- Mardi 3 mars 2020
- Audition de M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du « Pôle Sciences pour l'expertise », de M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques, et de Mme Aurélie Mathieu, cheffe de projet à la direction de l'évaluation des risques de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)
- Audition de M. Jean-Pierre Kucheida, président de l'association des communes minières de France (ACOM France)
- Mercredi 4 mars 2020
Mardi 3 mars 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 15 h 50.
Audition de M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du « Pôle Sciences pour l'expertise », de M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques, et de Mme Aurélie Mathieu, cheffe de projet à la direction de l'évaluation des risques de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de trois représentants de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) : M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du « Pôle Sciences pour l'expertise », M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques au sein du même pôle, et Mme Aurélie Mathieu, cheffe de projet à la direction de l'évaluation des risques.
Cette audition devrait nous éclairer sur le rôle des agences sanitaires dans la prévention et la gestion des risques sanitaires liés à la pollution des sols résultant d'activités industrielles ou minières. On sent en effet monter une inquiétude croissante des populations qui résident à proximité des sites d'anciennes mines polluées et qui craignent une intoxication de leurs enfants aux métaux lourds ou à d'autres agents toxiques. Je pense notamment à l'exposition au plomb à Saint-Félix-de-Pallières dans le Gard ou à l'arsenic à Salsigne dans l'Aude.
Les familles concernées s'interrogent sur la méthodologie de l'État dans le déclenchement du suivi sanitaire et épidémiologique : en fonction des agences régionales de santé (ARS), l'approche de l'État semble varier d'un territoire à l'autre. Peut-on considérer que les référentiels d'évaluation des risques sanitaires utilisés par l'ANSéS, Santé publique France et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), notamment le système des valeurs toxicologiques de référence, sont adaptés à toutes les situations ? Les recommandations de votre agence sont-elles suivies à la lettre par chaque ARS lorsque des risques sanitaires sont identifiés face à un sol pollué ?
D'une façon générale, quelles insuffisances identifiez-vous dans le suivi sanitaire en cas de risque d'exposition à des agents polluants dans le sol ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite, chacun, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Gérard Lasfargues et Matthieu Schuler ainsi que Mme Aurélie Mathieu prêtent serment.
M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du « Pôle Sciences pour l'expertise » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS). - Je commencerai par vous présenter le champ d'expertise de l'ANSéS, s'agissant en particulier des substances chimiques ou des sites et sols pollués afin de distinguer son rôle de celui des autres agences de sécurité sanitaire, comme l'agence Santé publique France.
Le rôle de l'ANSéS est d'évaluer les dangers, les expositions et les risques résultant du croisement entre un danger et une exposition. Ces risques peuvent être liés aux agents biologiques, chimiques ou physiques (bruits, vibrations, par exemple). Nous exerçons également une activité de veille et de vigilance dans de nombreux champs. Nous faisons ainsi de la toxicovigilance, de la nutrivigilance, de la phytopharmacovigilance. Nous avons également un réseau de vigilance sur les pathologies professionnelles et environnementales.
Nos missions sont la sécurité sanitaire humaine et l'évaluation des risques dans les domaines de l'environnement, du travail et de l'alimentation. Notre approche est très intégrative, du type « One Health », puisque nous sommes chargés de la protection sanitaire de l'homme, de l'animal et des végétaux. Aujourd'hui, 900 experts travaillent en externe pour l'agence, dans nos collectifs. Ils sont aussi bien toxicologues, chimistes, vétérinaires, médecins que biologistes ou experts en sciences humaines et sociales.
Notre approche est fondée sur les expositions, c'est-à-dire les milieux - l'air, l'eau, les sols, l'environnement - ainsi que sur les produits et les substances chimiques, à la différence de Santé publique France, qui, elle, a une approche populationnelle basée sur la surveillance des pathologies dans les populations.
L'ANSéS, qui est placée sous la tutelle de cinq ministères, est en lien avec cinq grandes directions générales : la direction générale de la santé, celle de l'alimentation au ministère de l'agriculture, celle de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au ministère de l'économie, la direction générale du travail, la direction générale de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire. Aujourd'hui, entre 80 % et 85 % des saisines de l'ANSéS émanent de ces ministères. L'ANSéS peut également être saisie par les organismes représentés au sein de son conseil d'administration, par exemple les associations de défense des consommateurs ou de protection de l'environnement, ou par les partenaires sociaux. Elle peut également s'autosaisir afin d'anticiper certains sujets émergents entrant dans son champ d'expertise.
Notre méthode d'expertise est reconnue, standardisée et certifiée conforme à la norme expérimentale NF X 50-110. Elle est collective, indépendante, pluraliste et contradictoire. Elle s'appuie sur des comités d'experts spécialisés dans différents champs. Nous effectuons également des études et nous gérons les bases de données nécessaires à nos travaux d'expertise. Je l'ai dit, nous coordonnons des réseaux de vigilance, de veille et d'alerte. Nous avons mis en place une charte d'ouverture à la société et des comités de dialogue avec les parties prenantes sur des sujets de controverse ou d'incertitude, comme les radiofréquences, les nanomatériaux et les produits phytopharmaceutiques. Enfin, des comités d'orientation thématiques sont chargés de discuter le programme de travail annuel de l'agence.
Nous évaluons la toxicité de substances chimiques et nous élaborons des valeurs sanitaires de référence pour protéger les populations, sur lesquelles je reviendrai. Ces valeurs servent ensuite aux instances qui ont à gérer des problématiques liées à des sites ou à des sols pollués à l'échelon territorial. Nous caractérisons aussi les expositions, qu'elles soient alimentaires, environnementales ou professionnelles. Nos réseaux de vigilance nous permettent d'avoir des données régulières sur des expositions ou intoxications à un certain nombre de substances.
N'ayant pas d'antennes dans les régions, nous n'avons pas d'actions sur les sites et sols pollués. Dans ce type de situations, nous élaborons des valeurs sanitaires de référence et nous mettons à jour la base de données de ces valeurs sur le portail des substances chimiques de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Ce qui est important pour évaluer les risques c'est de connaître comment les gens sont exposés et à quels niveaux. Ce sont les données d'exposition de la population qui font le plus souvent défaut. Nous expertisons les données d'exposition des populations, nous calculons les valeurs toxicologiques de référence pour les différentes voies d'exposition. À partir de nos connaissances sur les dangers des substances incriminées et sur les expositions potentielles des populations, nous modélisons des scénarios d'exposition et procédons à une véritable évaluation des risques.
Nous expertisons également les effets sanitaires du climat et du changement climatique. Les particularités hydrologiques et géologiques d'un site pollué, ainsi que les effets du climat, peuvent en effet modifier les variables d'exposition de la population.
Je reviens sur les valeurs toxicologiques de référence, qui sont au coeur de notre champ d'action en matière de sites et de sols pollués. Ces valeurs permettent de mesurer l'effet sanitaire chez l'homme d'une exposition à une substance chimique. Cette valeur est spécifique à une substance, mais aussi à une voie d'exposition, par voie orale ou respiratoire, et à une durée d'exposition - aiguë, intermédiaire ou chronique. Cette valeur n'est donc pas spécifique à un milieu - l'air, le sol, l'eau ou les aliments. Elle est construite pour protéger le plus possible de l'effet toxique aux plus faibles doses testées. On identifie les données d'études dans la littérature scientifique mettant en évidence un effet sanitaire à la dose la plus faible possible. Les populations sensibles - les enfants, les femmes enceintes - sont prises en compte dans le calcul.
Il existe deux grands types de valeurs toxicologiques de référence : les valeurs à seuil et les valeurs sans seuil. Les valeurs à seuil signifient qu'un effet ne survient que si une dose de la substance d'exposition est atteinte et dépasse les capacités de détoxication de l'organisme. La gravité dépend ensuite de la dose de substance reçue par la personne par les différentes voies possibles. Les valeurs toxicologiques de référence sans seuil signifient qu'un effet est susceptible d'apparaître, quelle que soit la dose reçue, l'effet augmentant avec la dose. On peut ainsi évaluer la probabilité de survenue d'un effet chez une population. À titre d'exemple, pour le trichloréthylène, qui est un solvant chloré toxique pouvant provoquer des atteintes rénales et des cancers, on calcule une valeur toxicologique sans seuil, exprimée en microgrammes par mètre cube, ou par kilo par jour. Une valeur de 1 microgramme par mètre cube, pour un risque de 10-6, signifie un cancer en plus pour une population d'un million de personnes ; une valeur de 10 microgrammes par mètre cube signifie un cancer en plus pour une population de 100 000 personnes ; une valeur de 100 microgrammes par mètre cube un cancer en plus pour une population de 10 000 personnes. En santé publique, on admet en général un excès de pathologie grave pour un million de personnes, mais pas pour 100 000, 10 000 ou 1 000 personnes. Ces valeurs sont donc importantes.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Merci pour cet exposé liminaire.
La parole de l'État, que ce soit par la voix de ses agences sanitaires, des ARS ou des préfectures, est souvent mise en doute lorsqu'il s'agit de dire si des communautés ont été ou non exposées à des agents toxiques. Les autorités sanitaires sont souvent prudentes et emploient un langage qui peut surprendre, par exemple lorsqu'elles parlent d'« imprégnation » plutôt que de « contamination ». Dans ces situations, les mots ont leur importance, car ils ont un impact psychologique sur les personnes concernées.
