Mercredi 26 février 2020
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Audition des unions régionales des professionnels de santé de Normandie
M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues,
Nous débutons cet après-midi studieux par l'audition des représentants de trois unions régionales des professionnels de santé (URPS) de Normandie. Nous terminons ainsi notre cycle d'auditions et entrons dans la phase de rédaction de notre rapport.
Nous auditionnons donc M. Didier Le Flohic et Mme Maryvonne Le Floch qui représentent l'URPS des pharmaciens, M. François Casadei, président de l'URPS des infirmiers et M. Bruno Burel représentant l'URPS des médecins.
Je rappelle que les Unions régionales de professionnels de santé ont été créées dans le cadre de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires du 21 juillet 2009, dite loi HPST.
Ces URPS fonctionnent sous le régime associatif et sont au nombre de dix par région, dont trois nous intéressent plus particulièrement aujourd'hui : médecins libéraux, pharmaciens d'officine et infirmiers.
Elles contribuent à l'organisation et à l'évolution de l'offre de santé au niveau régional. À ce titre, elles participent aux actions de prévention, de veille sanitaire, de gestion de crises sanitaires, de promotion de la santé et d'éducation thérapeutique.
L'incendie de l'usine Lubrizol et la dispersion d'un nuage de fumées à grande échelle, ainsi que des odeurs qui ont persisté et créé un réel émoi pendant plusieurs semaines, constituent un cas en grandeur réelle de la mission qui vous est confiée.
Comment avez-vous été parties prenantes à la gestion des conséquences sanitaires de cet accident ? A la lumière de cette expérience, nous aimerions également connaître votre sentiment sur la gestion de cette crise et enfin savoir si des pistes d'amélioration pertinentes peuvent être envisagées. Le but de notre rapport n'est pas seulement de dresser un constat factuel des événements mais bien de formuler des propositions pour l'avenir.
Notre seconde préoccupation touche aux conséquences sanitaires de long terme, qui constituent évidemment une inquiétude majeure pour les populations. Le Gouvernement a annoncé la mise en oeuvre d'une vaste enquête déclarative de santé, qui devrait démarrer début mars ; quelle appréciation portez-vous sur cette procédure ?
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous demande collectivement de lever la main droite et de vous engager à dire toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Le Floch, MM. Burel, Casadei et Le Flohic prêtent serment).
M. François Casadei, président de l'URPS Infirmiers Normandie. - Les infirmiers ont été impactés très vite car leur tournée de soins démarrent dès six heures du matin. La patientèle et les collègues ont d'abord ressenti une angoisse importante face aux odeurs et aux fumées dont la toxicité restait inconnue. Cette angoisse était importante pour des personnes présentes à leur domicile, hors de structures hospitalières ou spécialisées dans lesquelles les règles de confinement sont plus faciles à mettre en place.
Nous avons reçu un premier message d'alerte en provenance de l'agence régionale de santé (ARS) vers 11 heures du matin que nous avons immédiatement répercuté. Nous avons également diligenté une enquête auprès de nos collègues infirmiers pour connaître leur avis. Inutile de vous dire que les retours immédiats n'ont pas été bons car tous étaient dans l'ignorance de la toxicité des produits.
Cette réaction paraît normale car il n'est pas évident au début d'un tel accident de connaître le niveau de dangerosité des phénomènes. Nous avons donc organisé, vers la mi-janvier, une enquête similaire pour connaître l'avis de nos collègues avec un recul plus important sur le suivi sanitaire de la population et l'implication des infirmiers libéraux avec une grille d'évaluation en lien avec nos collègues médecins et pharmaciens.
M. Didier Le Flohic, président de l'URPS Pharmaciens de Normandie. - Les officines assez éloignées du lieu de l'accident n'ont pas été très impactées par celui-ci : peu ou pas de questionnement de la patientèle, pas d'achat en masse de masques de protection ni de délivrance de collutoires ou autres médicaments liés aux affections respiratoires.
Pour les pharmacies situées à proximité du foyer de l'incendie ou sur le parcours du nuage, les réponses sont différentes. Ces pharmaciens sont d'ailleurs étonnés car c'est la première fois qu'ils sont sollicités de manière officielle sur l'événement et ses conséquences.
Parmi les officines les plus proches du site, en raison de la mise en place d'un périmètre de sécurité, une pharmacie est restée fermée. Les autres, situées à environ 500 mètres de l'usine Lubrizol, ont adapté leurs horaires ainsi que la présence de leur personnel soit à cause d'une impossibilité de rejoindre l'officine soit en raison de la mise en place d'un confinement, ou enfin par la volonté du pharmacien de protéger son personnel.
Nos confrères regrettent l'absence d'interlocuteur officiel, de consignes claires. Ils se sont adaptés à la situation grâce aux informations recueillies dans les médias ou bien sur le site internet de l'ARS. Un sentiment d'abandon domine parmi les pharmaciens.
M. Bruno Burel, représentant de l'URPS Médecins de Normandie. - Comme mes collègues infirmiers et pharmaciens ont déjà exprimé des idées que je partage, je me contenterai de vous apporter un témoignage « local » puisque je réside dans le centre de Rouen, sous le panache de fumée et donc aux premières loges de l'événement, avant de répondre aux questions de la commission.
Le jour même, l'accès autoroutier à la ville par l'ouest était interdit mais les habitants de la métropole rouennaise se sont déplacés malgré les messages radiophoniques incitant à demeurer chez soi. Les gens se sont rendus à leur travail et, pour les cabinets médicaux, près de la moitié des consultations a été assurée.
Concernant les informations reçues par les médecins, un message de l'ARS nous a été adressé en fin de matinée que nous avons redirigé par courrier électronique. Cependant, un nombre important de médecins a regretté l'absence d'information le jour même...
M. Hervé Maurey, président. - Quelle était la teneur des informations transmises ?
M Bruno Burel. - L'information envoyée par l'ARS était relativement vague comme je vous l'ai indiqué dans le dossier que je vous ai transmis avant notre audition. Comme indiqué par M. Casadei, on ne savait rien sur les substances ni sur le niveau de toxicité des émanations. L'essentiel était de ne pas se déplacer. Même si l'air à Rouen jusqu'au plateau Nord était irrespirable, les gens se déplaçaient avec des écharpes.
Il faut faire une différence entre la proximité du sinistre marqué par les odeurs et l'irritation ressentie dans les zones plus éloignées dans lesquelles le panache et les retombés de suies constituaient l'élément le plus visible.
Ni les cabinets médicaux ni les hôpitaux n'ont été saturés de consultations. Nous n'avons pas constaté un pic de pathologies respiratoires. Dès le lendemain, l'âcreté de l'air avait pratiquement disparu.
M. Hervé Maurey, président. - Considérez-vous avoir été associés de manière optimale à cet événement ? Si un tel accident se renouvelait, que faudrait-il améliorer dans la transmission de l'information ?
M. François Casadei. - Si nous avons reçu des informations tant de l'ARS, de la préfecture que des différents médias, le problème des URPS a été leur transmission à nos membres. Les URPS ne disposent pas d'une base complète de données de tous les professionnels de leur branche respective. L'adhésion à une URPS se fait sur la base du volontariat. L'échange de fichier est difficile dans le cadre du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Une idée qui pourrait être retenue, sur le modèle de la messagerie sécurisée MAILIZ proposé par les différents ordres des professionnels de santé, serait l'ouverture d'une messagerie sécurisée pour les infirmiers qui, par ailleurs, est devenue une obligation aux termes de l'avenant n°6 de notre convention avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
La transmission de l'information doit se faire par des alertes sur les smartphones des patients avec des messages clairs sur la conduite à tenir (demeurer chez soi, ne pas se rendre à l'hôpital par exemple...).
