- Jeudi 27 janvier 2022
- Table ronde sur la transmission d'entreprise « Les enjeux généraux de la transmission perçus par les entreprises » avec Mme Bénédicte Caron, vice-présidente de la CPME en charge des Affaires économiques (en visioconférence), M. Christian Geissmann, représentant de CCI France, trésorier de la CCI Alsace-Métropole et M. Philippe d'Ornano, co-président du METI, président du directoire de Sisley
- Table ronde sur la transmission d'entreprise « Les enjeux spécifiques de la transmission perçus par les experts » avec M. Jean-François Desbuquois, avocat associé du cabinet Fidal, membre du Cercle des fiscalistes et de l'Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF), M. Bernard Fraioli, président de l'Association des Cédants et Repreneurs d'Affaires (CRA), et M. Alain Tourdjman, directeur des études économiques et de la prospective en charge de BPCE L'Observatoire, du groupe Banque Populaire-Caisse d'Épargne (BPCE)
Jeudi 27 janvier 2022
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La réunion est ouverte à 9 h 06.
Table ronde sur la transmission d'entreprise « Les enjeux généraux de la transmission perçus par les entreprises » avec Mme Bénédicte Caron, vice-présidente de la CPME en charge des Affaires économiques (en visioconférence), M. Christian Geissmann, représentant de CCI France, trésorier de la CCI Alsace-Métropole et M. Philippe d'Ornano, co-président du METI, président du directoire de Sisley
M. Serge Babary, président de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation pour inaugurer notre nouveau cycle de travaux consacré à la transmission d'entreprise.
Dès 2016, la Délégation sénatoriale aux entreprises s'est intéressée à ce sujet, qui préoccupait déjà les chefs d'entreprise rencontrés sur le terrain. En 2017, elle a adopté le rapport de Michel Vaspart et de Claude Nougein, et en 2018 elle a fait adopter en séance publique la proposition de loi traduisant ces mesures.
Le texte n'ayant pas été examiné à l'Assemblée nationale, les dispositions méritent aujourd'hui d'être analysées afin que soit appréciée leur pertinence cinq ans après. Je note toutefois qu'après avoir donné un avis défavorable à cette proposition de loi lors de son examen au Sénat, le gouvernement avait repris quelques mois plus tard les dispositions modernisant le pacte Dutreil dans son projet de loi de finances.
L'objectif de cette table ronde est de passer en revue les défis de la transmission d'entreprise, qu'ils aient déjà été identifiés depuis longtemps ou qu'ils soient plus récents.
Pour mener à bien cet exercice, nous avons prévu deux temps d'échanges. Le premier réunit les représentants des entreprises, qui pourront nous livrer leur analyse des enjeux vus du terrain aujourd'hui. Le second nous permettra d'entendre des experts spécialistes de la question, dans des domaines différents et complémentaires.
Pour notre première partie, j'ai le plaisir d'accueillir Bénédicte Caron, vice-présidente en charge des Affaires économiques de la CPME, M. Christian Geissmann, trésorier de la CCI Alsace-Métropole, représentant CCI France, et M. Philippe d'Ornano, co-président du METI.
Je propose à chacun de tenir un propos liminaire, avant de faire place aux questions de mes collègues.
Mme Caron, je vous donne la parole.
Mme Bénédicte Caron, vice-présidente en charge des Affaires économiques de la CPME. - Merci, M. le président. Je dirige avec mon mari une entreprise familiale que j'essaie actuellement de transmettre à mes enfants.
Nous sommes confrontés à un premier problème, celui de la crise du Covid, qui a reporté un grand nombre de transmissions.
De nombreux de chefs d'entreprises auraient souhaité vendre au cours des deux dernières années, et n'ont pas pu le faire en raison de la pandémie. Pour cette raison, davantage d'entreprises devront être cédées dans les années à venir.
Il existe deux types de transmissions : celles qui concernent les TPE et les PME, et celles qui touchent les PME, voire les ETI.
S'agissant des TPE et des PME de petite taille, ce sont en général les experts-comptables qui guident les chefs d'entreprise vers la transmission, familiale ou non, ce qui n'est pas sans poser problème. En effet, il ne s'agit pas du coeur de métier de ces professionnels.
De ce fait, les chefs d'entreprise se trouvent confrontés à des problèmes de méconnaissance. Par exemple, ils préfèrent vendre leur fonds de commerce plutôt que leurs parts de société, alors que les droits sont 20 fois supérieurs. Les experts-comptables les effrayent en leur parlant de contrôles fiscaux. De plus, ils ne connaissent pas bien le mécanisme de la garantie d'actifs et de passifs.
Le problème de base est donc d'ordre financier. Il est onéreux de faire appel à un conseiller juridique pour vendre une entreprise qui coûte moins de 100 000 euros. De ce fait, les chefs d'entreprise vendent dans de mauvaises conditions, et pas nécessairement avec les bons outils.
Dans le cas des grandes PME et des ETI, dont la valeur est supérieure, des experts assistent les chefs d'entreprise, ce qui présente de nombreux avantages. En revanche, le coût peut rapidement devenir exorbitant. Les conseillers juridiques mettent en avant l'importance du pacte Dutreil, notamment dans le cadre d'une transmission familiale.
Deux possibilités se présentent : la vente dans un cadre familial ou à l'extérieur. Cette deuxième option est relativement simple : la vente s'effectue avec un expert conseil et implique simplement de payer des droits.
En revanche, en cas de vente de son entreprise dans un pacte familial, il est conseillé d'opter pour un pacte Dutreil, dont le coût financier peut descendre d'une échelle de 17 à 1. Le pacte Dutreil présente de grandes qualités, mais aussi d'énormes défauts, notamment de forme.
Une entreprise familiale d'une certaine taille est souvent composée de plusieurs structures juridiques, dont une holding. Or, dans un pacte Dutreil, la première question qui est posée porte sur le fait que cette holding est ou non animatrice.
Néanmoins, l'administration fiscale n'a jamais donné aucune définition de ce qu'est une holding animatrice. Un pacte Dutreil peut être entièrement remis en cause si la holding que les experts considèrent comme animatrice n'est plus qualifiée comme telle dans le cadre d'un contrôle fiscal. L'enjeu financier est tel que la transmission peut ne plus avoir lieu, ou être complètement abandonnée quelques années après le pacte.
Par ailleurs, nous devons valoriser les sociétés que nous souhaitons transmettre. Toutefois, quel expert se charge de cette valorisation, et qui prend le risque de conseiller un chef d'entreprise ?
L'administration fiscale procède à une valorisation qui n'est pas marchande, mais fiscale. Une fois encore, nous faisons face à un vrai problème : nous devons valoriser nos sociétés à partir du Code des impôts, qui date de plus de 10 ans. De plus, cette valorisation fiscale ne se trouve absolument pas en corrélation avec la valeur marchande des sociétés : elle peut s'avérer favorable ou défavorable.
Pour mettre en place le pacte Dutreil, nous sommes donc obligés de faire appel à des experts, avec un coût financier énorme. C'est la raison pour laquelle de nombreux chefs d'entreprise préfèrent procéder à une vente à l'extérieur plutôt que prendre les risques du pacte.
Une entreprise familiale, qui est souvent vendue aux enfants, est toutefois fragilisée avec et sans pacte Dutreil. Sans pacte, la vente est pratiquement infaisable pour les enfants, qui ne disposent pas souvent des moyens nécessaires. Si la transmission familiale est la meilleure des solutions, elle est donc vraiment complexe.
Une entreprise qui est transmise familialement présente 93 % de chances de survie, ce qui n'est pas le cas avec une transmission non familiale ; d'où l'intérêt de recourir au pacte Dutreil et à ce type de transmission.
Au titre de la CPME, je demande qu'un délai soit accordé aux chefs d'entreprises pour se mettre en conformité avec la législation (hormis celle en matière d'hygiène et de sécurité).
Un abattement de 500 000 euros est proposé au moment du départ à la retraite. Ce n'est toutefois pas au moment du départ à la retraite qu'un chef d'entreprise a besoin de cet abattement, mais au cours de sa vie professionnelle, notamment pour pouvoir réinvestir dans une affaire plus importante.
Il s'y ajoute un problème complexe de forme : le mécanisme de droit d'information préalable des salariés. Il n'y a aucun intérêt à fermer une entreprise plutôt que la vendre à ses salariés. Si un chef d'entreprise sait pouvoir disposer d'une bonne équipe de salariés et d'un encadrement qui est en mesure de racheter son entreprise, il y est nécessairement favorable.
Ce droit d'information pollue la vie des chefs d'entreprise plutôt qu'il ne la simplifie. Si nous pouvions revenir sur ce mécanisme, ce serait donc une très bonne chose.
Je pense enfin au droit civil. Les chefs d'entreprise ne sont pas nécessairement mariés sous le bon statut juridique pour vendre leur entreprise. Dans certains cas, il est plus facile de divorcer et de se remarier que de changer de statut matrimonial. Je ne suis pas certaine que cela soit très logique.
M. Serge Babary, président. - Merci, Mme Caron, pour ces précisions.
Au début de votre propos, vous avez évoqué le choix qui s'offre aux TPE, entre le rachat du fonds de commerce et le rachat de parts. J'évoque à ce propos les difficultés auxquelles ont été confrontés les repreneurs qui ont racheté le fonds de commerce d'une entreprise pendant la crise et qui n'ont pas pu bénéficier des aides.
Pour acheter leur commerce, ces derniers ont dû créer une société. Or, les services de Bercy n'ont pas reconnu la continuité d'exploitation permettant de bénéficier des aides. Il y a là une fragilité de l'analyse des services de l'État.
Je donne à présent la parole à M. Geissmann, qui représente la CCI.
M. Christian Geissmann, trésorier de la CCI Alsace-Métropole, représentant CCI France. - Je suis avant tout un chef d'entreprise, engagé auprès des entreprises depuis 40 ans. J'ai rejoint la CCI et CCI Entreprendre en France il y a 17 ans. Je représente l'Alsace, région très dynamique, où je rencontre des entreprises au quotidien.
