Jeudi 9 avril 2020
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -
La téléconférence est ouverte à 10 heures.
Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales : « L'accompagnement des collectivités territoriales par l'État face à l'épidémie de Covid-19 »
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous avons une pensée pour ceux qui sont malades et pour nos chers disparus. Quelques journalistes, en accord avec le ministre, pourront suivre nos échanges d'aujourd'hui. Un compte rendu sera publié. Le ministre ne répondra pas aux questions sur les enjeux sanitaires. Dans les jours qui viennent, nous écouterons les représentants des associations d'élus et, pour finir, Mme Jacqueline Gourault.
Monsieur le ministre, je tenais à vous remercier d'avoir accepté notre invitation pour cette audition importante sur les collectivités face au Covid-19.
En première ligne, les élus locaux sont confrontés aux demandes multiples de nos concitoyens. Ils y répondent avec leurs propres moyens lorsqu'il s'agit de leurs compétences, mais ils accompagnent également la population en relayant des informations ou des consignes qui ne relèvent pas de leurs attributions spécifiques ou en s'impliquant directement dans le contrôle du confinement et la sécurité sanitaire, avec l'achat de masques par exemple.
Ils agissent en bonne entente avec le préfet. Élu de Mulhouse, ville frappée de plein fouet, je peux témoigner d'une très bonne relation. Avec les Agences régionales de santé (ARS), c'est plus compliqué. Le directeur de celle du Grand Est a été relevé hier de ses fonctions... Je dois me faire l'écho de l'inquiétude ressentie par certains élus à la lecture de vos propos dans La Gazette des communes sur les efforts financiers que devraient consentir les collectivités.
Faute de temps, j'invite chaque collègue à poser les questions qui lui semblent prioritaires en étant raisonnable sur la longueur de son propos, étant entendu que le ministre s'est engagé à ce que les questions transmises qui n'auraient pu être formulées oralement disposent néanmoins d'une réponse écrite ultérieure.
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Je suis heureux de vous retrouver depuis Vernon. Je forme des voeux de bonne santé pour vous et vos proches. Il est précieux pour moi de vous retrouver : cela me permet de faire circuler et remonter l'information et de prendre le pouls de vos départements. Sur les points plus techniques, je vous ferai parvenir des réponses écrites.
Depuis le début de la crise, l'État a demandé trois choses aux élus locaux - en particulier ceux du bloc communal qui se trouvent en première ligne -, mais aussi à ceux des départements qui sont en première ligne sur le plan social et ceux des régions qui le seront bientôt sur le plan économique.
Il leur a demandé d'abord de les aider à faire respecter le confinement. Les maires sont agents de l'État, officiers de police judiciaire et officiers d'état civil. Tenir le confinement, c'est l'enjeu majeur. Le moment que nous vivons reste bien celui du respect du confinement. Le président Larcher l'a rappelé dans la presse, le partenariat efficace entre le maire et le préfet est essentiel. Cela n'a pas été sans poser des questions de méthodologie concernant les marchés. On parle beaucoup de différenciation territoriale, mais lorsque le Gouvernement la met en pratique, des questions légitimes relatives à l'égalité se posent et les préfets doivent passer beaucoup de temps à expliquer pourquoi tel maire a obtenu une dérogation et pas tel autre, à quelques kilomètres. Les arrêtés sont pris en bonne intelligence, notamment sur le couvre-feu. Il va sans dire que même si nous traversons un moment extraordinaire, les arrêtés municipaux doivent respecter la loi.
« Gâteau avalé n'a plus de saveur », dit-on ; tout cela semble couler de source maintenant, mais ce ne fut pas évident à garantir : je veux parler de la continuité des services publics locaux tels que l'eau, l'assainissement, le transport minimum pour irriguer nos hôpitaux notamment. Au moment où je vous parle, la continuité de ces services publics comme de ceux de l'État est remarquable, malgré les interrogations puissantes qui se sont exprimées sur La Poste et que j'ai moi-même relayées. Des interrogations ont pu naître sur les déchets dans le sud de la France, mais à y regarder de plus près, nous n'avons pas constaté de défaillance. Permettez-moi de mentionner particulièrement les services publics sanitaires et sociaux, qu'ils dépendent des communes ou des départements - centres communaux d'action sociale (CCAS), maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), aide sociale à l'enfance (ASE), protection des personnes âgées - et dans lesquels les agents publics locaux sont très engagés.