M. Bruno Burel. - En effet, le vrai problème réside dans les moyens d'alarme et d'information des populations. Jusqu'à présent il y avait des sirènes mais d'autres moyens existent qu'il faut tous actionner (messageries, sms, ...). Pour les professionnels de santé, il faudrait rendre obligatoire un système de communication unique à partir duquel on pourrait communiquer de façon immédiate, avec des consignes précises. Ce système ne peut être optimal que si les professionnels ont le réflexe de consulter régulièrement leurs messageries sécurisées, ce qui n'est pas toujours le cas.
M. Didier Le Flohic. - Je précise que les téléphones personnels des pharmaciens sont référencés en cas de risque nucléaire. Pourquoi n'utiliserions-nous pas cette base de données pour d'autres risques ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Vous disiez que les infirmiers libéraux commençaient leur journée très tôt, dès 6 heures du matin pour certains, et que vous n'aviez été avertis qu'à 11 heures ; il vous a donc fallu maîtriser l'inquiétude de vos patients. Ce long délai est bien curieux et ne doit pas se renouveler.
Concernant le suivi des patients, quelles évolutions constatez-vous, six mois après l'incendie, pour ceux qui ont été exposés à ce nuage de fumée, et au-delà, pour reprendre les propos d'une personne auditionnée par la commission, considérez-vous que les personnes les plus impactées ont été les pompiers ? Ils étaient en effet directement exposés et équipés d'un masque en papier non adapté au niveau de gravité des circonstances.
Lorsque l'on exerce auprès d'une usine Seveso à seuil haut, n'êtes-vous pas intégrés avec l'ARS, au moins une fois par an, à un réseau donnant des consignes claires à adopter envers vos patients lors de telles catastrophes ?
M. François Casadei. - Nous avons, en effet, formulé cette proposition au sein des comités avec l'ARS. Des simulations régulières sont indispensables, pour parfaire la communication et sa diffusion car, comme vient de le rappeler le Docteur Burel, tous les professionnels ne sont pas assidus dans la consultation de leur messagerie.
Nous avons tout relayé sur le site de l'URPS et d'après les résultats d'une de nos enquêtes, 50 % des infirmiers consultent le site de l'URPS, et 40 % celui de l'ARS.
Concernant le suivi immédiat des patients, et à la question « Avez-vous ressenti le besoin de consulter un médecin pour vous-même ou vos patients dans l'immédiat ? », 96 % des infirmiers ont répondu négativement pour eux-mêmes mais 93 % ont répondu l'inverse pour leurs patients car beaucoup de personnes âgées ou vulnérables soignées à domicile ont demandé à consulter.
Comme cela a aussi été signalé dans une des enquêtes, n'avoir qu'à 11 heures l'information d'une éventuelle toxicité sans savoir s'il fallait se protéger, notamment pour les patients suivis à domicile, a été très mal vécu par les infirmiers. Ce délai a également engendré des rumeurs.
M. Bruno Burel. - J'ajouterai que le 26 septembre, les premières consignes de l'ARS ont été données à 10 h 57 mais individuellement beaucoup de médecins ont cherché les informations. Les médias annonçaient que les entrées Est et Ouest de Rouen étaient bloquées mais aucune autre information.
Dans un deuxième temps, un certain nombre de familles, notamment les femmes enceintes et allaitantes, sont venues consulter. Nous ne pouvions leur donner que des consignes de prudence.
Aujourd'hui encore, personne ne connaît l'ensemble des substances qui ont brûlé et ce qu'elles deviennent en brûlant.
A quoi les patients ont-ils été exposés ? Selon moi il y a deux accidents : celui du 26 septembre, où les produits de combustion se sont répartis dans le Nord-Est de Rouen provoquant des odeurs âcres, durant 8 à 10 jours, et ensuite, pendant quatre mois, des gaz chimiques liés à des réactions chimiques, d'une autre toxicité, ont touché d'autres populations.
Vous avez évoqué l'enquête en population qui va être lancée non pas en mars mais en juin...
M. Hervé Maurey, président. - On nous avait indiqué en mars...
M. Bruno Burel. - Oui mais le groupe santé animé par Santé publique France auquel je participe est en retard.
Je n'ai d'ailleurs pas pu obtenir qu'il y ait deux enquêtes, une sur l'incendie et ses conséquences, et l'autre sur les conséquences des réactions chimiques des 1 400 fûts, dont certains très endommagés qui persistent encore et qui ont touché une autre population. C'est absurde sur un plan scientifique.
M. Hervé Maurey, président. - Je donne la parole à Mme Bonnefoy, rapporteure, pour aborder la deuxième partie, très importante pour nous, relative aux mesures prises pour évaluer les conséquences sanitaires de l'accident.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Oui et M. Burel vient de répondre à ma première question concernant la présence d'odeurs encore aujourd'hui. La population en est-elle inquiète ? D'où viennent ces odeurs, alors qu'il n'y a plus de combustion ?
M. Bruno Burel. - Elles proviennent de réactions chimiques de tous les produits stockés dans les hangars des deux entreprises concernées, Normandie Logistique et Lubrizol ; ils représentent environ 9 000 tonnes sur chacun des sites.
Les derniers fûts ont été éliminés il y a seulement une dizaine de jours mais il reste encore du nettoyage.
Il ne s'agit donc pas de la combustion, même si cela n'est pas plus rassurant. Et elles touchent d'autres populations. Par exemple, la commune du Petit-Quevilly, proche de Lubrizol mais située au Sud, n'est pas touchée par le panache, mais l'est par les gaz depuis quatre mois.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Que pensez-vous du suivi de ces populations, exposées dans le temps par une toxicité chronique ? Y avez-vous été associé ainsi qu'à la mise en place d'une vigilance sanitaire importante à long terme, par l'ARS ou d'autres autorités sanitaires ? Est-il nécessaire de mettre en place un registre de morbidité à l'échelle du département voire au-delà ?
M. François Casadei. - D'après l'enquête diligentée à quatre mois de l'événement, 86 % des infirmiers pensent qu'un suivi à long terme est nécessaire ainsi qu'une évaluation. Encore faut-il savoir ce que l'on doit évaluer. 95 % sont favorables à un registre de morbidité avec des critères pré-établis fiables.
Les infirmiers libéraux en Seine-Maritime traitent 40 000 patients par jour. La grille d'évaluation devrait être établie par des experts et intégrer les personnes les plus fragiles, celles qui ne consultent plus et qui représentent 20 % de la population. Pour le moment, nous ne sommes pas sollicités.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - N'est-il pas trop tard pour le faire ?
M. François Casadei. - Non, c'est encore possible, car même si l'état de la population semble bon, les signes de toxicologie hépatique ou néphrologique peuvent apparaître plus tard.
M. Bruno Burel. - Ce que vient de dire M. Casadei est très important. Nous nous sommes surtout intéressés aux conséquences aiguës de l'accident (toxicité hépatique ou néphrologique) ; maintenant il s'agit d'étudier la toxicité chronique.
Nous sommes consultés et nous enchaînons les réunions, avec l'ARS et Santé publique France, mais nos avis ne sont pas toujours pris en compte.
Je reviens sur l'enquête déclarative de santé qui sera lancée en juin prochain : elle ne traitera que du ressenti des populations. Il ne s'agit pas du tout d'une enquête de santé publique.
La plupart des produits chimiques et pétro-chimiques, quand ils brûlent et se déposent, sont des perturbateurs endocriniens. Un suivi à long terme est donc indispensable.
Il faut, selon moi, tenir plusieurs registres : sur les malformations foetales et celles des enfants, sur les fausses couches, sur les cancers tous âges confondus, sur les pathologies liées aux modifications hormonales. Ces registres doivent différencier les personnes exposées aux fumées toxiques immédiates et celles exposées à la toxicité chronique. Ils doivent aussi cibler des zones. Par exemple, la zone Nord-Est qui comprend toutes les communes touchées par les retombées de suie, comporte des substances différentes.