Que pensez-vous de la méthodologie mise en oeuvre par les ARS pour évaluer l'exposition des riverains à des agents toxiques trouvés dans le sol ? Trouvez-vous normal que les autorités de l'État se contentent d'avancer des incertitudes scientifiques pour décider de ne pas déclencher un suivi sanitaire systématique des personnes exposées ? Appartient-il aux populations de prendre l'initiative de faire réaliser des analyses ?
Certaines ARS soulignent que l'origine industrielle ou naturelle d'une exposition à des agents toxiques ne peut pas toujours être déterminée et que les effets sur la santé de cette exposition ne peuvent pas être anticipés en raison de l'insuffisance des connaissances scientifiques. Pour autant, faut-il se résoudre à attendre de voir si le pire se produit ou pas ? En matière sanitaire, ne faut-il pas mettre en oeuvre un principe de précaution de façon plus systématique ?
Les valeurs toxicologiques de référence sont-elles adaptées à l'évaluation des risques sanitaires résultant d'une pollution des sols ? Ces risques sont-ils évalués en fonction de la concentration en agents toxiques dans les sols ou de leur concentration dans le sang ou les urines des riverains résidant sur ces sols ? Les ARS appliquent-elles une méthodologie commune pour le dépistage d'agents toxiques chez les riverains de sols pollués ?
Concernant les agents toxiques présents dans les sols en raison d'une activité industrielle ou minière, certains agents toxiques ont-ils un effet néfaste sur la santé, quelle que soit la dose administrée ? Avez-vous connaissance de sols pollués en France qui contiennent de tels agents toxiques ?
Le risque sanitaire d'autres agents polluants que le plomb est-il évalué ? A-t-on une idée des risques sanitaires que présentent ces autres agents ?
M. Gérard Lasfargues. - La transparence est une valeur fondamentale pour nous. Tous les rapports et avis que nous produisons sont publics. Nous publions très souvent des communiqués de presse ou des points d'actualité pour les accompagner. Nous l'avons fait dans le cas de l'usine Lubrizol, de l'usine Alteo de Gardanne et de l'usine de Mourenx dans les Pyrénées. Dans toutes nos expertises, nous prenons en compte le regard sociétal. Nous auditionnons souvent les associations et les experts qu'elles souhaitent nous présenter. Cela étant, il est vrai que nous avons plus l'habitude de parler à ces publics relais que sont les associations et les partenaires sociaux qu'au grand public. Aujourd'hui, toutes les agences de sécurité sanitaire se demandent comment mieux communiquer directement avec le grand public, à l'heure des réseaux sociaux. C'est une question dont nous débattons actuellement avec des instances habituées à ce type de communication, comme la commission nationale du débat public (CNDP) ou le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Cela étant, le rôle de l'ANSéS est non pas d'inquiéter ou de rassurer, mais d'évaluer les risques, de faire part de ses certitudes, mais aussi de ses incertitudes sur les situations d'exposition ou de risque, puis d'émettre des recommandations destinées à éclairer les décisions des autorités publiques.
Je ne peux pas vous parler de la méthodologie des ARS. Les responsables de Santé publique France, l'agence qui intervient sur les situations locales lorsqu'il y a des clusters de pathologies, pourront vous décrire leur méthodologie. Notre rôle à nous est de produire des valeurs de référence et d'évaluer des risques à partir de scénarios d'exposition.
Le public a du mal à faire la distinction entre expositions et risques. Nous sommes exposés tous les jours à toutes sortes de substances, des métaux lourds et des pesticides. Notre rôle est de calculer un risque, sur la base de ce que l'on sait de la toxicité d'une substance, des scénarios et des voies d'exposition d'une population. À titre d'exemple, lorsque nous avons travaillé sur le bisphénol A, nous nous sommes penchés sur la toxicité, la reprotoxicité et les autres perturbations de cette substance dans les études existantes. Nous avons étudié toutes les voies contributrices d'exposition et nous nous sommes rendu compte que les principales voies d'exposition étaient les canettes et les bonbonnes d'eau. C'est ainsi que le bisphénol A a été interdit dans les contenants alimentaires, d'abord pour les femmes enceintes et les enfants, puis pour toute la population.
Ces données d'exposition sont très importantes pour nous. Ce sont souvent elles qui manquent dans les situations de sols et sites pollués. On a souvent connaissance de l'exposition à certains métaux lourds - arsenic, plomb, cadmium, etc. -, mais les données d'exposition sur d'autres agents toxiques font souvent défaut. Je pense aux polychlorobiphényles (PCB), aux dioxines et autres agents de ce type. Nous commandons ces données aux organismes capables de nous les fournir, par exemple le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour les sols, l'Ineris, etc.
Par ailleurs, les connaissances scientifiques évoluent. Les valeurs de référence admises aujourd'hui pour la plombémie ne sont pas les mêmes qu'il y a vingt ou trente ans. Nous décelons des effets à des doses d'exposition beaucoup plus faibles, les techniques de détection des effets ayant beaucoup progressé.
Le principe de précaution est important. Dès lors qu'il est possible de réduire des expositions, il est important de le faire, surtout quand il existe une incertitude sur les risques qui peuvent en découler. Si nous sommes saisis, c'est pour évaluer les situations dans lesquelles le risque est incertain afin d'éclairer les choix et les décisions des gestionnaires. Quand le risque est avéré et connu, il faut mettre en place des indicateurs pour le surveiller et le supprimer.
L'ANSéS n'est pas chargée d'établir des recommandations en matière de surveillance médicale des populations. C'est le rôle soit de la Haute Autorité de santé (HAS), soit du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Nous produisons des valeurs de référence dans les milieux, par exemple des valeurs guides de qualité de l'air intérieur, à partir desquelles le HCSP peut déterminer des valeurs de gestion et décider de surveiller une population.
Alors que nous avions mis en évidence des effets sur le rein notamment ou des effets neuro-développementaux du plomb sur l'enfant à des doses très faibles, dès 15 microgrammes par litre, le HCSP a décidé de mettre en place une surveillance médicale des enfants à partir de 50 microgrammes par litre. Il peut donc y avoir des écarts entre les valeurs de référence que nous établissons et les valeurs décidées par le gestionnaire pour déclencher la surveillance médicale d'une population. Toutes ces valeurs sont un peu compliquées à comprendre pour la population.
M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques au sein du « Pôle Sciences pour l'expertise » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS). - Vous vous êtes interrogée sur l'emploi des termes « imprégnation » et « contamination ». L'imprégnation est le terme utilisé pour mesurer la teneur en substance chimique à l'intérieur d'un fluide corporel ou dans l'organisme. Une contamination environnementale va générer une exposition, puis une imprégnation. Il y a donc lieu de distinguer les deux. La population est exposée à un certain nombre de contaminants dans les sols et dans l'air. Nous en rendons compte dans nos études de l'alimentation totale. De son côté, Santé publique France réalise une étude d'imprégnation de la population. Par exemple, lorsque nous étudions l'exposition au cadmium de la population, Santé publique France mesure pour sa part les teneurs en cadmium dans l'organisme. Ces données sont importantes dans les situations atypiques de sites et sols pollués.
M. Gérard Lasfargues. - Aux Antilles, Santé publique France a réalisé des mesures d'imprégnation sanguine au chlordécone dans la population générale ; notre agence a effectué les mesures dans l'alimentation. Nous avons pu corréler la consommation des aliments les plus contaminés à l'imprégnation de la population. Il a été démontré que 95 % de la population avait du chlordécone dans le sang, mais cela ne nous dit pas le risque qui peut en découler. Il est cependant très important de déterminer des valeurs critiques d'imprégnation pour déterminer quelle population doit être surveillée de façon plus étroite. Des mesures de prévention doivent évidemment être prises afin de réduire ou de supprimer les expositions.
M. Laurent Lafon, président. - L'articulation entre l'ANSéS, Santé publique France et les ARS dans une situation de crise n'est pas encore très claire dans mon esprit. L'ANSéS définit les valeurs de référence, évalue l'exposition des populations. Les conséquences en termes de santé sont gérées par Santé publique France et les ARS. Qui décide in fine ? L'ANSéS décide-t-elle s'il existe un risque pour la population lorsqu'une pollution est découverte sur un site ? On sent les autorités réticentes à dire quelles sont la nature et l'importance du risque.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Qui vous saisit ? À quel moment devenez-vous l'interlocuteur ?
M. Gérard Lasfargues. - Nous sommes saisis par nos ministères de tutelle, pas directement par les ARS ou les acteurs locaux, lesquels doivent d'abord s'adresser à l'un de ces ministères.
M. Matthieu Schuler. - Nous sommes assez systématiquement à l'origine de la définition des valeurs toxicologiques de référence, que nous élaborons ou que nous retenons à partir du travail d'autres agences internationales, mais nous n'intervenons pas sur chaque calcul d'exposition. Le risque est calculé au niveau local, conformément à un certain nombre de guides méthodologiques nationaux. Il nous arrive d'intervenir, de manière exceptionnelle, pour effectuer des contre-expertises.
Une évaluation quantitative de risques correctement menée permet de repérer les facteurs qui contribuent le plus fortement à l'exposition, par exemple la contamination aérienne ou alimentaire, de déterminer sur quels leviers agir et d'identifier les mesures de restriction à mettre en oeuvre. Si les niveaux d'exposition sont très élevés, il peut être décidé, en lien avec les autorités sanitaires, de prendre des mesures d'un niveau supérieur, comme des examens médicaux ou des examens de situations individuelles.
M. Daniel Gremillet. - Aujourd'hui, pouvez-vous me confirmer qu'un établissement public foncier, par exemple, ne peut pas vous saisir directement ? Votre expertise vaut-elle à un instant t ou étudiez-vous également l'évolution du risque dans le temps ?