Plus de 90 % de nos entreprises comptent moins de 20 salariés. Ce sont celles-ci que nous défendons en particulier, et mes propos seront principalement orientés dans ce sens.
L'engouement pour l'entreprenariat est bien réel. Les gens ont souvent envie créer plutôt que de reprendre. Notre rôle, aux CCI, consiste à leur expliquer que la création d'entreprise est une bonne chose, mais qu'il est aussi intéressant de considérer la reprise.
Depuis 2017, nous observons que les Français épargnent massivement. Un Observatoire a été créé au sein de la BPCE en vue d'identifier les opérations de cession et de transmission. De plus en plus d'études universitaires évoquent l'aspect psychologique de la transmission d'entreprise.
Nous avons également mis en place en 2017 un baromètre auprès de nos chefs d'entreprise. Nous en avons interrogé près de 90 000. Il en ressort que l'anticipation de la reprise d'entreprise ne dépend pas de l'âge du dirigeant.
Certains chefs d'entreprise estiment qu'à 60 ans et plus, il est encore trop tôt pour y penser. Or, une reprise ou une cession d'entreprise doit très souvent se préparer entre trois et cinq ans en amont.
Lorsque nous interrogeons les chefs d'entreprise, très peu se montrent intéressés par l'idée de céder leur entreprise à leurs enfants (moins de 20 % des intentions), voire à leurs salariés (à peine 10 %). Cette situation s'explique notamment par les horaires étendus qu'implique cette activité.
Que faut-il faire dans les années à venir ? Il n'existe pas de recette miracle, mais nous avons quelques idées. Il faut encore simplifier et rendre plus lisible la cession et la reprise d'entreprise. Globalement, nous manquons tous de visibilité auprès de nos chefs d'entreprise. Il faut que nous trouvions de nouveaux moyens de communication.
De plus, il faut que les chefs d'entreprise soient accompagnés. Si les experts-comptables restent la première porte d'entrée, nous devons travailler avec eux et avec les centres de gestion agréés afin d'identifier les problématiques ensemble.
Nous avons engagé l'année dernière au niveau de la CCI des rencontres qui mettent en contact des cédants et des repreneurs. Nous allons poursuivre ces actions d'information au niveau national sur les territoires.
En outre, nous avons constaté que près de 50 % des apprentis exprimaient le souhait de reprendre ou de créer une entreprise après quatre années. Nous avons donc mis en place le permis d'acquérir et de transmettre auprès des jeunes en vue d'accompagner aussi bien le repreneur que le cédant.
Nous avons interrogé 90 000 entreprises, et nous avons mis en oeuvre des appels téléphoniques pour sensibiliser les chefs d'entreprise de plus de 50 ans à la cession de leur entreprise.
En 2020, nous avons détecté 3 500 cédants qualifiés au niveau national à travers le réseau des CCI. 835 ont participé à des ateliers thématiques. 4 500 entreprises ont été accompagnées de manière individuelle.
En 2020, près de 10 000 cédants ont été accompagnés, en plus des 420 000 que nous avons sensibilisés. L'opération téléphonique a donné lieu à plus de 7 000 entretiens de sensibilisation et de qualification et à 2 000 entretiens d'accompagnement.
En conclusion, quelles sont nos propositions ?
- une simplification et une clarification des modalités de cession d'une entreprise : lorsqu'un cédant envisage de vendre son entreprise, il faudrait qu'il puisse se renseigner en quelques minutes sur le coût de la fiscalité relative à cette cession ;
- l'extension du pacte Dutreil aux salariés : les salariés pourraient être intégrés en amont à un éventuel pacte pour reprendre leur entreprise ;
- un travail sur l'épargne des Français : pourquoi ne proposerions-nous pas aux Français qui disposent d'une épargne de reprendre une entreprise locale, en bénéficiant d'une réduction d'impôts de 50 % ? ;
- la formation, l'accompagnement et le suivi des jeunes qui souhaitent reprendre une entreprise.
Il faut que le cédant et le porteur de projet puissent identifier les structures existantes. Or, il en existe un grand nombre : les experts-comptables, les partenaires bancaires, la BPI, etc. Il faut que, tous ensemble, nous tenions le même discours, avec une seule porte d'entrée.
Nous estimons que dans les 10 prochaines années, environ 700 000 entreprises se trouveront potentiellement en situation de cession. Le marché est énorme et représente de nombreux emplois. Il y a matière à agir ; faisons-le tous ensemble.
M. Serge Babary, président. - Monsieur Geissmann, merci pour votre intervention. Nous y reviendrons ultérieurement.
Monsieur d'Ornano, c'est à vous.
M. Philippe d'Ornano, co-président du METI, président du directoire de Sisley. - En préambule, je souhaiterais rappeler l'importance de la transmission des entreprises pour les ETI, et les conséquences des défaillances de transmission d'entreprise en France, qui pèsent fortement sur l'économie.
Dans les années 1990, toutes les entreprises moyennes et grandes étaient vendues, en raison du blocage des transmissions d'entreprise. À l'époque, pour une ETI, il fallait payer entre 55 et 60 % de la valeur de l'entreprise pour que la transmission soit possible.
Plus de 1 000 entreprises ont donc été vendues. Alors que la France comptait en 1980 autant d'ETI que l'Allemagne de l'Ouest, en 2008 elle en comptabilisait deux fois et demie moins que l'Allemagne, deux fois moins que l'Italie et deux fois moins que l'Angleterre.
Cette situation économique relativement méconnue, mais dramatique, a eu un impact sur toutes nos moyennes et grandes entreprises en France.
Nous avons fait oeuvre de pédagogie et plaidé pour la création de pactes. Les premiers pactes ont été conclus sous le gouvernement Jospin, puis simplifiés à l'initiative de M. Dutreil et M. Jacob. Ceux-ci ont permis de rendre les transmissions d'entreprise à nouveau possibles.
En 2008, la France comptait 4 500 ETI, contre 12 500 en Allemagne, 10 500 en Angleterre et 8 000 en Italie. Les ETI sont à 70 % des entreprises familiales. Il faut en moyenne 20 ans pour parvenir à la taille d'ETI, soit une durée où la question de la transmission est amenée à se poser. Une ETI sur deux va se transmettre dans les prochaines années.
Dans la situation actuelle, les difficultés de transmission d'entreprise persistent, puisqu'on compte 14 % de transmissions familiales en France, contre 50 % en Allemagne et 70 % en Italie. Même avec le pacte Dutreil, le décalage perdure donc entre la France et l'Italie. Des études menées au niveau mondial montrent l'efficacité du modèle d'entreprise familial et sa résilience ; j'y reviendrai.
À mon sens, divers enjeux se posent aujourd'hui. Le premier est celui de l'indépendance ; nous l'avons vécu à l'occasion de la crise du Covid. Ces entreprises présentent de forts tropismes industriels dans nos territoires.
L'enjeu d'indépendance doit également nous amener à nous interroger sur une localisation des centres de décision en France ou sur une orientation vers une économie financiarisée, avec des rachats par des entreprises étrangères.
Le deuxième enjeu est lié à la compétitivité, qui demeure malgré le pacte Dutreil. Le taux moyen de transmission en Europe s'élève à 5 % ; en France il se maintient à 16-17 %.
Les transmissions d'entreprise ont lieu en moyenne à 69 ans. Par conséquent, les dispositifs de démembrement de propriété ne s'appliquent que très peu. Si l'on transmet son entreprise à 30 ans, on peut bénéficier d'abattements ; toutefois, personne ne transmet son entreprise à cet âge.
Il faut également bien comprendre le mécanisme du pacte Dutreil. Personne ne détient dans son patrimoine une valeur d'entreprise. C'est toujours l'entreprise qui distribue des dividendes, donc qui se ponctionne, pour permettre la transmission.
Ce sujet de compétitivité économique s'ajoute aux autres sujets d'environnement fiscal français. Tous les 15 ans, l'impact représente entre 6 et 10 ans de profit selon les modèles d'entreprises, alors que le taux moyen européen s'élève à 5 %.
Le troisième enjeu est relatif à la prospérité. 70 % des ETI localisent leur siège social en province. Il est donc très important de préserver ce type d'entreprises, qui irriguent notre territoire.
Par ailleurs, les entreprises familiales, qui développent une approche de temps long, constituent un appel d'air en période de crise, car elles continuent à créer des emplois. La catégorie des ETI est la seule à avoir créé des emplois en 2020, malgré la grande difficulté rencontrée par certains secteurs. Le développement d'un tissu plus important de ce type d'entreprises permettrait de structurer notre économie.
Quelles sont nos propositions ? Il n'existe pas de suivi des indicateurs de transmission d'entreprise depuis 2006. Le seul indicateur dont nous disposons est l'augmentation du nombre de pactes Dutreil de 150 % au cours des deux dernières années. Notre premier plaidoyer consiste donc à mettre en place des indicateurs qui nous permettent de savoir de quoi nous parlons.
Il nous semble également important, dans une économie ouverte, d'être raisonnablement alignés avec notre environnement européen. Il y a trois ans, nous avons proposé la création d'un « pacte Plus », qui permettrait d'obtenir un abattement qui replacerait la France dans la moyenne européenne ; nous maintenons cette proposition.
Il reste à poursuivre la simplification des pactes Dutreil. Si ce dispositif est salutaire, il demeure compliqué. De plus, il nous paraît important de prendre toutes les mesures permettant de favoriser l'anticipation de la transmission d'entreprise.
Enfin, pourquoi une transmission d'entreprise aux employés ou à un membre éloigné de la famille serait-elle surtaxée ? Pour quelle raison la transmission est-elle rendue impossible en-dehors de la transmission directe ? Si nous pensons qu'il est de l'intérêt de notre pays que ces entreprises se transmettent dans de bonnes conditions, il est important d'aborder ce point.