La troisième demande de l'État aux collectivités territoriales porte sur leur participation aux fonctions régaliennes. Il a fallu clarifier la conduite à tenir sur les mariages, qu'il faut annuler ou reporter, sauf exception. Même chose pour le domaine funéraire, sur lequel les maires sont au premier plan avec les services de pompes funèbres.
En miroir, l'État - Parlement comme Gouvernement - devait fournir des outils aux collectivités pour fonctionner. Je ne reviens pas sur la loi d'urgence que vous avez votée, avec le tuilage sur les élections municipales pour les quelque 30 000 conseils municipaux qui sont complets, et les 5 000 environ qui ne le sont pas. Les conseils élus en 2014 permettent la continuité. Je sais que cela pose des problèmes pour les maires ayant été battus ou qui souhaitaient se retirer...
Nous devions permettre aux collectivités de fonctionner sur le plan budgétaire, notamment celles qui n'avaient pas voté leur budget ou leur taux d'impôts locaux ; pour celles-là, nous appliquons une règle simple : nous prolongeons jusqu'en juillet ce qui avait cours l'année dernière. Aucun blocage de collectivité dans ce domaine ne m'a été signalé.
Nous devions leur permettre de fonctionner sur le plan juridique. Si des délais, par exemple dans le domaine de la commande publique, étaient en train de courir, ils ont été prorogés. Même chose pour les délégations de service public. Les règles concernant le silence de l'administration ont été adaptées. S'agissant de l'urbanisme, les maires peuvent choisir s'ils veulent ou non continuer à délivrer des permis de construire pendant l'état d'urgence sanitaire.
Il fallait enfin permettre à la démocratie de continuer à fonctionner, même si, par définition, l'état d'urgence sanitaire est un régime d'exception. Au-delà de ce que nous avons écrit dans la loi d'urgence, le maire a le devoir de rendre compte à l'assemblée sortante, mais aussi à l'équipe entrante. Cela se fait déjà bien souvent en temps normal sans base légale. Un droit nouveau est apparu, celui de la visioconférence, permettant à une assemblée délibérante de se tenir pour exercer toutes ses fonctions habituelles, sauf pour décider ce qui se vote à bulletin secret, car cela revêt un caractère constitutionnel. Une commission permanente, un conseil municipal peuvent se réunir pour prendre, par exemple, des décisions individuelles - il y avait urgence dans les départements.
L'ordonnance d'hier a été délicate, douloureuse à écrire. Elle concerne des exécutifs qui connaîtraient un décès pendant cette période. Nous avons tous en tête celui de Patrick Devedjian. En outre, à ma connaissance, quatre maires sont aussi décédés du Covid-19. Comment assurer l'intérim dans ce cas, que nous n'avions pas traité dans la loi d'urgence ? Nous avons décidé hier d'allonger la période d'intérim du premier adjoint ou du premier vice-président pour « enjamber » l'état d'urgence sanitaire. Personne n'aurait compris qu'une assemblée délibérante soit contrainte de se réunir sous trente jours. Le cumul de fonctions a été autorisé dans ce cas.
Concernant « le jour d'après » et les questions financières, je vous répondrai dans le détail ensuite. Il faut bien distinguer les problèmes conjoncturels que les collectivités connaîtront en période d'urgence et les difficultés structurelles qu'elles rencontreront dans les temps à venir. Que l'on me permette, pour terminer, de lever une incompréhension : si j'ai répondu à La Gazette qu'il n'y avait pas « d'argent magique », et que les collectivités devraient faire des efforts, cela ne sous-entendait pas que l'État leur demanderait d'en faire, mais que, faute d'activité, elles allaient voir leurs recettes baisser.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci de vos réponses. Je donne maintenant la parole aux douze collègues inscrits à l'avance, et dont les questions ont été transmises au ministre. Puis, je demanderai à Catherine Troendlé et Rémy Pointereau d'être le plus concis possible.