M. Gérard Lasfargues. - C'est une très bonne question ! Nos avis sont révisables en cas de changement dans une situation.
Comme je l'ai dit, nous sommes saisis pas nos ministères de tutelle, mais aussi par des personnes impliquées localement, dans des associations présentes dans notre conseil d'administration. Pour nous saisir, il faut donc passer soit par ces associations, soit par nos ministères de tutelle. C'est ce que font les ARS en général, qui passent par le ministère de la santé.
L'agence en première ligne pour l'analyse des signaux et la définition des actions d'évaluation à mettre en place, c'est Santé publique France.
Nous avons préparé avec Santé publique France une fiche détaillant nos actions respectives en santé environnement de façon générale, mais aussi dans le domaine des sites et sols pollués, que nous vous adresserons. Elle vous permettra de mieux comprendre la complémentarité et la cohérence d'action des deux agences. Nous préparons par ailleurs une réponse écrite au questionnaire que vous nous avez adressé.
M. Alain Duran. - Vous l'avez rappelé, vous êtes une agence nationale et vous ne disposez pas d'antennes en région. Cette organisation est-elle, selon vous, la plus pertinente ? N'est-il pas nécessaire de la faire évoluer et de créer des antennes régionales ?
M. Gérard Lasfargues. - Pour intervenir en région, nous aurions besoin de moyens beaucoup plus importants qu'aujourd'hui. Un gros effort a été fait pour accroître la cohérence entre les différents acteurs, le rôle des uns et des autres est désormais beaucoup plus clair, même si cela ne transparaît pas dans la communication, par manque de coordination. Il est arrivé dans le passé qu'un ministère saisisse deux agences différentes d'une même question, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le ministère nous saisit dans notre champ de compétences.
M. Matthieu Schuler. - La direction de l'évaluation des risques de l'ANSéS produit un peu moins d'une dizaine de nouvelles valeurs toxicologiques de référence par an. Si nous devions consacrer du temps aux situations locales, nous en aurions moins pour les chantiers nationaux. Nous avons donc peu de temps pour des dossiers locaux, cela dépend de notre programme de travail.
M. Laurent Lafon, président. - Que pensez-vous des évaluations quantitatives des risques sanitaires réalisées par les bureaux d'études certifiés ? Vous semblent-elles solides ? Donnent-elles lieu à des mesures correctrices dans des délais appropriés ? D'une façon générale, pensez-vous que le système d'inspection et de contrôle périodique des installations classées prenne efficacement en compte l'évaluation et la prévention des risques sanitaires ?
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous ne souhaitons pas surcharger votre agence, nous voulons pouvoir la saisir pour disposer de votre expertise dans certaines situations qui sortent de l'ordinaire.
M. Gérard Lasfargues. - Lorsque nous sommes sollicités, nous répondons, comme dans le cas des boues rouges de l'usine Altéo. Nous avons dans ce cas effectué une contre-expertise des données d'exposition produites par d'autres. Il arrive assez souvent que certains de nos experts se déplacent en région à la demande des autorités nationales. Nous avons ainsi été sollicités lors de l'accident de l'usine Lubrizol et concernant la pollution au plomb à la suite de l'incendie de Notre-Dame. Nous sommes tout à fait prêts à collaborer dans la mesure de nos moyens, en cohérence avec les autres agences de sécurité sanitaire.
M. Matthieu Schuler. - La réalisation d'évaluations quantitatives des risques sanitaires par des bureaux d'études privés a été décidée dans le cadre de la politique globale de gestion des sites et sols pollués par le ministère de la transition écologique et solidaire. Dans le cas de l'usine de Mourenx, nous avons été sollicités pour apporter un regard critique sur les valeurs de référence qui avaient été prises temporairement par Sanofi à l'aide d'un bureau d'études. Nous avons formulé des critiques sur ces valeurs. La dispersion du terme source - comment la substance est susceptible de se répartir dans l'environnement - relève en revanche de la compétence de l'Ineris. Les différentes agences ont donc une action complémentaire.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions de votre présence aujourd'hui et nous attendons les réponses au questionnaire que vous avez évoqué.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean-Pierre Kucheida, président de l'association des communes minières de France (ACOM France)
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous auditionnons maintenant M. Jean-Pierre Kucheida, président de l'association des communes minières de France. Votre éclairage nous sera particulièrement précieux afin de prendre la mesure des défis qui se posent aux élus locaux confrontés à des sols pollués qui présentent des risques pour la santé de leurs administrés ainsi que des risques écologiques majeurs.
J'imagine que votre association est particulièrement sensibilisée à ces enjeux, au regard de la situation problématique que connaissent d'anciens territoires miniers comme Salsigne dans l'Aude ou Saint-Félix-de-Pallières dans le Gard. Quelle est votre analyse de la qualité de l'action des services de l'État, tout particulièrement des préfectures et des ARS, dans la prévention et la gestion des risques sanitaires et environnementaux liés aux anciens sites miniers pollués ? Avez-vous le sentiment que les inquiétudes des populations et des élus soient prises au sérieux ? La collaboration entre les collectivités territoriales et les services de l'État est-elle efficace dans la gestion de l'après-mine ?
D'une façon générale, quelles seraient vos préconisations pour améliorer la gestion de l'après-mine dans notre pays ? Il semble que perdurent d'importantes asymétries entre le code minier et le code de l'environnement en termes de responsabilité des exploitants dans la remise en état et la dépollution des sols. Votre avis sur la réforme du code minier en cours de préparation nous sera donc très utile.
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Kucheida prête serment.
M Jean-Pierre Kucheida, président de l'association des communes minières de France. - Élu d'une région minière de 1971 à 2012, je continue à porter au plus haut niveau les difficultés de ces territoires à travers l'association des communes minières que je préside depuis 1989/1990, celle-ci étant le prolongement de l'association des communes minières du Nord-Pas-de-Calais, née en 1970. En tant que parlementaire, j'avais considéré qu'il fallait porter la voix de l'ensemble des communes minières au plan national pour obtenir des réponses satisfaisantes. Nous avons ainsi pu renforcer notre action mais les solutions apportées restent insuffisantes.
J'espérais beaucoup de l'élaboration d'un nouveau code minier, avec sa refonte complète. J'ai participé en 1994 et en 1999 à deux revisites du code minier. Les amendements que nous avons proposés en 1999 ont été votés à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce dont je suis particulièrement fier. Je souligne au passage l'importance du débat parlementaire mais également du suivi de la mise en oeuvre par les administrations. J'avais demandé en 1994 à Gérard Longuet, alors ministre de l'industrie, et ensuite à son successeur Christian Pierret, de pouvoir suivre l'élaboration des décrets d'application. Je signale ici ma très grande méfiance à l'égard de l'administration et de sa tendance à tordre le cou à certaines innovations. Ainsi, je rappelle que l'un de mes amendements de 1999, adopté contre l'avis du Gouvernement, a créé une agence de prévention et de surveillance des risques miniers. Entre mars 1999 et mars 2012, les réticences du ministère en charge du budget se sont manifestées et il a fallu trois ans pour que le décret d'application soit publié, un mois avant les élections présidentielles. Le Gouvernement de M. Balladur - et surtout son administration - a donc mis en place cette agence à contrecoeur et on s'est arrangé pour mettre à la tête de cet organisme, constitué sous forme d'établissement public industriel et commercial (EPIC), quelqu'un qui n'y connaissait pas grand-chose et n'avait pas, en tous cas, un poids suffisant. Puis on est venu me voir en faisant valoir qu'il n'était pas souhaitable de continuer à gaspiller l'argent du contribuable dans une telle structure : celle-ci a, dès lors, été transformée en une simple commission qui n'avait pas les pouvoirs de l'agence initialement conçue et qui n'a jamais pu réellement fonctionner.
Dans le nouveau code minier qui viendra rapidement, je l'espère, en discussion, il faut ré-instituer cette agence qui est une nécessité pour l'ensemble du pays, car les difficultés minières subsistent. Je souligne qu'une telle initiative aurait également l'énorme avantage de redonner confiance à ceux qui pourraient voir, à l'avenir, une mine s'ouvrir sur leur territoire. En effet, aujourd'hui, dans un tel cas, on se pose nécessairement la question de la réparation en cas de cessation d'activité puisque l'État, qui est totalement responsable, est souvent de mauvaise foi dès qu'il s'agit de dépenser quatre sous pour réparer alors que les activités minières lui procurent des recettes et enrichissent non seulement l'État mais aussi le pays au plan économique et social. Historiquement, la mine a joué un rôle colossal dans l'évolution de la France.
Je rappelle ici un des fondamentaux du droit minier : la propriété du sol emporte celle du sous-sol, sauf quand celui-ci contient un certain nombre de matières premières listées de façon précise par l'article L. 111-1 du code minier. L'État se substitue alors au propriétaire et devient concédant ; il peut céder l'exploitation des substances présentes dans le sous-sol à un concessionnaire qui devient responsable, sous l'égide de l'État, des activités minières qu'il conduit. Lorsqu'il cesse son activité, l'exploitant doit rendre la concession à l'État après avoir dépollué le site et l'État devient responsable, en particulier si le concessionnaire disparait, le but étant de permettre que la vie des riverains s'exerce de façon normale. Dans les faits, on laisse parfois la concession en l'état, sans la supprimer et sans demander au concessionnaire de réaliser les travaux nécessaires : on laisse alors trainer les choses et perdurer certaines carences graves.
