Jeudi 4 juin 2020
- Présidence de Mme Nathalie Delattre, présidente -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Audition de M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la maîtrise des risques, de la sûreté et des relations institutionnelles de la RATP, et Mme Nathalie Gondard, chargée de mission à la délégation générale à l'éthique (en téléconférence)
Mme Nathalie Delattre, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la maîtrise des risques, de la sûreté et des relations institutionnelles de la RATP et Mme Nathalie Gondard, chargée de mission à la délégation générale de l'éthique de la RATP, une entreprise souvent citée comme atteinte par l'islamisme ou le communautarisme.
Avant de vous laisser la parole, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Harnois et Mme Nathalie Gondard prêtent serment.
M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la maîtrise des risques, de la sûreté et des relations institutionnelles de la RATP. - Je vous remercie de nous entendre aujourd'hui dans le cadre de cette commission d'enquête. À plusieurs reprises, en effet, des entreprises, parmi lesquelles la RATP, ont été citées en relation avec la problématique du fait religieux et de la radicalisation. Il nous semblait important d'évoquer les problèmes qui ont pu se poser dans notre entreprise à ce sujet par le passé et qui nous ont conduits à réagir. Depuis plusieurs années, nous avons mis en oeuvre un plan d'action, grâce, en particulier, aux dispositions de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, dite loi Le Roux-Savary. Cet outil législatif est en effet plus qu'utile pour les entreprises du secteur du transport.
Mme Nathalie Gondard va d'abord présenter nos actions entreprises depuis plusieurs années pour imposer un respect très ferme du principe de laïcité dans l'entreprise, puis j'évoquerai la politique que nous appliquons, en particulier grâce à la mobilisation du Service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas) dans le cadre des recrutements et des mobilités.
Mme Nathalie Gondard, chargée de mission à la délégation générale de l'éthique. - La délégation générale à l'éthique de la RATP a été créée en décembre 2015, quelques jours après les attentats du Bataclan, lesquels avaient donné lieu à une campagne de presse très virulente contre la RATP. Mme Élisabeth Borne, qui était alors notre présidente, a décidé de prendre le problème à bras-le-corps. Auparavant, en 2005, une clause de laïcité avait été ajoutée dans les contrats de travail et, en 2013, un guide pratique sur le fait religieux avait été distribué aux managers. Ces questions étaient donc connues, mais n'étaient peut-être pas suffisamment prises en compte. Un plan global a été diffusé dès février 2016, intitulé « Travailler ensemble ». Nous avions alors été violemment attaqués dans la presse et la RATP avait été décrite comme étant un repaire de djihadistes ; il nous fallait répondre de façon cohérente. Ce plan s'intéresse donc au recrutement comme au commissionnement, c'est-à-dire à l'année probatoire, et ajoute des items sur les valeurs et le respect de la laïcité dans les évaluations et dans les plans de formation des collaborateurs, de l'encadrement supérieur comme des managers de proximité, des apprentis, des tuteurs, bref, de tout le monde. Il s'agit de réaffirmer l'application des principes de laïcité, de neutralité et de non-discrimination envers les femmes. Nos prestataires ont également reçu une lettre à ce sujet. Il s'agissait pour nous de réaffirmer la règle de manière claire et forte, afin que l'encadrement se sente soutenu. De même, nous avons intégré les questions touchant à la laïcité dans les plans de formation, avec pédagogie, car ces sujets sont complexes. Tout le monde n'est en effet pas spécialiste de l'application de la loi de 1905 dans une entreprise exerçant une mission de service public. Enfin, ce plan contient également un volet de sanctions. Cette politique est appliquée de manière systématique depuis le début de l'année 2016.
Après quatre ans, quels résultats avons-nous obtenus ? Nous les évaluons d'abord grâce à la perception que nous pouvons avoir de la situation en nous déplaçant dans les unités, dans les centres bus et en échangeant avec les directeurs de centres et les équipes encadrantes : nous n'entendons globalement pas parler de ce problème en particulier, mais bien plus des incivilités envers les conducteurs de bus, notamment des agressions.