Pour conclure, nous devons nous interroger sur ce que nous souhaitons faire de notre économie. La transmission est une approche de bâtisseur et de long terme. Elle n'implique pas la même démarche vis-à-vis des équipes, de l'environnement et des collectivités. Le fait de disposer d'une proportion plus forte de ces entreprises serait à mon sens un vrai avantage pour notre pays.
M. Serge Babary, président. - Merci beaucoup pour votre intervention, Monsieur d'Ornano. Nous allons à présent écouter les questions de nos rapporteurs.
M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Tout d'abord, je confirme les propos de M. d'Ornano. Le département de la Haute-Saône, qui pourrait passer pour très rural, est pourtant l'un des plus industriels de France, et ce grâce à un grand nombre de petites et moyennes entreprises.
Ces entreprises constituent un tissu économique important qui est la force de notre réseau d'entreprises françaises. De plus, étant souvent familiales, elles sont pleinement concernées par la question de la transmission.
Je souhaite également revenir sur le sujet du pacte Dutreil. J'entends vos propositions d'étendre le pacte à la transmission des salariés, voire d'élargir les degrés de parenté dans le cadre de la transmission.
Des attaques virulentes ont été exprimées récemment à l'encontre du pacte Dutreil. J'ai notamment entendu qu'il s'agissait d'un moyen inefficace, allant même à l'encontre de la lutte contre les inégalités du fait qu'il favorise les transmissions familiales.
Je voudrais que vous nous confirmiez que le pacte Dutreil présente une vraie utilité et qu'il doit être renforcé.
De plus, M. Geissmann a évoqué le fait que la volonté de créer des entreprises dans notre pays était plus forte que celle d'en reprendre. Comment l'expliquez-vous ? Est-il nécessaire de modifier ou d'adapter la formation ?
J'ai échangé en début de semaine avec une directrice d'académie qui a relevé, dans nos secteurs très ruraux, un manque d'ambition des élèves dès les années de collège. Ceux-ci n'ont pas la volonté de reprendre une entreprise, ce qui s'explique par une crainte, une dévalorisation de soi-même et un manque de communication. Or, il s'agit d'un bon moyen de s'épanouir, de créer, de développer et de transmettre.
Mme Bénédicte Caron. - Je vous confirme que le pacte Dutreil a toute son importance. J'ai lu comme vous, dans les journaux, que ce pacte devrait être supprimé, au motif qu'il favoriserait les inégalités. Il faut toutefois avoir conscience que sans le pacte Dutreil, de nombreuses entreprises ne pourraient pas être cédées familialement.
M. d'Ornano a évoqué le fait qu'une entreprise était énormément fragilisée pendant 6 à 10 ans après sa transmission. C'est entièrement vrai, y compris avec le pacte Dutreil. Il s'agit d'un outil indispensable, qui même s'il doit être encore amélioré, ne doit pas être affaibli.
En réponse à la deuxième question posée par M. Rietmann, j'évoquerai un problème inhérent à nos écoles. Mes enfants ont fait des écoles de commerce, et lorsqu'ils évoquent l'idée de reprendre une PME, ils sont dévalorisés. Dans l'esprit de nombreux professeurs, le métier de chef d'entreprise ne présente pas de valeur ajoutée. Je pense qu'il s'agit d'un problème aujourd'hui en France.
M. Christian Geissmann. - Vu de l'extérieur, lorsqu'on parle d'une entreprise, il s'agit nécessairement d'une entreprise du CAC 40. Or, les chefs de nos entreprises ne s'engagent pas seulement pour eux, mais aussi pour des familles.
Un chef d'entreprise de quatre ou cinq salariés fait vivre 20 personnes et son territoire. Je suis agacé que l'on dépeigne ces chefs d'entreprise comme des nantis. Depuis 40 ans, j'ai croisé de nombreux chefs d'entreprise qui, avant se payer eux-mêmes, payaient d'abord leurs salariés, et fournissaient des efforts importants.
Le pacte Dutreil ne crée pas des opportunités, mais seulement la possibilité de maintenir des familles et du travail sur un territoire. J'acquiesce donc à l'idée que ce pacte doit aller plus loin.
En Allemagne, l'apprentissage est une vraie valeur, alors qu'en France, il pâtit d'une image négative.
Nous demandons aux chefs d'entreprise qui sont investis dans la CCI de passer une demi-journée dans les collèges une à deux fois par an pour sensibiliser les élèves. Je m'y emploie moi-même depuis 17 ans. C'est un grand plaisir de pouvoir échanger avec des enfants sur les entreprises.
Je suis toutefois toujours étonné de constater que j'informe non seulement les élèves, mais aussi les professeurs. Or, la première problématique est déjà celle de l'image qu'ont les professeurs des entreprises.
Je crois beaucoup à la formation et à l'alternance, qui amène jusqu'à un bac +5. Lorsqu'on se trouve en échec scolaire à 18 ans, l'alternance constitue un superbe outil.
Les chefs d'entreprise qui ont recours à des alternants peuvent travailler avec ces derniers pendant deux ans. Lorsque cela se passe bien, les alternants intègrent l'entreprise, et ce sont souvent les futurs repreneurs.
M. Philippe d'Ornano. - Lorsque nous avons lutté en faveur de la mise en place du pacte Dutreil, nous avons perçu une méconnaissance. Personne n'avait compris que la mesure fiscale du doublement des droits de succession allait avoir un impact sur les entreprises. Lorsque nous l'avons expliqué à tous, cela a été compris et cela a abouti au pacte.
La méconnaissance est compréhensible. En revanche, après avoir constaté les conséquences catastrophiques que j'ai décrites tout à l'heure, il ne serait plus excusable de refaire la même erreur.
De plus, cela impacterait la prospérité de l'ensemble des Français. Nos territoires se sont retrouvés avec des entreprises qui ferment et une financiarisation plus grande.
S'agissant de la deuxième question, je suis assez positif. Nous faisons face à une vraie révolution de l'entreprenariat en France. Énormément de jeunes veulent créer leur entreprise, et les ETI y contribuent par des incubateurs et des investissements.
Le dispositif de l'apprentissage s'est beaucoup développé et permet aux jeunes de mieux comprendre l'entreprise. 30 % sont recrutés, et 30 % sont embauchés immédiatement dans une autre entreprise. Le seul bémol concerne l'apprentissage industriel, qui intéresse moins. Un de nos grands enjeux consistera à attirer à nouveau vers ces métiers.
M. Serge Babary, président. - Nous allons poursuivre avec nos rapporteurs.
M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - J'identifie une difficulté à créer un climat de confiance entre le vendeur et l'acheteur. Ayant des relations avec quelques entrepreneurs de mon territoire, je vois la complexité à laquelle on fait face lors de l'installation d'un expert-comptable ou d'un avocat.
Parfois, le climat peut être tendu, ou une partie fait preuve d'un manque de transparence, ce qui constitue un élément de blocage. Faut-il prévoir un médiateur pour apporter un peu de justice et de clarté ?
La piste de la potentielle reprise ou du rachat par les salariés me semble bonne. De nombreuses entreprises de mon département auraient pu être sauvées de cette manière (Whirlpool, etc.).
Existe-t-il des éléments permettant de garantir une reprise aux salariés, tels que le prêt garanti de l'État, ou des dispositifs existants à valoriser ? Les salariés s'interrogent sur les possibilités financières dont ils disposent. Il y a peut-être là des pistes à creuser.
Par ailleurs, nous connaissons bien évidemment le phénomène de la prédation. Faut-il faire preuve de protectionnisme dans la transmission des entreprises, même si cela peut être perçu comme malsain au niveau européen ?
Malheureusement, lorsque des fonds étrangers sont injectés, il arrive que quelques années plus tard, l'entreprise se délocalise.
Enfin, de manière générale, quels sont les éléments concrets qui depuis 2017 ont eu un réel impact sur la transmission des entreprises ?
M. Serge Babary, président. - Trois questions sont ici posées. Nous allons peut-être commencer par M. Geissmann, de la CCI, puisqu'il a été question de médiation et d'intervention.
M. Christian Geissmann. - Je vais prendre un cas concret pour illustrer la question de la relation de confiance entre repreneurs et cédants.
Lundi soir, nous allons signer une cession d'entreprise avec la CCI, qui fait suite à un processus de trois ans. Il s'agit d'une entreprise locale de 30 collaborateurs, plus une vingtaine d'intérimaires.
Le premier acquéreur qui s'était présenté il y a trois ans était un « prédateur ». Toutefois, celui-ci ne venait pas de l'étranger, mais des Vosges. La relation s'est très mal passée, car elle était dirigée uniquement par des intermédiaires experts, et avec très peu de contacts, étant donné la distance.
La procédure a évidemment échoué, ce qui a placé les dirigeants d'entreprise dans des situations dramatiques.
Il y a un peu plus d'un an, nous avons eu la joie d'apprendre qu'un local s'intéressait à l'entreprise. Un dialogue a d'abord été amorcé entre les deux parties prenantes, puis des avocats et des notaires sont intervenus, tout ceci avec la médiation de la CCI.
J'ai organisé énormément de rencontres entre le repreneur et le cédant, parce qu'il fallait qu'il se crée quelque chose entre eux. Les avocats et les notaires ne sont intervenus qu'à partir du moment où des actes techniques devaient être réalisés ; ils n'ont pas eu la main sur l'opération.
Vous nous avez également interrogés sur la reprise par les salariés. Nous avons accompagné une reprise de ce type l'année dernière. Dans une entreprise, tous les salariés ne peuvent pas ou ne veulent pas reprendre. Il faut que nous puissions identifier, dans une entreprise donnée, ceux qui en deviendront les leaders.
La BPI apporte des aides très intéressantes dans le cadre de la reprise d'entreprise par les salariés. Toutefois, un repreneur, qu'il soit ou non salarié, reste un repreneur. L'engagement du risque qu'il prend est identique à celui de tout un chacun.
Hormis pour la distribution de dividendes, est-ce qu'un salarié est prêt à prendre des risques avec son entreprise ? Cette opération est réalisable ; nous pouvons agir en matière d'accompagnement, même si cela ne fonctionne pas à chaque fois.