Je précise que notre association s'occupe assez peu de la pollution des sols ; nous sommes surtout attentifs aux accidents qui peuvent se produire en surface ainsi qu'à toutes les conséquences d'une exploitation minière avec, en particulier, le stockage des déchets en surface qui peut être fait dans des conditions très diverses.
Je connais assez bien la région de Salsigne, à laquelle la rapportrice est très sensible, et les quatre communes principalement concernées par l'exploitation de l'or dans ce secteur, je peux affirmer que l'État n'a pas imposé les contraintes nécessaires à l'entreprise australienne qui a exploité l'or pour la dernière fois il y a une dizaine d'années. Je suis retourné à Salsigne l'été dernier et je ne peux que constater la persistance des difficultés avec des amoncellements considérables de déchets. Comme vous le savez, on ne récupère qu'une proportion infinitésimale d'or parmi les tonnes de matières extraites et pourtant cela reste rentable. Pour récupérer l'or, on extrait également des produits assez dangereux comme l'arsenic - encore que, dans le département de l'Aude, un maire m'a signalé à quel point ces matières sont à l'état natif dans ce département qui a longtemps été le premier territoire du monde exportateur d'arsenic. L'utilisation de l'arsenic était donc particulièrement facile dans cette région et on en a peut-être un peu abusé - je cite au passage un cours d'eau présent sur ce territoire et qu'on appelle le « ruisseau du Ricard » en raison de sa couleur - sans que les autorités prennent vraiment conscience des difficultés. Si les vacanciers savaient qu'ils prennent parfois un bain dans une eau à assez haute teneur en arsenic, ils seraient peut-être un peu surpris, ceci découlant de causes naturelles mais aussi de l'exploitation de la mine d'or.
Deuxième illustration : dans l'Ardèche on a exploité de l'argent dans une commune qui s'appelle l'Argentière. Dans cette très jolie commune, le maire me montre les déchets qui se trouvent au sommet de la montagne et qui risquent un jour de se déverser.
Je prends également l'exemple de l'exploitation du sel en Meurthe-et-Moselle. Le danger ne réside pas tant dans la pollution que dans les risques d'affaissements, avec des communes bâties sur des mines de sel qui se trouvent à 100 ou 150 mètres de profondeur.
Dans de telles configurations, on a souvent subi les conséquences des décisions prises par les services de l'État. Ainsi, dans le bassin ferrifère de Lorraine, en 1996-1997, l'administration a accepté, à la demande de l'exploitant Lormines, que le bassin soit ennoyé. Nous avions protesté en disant que cela pouvait entrainer des catastrophes et c'est ce qui s'est effectivement produit : l'ennoiement a fragilisé les piliers qui permettaient le soutènement et les maisons qui se trouvaient au-dessus de la mine ont littéralement explosé. À l'époque, je suis allé sur le terrain avec Christian Pierret et le cataclysme, qui n'a heureusement pas fait de victimes, était effrayant avec une situation très préjudiciable pour la population, surtout pour le logement.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Permettez-moi tout d'abord de saluer l'engagement des élus locaux de territoires miniers, tant en faveur de la protection des populations et de l'environnement que de l'attractivité de leurs territoires qui souffrent inéluctablement de situations sanitaires et écologiques souvent dramatiques. Ce n'est pas simple car beaucoup de choses ont changé : alors que les populations avaient l'habitude de vivre avec le risque et la culture minière, les nouveaux habitants demandent des explications et s'adressent aux élus locaux qui n'ont pas toutes les réponses en matière de pollution des sols et de risque sanitaire. Les élus qui oeuvrent en matière d'environnement et de santé sont également très attachés à l'attractivité de leurs territoires. Ceci n'empêche pas cela car le tourisme, notamment industriel, se développe et la nature finit par reprendre ses droits mais les élus sont, sur tous les sujets que je viens d'évoquer, en première ligne.
Tout d'abord, je m'interroge sur la capacité de notre législation à prévenir la répétition de moments douloureux tels que ceux qu'ont vécus d'anciens sites miniers comme Salsigne ou Saint-Félix-de-Pallières. Les élus et les riverains ont vu, impuissants, des exploitants partir, parfois sous couvert de difficultés financières, en laissant derrière eux un passif sanitaire et environnemental terrifiant. Comment modifier le code minier pour imposer aux exploitants d'assumer leurs responsabilités en matière de dépollution et de remise en état ? Faut-il transposer aux sites miniers les obligations de constitution de garanties financières qu'on impose désormais aux exploitants industriels ?
Par ailleurs, depuis la loi sur la biodiversité de 2016, il est possible de demander à un exploitant de réparer un préjudice écologique. Avez-vous connaissance de procédures engagées devant les juridictions civiles pour obtenir la réparation des préjudices écologiques subis par d'anciens territoires miniers ?
Enfin, quelle évaluation faites-vous des interventions de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et du département de prévention et de sécurité minière du bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) dans la mise en sécurité des sites miniers ? Il semble qu'ils s'en tiennent à confiner les sources de pollution, comme les dépôts de déchets toxiques, mais n'effectuent pas véritablement d'opérations de dépollution pour remettre en état les sites. Dans ces conditions, les collectivités se retrouvent avec des terrains confinés inutilisables. Cette situation ne me semble pas tenable : ne faudrait-il pas mettre en place un fonds de dépollution des sols et, si oui, comment pourrait-il être financé ?
Enfin, on s'oriente aujourd'hui vers la révision du code minier en ayant l'impression que ce sont surtout des aménagements à la marge qui sont prévus avec un rapprochement du code minier et du code de l'environnement. N'a-t-on pas plutôt besoin d'un code minier qui réponde aux enjeux actuels avec, en particulier, des outils de reconversion des sites miniers et de revalorisation des sols.
M Jean-Pierre Kucheida. - Je vous remercie pour ces nombreuses et passionnantes questions qui me permettent, tout d'abord, d'évoquer le cas de Saint-Félix-de-Pallières où on extrait du plomb - particulièrement toxique - et du cuivre. De manière générale, cela irait mieux si les services au sommet de l'État venaient plus souvent voir ce qui se passe sur le terrain. La caractéristique de nombreuses communes minières est qu'elles sont souvent de petite taille et c'est pourquoi je me fais un point d'honneur de les défendre car leurs élus sont placés dans des situations très difficiles. La première fois que j'ai rencontré le maire de Saint-Félix-de-Pallières, il était effaré par tout ce qu'on lui demandait : sa commune comprend 270 habitants et dispose donc de très faibles moyens ne permettant pas de répondre aux demandes - par exemple de clôture de la zone minière concernée - adressées par une administration qui, au départ, était plutôt contre le maire qu'à ses côtés. Dans ce cas précis, je suis allé à une réunion qui s'est tenue à la préfecture de Nîmes, en présence de l'exploitant canadien : ce n'était pas facile car le préfet, qui présidait ce dialogue semblait plutôt du côté de l'exploitant que des élus de son département ; je le dis clairement et j'avais demandé une meilleure prise en compte des difficultés des communes. J'ajoute que ce territoire a accueilli pendant plusieurs années un festival hippie sans que des mesures de protection suffisantes soient prises par l'État. Tout ceci illustre à quel point un maire d'une petite commune peut être à la merci de l'administration. Voilà le type de problème auquel je me heurte dans l'ensemble des bassins miniers quelle que soit la substance produite. Nous avons de problèmes similaires dans le Var où se trouvent des mines de bauxite.
Comme le souligne Gisèle Jourda, certains souhaitent faire un parallèle entre le code de l'environnement et le code minier. Je pense, pour ma part, que le code minier doit garder sa spécificité, pour plusieurs raisons. Étant profondément patriote dans l'âme, je pense qu'il faut continuer à exploiter les richesses qui sont les nôtres, mais dans les meilleures conditions en remettant les territoires qui ont été exploités en meilleur état qu'ils n'étaient avant leur exploitation. C'est possible à condition d'y mettre les moyens financiers et législatifs et, de plus, la rapportrice a justement souligné les nécessaires garanties que doivent apporter les exploitants avant de commencer leur activité. Il faut cependant leur permettre de conduire des explorations de qualité pour évaluer l'intérêt du site car ces explorations n'induisent pas de pollution - ou très marginalement. Par exemple, on dispose d'opportunités nouvelles pour un matériau stratégique, le tungstène, présent dans le Tarn et dans la mine de Salau en Ariège. Cette dernière avait fermé en raison de la baisse des cours du tungstène et on s'efforce aujourd'hui de la rouvrir.
Au moment où je suis arrivé à la présidence de l'association des communes minières, on produisait dans toute la France toutes sortes de matières premières : non seulement du charbon, du fer, et du sel qui sont les trois principales, mais aussi de l'or, de l'uranium et du cuivre et bien d'autres. Aujourd'hui, la seule mine qui subsiste produit du sel à côté de Nancy : elle se situe à Varangéville et sa profondeur avoisine 150 mètres. Pour l'avenir, les parlementaires doivent aussi penser aux richesses agricoles du sol et énergétiques ou minières du sous-sol de notre pays.