Ensuite, nous suivons l'évolution des sanctions, une question que développera M. Harnois, en effectuant un recensement régulier des comportements non conformes à la laïcité. Les sanctions ont été nombreuses en 2016 et en 2017, avec cinq ou six licenciements dans l'année, puis elles ont diminué : deux licenciements en 2018 et un seul en 2019. Notre analyse est la suivante : nous avons montré que nous pouvions sanctionner pour ces raisons, et cela s'est su. Maintenant, les managers appliquent la consigne de la direction générale d'intervenir très tôt, dès qu'ils décèlent un comportement ou un événement anormal. Ils rappellent immédiatement à l'agent concerné les principes de laïcité et lui demandent de changer de comportement. Nous sommes toutefois modestes, nous ne prétendons pas avoir tout réglé, mais nous avons outillé les managers pour leur donner la possibilité de désamorcer rapidement les problèmes.
Des regards extérieurs ont conforté cette analyse. Nous avons ainsi confié au sociologue Alain Mergier le soin d'étudier quatre centres bus sous le prisme de l'évolution de la diversité, et il a pu démontrer que nos mesures avaient porté leurs fruits. En outre, le premier chapitre du livre intitulé Quand la religion s'invite dans l'entreprise de Denis Maillard, paru fin 2017, est consacré à la RATP. L'auteur le conclut ainsi : « Il n'y a pas d'islamisation de la RATP », malgré les très nombreux fantasmes à ce sujet. Ces deux auteurs constatent que les managers ont désormais l'intelligence de la situation.
Si, toutefois, un phénomène de radicalisation se produit, il est identifié, remarqué et signalé. Pourtant, la RATP est citée au moindre problème dans le pays, sur la base d'anecdotes antérieures à 2015. À cette époque, un manager qui reprenait quelqu'un sur cette base était critiqué, accusé d'islamophobie, voire de racisme, mais ensuite, face aux problèmes de sécurité qui se faisaient jour, l'unité s'est faite sur un constat commun, manifestée par le soutien des organisations syndicales au plan Travailler ensemble. Les problèmes qui ont pu se produire par le passé seraient aujourd'hui immédiatement identifiés et sanctionnés.
M. Jérôme Harnois. - J'ajoute quelques données sur l'application à la RATP de la loi Le Roux-Savary, qui offre la possibilité de saisir le Sneas du ministère de l'intérieur pour obtenir des avis sur les recrutements ou les mobilités internes vers des postes sensibles au regard du risque de radicalisation des postulants. Nous en faisons systématiquement usage : tout recrutement ou toute mobilité interne vers un poste sensible ne se fait qu'après avis du Sneas. Depuis octobre 2017, nous l'avons saisi à 6 542 reprises pour des recrutements, et nous avons reçu 177 avis négatifs, soit 2,8 %. S'agissant des mobilités, nos 3 609 saisines ont donné lieu à 6 avis négatifs, soit 0,19 %. Dans ce dernier cas, la loi prévoit que, après un avis négatif sur une mobilité interne, il nous faut reclasser le salarié concerné sur une autre position. Comme le député Éric Diard dans son rapport, nous demandons que cette disposition évolue ; en tout état de cause, nous allons plus loin et nous licencions les salariés concernés. Certes, ce choix donne lieu à des contentieux, mais il nous semble préférable. Je rappelle d'ailleurs que nous n'avons pas connaissance de la motivation des avis du Sneas, nous ne savons donc rien de la gravité et du niveau de risque en cause, ce qui peut expliquer cette position, que nous ne sommes pas les seuls à défendre : l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) demande également une évolution de la loi en ce sens.
Il me semblait important d'illustrer la voie dans laquelle nous nous sommes engagés. Nous avions été demandeurs de l'ajout de cette disposition dans la loi, notamment à la suite de la tempête médiatique qui nous a touchés après 2015, car nous souhaitions disposer d'un levier pour connaître le risque de radicalisation des salariés recrutés ou candidats à des mobilités vers des postes sensibles.
Mme Nathalie Delattre, présidente. - Je vous remercie. Pouvez-vous préciser quelle est la gradation de sanctions qui précède le licenciement ? Votre image est toujours aussi dégradée, même si, selon vous, les anecdotes qui sont avancées à l'appui des critiques datent. Reste que l'image d'une entreprise qui serait sous contrôle des islamistes offre toujours une victoire à ces derniers ! Avez-vous l'intention de communiquer plus fortement sur ce sujet ? Pourquoi, selon vous, cette image n'a-t-elle pas été inversée ?