M. Mathieu Darnaud. - Vous ne souhaitez pas évoquer les questions sanitaires, mais nombreux sont les élus des territoires qui en appellent à une gestion de la crise qui soit décentralisée et déconcentrée - par exemple concernant les masques. Après cet épisode sanitaire, il nous reviendra d'examiner ces questions : cette crise nous appelle à plus de décentralisation et à plus de déconcentration, pour que les acteurs de terrain aient les moyens de répondre aux exigences des soignants et de la population.
Nous attendons tous le rapport du Conseil scientifique, le 23 mai prochain, qui permettra de savoir si le second tour des élections municipales pourra avoir lieu ou non le 21 juin. On entend qu'il pourrait y avoir des reports au mois d'octobre. Que se passera-t-il pour les intercommunalités, qui prennent de plus en plus de décisions ? Des dispositions sont-elles déjà envisagées ? La défiscalisation d'une prime de 1 000 euros pourra-t-elle être étendue aux collectivités territoriales ?
Mme Françoise Gatel. - Cette crise pose la question de la différenciation. On voit bien quel est l'enjeu de la capacité de réaction des collectivités, qui servent de pompiers. Les ARS fonctionnent de façon inégale sur le territoire français. La crise révèle aussi la nécessité pour un préfet de pouvoir articuler tous les services de l'État dans son département, ce que ne permet pas une trop grande centralisation. Quand les conseils municipaux complets seront-ils installés ? Nous commençons à sentir des tensions dans les territoires.
Comme Mathieu Darnaud, je me pose des questions sur les intercommunalités. Si les élections municipales sont reportées en mars 2021, les pouvoirs XXL confiés au seul président de l'intercommunalité seront-ils prolongés ? Comment celle-ci fonctionnera-t-elle avec des représentations parfois surnuméraires ?
Enfin, quelques collectivités ont des difficultés de trésorerie. Je pense aux communes forestières, à celles qui touchent habituellement des royalties de casinos, aux communes touristiques qui comptaient sur une taxe de séjour abondante. Concernant l'éligibilité à la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) bonifiée pour les communes nouvelles pendant trois ans, l'année 2020 - elle sera particulière - pourra-t-elle être neutralisée ?
En Ille-et-Vilaine, nous bénéficions d'une relation remarquable avec le préfet et le recteur ; avec l'ARS, cela ne se passe pas trop mal, mais il y a des marges de progrès... Concernant La Poste, il est inadmissible qu'elle ne puisse pas rendre des services essentiels aux citoyens alors que les caissières et les infirmières sont toujours là pour eux.
M. Marc Daunis. - L'ordonnance du 1er avril a délégué à chaque président d'exécutif local l'intégralité des pouvoirs qui pouvaient lui être délégués. Il est prévu qu'il puisse lui-même en déléguer tout ou partie à un autre élu ou aux directeurs généraux dans les conditions prévues par le droit commun. Cela nécessite-t-il un nouvel arrêté de délégation pour chaque adjoint ? Les conseillers municipaux délégués peuvent-ils en bénéficier ?
De nombreuses communes ont vu leur majorité déstabilisée. Dans cette situation, si nous voulons garantir l'efficacité de leur action, il ne faut pas que des problèmes de légitimité perdurent. Ne serait-il pas opportun de procéder à une refondation démocratique et, lors du premier conseil municipal d'installation, d'élire l'exécutif, afin de mettre fin à la dichotomie entre ce que Mme Gatel appelle les pouvoirs XXL du maire et la couleur différente du conseil municipal ?
Mme Josiane Costes. - Certaines communes du Cantal, petites mais touristiques, ont dû fermer leurs infrastructures touristiques, mais doivent continuer à payer leurs employés. Le dispositif du chômage technique pourrait-il être utilisé ?
Des tensions commencent à pointer entre les anciennes équipes battues et les nouvelles, qui ne sont pas d'accord avec certaines mesures. L'installation des conseils municipaux complets est indispensable.
Actuellement, sont toujours en place des présidents d'intercommunalités qui ont été battus aux élections municipales ou qui voulaient se retirer ; que se passera-t-il lorsque les conseils municipaux complets auront pu élire leur exécutif et les autres non ?
