respect des engagements climatiques de l’Europe, compte tenu de la nécessité d’accroître le potentiel d’absorption du carbone par les puits naturels. Les rapporteurs de notre commission travailleront conjointement avec ceux des affaires économiques, dans un format « flash » : leur objectif sera de nous présenter leurs résultats d’ici à la fin du mois de juillet, après un cycle d’auditions concentré de la fin du mois de mai au début du mois de juillet. Ce travail sera principalement orienté vers la formulation de propositions.
Je vous propose donc de désigner Jean Bacci et Pascal Martin rapporteurs pour notre commission. La commission des affaires économiques se chargera de nommer ses propres rapporteurs.
La commission désigne MM. Jean Bacci et Pascal Martin rapporteurs de la mission de contrôle relative à la lutte contre les mégafeux.
Déplacement de la commission le 27 avril pour suivre l’état d’avancement du chantier du tunnel Lyon-Turin – Communication
M. Jean-François Longeot, président. – Je souhaite enfin vous rendre compte du déplacement que nous avons effectué le 27 avril dernier sur le chantier de la future liaison ferroviaire Lyon-Turin, auquel ont pris part cinq de nos collègues : Étienne Blanc, Gilbert-Luc Devinaz, Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Nadège Havet et moi-même. Comme vous le savez, la liaison Lyon-Turin est l’un des « mégaprojets » européens d’infrastructures de transport, qui s’inscrit dans le cadre plus global du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Cette liaison prend la forme d’un tunnel transfrontalier de 57 kilomètres de long et d’environ 150 kilomètres de lignes nouvelles. Ce programme, dont les balbutiements remontent au début des années 1990, est désormais bien engagé : plus de vingt kilomètres sont déjà creusés, et la LOM de 2019 a précisé dans son rapport annexé que l’État confirmait « son engagement dans la réalisation de la liaison ferroviaire internationale fret et voyageurs Lyon-Turin ». Lors de cette journée, nous avons visité deux sites du chantier, l’un à Saint-Julien-Montdenis, l’autre à Saint-Jean-de-Maurienne, afin d’appréhender très concrètement l’état d’avancement du projet. Une réunion à la préfecture de Savoie a également eu lieu avec l’ensemble des parties prenantes, à commencer par le groupe TELT chargé de la réalisation des travaux de la section transfrontalière du tunnel et la délégation française de la commission intergouvernementale chargée de suivre la conduite du programme. Hubert du Mesnil ayant quitté ses fonctions à la tête du groupe TELT, il a été remplacé par son directeur général, Mario Virano. Un décret publié il y a quelques jours, a désigné son successeur, Daniel Bursaux, vice-président du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD.
Au total, nous avons rencontré près de vingt personnes de tous horizons, y compris un représentant de la direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne, des membres du comité pour la Transalpine et un opérateur de fret ferroviaire. Bien entendu, les élus locaux ont également répondu présent et nous ont fait part de leurs préoccupations.
De nombreux points ont été évoqués : les mesures prises pour prévenir ou compenser les dommages environnementaux causés par le chantier, le financement du projet, auquel l’Union européenne devrait contribuer à hauteur de 50 % sur un coût total de l’ouvrage estimé, pour la seule section transfrontalière, à près de 9 milliards d’euros, la coordination entre l’Italie et la France ou encore les perspectives en termes de report modal pour le fret.
Aujourd’hui, un sujet est au cœur des préoccupations : la construction des voies d’accès nationales au tunnel. SNCF Réseau, maître d’ouvrage sur les voies d’accès, a présenté trois scénarios au Gouvernement : un scénario « mixte » , un scénario intermédiaire, et un scénario dit « grand gabarit » qui permettrait d’atteindre un plus important tonnage de marchandises transportées par an. Cette dernière option a la préférence de nombreux acteurs, à commencer par les élus locaux, car elle favoriserait un report modal plus ambitieux et un trafic plus fluide entre les deux pays. En effet, l’Italie, plus avancée que la France sur le projet, a d’ores et déjà opté pour un scénario ambitieux en termes de capacités de fret. Trancher en faveur d’une option plus modeste pourrait donc créer un phénomène de goulet d’étranglement. En tout état de cause, l’ensemble des parties prenantes au projet est suspendu à la décision du Gouvernement qui se fait attendre depuis plusieurs mois. Si la guerre en Ukraine et l’élection présidentielle ont pu justifier un certain retard, il serait désormais incompréhensible, pour ne pas dire irresponsable, que l’État ne tranche pas cette question d’ici la fin de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Retarder davantage la prise de décision pourrait en effet menacer le respect du calendrier, qui prévoit une mise en service du tunnel dès 2030.
