COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mardi 17 novembre 2020
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales du Sénat -
La réunion est ouverte à 19 h 30.
Commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 s'est réunie au Sénat le mardi 17 novembre 2020.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, qui est ainsi constitué : Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente ; Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat ; et M. Thomas Mesnier, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente. - Malgré l'adoption par le Sénat, exceptionnelle ces dernières années, de l'ensemble des articles obligatoires, dont les tableaux d'équilibre des différentes branches, et l'adoption conforme de plus de 40 articles, 125 restent en discussion.
Les points de désaccord, s'ils ne sont pas aussi nombreux, sont suffisamment importants pour rendre, à mes yeux, difficile l'élaboration d'un texte de compromis entre nos deux assemblées. Pour n'en citer que quelques-uns, les désaccords sur le financement des investissements hospitaliers par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ou sur la question des retraites suffiraient à nous empêcher d'aboutir.
La commission des affaires sociales du Sénat s'est aussi émue de la présence, dans le texte déposé par le Gouvernement, d'articles qui n'y ont manifestement pas leur place : je pense en particulier à l'article 42 relatif au recours à certaines pratiques de soins en psychiatrie. Comment justifier que les parlementaires soient soumis aux dispositions de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale quand le Gouvernement s'en affranchit ? Cette question devra être tranchée par le Conseil constitutionnel.
Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente. - Nous venons ici avec beaucoup d'espoirs, mais l'expérience des années passées ne nous incite guère à l'optimisme sur l'issue de cette CMP, même si le Sénat, à la différence de l'année dernière, a adopté un texte en première lecture... Mais je laisse le soin à nos rapporteurs de nous présenter les points d'accord et de désaccord.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le Sénat a adopté cet après-midi même une version modifiée du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Dans ce propos liminaire, je me contenterai de souligner les principales convergences et différences d'approches entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Je ne sais pas si la CMP pourra être conclusive, car les désaccords sont trop nombreux. Toutefois, nous avons intérêt à marquer des points de convergence sur certains sujets, quitte à diverger parfois avec le Gouvernement. Il est important que nos assemblées montrent leur indépendance et que le Parlement existe.
Je commencerai par les points communs. Le Sénat a approuvé dans leur principe les mesures d'urgence mises en oeuvre cette année et dont la ratification était demandée. De même, il a approuvé les diverses mesures de soutien à l'économie proposées pour faire face au couvre-feu et au confinement. C'était indispensable pour maintenir l'économie à flot. Constatant la forte dégradation de l'activité économique et la nécessité que la sécurité sociale joue pleinement son rôle de protection des Français, le Sénat a approuvé les tableaux d'équilibre et l'ensemble des articles obligatoires de ce PLFSS, malgré les déficits historiques que ceux-ci affichaient.
Au-delà de la simple urgence, je souligne que notre assemblée a également approuvé d'autres mesures contenues dans ce projet de loi, comme l'allongement du congé paternité, la pérennisation des maisons de naissance, le versement anticipé des primes de naissance, ou encore l'article 16, qui prévoit le transfert de crédits pour financer la cinquième branche consacrée à la dépendance. De plus, nous avons repris la quasi-intégralité des mesures antifraude introduites par l'Assemblée nationale et substantiellement complété ce volet en adoptant des amendements déposés sur mon initiative ou sur celle de Mme Goulet, qui avait rédigé un rapport sur le sujet, à la demande du Premier ministre, avec Mme Carole Grandjean.
En revanche, le Sénat a exprimé une forte divergence avec le Gouvernement - et avec le texte adopté par l'Assemblée nationale - sur la suite de la trajectoire financière de la sécurité sociale. À nos yeux, l'affichage de déficits supérieurs à 20 milliards d'euros jusqu'en 2024 n'est ni acceptable ni même supportable par la sécurité sociale. En effet, le plafond de déficits transférables à la Cades que nous avons voté l'été dernier risque d'être atteint dès 2023, voire 2022. Nous en avons tiré une conséquence symbolique pour affirmer, au sein du rapport pluriannuel annexé à l'article 24, qu'il sera nécessaire d'amorcer un retour vers l'équilibre des comptes de la sécurité sociale dès que la situation économique le permettra, sans doute d'ici à deux ou trois ans. Et nous en avons surtout tiré des conséquences concrètes en adoptant plusieurs mesures qui nous ont semblé nécessaires pour y parvenir.
Tout d'abord, le Sénat a considéré qu'il importait de ne pas lester la sécurité sociale de charges qui ne sont pas les siennes. À défaut, ses déficits, déjà très élevés, seraient artificiellement majorés, ce qui se traduirait à l'avenir par un surcroît d'efforts demandés aux assurés. C'est pourquoi nous avons adopté trois amendements : le premier prévoit la compensation du budget réel de Santé publique France, qui est passé en un an de 158 millions d'euros à 4,8 milliards d'euros ; le deuxième annule les mesures de non-compensation votées pour respecter les principes du rapport Charpy-Dubertret, fondées en grande partie sur le constat que la sécurité sociale était revenue durablement à l'équilibre - cela représente plus de 4 milliards d'euros par an ; et, enfin, un troisième amendement supprime l'article 27 sur la dette hospitalière, dans la droite ligne de notre position de juillet : les hôpitaux étant la propriété de l'État et non de l'assurance maladie, il appartient à l'État de porter cette dette. La Cades n'a pas vocation à devenir un fonds d'investissement au service de l'hôpital.
Bien entendu, cette remise en ordre des responsabilités financières respectives de l'État et de la sécurité sociale ne suffira pas, à elle seule, à ramener les comptes dans le vert. Des réformes, dûment calibrées, seront également nécessaires. C'est en ce sens que le Sénat a adopté un amendement qui prévoit la réunion de la conférence des financeurs de la branche vieillesse et, en l'absence d'accord sur les retraites d'ici à un an, des mesures paramétriques sur l'âge de départ et le nombre de trimestres nécessaires pour un taux plein.
De même, tout en approuvant la création de la branche autonomie, nous avons considéré qu'il n'était pas possible d'éluder la question de son financement. Là encore, une conférence de financement devrait se réunir dès le début de l'année prochaine.
Tels étaient, en résumé, les principaux points de divergence entre nos deux assemblées. Il me semble que, sans une approche commune de ces questions, il ne sera pas possible d'élaborer un texte commun, à regret...
M. Thomas Mesnier, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Au terme de l'examen en première lecture par nos deux assemblées, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui comptait 51 articles initialement, comprend désormais 42 articles adoptés conformes et 125 articles encore en discussion. Le Sénat a supprimé 11 articles adoptés par l'Assemblée nationale et ajouté 67 nouveaux articles. Au-delà de cet aspect statistique, cette première lecture laisse apparaître trois types catégories de dispositions à ce stade de la discussion.
Une première série comporte les dispositions, qu'elles aient été adoptées conformes ou non, sur lesquelles les deux assemblées sont d'accord, chacune ayant participé à l'amélioration de leur rédaction. Tel est le cas, pour la quatrième année consécutive, des articles dits « de chiffres », qui ont fait l'objet d'actualisations très significatives par l'Assemblée nationale comme le Sénat ; ces évolutions étaient nécessaires pour tenir compte des mesures prises pour faire face au regain de la crise sanitaire ou aux mesures nouvelles adoptées dans le texte, et nos deux assemblées ont pu constater leur sincérité, même si chacun aurait espéré, bien sûr, ne pas avoir à approuver des perspectives aussi sombres pour les finances sociales.