On prétend que l'énergie sera, demain, totalement renouvelable mais j'attire votre attention sur le fait que pour planter une éolienne, il faut utiliser 200 kilogrammes de minerais rares qui proviennent à 95 % de Mongolie intérieure. Faut-il assumer le choix de cette dépendance ou continuer à valoriser les richesses présentes sur notre territoire, d'autant que celui-ci est particulièrement fertile, surtout dans le Massif armoricain, dans le Massif central et dans les Pyrénées ? Telle est la question de fond que je pose aux parlementaires que vous êtes. L'épidémie de coronavirus montre que nous avons des difficultés d'approvisionnement d'un certain nombre de matériaux que nous importons de Chine, qui font l'objet d'une sorte d'embargo. Tel est également le cas du lithium qui sert à la fabrication de nos piles et dont j'espère qu'il pourra prochainement - les recherches avancent bien dans ce domaine - être remplacé par le sodium que l'on peut produire dans notre pays.
M. Laurent Lafon, président. - Nous nous concentrons, dans cette commission d'enquête, sur la pollution des sols mais vous avez raison de soulever la question de l'opportunité d'exploiter les richesses de notre sous-sol.
M. Daniel Gremillet. - Élu de Lorraine depuis 1986, j'ai effectivement vécu ce que vous avez décrit.
Il y a un point que vous n'avez pas encore évoqué : celui de l'eau, avec toutes les conséquences de l'ennoyage sur la qualité de celle-ci.
Les évolutions ont été terribles : bien souvent, comme vous l'avez indiqué, les anciens sites miniers ont été, dans un premier temps, orphelins, personne ne s'en occupait. Puis des programmes ont été lancés dans lesquels l'État a joué un rôle central, en particulier dans les bassins qui produisaient du charbon ou du fer. Il était normal que l'État assume ses responsabilités car ces productions étaient d'intérêt national et la région Lorraine n'avait pas les moyens d'agir. Aujourd'hui ces territoires vivent les graves conséquences de ces exploitations minières mais sont abandonnés. Il n'y a plus de soutien de l'État, qui s'est peu à peu effacé, alors que les conséquences sont graves pour les communes et les particuliers, avec, par exemple, des habitations qui se fissurent et deviennent inhabitables. Je cite également les risques d'affaissement que l'on constate en parcourant les routes en Alsace, près de Mulhouse, sur les anciennes exploitations de potasse.
Je résume donc mes deux interrogations. La première porte sur les conséquences des activités minières sur la qualité de l'eau. La seconde concerne la responsabilité des pouvoirs publics et les possibilités d'accompagnement des communes et des particuliers dont certains sont très exposés aux effondrements qui n'avaient pas été prévus au moment où un permis de construire leur a été délivré.
M Jean-Pierre Kucheida. - S'agissant de l'eau, je suis naturellement très conscient des problèmes mais il faut préciser que les situations sont très variées selon les bassins miniers. Tout dépend du bassin et de la profondeur d'extraction. Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais où on a extrait du charbon jusqu'à la profondeur colossale de 1 400 mètres ; je signale d'ailleurs que les conditions de travail étaient presque pires qu'au bagne de Guyane avec une chaleur qui pouvait monter à 45 degrés et une humidité difficilement supportables. D'autres exploitations ont été moins profondes, comme en Lorraine. Je suis récemment allé à Forbach et à Saint-Avold et je connais tout particulièrement les difficultés de la petite commune de Rosbruck, tout près de la frontière allemande, qui risque de perdre des dizaines d'habitations car on ne pompe plus suffisamment l'eau et la remontée de la nappe souterraine va ennoyer les habitations. Or celles-ci sont déjà confrontées à des difficultés considérables avec, comme on l'a connu dans les mines de potasse d'Alsace, des dévers considérables : vous mettez une bille sur le plancher d'une maison et elle file à vive allure tellement les planchers sont en pente par le résultat de la déstabilisation des terrains. Une association se bat depuis des années à Rosbruck mais n'arrive pas à être prise en compte alors qu'il faudrait déménager 40 à 50 logements et les reconstruire sur des terrains plus adéquats et disponibles sur ce territoire.
Chez nous, la remontée de la nappe est extrêmement faible. J'avais d'ailleurs fait voter la mise en place d'une instance régionale de concertation réunissant l'ensemble des élus des bassins miniers d'une région pour pouvoir faire le point sur tous les problèmes qui peuvent se poser. Or dans certaines régions, comme l'Occitanie, cette instance n'existe pas. Il revient aux parlementaires d'en exiger l'installation. Dans ma région, le problème se pose moins étant donné la profondeur de l'exploitation : il faudra environ 300 ans pour que l'ensemble des veines de charbon soit ennoyé.
Cela soulève un autre problème, à savoir celui du gaz fatal, c'est-à-dire le méthane, qui sort spontanément d'une mine de charbon. Actuellement, on récupère le méthane car il constitue un problème de sécurité majeur pour les populations qui se trouvent en surface, le méthane étant un puissant explosif. Le méthane présente en outre un avantage considérable : il est possible de l'injecter dans le réseau gazier ou on peut l'utiliser pour produire de l'électricité à travers des turbines électriques. Alors qu'on nous disait que cela durerait vingt ans et que cela permettrait d'approvisionner en énergie de 40 000 à 60 000 habitants, on peut penser aujourd'hui que cela pourrait durer au moins cent ans et que ce gaz permettrait de fournir de l'énergie à au moins 400 000 habitants. Aujourd'hui l'État ne nous permet pas de récupérer ce gaz très polluant qui sort par 120 évents, au-delà des quatre points où il est récupéré. Or le méthane, à proportion égale, est 27 à 100 fois plus polluant que le CO2. Il me semble que le BRGM et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui sont chargés de suivre l'évolution des évents, ne veulent pas laisser passer la poule aux oeufs d'or.
Mme Sonia de la Provôté. - Ma première question concerne les amoncellements inouïs de déchets post-exploitation : est-on en capacité technique de les dépolluer au regard de leur quantité et des risques multiples qui y sont associés ? Je m'étonne en outre que le traitement en temps réel des déchets n'ait pas été prévu afin d'éviter ces amoncellements. C'est bien ce que l'on exige d'autres entreprises, dans le secteur du BTP par exemple. Or ces exploitations étant soumises à autorisation, il me semble que le process d'exploitation doit prendre en compte cette dimension essentielle qu'est le traitement des déchets en temps réel.
D'une part, il me semble que l'État n'est pas toujours à la hauteur des impératifs de santé publique et agit à géométrie variable en fonction des pressions locales. D'autre part, il se décharge financièrement, techniquement, et en termes de responsabilité juridique voire judiciaire, vis-à-vis des collectivités et des élus locaux qui sont presque rendus responsables du non confinement, de la non surveillance, alors même qu'il est très difficile pour une petite commune de gérer une situation sanitaire urgente. C'est un sujet d'État et laisser dériver la responsabilité sur les collectivités locales, c'est donner aux élus un rôle qu'ils n'ont pas à assumer.
M Jean-Pierre Kucheida. - Les collectivités locales minières n'étaient pas de vraies collectivités jusqu'aux années 1950. C'était d'abord la compagnie, ou Charbonnages de France par exemple, qui gérait tout. Le Pas-de-Calais, avant qu'on y découvre du charbon était l'un des plus grands départements ruraux de France. L'exploitation charbonnière est venue se plaquer sur ce département. Ma commune, qui comptait 1 450 habitants en 1857 au début de l'exploitation minière, est passée à 26 000 habitants en 1914. Il fallait alors amener toutes les structures permettant la vie de cette population. La compagnie s'est substituée à la commune, notamment pour la construction d'écoles, d'églises, de salles de réunions, de kiosques à musique... Pendant longtemps, et encore aujourd'hui, nos communes ont été très défavorisées fiscalement puisque les compagnies, puis Charbonnages de France, faisaient tout. C'est pour cela que les communes minières sont aujourd'hui les communes les plus pauvres de France. Il s'agissait d'abord de communes qui subissaient la redevance des mines, qui était très faible. Il devrait y avoir une véritable réforme des finances des communes minières pour qu'elles arrivent au même niveau que les autres communes en France. J'ai réussi à le faire, dans une certaine mesure, en 1985, avec l'association que nous avons créée avec Jacques Floch, maire de Rezé, « Villes et banlieues » puisque les communes minières ont les mêmes caractéristiques que les villes de banlieues. Nous avons imposé dans la discussion budgétaire une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à partir de 1986 de 20 % par an pendant cinq ans dans les communes minières et dans les communes de banlieue. Mais cela n'a pas suffi à réduire les difficultés par rapport aux autres communes. Il est nécessaire de revoir le fondement des finances des communes minières.
J'ai participé récemment à une manifestation commémorant la première exploitation charbonnière du Nord Pas-de-Calais, à Fresnes-sur-Escaut, où une veine a été découverte il y a 300 ans, en 1720. Mais entre 1720 et aujourd'hui, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Le code minier, qui date de 1810, proposait la mise en route d'une mine mais ne prévoyait rien sur l'après-mine. Cette situation existe encore aujourd'hui les grands pays comme les États-Unis ou le Canada où les territoires sont tellement immenses que l'après-mine n'est pas un problème : la nature finit par reprendre ses droits.
Dans mon bassin, l'office régional de la santé, qui est indépendant de l'agence régionale de santé, a publié des chiffres qui me laissent perplexe. La mortalité supplémentaire existant dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est estimée à 3 800 décès de plus que la moyenne nationale. C'est pour cela qu'avant la mise en place du 80 kilomètres à l'heure pour 400 morts, il serait bon de s'intéresser à la situation du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Mais c'est aussi un problème culturel : nos populations se distinguent du reste du pays par leurs habitudes et leurs traditions qui font qu'elles sont peut-être moins préoccupées que dans le reste du territoire.