En ce qui concerne le protectionnisme, je laisserai M. d'Ornano s'exprimer. Avec les petites entreprises, la question se pose moins. Nous maintenons l'activité sur le territoire. Nous ne voulons surtout pas que les entreprises que nous accompagnons partent à l'étranger. C'est le maintien de l'économie qui nous intéresse, car c'est là l'essentiel.
M. Serge Babary, président. - Monsieur d'Ornano, je me tourne vers vous à propos de la question de la prédation et de la souveraineté.
M. Philippe d'Ornano. - Tous les experts vous diront que plus on réfléchit à la transmission d'entreprise jeune, plus on est efficace. À cet effet, il est possible de réfléchir à un certain nombre de mesures.
De plus, un chef d'entreprise qui pense à sa transmission est aussi amené à réfléchir à la composition de son comité de direction, à l'âge de ses membres, à ce qui va se passer s'il part à la retraite, etc. Tous ces éléments peuvent avoir un lourd impact sur une entreprise.
Psychologiquement, il est également beaucoup plus facile de penser à sa transmission à 50 ans qu'à 70 ans. Nous entendons souvent que les démembrements de propriété ajoutent un abattement. En réalité, ce n'est pas le cas. Si vous transmettez un démembrement de propriété, vous perdez le pouvoir sur votre entreprise, hormis sur la distribution des dividendes.
Il faut donc sensibiliser les chefs d'entreprise au fait de penser tôt à leur transmission et à leur organisation, notamment pour les entreprises moyennes et grandes, dont les enjeux sont relativement importants.
Une possibilité consisterait, dans le cadre des démembrements de propriété, à donner plus de pouvoir à l'usufruitier jusqu'à un certain âge ; ainsi, les dirigeants seraient incités à transmettre plus jeunes.
S'agissant de la prédation, je peux vous donner quelques chiffres relatifs aux ETI. En 2021, on a enregistré 25 % d'augmentation de vente d'ETI par rapport à 2020 ; un tiers d'entre elles ont été approchées.
Nous observons que des entreprises, notamment étrangères, approchent des entreprises françaises, car elles sont intéressées par leur savoir-faire. Toutefois, elles ne sont pas nécessairement intéressées par leur site, qu'elles rationalisent par la suite.
Nous devons mener une réflexion sur l'écosystème nécessaire pour développer le nombre d'ETI en France. Pour ce faire, il faut déterminer si l'on peut transmettre son entreprise dans des conditions raisonnablement équivalentes à celles de l'environnement européen.
Je reviens sur le sujet de la reprise par les salariés. Si vous transmettez au lieu de vendre, notamment à des cadres, vous assumez des droits de succession à hauteur de 65 %, avec l'abattement Dutreil. Nous pouvons nous interroger sur la logique qui consiste à payer des taux encore plus élevés lorsque l'on transmet son entreprise à un cadre plutôt qu'à un membre de sa famille.
M. Serge Babary, président. - Le taux de 30 % d'ETI approchées correspond à 1 500 entreprises, ce qui n'est pas neutre pour nos territoires.
Madame Caron, pourriez-vous évoquer la relation entre le vendeur et l'acheteur, ainsi que l'aspect psychologique de la transmission, qui est particulièrement important dans les TPE-PME ?
Mme Bénédicte Caron. - Je vais aller dans le sens de M. Geissmann. Même si un chef d'entreprise qui vend son entreprise dispose d'intermédiaires techniques et juridiques, il doit nécessairement mener une démarche avec le chef d'entreprise qui achète.
Une relation de confiance doit se mettre en place, faute de quoi l'opération est vouée à l'échec : sur le plan commercial, au niveau des salariés, etc. Lorsque cette relation se déroule bien sur le plan humain, l'opération se solde souvent par un succès.
Je vais ajouter un mot à propos de la prédation. Le gouvernement est intervenu lorsque Carrefour a souhaité, à la fin de la pandémie, vendre à une grosse entreprise canadienne. Nous pouvons partir du principe qu'il est normal que le gouvernement intervienne dans ce type de cas.
Un intervenant. - Dans le cadre de la relation de confiance, considérez-vous que le maintien du cédant au sein de l'entreprise pendant une période limitée (un an, deux ans, etc.) peut représenter un point fort et bénéfique, et renforcer la viabilité de la transmission ?
Si oui, pensez-vous que nous devrions ajouter des incitations dans ce domaine ?
Mme Bénédicte Caron. - Ce maintien peut s'avérer 100 % positif ou 100 % négatif. Tout dépend de l'acheteur, du vendeur et du secteur d'activité.
Dans le cas d'un jeune qui possède peu de connaissances et qui entretient une très bonne relation avec le vendeur, l'intérêt est réel.
À l'inverse, il faut que la passation soit la plus brève possible dans le cas de ventes avec d'anciens chefs d'entreprise qui ne souhaitent pas changer leurs habitudes et leurs façons de faire.
M. Christian Geissmann. - Je suis tout à fait d'accord avec Mme Caron. À cet effet, je pense que le mentorat et le tutorat, qui consistent à accompagner les chefs d'entreprise externes, ont de beaux jours devant eux.
M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Je suis sénateur du Finistère, où une ETI de chantier de construction navale de 2 000 salariés a été reprise par les cadres il y a trois ans.
Je souhaite revenir sur les propos de M. Rietmann. Si le pacte Dutreil est important, celui-ci est pour autant menacé. Le Conseil d'analyse économique a publié un rapport le mois dernier sur le fait que la transmission dans le milieu familial serait source d'échec.
Partagez-vous ce sentiment ? Considérez-vous que cet avantage fiscal est trop élevé et qu'il ne correspond pas à la réalité des besoins en France ?
Le dernier déplacement de la Délégation sénatoriale aux entreprises a eu lieu dans le département de l'Orne. Nous avons visité l'entreprise Fréon Élagage, dont le chef d'entreprise a préparé sa fille en vue d'une reprise.
Nous avons également fait la visite d'une très belle ETI, Matfer, qui est un groupe familial français dont les dirigeants ont confié la direction à des gestionnaires. Ceci montre bien que l'on peut conserver une entreprise dans un cadre familial. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les avantages à le faire ?
Nous partageons tous le souhait que le nombre d'ETI augmente en France. Si l'Allemagne fonctionne aussi bien, c'est sans doute parce qu'elle compte un grand nombre de ces entreprises.
En France, les ETI peuvent-elles prospérer dans le cadre familial ? Faut-il faire confiance à des fonds d'investissement, tels que France Invest, pour faire grandir les entreprises françaises et éviter la prédation par des fonds étrangers ?
Mon dernier sujet concerne spécifiquement les CCI. Dans le Finistère, celles-ci sont très actives dans le domaine de la reprise et de la transmission des entreprises, par la mise en place de sessions de formation destinées aux repreneurs et par l'organisation d'opérations de mise en lien entre les cédants et les repreneurs.
Compte tenu des contraintes budgétaires induites par la réduction des ressources des CCI, avez-vous dû remettre en cause cette façon de faire ?
M. Philippe d'Ornano. - Les entreprises familiales sont-elles plus ou moins performantes ? En économie, il n'y a pas de vérité. Certaines entreprises familiales échouent, alors que des entreprises non familiales réussissent.
Les études mondiales sur le sujet convergent toutes vers l'idée que l'entreprise familiale compte de vrais atouts. Une étude menée par la société Oddo sur les entreprises familiales cotées a mis en avant une surperformance des entreprises familiales de 40 à 50 % sur le cours de bourse par rapport aux entreprises à capitaux dispersés dans tous les pays européens et au Japon.
Les entreprises familiales présentent un modèle de long terme. Elles font à la fois preuve de prudence et d'innovation, et valorisent énormément le capital humain.
Les fonds d'investissement sont-ils néfastes ? La réalité est plus complexe. Un investisseur peut aider une entreprise familiale. Par exemple, en cas de transmission difficile, il peut, en investissant dans l'entreprise de manière minoritaire, permettre à celle-ci de passer le cap pendant un certain temps, quitte à racheter de nouveau ses parts ensuite.
Tout est question de dosage. Le développement d'un grand nombre de ces entreprises dans l'économie nous semble assez favorable.
En période Covid, nous ne licencions pas. Nous avons été beaucoup aidés dans le cadre de cette crise ; cela a moins été le cas en 2009. Nous conservons nos équipes car nous avons déjà connu des crises et que nous savons que nous pouvons aller plus loin. C'est tout un état d'esprit que porte ce type d'entreprises.
M. Serge Babary, président. - La CCI peut-elle dire quelques mots de la baisse budgétaire ?
M. Christian Geissmann. - Pour répondre à votre question sur la formation, cela fait longtemps que je ne connais plus de chefs d'entreprise qui forcent leurs enfants à reprendre leur entreprise.
En matière d'orientation, l'École de management forme les futurs managers, notamment les managers familiaux, par le biais de formations qui durent plus d'un an.
Je vous remercie de m'avoir interrogé sur la partie budgétaire, étant trésorier depuis près de 10 ans. Les chefs d'entreprise des CCI ont su réagir aux baisses budgétaires. Nous avons malheureusement dû nous séparer de près de la moitié de nos collaborateurs.
Nous avons également conclu un accord avec l'État, qui inclut une orientation sur l'accompagnement de la transmission d'entreprise.
Depuis que je suis trésorier, les baisses budgétaires se succèdent. Nous avons su nous adapter, et nous n'abandonnerons pas la transmission, car nous croyons vraiment aux chefs d'entreprise.
M. Vincent Segouin, sénateur. - Je souhaite revenir sur la remarque de M. Canévet à propos du rapport Dutreil. En faisant le parallèle entre l'Allemagne et la France, il apparaît que l'Allemagne a tout misé sur l'entreprise de territoire.
Il faut que nous redéfinissions certaines notions. L'entreprise familiale envisagée comme transmise à un enfant ne donne pas lieu qu'à des réussites. Dans certaines PME, des enfants se sont vus contraindre de reprendre l'entreprise sans en avoir les qualités humaines.
