Jeudi 10 février 2022
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
« Le variant Omicron, et après ? » - Audition du Pr. Éric Caumes, infectiologue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris, de Mme Vittoria Colizza, épidémiologiste, directrice de recherche à l'Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique (Inserm @ Médecine Sorbonne université), et du Pr. Bruno Lina, virologue, chef de service à l'Institut des agents infectieux du Centre hospitalier universitaire de Lyon et membre du Conseil scientifique Covid-19
&M. Bernard Jomier, président. - Nous nous réunissons ce matin - plusieurs de nos collègues et l'un des deux rapporteurs, M. Jean-Michel Arnaud, participerons à nos travaux en visioconférence - dans le cadre de la mission commune d'information sur la crise du covid-19. Il nous a semblé utile de faire le point avec plusieurs experts sur les perspectives d'évolution de l'épidémie à moyen et à long terme, afin que nous puissions avoir à l'esprit ses éventuelles implications en France dans les mois à venir.
Notre pays subit encore la vague Omicron. Les services d'hospitalisation sont toujours très chargés du fait de la cinquième vague. Depuis plusieurs semaines, les services de réanimation sont occupés à 70 % par des patients covid. En outre, des déprogrammations continuent à avoir des répercussions sur la chaîne de soins. Cela étant, il semble que le pic de l'épidémie soit en forte décroissance. À quoi faut-il s'attendre pour les mois à venir ? Pouvons-nous désormais espérer entrevoir, si ce n'est la sortie de crise, tout au moins une période d'accalmie ? Ou, au contraire, le risque d'un ralentissement du reflux ou de l'apparition de nouveaux variants est-il encore élevé ? Dans quelle mesure le niveau actuel de couverture vaccinale et l'immunité qui découle du haut niveau de contaminations des dernières semaines nous mettent-ils à l'abri ? Quels enseignements pouvons-nous tirer pour l'avenir des crises sanitaires passées et des modèles actuellement en cours d'élaboration ?
Pour nous éclairer sur ces différents enjeux, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin trois personnalités qui ont des points de vue différents du fait de leurs pratiques professionnelles : le Professeur Éric Caumes, infectiologue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris ; Mme Vittoria Colizza, épidémiologiste, directrice de recherche à l'institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique, qui dépend de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de la Sorbonne-Université ; et le Professeur Bruno Lina - également en visioconférence -, virologue, chef de service à l'Institut des agents infectieux du Centre hospitalier universitaire de Lyon, et membre du Conseil scientifique.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de nous faire partager le fruit de vos réflexions. Je vous cède à chacun la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, avant que les rapporteurs et nos collègues vous posent leurs nombreuses questions. En notre qualité de responsables politiques, nous avons en effet beaucoup d'interrogations sur la suite de cette épidémie et les mesures à prendre pour protéger nos concitoyens.
Je vous précise enfin que notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Pr. Éric Caumes, infectiologue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris. - Merci de la confiance que vous me témoignez en faisant appel à mon expertise. Je me présente en toute modestie, sachant que le professeur Bruno Lina est en France le plus grand expert concernant les virus respiratoires et les coronavirus. Comme je ne vois pas dans une boule de cristal, ma boussole est historique depuis le début de l'épidémie. Et je suis très étonné qu'elle ait ainsi été négligée par les politiques et les scientifiques. En réalité, l'histoire n'intéresse plus personne. C'est malheureusement un fait en médecine depuis dix ou vingt ans. Les médecins que nous formons sont de bons scientifiques, compétents en mathématiques, physique et chimie - certains seront prix Nobel -, mais ils n'ont plus la fibre humaniste, historique, hippocratique. En 1890, s'était déjà produite une pandémie de coronavirus appelée « la grippe russe ». Celle-ci était très certainement due au coronavirus OC43. Nous vivons de façon endémique en toute harmonie avec quatre coronavirus. Ceux-ci sont apparus voilà très longtemps, comme le montre l'horloge moléculaire - je ne parle pas du MERS, cantonné à la péninsule arabique, ou du SRAS, qui a disparu.