Vous évoquez le criblage par le Sneas en cas de recrutement ou de mobilité interne. Avez-vous la possibilité de cribler de la même manière le personnel en place ? Vous demandez une évolution de la loi permettant le licenciement des salariés ayant encouru un avis négatif du Sneas : avez-vous d'autres demandes en matière d'évolution de la législation ?
M. Jérôme Harnois. - L'entreprise n'est absolument pas sous l'emprise des islamistes !
Mme Nathalie Delattre, présidente. - Certes, mais elle a toujours cette image.
M. Jérôme Harnois. - Une certaine sphère persiste à l'entretenir au motif qu'un terroriste du Bataclan avait travaillé à la RATP en 2012, même s'il a quitté l'entreprise avant sa radicalisation. Cela a donné lieu à un emballement médiatique, face auquel nous avons créé une délégation générale à l'éthique et engagé un important travail de fond pour lutter contre les phénomènes de communautarisme ou de fait religieux qui peuvent exister dans notre entreprise, comme dans d'autres.
Je ne suis pas d'accord avec vous : cette image a évolué. Une étude sociologique poussée a été menée et a permis de démonter quelques idées reçues. Aujourd'hui, certains articles de presse le reconnaissent, mais il est vrai qu'en la matière on retient plutôt les plus sensationnalistes que les plus objectifs. Toutefois, je sais que la représentation nationale travaille, quant à elle, en toute objectivité. Sur ces sujets, un long chemin a été parcouru et la chaîne managériale est maintenant très à l'aise.
S'agissant des sanctions, en effet, elles sont graduelles. Un salarié qui aurait un comportement incompatible avec le respect de la laïcité fait l'objet, dans un premier temps, d'un entretien de recadrage, durant lequel son manager lui explique que ce comportement ne convient pas dans une entreprise publique soumise, à ce titre, à une ligne claire. Bien souvent, les changements demandés sont exécutés, l'intéressé comprenant qu'il ne peut manifester dans le cadre du travail son appartenance religieuse. Dans le cas contraire, le panel de sanctions pour faute professionnelle comprend des mises à pied de quelques jours et va jusqu'au licenciement.
Depuis 2015, nous infligeons un peu moins de sanctions, ce qui indique que le message passe, que moins de faits se produisent, donnant lieu à moins d'entretiens de recadrage et il n'y a quasiment plus de licenciements pour ce motif. L'ensemble des salariés comprend que, à la RATP, il n'y a pas de place pour le fait religieux ou la pratique religieuse. En revanche, il nous faut travailler sur le respect de chacun, afin que des agents dont les convictions sont différentes travaillent bien ensemble.
Le Sneas peut également être saisi sur signalement, après un certain nombre d'éléments nous laissant penser à une radicalisation en cours. Nous avons opéré deux signalements sur ce fondement ces deux dernières années, qui ont donné lieu à une enquête par une commission interne puis à une saisie du Sneas, lequel, dans les deux cas, a conclu à l'absence de risque. Enfin, certains de nos salariés sont peut-être suivis par les services de sécurité, mais, dans la mesure où ils n'expriment rien sur leur lieu de travail, nous ne pouvons pas le savoir. Il faudrait alors poser la question au ministère de l'intérieur. En tout état de cause, nous n'avons pas reçu d'alertes depuis très longtemps.
Nous demandons des évolutions législatives via l'UTP. Nous souhaitons en particulier élargir le spectre des métiers sensibles aux métiers liés aux systèmes d'information, à la conception des systèmes de contrôle et de commande des installations ferroviaires ou guidées, ou encore aux aiguilleurs. Certains métiers n'avaient pas été pris en compte initialement en raison d'une crainte du ministère sur ses capacités à traiter les demandes. Nous souhaitons en outre l'élargissement de la possibilité de criblage aux intérimaires et aux sous-traitants, que la loi ne permet pas aujourd'hui. S'agissant des sous-traitants, nous avons toutefois introduit une clause de respect de la laïcité dans le cahier des charges de nos marchés publics. Enfin, je rappelle que nous souhaitons ne plus être soumis à une obligation de reclassement après avoir reçu une réponse négative du Sneas. Quoi qu'il en soit, la loi Le Roux-Savary a constitué pour nous une grande avancée législative et a offert aux entreprises de transport public un outil très important, dont nous nous servons pleinement.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Je vous rappelle que l'objet de cette commission d'enquête n'est pas l'analyse de la radicalisation violente et du terrorisme, mais la pression communautariste et le fait religieux, qui existe, il me semble, dans votre entreprise. Combien y a-t-il de chauffeurs de bus et de métros à la RATP ?