M. Pascal Savoldelli. - Nous avons en commun de nombreuses questions, quel que soit notre groupe. Vous avez évoqué le respect du confinement et les tensions entre égalité et différenciation. Ce que je remarque, c'est la très forte demande de protection des populations et des agents. L'État a un rôle particulier dans ce domaine.
On évoque une deuxième loi de finances rectificative. Quelle place réservera-t-elle aux communes ? La chute prévisible des recettes - on parle de 4,9 milliards d'euros - commence-t-elle à faire réfléchir le Gouvernement à l'opportunité de coupler impôts nationaux comme la TVA et impôts locaux ? Pensez-vous changer de cap ?
Les départements sont les plus touchés du point de vue des recettes fiscales. Ils sont hors de leur compétence lorsqu'ils coopèrent avec l'ARS, et mènent, par exemple, des projets de transport, hors contrat de plan État-région. Le Val-de-Marne consacre 100 millions d'euros à des projets de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Ne serait-il pas temps d'évoluer sur la différenciation entre compétences obligatoires et compétences facultatives ?
M. Charles Guené. - Je m'interroge sur l'évolution des recettes fiscales des collectivités. La commission des Finances a bien reçu les éléments que le Gouvernement lui a transmis sur la Dotation globale de fonctionnement (DGF). La Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est versée en différé. Les montants prévus seront-ils honorés cette année ?
Si vous avez dit qu'il n'y avait pas « d'argent magique », ce n'était pas pour préparer les collectivités à des coupes claires ; tant mieux ! Mais l'État ne pourrait-il pas stimuler les capacités de relance de l'investissement public des collectivités en conservant, voire en augmentant les dotations ?
Peut-on envisager que les collectivités puissent obtenir des lignes de trésorerie sans avoir à prendre une nouvelle délibération ? Certaines associations d'élus ont demandé que les instructions comptables soient modifiées de façon à ce que les dépenses liées à la crise sanitaire puissent être imputées en section d'investissement : qu'en pensez-vous ?
Les intercommunalités doivent voter leurs taux avant le 3 juillet, ce qui semble difficile, compte tenu du décalage des élections, si elles ont lieu fin juin. Ne peut-on imaginer un ajustement ?
Mme Patricia Schillinger. - La baisse de l'activité des entreprises entraînera une diminution des recettes de la fiscalité locale. Disposez-vous de premières projections à ce sujet ? Quelles mesures envisagez-vous pour leur venir en aide et éviter le cercle vicieux qu'engendrerait la baisse de la commande publique ?
La crise économique peut avoir un important effet ciseau sur les collectivités, dont les dépenses augmenteront en même temps que leurs recettes baisseront. La réforme en cours de la fiscalité locale est-elle maintenue ? Si elle est reportée, selon quelles échéances ?
Concernant les autorisations d'urbanisme, l'ordonnance fait craindre aux professionnels qu'aucun permis de construire ni autorisation d'aménager ne soient plus délivrés avant le 25 juin. Ne faudrait-il pas y remédier ?
Mme Sonia de La Provôté. - Ma question porte sur l'exercice des compétences dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Les conseils départementaux ne peuvent pas accompagner les toutes petites entreprises, souvent rurales, au titre de l'équilibre des territoires. Celui du Calvados souhaiterait ainsi libérer 10 millions d'euros, mais cela ne peut pas être mis en oeuvre au point de vue administratif. Le problème est pourtant aigu, voire explosif. La différenciation, moyennant un cadre, permettrait d'y remédier. Ne pourrait-on pas mener une réflexion urgente - même si les deux termes peuvent paraître antinomiques - sur la clause de compétence générale ? Nous avons besoin de la bonne volonté de tous. En attendant la future loi de différenciation, pourrait-on, d'ores et déjà, envisager un exercice différencié des compétences ?