Le coronavirus OC43, quant à lui, est arrivé bien plus tard et a été décrit par les médecins comme différent de la grippe. La première vague épidémique est arrivée en décembre 1889 et en janvier 1890, faisant 500 morts par jour à Paris. Plusieurs vagues épidémiques se sont alors succédé, aussi bien l'hiver que l'été. Puis, elles sont devenues de plus en plus espacées et de moins en moins hautes, aboutissant à une immunité collective. Aujourd'hui, le coronavirus OC43 est partout. Il y a encore un an, un adulte de 40 ans l'ayant attrapé s'est retrouvé en réanimation. Mais comme ce virus circule largement dans les écoles, il est généralement moins virulent à l'âge adulte. Et en principe, les infections virales sont moins graves chez l'enfant que chez l'adulte. C'est le cas de la rougeole et d'autres maladies infantiles. Aux États-Unis, certains parents avaient organisé il y a une vingtaine d'années des varicelle parties afin que leurs enfants soient contaminés durant leur enfance.
Autre principe général sur les maladies infectieuses : quand un virus mute, ce qu'il gagne en transmissibilité, il le perd en pathogénicité comme on le voit pour Omicron. La population française est en train de s'immuniser.
En résumé, ce sont l'histoire et les connaissances que j'ai acquises en tant qu'infectiologue qui me guident. Je ne suis pas orienté sur une maladie particulière, telle que le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ou autre. Je revendique à cet égard une vision très large de ma spécialité. Cette pandémie de la fin du XIXe a duré de trois à cinq ans, d'où mes prévisions à moyen et à long terme pour le covid, qui devrait aller en s'atténuant, avec quelques résurgences hivernales comme les quatre autres coronavirus. Je n'adhère pas aux scénarios catastrophes à ce sujet.
M. Bernard Jomier, président. - Merci beaucoup de votre propos introductif. Je vous propose de poursuivre sur les agents infectieux avant de passer à l'épidémiologie.
Pr. Bruno Lina, virologue, chef de service à l'Institut des agents infectieux du Centre hospitalier universitaire de Lyon et membre du Conseil scientifique Covid-19. - Je vous donnerai une analyse et des perspectives sur l'évolution du virus, selon une focale très virologique à la lumière des propos d'Éric Caumes. Ce coronavirus doit sa dénomination à son aspect « en couronne » si on le regarde au microscope. Ses spicules sont peu nombreux à la surface du virus, mais extrêmement performants pour entrer dans les cellules. L'épidémie présente quatre phases évolutives successives.
La première phase est l'émergence, c'est-à-dire la transmission du virus à partir d'un réservoir animal. Elle peut être située au mois de novembre ou de décembre 2019. Des séquences des virus chez les premiers patients ont montré une homologie très forte avec des virus de chauve-souris. Cette transmission s'effectue en général par un autre animal intermédiaire. Ce n'est pas le pangolin, mais cette notion est importante, car le virus ne peut passer directement à l'homme. Un adaptateur est indispensable, qui existe dans la faune.
La deuxième phase juste après l'émergence est la diffusion, qui date de février-mars 2020. Elle résulte d'une évolution du virus dans une région particulière. La protéine de spicule a permis au virus de s'attacher au récepteur cellulaire ACE2. La forme de la molécule spicule a changé à partir de la fin du mois de février ou au début du mois de mars, tout simplement du fait d'une mutation survenue dans cette protéine. Cela a favorisé la capacité d'attachement de l'ensemble des molécules présentes à la surface du virus, devenues plus infectieuses. Cette plus grande infectiosité s'est doublée d'un gain potentiel de transmissibilité. Le génogroupe G est ainsi devenu majoritaire.
La troisième phase d'évolution a été observée à l'échelle planétaire, de façon presque concomitante en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Elle a correspondu à une convergence des virus, qui ont gagné du fitness. Ce terme recouvre une capacité de transmission et d'infection. Les virus ont effectivement amélioré leurs habiletés en la matière, avec trois premiers variants - Alpha, Bêta, Gamma -, puis un quatrième - Delta. Ces variants sont passés par les mêmes processus évolutifs, en changeant quelques éléments de composition de cette protéine de spicule. Il s'est ensuivi une meilleure qualité de l'attachement du virus à son récepteur.