J'ajoute que l'ARS et la préfecture ont décidé de ne faire des dosages sanguins que si des traces anormales de différentes substances étaient trouvées dans la terre. Or, le professeur Cicolella a expliqué qu'on ne pouvait déduire les pathologies liées aux dioxines repérées dans le sang à partir de prélèvements des sols. La seule méthode est donc le dosage sanguin.
M. Hervé Maurey, président. - N'est-il pas trop complexe de tenir plusieurs registres ? Un seul, à plusieurs critères et grilles d'entrée, ne suffirait-il pas ?
M. Bruno Burel. - Vous avez sans doute raison, monsieur le président. Il faudrait que des groupes de travail d'experts (épidémiologistes, toxicologues,...) le décident et non pas le ministère ou la préfecture.
M. Hervé Maurey, président. - Confirmez-vous que la politique mise en place en matière de suivi sanitaire et de prélèvements aujourd'hui est insuffisante ?
M. Bruno Burel. - Elle ne me paraît en effet pas adaptée pour en tirer les conclusions nécessaires.
Je pense surtout qu'il faut lever les angoisses permanentes de la population des secteurs concernés. Il faut pouvoir leur apporter des réponses.
M. Didier Le Flohic. - Les pharmaciens n'ont jamais été contactés par l'ARS pour leur donner des réponses aux questions quotidiennes des personnes.
Mme Maryvonne Le Floch. - Je ne travaille pas très loin du Petit Quevilly et dès le premier jour de l'accident, un afflux de patients nous ont dit vouloir quitter les lieux immédiatement. Nous nous sommes sentis abandonnés par l'ARS, malgré le communiqué de 11 heures, même actuellement. La recherche d'informations reste à notre initiative.
M. Hervé Maurey. - Vous vous constituez donc votre propre réseau d'informations ?
Mme Maryvonne Le Floch. - Oui, alors que des patients évoquent des fuites radioactives... Sans oublier les informations véhiculées par les réseaux sociaux.
Mme Brigitte Lherbier. - Il est incroyable que les pharmaciens dont les officines sont proches d'entreprises Seveso n'aient pas été informés en amont des conduites à tenir. Des réunions publiques en présence d'élus sont pourtant prévues dans le cadre du risque nucléaire. Ne pourrait-on pas prévoir, en amont, dans toutes les pharmacies de France, des informations à donner pour soulager la population ?
M. Bruno Burel. - La différence avec le nucléaire, c'est que l'on connaît son fonctionnement. Dans le cas présent, des centaines de substances sont entrées en combustion. Les simulations dont on dispose ont été faites en laboratoire à des températures moindres que celles de l'incendie.
En revanche, les associations de défense de l'environnement prétendent que les différents sites Séveso ont des procédures d'alerte différentes car prévues par les industriels. À Rouen, il y a un défaut d'organisation au départ.
Tout est à revoir en amont. Il est bien difficile de donner des informations quand on ne sait pas réellement ce qui se passe.
M. Pascal Martin. - Notre collègue Christine Bonfanti-Dossat a évoqué la situation sanitaire des sapeurs-pompiers. Lorsqu'ils interviennent sur un sinistre, ils sont malgré tout équipés d'appareils respiratoires isolants. La question me semble davantage être celle du suivi sanitaire des policiers nationaux et municipaux qui ne disposent ni de formation ni d'équipements adéquats : avez-vous eu l'occasion, lors de vos consultations, de les recevoir et d'évoquer le suivi qui leur est proposé ?
En termes d'alerte, vous évoquez l'absence globale de réseau. C'est pourtant arrivé un jeudi matin et non un 15 août à 15 heures ! Êtes-vous en capacité de gérer une permanence dans une situation plus critique un dimanche après-midi ou un samedi soir ?
M. François Casadei. - Notre profession a une obligation de continuité de soins, comme les pharmaciens.
M. Pascal Martin. - Je l'entends mais il y a quand même moins de médecins, d'infirmiers et de pharmaciens un dimanche après-midi qu'un jeudi matin.
M. François Casadei. - Non il y a autant d'infirmiers dans la mesure où il y a autant de patients à voir et nous sommes organisés pour assurer une continuité 7 jours sur 7.
M. Bruno Burel. - Je crois que vous avez raison, Monsieur Martin. S'il y avait un gros problème un 15 août à 15 heures, il y aurait un vrai souci avec les médecins. Notre système de garde fonctionne à peu près mais il n'y a pas assez de praticiens. Il faudrait peut-être prévoir une sorte de réserve sanitaire.
Je reviens sur votre remarque sur les personnels de secours : à part ceux qui sont intervenus dans les vingt premières minutes, les autres avaient effectivement l'équipement nécessaire. Par contre, la question des policiers a disparu avec le nuage...
M. Didier Le Flohic. - Les pharmaciens ont aussi un service de garde mais sont susceptibles de manquer de certains produits, nos grossistes n'ayant pas de système de garde. Une intervention massive pourrait s'en trouver décalée de vingt-quatre heures.
M. François Casadei. - Nous sommes 7 jours sur 7 sur le terrain, encore faut-il savoir pour quoi et avec quels moyens on peut agir.
Mme Nelly Tocqueville. - Depuis l'accident, un point avec l'ARS a-t-il été fait sur votre vécu en tant que professionnels de santé et comment participez-vous aux réunions organisées régulièrement à la préfecture ?
Monsieur Burel, vous êtes également membre du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst). Que pensez-vous de la reprise d'une partie de l'activité sur le site de Lubrizol ?
Enfin, pensez-vous que l'ouverture d'un traitement de données de santé spécifique, fondé sur le voisinage de l'accident avec une dérogation partielle à l'anonymat des données pour un suivi plus affiné des personnes éventuellement exposées, serait opportune ?
M. Bruno Burel. - Concernant votre dernière proposition, un traitement de données serait tout à fait opportun avec anonymisation des données.
Quant au Coderst, il est composé de 26 membres. Seuls 4 membres, dont j'ai fait partie, ont voté contre la reprise partielle de Lubrizol. Pour des raisons de santé d'abord et principalement, car il subsiste trop d'inconnues. Peut-on se permettre, dans de pareilles conditions, de redémarrer une industrie ?
Alors même que l'on veut développer le patrimoine touristique de l'agglomération, ne fallait-il pas envisager un déménagement, d'autant qu'un éco-quartier est en cours d'aménagement à proximité de ces installations classées Seveso ?
Mme Céline Brulin. - Lors d'une audition, la directrice générale de l'ARS de Normandie a reconnu le dysfonctionnement autour de l'information et de la communication. Depuis, un travail a-t-il été enclenché ?
Je suis très intéressée par tout ce que vous avez dit sur le suivi dans la durée, car cet accident constitue un vrai enseignement dans ce domaine. Nous sommes plus habitués à ce que les incidents industriels provoquent des victimes immédiates, voire des morts, mais les pouvoirs publics n'ont pas encore intégré dans leur action la gestion du risque sanitaire à long terme.
Je suis très sensible à vos propos sur les registres. Comment peut-on faire entendre la nécessité de les mettre en place ? Si les autorités publiques continuent de s'y refuser, y aurait-il des moyens plus indépendants de le faire malgré tout ? Et enfin, peuvent-ils être codifiés, c'est-à-dire prévoir une marche à suivre pré-définie pour chaque type d'accident ?
M. François Casadei. - Au niveau de l'URPS, ce problème de communication immédiat nous a effectivement fait réagir. Nous avons engagé un prestataire qui a fait du « phoning » auprès de tous les cabinets médicaux normands pour tenter de référencer un maximum de messageries, voire de téléphones portables. On a ainsi augmenté notre panel de personnes à alerter. Pour information, même l'ARS et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) n'ont pas toutes les adresses de messagerie des professionnels de santé.
A l'instar de l'obligation de se référencer auprès de nos ordres professionnels, il faudrait faire de même auprès de l'URPS pour que l'alerte puisse être lancée en amont et touche 100 % des professionnels.