M. Jérôme Harnois. - Nous avons environ 15 000 chauffeurs de bus, 2 000 conducteurs de RER et 3 500 conducteurs de métro.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - C'est un nombre élevé, la pression religieuse doit donc exister ; il est difficile de le nier, on voit bien que c'est le cas. Êtes-vous confrontés à des demandes ou à des revendications telles que la possibilité de faire la prière du vendredi ? Avez-vous constaté que des lieux accueillaient des prières ou que des personnes priaient ? Avez-vous constaté des phénomènes de pression religieuse ?
J'ai échangé avec des sociétés de transport privées de la région parisienne qui avouent se trouver dans une situation très compliquée face à ces phénomènes. Les syndicats de la RATP ne sont-ils pas infiltrés par certaines personnes pour lesquelles la religion a une importance particulière ? On constate aujourd'hui une pression communautariste de la part des syndicats.
Lorsque vous avez licencié des agents parce que vous estimiez qu'ils étaient sortis du cadre, avez-vous fait l'objet d'une procédure devant les prud'hommes ? Si la réponse est positive, le licenciement a-t-il été confirmé ? Il arrive, dans ces circonstances, que ce ne soit pas le cas.
Recevez-vous parfois des remontées de clients, par exemple, sur l'attitude de certains chauffeurs vis-à-vis des femmes ? Dans certains départements d'Île-de-France, de tels problèmes existent : refus de serrer la main des femmes, regard, etc. Je sais que ce n'est pas facile, car vos chauffeurs sont très nombreux, mais avez-vous connaissance de telles remontées ?
Je souhaite obtenir des réponses précises sur le phénomène religieux dans l'entreprise et sur cette pression qui existe obligatoirement à la RATP. Vous disposez d'outils pour vous aider à lutter contre le terrorisme, l'État aussi, mais le phénomène qui nous intéresse aujourd'hui, c'est le communautarisme et la pression religieuse.
M. Jérôme Harnois. - Je vous rappelle les propos de Nathalie Gondard : le plan Travailler ensemble lutte contre toute forme de communautarisme et de discrimination, notamment envers les femmes. C'est même sa colonne vertébrale, qui comprend des actions de sensibilisation et de formation afin de lutter contre toute forme de communautarisme dont quiconque pourrait être témoin ou victime dans l'entreprise. C'est là sa vocation, son utilité et chacun s'en est emparé.
Il n'existe pas, dans notre entreprise, de pression communautariste organisée par je ne sais quelle communauté qui ferait sa loi. Je veux être clair : ce n'est pas le cas. Si des comportements individuels se manifestent, ils sont immédiatement pris en charge par le management, qui sait aujourd'hui que l'entreprise est sans ambiguïté dans ce domaine. L'ensemble de la chaîne managériale soutient cette réaction et, si nous obtenons des preuves suffisantes, et nous faisons tout pour cela, un processus disciplinaire est engagé. Nous ne sommes absolument pas sous l'emprise d'une quelconque pression communautariste. Il arrive que certains actes individuels se produisent ici ou là, mais il n'y a pas de communauté qui aurait pris le pouvoir, encore moins depuis que des règles précises ont été édictées et que nous menons des actions nombreuses et permanentes de sensibilisation. J'en veux pour exemple la journée de la laïcité, en décembre, dont nous avons fait un moment fort qui mobilise tout le monde.
S'agissant d'une éventuelle infiltration des organisations syndicales, celles-ci seraient mieux placées que moi pour en parler, mais je constate qu'elles ont totalement adhéré au plan Travailler ensemble, qu'elles en sont partie prenante, que les sanctions ou les licenciements que nous engageons sur ces motifs ne déclenchent pas de grève, alors que c'est le cas pour d'autres sujets, et qu'il n'y a pas de revendications confessionnelles dans l'entreprise, concernant la cantine ou la prière, par exemple. Cela s'explique sans doute par le fait que chacun sait que nous sommes une entreprise publique. Des entreprises privées subissent cela, c'est vrai, mais le cadre public est posé : le fait religieux y est strictement soumis à la laïcité, il n'y a rien à revendiquer.