La quatrième phase est l'apparition du variant Omicron, dont l'évolution est différente. Elle résulte probablement de la nécessité d'un échappement immunitaire. Cette version est extrêmement transmissible ; elle a acquis ce potentiel de transmission en faisant en partie la même chose qu'Alpha, Bêta, Gamma et Delta, mais aussi en installant un système d'échappement immunitaire. On peut le représenter sur une cartographie antigénique : on voit le virus initial, et les premiers variants qui ont émergé à partir de celui-ci, évoluant sur le mode génétique et d'échappement immunitaire. Ce dernier est au départ marginal compte tenu de la faible pression immunitaire liée au grand nombre de personnes non infectées. Peu à peu, ces virus ont développé cet échappement immunitaire. Omicron est ainsi positionné très à distance des virus situés dans les cercles concentriques initiaux. On voit alors le remplacement massif d'un virus qui combine l'augmentation du potentiel de transmissibilité du fait de mutations intrinsèques à un échappement immunitaire. Cela signifie que, même s'il ne donne pas des formes graves, ce virus échappe à certains anticorps. Cela entraîne un mécanisme de remplacement extrêmement rapide, augmentant très fortement son niveau de circulation. Omicron a ainsi chassé les autres virus en s'éloignant de l'immunité qui avait commencé à s'installer. Faire disparaître tout ce qui est à l'intérieur des premiers cercles est le principe de l'évolution moléculaire des virus.
Imaginons un arbre généalogique des virus initiaux, dont la racine se trouve en Chine. Progressivement, sont apparus les virus du groupe G, dont tous les virus actuels sont des descendants. À l'intérieur de ce groupe, trois événements sont survenus précocement, à savoir l'émergence d'Alpha, Bêta et Gamma, puis de Delta. Enfin, les racines d'émergence de l'ensemble de ces virus reviennent toutes sur la base. Il en va de même pour Omicron, très proche des virus apparus au tout début de l'épidémie. Toutefois, il a généré une descendance, le BA.2, qui, pour la première fois, n'apparaît pas au niveau de la racine du groupe des virus ayant déjà circulé. Le fait que le virus Omicron ait échappé à la pression immunitaire préexistante permet d'imaginer la possibilité de générer une descendance.
Si l'on replace ces données dans la logique d'évolution d'un virus émergent, on voit bien que des mutations interviennent, selon le calendrier, en fonction du fitness. Cet effet s'amenuise ensuite pour céder la place à la pression immunitaire. Supposons que la vaccination a entraîné une immunisation collective beaucoup plus rapidement que par le biais des infections naturelles. Cette logique évolutive provoquerait alors sur l'évolution des différentes étapes du virus SARS-CoV2 un impact tel qu'il pourrait devenir un virus banal aux infections de moins en moins importantes. Un échappement est possible au niveau de l'immunité humorale, mais beaucoup moins pour l'immunité cellulaire, laquelle protège contre tous les virus en circulation.
Aujourd'hui, il est probable à court terme que l'on se trouve dans une logique d'évolution par dérive moléculaire et antigénique depuis le BA.1. En particulier, le BA.2 appartient au groupe génétique de l'Omicron initial. Néanmoins, nous restons plutôt dans une logique de coévolution, à la fois de dérive antigénique et moléculaire et d'une capacité importante de fitness susceptible de conférer une meilleure transmissibilité ou d'autres mutations avantageuses à des descendants d'Omicron. C'est l'hypothèse la plus favorable, mais ces virus nous ont déjà pris par surprise de nombreuses fois. Et cela ne cessera pas. Ce virus peut recombiner, c'est-à-dire mélanger des gènes du Sars-CoV2 avec d'autres coronavirus humains, comme OC43. Cela pourrait conférer un changement de tropisme, de capacité de transmission et de pathogenèse. D'où l'importance de la surveillance moléculaire d'un séquençage.