M. Didier Le Flohic. - Au niveau de l'ARS, elle s'est très légèrement améliorée puisque quelques réunions en préfecture nous ont été proposées mais nous en sommes informés le mardi soir à 20 heures pour le lendemain à 9 heures !
Mme Maryvonne Le Floch. - Cela rejoint ce que j'ai dit précédemment. L'information ne nous parvient pas de façon naturelle. Les comptes rendus ne nous sont pas transmis systématiquement. Nous restons démunis face aux questions de la patientèle.
M. Hervé Maurey. - Je souhaiterais vous poser une dernière question : si vous étiez ministre de la santé ou directeur général de l'ARS de Normandie, quelles mesures prendriez-vous pour améliorer le suivi sanitaire des populations concernées de près ou de loin ?
M. François Casadei. - La mise en place de registres spécifiques avec une grille d'évaluation des populations touchées.
M. Bruno Burel. - En réponse à la question de Madame Brulin, tout ce qu'on a évoqué aujourd'hui l'a déjà été en différentes réunions mais pour autant nous ne sommes pas toujours suivis, comme ma demande de mettre en place deux enquêtes en population car il y a bien eu deux accidents.
J'attends beaucoup des résultats de votre commission d'enquête parlementaire car il ne ressort rien du comité de transparence à la préfecture.
M. François Casadei. - Encore faut-il aussi définir la notion de « vulnérabilité » des populations et prendre en compte celles d'entre elles qui se trouvent en établissements hospitaliers et en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
M. Hervé Maurey. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Loïc Le Dréau, directeur des Opérations de Paris et représentant légal de la succursale française de FM Insurance Europe SA
M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous accueillons M. Le Dréau, représentant légal de la succursale française de FM Insurance Europe, assureur de Lubrizol.
Nous avons appris que vous aviez pointé du doigt plusieurs éléments préoccupants au sein de l'usine Lubrizol quelques jours seulement avant l'incendie du 26 septembre. La révélation des dysfonctionnements que vous avez pu observer trois jours seulement avant l'incendie a constitué un motif d'étonnement pour tout le monde, voire de stupéfaction, même pour nous. Nous aimerions que vous puissiez nous rappeler dans quelles conditions cette intervention de votre part a eu lieu. L'usine Lubrizol était-elle visitée régulièrement par votre société ? Faisait-elle l'objet d'une surveillance particulière ?
Nous aimerions bien sûr que vous confirmiez ou infirmiez, ainsi que nous avons pu lire dans la presse, que les faiblesses que vous auriez relevées ont effectivement posé problème le 26 septembre, comme celle du système d'extinction par sprinklers du bâtiment A5, qui a été entièrement détruit, celle de l'adjonction d'un système de production de mousse, ou la nécessité d'améliorer le système d'évacuation des eaux.
Par ailleurs, nous aimerions également que vous puissiez nous indiquer si, dans le passé, vous aviez eu l'occasion de souligner d'autres points et si l'entreprise - que vous assurez, je crois, depuis 2008 - avait tenu compte de ces remarques et si des améliorations avaient été apportées depuis les visites précédentes.
Je me dois de vous rappeler que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende et vous demande de prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Loïc Le Dréau prête serment.
M. Loïc Le Dréau, directeur des Opérations de Paris et représentant légal de la succursale française de FM Insurance Europe SA. - Monsieur le président, mesdames les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir. J'aimerais tout d'abord vous fournir quelques éléments d'information concernant FM Insurance Europe SA, qu'on appelle en abrégé FMIE.
Auparavant, je veux vous dire que nous sommes très sensibles à l'événement qui s'est produit à Rouen en septembre dernier et a touché de nombreuses personnes. Je tiens également aussi à saluer tous ceux qui ont durement oeuvré pour éteindre l'incendie et limiter les dommages. Lorsque la procédure d'expertise visant à déterminer les causes et les origines de l'incendie sera achevée, le processus d'apprentissage relatif à cet événement pourra débuter. En tant qu'assureur dommages aux biens du site de Lubrizol de Rouen, nous cherchons aussi à identifier les principaux enseignements à tirer de cet événement.
FMIE exerce ses activités sous la dénomination de FM Global. Nous sommes une société anonyme de droit luxembourgeois agréée comme entreprise d'assurance par le ministre des finances du Luxembourg et supervisée par le commissariat aux assurances. La société opère en qualité d'assureur sur le territoire de l'espace économique européen au moyen du passeport européen, soit sous le régime de la liberté de prestation de services, soit de la liberté d'établissement pour les territoires où nous disposons d'une succursale, comme en France. FMIE est une filiale de la société Factory Mutual Insurance Company, établie dans le Rhode Island, aux États-Unis.
Ni les évaluations des risques élaborées par FM Global ni ses recommandations en matière de prévention des dommages matériels n'abordent les questions relatives à la sécurité et la santé des personnes ou à l'environnement. En effet, ces sujets ne relèvent pas de nos activités en tant qu'assureur uniquement dédié aux dommages aux biens. Comparé aux autres compagnies d'assurances, notre modèle opérationnel est unique, dans la mesure où il se limite aux assurances de dommages aux biens commerciaux et industriels. Pour cette raison, mes réponses relatives aux normes et pratiques de l'industrie pourraient être limitées.
Nous comprenons bien que la commission d'enquête a notamment pour objet de recueillir des éléments d'information concernant l'application des règles applicables aux installations classées. FMIE étant l'assureur de ce site, j'attire respectueusement votre attention sur le fait que nous sommes impliqués dans une procédure d'expertise judiciaire visant à déterminer les causes et les origines de cet événement, qui fait aussi l'objet d'une procédure d'évaluation interne. Je ferai, bien entendu, de mon mieux pour répondre à vos questions, de manière aussi exhaustive que possible. Si des informations complémentaires que je n'ai pas en ma possession aujourd'hui s'avéraient nécessaires, je vous soumettrai des réponses écrites à la suite de cette audition. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
M. Hervé Maurey, président. - Vous pouvez commencer par répondre à celles que j'ai déjà posées. Ce qu'on a lu dans la presse est-il exact ? Avez-vous bien observé les défaillances que j'ai rappelées dans mon propos introductif ?
M. Loïc Le Dréau. - Lorsque nous entamons une relation assurantielle, nos ingénieurs se rendent sur site pour réaliser une visite afin d'identifier les risques que nous devons assurer et les quantifier, de façon à proposer au client un contrat d'assurance et une prime destinés à le couvrir. En 2008, à la suite de cette première évaluation, des recommandations avaient été émises. Nous partageons ce rapport avec nos clients, car c'est une opportunité pour ceux-ci de diminuer la fréquence des sinistres et leur gravité. Ce risque était donc connu en 2008, et nous l'avions pris en compte : c'est l'essence même de notre métier d'assureur.
Les visites de risque sont effectuées de façon régulière. Sur des sites comme celui de Rouen, elles ont lieu environ tous les ans. Le but principal de ces visites est destiné à comprendre l'évolution du risque et savoir si les termes et les primes qui ont été négociés sont toujours en adéquation avec le niveau du risque qui est assuré. Vous mentionniez le manque d'adéquation par rapport aux protections mises en place. Nous l'avons noté. Des recommandations ont été faites en ce sens, mais le risque était connu et nous l'acceptions en tant qu'assureur.
Existait-il d'autres risques ? Le site a-t-il amélioré la couverture du risque au cours des années ? Oui, beaucoup de choses ont été améliorées et plusieurs recommandations ont été suivies d'effet.
M. Hervé Maurey, président. - Aviez-vous déjà eu l'occasion de rappeler les recommandations faites quelques jours avant l'incendie ?
M. Loïc Le Dréau. - Oui, cette recommandation était présente dans le rapport depuis 2008.
M. Hervé Maurey, président. - Vous avez donc, dès 2008, attiré l'attention de Lubrizol sur le fait qu'il existait des défaillances sur les points mentionnés, et vous avez constaté en 2019 que ces problèmes n'avaient toujours pas été résolus.