Tel est le cas aussi de dispositions plus substantielles sur un plan normatif : les articles 6 bis et 6 ter relatifs respectivement au prolongement du régime social de l'activité partielle et aux mesures d'exonérations et d'aide au paiement pour accompagner les entreprises et les travailleurs qui font face aux mesures restrictives qu'a imposées la situation sanitaire ; l'article 16 sur la gouvernance de la nouvelle branche autonomie, même si quelques précisions peuvent être encore apportées sur la rédaction de certains alinéas ; la revalorisation des carrières des personnels à l'hôpital à l'article 25 ; la création d'une nouvelle enveloppe dédiée à la prise en charge des violences conjugales à l'article 28 bis ; le tiers payant intégral pour les frais relatifs aux interruptions volontaires de grossesse (IVG) et pour les soins du panier 100 % Santé aux articles 33 bis et 33 quater ; la mise en place d'un régime d'indemnités journalières pour les professions libérales à l'article 34 quater ; l'évolution du congé de paternité à l'article 35 ; ou de nombreuses dispositions de lutte contre la fraude sociale. Le Sénat a d'ailleurs non seulement amélioré ou confirmé des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, mais il a aussi ajouté des dispositions bienvenues sur la lutte contre la fraude ou encore sur l'autonomie, avec en particulier la mise en place d'une allocation de vie partagée afin d'accélérer le développement de l'habitat inclusif pour les personnes handicapées.
Une deuxième série comporte des dispositions qui ont été adoptées par le Sénat malgré l'avis défavorable de la commission des affaires sociales et du Gouvernement, et qui ne sont pas sans poser des problèmes techniques ou de principe qu'il nous aurait fallu régler de toute façon, avec ou sans CMP conclusive. Je pense notamment à de nombreuses niches sociales désormais inscrites dans le texte, qui me semblent préjudiciables aux objectifs, que je sais partagés par nos deux assemblées, de responsabilité concernant les comptes publics et de cohérence du prélèvement social.
Enfin, il existe une dernière série de dispositions qui opposent diamétralement nos deux assemblées, à tel point qu'il me semble impossible de trouver aujourd'hui un texte de compromis.
Nos deux assemblées s'opposent ainsi très nettement, depuis la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie, sur la question de la dette hospitalière et, de manière plus générale, sur les contours de la sécurité sociale, que l'Assemblée nationale entend plus largement que le Sénat. Sans revenir sur le désaccord de principe sur lequel nous nous étions largement expliqués cet été lors d'une précédente commission mixte paritaire, il nous semble malvenu de supprimer les modalités de reprise de la dette hospitalière fixées à l'article 27, alors que celle-ci est très attendue par les établissements. Cette opposition sur ce sujet relativement binaire me semble peu propice au compromis.
Nos chambres s'opposent également sur la méthode, comme sur le fond, à propos d'une disposition paramétrique en matière de retraites, telle que la propose le Sénat à l'article 47 quinquies. Sur la forme, elle conduirait à dénaturer le processus engagé par le Gouvernement permettant au Conseil d'orientation des retraites (COR) d'établir un diagnostic et aux partenaires sociaux de se prononcer sur la base de celui-ci. En effet, tout en prévoyant une conférence de financement, le dispositif pourrait aboutir à une « réforme couperet » de grande ampleur en 2022. Sur le fond, cette réforme couperet retient des options, notamment sur l'âge légal de départ à la retraite, qui n'ont aucune raison d'être privilégiées par rapport à d'autres. Je ne surprendrai personne en disant qu'il s'agit là d'un point fondamental de désaccord.
Enfin, j'observe une forte différence d'approche globale de nos deux assemblées en matière de prélèvements sociaux. Le Sénat a alourdi la taxe prévue sur les organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) en 2021, alors même que nous n'avons pas de certitude, à l'heure actuelle, sur des paramètres aussi fondamentaux que le rebond de la consommation des soins ou l'impact de la portabilité des droits sur les comptes de ces mêmes organismes. Le Sénat a aussi bouleversé le réglage fin, mais équilibré, qui avait été trouvé sur le dispositif concernant les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi (TO-DE) ; il a aussi ajouté de nouveaux dispositifs d'exonérations ciblées, parfois à l'extrême, et dont la justification, dans une période difficile pour les comptes publics, ne me semble pas évidente. Là encore, le désaccord ne peut pas surprendre : des amendements similaires avaient d'ailleurs été rejetés par notre assemblée.
De la même manière, en matière de maîtrise des dépenses de santé, le Sénat a adopté des mesures étonnantes dans le contexte actuel, sans que ces mesures semblent procéder d'une vision globale de la maîtrise médicalisée du risque. Il a notamment ouvert, à l'article 30 bis, une brèche importante dans le parcours de soins coordonnés, alors que ce dernier est désormais très largement consensuel.
Le constat est donc nécessairement en demi-teinte, au terme de ce panorama rapidement brossé. Je crois, en effet, que nous ne sommes pas en mesure de trouver un accord lors de cette commission mixte paritaire, mais l'Assemblée nationale aura bien sûr à coeur, au cours de la nouvelle lecture qui se profile, de maintenir un grand nombre des avancées permises par l'examen au Sénat.
Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente. - Nos rapporteurs ont tout dit. Je voudrais simplement vous rassurer, monsieur Vanlerenberghe : nos deux assemblées existent ! Si des points de divergence nous empêchent de parvenir à un accord, ils témoignent aussi de la vivacité du débat démocratique. La démocratie n'est pas menacée.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Je ne suis pas inquiet, mais, pour que la démocratie existe, il faut la faire vivre quitte à s'affranchir parfois de l'ombre tutélaire du Gouvernement. Plus profondément, si l'on veut qu'une CMP aboutisse un jour, il faut un important travail préparatoire.
Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente. - C'est le rêve de notre rapporteur général depuis des années de parvenir à une CMP conclusive...
M. Cyrille Isaac-Sibille, député. - Quelles seraient les propositions, susceptibles d'être acceptées par l'Assemblée nationale, que sous souhaiteriez particulièrement mettre en avant ?
Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente. - Les divisions sont profondes et ce n'est pas en une soirée que nous parviendrons à les surmonter.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - On pourrait sans doute évoquer les mesures sur les OCAM ou le dispositif TO-DE, mais surtout, je vous invite à réfléchir sur la dette hospitalière. Est-il légitime de demander à la sécurité sociale de la payer ? C'est une question de cohérence. Un Parlement uni, peut avoir du poids face au Gouvernement sur de tels sujets.
Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente. - Si plus personne ne demande la parole, je vous propose que notre commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
La réunion est close à 19 h 55.
- Présidence de M. Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat -
La réunion est ouverte à 19 h 35.
Commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2020
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 s'est réunie au Sénat le mardi 17 novembre 2020.
Elle procède d'abord à la désignation de son bureau : M. Claude Raynal, sénateur, président ; M. Éric Woerth, député, vice-président ; M. Laurent Saint-Martin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ; M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
M. Claude Raynal, sénateur, président. - Le projet de loi initial comportait dix articles, dont l'article liminaire, et l'Assemblée nationale a introduit un nouvel article en première lecture. Parmi les onze articles qui nous étaient soumis, notre assemblée en a adopté sept conformes, en a modifié trois et supprimé un. Par ailleurs, nous avons introduit neuf nouveaux articles. Ce sont donc treize articles du projet de loi qui restent en discussion.