Je souhaite que notre commission continue à suivre ce dossier avec attention. Nous pourrions, une fois que le Gouvernement aura fait connaître son choix pour la construction des voies d’accès françaises au tunnel, entendre le nouveau président de TELT, comme nous avions d’ailleurs entendu M. du Mesnil il y a un peu plus d’un an, en février 2021. Je fais également confiance à Philippe Tabarot, en sa qualité de rapporteur pour avis des crédits relatifs au transport ferroviaire dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, pour suivre le volet financier de ce chantier qui va nécessiter de lourds investissements dans les prochaines années. En 2022, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) a ainsi prévu de consacrer 158 millions d’euros de crédits de paiement au Lyon-Turin, dont 78 millions d’euros issus du plan de relance.
M. Étienne Blanc. – Je regrette que nous n’ayons pu visiter le tunnel proprement dit. Sur internet, chacun peut toutefois se rendre compte de l’avancement du percement de ce tunnel. Aujourd’hui, plus de dix kilomètres de galerie principale ont été réalisés : autant dire que nous ne ferons plus machine arrière ! Les échanges que nous avons eus à la préfecture de Savoie ont fait apparaître un problème majeur : l’absence de coordination entre la France et l’Italie. L’Italie sera en mesure de faire circuler 20 millions de tonnes de marchandises dans le tunnel en 2030, volume que la France ne sera pas en mesure d’accueillir si elle n’a pas suffisamment avancé dans la réalisation de ses voies d’accès. Il faut que chacun mesure l’enjeu.
M. Jacques Fernique. – S’agissant de la table ronde organisée à la préfecture de Savoie, je note l’absence assez étonnante de représentants de SNCF Réseau. On peut observer une différence entre la France et l’Italie dans la manière d’aborder le projet Lyon-Turin : l’Italie avance sereinement, étape par étape, quand la gestion française se caractérise par une certaine tension, palpable lorsque sont évoqués les trois scénarios alternatifs sur les voies d’accès.
M. Jean-François Longeot, président. – Je précise, en réponse à ces observations, que nous n’avons pas pu visiter le tunnel pour des raisons de sécurité liées au fait que se déroulaient de gros travaux ce jour-là et que nous avons bel et bien rencontré et échangé avec des responsables de SNCF Réseau le matin de notre déplacement, à Saint-Jean-de-Maurienne.
Mme Angèle Préville. – Les différences que vous avez observées entre la France et l’Italie me rappellent les enseignements que nous avons tirés de notre déplacement dans la vallée de la Roya, notamment sur la gestion de cette catastrophe, ainsi que les appels du pied du préfet à l’époque pour que nous travaillions à l’élaboration d’une proposition de loi permettant de lutter contre les entraves et les freins administratifs qui nuisaient au déclenchement des travaux.
M. Jean-François Longeot, président. – Le chantier de la simplification administrative est, hélas !, presque plus complexe que celui du Lyon-Turin !
M. Philippe Tabarot. – Il faut évidemment que nous travaillions à l’amélioration de la relation bilatérale entre la France et l’Italie, notamment concernant les infrastructures. Un autre sujet annexe qui a été évoqué concerne SNCF Réseau. Le nouveau contrat de performance et les départs récents de cadres de SNCF Réseau sont sources d’inquiétudes.
M. Étienne Blanc. – Je suggère que nous auditionnions le préfet Xavier Pelletier. Sur ces sujets complexes ; il a, de mon point de vue, des idées assez remarquables.
Communications diverses
M. Jean-François Longeot, président. – Mes chers collègues, lors de la réunion du bureau de notre commission ce matin, nous avons tracé quelques perspectives pour les semaines à venir. Permettez-moi au préalable de mentionner l’ensemble des travaux de notre commission en cours d’achèvement : tout d’abord, la mission d’information sur le développement de la logistique urbaine durable, dont les rapporteures sont nos collègues Martine Filleul et Christine Herzog, rendra ses conclusions le 24 mai prochain ; ensuite, la mission d’information sur la sécurité des ponts sous forme de droit de suite aux travaux de la mission d’information du même nom rendra ses conclusions, mi-juin ; enfin, la mission d’information sur les risques liés aux ammonitrates d’ammonium partagera ses observations fin juin. La commission lancera une mission d’information « flash » sur les mégafeux, conjointe avec la commission des affaires économiques : elle organisera une audition plénière pour engager ses travaux, qui pourrait réunir des représentants de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), des pompiers et des sylviculteurs. Nous envisageons par ailleurs d’entendre des membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces auditions pourraient se dérouler au cours du mois de juin. Le principe d’une mission d’information « flash » portant sur la compensation carbone a également été acté lors de la réunion du bureau. La nomination de deux rapporteurs interviendra prochainement et les travaux pourraient se dérouler fin septembre, début octobre.
Plusieurs déplacements vous seront proposés : l’un en Mayenne le 9 juin pour visiter deux entreprises, dont Lactalis, l’un à Dunkerque, un autre pour visiter une aire protégée, enfin un déplacement à l’étranger, en Amérique latine (Costa Rica et Colombie).
La réunion est close à 17 h 10.