Sur les comportements individuels : si un individu est surpris en train de faire sa prière ou refuse de serrer la main d'une de ses collègues, ces faits - qui sont de moins en moins fréquents - sont traités dès qu'ils sont portés à la connaissance du management, et, la parole s'étant libérée autour de ce sujet dans l'entreprise, ils remontent mieux qu'auparavant. La ligne est très claire : ils entraîneront des réactions de la part du management. Je ne dirais donc pas qu'il ne se passe rien, mais tout ce qui peut se passer entraîne une réaction de l'entreprise.
Il est vrai que nos clients sont une source d'alerte intéressante. Le moindre signalement, la moindre remontée, déclenche une enquête interne et le client concerné est invité, le cas échéant, à porter plainte auprès du procureur de la République. Je ne dispose pas de statistiques sur ce type de remontées concernant ces sujets, mais elles sont assez rares, il y en a quelques-unes par an. Chaque comportement déviant, en tout cas, entraîne le déclenchement d'une enquête interne et, le cas échéant, judiciaire.
Mme Nathalie Gondard. - J'ai en mémoire qu'une cliente à bord d'un bus avait été témoin, peu de temps après les attentats de 2015, d'un comportement inadapté de la part du machiniste, qui avait dit quelque chose comme : « Vous l'avez bien mérité ! » Elle a signalé ces propos, le service s'en est saisi, l'enquête menée a abouti et le machiniste concerné a été révoqué. Ces épisodes ne se produisent toutefois pas tous les jours, cela reste très anecdotique.
Nous avons différents outils. Nous suivons les sanctions prises, dans l'ensemble de l'entreprise, pour des faits liés à la religion. Nos managers se sentent plus outillés depuis le déploiement du plan Travailler ensemble. Le cycle « fait religieux », avec des intervenants prestigieux, comportait à la fois de la culture générale et des éléments sur le fait religieux en entreprise. Nous avons aussi organisé des sessions spécifiques pour le personnel chargé du recrutement. Nous réunissons les managers par groupes d'une centaine, sur une demi-journée, pour exposer le cadre légal avant d'organiser un partage d'expériences. Nous formons les formateurs des opérateurs, aussi. Nous diffusons également des outils numériques. Nous nous sommes associés, enfin, à la journée nationale de la laïcité, lancée par un groupe de sénateurs en 2011, en la prolongeant pendant une semaine. C'est l'occasion pour tout le monde de parler librement de ces questions. Chacun est libre de choisir sa religion, ou de ne pas en choisir, mais, dès l'instant où l'on a signé un contrat de travail, on ne doit pas la manifester, pas plus que ses opinions politiques, dans l'entreprise.
Mme Nathalie Delattre, présidente. - La presse, les réseaux sociaux, font état de faits, qui ne sont pas toujours exacts. Exercez-vous une veille sur ce type d'informations ? Comment y réagissez-vous ?
M. Jean-Marie Bockel. - Quand j'étais maire de Mulhouse, j'ai développé le réseau de transport local grâce à un partenariat avec la RATP ! Les réseaux de province ont vécu aussi l'apparition, année après année, de ces comportements et des menées islamistes. Une des causes en fut la manière dont nous avons géré nos embauches. Les candidatures provenaient majoritairement de ces populations. Dès le début des années 2000, nous nous demandions comment prévenir ces phénomènes, tout en respectant les règles de non-discrimination. Les premiers signaux nous sont parvenus à travers les syndicats, toutes tendances confondues - c'était presque amusant, tant les clivages idéologiques traditionnels s'en trouvaient bousculés ! Je suis très admiratif de votre travail, dont d'autres pourraient s'inspirer. Il faut éviter les conséquences de ces dérives, tout en se montrant prudent en amont : certains peuvent se conformer aux règles en apparence, alors que la braise couve toujours... C'est un phénomène de long cours auquel nous sommes confrontés, et qui doit continuer à nous interpeller. La partie est loin d'être gagnée. Le personnel embauché à l'époque est toujours là, et les phénomènes de cooptation n'ont pas disparu. Je pense que vous en avez conscience.