Il me revient, avant de débuter, de vous indiquer qu'une commission mixte paritaire (CMP) est simultanément saisie du texte adopté par l'Assemblée nationale et du texte adopté par le Sénat. Elle peut, sur chaque article restant en discussion, choisir l'une ou l'autre des rédactions, ou encore retenir une rédaction de compromis, proposée par les rapporteurs ou tout autre membre de la CMP.
Il est également possible, comme ce fut le cas pour le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, d'examiner une rédaction globale de compromis élaborée par les rapporteurs.
Je vais laisser le rapporteur général de la dernière assemblée saisie, celui du Sénat, nous présenter les conclusions de ses travaux. Mais auparavant, je passe la parole au vice-président de notre CMP.
M. Éric Woerth, député, vice-président. - Je ne vais pas m'étendre sur le sujet, nous avons déjà passé beaucoup de temps à discuter l'ensemble de ce texte au sein de nos deux assemblées. Nous allons à présent écouter avec grand d'intérêt ce que vont proposer nos rapporteurs.
M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Comme nous en avons pris l'habitude, nous sommes de nouveau réunis en CMP, pour l'examen d'un quatrième PLFR, dont nous espérons bien qu'il sera le dernier.
Nous avons pris acte de la révision à la baisse par le Gouvernement de sa prévision de croissance pour 2020, à présent estimée à une chute du PIB de 11 %, ce qui nous paraît prudent. Ce scénario, qui inclut déjà la prolongation du confinement en décembre, repose sur l'hypothèse d'une perte d'activité de 20 % en novembre, par rapport au niveau d'avant la crise, alors qu'il avait été de - 30 % en avril, lors du premier confinement. Cependant, cette hypothèse est sans doute un peu pessimiste, et la Banque de France prévoit, pour sa part, une perte d'activité de 12 % en novembre.
Dans ce texte, la hausse des dépenses liées aux mesures de soutien explique seule la dégradation de la trajectoire budgétaire. Comme vous le savez, il s'agit surtout de mesures permettant de compenser directement les pertes des entreprises, grâce au fonds de solidarité, aux exonérations de cotisations sociales et à l'activité partielle.
Le Gouvernement a donc fait le choix de la prudence, le budget rectificatif reposant sur des hypothèses extrêmement conservatoires et ce déficit, souhaitons-le, ne devrait pas être atteint. Des crédits budgétaires seront ainsi probablement reportés en 2021, ce dont nous aurons l'occasion de reparler.
Au total, les ouvertures de crédits opérées au fil des quatre LFR de 2020 représentent un montant dix fois plus élevé que les années précédentes. Cela est colossal, mais nécessaire, et c'est pour cette raison que nous avons voté ces quatre textes, sans en modifier l'équilibre global. Les mesures de soutien sont présentes, bien dotées, et le Gouvernement dispose pour affronter les prochaines semaines de marges de manoeuvre nécessaires, dont nous veillerons à contrôler l'usage.
Cependant, le Sénat a procédé à quelques modifications, ajouts et suppressions, qui répondent à des attentes légitimes. Tout d'abord, nous avons été saisis de cas concrets montrant qu'un certain nombre de commerçants, travailleurs indépendants et petits entrepreneurs ne sont pas, ou pas suffisamment, soutenus. Nous avons conclu qu'il fallait prévoir pour eux, au-delà de l'aide de 1 500 euros, un renforcement du fonds de solidarité afin de tenir compte de leurs charges fixes.
Par ailleurs, certains secteurs aux caractéristiques spécifiques sont en très grande difficulté. C'est le cas notamment de la filière équine, pour laquelle nous avons prévu une exonération des aides versées et le renforcement des moyens budgétaires. Les activités de loisirs indoor rencontrent des difficultés similaires, et un fonds de péréquation a donc été créé pour soutenir ce secteur. Le tissu économique doit être préservé.
S'agissant des compensations aux collectivités territoriales, le Sénat a adopté plusieurs mesures. Tout d'abord, un prélèvement sur recettes (PSR) de compensation des dépenses exceptionnelles engagées par les collectivités en réponse à la crise. Une compensation pour les pertes des régies municipales a également été prévue. En outre, au sujet des avances remboursables aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM), des garde-fous ont été adoptés, avec une clause de retour à meilleure fortune et à la prévision d'un remboursement dans un délai minimal de six ans. Enfin, le Sénat a souhaité qu'une aide exceptionnelle soit déployée pour les Alpes-Maritimes.
Des aménagements ont également été proposés pour tenir compte de la situation particulière rencontrée cette année. Ainsi, nous avons supprimé la reprise financière prévue en 2020 au détriment des communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ayant augmenté leur taux de taxe d'habitation entre 2017 et 2019, à condition qu'ils aient conclu un accord de gouvernance financière. De plus, nous avons reporté d'un an l'obligation de compter au moins deux salariés pour bénéficier de la réduction d'impôt Madelin, s'agissant des investissements réalisés en 2019. Des crédits ont également été rétablis pour le sport et pour la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf).
Par ailleurs, nous avons accepté l'amendement de crédit du Gouvernement, qui consacre 25 millions d'euros supplémentaires aux assistants d'éducation, dans les collèges et les lycées professionnels. Un amendement de la commission à l'article 1er a aussi été adopté, pour éviter que l'État ne récupère 50 millions d'euros qui, s'ils n'étaient pas versés pour compenser Action Logement, devront bénéficier au régime de sécurité sociale, non à l'État. Enfin, nous avons supprimé le mécanisme de droit à l'image collective applicable aux sportifs professionnels tel qu'il existait jusqu'en 2010, et avait été réintroduit à l'Assemblée nationale, tout en étant pleinement conscients des difficultés rencontrées par le milieu sportif dans le contexte actuel.
Le Sénat s'est montré à la fois raisonnable et constructif. Et je remercie le rapporteur général de l'Assemblée nationale de son écoute, et pour le temps qu'il a consacré à nos propositions. Certes, toutes ne resteront pas inscrites dans le texte, mais des engagements ont été pris entre nous pour que les dossiers avancent. Ainsi en est-il notamment des compensations des collectivités territoriales - sur lesquelles nous reviendrons dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) -, et de l'amélioration du fonctionnement du fonds de solidarité, en particulier vis-à-vis des travailleurs indépendants.
De même, s'agissant de la question de la compensation de la taxe d'habitation soulevée au travers de l'amendement de M. Michau, je m'engage à ce que nous en reparlions lors des discussions du PLF.
En tout état de cause, sont conservés, parmi les propositions des sénateurs, le maintien des crédits dédiés au sport initialement prévus pour être annulés, la suppression du rétablissement du droit à l'image collective dans sa version de 2010, l'enveloppe de 500 000 euros de la Micaf qui devait être annulée, et le fait que les 50 millions d'euros qui ne sont pas nécessaires pour compenser Action Logement restent au bénéfice des régimes de sécurité sociale.
Dans la rédaction de compromis, nous sommes aussi parvenus à dégager 8 millions d'euros supplémentaires pour la filière équine, et à allouer 20 millions d'euros pour le département des Alpes-Maritimes, durement frappé par les catastrophes naturelles.