M. Franck Montaugé. - Les collectivités locales ont une responsabilité majeure dans la relance de l'économie. À combien estimez-vous l'effet de la crise sur l'épargne de gestion nette des collectivités et les conséquences de cette évolution sur l'investissement local ? Je pense à nos petits artisans, qui souffrent beaucoup, pour qui la commande publique est essentielle. Lors de la crise de 2008, le Gouvernement avait procédé à un versement anticipé du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) pour soutenir l'investissement local. Que prévoit le Gouvernement ? Les collectivités représentent 70 % de la commande publique jusqu'à présent. Il faut que ces dépenses soient préservées non seulement en part, mais aussi en valeur.
M. Philippe Mouiller. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué la gouvernance des intercommunalités. Les mêmes dispositions s'appliquent-elles pour les autres structures que les Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), par exemple les syndicats ou les Sociétés d'économie mixte (SEM) ?
Je suis élu d'un département rural, où beaucoup de communes sont de petite taille. Ces communes sont souvent peu ou mal équipées en infrastructures de télécommunications, ce qui rend difficile le recours à la visio ou à l'audioconférence. Toutes les collectivités ne pourront donc pas appliquer les dispositions prévues dans l'ordonnance que vous avez citée.
Mme Michelle Gréaume. - En 2021, les collectivités devraient subir une baisse de la CVAE de l'ordre de 20 % à 50 % ; or il n'existe pas de garantie sur cet impôt. Les régions, les départements et le bloc communal seront fortement touchés par cette chute. L'État garantira-t-il un niveau minimum de ressources au titre de cette cotisation ?
Certaines estimations laissent à penser que la perte de recettes fiscales des collectivités locales pourrait s'élever à 5 milliards d'euros. Comment l'État va-t-il soutenir les collectivités dans ce contexte ?
M. Hervé Gillé. - L'aggravation programmée des déficits publics impliquera-t-elle une contribution supplémentaire des collectivités locales pour les résorber ? Les collectivités locales concernées demandent une extension de la suspension des contrats de Cahors pour prendre en compte la situation actuelle. Y êtes-vous favorable ? Comptez-vous leur imposer une clause contraignante de désendettement ?
Mme Catherine Troendlé. - Les collectivités locales sont aujourd'hui engagées de manière offensive pour gérer la crise ; demain, elles seront en première ligne pour soutenir les entreprises et l'activité économique, culturelle et sportive. Or la loi NOTRe bride leur action. Entendez-vous, dans ce contexte exceptionnel, desserrer les contraintes qui pèsent sur elles en termes d'exercice des compétences ?
M. Rémy Pointereau. - Nous ne devons pas ajouter de la crise à la crise et nous devons éviter que tout l'investissement local soit en panne. Il est donc très important de lever toutes les interrogations qui subsistent sur la continuité dans la gestion des intercommunalités ; je pense en particulier aux communautés de communes. Or il reste un certain flou qui entraîne des difficultés dans certaines communes ou intercommunalités pour lancer des appels d'offres. Comment s'exercent dans ce contexte les responsabilités au sein des intercommunalités ? Jusqu'où peuvent aller les décisions des équipes sortantes ?
Par ailleurs, sera-t-il possible de verser une subvention d'équilibre aux budgets annexes, par exemple ceux consacrés à l'eau et à l'assainissement ?
M. Bernard Delcros. - Il me semble important d'installer au plus tôt les conseils municipaux qui ont été élus au premier tour, car des difficultés apparaissent déjà. Il faut aussi définir un dispositif transitoire solide pour les intercommunalités.
Par ailleurs, comme certains de mes collègues, je crois qu'il est nécessaire de permettre aux collectivités, notamment aux départements, d'intervenir en matière économique.
Enfin, la situation actuelle montre l'importance du rôle des préfets de département. Je crois vraiment que nous devrons renforcer leur position de manière pérenne pour l'avenir.
M. Jean-Marie Bockel, président. - J'ajouterai trois questions, Monsieur le ministre.
La situation actuelle montre aussi l'importance de la transition numérique. Les dépenses liées à ce sujet doivent-elles être considérées comme des dépenses de fonctionnement ou d'investissement ? Ne pensez-vous pas que nous pourrions lancer des travaux dans les écoles avant la période estivale habituelle, puisqu'elles sont actuellement fermées ? Enfin, comment améliorer les délais de paiement aux entreprises ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Ce que chacun d'entre nous ressent depuis plusieurs années, à savoir le besoin de proximité, se confirme concrètement durant cette crise. Nous pouvons déjà voir que l'échelle départementale fonctionne bien et qu'il faut avancer dans la mise en oeuvre de la subsidiarité, qu'elle corresponde à de la décentralisation ou à de la déconcentration - permettez-moi de rappeler le décret sur le rôle des préfets adopté hier en Conseil des ministres.