M. Jérôme Harnois. - Nous avons un service de communication important et assurons une veille sur les réseaux sociaux. On sait qu'il suffit d'un tweet ou d'un message pour enflammer la sphère médiatique. Nous devons aussi répondre aux remarques de nos clients. Dès qu'un sujet apparaît sur les réseaux sociaux, nous le prenons au sérieux. Si un comportement anormal d'un agent est signalé, nous menons une enquête interne : non-respect du code de la route par un chauffeur, affaire relevant du fait religieux comme une discrimination à l'égard des voyageuses, etc. Avec 12 millions de passagers, les messages sont nombreux. Il est dans l'intérêt de l'entreprise d'enquêter sur les faits signalés avant qu'ils ne prennent une tournure médiatique.
L'entreprise n'est qu'un maillon dans la lutte contre le communautarisme. Il est question du communautarisme religieux aujourd'hui, mais il peut en exister d'autres formes. Nous avons pris le sujet à bras-le-corps et cherchons à conduire un travail de fond. Toutefois, si le salarié ne manifeste pas de signe de radicalisation sur son lieu de travail, nous ne pourrons pas jouer notre rôle de lanceur d'alerte. L'entreprise n'est compétente qu'à l'intérieur de sa sphère. Il appartient à tous les acteurs qui interviennent sur les territoires où le phénomène peut se développer de le faire : État, associations, pouvoirs publics, etc. C'est ce que nous faisons. Notre plan Travailler ensemble a été lancé et s'est développé, puisque de la journée de la laïcité, on est passé à la semaine de la diversité. Nous devons tous rester vigilants et mobilisés face à tous les communautarismes. C'est par le biais d'un travail de fond, d'une politique de fermeté, de la mobilisation du management sur la question que l'on arrivera à définir, au moins dans l'entreprise, des repères clairs sur ce sujet.
M. Rachel Mazuir. - Constatez-vous des formes d'entrisme communautariste au sein des syndicats ? Certains syndicats ont-ils une forte connotation communautariste ?
M. Jérôme Harnois. - Je ne sais pas comment on peut évaluer le communautarisme. Ce qui est certain, c'est qu'aucun syndicat ne porte de revendications de nature confessionnelle ou communautariste dans l'entreprise. Mais je ne sais pas qui adhère à quel syndicat. La CGT est longtemps arrivée en tête lors des élections professionnelles. Elle a été récemment dépassée par l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA). Je n'ai pas d'indices d'un éventuel entrisme communautariste ; en tout cas, il n'y en a pas de manifestations. Au contraire, les syndicats soutiennent notre plan Travailler ensemble.
Il ne faut pas confondre non plus ce qui relève du communautarisme religieux et ce qui relève de la sociologie. À une époque, tous les cafés de Paris étaient tenus par des Auvergnats. Ce n'était pas pour autant du communautarisme ! Les gens arrivés sur un territoire pour les mêmes raisons ont souvent tendance à se regrouper, c'est un fait sociologique. Il ne faut pas confondre les tendances à l'oeuvre.
Mme Nathalie Delattre, présidente. - C'est vrai. On peut aussi évoquer les regroupements sur la base de la profession. Notre commission ne vise que le fait religieux.
M. Antoine Lefèvre. - Merci pour vos précisions, qui sont très intéressantes. Je tiens à saluer l'action de la RATP. Il faut rester vigilant.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - On comprend bien la difficulté pour une entreprise de gérer ce problème qui concerne toute la société, dans toutes ses dimensions. On imagine que la RATP n'est pas à l'abri de cette volonté visant à imposer des normes religieuses. Je suis toutefois rassurée par les mesures que vous avez prises. Nous serions d'ailleurs intéressés pour recevoir les tableaux de bord que vous pouvez tenir sur le sujet et qui permettraient de montrer les évolutions. Cela permettrait aussi de vous aider à modifier l'image de l'entreprise dans la société, un petit peu ternie après les attentats de 2015.
Mme Nathalie Delattre, présidente. - Cette audition nous rassure. La RATP a réalisé un travail considérable. Il faut saluer la mise en place d'une journée de la laïcité. Cela pourrait donner des idées à d'autres entreprises. Nous avons aussi noté avec attention vos attentes législatives. Vous n'êtes pas les seuls à les exprimer. Il est vrai que, lorsque l'on prend l'avion, par exemple, on a souvent affaire à des sous-traitants ou à des intérimaires. Il est dommage que vous ne puissiez intervenir sur ces postes. Je pense que nous ferons des propositions à cet égard.
La réunion est close à 17 h 15.