Nous avons payé un tribut gigantesque à une maladie : la silicose. Encore aujourd'hui, il est très difficile d'être reconnu à 100 % de silicose, parce que c'est l'exploitant qui est en charge du diagnostic notamment. Des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes sont mortes prématurément. Je demande une réparation des dégâts qui ont été faits.
Un autre point concerne enfin les plans de prévention des risques miniers (PPRM). Il est nécessaire d'avoir une vision globale à l'échelle de l'ensemble du pays d'une part. D'autre part, il faut que les propriétaires des territoires sur lesquels portent les PPRM aient droit à une indemnisation juste, c'est-à-dire en fonction de la perte de jouissance.
Enfin, il faut répondre à la problématique des stations de relevage des eaux. À la suite d'un affaissement dans un bassin minier, l'eau ne parvient plus à remonter. Il est alors nécessaire de la pomper ad vitam aeternam. L'État a convaincu une vingtaine de communes de reprendre ces stations de relevage des eaux à leur compte. C'est scandaleux car les communes ne sont pas responsables de ces problèmes. Ces stations de relevage des eaux doivent revenir à l'État afin de prévenir le risque d'inondation des territoires.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées et que vous apporterez à notre questionnaire écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures.
Mercredi 4 mars 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 17 h 45.
Audition de Mme Geneviève Chêne, directrice générale, et M. Sébastien Denys, directeur « Santé-environnement-travail » de Santé publique France
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Geneviève Chêne, directrice générale, et M. Sébastien Denys, directeur « Santé-environnement-travail » de Santé publique France.
L'expertise de Santé publique France dans le suivi épidémiologique des populations résidant à proximité des sols pollués est déterminante dans la prise de décision des autorités sanitaires en matière de suivi et de prise en charge des personnes exposées. Or on s'aperçoit qu'en matière de santé environnementale, nos agences sanitaires doivent composer avec beaucoup d'incertitudes scientifiques. Bien souvent, il est difficile d'établir si l'exposition est due à une pollution d'origine industrielle ou à la présence naturelle d'un agent toxique dans les sols. D'autre part, il semble difficile, dans chaque situation, d'anticiper les conséquences concrètes sur la santé d'une surexposition.
Dans ce contexte, il serait utile que vous nous indiquiez, de votre point de vue, quelle doit être l'attitude à adopter par l'État et les collectivités territoriales face à ce type de risque sanitaire : comment rassurer les populations qui ont l'impression que leurs risques sanitaires ne sont pas pris au sérieux ? Comment rétablir la confiance dans l'expertise des agences sanitaires et des ARS ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite, chacun, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Geneviève Chêne et M. Sébastien Denys prêtent serment.
Mme Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France. - Santé publique France est l'agence sanitaire qui répond aux besoins de connaissance de l'état de santé sous l'angle de la protection et de la préservation de la santé de la population. Cette approche est populationnelle car on raisonne à l'échelon de groupes de population. Son champ d'expertise est la réalisation d'investigations épidémiologiques sur les populations, la prévention et la promotion de la santé. Elle contribue également à la gestion de situations sanitaires exceptionnelles et à la mise en oeuvre de plans de réponse nécessaires à la protection de la santé et au bien-être de la population humaine.
Nous travaillons en très grande complémentarité avec l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), une autre agence sanitaire impliquée sur le sujet des sites et sols pollués et sur tous les sujets environnementaux en général. Nos positions sont très complémentaires et coopératives, l'ANSéS ayant une approche par milieu et par produit. Santé publique France dispose de trois types d'action : la surveillance d'indicateurs de santé, l'acquisition de données sur l'imprégnation de la population, notamment par des examens biologiques, et l'analyse de signaux et l'aide à la définition d'actions d'évaluation de ces signaux.
Concernant les sites et sols pollués, il existe beaucoup d'incertitudes scientifiques, en particulier, sur les risques sanitaires. Il est souvent nécessaire de pouvoir disposer d'un suivi à long terme sur les populations humaines avant de pouvoir se prononcer. Santé publique France fait des recommandations en vue de réduire les expositions aux contaminants potentiels lorsque cette exposition est documentée et de prévenir les risques par précaution. Nous disposons alors de deux leviers. Agir sur les sources d'exposition suppose des mesures de gestion qui n'entrent toutefois pas dans le périmètre de notre agence. En outre, il est également possible d'agir sur les comportements, l'objectif étant que la population puisse continuer à habiter dans la zone en limitant les expositions.
De façon plus générale, la production de connaissances scientifiques sur le risque sanitaire associé aux expositions sur les sites pollués nécessite l'accès à des données environnementales de diverses sources. Elles sont parfois agrégées et permettent de décrire certaines situations. Nous avons besoin d'apparier ce descriptif de données environnementales avec des bases de données de santé - des registres, des cohortes, des bases de données de la sécurité sociale, par exemple. Actuellement, cette procédure est faite au cas par cas. Une plateforme de données nationales de santé est en cours de mise en place par le ministère de la santé. On peut donc avoir des données qui couvrent l'ensemble de la population. Il faudrait un dispositif similaire pour les données environnementales et pouvoir relier de façon systématisée ces deux plateformes. Cela permettrait d'acquérir des données importantes qui pourraient lever les incertitudes scientifiques et produire de nouvelles connaissances sur les liens entre environnement et santé.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - On a évoqué les incertitudes scientifiques qui pèsent sur l'anticipation des conséquences pour la santé de l'exposition à certains agents toxiques. Grâce à notre système de suivi épidémiologique et de biosurveillance, a-t-on justement progressé en la matière ? Santé publique France s'appuie-t-elle notamment sur le suivi épidémiologique des riverains des anciens sites miniers de Salsigne et de Saint-Félix-de-Pallières pour faire progresser la science et déterminer plus précisément les conséquences, en termes de pathologies, de l'exposition au plomb et à l'arsenic ? On se plaint de ne pas disposer de données : or la situation de ces sites justifierait justement de mettre en place des registres de suivi. Ces registres ont-ils bien été mis en place ?
Par ailleurs, il semble que votre agence se soit saisie de l'importance de la dimension psychologique pour les populations dans l'explication des mesures sanitaires prises par l'État. En effet, même lorsqu'il existe des incertitudes scientifiques, vous comprenez bien qu'il est difficile pour une famille surexposée où pratiquement tous les membres présentent des pathologies, notamment des cancers, de s'entendre dire que le lien avec la pollution ne peut être définitivement établi et que le dossier doit être refermé. Dans ce cas, quelles seraient vos préconisations pour améliorer le travail de pédagogie des autorités sanitaires ?
Enfin, pouvez-vous nous préciser s'il existe un dispositif d'urgence quand apparaît un phénomène naturel qui vient réactiver une pollution et les risques qu'elle présente pour la santé ? Dans ce cas, une enquête épidémiologique est-elle enclenchée ?
Vous parliez d'une surveillance des indicateurs de santé. Comment se fait-il qu'on décide parfois d'arrêter ce suivi dans des bassins où les populations ont été exposées ? Lors d'un évènement inattendu, pourquoi n'a-t-on pas un process d'urgence pour établir une feuille de route avec les parties prenantes du département ?
Mme Geneviève Chêne. - Il est vrai que l'on peut prendre des décisions, même en temps d'incertitude, dès lors que l'on a connaissance de pollutions. Nous n'attendons pas que les mesures de gestion soient prises, elles ne sont pas de notre responsabilité. Si des mesures de gestion peuvent être prises, nous recommandons qu'elles soient prises. Il n'est pas nécessaire d'attendre de longues années la preuve de l'existence du lien avec les indicateurs de santé.
Sur la question de savoir si l'on peut saisir en urgence Santé publique France pour la mise en place d'enquêtes, c'est en effet possible par tous les membres du conseil d'administration, en particulier la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS), ces dernières pouvant être le relais de demandes citoyennes.
Nous pouvons aussi en effet nous appuyer sur des syndromes constatés au sein de populations exposées à des situations sanitaires exceptionnelles. On peut ainsi penser à la situation autour des usines de Lubrizol. Nous disposons chaque jour d'une remontée sur les syndromes observés par un réseau de médecins mobilisés dans l'urgence. Cela ne peut être fait sur l'ensemble du territoire en permanence mais sur la base d'une demande spécifique.
Au niveau régional, Santé publique France est présente sous forme de cellules régionales placées auprès des ARS, compétentes pour analyser la situation au plus proche du terrain et apprécier les situations sanitaires qui nécessitent des investigations plus poussées. Cela nous permet de recouper certaines alertes au niveau national et d'en tirer des conclusions.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Dans le cas de l'usine Lubrizol, il y a eu réactivité immédiate. Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous parlons de sites en cessation d'activité qui sont pollués. Je pense également à Notre-Dame de Paris où immédiatement a été déclenchée une enquête sanitaire. Concernant des cas plus sournois où les sites ne sont plus exploités, où par exemple dans l'Aude il y a eu des inondations ravageuses et meurtrières qui ont fait réapparaître la pollution dans le débat. Seuls les enfants ont subi un dépistage. J'avais déjà signalé que ce sujet-là n'était pas seulement lié au site, c'est quelque chose que l'on peut retrouver sur d'autres sites d'exploitations minières ou industrielles post-activité. Et, eu égard au facteur climatique, on peut tout à fait se retrouver dans la même situation sur une autre partie du territoire. Comment peut-on vous saisir ? Et sur quoi vous basez-vous pour déclencher votre action ? La population ressent un manque d'équité face au risque. Comment gagner en clarification ?