Je ne reviens pas sur la question du calendrier général des élections municipales ;, nous avons tous en tête les éléments du débat. Je suis d'avis que nous devons installer le plus rapidement possible les conseils municipaux élus lors du premier tour. Nous ne pouvons cependant pas le faire par visioconférence, puisque le scrutin doit se dérouler à bulletin secret. L'opération n'est donc pas possible durant le confinement. Nous travaillons sur différents scénarios, mais notre idée, je le répète, est de procéder le plus rapidement possible. J'en profite pour rappeler un point essentiel : sous réserve des recours juridictionnels, les résultats sont définitifs dans les communes ayant élu leurs conseillers lors du premier tour.
En ce qui concerne les EPCI, il y a plusieurs cas de figure. Si le second tour des municipales a lieu en juin, les conseils municipaux des communes concernées et les conseils communautaires pourront être installés au début du mois de juillet dans des conditions de droit commun. Si les élections ne peuvent pas se tenir en juin, trois situations sont possibles : si aucune commune adhérente n'a complété son conseil municipal, les mandats devront être prorogés ; si toutes les communes adhérentes ont élu leurs conseils municipaux lors du premier tour, ce qui représente environ 30 000 communes et entre 40 % et 45 % des EPCI, l'installation des conseils communautaires pourra aller vite ; pour les autres situations, le Parlement devra se prononcer, le plus simple étant certainement de prolonger les mandats. Pour préparer la loi d'urgence, nous avons dialogué de manière rapide, mais intensive, avec les associations d'élus ; nous ferons de même, si nous devons légiférer de nouveau.
Se pose cependant la question des conseillers communautaires battus dès le premier tour des élections municipales, notamment ceux qui exercent la fonction de président. Il me semble qu'il existe deux possibilités : proroger quand même le mandat - je n'y suis pas très favorable à titre personnel - ou suivre le tableau des vice-présidents pour organiser l'exécutif. Les discussions restent ouvertes sur ce sujet.
En ce qui concerne le versement d'une prime défiscalisée par les collectivités locales, sujet évoqué par M. Darnaud, la question est à l'étude, mais cela resterait naturellement une faculté pour les élus, et non une obligation.
La date de mars 2021, évoquée par Mme Gatel, circule en effet dans la presse, mais elle n'a pas de consistance pour l'instant de notre point de vue.
Mme Gatel a également évoqué la bonification de la DETR. Laissez-moi d'abord vous dire que je souhaite vivement que l'année 2020 ne soit pas une année blanche ! Les collectivités doivent être en capacité de déclencher le maximum de travaux. Je souhaite préserver le système actuel de la DETR des communes nouvelles.
Monsieur Daunis, il n'est nul besoin de prendre un nouvel arrêté en ce qui concerne les délégations accordées par le maire ou le président d'EPCI, sauf s'il y a des modifications par rapport à l'existant.
Madame Costes, le statut de la fonction publique ne permet pas l'activation du dispositif de chômage partiel, mais les collectivités locales peuvent y avoir recours pour les structures qui ne relèvent pas de ce statut, par exemple les SEM ou les établissements publics industriels et commerciaux.
Quant au tuilage entre les équipes sortantes et entrantes, aucune loi ne règlera le problème ! Traditionnellement en France, les délais entre l'élection et la prise de fonction sont courts, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays du monde - il suffit de penser à la présidence des États-Unis d'Amérique. J'en appelle à l'éthique républicaine, à la responsabilité de chacun dans cette période particulière. J'ajoute que les voies de recours devant le juge administratif existent toujours, notamment en cas de vice de forme dans le processus de prise de décision.
Monsieur Savoldelli, le chiffre de 4,9 milliards d'euros que vous évoquez n'est pas documenté à ce stade.
Je voudrais d'ailleurs faire quelques remarques générales sur les finances locales.