Enfin, concernant les avances remboursables en faveur des AOM, la rédaction du Sénat a été conservée, intégrant une clause de retour à meilleure fortune et un délai minimal de remboursement de six ans. Pour des raisons techniques de fonctionnement des avances remboursables, nous avons toutefois prévu que le remboursement devrait se faire dans les dix ans.
M. Laurent Saint-Martin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Jean-François Husson a très bien présenté les avancées proposées par le Sénat, ainsi que les propositions de texte commun que nous présentons lors de cette CMP.
Je souhaite rappeler le contexte très atypique de ce PLFR de fin de gestion, puisqu'il comporte des mesures d'urgence : nous rechargeons les crédits sur un certain nombre de mesures de soutien aux entreprises et aux ménages les plus fragiles. Il y a nécessité d'aboutir à une CMP conclusive - même si cela n'est jamais obligatoire -, ne serait-ce que pour les bénéficiaires des aides et mesures que nous décidons ensemble. C'est une affaire de responsabilité collective, et le plus vite la promulgation de ce texte aura lieu, le plus vite nous pourrons aider nos concitoyens et les chefs d'entreprises qui en ont besoin. Nous répondons à cette exigence de responsabilité par nos propositions communes de rédaction, et je remercie Jean-François Husson pour la qualité de dialogue et d'écoute dont il a su faire preuve.
Dans cette proposition globale de compromis, des avancées sont particulièrement bienvenues, parmi lesquelles l'augmentation à hauteur de 25 millions d'euros des crédits budgétaires pour la mission Enseignement scolaire, la suppression de l'annulation de crédits pour les politiques publiques du sport, et une aide exceptionnelle au département des Alpes-Maritimes qui fait suite à des discussions menées dans le cadre de la mission Écologie, développement et mobilité durables, lors de l'examen du PLF à l'Assemblée. Il ne s'agit bien sûr, dans ce dernier cas, que d'un acompte de 20 millions d'euros, mais c'est une amorce à l'engagement de l'État. Je tiens aussi à mentionner que la filière équine, et plus particulièrement les centres équestres, que nous avions déjà aidés avec la troisième LFR, sont de nouveau accompagnés. Et pour être précis, nous ne retenons pas ici la proposition d'exonération d'impôts, mais avons préféré utiliser l'outil des crédits budgétaires, ce qui nous paraît à la fois plus efficace et plus direct.
Pour les ménages, le Sénat a décidé de ne pas modifier l'aide exceptionnelle prévue dans le texte présenté par l'Assemblée nationale, et les aides d'un montant de 1,1 milliard d'euros sont donc maintenues.
Pour les collectivités, des avancées sont prévues au-delà de l'aide exceptionnelle accordée au département des Alpes-Maritimes, mais par d'autres moyens, comme le PLF pour 2021 ou le cas échéant de prochains collectifs budgétaires. Il nous faudra continuer à accompagner les collectivités comme l'État l'a fait depuis le début de la crise et, en ce qui me concerne, je participerai à la démarche visant à mettre en place un filet de sécurité pour le bloc communal, s'il devait faire face à de nouvelles pertes fiscales - je pense notamment à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pour laquelle il faudra trouver une solution pour 2021.
Les entreprises forment la cible pour laquelle les modifications ont été les plus importantes par rapport au texte de l'Assemblée nationale. Si ces changements sont bienvenus, un certain nombre pourront faire l'objet de mesures réglementaires, comme les propositions à destination des centres de loisirs indoor et des parcs. Dans les crédits que nous votons ensemble, nous pourrions trouver le moyen de financer des dispositions exceptionnelles pour un certain nombre d'entreprises, notamment les parcs de loisirs, qui ont des charges considérables, et pour lesquels les 10 000 euros proposés par le fonds de solidarité ainsi que l'activité partielle peuvent ne pas suffire. C'est une discussion à engager très vite avec le Gouvernement pour envisager comment, par voie de décret, ces activités pourront être soutenues de façon exceptionnelle. Cela vaut aussi pour les indépendants, même s'ils n'ont pas été laissés de côté depuis le début de cette crise, ainsi que pour les extras et les permittents, qu'il nous faut protéger.
En conclusion, j'espère que vous adopterez ce texte que nous vous proposons, dans un esprit de responsabilité et de dialogue, et avec l'objectif d'une application rapide et efficace des mesures d'urgence, dans l'intérêt des entreprises, des ménages et des collectivités concernées.
M. Éric Woerth, député, vice-président. - Je me réjouis de cette proposition. Sur un projet de loi de finances rectificative, il y a parfois un accord immédiat, parfois moins immédiat... Là, nous avons besoin d'aller vite, et il est temps de se mettre d'accord, en responsabilité. Sur le bloc communal, beaucoup de choses ont été faites en 2020. Il faudra regarder ce qui pourrait être fait en fonction de la situation en 2021. J'imagine que le Sénat suivra la question de près !
Les entreprises de loisirs ont été évoquées à plusieurs reprises. Si certaines peuvent, heureusement, bénéficier des mesures génériques de soutien, d'autres n'en profitent pas vraiment. Qu'est-ce que les 10 000 euros proposés par le fonds de solidarité pour le parc Astérix, par exemple ? Il faudra que le Gouvernement et les rapporteurs généraux puissent aboutir à des solutions très concrètes, si possible dans le cadre du projet de loi de finances.
M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - C'est prévu.
M. Éric Woerth, député, vice-président. - Il conviendra aussi de procéder à des ajustements sur les mesures d'urgence. Le ministre Olivier Dussopt a annoncé en séance publique à l'Assemblée nationale, cet après-midi, lors du vote du projet de loi de finances pour 2021, un engagement à hauteur de 20 millions d'euros pour les Alpes-Maritimes. C'est sans doute un acompte, vu la manière dont ce département a été touché.
M. Claude Raynal, sénateur, président. - Les deux rapporteurs nous ont présenté une rédaction de compromis.
M. Charles de Courson, député. - Les 20 millions d'euros pour les Alpes-Maritimes sont-ils prélevés sur le fonds de péréquation ?
M. Laurent Saint-Martin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ces crédits sont ouverts sur le programme 122 de la mission Relations avec les collectivités territoriales. Le ministre en a parlé tout à l'heure à l'Assemblée nationale, dans l'hémicycle, pour préciser l'intention du Gouvernement, ce qui nous permet de proposer cette mesure à la commission mixte paritaire sans avoir à diminuer les crédits d'un autre programme. Ce sont donc bien 20 millions d'euros supplémentaires, qui ne sont ôtés à aucun autre programme.
M. Charles de Courson, député. - Le rapporteur pour le Sénat a expliqué qu'on améliorait la situation des activités de loisirs indoor. Peut-il nous préciser de quoi il s'agit ? En première lecture à l'Assemblée nationale, de nombreuses questions ont été soulevées sur ce point, par exemple sur les parcs animaliers. Pour les centres équestres, vous avez résolu le problème, si j'ai bien compris vos amendements.