Autre hypothèse : la capacité de rétrozoonose. Ce virus, sorti du réservoir animal, est rentré chez l'homme, mais ce dernier peut infecter des animaux d'élevage. De tels exemples ont été constatés dans des élevages de hamsters, de visons, chez des cervidés, des animaux de zoo et de compagnie. Dans ce cas, le virus reprend une capacité évolutive de gain de fitness et de pression immunitaire, enclenchant un nouveau processus susceptible d'être dangereux. Soyons extrêmement vigilants, car un virus modifié pourra ressembler à celui d'une nouvelle racine, à l'instar de ce qui a émergé de la chauve-souris en 2019.
M. Bernard Jomier, président. - Merci beaucoup de toutes ces explications passionnantes. Je passe la parole à Vittoria Colizza, que le Sénat a déjà sollicitée récemment sur le passe vaccinal.
Mme Vittoria Colizza. - Je commencerai par évoquer le court terme, avec une décrue assez rapide d'Omicron. Il y aura un effet ralentissant des vacances scolaires et de la saisonnalité, avec l'arrivée de l'été, pendant lequel les comportements, les températures et l'humidité font baisser la transmission.
Néanmoins, le Royaume-Uni, après une décrue assez rapide, connaît un plateau à haute incidence. Autre élément de préoccupation, la présence du variant BA.2. Notre vague, comme dans toute l'Europe, a été dominée par le BA.1. Le BA.2 est en croissance. Une étude danoise menée sur plus de 8 000 foyers infectés en décembre et janvier par les BA.1et BA.2 a montré une accélération de la propagation, qui est due soit à une capacité de transmission plus élevée, soit à une capacité de réinfection. Une nouvelle étude en laboratoire sur la protection des anticorps montre qu'après une infection au BA.1, il y a une petite baisse de protection des anticorps contre le BA.2. Celui-ci a donc une capacité d'évasion immunitaire accrue.
À moyen et long termes, cela devient beaucoup plus compliqué. Il existe deux grands scenarii. Le premier est l'émergence d'un nouveau variant. C'est tout à fait possible car l'incidence très élevée du virus dans d'autres parties du monde favorise les mutations. Ce serait très compliqué. Notre réponse dépendrait de la transmissibilité, de la contagiosité et de la pathogénicité du nouveau variant, et de l'état de l'immunité de la population au moment éventuel de son arrivée. La situation évolue dans le temps car le niveau d'anticorps baisse. Omicron est un bon exemple : il a un impact sanitaire important même si sa pathogénicité est réduite par rapport au variant précédent, en raison d'un grand nombre d'infections en France.
Le deuxième scénario est l'endémicité, comme pour la grippe. Tout dépendra de la capacité du virus à infecter telle ou telle tranche d'âge, et de notre capacité à vacciner la population. En France par exemple, la vaccination des enfants n'a pas décollé. S'agissant d'un virus respiratoire, la saisonnalité compte beaucoup. La prévisibilité n'est pas assez mise en avant. Or la grippe saisonnière présente cet avantage. On s'attend à une vague hivernale, ce qui change complètement notre capacité de réponse puisqu'on peut planifier une campagne de vaccination spécifique.
La vaccination a été accélérée pour faire face à la vague estivale de Delta, puis l'injection de la troisième dose l'a été pour faire face à la vague hivernale de Delta, transformée en Omicron. On a dû courir.
Les conditions de l'endémicité dépendront de la capacité de l'immunité à se maintenir au cours du temps.
Un scénario probable est que l'accumulation des couches d'immunité protège largement la population de la transmission et des formes graves de la maladie.
La grande question est celle du seuil d'acceptabilité. La saturation des hôpitaux est le critère utilisé actuellement.
Le professeur Caumes a évoqué le timing. Même si le scénario d'endémicité de la grippe nous accorde de la prévisibilité, on ne sait pas combien de temps il faudra pour y arriver. Il ne faut pas s'imaginer que si Omicron marque le début de la sortie de la pandémie, la suite sera un 100 mètres sur piste bien éclairée. Ce sera plutôt du trail, avec des obstacles et des résurgences épidémiques possibles.
M. Bernard Jomier, président. - La conclusion nous ravit ! Merci.
M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Vous dirai-je que je suis rassuré après ces propos ? Pas vraiment !