Je pense qu'il vaut mieux parler d'entreprises de territoire. Lorsqu'un cadre est motivé pour reprendre une entreprise, la transmission peut s'effectuer de manière intelligente.
J'ai bien entendu vos propos sur les vertus des entreprises de nos territoires ; je les observe chaque jour. Ces entreprises permettent de nourrir les familles, elles tiennent lieu de partenaires pour l'alternance et l'apprentissage, etc.
Si nous en sommes convaincus, parce que nous avons une vraie appétence pour l'entreprise, ce n'est pas le cas de tous les citoyens. Plutôt que de toujours s'appuyer sur la loi, ne devrions-nous pas miser davantage sur la communication ?
En général, les Français n'ont pas de culture économique et ne connaissent pas le fonctionnement des entreprises. Ils partent du principe qu'il vaut mieux détenir une entreprise du CAC 40 qu'une entreprise de territoire.
En Allemagne, les PME sont devenues des ETI. En France, cette conversion pose un réel problème. La transmission de l'entreprise pourrait en être la principale cause.
M. Serge Babary, président. - Madame Caron, je vous demande de conclure, au titre de la CPME, sur le sujet de l'image des entreprises et des entrepreneurs auprès de nos concitoyens.
Mme Bénédicte Caron. - Il faut vraiment être convaincu que le pacte Dutreil est un très bon outil, et ne pas s'orienter vers une succession.
Lorsqu'on transmet une entreprise, on la fragilise énormément. Sans pacte Dutreil, le repreneur se retrouve pieds et mains liés pendant 10 ans au minimum.
La passation d'une entreprise dans un cadre familial est également une belle réussite pour un chef d'entreprise. Ce type de transmission s'effectue souvent dans des conditions plus favorables, car il permet de faire grandir des enfants, des proches, des salariés, etc.
M. Serge Babary, président. - Je vous remercie. Je propose aux intervenants de rester pour écouter les experts.
Table ronde sur la transmission d'entreprise « Les enjeux spécifiques de la transmission perçus par les experts » avec M. Jean-François Desbuquois, avocat associé du cabinet Fidal, membre du Cercle des fiscalistes et de l'Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF), M. Bernard Fraioli, président de l'Association des Cédants et Repreneurs d'Affaires (CRA), et M. Alain Tourdjman, directeur des études économiques et de la prospective en charge de BPCE L'Observatoire, du groupe Banque Populaire-Caisse d'Épargne (BPCE)
M. Serge Babary, président de la Délégation aux entreprises. - Nous allons aborder le deuxième temps de notre table ronde. Il s'agit désormais d'entendre des spécialistes de la transmission.
Maître Desbuquois, vous avez été sollicité par nos collègues dès 2016 dans le cadre du rapport de la délégation. Vous représentez aujourd'hui le Cercle des fiscalistes de l'Institut des Avocats Conseil Fiscaux (IACF).
Vous avez récemment signé une tribune dans laquelle vous alertez sur les conséquences d'une suppression des avantages fiscaux du pacte Dutreil suggérée dans une récente note du Conseil d'analyse économique.
Monsieur Alain Tourdjman, vous êtes directeur des études économiques et de la prospective du groupe Banque Populaire-Caisse d'Épargne (BPCE).
Vos études sont particulièrement utiles car elles sont à peu près les seules à fournir des analyses économiques complètes sur les transmissions d'entreprises en France.
Monsieur Bernard Fraioli, vous êtes président de l'Association des Cédants et Repreneurs d'Affaires (CRA). Il s'agit d'une association nationale à but non lucratif créée en 1985 qui vise à faciliter la transmission des TPE-PME, et ainsi à sauvegarder emplois et savoir-faire dans les territoires.
Je donne la parole à Maître Desbuquois.
M. Jean-françois Desbuquois, avocat associé, membre du Cercle des fiscalistes et de l'IACF. - Merci, Monsieur le Président. Il faut distinguer deux types de transmissions, qui sont très différents sur le plan économique, juridique et fiscal :
- les cessions familiales à titre gratuit ;
- les cessions à titre onéreux.
S'agissant des cessions à titre gratuit, les opérations sont restées relativement stables depuis la dernière audition à laquelle j'avais participé en 2018.
Si le dispositif Dutreil a été amélioré par la loi de finances de 2019, des difficultés d'application sont malheureusement survenues, car l'administration n'avait pas produit ses commentaires administratifs.
Il en a résulté une forme d'insécurité, qui a été levée il y a quelques semaines. Depuis le 21 décembre 2021, nous disposons en effet du mode d'emploi du nouveau pacte Dutreil.
Par ailleurs, la pandémie a quelque peu freiné les transmissions d'entreprises.
Nous observons toutefois des facteurs de rebond. Tout d'abord, les nouveaux commentaires du pacte Dutreil nous permettent d'utiliser celui-ci. De plus, la pandémie a provoqué un choc psychologique chez les chefs d'entreprise, qui les a conduits à réfléchir plus en amont à la problématique de la transmission.
En termes factuels, la seule information dont nous disposons est le nombre d'utilisations du pacte Dutreil chaque année. Environ 2 000 à 2 500 transmissions bénéficient d'exonérations annuellement. Cela correspond à des opérations très différentes :
- une transmission d'entreprise relativement petite détenue à 100 % par une personne qui transmet le capital et le pouvoir dans une seule opération : ce cas n'est pas le plus fréquent ;
- une transmission échelonnée dans le temps : le capital est transmis progressivement, à plusieurs moments de la vie du chef d'entreprise, et le pouvoir est transmis in fine ;
- la transmission d'une ETI ancienne détenue depuis plusieurs générations : dans ce cas, le capital peut être morcelé entre un grand nombre d'actionnaires familiaux, dont aucun n'est dirigeant.
S'agissant des dispositifs eux-mêmes, le pacte Dutreil a connu une évolution technique en 2019. De plus, nous allons pouvoir commencer à le faire fonctionner grâce aux nouveaux commentaires administratifs.
Je ne pense pas qu'une nouvelle réforme sur les conditions elles-mêmes soit nécessaire. En revanche, nous pouvons réfléchir aux taux d'exonération. Il ne serait pas très complexe d'augmenter les taux et ainsi d'améliorer la puissance fiscale du dispositif.
De plus, nous pourrions résoudre le problème technique d'articulation avec un régime de plus-value, qui gêne certains mécanismes d'application du pacte Dutreil.
Parallèlement à l'augmentation des taux et à l'amélioration de la durée des conditions, il faudrait peut-être créer un dispositif bis pour que deux voies soient possibles en fonction des choix du redevable.
Par ailleurs, le régime du paiement différé fractionné peut permettre d'étaler le paiement des droits de succession. Étant donné qu'il est très ancien et quelque peu archaïque, il faudrait probablement améliorer son champ d'application.
S'agissant de l'impôt sur le capital qui pèse sur les héritiers qui détiennent le capital, la suppression de l'ISF a arrangé les choses. De plus, moins de contraintes techniques pèsent sur les organisations et les fonctions dans l'entreprise.
En revanche, l'IFI continue à poser des difficultés dans les groupes de sociétés. L'application des exonérations ne fonctionne pas correctement lorsqu'on détient de l'immobilier et un groupe de plusieurs sociétés.
Deux autres dispositifs sont gênés par la fiscalité : le fonds de pérennité et la fiducie, qui est interdite par les dispositifs fiscaux. Ces dispositifs pourraient permettre d'accompagner la détention des entreprises par un groupe familial sur le long terme.
Enfin, lorsqu'il est question d'augmenter la fiscalité, en réalité ce ne sont pas les héritiers qui vont la supporter, mais l'entreprise, car ce sont les dividendes qui vont permettre aux héritiers de payer la fiscalité.
En ce qui concerne la transmission à titre onéreux, les ventes posent moins de difficulté. Le paiement forfaitaire unique sur les plus-values est assez simple et efficace pour les vendeurs.
Par ailleurs, il arrive assez souvent, lorsqu'une entreprise ne trouve pas de solution familiale, qu'elle soit vendue à un fonds d'investissement qui a besoin de s'associer avec des cadres dirigeants. En général, un accord nommé management package est conclu à ce moment-là, dans lequel les personnes sont associées au développement de l'entreprise.
Le Conseil d'État, par des arrêts du 13 juillet 2021, a changé la grille de lecture fiscale du sujet, et a créé une insécurité juridique sur tous les schémas en cours. Il faudra déterminer de quelle manière les dirigeants seront traités lorsqu'ils vendront leurs titres : plus-values ou traitements et salaires - les taux étant très différents.
De plus, la solution du Conseil d'État est très technique, et elle oblige à effectuer un découpage dans le temps, tranche par tranche, pour calculer des impôts et des dates d'exigibilité différentes. Il est probablement nécessaire que le législateur intervienne pour fixer un cadre juridique sécurisé et lisible pour l'avenir.
M. Serge Babary, président. - Monsieur Fraioli, vous pouvez peut-être nous donner le point de vue des repreneurs et des vendeurs.
M. Bernard Fraïoli, président de l'Association des Cédants et Repreneurs d'Affaires (CRA). - Lorsqu'on parle de transmission, on se réfère à des agrégats statistiques, qui ne correspondent pas exactement à l'objet dont nous nous occupons au CRA.
Je vais vous parler des entreprises TPE-PME du secteur industriel des services et du second oeuvre du bâtiment, qui comptent entre cinq et 100 salariés. Ces entreprises sont des employeurs très significatifs dans les territoires. Pour autant, on en parle peu lorsqu'elles ne sont pas reprises.
Les repreneurs ont en moyenne entre 45 et 48 ans. Ils sont en général diplômés du supérieur et ont mené une belle carrière. Ceux-ci décident, parfois contraints et de plus en plus par vocation, de reprendre une affaire. Ils injectent entre 300 000 euros et 1 million d'euros d'apport, et prennent donc des risques personnels importants.