Tout d'abord, il faut absolument distinguer l'urgent et le structurel. J'ajoute que certaines choses ne se voient pas : les équipes de mon ministère ont beaucoup travaillé pour faire en sorte que, malgré le confinement, la Dotation globale de fonctionnement (DGF), telle qu'elle résulte des critères votés dans la dernière loi de finances, soit versée en temps et en heure, ce qui est le cas.
Ensuite, pour la plupart des composantes de la fiscalité locale, il n'y aura pas de décalage dans le versement. Ainsi, certaines taxes ne sont pas touchées par la crise actuelle - je pense aux taxes foncières, à la taxe d'habitation ou à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Il n'y aura donc pas de remise en cause de la réforme de la fiscalité locale. En revanche, il pourra y avoir un impact sur la fiscalité liée à l'activité économique : CVAE, taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), etc. Mais cet impact ne se réalisera pas en 2020, puisque c'est l'État qui perçoit les taxes locales et les reverse aux collectivités. C'est donc l'État qui est directement affecté par les éventuelles tensions à ce sujet. L'État garantit aux collectivités le versement, dans les temps, de la DGF, ainsi que de la fiscalité sur la base des taux votés par les élus locaux.
Néanmoins, les choses seront différentes pour les droits de mutation, qui bénéficient principalement aux départements, et pour les recettes qui proviennent de la tarification de services locaux - on peut penser aux crèches ou autres services liés à l'enfance.
J'ai déjà évoqué, dans mon propos liminaire, ce que j'entendais lorsque j'ai utilisé l'expression « argent magique ». Je le redis, il n'y aura pas de baisse de la DGF. J'ajoute que nous sommes dans une période où nous avons particulièrement besoin des collectivités locales et de leurs investissements. Il n'est donc absolument pas question de les abandonner ni de couper dans les dotations d'investissement, qui atteignent aujourd'hui 2 milliards d'euros. De ce point de vue, la structure des finances locales et les effets cliquets prévus en cas de transferts de recettes en provenance d'impôts nationaux, comme la TVA, jouent en notre faveur. Bien sûr, nous devrons regarder les choses de manière beaucoup plus précise, lorsque nous serons sortis de la phase d'urgence.
Monsieur Guené, l'une des ordonnances que nous avons adoptée permet aux collectivités d'augmenter leur ligne de trésorerie de 15 % sans nouvelle délibération. De manière générale, en matière de trésorerie, nous regarderons si des avances sont nécessaires et possibles. Je le répète, nous n'abandonnerons personne.
En ce qui concerne l'évolution des instructions comptables pour reclasser des dépenses de fonctionnement en investissement, il nous semble préférable de laisser les aides aux entreprises en fonctionnement, et je ne suis pas certain qu'autoriser les collectivités à recourir à l'emprunt pour financer de telles charges leur rendrait finalement service. Faisons attention aux fausses bonnes idées.
La date du 3 juillet pour le vote des taux est le maximum que nous puissions faire. En effet, les services fiscaux doivent avoir le temps d'éditer les rôles pour que les redevables aient eux-mêmes le temps de payer leurs impôts. Je rappelle que les communes et les EPCI peuvent voter les taux d'imposition par visioconférence, puisqu'il ne s'agit pas d'un vote à bulletin secret.
Madame Schillinger, les inquiétudes des professionnels sont légitimes en ce qui concerne les autorisations d'urbanisme, mais tout dépend finalement des maires, puisque nous leur avons laissé la liberté de décider. Un maire peut tout à fait continuer d'accorder des permis de construire.
Je reviens un instant sur la compétence économique des collectivités locales, sujet évoqué notamment par Mme de La Provôté. Vous le savez, si j'avais été sénateur à l'époque, je n'aurais pas voté la loi NOTRe ! Pour autant, je ne suis pas favorable à utiliser l'urgence pour revenir sur de telles décisions, et il existe des modalités qui permettent aux départements d'agir, par exemple par délégation de la région. Par ailleurs, les départements peuvent abonder le fonds de solidarité qui est financé par l'État à hauteur de 750 millions d'euros et par les régions à hauteur de 250 millions. En outre, les départements exercent des compétences - enfance, solidarité, handicap, personnes âgées, etc. - qui, dans le cadre de la crise actuelle, sont absolument essentielles ; ils ne doivent pas les délaisser.