Mme Geneviève Chêne. - Un rapport concernant la vallée de l'Orbiel a été rendu par Santé publique France sur les réponses aux saisines de l'ARS Occitanie depuis 1994. On a certainement fait des progrès au cours du temps. À la suite de la prise en compte et de l'analyse du risque, le rapport d'analyse a intégré douze propositions.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Les inondations, c'était il y a un an avec onze morts dans le département ! Je parle d'un passé immédiat.
M. Sébastien Denys, directeur « Santé-environnement-travail » de Santé publique France. - Pour rappeler certaines différences dans les exemples cités, Lubrizol et la vallée de l'Orbiel, sur lesquels nous avons été saisis l'année dernière après les inondations, nous sommes sur deux contextes différents. Dans le premier cas, il s'agit d'un accident industriel où potentiellement nous avons des expositions importantes et immédiates de polluants qui ne sont pas habituellement présents dans l'environnement - l'hydrogène sulfuré (H2S) par exemple. L'évènement crée un traumatisme de la population riveraine : nous sommes dans une situation d'exposition aiguë de la population à un certain nombre de nuisances, ces manifestations aiguës nous étant remontées par notre dispositif de surveillance et les indicateurs de santé.
Dans le cas de la vallée de l'Orbiel, situation que l'on retrouve effectivement sur d'autres sites comme Saint-Félix-de-Pallières mais aussi Saint-Laurent-le-Minier, on recueille des gammes de concentration qui certes sont élevées mais sont des concentrations environnementales usuelles avec lesquelles les habitants ont l'habitude de vivre. L'évènement, qui est une inondation, va amener un surplus de contamination à l'arsenic, qui sera assez invisible, s'il n'y a pas derrière de dépistage. Dans les situations de contamination chronique, la difficulté réside dans le fait que la latence entre l'exposition et le potentiel effet sur la santé peut être extrêmement longue.
Dans le cas de Lubrizol, il y a des intoxications aiguës dues aux fumées. Mais on s'interroge aussi sur les effets chroniques d'autres contaminants notamment les dioxines, qui ont été rajoutés dans l'environnement à cause de l'incendie et qui auront un impact sur la population mais à long terme, indécelable aujourd'hui.
Il est important de comprendre qu'en termes d'expositions, dans un cas on est dans une manifestation aiguë d'un évènement qui va se traduire par des remontées sanitaires, et dans le cas des sites miniers, on a une contamination qui reste à des niveaux comparables dans l'environnement et qui ne se voit pas en termes de manifestations sanitaires et qui se verra peut-être dans plusieurs dizaines d'années.
Dans ce contexte, nous attachons une grande importance à objectiver les expositions. En termes de biosurveillance, on dispose depuis le Grenelle de l'environnement, du programme national de biosurveillance qui nous a permis d'acquérir un certain nombre de données et de prendre du recul, notamment, sur les métaux et l'arsenic. Nous connaissons aujourd'hui les déterminants de l'imprégnation de ces métaux dans la population. Dès lors qu'un déterminant qui peut avoir un impact sur la population est repéré, notre action est de faire des propositions pour intervenir sur ce déterminant dans l'objectif de prévention de santé de la population. En agissant sur le déterminant, l'idée est de réduire si ce n'est de supprimer le risque de développer les pathologies liées à ce déterminant. Cette connaissance de l'imprégnation et des déterminants de l'imprégnation est capitale. Nous poursuivons cette démarche dans le cadre des différents plans nationaux santé-environnement et que nous poursuivrons dans le cadre de la future stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et du quatrième plan national santé-environnement, le PNSE 4 « Mon environnement, ma santé ».
Ces études sont également déclinées à l'échelle locale, par exemple au niveau des sites miniers du Gard vers le milieu des années 2010. Dès 1994, le réseau national de santé publique a diligenté une étude d'imprégnation sur le site de Salsigne. Nous avons des historiques de contamination assez homogènes. Il est difficile de connaître la part attribuable à la contamination naturelle et à la contamination anthropique. L'intérêt est donc de raisonner à l'échelle nationale. On est dans des gammes de concentration assez proches et on se rend compte que les déterminants sont identiques. Pour diminuer la contamination des enfants au plomb et à l'arsenic, il faut agir sur les poussières intérieures, nettoyer les sols avec une serpillère sèche et ne pas aspirer. Ces prescriptions de l'ARS sont simples à mettre en oeuvre et efficaces. On a des contrastes avec des populations qui appliquent ce type de mesures et celles qui ne le font pas. On voit donc l'efficacité de ces mesures. Pour les polluants volatiles, aérer son logement permet de réduire l'exposition aux polluants. Il s'agit de recommandations dirigées vers le comportement des populations.
Pour les déchets confinés, tout l'enjeu est d'assurer la pérennité du confinement afin d'éviter toute surexposition en cas d'événements extérieurs comme une inondation. Il faut donc là encore agir sur le comportement, c'est un véritable sujet de pédagogie. Il faut s'interroger sur les sources de contamination qui présentent parfois un confinement insuffisant au regard de la réalité du site.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaiterais mettre en avant le dialogue avec les élus. Nous avons eu des écoles et des stades qui ont dû être fermés à cause de la pollution due aux inondations. Les élus sont démunis pour donner des informations à la population. Ils sont victimes d'un aléa climatique et ils sont au contact de la population avec laquelle il faut à la fois de la transparence, ne pas susciter de craintes et maintenir la confiance. Santé publique France a peut-être un rôle à jouer à ce niveau dans le lien avec les élus.
M. Laurent Lafon, président. - Dans le prolongement de cette remarque, dans une situation de crise, on a parfois du mal à comprendre qui fait quoi dans la prise de décision, notamment s'agissant de la mesure du risque. Je voudrais réintroduire dans le schéma deux autres acteurs importants en temps de crise, que sont les ARS et les préfets. Quelle est l'articulation entre Santé publique France, les ARS et les préfets, ces derniers étant décideurs en définitive ?
Est-ce que, sur des cas terminés, vous avez mis en place des procédures d'évaluation du process de gestion de la crise ?
Il nous a été fait la remarque, peut-être à tort ou à raison, selon laquelle Santé publique France ne commandait que peu d'études de suivi épidémiologique dans le temps. Que pouvez-vous répondre à cela ?
À quelle source de données pensez-vous lorsque vous parlez du croisement des données environnementales et des données de santé ? À quels types de données pensez-vous ? S'agit-il de bases de données existantes comme Basias ou d'autres sources de données existantes ou à créer ?
M. Sébastien Denys. - Concernant l'articulation entre Santé publique France, les ARS et les préfets, Santé publique France est une agence d'expertise et nous agissons sur saisine des ARS. Nous avons environ 50 saisines par an sur des problématiques de santé-environnement dont 30 % sur les sites et sols pollués. Dans ce cadre-là, nous réalisons une expertise sanitaire qui vise à émettre des recommandations de protection de santé de la population. Ces études locales permettent d'alimenter une réflexion épidémiologique au niveau national, ces questions n'étant pas spécifiques à un seul territoire. Pour mettre en évidence des signaux probants, il faut un effectif important. Sur les sites miniers, souvent les effectifs de population sont faibles, les indicateurs de santé sont insuffisamment renseignés et la manifestation des effets répond à un délai de latence extrêmement long. Dans notre programme de travail, nous avons une action de mise en place d'un dispositif d'études multicentriques portant à la fois sur les bassins industriels afin de mesurer le lien entre les rejets et les effets sur la santé et sur les problématiques d'après-mine et d'études épidémiologiques visant à établir le lien entre les cancers pédiatriques et l'environnement scolaire. Le ministère de la transition écologique et solidaire avait financé une campagne de mesure de l'environnement d'un certain nombre d'établissements scolaires. Pour pouvoir disposer de ces études, il nous faut les données de l'environnement que l'on n'a pas de façon automatique. Puis, il nous faut ensuite retravailler ces données.
Sur l'évaluation, nous réalisons bien sûr des retours d'expérience qui visent à analyser rétrospectivement nos actions afin de nous améliorer.
M. Alain Duran. - Nous disposons des données environnementales et sanitaires mais j'ai l'impression que nous travaillons en silos et je ressens un souci d'efficacité. Comment améliorer le dispositif ? Qui, d'après vous, peut prendre aujourd'hui l'initiative de rendre moins étanches ces deux types de données et apporter une meilleure transversalité ?
Mme Geneviève Chêne. - Il existe plusieurs options. Je suis d'accord avec vous pour dire que la plateforme nationale des données de santé est un bon exemple. C'est le ministère de la santé qui a pris l'initiative, dans son périmètre, de faire en sorte que l'ensemble des données soient mises en commun. Le ministère de la transition écologique et solidaire pourrait, de la même manière, prendre une initiative semblable avec les données environnementales. Là, une deuxième étape reliant ces deux bases de données pourrait voir le jour, dans un lieu sécurisé, une sorte de nuage sécurisé ou hub. Notre souci est de disposer de données de qualité - aujourd'hui certaines données sont structurées différemment - et de respecter la réglementation sur le droit des personnes, notamment le fait que ces données ne doivent pas être ré-identifiantes et respectent le règlement général de protection des données personnelles (RGPD). Centraliser les données auprès d'un opérateur unique est également important.
Nous réalisons de nombreuses études sur la santé et l'environnement. Mais ce n'est pas dès l'apparition de polluants que l'on est pour autant capable de dire quel est le risque et quelles sont les mesures à prendre. Si Santé publique France fait les études nécessaires, il n'utilise pas l'incertitude scientifique pour ne pas faire des recommandations qui aboutissent à des mesures de gestion qui seraient utiles pour la santé des populations.