Le marché est estimé à 80 000 entreprises, pour 1 million d'emplois environ. Entre 7 000 et 9 000 transmissions ont lieu chaque année. La transmission est d'une façon générale un « angle mort » : on parle énormément de créations, mais peu de transmissions.
Il s'agit également d'un « angle mort » sur le plan politique. Notre président est porteur de la Start up nation, mais la transmission des entreprises constitue un « angle mort » total. Je pense qu'il faut valoriser ces transmissions, que je qualifierais de « quasi-familiales ».
Ce marché souffre de deux problèmes structurels, le premier étant le déséquilibre entre l'offre et la demande. Une étude a été effectuée sur 720 transmissions. Parmi celles-ci, on compte 2,5 repreneurs pour une entreprise.
Toutefois, ce chiffre correspond à un repreneur pour quatre entreprises en Ile-de-France, et à un repreneur pour une entreprise dans la région Centre. Nous faisons face à un vrai problème de mobilité de la part des repreneurs, qui a pour conséquence que certaines entreprises ne trouvent pas preneurs.
Hors des métropoles ou de leur zone d'influence, les gens se déplacent relativement peu. 54 % des repreneurs restent dans leur département. Dans la région Bretagne, 94 % des Bretons restent dans la région.
Les enjeux sont importants, car ces entreprises peuvent employer 50 personnes et réaliser 6 ou 7 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Le deuxième problème structurel que nous constatons est celui de l'absence d'anticipation de la part des cédants. Certaines entreprises sont cédées trop tardivement, ou ne sont pas cédées du tout, faute de préparation. Nous essayons de lutter contre ce manque d'anticipation.
Le CRA a ainsi lancé un programme à destination des futurs cédants afin qu'ils soient informés par un expert-comptable et un juriste sur la feuille de route qu'ils doivent mettre en oeuvre.
Néanmoins, les futurs cédants ne se déclarent pas de manière spontanée. Pour les rechercher, nous utilisons le fichier des entreprises « Diane » du CRA. En fonction de certains paramètres (situation nette de l'entreprise, etc.), nous identifions les entreprises qui pourraient être vendes.
Toutefois, étant donné qu'il est possible de ne pas publier les comptes des entreprises en-dessous d'un certain chiffre d'affaires, notre fichier a diminué de moitié (500 000, contre un million auparavant).
Si cette mesure n'est pas remise en cause, nous souhaiterions au moins que soit rendue obligatoire une publication allégée, qui nous permettrait de travailler sur ces fichiers.
Je pense que les organismes patronaux ont un rôle à jouer en matière d'anticipation. J'ai tenté de convaincre ceux que j'ai rencontrés d'en parler davantage avec leurs adhérents, mais je n'ai malheureusement pas obtenu satisfaction.
Je souhaite également aborder les aspects juridiques et fiscaux des entreprises que nous connaissons. Les outils dont nous disposons aujourd'hui se sont fortement améliorés, même s'ils restent complexes pour les petites entreprises.
Voici quelques suggestions que nous souhaiterions faire en la matière :
- harmoniser le statut social du dirigeant et la fiscalité entre la SARL et la SAS ;
- prévoir un avantage fiscal pour le repreneur, en lien avec le montant de son apport personnel ;
- élargir l'accès au dispositif ACRE ;
- supprimer l'obligation d'information des salariés du projet de cession (articles 18 et 19 de la loi Hamon) ;
- créer un chèque conseil pour les TPE ;
- laisser un délai de franchise de trois ans au cédant d'entreprise avant de réintégrer les actifs immobiliers professionnels dans le cadre de l'IFI ;
- exonérer de plus-value les sommes laissées dans l'entreprise par un cédant pendant 36 mois.
M. Serge Babary, président. - Merci pour ces éléments. Je vais donner la parole à M. Tourdjman pour qu'il évoque l'aspect économique global ainsi que l'analyse et l'évolution des transmissions.
M. Alain Tourdjman, directeur des études économiques et de la prospective du groupe Banque Populaire-Caisse d'Épargne (BPCE). - Je vous propose d'évoquer deux points.
Le premier est relatif au constat que nous dressons à propos de la base de données. Nous observons une baisse de 19 % des opérations de cession entre 2010 et 2019, ce qui montre que l'idée selon laquelle le vieillissement des dirigeants conditionne le nombre de cessions est fausse. En revanche, il existe un lien de causalité entre la reprise et le rajeunissement des dirigeants au sein d'une même zone territoriale.
De plus, les situations où la cession dépend avant tout de la taille de l'entreprise occupent une place de plus en plus importante. En effet, la baisse des cessions a principalement touché les plus petites entreprises au cours des 10 dernières années.
L'année 2020 a marqué de son empreinte les cessions transmissions, puisque celles-ci ont diminué de 16 %. Cette baisse, qui est en partie conjoncturelle, est toutefois révélatrice. Au sein de ces cessions, la part des opérations nommée « fusion cession » a augmenté de manière très significative.
Dans cette situation, nous avons ouvert la porte à un vieillissement généralisé des dirigeants, en particulier de PME.
Cela m'amène à mon deuxième point, qui est une alerte. En 2005, 15 % des dirigeants de PME avaient plus de 60 ans, contre 25 % aujourd'hui ; 5,5 % des dirigeants avaient 66 ans et plus, contre plus de 11 % aujourd'hui.
Une proportion significative de PME se trouvent donc en danger de ne jamais être reprises. Nous le voyons en particulier par le rapprochement entre les intentions de cessions et les réalisations de cessions.
La proportion de dirigeants de PME ayant entre 30 et 55 ans qui souhaitent céder est à peu près équivalente à celle de ceux qui parviennent à céder. Au-delà de 65 ans, il existe un rapport d'un à deux entre ceux qui souhaitent céder et ceux qui parviennent à le faire.
Le sujet économique relatif à la cession transmission ne concerne donc pas uniquement la cession transmission globale, mais la cession transmission en fin d'activité professionnelle.
L'écart entre le besoin et la réalisation est considérable. De plus, il a des effets délétères sur les entreprises au niveau microéconomique et sur l'ensemble du tissu productif de façon macroéconomique.
Au niveau microéconomique, un dirigeant qui souhaite céder a tendance à se désendetter et à désinvestir. Si cette période dure un an ou deux, les conséquences pour l'entreprise ne sont pas trop graves.
Toutefois, compte tenu de la grande difficulté des dirigeants âgés à céder, cette période peut parfois durer jusqu'à 10 ans. Or pendant cette longue période où un chef d'entreprise n'investit pas et ne développe pas de nouveaux projets, l'entreprise perd de la valeur et devient de moins en moins vendable. La probabilité de la céder est donc amenée à diminuer.
Au niveau macroéconomique, dans la mesure où 25 % des dirigeants de PME ont plus de 60 ans, cette pratique se diffuse à une part de plus en plus importante du tissu de PME en France, ce qui a tendance à peser sur le taux d'investissement global des PME.
Étant donné que très peu de travaux exhaustifs ont été effectués sur la transmission familiale, la plupart des critiques qui portent sur ces transmissions sont faites sur la base d'éléments pointillistes.
Les travaux que nous avons menés entre 1995 et 1997 ont mis en perspective l'ensemble des transmissions familiales et l'ensemble des autres transmissions. Nous avons mis en évidence un taux de survie des transmissions familiales de 20 % supplémentaires par rapport aux autres transmissions.
En France, la transmission familiale n'est pas automatique. Elle est liée à la compétence et à l'appétence ; c'est pour cette raison qu'elle n'est pas aussi fragile que dans d'autres pays, où elle est automatique. Il s'agit donc d'un atout, d'autant plus important que cette transmission joue un rôle majeur dans certains territoires.
Notre pays est un peu trop centré sur l'idée de la création. Cela conduit à une fragmentation généralisée du tissu productif et va à l'encontre de la croissance interne des entreprises. Parallèlement, le nombre de repreneurs d'entreprises existantes et rentables s'avère insuffisant.
Il existe un écart important entre le nombre d'entreprises qui devraient être reprises et le nombre de repreneurs, ces derniers s'intéressant aux mêmes entreprises.
M. Serge Babary, président. - Merci, Monsieur Tourdjman. Je me tourne vers les rapporteurs.
M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Alors que le pacte Dutreil est critiqué par un certain nombre d'économistes, je souhaiterais connaître le sentiment de nos intervenants sur le sujet. Parmi les éléments qui sont invoqués se trouve le fait que les entreprises familiales n'ont pas de raison d'être privilégiées en France.
Monsieur le Directeur, vous avez évoqué le fait que la proportion de dirigeants âgés est plus importante aujourd'hui. Est-ce véritablement un problème ?
Avec la Délégation aux entreprises, nous nous sommes récemment rendus dans l'Orne pour visiter l'entreprise Fréon élagage, où nous avons rencontré un dirigeant d'un certain âge qui a organisé sa succession. Est-il possible d'identifier de façon plus qualitative le nombre de dirigeants qui ont préparé leur succession ?
Maître, je souhaiterais vous interroger sur les holdings animatrices dans le cadre du pacte Dutreil. Il semblerait que la législation ne soit pas suffisamment précise et qu'elle prête à interprétation dans le cadre des contrôles fiscaux. Partagez-vous cette inquiétude ?
M. Alain Tourdjman. - En réponse à la première question, le cas que vous évoquez n'est pas exceptionnel et correspond à un grand nombre d'entreprises. Dans le cadre de la transmission familiale, il arrive que le dirigeant devienne non exécutif avec le temps, et qu'il reste beaucoup plus longtemps.
Le fait qu'un dirigeant soit très âgé dans le cas où une transmission familiale a été prévue est tout à fait normal et compréhensible.
On compte moins de 20 % de transmissions familiales dans le total des transmissions en France. Or ces 20 % s'appliquent à une proportion beaucoup plus grande d'entreprises qui n'ont pas été cédées. Pour cette proportion-là, la logique de l'âge doit être considérée de façon complètement différente.