M. Loïc Le Dréau. - Oui, mais nous sommes assureurs de dommages aux biens. C'est un risque que nous connaissions et que nous acceptions de porter.
M. Hervé Maurey, président. - Peut-être les populations riveraines n'étaient-elles pas prêtes à l'accepter pour leur part !
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - J'ai lu dans la presse que l'expertise de FM Global vise la réduction des risques de perte de l'outil de production mais que ses conclusions ne sont pas centrées sur les risques concernant la santé humaine, la sécurité et l'environnement. Est-ce exact ? Par ailleurs, le fait que les entreprises industrielles salarient des pompiers est-il de nature à diminuer le risque et les primes d'assurance ?
M. Loïc Le Dréau. - La société que je représente est une société d'assurance basée au Luxembourg. C'est une société de dommages aux biens et c'est notre business model. Nous n'assurons que des biens commerciaux et industriels. C'est la seule couverture que nous proposons, depuis 185 ans, même si nous nous tenons à jour des évolutions. Nous assurons donc les bâtiments, les outils de production et les pertes d'exploitation associées à des dommages matériels tels que l'incendie, les bris de machines et les catastrophes naturelles.
Quant aux pompiers présents sur les sites industriels, il s'agit de volontaires et nous les considérons avec beaucoup de bienveillance. Ils connaissent très bien les lieux et sont capables d'intervenir très rapidement. Ce sont des personnes qui possèdent des compétences en matière de prévention. Or nous voyons la prévention au jour le jour dans les entreprises comme un facteur très positif.
Cela a-t-il un impact sur la prime ? Ce n'est que l'une des composantes de celle-ci. Il faut également tenir compte de la qualité générale du risque et du type de risque, du lieu où celui-ci est localisé - proximité d'une rivière, zone de tremblements de terre, exposition aux tempêtes. Il est donc très difficile d'affirmer que la présence de pompiers volontaires va diminuer la prime.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Le risque majeur était-il dans ce cas de figure l'incendie ?
M. Loïc Le Dréau. - En général, dans les entreprises du secteur de la chimie, où l'on trouve des liquides inflammables, l'incendie est en effet le risque majeur.
M. Hervé Maurey, président. - Vous disiez que votre champ d'activité est plus large que celui des entreprises présentant un risque technologique. Assurez-vous des entreprises ayant des activités comparables à celles de Lubrizol ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Les salariés sont-ils couverts par des dispositions particulières en cas d'accident industriel, par exemple en matière de toxicité ? Si c'est le cas, comment ce risque est-il indemnisé ? Par ailleurs, couvrez-vous les risques liés à la toxicité qu'encourent les riverains en cas d'accident ?
M. Loïc Le Dréau. - Le risque toxique n'est pas un risque de dommages aux biens ; or nous n'assurons que les dommages aux biens : c'est notre seul produit.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Savez-vous si Lubrizol dispose d'une autre assurance pour indemniser les salariés, voire les riverains, en matière de risque liés à la toxicité ?
M. Loïc Le Dréau. - Je ne saurai vous répondre. Il faudrait poser la question à notre client.
M. Jean-Claude Tissot. - En 2008, après votre état des lieux, vous définissez un montant de prime d'assurance incluant les manques existants en matière de défense incendie. Indiquez-vous alors à votre client que la prime sera moins élevée s'il améliore les choses ? L'assurez-vous quand bien même il décide de ne rien faire, mais avec un surcoût ? Peut-il ainsi, en payant un supplément de prime, s'affranchir d'une faute que vous avez décelée ?
M. Loïc Le Dréau. - Quand je parle de conformité, ce n'est pas par rapport à la loi ou aux réglementations locales, mais par rapport à des standards internes qui nous permettent de mesurer l'écart entre ce que l'on voit sur un site industriel et ce que nous considérons comme un risque bien protégé.
M. Jean-Claude Tissot. - Vos standards sont bien conformes à la loi...
M. Loïc Le Dréau. - Nous utilisons les mêmes standards partout dans le monde. La régulation locale l'emporte bien évidemment toujours sur nos standards. Lorsque nous détectons un risque et que nous acceptons de le couvrir, il est de notre responsabilité d'assureur de le porter. Nous sommes convaincus que la majorité des sinistres peut être évitée. C'est l'esprit dans lequel nous travaillons. Plus la qualité du risque est bonne, plus les termes, les conditions du contrat d'assurance et les primes sont favorables au client. Il y a donc une adéquation entre le niveau de prime et le niveau de risque. C'est l'essence même de notre approche.
M. Hervé Maurey, président. - Entre la visite de 2008 et celle de 2019, des points ont-ils été améliorés par rapport à ce que vous avez initialement relevé ?
M. Loïc Le Dréau. - Oui, il y a eu une amélioration sur l'ensemble du groupe, et sur le site de Rouen en particulier. Plusieurs recommandations ont été suivies. C'est un site qui a investi dans la prévention.
M. Hervé Maurey, président. - Mais les points que vous avez soulevés en 2019, ainsi que vous l'avez dit tout à l'heure, existaient précédemment ?
Mme Brigitte Lherbier. - Monsieur le directeur, vous êtes représentant de la France pour votre groupe. Vous avez parlé de standards internes, bien que vous soyez toujours en adéquation avec les lois de chaque pays et les lois européennes...
Mme Brigitte Lherbier. - Avez-vous des échanges avec les institutions européennes visant à améliorer les directives ? Envisagez-vous de le faire à l'avenir si vous avez remarqué certaines choses ? Par ailleurs, avez-vous déjà connu, par le passé, un accident similaire parmi vos clients, en France ou dans un autre pays européen ?
M. Loïc Le Dréau. - Nos règles techniques sont relatives à la protection des biens. La protection des biens n'est qu'une partie des standards et des lois dont le but principal est de traiter les problèmes de protection des personnes, de protection de l'environnement...
Mme Brigitte Lherbier. - La protection des biens de ce genre d'entreprises représente sûrement un apport important pour vous. Les primes doivent être énormes.
M. Loïc Le Dréau. - Nous ne sommes pas compétents pour traiter de la protection des personnes ou de l'environnement, qui ne correspondent pas du tout à notre domaine d'activité. J'ai très peu de relations avec les organismes locaux ou européens quant à l'établissement de standards.
Mme Brigitte Lherbier. - Étant donné l'importance des entreprises Seveso, vous êtes un interlocuteur intéressant...
M. Loïc Le Dréau. - Merci pour cette remarque flatteuse. Nos règles techniques, par exemple, sont publiques et disponibles sur notre site Internet. Nous sommes plus que disposés à partager avec les organismes qui souhaiteraient discuter avec nous, mais notre domaine de compétences continuera à porter sur la protection des biens.
Mme Brigitte Lherbier. - N'existe-t-il pas d'obligation en matière d'assurance aux tiers pour ce type d'entreprise ?
M. Loïc Le Dréau. - À ma connaissance, il n'existe pas d'assurance dommages obligatoire. C'est plus l'assurance responsabilité civile qui doit selon moi s'appliquer.
Mme Céline Brulin. - Si on comprend bien, vos propres standards sont supérieurs à la réglementation française.
M. Loïc Le Dréau. - Cela dépend.
Mme Céline Brulin. - Les recommandations que vous avez émises n'ont pas toutes été respectées par Lubrizol, qui a estimé être en conformité avec la législation et la réglementation. J'en conclus que vos standards sont un peu supérieurs à la législation française. Comment l'expliquez-vous ? Cela vient-il du fait que la législation et la réglementation françaises ne sont pas assez exigeantes ? La qualité des inspections réalisées par les services de l'État ou par votre propre société pourrait-elle expliquer cette différence d'appréciation ?
Par ailleurs, Lubrizol est engagée dans un processus d'indemnisation par le biais d'un protocole signé avec l'État. J'entends bien que vous n'êtes concerné que par la partie dommages aux biens, mais prenez-vous d'ores et déjà votre part dans cette indemnisation, et sous quelles formes ?