M. Michel Canevet, sénateur. - Il faut que les choses soient extrêmement claires, en effet, entre l'indoor et l'outdoor. Nous devons être attentifs à la situation des collectivités territoriales ayant en régie un certain nombre de services, par opposition à celles qui ont confié ces services à des exploitants privés qui, eux, peuvent bénéficier de l'ensemble des dispositifs mis en place par l'État. Les premières sont pénalisées puisqu'elles ne perçoivent plus de recettes, sans aucune compensation. D'où l'amendement voté hier par le Sénat. Il n'y a pas de raison de pénaliser les collectivités territoriales qui ont fait le choix de la régie.
Mme Stella Dupont, députée. - Je me suis aussi intéressée au secteur indoor et aux parcs extérieurs, mais dans une moindre mesure. Depuis le début de cette crise, sur tous les bancs, nous avons eu la volonté de trouver les solutions et de nous adapter à la diversité des cas particuliers. À cet égard, le secteur de l'indoor mérite toute notre attention. Sinon, des centaines ou des milliers d'entreprises vont fermer leurs portes. Il faut donc compléter rapidement le dispositif. Les indépendants bénéficient d'ores et déjà de mesures pour leurs entreprises, mais, à titre personnel, ils sont souvent en grande difficulté. Là aussi, il faut aller vite.
M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - J'ai commis un impair, effectivement, en prononçant le mot « indoor », car l'amendement porte sur les parcs de loisirs. L'idée est d'éviter de ne traiter que des cas individuels. Michel Canevet a évoqué la compensation des pertes de régies municipales. Pour les collectivités, il y a aussi la question des compensations des dépenses exceptionnelles engagées en rapport avec la crise. Sur la CVAE, j'ai moi-même déposé un amendement au projet de loi de finances initiale pour 2021.
M. Laurent Saint-Martin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Sur les régies municipales financièrement indépendantes, se posent en effet plusieurs difficultés. Celles-ci ne sont pas éligibles aux mêmes aides que les sous-traitants privés, puisque les collectivités territoriales sont aidées par ailleurs, et doivent donc accompagner leurs régies. Pour autant, il y a de vraies difficultés financières, notamment pour les régies thermales, qui ne bénéficient pas des mêmes accompagnements que les régies gérant des domaines skiables. En effet, une expérimentation menée dans ces dernières les rend éligibles à l'activité partielle, contrairement aux régies thermales. Le problème relève du domaine réglementaire et il importe qu'il soit résolu rapidement. À l'Assemblée nationale, la commission des finances suit la question de très près : les régies thermales municipales devraient pouvoir bénéficier de l'activité partielle, d'autant plus qu'elles cotisent à l'Unédic.
M. Charles de Courson, député. - L'article sur l'exonération, pour les centres équestres et les poneys-clubs, de l'aide exceptionnelle liée à la covid de tout impôt sur les bénéfices et des cotisations sociales associées, ne pose-t-il pas un problème de rupture d'égalité par rapport à d'autres entreprises qui sont dans la même situation ?
M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le fonds créé pour la filière équine concerne tout ce qui touche à l'élevage et l'entretien, pour un montant d'environ 180 euros par animal et par an. Actuellement, les crédits disponibles permettent une couverture à hauteur de 120 euros. Le supplément couvrira les sommes restant à charge, dans un parallélisme des formes avec ce qui avait été accordé jusqu'à présent.
M. Laurent Saint-Martin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. -L'exonération proposée par le Sénat à l'article 1er C crée en effet une rupture d'égalité. C'est pourquoi nous la transformons en augmentation de crédits budgétaires, à hauteur de 8 millions d'euros, faisant ainsi passer l'aide de 120 euros à 180 euros par équidé, comme le demandait la filière.
M. Charles de Courson, député. - En première lecture à l'Assemblée nationale, la suppression du plafonnement de la compensation versée par l'État aux AOM a été demandée, puisqu'il y avait rupture d'égalité entre l'Île-de-France et le reste des AOM. Quel serait l'ordre de grandeur de l'incidence budgétaire ? Je crois qu'il s'agissait de plus de 750 millions d'euros pour l'Île-de-France, et de 750 millions pour le reste du territoire... Il me semble que vous vous êtes mis d'accord sur cette suppression du plafonnement.
M. Laurent Saint-Martin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Vous avez raison de poser la question. Il n'est pas besoin de modifier les variables d'ajustement : nous n'allons pas procéder à une modification structurelle à cause de pertes exceptionnelles.
Cela étant dit, je rappelle qu'il y avait eu une première compensation, en LFR 3, pour les pertes fiscales, que l'on peut évaluer à environ 600 millions d'euros pour Île-de-France Mobilités. Nous adoptons dans le présent projet de loi de finances rectificative des avances remboursables à hauteur de 1,9 milliard d'euros pour Île-de-France Mobilités et les autres AOM. La proposition du Sénat est d'introduire, par l'article 10, une clause de retour à meilleure fortune dans le cadre des modalités du remboursement de ces avances remboursables.
M. Christophe Jerretie, député. - La logique de l'avance remboursable dont le remboursement n'intervient qu'à compter du retour à meilleur fortune est très bonne. C'est une solution à retenir pour d'autres sujets, car il s'agit d'un bon équilibre. Il faut attendre la fin de l'année pour mesurer les impacts - le plus fort sera celui sur la CVAE.
M. Claude Raynal, sénateur, président. - Nos deux rapporteurs nous proposent d'adopter tel quel l'ensemble du texte sur lequel ils se sont mis d'accord.
La commission mixte paritaire adopte, dans la rédaction proposée par ses rapporteurs, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi.
La réunion est close à 20 h 10.
Jeudi 19 novembre 2020
- Présidence de M. Bruno Studer, député, président -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, s'est réunie à l'Assemblée nationale le jeudi 19 novembre 2020.
Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :
- M. Bruno Studer, député, président,
- M. Laurent Lafon, sénateur, vice-président.
La commission a également désigné :
- M. Yannick Kerlogot, député,
- Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice,
comme rapporteurs respectivement pour l'Assemblée nationale et le Sénat.
M. Bruno Studer, député, président. - Je vous souhaite la bienvenue pour cette nouvelle commission mixte paritaire réunissant nos deux commissions. En préambule à nos échanges, je souhaite rappeler que l'esprit de l'article 45 de la Constitution, qui doit guider nos travaux, implique que si nous parvenons à un texte commun, celui-ci doit pouvoir être adopté par les deux assemblées. Rien ne servirait, en effet, que la commission mixte paritaire adopte un texte qui serait rejeté ensuite par l'une ou l'autre chambre.
Je constate qu'à l'issue de la première lecture, l'ensemble des dispositions du texte demeurent en discussion, c'est-à-dire non seulement les deux articles du projet de loi initial, mais également l'article 3 adopté par le Sénat à l'initiative de sa rapporteure, portant création d'un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens.
Si les modifications apportées aux deux premiers articles, ainsi qu'au titre du texte, sont de nature essentiellement sémantiques, il n'en est pas de même pour l'article 3, qui modifie la portée du projet de loi, dont l'objectif initial était strictement limité à la restitution, au Bénin et au Sénégal, des biens cités en annexe.
J'ai le sentiment que cet article additionnel, qui a rencontré l'opposition du Gouvernement, traduit une divergence de vues importante sur les objectifs et le contenu de ce texte. Je souhaite donc que nos échanges liminaires nous permettent de nous accorder sur le sort de cette commission paritaire.