Dans la mesure où l'on a déjà intégré quelqu'un dans l'entreprise pour assumer progressivement des responsabilités croissantes, le fait que le dirigeant ait plus de 70 ans ne constitue absolument pas une fragilité. Il ne s'agit toutefois malheureusement pas d'une généralité. Les statistiques montrent en effet une fragilisation des entreprises lorsque le dirigeant devient âgé.
Une entreprise intergénérationnelle se projette dans un temps long. Le fait que le dirigeant soit âgé n'empêche pas le développement de l'entreprise, puisque celui-ci sait que la reprise est assurée, et que l'horizon de l'entreprise n'est pas le sien, mais celui des diverses générations qui font la vie de l'entreprise.
Malheureusement, la majorité des PME ne sont pas concernées par des transmissions familiales. Dans ce cas, il faut examiner la situation de près.
M. Jean-François Desbuquois. - Je vais tenter de répondre aux autres questions. Tout d'abord, les rapports récents et moins récents qui ont critiqué le pacte Dutreil émanent souvent des mêmes auteurs.
De plus, les fondements que l'on y trouve sont souvent des statistiques ou des études anciennes, à une époque où le pacte Dutreil n'existait pas.
En outre, le but poursuivi par ces études manque souvent de clarté. Celles-ci soutiennent que la transmission familiale ne serait pas favorable, à l'inverse de la transmission à un tiers ; or les études de M. Tourdjman ont démontré le contraire.
De multiples études internationales ont également mis en avant le fait qu'une entreprise familiale est plutôt plus rentable et plus pérenne dans le temps, étant donné qu'elle a un modèle de long terme et qu'elle consomme moins de capitaux.
Quant à la compétence des héritiers qui serait supposée plus faible, celle-ci n'a jamais été démontrée par personne.
S'agissant du dernier argument concernant les rentrées fiscales attendues par une suppression du pacte Dutreil, le Comité d'analyse économique a réalisé des prospectives très différentes de celles qui figurent dans l'annexe « voies et moyens de la loi de finances », selon lesquelles le coût du pacte Dutreil s'élève à 500 millions d'euros par an.
Les droits de donation en France s'établissent à 17,5 milliards d'euros. L'enjeu est donc très faible. Le fait de remettre en cause les transmissions familiales pour 500 millions d'euros peut ainsi être légitimement questionné.
Si le pacte Dutreil était supprimé, nous ferions face à une situation similaire à celle que nous avons connue entre 1984 et 2000. Le barème des droits de succession était à peu près équivalent à celui d'aujourd'hui ; or il s'agit d'un des barèmes les plus lourds du monde.
En France, l'héritier en ligne direct est taxé à hauteur de 45 % au-delà de 1,8 millions d'euros. Sans le pacte Dutreil, il est donc presque impossible de transmettre une entreprise familiale.
Le sujet des holdings animatrices est un peu technique. Très souvent, le statut d'une société de tête qui détient des groupes de sociétés a des conséquences sur l'application du pacte Dutreil. La qualification de holding animatrice n'est pas d'une clarté absolue.
Nous en avions déjà discuté avec la délégation en 2016-2017. Vous aviez d'ailleurs soutenu un projet de clarification légale du statut, qui in fine avait été rejeté par l'Assemblée nationale. Depuis, la jurisprudence a fait son oeuvre ; celle-ci a clarifié une partie des problèmes, mais pas tous.
Il reste des enjeux résiduels, notamment dans le cas où la holding détient des participations dans des sociétés industrielles, mais aussi dans d'autres domaines (des immeubles d'exploitation, les marques du groupe, etc.). Dans ce cas, l'administration fiscale se montre très incisive. Si elle déqualifie la holding animatrice, elle donne également lieu à la suppression du pacte Dutreil.
La Cour de Cassation et le Conseil d'État sont désormais d'accord pour acter que la holding animatrice est unique et qu'elle doit s'appliquer pour tous les impôts. Il serait donc possible de lui conférer un statut plus sécurisé pour les redevables.
M. Serge Babary, président. - Monsieur Fraioli, pouvez-vous faire quelques commentaires sur le pacte Dutreil ?
M. Bernard Fraïoli. - Ce serait une folie de le supprimer si cette suppression n'était pas accompagnée par une annulation des droits de succession.
Lorsque les entreprises ne sont pas transmises au sein de la famille, elles peuvent être transmises à une autre famille. Une entreprise transmise à un repreneur personne physique reste une entreprise familiale, qui est gérée de façon efficace dans la plupart des cas.
Nous avons parlé de la question de l'âge. Pour ma part, j'ai 73 ans. Si je détenais encore mon entreprise, j'en serais toujours aux commandes. Néanmoins, je m'interrogerais sur le sujet de la transmission.
Il faut anticiper la question de la transmission, et avoir conscience du chemin à parcourir. De multiples problèmes se posent : l'organisation juridique de la société, la séparation de l'immobilier et de la société d'exploitation, etc.
M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - Une remarque a été faite selon laquelle la France compte 1,5 million de créations d'entreprises, et moins de reprises.
Cela signifie-t-il que les dispositifs de reprise ne sont pas aussi performants que ceux de la création ? Faut-il renforcer les dispositifs incitatifs (fiscaux et juridiques), notamment pour les repreneurs français, afin d'éviter les prédations ?
S'agissant de la reprise par des salariés, faut-il créer un nouveau statut juridique afin de faciliter le processus ? Manque-t-il des dispositifs incitatifs pour rassurer les salariés quant à une éventuelle reprise ?
M. Jean-François Desbuquois. - À mon avis, l'un des points que j'ai évoqués tout à l'heure peut concerner la reprise par les salariés : il s'agit de la reprise par les managers associés à un fonds d'investissement.
La reprise par les salariés de l'ensemble d'une société se produit parfois, mais elle n'est pas très fréquente, car elle suppose de mobiliser tous les salariés pour investir dans le capital.
En revanche, un autre schéma est devenu beaucoup plus fréquent, dans lequel un groupe de cadres ou de dirigeants d'une société reprend cette société. Étant donné qu'il s'agit d'une cession à titre onéreux, ces cadres sont obligés de s'associer à des fonds d'investissement pour financer le rachat.
C'est ce type de deal qu'il faudrait favoriser, car il s'agit d'un trait d'union entre une première famille et une autre famille plus tard. L'opération avec le fonds d'investissement dure en général quatre ou cinq ans ; parfois, une deuxième opération a lieu avec un autre fonds ; puis le processus peut se terminer de deux façons : soit un autre groupe industriel rachète, soit les managers se renforcent au capital, redeviennent majoritaires et prennent la succession.
Le mécanisme de LBO (leveraged buy-out ou rachat avec effet de levier) est un schéma de transmission au profit des salariés. Il faut absolument stabiliser le régime fiscal, qui a été fortement mis en cause par les décisions du Conseil d'État cet été. Il faut déterminer si un cadre qui revend sa participation en même temps que le fonds d'investissement sera taxé à 30 % au PFU (prélèvement forfaitaire unique) ou en traitements et salaires par le biais des prélèvements sociaux.
M. Alain Tourdjman. - Nous devons proposer une sensibilisation à la reprise, car dans de nombreux cas, les créateurs ne savent même pas que cette option existe. Certains créateurs pourraient se voir proposer des formations ou des opportunités de reprise. Il suffirait de sensibiliser 1 à 5 % des créateurs pour équilibrer le marché.
Vous avez également évoqué le sujet des salariés repreneurs. La seule loi visible qui a été instaurée concernant la reprise par les salariés est la loi Hamon, qui est négative et punitive. Ne pourrions-nous pas la remplacer par une loi positive qui favoriserait la reprise à différents niveaux (formation, soutien, relations avec des fonds, etc.) ?
Il pourrait s'agir d'une forme de pacte Dutreil « bis » dégradée, qui permettrait la transmission en interne dans l'entreprise. Ce serait un moyen de porter à la connaissance des dirigeants le fait que certains salariés ont une aspiration, une capacité et une ambition pour reprendre l'entreprise.
M. Bernard Fraïoli. - De mon point de vue, les repreneurs personnes physiques sont aujourd'hui suffisamment nombreux, avec 2,5 repreneurs pour une entreprise. Le problème auquel nous faisons face est celui de la répartition des repreneurs sur certaines zones du territoire.
Si l'on ne parvient pas à vendre, il faut privilégier une solution familiale ou avec les salariés ; encore faut-il toutefois qu'elle soit possible.
Les personnes qui créent une entreprise n'ont pas nécessairement le profil ou les fonds pour en reprendre une. La création nécessite en général peu de capitaux. Les populations concernées sont les jeunes, très attirés par la start up, et les auto-entrepreneurs, pour lesquels la solution de l'entrepreneuriat est une solution économique viable.
Le chiffre de 100 000 créations ne veut rien dire. Il faudrait isoler les entreprises qui ont un concept susceptible d'être véritablement développé. Il n'est donc pas complètement anormal que l'on dénombre peu de cessions parmi les toutes petites entreprises.
Pour effectuer une reprise, il faut apporter 150 000 euros au minimum. On peut commencer à parler de reprise pour des entreprises qui ont un potentiel à partir de 300 000 euros. Les personnes physiques qui reprennent sont des cadres supérieurs qui ont occupé de beaux postes et qui ont épargné.
Dans le domaine de la création, on trouve des start up qui donnent lieu à une levée de capitaux importante à partir d'une simple idée et l'option de l'auto-entrepreneuriat, qui constitue une planche de salut.
Dans le domaine de la reprise, on trouve les petites entreprises non cessibles et les micro-caps, qui ne doivent pas disparaître lorsqu'elles sont viables. L'offre et la demande ne se rejoignent pas parfaitement. La fusion-acquisition constitue un autre domaine.
En tant que président du CRA, je milite pour bien accompagner la transition de ces petites et moyennes affaires viables, afin qu'elles ne disparaissent pas et qu'elles soient transmises à temps.