M. Hervé Maurey, président. - Je reviens sur la première question de Mme Brulin. J'ai senti une légère hésitation de votre part. Doit-on effectivement entendre que vos standards sont plus exigeants que ceux de la réglementation et de la législation française concernant les points que vous avez soulevés comme posant problème ?
M. Loïc Le Dréau. - Je ne connais pas la législation française dans le détail, mais il semblerait que ce que nous demandions n'était pas réclamé par la législation française. Nos standards et nos règles techniques sont établis dans le but de protéger les biens. La réglementation est plutôt destinée à assurer la protection des personnes et de l'environnement. Ce sont des buts différents. Il est très difficile pour nous de nous positionner, n'étant compétents que sur un aspect.
S'agissant du processus d'indemnisation, on essaye encore aujourd'hui de comprendre ce qui s'est passé et de connaître les causes et les origines de cet incendie. Les responsabilités ne sont pas encore établies. Une fois qu'elles l'auront été, l'indemnisation pourra vraiment commencer. Notre client a subi un incendie majeur. L'incendie est couvert par notre police d'assurance : d'une façon ou d'une autre, on est avec notre client et on a commencé à travailler avec lui dès qu'on a pu pour engager le processus d'indemnisation, de reconstruction et de remise en état de son outil de production.
Mme Brigitte Lherbier. - Dans ce cas de figure, c'est la loi des contrats qui s'applique. Vous avez défini ce que vous étiez à même de rembourser.
M. Jean-Claude Tissot. - Si le client se met en conformité avec vos demandes, la prime d'assurance est-elle moins élevée ?
M. Hervé Maurey, président. - On peut donc imaginer que la prime d'assurance de Lubrizol a diminué entre 2008 et 2019, puisqu'ils s'étaient, selon vous, améliorés...
M. Loïc Le Dréau. - Peut-être...
M. Hervé Maurey, président. - Il me reste à vous remercier. Vous avez adressé des réponses au questionnaire écrit qui vous a été envoyé. Nous en ferons le meilleur usage pour notre rapport.
La réunion est close à 17 h 00.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire
M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous achevons les auditions de notre commission d'enquête en entendant Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Madame la ministre, il y a cinq mois jour pour jour, un incendie de très grande ampleur s'est déclenché à Rouen. S'il a été rapidement maîtrisé, l'ampleur du panache et la persistance d'odeurs sur la ville pendant plusieurs semaines ont alimenté un sentiment de colère et d'incompréhension.
Dès le 2 octobre, vous avez fait parvenir aux préfets une instruction constituant une première réponse après l'incendie. Quel retour avez-vous eu par rapport à ces recommandations et à leur mise en oeuvre ? Lors d'un récent déplacement dans le Rhône, nous avons constaté avec étonnement que de nombreux sites Seveso n'avaient jamais mené d'exercices en dehors des heures ouvrées. Y a-t-il des évolutions à cet égard ?
Voilà deux semaines, vous avez dévoilé un plan d'actions pour éviter qu'un nouvel accident de même ampleur ne se reproduise. Vous avez notamment annoncé une augmentation de 50 % du nombre de contrôles. C'est un objectif ambitieux, et nous ne pouvons qu'y souscrire. Simplement, nous nous interrogeons sur la possibilité de l'atteindre avec des effectifs qui ne devraient a priori pas augmenter en proportion.
S'il est certainement important de renforcer les contrôles, il est, à notre sens, encore plus important de s'assurer que ceux-ci sont suivis d'effets. À cet égard, nous avons un sujet d'interrogation et même d'insatisfaction. Comme cela a été relevé dans l'arrêté de mise en demeure formulé par le préfet à l'égard de Lubrizol le 8 novembre dernier, un certain nombre de remarques avaient été émises par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) un an et demi plus tôt, plus précisément le 19 avril 2018, concernant notamment le plan de défense incendie pour une meilleure prise en compte des récipients mobiles. Il ne nous semble ni normal ni légitime que des remarques aussi importantes de la part des services de l'État puissent rester lettre morte.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Borne prête serment.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole, avant de passer aux questions des rapporteurs, puis des autres membres de notre commission d'enquête.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je vous remercie de me donner à nouveau l'occasion de m'exprimer devant vous sur cette catastrophe industrielle, qui, comme vous l'avez rappelé, a frappé les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà le 26 septembre dernier.
Dès les premières heures de cet incendie hors norme, l'ensemble des services de l'État a été pleinement mobilisé. L'intervention des sapeurs-pompiers a été exemplaire. Les 280 pompiers mobilisés ont fait preuve d'un immense courage. Je voudrais à nouveau les remercier. Grâce à eux, malgré la violence de l'incendie, on ne déplore aucun blessé, ni a fortiori, aucun mort.
Je voudrais aussi souligner l'implication des agents de la Dreal de Normandie. Depuis la fuite de mercaptan sur le site de Lubrizol en 2013, ce ne sont pas moins de 39 inspections qui ont été réalisées en 6 ans. Ces inspections ont permis de tester le plan d'opérations interne (POI) de Lubrizol ou de renforcer les dispositifs de prévention des incendies. La mise en oeuvre du plan de prévention des risques technologiques de Lubrizol avait également permis de réduire deux facteurs de risques importants avec la suppression d'une cuve de GPL et d'une cuve d'acide chlorhydrique, auparavant situées à proximité des bâtiments ayant brûlé. Cela a clairement permis d'éviter des conséquences encore plus dramatiques.
Le Gouvernement s'est engagé à faire face aux conséquences environnementales et sanitaires de cet accident dans la transparence la plus absolue. C'est pourquoi toutes les informations, toutes les données scientifiques et leurs interprétations ont été rendues publiques. Elles ont été présentées lors des réunions du comité de dialogue et de transparence qui a été mis en place. Le comité s'est réuni à six reprises. Ces données ont également été systématiquement mises en ligne sur le site de la préfecture de Seine-Maritime et sont donc accessibles à tous. Par ailleurs, nous avons imposé la mise en place d'une surveillance environnementale post-accidentelle avec deux arrêtés de mesures d'urgence, en date du 26 septembre pour Lubrizol et du 30 septembre pour Normandie Logistique, dans les jours qui ont suivi l'incendie.
Pour l'alimentation, ce sont plus de 500 prélèvements qui ont été réalisés. Les résultats se sont révélés inférieurs aux normes applicables. Les prélèvements vont se poursuivre dans la durée pour vérifier que tous les résultats restent bien conformes.
J'en viens aux retombées. Les résultats sont cohérents avec le bruit de fond, c'est-à-dire la qualité moyenne des sols avant l'incendie, notamment pour les hydrocarbures, les métaux et les dioxines. Quelques traces de soufre, de zinc et de phosphore ont été mesurées. Ces éléments étaient bien présents dans les produits de Lubrizol. Leur très faible concentration ne nécessite pas de mesures de précaution particulières. Dans les sols, plus de 1 000 prélèvements ont été réalisés dans les 125 communes potentiellement touchées par le panache. En raison d'une saturation des laboratoires d'analyses, seule une première série de résultats pour 23 communes autour de Rouen a été rendue disponible. Ces premiers résultats ne montrent pas d'anomalie particulière, hormis quelques traces de plomb, de mercure et de benzoapyrène, sans qu'il soit possible de les relier à l'incendie.
Par ailleurs, dès le 4 octobre, j'ai demandé la réalisation d'un protocole de suivi des eaux de surface et de la biodiversité à l'Agence française de la biodiversité, désormais Office français de la biodiversité (OFB), aux agences de l'eau de Seine-Normandie et d'Artois-Picardie, à l'Office national des forêts et au Centre de documentation, de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre).