Je suis d'accord avec vous, Monsieur Montaugé, nous devons stimuler l'investissement et ne pas retarder les travaux d'entretien. Poursuivre l'activité présente également un intérêt psychologique évident.
Monsieur Mouiller, les dispositions relatives aux EPCI s'appliquent également, en tant que de besoin, aux autres structures intercommunales, mais certains organismes comme les SEM relèvent d'autres ordonnances.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée par Mme Gréaume pour revenir sur un débat que nous avons régulièrement dans l'hémicycle du Sénat : l'autonomie fiscale des collectivités locales. Ce principe fonctionne certainement par temps calme, mais en serait-il de même en cas de tempête comme en ce moment ? S'il était appliqué, l'État pourrait-il venir en aide aux collectivités ? Ce n'est pas certain, alors que la solidarité fonctionne bel et bien dans le cadre d'une autonomie financière.
Monsieur Gillé, vous le savez, les contrats de Cahors ont été suspendus. Ce sont des outils efficaces pour limiter les dépenses des collectivités locales en cas de mer calme, mais pas en cas de mer agitée. Pour l'instant, nous ne nous projetons pas au-delà de cette suspension ; nous regarderons les choses attentivement, lorsque nous serons sortis de l'urgence.
Monsieur Pointereau, il n'y a aucun flou : les mandats locaux ont été prolongés. Un président d'EPCI exerce donc toutes les compétences habituelles. En outre, nous avons ensemble refusé d'introduire la notion d'affaires courantes qui existe, par exemple, pour un gouvernement démissionnaire, car les collectivités doivent disposer de tous les moyens disponibles pour gérer cette crise. Nous ne devons pas les fragiliser en ce moment ; nous devons faire confiance aux élus.
Il en est de même pour les budgets annexes : il n'y a pas de changement par rapport au droit commun.
M. Delcros parle d'or en ce qui concerne les liens entre les préfets et les élus locaux. Le préfet continue de jouer un rôle très important, notamment en milieu rural.
Dans le domaine du numérique, Monsieur le président Bockel, beaucoup d'investissements ont été réalisés, il en reste à faire. Nous devons assurément prendre le virage du numérique, en termes d'usages. Vous le savez, la commission mixte paritaire qui a élaboré un texte sur le projet de loi Engagement et proximité avait repoussé le principe de la visioconférence ; nous l'avons introduit par ordonnance dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, mais cela doit rester l'exception. Pour l'avenir, cet outil pourrait toutefois être utile dans certaines circonstances, nous devrons y travailler de nouveau.
Enfin, je suis pleinement d'accord avec vous s'agissant des travaux dans les écoles.
Je vous remercie. Je reste naturellement à votre disposition pour répondre, le cas échéant par écrit, à vos questions. Et surtout, prenez soin de vous !
M. Jean-Marie Bockel, président. - Monsieur le ministre, M. Grosdidier a une ultime question à vous poser.
M. François Grosdidier. - Beaucoup de centres hospitaliers ont été installés dans la périphérie des villes, en zone gendarmerie. Les maires doivent donc exercer la police funéraire, ce qui les conduit en ce moment à faire de nombreux aller-retour. Serait-il possible de déléguer ce pouvoir de police aux directeurs des hôpitaux ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le Gouvernement a adopté un décret pour adapter les règles funéraires en raison de l'épidémie ; il répond en grande partie à votre interrogation. Aller plus loin, par exemple en déléguant à d'autres personnes certaines compétences, relève du ministère de la Justice ; je vais le saisir de votre question.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir participé à cette visioconférence.
Mes chers collègues, je vous informe que le Sénat lancera dans les prochains jours une consultation des élus locaux par internet sur toutes les questions relatives à l'épidémie de Covid-19 et à ses conséquences pour les collectivités. Le président du Sénat a donné son aval au lancement de cette consultation, qui se terminera le 4 mai. Je vous remercie de sensibiliser les élus de votre département à cette initiative.
La téléconférence est close à 11 h 50.