On a beaucoup écouté les autorités politiques et sanitaires. Pour résumer, depuis un bon mois, on nous dit que l'on commence à imaginer que la pandémie est derrière nous. Omicron nous rassure, car il est moins virulent, même s'il est plus transmissible. Résultat : la situation est totalement incompréhensible. Les gens respectent beaucoup moins les gestes barrières alors que les statistiques montrent qu'il y a davantage de monde à l'hôpital.
Du temps de Delta, les gens étaient inquiets et faisaient très attention, car on nous disait que le virus était à la fois transmissible et dangereux. Actuellement, dans les centres de vaccination des Hauts-de-Seine, il n'y a personne ! En réalité, on a très peu augmenté la pression en faveur de la vaccination, même pour la première dose.
Nous sommes dans une situation étonnante, où le Gouvernement nous a fait voter récemment le passe vaccinal pour nous dire qu'il y mettra fin dès mars. Moi qui avais des hésitations, je me demande désormais où l'on va.
J'ai bien entendu qu'on n'était pas du tout certain qu'il n'y ait pas de nouveaux variants. Est-il imaginable qu'un laboratoire produise un vaccin protégeant contre l'ensemble des variants et contre la transmission ? Savoir que, même triplement vacciné, on peut attraper le virus, c'est tout à fait différent de savoir que vacciné, on est protégé. Cela ne pousse pas à être discipliné. Les gens ont un sentiment, soit de fatalité, soit de facilité. Beaucoup de gens sont antivax ou contre les vaccins à ARN messager. On nous a parlé du vaccin de Novavax mais il est peu proposé. Comment s'en sortir ?
Comment analysez-vous le manque de lisibilité de la politique publique de lutte contre la pandémie ? Il y a eu 132 000 morts, des dizaines de milliers de personnes atteintes de covid long. Mais les chiffres ne sont plus classiques, puisque des personnes hospitalisées pour d'autres causes sont comptabilisées comme étant hospitalisées pour covid.
Il y a six mois ou un an, la perspective était terrible mais claire quant à la discipline à adopter. Là, le gouvernement britannique annonce que même les cas positifs n'auront plus à rester isolés chez eux. C'est incompréhensible. On ne peut pas avoir dit à la population qu'il fallait s'isoler pour qu'ensuite, des gouvernements affirment qu'il n'y a aucun problème et que les personnes positives peuvent continuer à aller travailler et à circuler. On est complètement perdu.
Évidemment, il y a beaucoup d'incertitudes du fait du caractère nouveau de cette pandémie, mais cela devient très compliqué pour le politique. J'ai voté le passe vaccinal ; désormais, je me dis que j'aurais dû m'abstenir.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Roger Karoutchi a fait allusion à la levée des restrictions en Grande-Bretagne. Dans certains pays scandinaves, il y en a aussi la volonté. Que pensez-vous de ces décisions ? Quels seraient les critères objectifs de levée des restrictions, hors contexte pré-électoral ?
On a beaucoup parlé de vaccination. Quelle est votre appréciation de la commercialisation de médicaments de traitement des malades ? Seront-ils un outil accélérant la sortie de crise ?
Professeur Caumes, vous avez parlé d'un manque de connaissances historiques et évoqué la grippe russe - et non ukrainienne ! - de 1890. Faut-il des modules d'histoire dans la formation des médecins ? Quel est votre avis sur le dialogue compliqué entre la communauté scientifique et les responsables politiques ? Il me semble qu'il y a une difficulté de partage des enjeux. Quels enseignements tirer de la crise actuelle pour mieux faire face à une crise future ?
M. Bernard Jomier, président. - Vous paraît-il nécessaire de maintenir, dans les mois ou années à venir, un haut niveau de protection de la population par la vaccination ?
Un des scenarii est l'émergence d'un nouveau variant. Si un nouveau variant encore moins dangereux qu'Omicron arrive, ce ne sera pas un drame. Mais quelle est la probabilité d'un variant plus dangereux ?
Pr. Éric Caumes. - Dans le cas d'une infection émergente, on ne peut pas s'appuyer sur la science, car elle est devant nous. Effectivement, on attribue faussement des hospitalisations au covid - c'est un exemple des erreurs qui ont cours.