Les analyses réalisées sur les cours d'eau présentent de faibles concentrations en hydrocarbures dont le lien avec l'accident n'est pas établi, compte tenu de leur localisation géographique. Aucune mortalité piscicole n'a été relevée, en dehors de la darse, qui a accueilli une partie des eaux d'extinction de l'incendie. Le diagnostic complet de cet état des milieux est attendu pour le mois d'avril ; il permettra de mener une étude quantitative des risques sanitaires, dont les résultats seront ensuite expertisés par les agences sanitaires.
C'est la première fois que des analyses sont réalisées sur un spectre aussi large de polluants et sur des volumes aussi importants. Elles permettent d'apporter une information rigoureuse sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce sinistre, conformément à notre engagement de transparence.
Pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise, nous en avons tiré des premières leçons.
Dès la survenue de l'accident, j'avais diligenté une mission d'inspection générale, en l'occurrence le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'économie (CGE). Les recommandations de cette mission ont été présentées lors de la réunion du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 13 janvier dernier, et les membres de ce conseil m'ont eux-mêmes fait part de leurs réflexions et propositions.
Les problématiques relatives à la gestion de crise font l'objet d'une mission d'inspection générale qui rendra ses conclusions au printemps. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février sera ainsi complété dans les prochains mois sur l'alerte des populations et le développement de la culture du risque.
Le premier axe de ce plan d'action consiste à renforcer la transparence lorsqu'un accident industriel a lieu, en mettant à disposition l'ensemble des informations pertinentes. Lors de l'incendie, le 26 septembre, nous avons eu des difficultés à récupérer une liste précise et utilisable des produits qui avaient brûlé. Pour garantir une parfaite transparence, nous allons imposer que soient mises à disposition du public dès la survenue de l'accident et dans des termes intelligibles par les non-spécialistes la nature et la quantité des produits stockés.
En outre, les délais d'analyses sont encore trop longs. Seuls les résultats de 23 communes sont aujourd'hui connus. C'est pourquoi nous demanderons aux industriels d'identifier en amont les moyens de prélèvements et d'analyses associés.
Des études viendront compléter les valeurs toxicologiques de référence et les valeurs de bruit de fond sur un éventail de polluants plus larges pour faciliter l'interprétation des valeurs mesurées. Nous n'avons aujourd'hui pas de valeur toxicologique de référence pour les mesures de dioxines dans l'environnement. Par ailleurs, nous n'avons évidemment pas la cartographie de l'ensemble des teneurs en bruit de fond sur ces différents polluants. Pouvoir disposer de l'ensemble de ces valeurs constitue donc un axe de travail très lourd.
Deuxième axe, nous devons évidemment éviter que des incendies d'une telle ampleur ne se déclenchent à nouveau. L'enquête judiciaire est toujours en cours. Nous n'avons donc pas d'éléments sur l'origine de l'incendie, mais nous savons que son développement rapide découle notamment de la présence d'une nappe enflammée qui a propagé l'incendie entre plusieurs stockages. Cela nous amène à envisager plusieurs axes d'amélioration pour limiter, précisément, la propagation de l'incendie au sein des différents stockages d'un même site. Nous allons donc revoir les mesures de compartimentage, la disposition des stockages des produits et la conception des cuvettes de rétention.
Il nous faut aussi éviter la propagation d'incendies entre des sites voisins. Nous allons désormais inspecter systématiquement l'ensemble des installations classées dans un rayon de 100 mètres autour des sites Seveso. Les moyens d'extinction sur le site Lubrizol se sont révélés insuffisants, ce qui a nécessité de mettre en place en urgence de bateaux-pompes sur la Seine. Des émulseurs, les produits que les pompiers mélangent à l'eau pour obtenir de la mousse, ont aussi dû être recherchés chez les industriels voisins de Lubrizol. Nous allons donc désormais demander aux industriels d'identifier en amont des capacités suffisantes d'eau d'extinction et d'émulseurs.
L'ensemble de nouvelles obligations seront testées lors d'exercices réguliers obligatoirement une fois par an pour les sites Seveso seuil haut, alors que la pratique est d'une fois tous les trois ans actuellement. Nous allons donc renforcer nos moyens de contrôle et d'enquête pour nous assurer que ces nouvelles réglementations sont bien appliquées.
J'ai en effet indiqué que nous nous fixons l'objectif d'augmenter de 50 % le nombre de contrôles d'ici à la fin du quinquennat. L'atteinte de cet objectif reposera sur une réduction des charges administratives des inspecteurs des installations classées, notamment en développant des outils numériques et en privilégiant des contrôles sur sites. Ces dernières années, les inspecteurs ont été de plus en plus chargés de l'instruction de dossiers. Il y avait une charge particulière liée, précisément, à la mise en place des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), qui sont quasiment tous élaborés aujourd'hui. Cela a représenté une charge administrative très importante pour nos inspecteurs. Les effectifs d'inspecteurs seront le cas échéant ajustés une fois ces différentes optimisations réalisées.
J'ai aussi souhaité que l'on puisse disposer d'un bureau d'enquêtes accidents en matière de risques industriels et technologiques. Un tel outil existe, par exemple, pour les transports aériens, terrestres et maritimes. Il est très précieux de pouvoir mobiliser une telle expertise, non pas pour doublonner l'enquête judiciaire, mais pour tirer le plus rapidement possible toutes les conséquences d'un accident majeur.
Le Gouvernement s'est engagé à présenter les faits tels qu'ils sont en toute transparence et à tirer le retour d'expérience de cet accident. Le plan d'action que j'ai présenté le 11 février visait à prendre au plus vite les dispositions pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise.
J'ai effectivement saisi les préfets pour demander que les Dreal prennent l'attache des responsables de l'ensemble des sites Seveso, afin de vérifier le dimensionnement et le caractère opérationnel des mesures de maîtrise des risques. En particulier, car c'est ce qui permet de prévenir des incendies, des exercices de préparation, indispensables pour vérifier l'effectivité des mesures de protection, doivent être réalisés la nuit. Il s'agit aussi de faire en sorte que les exploitants disposent en temps réel d'une connaissance de la nature et des quantités de produits. La réglementation sera ajustée en conséquence. Par ailleurs, 98 % des exploitants ont fait un retour aux préfets, notamment sur leur capacité à produire les éléments demandés. Nous nous assurerons aussi que l'on pourra organiser des exercices en période nocturne au cours des prochains mois. Théoriquement, ce devrait être le cas.
Les préconisations, recommandations ou injonctions de la Dreal, notamment celles qui visaient à améliorer la défense incendie de Lubrizol, avaient fait l'objet d'une mise en demeure en 2017. Celle-ci a été levée en 2018, l'exploitant s'étant mis en conformité. À mon sens, toutes ces recommandations ont aussi contribué à améliorer le POI de l'entreprise, ce qui a certainement aussi facilité la gestion de cet incendie.
Aujourd'hui, les prescriptions qui sont émises aboutissent le cas échéant à des mises en demeure faisant l'objet de sanctions importantes. En l'absence de régularisation, il peut y avoir des astreintes administratives, voire des suspensions d'autorisation d'exploiter.
Le projet de loi présenté par Nicole Belloubet relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée - examiné par le Sénat cette semaine - prévoit de nouveaux outils de répression des atteintes graves à l'environnement permettant d'obtenir la réparation de préjudices et d'appliquer des sanctions dissuasives, sans aller jusqu'à la suspension d'exploitation, mesure effectivement difficile à prononcer par les représentants de l'État.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Notre commission d'enquête travaille depuis plusieurs mois sur les suites de l'incendie de Lubrizol. Madame la ministre, vous avez formulé un certain nombre de recommandations, dont l'augmentation du nombre des contrôles des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
Parallèlement, le Gouvernement a présenté le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), qui est en cours d'examen par une commission spéciale. Or l'article 24 de ce texte rend facultative la consultation par le préfet du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) pour l'installation d'une ICPE.