M. Laurent Lafon, président. - Dans le prolongement de cette discussion, j'ai un cas précis à vous soumettre. Concernant le lien entre les cancers pédiatriques et la situation environnementale des écoles, en 2012, le ministère de la transition écologique et solidaire de l'époque avait lancé un inventaire avec des diagnostics sur les établissements sensibles situés sur des sites anciennement industriels. On nous a dit lors d'une précédente audition que ces diagnostics avaient été interrompus pour des raisons budgétaires. On voit bien que la question de la donnée environnementale pose d'autres questions dont la sensibilité de la donnée et son utilisation. N'y a-t-il pas de la part des autorités une certaine réticence à disposer de l'exhaustivité de la donnée ?
M. Sébastien Denys. - Ce sujet est particulièrement important. D'une part, nous sommes régulièrement sollicités dans des situations locales, où nous avons des enfants atteints de cancers pédiatriques comme le cluster de Sainte-Pazanne. Là, Santé publique France fait des recommandations pour limiter les expositions et tend à développer des études nationales permettant d'augmenter la connaissance sur des sujets où elle manque, comme le fardeau des maladies chroniques lié à l'exploitation de la mine. Il est difficile de faire comprendre aux parents d'enfants malades que demander une nouvelle étude épidémiologique dans une situation locale va prendre dix ans et ne sera pas toujours conclusive. Nous sommes sur un positionnement scientifique. Mais nous ne nous arrêtons pas là. Ces signalements nous permettent d'alimenter des études au niveau national. Il est certes regrettable d'avoir arrêté l'étude de l'environnement des établissements scolaires d'autant plus que nous disposons d'un registre national des cancers de l'enfant, qui nous aurait permis de faire des études écologiques. Là on se heurte à l'accès aux données et à l'interruption de la campagne, ce qui ne nous permettra pas d'avoir une vision complète du sujet. Nous nous interrogeons sur la faisabilité de réaliser cette étude en utilisant les données existantes.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Avez-vous des relations avec vos homologues dans les autres pays européens, certaines problématiques se posant à l'échelle européenne ? Par ailleurs, les entreprises qui ont aujourd'hui une activité industrielle présentant des risques pour la santé vous transmettent-elles des données et comment sont-elles suivies ?
Mme Sonia de la Provôté. - Il y a plusieurs écueils à cette corrélation entre une exposition et une pathologie. C'est tout d'abord la taille de la cohorte. Même si on a une plateforme nationale de données de santé, faut-il encore que l'on soit clair sur le contenu de ces données que l'on va introduire dans la plateforme et pour quel usage. La visée épidémiologique est tout à fait différente de la recherche d'innovation. Il faut par conséquent regarder avec la plus grande attention la nature des données qui vont être introduites dans la plateforme. Avoir une cohorte nationale fait rêver.
Le deuxième sujet concerne la nature des expositions identifiées. On ne connaît pas toutes les relations entre les pathologies et l'exposition comme pour les ondes par exemple. À ma connaissance ces données ne sont pas suivies avec une grande précision alors qu'on aurait pu lancer des études de cohorte depuis longtemps. Le risque que l'on connaît entre la pathologie et l'exposition c'est d'avoir un biais qui ne peut être objectivé qu'avec un maximum de données concernant le comportement et l'environnement de la personne. Nous avons eu par le passé des erreurs de conclusion parce que l'on était passé à côté d'un biais évident. Est-ce que vous travaillez ce sujet sur les registres de cancer, car nous avons beaucoup moins de registres sur les autres pathologies ? Les registres de cancer permettent de mettre en évidence dans un certain nombre de cas des relations entre la pathologie et l'exposition. Dispose-t-on d'un référentiel de bonnes pratiques au plan national dès que des équipes engagent u suivi systématique de certaines pathologies, la plateforme étant manifestement insuffisante en cas d'enquête très poussée ?
Mme Geneviève Chêne. - Arrivée il y a quatre mois à la direction de l'agence, je manque de recul sur l'expérience européenne même si je sais que nous avons des liens avec les agences européennes. Il existe une association internationale des instituts nationaux de santé publique (International Association of National Public Health Institutes - IANPHI) à laquelle nous adhérons. D'ailleurs, Santé publique France assure le secrétariat scientifique de ce forum international des agences. Ces agences sanitaires ont des fonctionnements et des positionnements très variés selon les pays. Le sujet de l'environnement est sur la table même si c'est un sujet sur lequel les agences ont sans doute insuffisamment échangé, en dépit d'une forte volonté d'échanger dans ce domaine, les problématiques et les priorités étant différentes selon les pays.
M. Sébastien Denys. - Nous échangeons effectivement avec nos partenaires européens sur les enjeux majeurs internationaux comme par exemple sur la pollution de l'air. Nous avons été pionniers dans les études européennes sur la pollution de l'air ce qui nous a permis d'avoir des outils d'estimation des impacts liés à la pollution de l'air. Sur la question des sites et sols pollués et de biosurveillance, nous réfléchissons à poursuivre un COST (coopération européenne en science et technologie), qui est un programme de mise en réseau des communautés de recherche et d'innovation en Europe. Son objectif est de renforcer la recherche scientifique et technologique par le soutien à la coopération par des activités de réseautage, ce qui permet de constater que nos voisins sont confrontés aux mêmes problématiques.
Sur la problématique de la biosurveillance, nous sommes dans un consortium européen, HBM4EU (European Human Biomonitoring Initiative), piloté par l'agence allemande pour l'environnement UBA (Umweltbundesamt) et dans lequel nous apportons l'expérience de Santé publique France en matière d'enquête de biosurveillance et d'imprégnation. Notre objectif est de poursuivre cette initiative qui doit se terminer en 2021-2022 avec une implication encore plus forte pour gérer des expositions à des contaminants sur lesquels on a des incertitudes sur les impacts à long terme. J'insiste auprès de votre commission pour signaler l'importance de ces outils.
Sur la question fondamentale du lien avec d'autres dispositifs de cohorte, nous travaillons notamment avec la recherche. Nous sommes cadrés par nos missions de surveillance, avec des observations qui auront des biais, notamment dans des zones industrielles où des populations peuvent présenter une prévalence de certains comportements comme un statut tabagique plus important. On a alors des facteurs confondants de certaines pathologies. Ces collaborations avec la recherche durent depuis longtemps, nous avons fêté il y a deux ans les vingt ans du programme Air et santé avec des équipes de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur l'établissement des relations exposition/risque sur des problématiques de particules atmosphériques. Nous devons absolument maintenir cette complémentarité. Nous le faisons également avec le registre des cancers de l'enfant pour lequel Santé publique France finance des actions de recherche sur les nuisances environnementales et, en particulier, sur l'utilisation des pesticides.
Mme Sonia de la Provôté. - À partir des données issues du parcours de soin, il est possible de déduire certaines pathologies. Quels types de données vont être mis dans cette plateforme ? La façon dont ces données vont être saisies et traitées va conditionner la puissance d'alerte sur l'émergence de certaines pathologies, qui sont liées à l'environnement et qui peuvent être reliées de façon géographique et territoriale. Concernant les sites et sols pollués, c'est important de pouvoir identifier des clusters de pathologie.
M. Sébastien Denys. - La première question qui se pose est de savoir quel est le lien entre la pollution et les différentes nuisances environnementales que l'on a dans une zone car souvent on a une conjonction de nuisances environnementales comme par exemple une inondation, un axe routier important et du bruit. Tout cela peut engendrer des effets sur la santé. Il est déjà très complexe de déterminer l'événement de santé que l'on peut caractériser. La première étape est d'identifier ces liens et d'identifier en amont les différentes nuisances environnementales.
Ensuite, nous sommes confrontés à la qualité des données de santé dans le Health Data Hub. Nous cherchons à travailler sur les meilleures données possibles pour pouvoir déterminer les meilleurs indicateurs possibles. Pour cela, on s'associe sur nos problématiques à des cliniciens. Nous savons qu'une partie de la qualité de la donnée ne dépend pas de nous, mais cela reste une source puissante. Concernant les registres, la source est d'autant plus puissante qu'il y a une exhaustivité et un diagnostic clinique.
Mme Geneviève Chêne. - À ma connaissance, ces données de recours aux soins se sont considérablement améliorées dans le temps. C'est un effort de tous ceux qui recueillent ces données. Le système national des données de santé (SNDS) est déjà accessible. L'idée du hub est de rajouter les données d'un grand nombre de registres et des cohortes financés par les investissements d'avenir. Cela permettra des croisements et des vérifications.
La plupart des registres couvrent une partie du territoire, à l'exception du registre des cancers pédiatriques. Il est toujours plus facile d'identifier un cluster, pour identifier une incidence plus importante dans une zone géographique et un temps donnés, lorsqu'un registre existe sur le territoire. Quand nous ne disposons pas d'un tel registre, les données du SNDS peuvent être utiles car elles couvrent tout le territoire et l'ensemble de la population. C'est cet ensemble de données, d'un côté très précises mais ne couvrant pas l'ensemble du territoire et de l'autre moins précises mais portant sur l'ensemble du territoire, qui peuvent être croisées et faire progresser la qualité des données.
Enfin sur les expositions, les données sont très orientées sur les événements de santé et moins sur les expositions. Il faut comprendre qu'il y a d'autres types d'expositions que les nuisances environnementales, le tabac, la consommation d'alcool, la nutrition et l'activité physique sont également des déterminants de santé qui doivent être pris en compte.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées et que vous apporterez à notre questionnaire écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 05.