M. Laurent Lafon, sénateur, vice-président. - Je vous remercie de votre accueil. Le sujet des restitutions est une préoccupation de notre commission et du Sénat depuis plusieurs années. Il n'est ni anodin ni annexe. Au contraire, il est important dans les relations que nous entretenons avec de nombreux pays du monde mais aussi dans nos relations avec notre patrimoine.
Je souhaite donc être particulièrement attentif à la manière dont ces restitutions ont lieu et il est essentiel que l'Assemblée nationale et le Sénat, qui possèdent une compétence législative en la matière, puissent y être fortement associés. Cette réflexion doit pleinement intégrer les valeurs patrimoniales et scientifiques qui sont les nôtres.
Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Je crois pouvoir dire, monsieur le président, que nos deux assemblées poursuivent des objectifs similaires, bien que nous ne partagions pas la méthode.
Comme l'Assemblée nationale avant lui, le Sénat a autorisé la sortie des collections publiques des vingt-sept biens culturels, tels qu'ils figurent en annexe du projet de loi initial, pour qu'ils puissent retourner au Bénin et au Sénégal. Il a jugé que ce transfert de propriété s'inscrivait dans une démarche à la fois éthique et diplomatique, qui pouvait permettre à la France de se réapproprier, avec chacun de ces deux pays, un morceau de notre histoire commune susceptible de servir de base à une coopération culturelle renouvelée.
Cependant, le Sénat a souhaité apporter un certain nombre de modifications à ce projet de loi dont les enjeux - nous en sommes tous conscients - dépassent très largement l'objet.
Ce texte est la première traduction législative du discours du Président de la République, M. Emmanuel Macron, à Ouagadougou, mais il est aussi la première loi de restitution qui porte, non sur des restes humains, mais sur des oeuvres et objets d'art.
Nous savons qu'il existe déjà des demandes pendantes et que d'autres suivront. Nous ne pouvons donc pas faire l'économie d'une réflexion sur la valeur que nous accordons au principe d'inaliénabilité des collections publiques et sur la méthode que doivent suivre d'éventuelles restitutions.
C'est ce qui a amené le Sénat à veiller, dans ses travaux, à ce que les termes employés dans le projet de loi correspondent à la réalité du moment.
Pour cette raison, nous avons substitué, à l'intitulé du projet de loi, le terme de « retour » à celui de « restitution ». Je note par ailleurs, monsieur le président, que c'est le mot que vous avez vous-même employé. Même si ces biens sont des « prises de guerre », celles-ci n'étaient pas interdites par le droit international au moment de leur saisie par les armées coloniales françaises. Or, le droit n'est pas rétroactif et le Sénat estime qu'il n'est pas du ressort de la loi de s'immiscer sur le terrain de l'historien.
Le terme de retour permet donc de donner une suite favorable aux demandes du Bénin et du Sénégal, sans s'inscrire dans une démarche de repentance, que le terme de « restitution », dans son acception juridique commune, pourrait sous-entendre. Cette modification me parait aller dans le sens des positions exprimées par le Gouvernement et nos deux assemblées au cours des débats, à savoir que ce geste ne devait être assimilé, ni à de la repentance, ni à une réparation.
Aux articles 1er et 2, nous avons également substitué au verbe « remettre » le verbe « transférer », dans la mesure où le sabre a déjà été remis officiellement au Sénégal. Ce terme présente l'avantage de mieux matérialiser les effets induits par la sortie des biens des collections nationales. Je note que le Gouvernement n'a d'ailleurs rien trouvé à redire à ce changement, puisqu'il n'a déposé aucun amendement de rétablissement en séance publique.
Sur la méthode, vous avez compris que nous avons regretté que la décision politique ait, dans cette affaire, précédé et prévalu sur toute autre forme de débat - historique, scientifique, juridique et même législatif -, au mépris du principe d'inaliénabilité des collections, pourtant instauré pour empêcher le fait du prince, et ce dès l'Édit de Moulins en 1566.
C'est ce qui a amené le Sénat à introduire un article additionnel, l'article 3, qui vise à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens. L'objectif de cette instance est double :
- adopter une démarche scientifique sur ces questions en permettant à la communauté scientifique de faire connaître publiquement son avis sur les demandes de restitution reçues et d'éclairer ainsi le Gouvernement et le Parlement, avant toute intervention politique et diplomatique ;
- éviter que les décisions de notre pays en matière de restitution ne fluctuent au gré des alternances politiques en conduisant la France à engager une réflexion de fond en matière de gestion éthique des collections, qui permette aux autorités françaises de reprendre la main sur le débat en matière de restitutions. Nous jugeons regrettable que le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy soit aujourd'hui le seul document de référence pour les États étrangers compte tenu de ses nombreuses imperfections.
Vous savez que la création de cette instance a bénéficié d'un large soutien transpartisan au sein de notre assemblée. Le Sénat y est extrêmement attaché. Sa création s'appuie sur les travaux menés au sein de la mission d'information sur les restitutions d'oeuvres d'art, que j'ai souhaité lancer au début de l'année pour dresser le bilan de l'action de notre pays en matière de restitution et esquisser des pistes pour l'avenir.
Je dois dire que la pertinence de cette instance a été encore renforcée, à nos yeux, par la remise en catimini, par le biais d'un dépôt, de la couronne du dais de la reine Ranavalona III aux autorités malgaches le 5 novembre dernier, sans que le Gouvernement juge utile d'en informer le Parlement, alors même que nous étions en plein débat au Sénat autour de ce projet de loi ! C'est la seconde fois cette année que le Gouvernement utilise cette méthode inadmissible, qui a pour effet de contourner le rôle du Parlement en le transformant en une simple chambre d'enregistrement de décisions déjà actées. Nous ne pouvons pas cautionner cette méthode.
C'est la raison pour laquelle la délégation du Sénat ne pourra pas accepter que l'article 3 du projet de loi soit remis en cause, quand bien même cela devait rendre aujourd'hui tout accord impossible entre nos deux assemblées.
M. Yannick Kerlogot, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. -Madame la rapporteure, je ne peux que vous rejoindre lorsque vous dîtes que cette démarche est à la fois éthique et diplomatique. Je note aussi que nous sommes d'accord sur le fond du présent projet de loi et sur le message à envoyer à la jeunesse africaine et à la jeunesse afro-descendante en Europe.
Les enrichissements sémantiques adoptés par le Sénat pour les articles 1er et 2 sont adaptés et nous pourrions nous entendre. Cependant, nous avons un désaccord à propos de l'article 3.
Je ne vous rejoins pas sur la critique de la méthode mise en place concernant les restitutions prévues par le présent projet de loi. D'une part, je ne pense pas que l'on puisse réellement parler, dans ce cas, de « fait du prince ». Les intentions de la France ont été présentées clairement par le Président de la République, M. Emmanuel Macron, lors du discours qu'il prononcé à Ouagadougou. À titre d'exemple, la restitution, en 1993, d'un manuscrit sacré coréen par M. François Mitterrand, alors Président de la République, peut quant à elle effectivement s'apparenter à un fait du prince. L'émoi que cette procédure avait provoqué est compréhensible mais nous sommes dans une autre époque, marquée par un autre contexte.
D'autre part, je tiens à souligner que, bien qu'il puisse être considéré comme un garde-fou au fait du prince que vous critiquez, ce nouveau conseil constituerait une instance redondante à même de complexifier inutilement les processus de restitution. Je souhaiterais, si vous me le permettez, rappeler la démarche qui a été celle du Gouvernement et qui peut être considérée comme une méthode pour l'avenir.