Il y a deux principes généraux en matière infectieuse. Le premier est que l'immunité naturelle est toujours meilleure que l'immunité vaccinale, sauf éventuellement pour le papillomavirus. Si l'on applique ce principe au covid, cela signifie qu'il vaut mieux être infecté naturellement que vacciné. Cela a été montré notamment par les Américains sur plus d'un million de personnes.
M. Bernard Jomier, président. - Je ne remets pas en cause cette évidence, mais l'immunité naturelle a un prix !
Pr. Éric Caumes. - Monsieur Karoutchi, la population française a tout simplement pris en compte qu'Omicron était moins grave que Delta. Il n'y a personne dans les centres de vaccination. Pourquoi ? Parce que les gens ont tous attrapé le coronavirus en décembre et en janvier. Ils ne vont pas en plus se faire vacciner ! Ils ne sont pas fous.
Je me suis exprimé très clairement : le passe vaccinal ne sert strictement à rien pour la population générale. C'est un instrument politique. L'important est de vacciner les populations à risque. Mais, pour le reste, le passe vaccinal n'empêche pas la circulation du virus et les gens ne comprennent plus rien. Tout le monde a attrapé le coronavirus ! Ce qui, globalement, n'incite pas à se faire vacciner. En outre, vacciner un individu quand la maladie est en cours chez lui n'a jamais été fait. Qui dit que cela ne déclenche pas de réponse immunitaire inappropriée ? Personne !
Il y a un gros problème dans la formation des médecins. On ne forme plus des humanistes mais des scientifiques, or la médecine n'est pas une science mais un art, qui se sert de la science et de la technique. Cette approche est catastrophique. Vous verrez que demain, on ira vers une médecine personnalisée, à la carte. Je l'ai écrit dans mon livre sur la maladie de Lyme : on ne forme pas les médecins à écouter les malades mais à utiliser des algorithmes. C'est aberrant.
Pr. Bruno Lina. - M. Karoutchi a évoqué une vaccination contre tous les variants, c'est-à-dire pancoronavirus. La difficulté est que l'on ne connaît pas les variants à venir. Or ce virus est capable d'échapper à une réponse immunitaire humorale par modification de la protéine à la surface du virus, dont le potentiel évolutif est gigantesque. Pour l'instant, on essaie d'optimiser les vaccins, par exemple en incluant de nouveaux composants de vaccin complémentaires induisant une immunité plus large. Mais un vaccin universel est un leurre.
Les vaccins tels que Novavax offrent une protection moins bonne que les vaccins à ARN messager. Ils peuvent toutefois compléter le panel, pour ceux qui ont peur de la technologie de l'ARN messager. Il reste une vraie évolution à faire, celle de la vaccination mucosale, pour freiner davantage le risque de transmission avec des IgA sécrétoires ou en tout cas susciter une réponse immunitaire locale au niveau oro-pharyngé.
Vous pointez du doigt l'hétérogénéité considérable des réponses politiques. La Suède a même arrêté toute surveillance du coronavirus. Entre la Chine où l'on cloître tout le monde dès que quelqu'un est infecté et la Suède, on a tous les champs des possibles. La réponse passe probablement par la définition du bon critère de jugement. La situation évolue. Forcément, la réponse aussi. Il faut peut-être annoncer une évolution qui, immanquablement, ira vers plus de souplesse avec malgré tout des seuils qui, tant qu'ils ne sont pas atteints, empêchent tout assouplissement.
En général, les politiques et les journalistes veulent un calendrier. Mais nous sommes totalement incapables de le leur donner. Ou alors, on se lance dans des hypothèses. Globalement, un indicateur n'a de sens que quand il est robuste et durable, et qu'il montre une tendance de fond. Ce n'est qu'a posteriori que l'on peut le confirmer.
Oui, monsieur Arnaud, l'existence de médicaments change considérablement la donne. Un médicament ne se substitue pas au vaccin, puisqu'il traite une personne déjà malade, mais, malgré tout, il peut éviter l'engorgement d'hôpitaux par les plus fragiles. Le Paxlovid semble être efficace, ce qui devrait faciliter la sortie de crise.