De plus, il faut encourager les repreneurs, car ils investissent des fonds importants, se lèvent tôt le matin et ne disposent pas d'un statut social très fort. Je propose notamment de leur accorder un avantage fiscal en lien avec le rapport.
Aucun avantage fiscal n'est proposé aux personnes qui investissent 500 000 euros et qui risquent de les perdre. Pour encourager la reprise d'entreprise, il faut créer un avantage de ce type.
Une entreprise qui a une vraie valeur sera toujours mise sur le marché. Toutefois, il est risqué de la mettre sur le marché trop tard. De plus, en cas de défaut de préparation, l'opération risque de bloquer. Il faut donc préparer l'entreprise pour la rendre cessible et viable.
M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Je vis en Haute-Saône, qui est un département rural et pourtant très industriel, par la présence de nombreuses petites et moyennes entreprises familiales.
Dans la première table ronde, nous avons entendu la nécessité de mettre en place des indicateurs de suivi de la transmission d'entreprises, qui manquent dans notre pays.
L'anticipation par les chefs d'entreprise de la transmission de leur entreprise comporte un aspect très privé. On n'a pas envie, lorsqu'on transmet son entreprise, de le communiquer trop ouvertement. En même temps, en l'absence de communication, il est difficile d'obtenir des interlocuteurs.
De quelle manière pouvons-nous inciter les chefs d'entreprise à anticiper leur volonté de transmission d'entreprise par le biais d'une communication ? Dans le monde agricole, il existe un registre départemental des transmissions d'entreprises, dans lequel on peut s'inscrire pour communiquer sur sa volonté de transmettre son exploitation.
Enfin, ne disposons-nous pas déjà d'un outil de transmission avec le pacte Dutreil ? Il faudrait peut-être travailler sur des modalités différentes de transmission de l'entreprise, en ajoutant notamment quelques conditions : salariés disposant des compétences, de l'ambition et de l'ancienneté nécessaires dans l'entreprise ; prise en compte des associés ; extension du degré de parentalité (neveux/nièces, cousins/cousines), etc.
Un intervenant. - Effectivement, le nombre d'indicateurs est très peu élevé. L'information sur les transmissions familiales n'est pas nécessairement facile à capter. Certaines sont visibles par le biais de bases de données officielles, ou en cas de changement de dirigeant, mais ce n'est pas toujours le cas. Dans une grande ETI de 500 actionnaires, les donations et les successions s'effectuent sans changement de dirigeant.
Il faudrait identifier ce que nous souhaitons suivre exactement, car ces transmissions sont toutes différentes et elles ont toutes un impact sur l'économie. L'administration fiscale aurait certainement des possibilités de le faire, en extrayant des données des actes et en les synthétisant.
La question de l'anticipation constitue le fond du problème. Il faut anticiper la cession à titre onéreux et la transmission familiale. Le pacte Dutreil présente l'avantage d'obliger un dirigeant à mettre en place un engagement collectif de son vivant et avant la transmission. Néanmoins, tout le monde ne le fait pas, ou trop tard.
Tous les acteurs peuvent jouer un rôle dans l'anticipation et la sensibilisation (les chambres de commerce, les conseils, les experts-comptables, les notaires, les avocats, etc.). Il faudrait peut-être renforcer cette action, par exemple par la mise en place d'un chèque conseil destiné aux chefs d'entreprise à partir d'un certain âge.
Enfin, la diffusion du pacte Dutreil à l'extérieur du cercle restreint est déjà possible. Les effets du pacte Dutreil utilisé de son vivant sont tellement puissants qu'ils réduisent le taux d'imposition quel que soit le taux de départ.
Avec le pacte Dutreil, une transmission à une personne de sa famille entraîne un taux d'imposition de 5,5 %, et une transmission à une personne ne faisant pas partie de sa famille, un taux de 7 %. Le delta n'est donc pas très significatif. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'un chef d'entreprise qui n'a pas de descendant donne du capital à un salarié afin que ce dernier reprenne son entreprise.
M. Bernard Fraïoli. - J'ai le sentiment que les propos se focalisent de manière excessive sur la création et la transmission familiale. Si la transmission familiale est certes importante, ce n'est toutefois pas la seule solution.
Certains d'entre vous évoquent également la transmission aux salariés en tant que « bouée de sauvetage. » J'insiste sur le fait qu'il existe d'autres modalités de transmission à des personnes physiques, qui permettent à l'entreprise de conserver un contexte familial.
De nombreuses personnes de valeur y sont intéressées, et il convient de les accompagner. Il faut résoudre les problèmes structurels, notamment en incitant la mobilité.
Il serait encore mieux de supprimer les droits de succession dans le cadre de la transmission familiale. La France a pour caractéristique de mettre en place des procédures compliquées, qui sont très dommageables pour les petites entreprises. Si nous voulons aider à la survie des entreprises, il faut régler cet énorme problème.
Je souhaite également faire deux propositions relatives à l'anticipation. J'ai notamment évoqué l'idée d'un chèque TPE. En tant que repreneur, vous pouvez aussi faire financer votre formation par le CPF. Dans le cadre de CREA Formation, nous organisons des formations de trois semaines pour les repreneurs, d'un montant de 1 900 euros, qui sont entièrement financées par le CPF.
Pour les cédants, il n'existe aucun dispositif. Nous pourrions envisager de diffuser un chèque transmission, qui permettrait de mettre en avant la nécessité de l'anticipation.
De plus, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, le fait de ne pas pouvoir publier ses comptes pose problème. Il est possible de toucher les personnes de 50-55 ans à condition d'avoir accès à des publications de comptes allégées. Il faudrait peut-être revenir en partie sur la loi qui a été élaborée pour protéger les entreprises de leurs concurrents en matière de visibilité.
Nous travaillons avec une base de données « Diane » des entreprises, dont le nombre est passé d'un million à 500 000, et nous procédons à un tri.
M. Serge Babary, président. - Monsieur Tourdjman, pouvez-vous dire quelques mots de la question des sources et des fichiers ?
M. Alain Tourdjman. - Il est difficile de rassembler des données relatives aux indicateurs, même si nous nous y employons depuis 10 ans. La première problématique réside peut-être dans la nécessité que ces statistiques soient écoutées et relayées. Il faudrait sans doute commencer par donner plus de visibilité aux travaux sérieux qui sont réalisés sur le sujet.
À une certaine période, je m'étais rapproché du Ministère de l'Industrie et des administrations pour obtenir des données et des sources fiscales anonymisées et globales. La personne qui s'occupait à l'époque des cessions transmissions au Ministère m'avait indiqué qu'elle-même n'avait accès à aucune information de la part de Bercy. Peut-être est-ce en train d'évoluer.
En ce qui concerne la base « Diane », sa représentativité était satisfaisante au-delà de 20 salariés. Avec la possibilité de non publication des comptes, la situation s'est encore dégradée. Cette base reste toutefois l'une des plus exhaustives.
Effectivement, l'incapacité de publication des comptes pose un problème de compréhension. Le fait que le Bodacc (bulletin officiel des annonces civiles et commerciales) donne accès à ces données en open source est une bonne nouvelle. Il est toutefois compliqué de faire acter des indicateurs de façon régulière et d'être entendu sur le sujet.
Il faut aussi comprendre que ce problème touche les TPE, en plus des PME. M. Fraioli affirme implicitement qu'il n'est pas grave qu'une entreprise artisanale disparaisse, car une autre prendra sa place. Or, cela peut ne pas être le cas, car des savoir-faire risquent d'être perdus.
Nous assistons à une disparation de l'artisanat d'art dans certains métiers traditionnels. Pour ce type de métiers, nous ne trouvons pas toujours des repreneurs. Il se pose là un problème amont de formation des jeunes et un problème aval lié aux capacités de reprise.
Selon moi, le sujet peut donc concerner aussi les petites entreprises. Statistiquement, les repreneurs sont trop peu nombreux par rapport au nombre de cédants potentiels.
M. Vincent Segouin. - Je prends acte de tous les propos qui ont été exprimés. D'un point de vue macroéconomique, il est dommage de réaliser une création à partir de zéro plutôt que de reprendre une entreprise déjà existante. Les pouvoirs publics se sont toujours tournés davantage vers la création plutôt que la reprise ; nous l'avons bien compris ce matin.
J'identifie aussi peut-être une faute de l'entreprise, qui a délaissé la formation à une certaine période. Je suis toujours sidéré de constater dans mon territoire que l'Éducation nationale vit en parallèle du monde de l'entreprise, sans synergie ni connexion.
Monsieur Fraioli, vous invoquez la nécessité impérative de mettre en place une incitation fiscale pour les personnes qui investissent des biens personnels dans le capital social de l'entreprise. Sauf erreur de ma part, un tel outil existe déjà : lorsque vous réalisez un apport personnel dans un capital social, vous pouvez le déduire à hauteur de 25 %. Je souhaiterais une précision sur ce point.
M. Bernard Fraïoli. - Un certain nombre de dispositifs existent. Celui dont je parle serait un dispositif supplémentaire permettant d'aller plus loin. Il serait très satisfaisant qu'un avantage fiscal à hauteur de l'apport personnel du repreneur soit mis en place.
L'ensemble des dispositifs actuels et des décisions qui ont été prises au cours des dernières années sont allés dans le bon sens. Nous évoluons dans un contexte où il persiste des difficultés d'application sur le plan fiscal, mais nous avons également réalisé de grands progrès.
J'introduis simplement une nouvelle idée dans la discussion, entre la reprise familiale et celle qui est faite par les salariés, et qui concerne des entreprises à fort potentiel.
Je souhaite préciser à Monsieur Tourdjman que je n'exclus pas les TPE de mon schéma. J'affirme simplement qu'un certain nombre d'entre elles ne sont pas transmissibles.
Nous faisons face à un déséquilibre entre l'offre et la demande, car les compétences manquent. La meilleure solution pour la transmission des métiers d'art consiste à former son propre successeur sur le terrain.
M. Serge Babary, président. - Je vous remercie pour vos interventions et pour votre expérience partagée.
La réunion est close à 12 h 41.