Un processus de restitution ne peut ainsi être engagé que si un État en fait la demande auprès de la France. Cela été le cas pour le Sénégal et le Bénin.
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a été chargé d'instruire les dossiers dans le cadre d'une démarche diplomatique. Ces restitutions ne sont ni un acte de repentance ni un acte de contrition. Au contraire, elles sont à même de renforcer les relations bilatérales entre la France et ces deux États.
Le ministère de la culture a ensuite été saisi et a, alors, engagé une démarche scientifique et culturelle auprès des conservateurs des musées présentant les objets concernés.
Enfin, éclairés par l'expertise scientifique sollicitée par les ministères, nous avons pu, saisis de ce projet de loi d'exception, réaliser des auditions sérieuses de scientifiques et de spécialistes de l'art - j'en ai moi-même conduit plus d'une vingtaine.
Cette démarche, opérante, permet de statuer à l'issue d'une phase d'expertise scientifique, sollicitée par les ministères et consolidée par les parlementaires. Dès lors, pourquoi adopter une démarche complémentaire ?
Nous nous retrouvons sur la nécessité d'instruire les demandes de restitution au cas par cas à partir d'une loi d'exception permettant de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques, comme cela a été très justement précisé dans le projet de loi par notre commission, qui a adopté deux amendements en ce sens de notre collègue Constance Le Grip. Nous pouvons donc nous retrouver sur un tel dispositif législatif.
Je souscris, par ailleurs, à l'intention du Gouvernement de créer une cellule interministérielle réunissant le ministère de la culture, le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Celle-ci garantira une démarche scientifique et culturelle en évitant le joug qu'un ministère pourrait exercer sur un autre.
Je défends donc une logique de simplification. Nous devons, avant tout, faire vivre les instances actuelles. Il est ainsi prévu dans nos prérogatives la possibilité de travailler ensemble afin de tracer une ligne de crête sur ce thème si complexe. Le Parlement, engagé dans une telle démarche de transparence, pourrait ainsi être entendu et établir des standards méthodologiques.
En somme, nous avons un accord sur les articles 1er et 2. Nous partageons le souhait de renforcer la circulation des oeuvres et les échanges culturels à double sens ainsi que la nécessité d'une démarche scientifique quant à l'établissement du caractère « mal acquis » de certains biens culturels.
Cependant, bien que je partage la volonté d'associer davantage les parlementaires, je ne souhaite pas remettre en cause les démarches scientifiques suffisantes qui ont été entreprises par les ministères à l'aide des conservateurs du patrimoine. Ainsi, l'article 3 ne peut être retenu et je regrette qu'il mette fin à une unanimité symbolique et forte de sens.
Quant au prêt - et non à la restitution - de la couronne du dais de la reine Ranavalona III aux autorités malgaches, le télescopage avec la discussion du présent projet de loi est un malheureux concours de circonstances. Comme la ministre nous l'a indiqué lors de son audition, une demande de restitution concernant ce bien a été envoyée par les autorités malgaches en février 2020 dans le cadre des festivités du soixantième anniversaire de l'indépendance de Madagascar. Le Gouvernement s'est opposé à la perspective d'une restitution mais a proposé un prêt temporaire. Après l'avoir dans un premier temps refusé, le gouvernement malgache en a finalement accepté le principe. Bien qu'il aurait été préférable d'être informé du prêt effectif de cet objet, cela ne remet nullement en cause la démarche établie par le présent projet de loi.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous allons également poursuivre nos travaux, notamment par l'intermédiaire de notre mission d'information sur les restitutions des oeuvres d'art.
Il faut néanmoins davantage de transparence dans la gestion des restitutions. Nous apprenons seulement aujourd'hui qu'une cellule interministérielle sera mise en place. Cela n'avait jamais été évoqué lors de l'examen du texte au Sénat, et je le regrette. L'action du législateur doit s'inscrire sur le temps long, et une cellule interministérielle dépend de la volonté des gouvernements. Je regrette la suppression de la commission scientifique nationale des collections par la loi accélération et simplification de l'action publique (ASAP). Le pouvoir réglementaire avait tout fait pour pervertir la volonté initiale du législateur en la matière.
La remise de la couronne du dais de la reine Ranavalona III à Madagascar, à l'insu du Parlement et avant même tout travail législatif, pose tout autant question. Il en est de même pour la remise en juillet à l'Algérie des crânes conservés au musée de l'Homme, effectuée sans en informer la représentation nationale. Ceux-ci ont été enterrés deux jours plus tard, au mépris de la convention de dépôt.
L'article additionnel ne défigure pas le texte : nous avons besoin d'une instance spécifique inscrite dans la loi. Les difficultés de fonctionnement qu'a connues la commission scientifique nationale des collections, et notamment sa complexité, ne peuvent en aucun cas être imputées au législateur.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - Depuis la révolution française, la représentation nationale est gardienne et garante des collections nationales. Nous discutons par conséquent aujourd'hui de la séparation des pouvoirs.
Pour l'ancien conservateur que je suis, l'inaliénabilité est un principe essentiel qui structure la conservation du patrimoine public et le travail muséal. Dans les pays où l'inaliénabilité n'existe pas, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, les musées vendent actuellement des oeuvres pour pallier leurs difficultés financières.
Nous avons accepté le principe de ce texte car le projet patrimonial des autorités béninoises est de très grande valeur. Il en va un peu autrement pour le sabre sénégalais, dont on peine à comprendre le symbole, mais c'est un autre sujet.
Il y a toutefois un problème de respect du Parlement. La remise de la couronne malgache pendant l'examen du projet de loi est une humiliation. S'agissant des crânes algériens, les termes de la convention de prêt n'ont pas été respectés puisqu'ils ont été immédiatement enterrés, et ne sont donc pas conservés dans des conditions analogues à celles du musée de l'Homme.
Nous souhaitons donc garantir un traitement rationnel, transparent et contradictoire de la question des restitutions.
M. Max Brisson, sénateur. - Je partage ce qui a été dit par M. Ouzoulias.
Le fait du prince est de tous les temps. C'est pourquoi le Parlement s'honore, de tout temps, à y résister.
Nous devons adopter une démarche scientifique et historique rigoureuse. Nous ne sommes pas opposés au principe des retours, et nous avons voté les articles 1er et 2 à l'unanimité. C'est essentiel pour le dialogue des cultures. Mais il faut de la rigueur pour éviter le fait du prince. Seul le Parlement peut aliéner les collections nationales, car le patrimoine appartient à la Nation et non au gouvernement du moment. C'est une exigence démocratique, contre la diplomatie de l'instant et des approches mémorielles qui évoluent avec le temps.
La méthode ne peut se résumer au rapport Sarr-Savoy, qui ignore les raisons historiques pour lesquelles le patrimoine n'est pas à la disposition de l'exécutif. On ne peut pas se contenter de demander au Parlement de valider des faits accomplis, ainsi que la restitution de la couronne malgache semble l'esquisser.
Mme Constance Le Grip, députée. - Le groupe Les Républicains a voté le projet de loi en première lecture et nous ne sommes donc pas contre le principe de la restitution, comme nous l'avons dit avec Emmanuelle Anthoine. Cela étant, nous sommes attachés au traitement au cas par cas des affaires et au fait que le législateur ait la maîtrise du calendrier et du choix des pays concernés, avec lesquels il faut entrer en relation sur ces questions. Pour ces raisons, nous sommes favorables aux articles 1er et 2, modifiés par nos amendements précisant que ces restitutions constituent une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques.