Vous avez posé la question de la formation des médecins. Il existe des formations très limitées, dédiées à des médecins déjà sensibilisés. J'espère que la communication faite autour du coronavirus incitera à tirer les enseignements de cette crise pour que nous puissions à l'avenir acquérir une compréhension du rôle majeur que peut jouer la santé publique dans la gestion d'une crise comme celle-ci. Malheureusement, la santé publique en France est jusqu'ici probablement un parent pauvre.
La communication entre les politiques et les scientifiques mériterait des jours entiers de débat. On ne peut pas oublier les médias, dans ce qui forme un triptyque. Il peut y avoir communication directe du scientifique vers le politique, mais les médias entrent forcément dans le jeu, ce qui n'est pas toujours simple à gérer.
Quel est le risque de voir un nouveau variant émerger ? On ne peut pas dire qu'il n'existe pas, mais ce n'est pas le plus probable.
Mme Vittoria Colizza. - La communication a un impact inévitable sur les comportements. Or ceux-ci sont le vecteur de propagation d'une maladie infectieuse.
Dans une enquête menée fin décembre-début janvier, on demandait aux sondés s'ils avaient évité les lieux bondés, à cause du covid. Les niveaux de réponses étaient les mêmes que l'été dernier, alors que la situation épidémique était complètement différente. Je m'attendais à un taux de réponses positives beaucoup plus élevé.
Les comportements sont un élément critique de l'anticipation de la situation.
Sur la vaccination, je vois deux éléments problématiques : le premier est l'incertitude, très difficile à accepter par les gens. Le second est l'hypersimplification. Ainsi, le vaccin n'empêche pas l'infection, mais il la réduit. Là est toute la différence. Contre Omicron, une vaccination récente réduit la probabilité d'infection de 70 %, et de 50 % trois mois plus tard. Chaque niveau de réponse, qu'il s'agisse des masques, de la ventilation ou de la vaccination, apporte une partie de la solution.
Dans l'incertitude totale, les scientifiques élaborent des hypothèses. Ce qui nous aiderait serait de disposer d'objectifs à partir desquels évaluer la pertinence de telle ou telle politique. La première phase de la pandémie était paradoxalement plus simple parce qu'on avait des objectifs clairs : réduire la circulation du virus et le nombre d'arrivées à l'hôpital. Dans l'avenir, il sera de plus en plus difficile d'établir ces objectifs.
Qu'est-ce qui est acceptable pour la société ? C'est sur cette base que l'on peut répondre.
M. Bernard Jomier, président. - On ne peut que regretter le manque de délibérations collectives sur les objectifs. Nous dénonçons depuis longtemps le culte du secret, la permanence du conseil de défense sanitaire et l'absence de débat avec le Parlement, auquel on intime de délibérer en quarante-huit heures.
Il est fondamental de connaître nos objectifs pour les six à douze prochains mois. La connaissance scientifique reste la base, mais les facteurs humains, sociétaux et économiques sont essentiels pour la décision politique. Face à un virus qui s'installe et perd de sa virulence, ou face à de nouveaux dégâts, on ne se positionne pas pareil.
J'espère que le conseil scientifique en débat, mais il n'est pas une instance politique.
Mme Esther Benbassa. - Merci d'avoir éclairé l'horizon.
Professeur Caumes, vous ne pouvez pas vous baser uniquement sur le XIXe siècle. Il y a eu de nombreuses évolutions depuis !
Professeur Lina, vous évoquez les animaux que l'on sort de leur milieu, tels que les visons. La déforestation a-t-elle un effet sur la transmissibilité des maladies entre espèces, des animaux vers les hommes ?
On a parlé très brièvement de la grippe. Des maladies ont été éteintes par le vaccin, mais d'autres existent toujours, malgré les vaccins. Il faudra adapter les vaccins contre le covid, comme on adapte ceux contre la grippe.
Les Françaises et les Français sont inquiets de la diversité des réponses données dans les médias par des savants dont les discours divergent grandement. Ils ne savent pas à quel saint se vouer. Il y a un vrai problème de compréhension. Nous sommes perdus.
On ne parle pas non plus assez du médicament. Si l'utilisation du Paxlovid est efficace, ce sera peut-être une voie de sortie.