Nous approuvons les principes énoncés par le Sénat et notre collègue Max Brisson : il est en effet essentiel que le Parlement puisse débattre et être informé au cas par cas. Pour la première fois, nous débattons d'un texte déposé par le Gouvernement sur des biens qui ne sont pas des restes humains et il est nécessaire que nous posions des jalons pour définir le cadre légal, tracer les perspectives pérennes et utiles pour la conservation du patrimoine de notre pays.
C'est pourquoi nous sommes très favorables à l'article 3 introduit par le Sénat. Ce conseil national permettrait une réflexion dont on ne peut faire l'économie, comme cela existe depuis 2016 en matière architecturale, à travers la commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA). Beaucoup de pays ont d'ores et déjà formulé des demandes, à l'instar de Madagascar. Le Parlement est souvent mis devant le fait accompli et il est regrettable qu'il apprenne parfois par la presse les décisions du Gouvernement en la matière. Ce conseil national de réflexion contribuerait à son information.
M. Olivier Paccaud, sénateur. - S'il y a des divergences quant à la méthode, il y en a aussi sur le fond. Nous partons d'une problématique patrimoniale pour finir sur des questions politiques, voire constitutionnelles. La Ve République est marquée par une forte concentration des pouvoirs dans les mains du Président mais, avec l'inversion du calendrier, on confine au pouvoir absolu ! La diplomatie a toujours été un domaine réservé, les cadeaux diplomatiques ont toujours existé et les échanges culturels sont à encourager. Cela étant, il faut aussi rappeler qu'il existe un patrimoine national qui n'est pas un bien présidentiel ni gouvernemental. Ce qui se passe est un mauvais message sur le plan démocratique et contre le Parlement. S'agissant des retours ou des restitutions, il faut agir au cas par cas. Le peuple est le seul souverain et nous devons être vigilants, y compris en matière de patrimoine.
M. Bruno Fuchs, député. - Je partage beaucoup de ce qui a été dit, notamment sur le temps long et la nécessité d'agir lorsque les questions surgissent. Nous sommes tous d'accord sur les premiers retours. La méthode n'est certes pas parfaite mais l'article 3 ne va pas assez loin car il ne traite pas tous les problèmes. Il faudrait pour cela une loi-cadre, qui permette de dissocier les différentes problématiques et de s'organiser sur le long terme. La réflexion doit être plus large que cela, le seul respect de la volonté populaire n'est pas suffisant.
Mme Catherine Dumas, sénatrice. - En matière de diplomatie culturelle, le conseil national serait un garde-fou contre le fait du prince. L'exemple de François Mitterrand et des manuscrits coréens est historique, et nous légiférons pour aujourd'hui et demain. Nous devons anticiper les risques et en ce sens l'article 3 est nécessaire. L'avis du conseil national sera public et les citoyens seront informés. La cellule interministérielle dont nous avons appris la création n'est pas inscrite dans la durée, à la différence du conseil national qui serait une instance de réflexion et de régulation. Comme parlementaires, nous devrions tous être d'accord, d'autant plus que de nombreuses demandes sont pendantes.
Mme Michèle Victory, députée. - Nous sommes d'accord sur l'inaliénabilité des collections nationales. Cela étant, le projet du Bénin est très beau et il faut y répondre positivement. Nous avons une responsabilité historique vis-à-vis de ces pays et de leur patrimoine. Quant à la forme, nous partageons l'analyse sur le fait du prince et il faut travailler sur cet aspect. Le conseil national proposé par le Sénat est en ce sens plutôt positif et pourrait faire avancer les choses. Néanmoins, il ne faut pas retarder les restitutions pour ces pays.
Mme Claudine Lepage, sénatrice. - Nous étions tous d'accord sur le fond, c'est-à-dire l'inaliénabilité des oeuvres de notre patrimoine et le choix d'une loi dérogatoire pour permettre le retour de ces oeuvres. Les sénateurs socialistes sont également d'accord avec l'article 3 et la création du conseil national, qui aurait la compétence nécessaire et travaillerait dans le temps long et de manière transparente. Nous n'avons pas encore réfléchi à la question d'une loi-cadre, mais le conseil national serait, dans un premier temps, un élément positif. Le Parlement souffre aujourd'hui de beaucoup d'attaques insidieuses sur ses prérogatives. C'est inacceptable et il convient de le rétablir dans son rôle.
M. Yannick Kerlogot, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cela serait intéressant de poursuivre cet échange. Je suis frappé par le terme d'humiliation que vous avez employé. Je crois que l'on ne peut pas ignorer le fait qu'il y a un enjeu diplomatique de partage, de circulation des oeuvres et je crois que nous nous accordons tous là-dessus.
S'agissant du conseil national de réflexion que le Sénat souhaite créer, je m'interroge sur les garanties qu'il pourrait apporter. En matière de dépôts et prêts, et en matière de restes humains, pour les cas que vous avez cités, il ne serait pas compétent. En ce qui concerne les crânes algériens, la France a été prise de court et un avis de ce conseil n'aurait rien changé.
En créant ce conseil national de réflexion, on risque de remettre en cause le lien de confiance que l'on tisse avec les pays susceptibles de demander des restitutions à la France. Avec le formidable projet culturel et touristique du Bénin, on a créé des liens bilatéraux forts.
Enfin, si j'ai parlé de simplification, il s'agissait de la démarche de recherche en matière de provenance des oeuvres. Le conseil national n'apporterait pas de savoir complémentaire par rapport aux administrations des affaires étrangères et de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Quand j'ai déposé la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories, je ne me suis pas placée dans une perspective diplomatique mais dans logique patrimoniale et muséale. À mon sens, la réflexion scientifique doit précéder.
Il faut mettre en place un garde-fou pour éviter de laisser les ministères sous la coupe de la cellule diplomatique de l'Élysée. Le conseil national de réflexion pourrait apporter une réponse immédiate à chaque demande et conduire une réflexion prospective sur notre doctrine de restitution. Dans le même esprit, un travail très important sur la question des restes humains avait été mené au sein de la commission scientifique nationale des collections.
M. Laurent Lafon, sénateur, vice-président. - Je vous remercie pour ce débat de grande qualité, malgré un désaccord qui fera que notre commission mixte paritaire ne sera pas conclusive.
L'essentiel du problème est devant nous. Les demandes de restitutions vont venir et la France est assez isolée sur la scène internationale. Le Sénat demande à ce qu'on établisse une méthode. Nous avons aujourd'hui le sentiment que la diplomatie prévaut sur le patrimoine dans les arbitrages interministériels. La question méthodologique doit également être posée en matière de prêts et dépôts. J'espère que nous pourrons nous retrouver un jour sur ce sujet.
M. Bruno Studer, député, président. - Il y aurait en effet matière à poursuivre la réflexion. Après cette discussion générale, il ne me semble cependant pas utile de poursuivre nos travaux, les options défendues par nos deux assemblées étant manifestement inconciliables.
Je vous propose donc d'acter l'incapacité de notre commission mixte paritaire à s'accorder sur un texte commun.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
La réunion est close à 10 heures 45.