Il y a des vaccins et des médicaments, et pourtant la population panique. Moi qui ai été professeur pendant 45 ans, je suppose que la pédagogie n'est pas bonne... Ou alors, les médias créent cette panique car le covid remplit les émissions audiovisuelles, faute de programmes présidentiels nourris.
Enfin, je dois dire que, vaccinée trois fois, j'ai eu le covid.
M. Bernard Jomier, président. - C'est le cas de certains collègues en visio !
Pr. Éric Caumes. - Le médicament Paxlovid n'a pas été évalué correctement sur les variants qui vont émerger et il n'a toujours pas fait l'objet d'une publication scientifique, ce qui est absolument invraisemblable. Il devrait par ailleurs souffrir d'un problème de disponibilité. Enfin, contre un virus, un traitement qui n'est pas démarré dans les 24 à 48 premières heures n'est pas efficace. C'est valable pour tous les virus tels que le zona, l'herpès ou la grippe.
Madame la sénatrice, je suis un peu triste d'entendre dans cette enceinte que l'on ne peut pas compter sur l'histoire. Je vous invite à regarder l'historique de l'épidémie de grippe russe et vous verrez que c'était presque écrit.
Pr. Bruno Lina. - Ce coronavirus est incroyablement compliqué. On peut faire les fanfarons, mais il y a beaucoup de choses que l'on ne comprend pas. L'hypersimplification est une très mauvaise stratégie car elle est très régulièrement prise en défaut. Cette complexité implique des débats scientifiques, tenus habituellement entre nous, mais qui le sont désormais sur les plateaux de télévision. Les travaux et études éclairent le sujet pour atteindre, in fine, un consensus. La médiatisation du débat scientifique, avec des acteurs parfois outranciers, a rendu le processus visible.
La vaccination a un objectif : réduire le risque. Elle ne permet jamais d'atteindre le risque zéro. Tous les vaccins peuvent être pris en défaut, quels qu'ils soient. Ce n'est pas une armure impénétrable qui nous épargne toute autre réponse. On est dans une atténuation significative du risque, pas dans sa disparition.
Le virus évolue ; il est très certain que le vaccin devra suivre. Si l'on se base sur la surveillance des coronavirus saisonniers humains, l'optimisation de la vaccination doit se faire sur un virus endémique et saisonnier qui évolue lentement. Or, aujourd'hui, on ne connaît pas la dynamique évolutive du virus de demain. L'évolution du virus OC43 prend une dizaine d'années. Je ne sais pas ce qu'il en est pour le SARS-CoV2.
Le franchissement de la barrière des espèces existe depuis toujours. Les pandémies de grippe sont dues au fait que le virus Influenza sort du réservoir animal pour infecter l'homme. Actuellement, le réservoir du coronavirus est chez les chauve-souris frugivores, sur lesquelles la déforestation a un impact. Je suis toutefois bien incapable de quantifier le niveau de risque. Ajoutons qu'il y a d'autres intermédiaires dans la famille des mustélidés. Il existe là aussi un réservoir.
Mme Vittoria Colizza. - Qu'en sera-t-il de la vaccination si l'on reste dans le scénario d'un virus endémique comme celui de la grippe ? Jusqu'à présent, la vaccination contre le coronavirus visait deux effets, l'un collectif pour atténuer la propagation du virus au sein de la population, et l'autre individuel, pour protéger les personnes contre les risques de formes graves de la maladie. On peut supposer que le collectif est déjà protégé du fait des précédentes immunisations résultant de l'infection naturelle ou de la vaccination. Dans ce cas, la vaccination pourrait être focalisée sur les personnes les plus à risques. Quand cette vaccination pourrait-elle avoir lieu ? Dans quelles conditions ? Comment établir l'âge d'éligibilité à la vaccination ? Tout cela dépendra de la circulation du virus. C'est pourquoi il est délicat de vous donner des indications à ce sujet dès aujourd'hui.
M. Bernard Jomier, président. - Merci à tous les trois de votre disponibilité et de votre participation à notre réflexion. Tous ces éléments sont pour nous très éclairants.
J'indique aux membres de la commission commune d'information que, d'ici à la fin du mois, nous devrions avoir un échange sur le même thème avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
La réunion est close à 12 heures.