À l'article 25 ce projet de loi, il est prescrit de recourir à une simple consultation publique au lieu d'une véritable enquête publique pour les projets soumis à autorisation environnementale. Enfin, l'article 26 tend à autoriser le début des travaux avant que l'autorité environnementale n'ait donné son autorisation, ou encore à alléger les contrôles environnementaux.
Je considère, pour ma part, que ces articles sont contradictoires avec vos recommandations et préconisations mais également avec la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2020, qui a consacré l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement face à la liberté d'entreprendre.
Si je comprends bien, la logique qui sous-tend ce projet de loi est davantage une logique provenant de Bercy, donc économique. Je pense qu'elle va à l'encontre des problématiques environnementales, ce qui est très regrettable. Quelle est votre position, madame la ministre ?
M. Hervé Maurey, président. - En résumé, madame la ministre, pensez-vous qu'il soit opportun d'alléger les contraintes environnementales après ce qui s'est passé à Rouen ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je ne partage pas du tout votre lecture du projet de loi. Je sais qu'un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) environnementales ont soulevé ces questions, mais j'aurai l'occasion de leur apporter des réponses.
S'agissant par exemple de la consultation du Coderst, vous savez que l'on est dans une situation assez paradoxale, puisque la saisine de ce conseil est facultative dans le cadre d'autorisations et obligatoire pour les installations de moindre importance soumises à enregistrement. On le voit bien, à force de modifier les textes, on arrive à des situations défiant toute logique.
Pour ma part, je pense que l'on peut s'appuyer sur les préfets pour prendre des décisions de bon sens. J'imagine mal un préfet se passer de l'avis du Coderst sur une décision concernant un projet sensible, même si c'est possible, je le répète, en cas d'autorisation d'un établissement présentant des risques.
Avec ce projet de loi, il s'agit simplement de rendre possible, pour des dossiers soumis à enregistrement et ne présentant pas une sensibilité particulière, ce qui l'est aujourd'hui sur des dossiers plus importants soumis à autorisation. En aucun cas, cela ne peut s'analyser comme de moindres précautions sur des autorisations ICPE.
De la même façon, nous introduisons la possibilité de mener une consultation électronique du public, à la place de l'enquête publique classique. Je rappelle que c'est impossible aujourd'hui pour des projets soumis à évaluation environnementale. À mon sens, cette simplification est salutaire, même s'il faut sans doute poursuivre les échanges sur les garanties de transparence offertes pour la prise en compte de tous les avis.
Quant à la possibilité d'engager des travaux sur une partie d'un permis de construire sans attendre la décision d'autorisation environnementale, elle est strictement encadrée. Ce n'est valable que pour une construction sans enjeu d'artificialisation ou de défrichement, donc qui ne pose pas problème au regard de la loi sur l'eau ou de la protection d'espèces protégées.
En conclusion, je le répète, il ne s'agit pas de baisser la garde sur les exigences préalables à une autorisation d'installation classée pour la protection de l'environnement.
M. Hervé Maurey, président. - Permettez-moi d'apporter quelques précisions.
Tout d'abord, les PPRT n'ont pas encore été tous élaborés.
Ensuite, vous prétendez que toutes les prescriptions sont globalement mises en oeuvre dès lors qu'elles sont formulées. Pourtant, j'ai ici la lettre que m'a adressée le préfet de la région Normandie le 17 décembre 2019, dont j'ai déjà lu certains extraits aux hauts responsables de Lubrizol ici même, qui montre très clairement qu'un certain nombre de remarques formulées par le préfet de région en 2018 n'étaient toujours pas prises en compte au moment du sinistre. Cela montre la nécessité de davantage contrôler les entreprises.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Pour revenir sur les PPRT, on en dénombre 385 sur les 390 qui sont prescrits. Il en manque donc 5, plus complexes, qui sont toujours en cours d'élaboration. Une fois que ces PPRT existent, cela ne veut pas dire qu'ils sont tous mis en oeuvre. Il y a deux types de prescriptions.
Tout d'abord, il y a les mesures sur les biens, qui peuvent faire l'objet d'expropriation ou d'un droit de délaissement. S'agissant de ce dernier droit, il est compliqué de savoir où l'on en est dans la mesure où il suppose une initiative du propriétaire. Globalement, on estime à 18 % le taux d'avancement.
Ensuite, il faut considérer tout ce qui concerne les prescriptions de travaux ; 16 000 logements environ sont concernés. Il est important d'accompagner les propriétaires dans cette phase. Aujourd'hui, 9 000 de ces logements ont fait l'objet d'un accompagnement de l'État, notamment grâce à une amélioration de la prise en charge du reste à charge et une simplification de l'accès aux prêts.
Enfin, les exploitants s'abstenant de mettre en oeuvre des prescriptions qui leur ont été faites peuvent se voir infliger une amende ou une astreinte administrative jusqu'à la régularisation. Cela peut aller jusqu'à la réalisation d'office des travaux ou la suspension de l'autorisation.
En 2019 ont été prononcées 86 amendes administratives - le chiffre le plus élevé depuis que cet outil existe -, et 139 astreintes administratives, là encore un chiffre record. 12 travaux d'office ont été effectués, ce qui est conforme à la moyenne des dernières années, et 43 suspensions d'activité ont été décidées.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Madame la ministre, vous avez parlé d'une augmentation du nombre d'inspections de 50 % d'ici à 2022. Peut-on envisager une telle performance sans augmentation des effectifs d'inspecteurs ? Nous les avons auditionnés et ils se plaignent de leurs conditions de travail. Ne devrait-on pas envisager la création d'une véritable police des sites industriels, dont les inspecteurs pourraient notamment demander aux assureurs les documents qu'eux-mêmes exigent ?
Enfin, madame la ministre, au XXIe siècle, comment se fait-il qu'il n'existe pas de registre informatique crypté qui nous renseigne en temps réel sur la composition des stocks de produits sur tous les sites et les risques en cas de combustion ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'ai demandé que cela soit mis en place, madame le sénateur. À tout moment, l'industriel doit tenir à jour la liste et le volume des produits sur le site pour tenir immédiatement les secours informés en cas de sinistre.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Il importe que les pompiers et la Dreal soient au courant au moment où ils se rendent sur un sinistre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Effectivement, et c'est ce que j'ai demandé. On doit connaître la composition du « cocktail » immédiatement, et non pas des semaines plus tard. Pour éviter toute perte des données, les exploitants devront faire en sorte que ces informations soient stockées sur un serveur sécurisé.
Sur la police des sites industriels, je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question. Pour moi, telle est bien la mission des inspecteurs des installations classées. Ils ont des pouvoirs de police administrative et peuvent transmettre des procès-verbaux d'infraction au Parquet. Là encore, les dispositions relatives à la spécialisation des juridictions, sur lesquelles nous avons travaillé avec Nicole Belloubet, devraient permettre d'avoir un taux de poursuite plus important.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Encore faudrait-il que les inspecteurs soient plus nombreux !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je le répète, madame le rapporteur, l'objectif est d'augmenter de 50 % le nombre des inspections d'ici à la fin du quinquennat. Le cas échéant, nous renforcerons les effectifs pour y arriver.
M. Hervé Maurey, président. - Permettez-moi de douter du réalisme de cet objectif à effectifs constants...
Pour ce qui est de la création de juridictions spécialisées, Mme Belloubet, pas plus tard qu'hier dans notre assemblée, a clairement rappelé qu'elle ne changerait rien pour des accidents de type Lubrizol, qui resteraient de la compétence des juridictions interrégionales de Marseille et Paris.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous ferons le bilan, monsieur le président.
M. Jean-François Husson. - Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt de votre annonce sur l'augmentation de 50 % des inspections d'ici à la fin du quinquennat. Il vaut mieux raisonner en fonction du nombre de sites et du personnel dont vous disposez.
Il faut être attentif à ne pas trop légiférer et réglementer. Les règles imposées dans les contrats par les professionnels de l'assurance vont bien au-delà de la loi. Si les prescriptions ne sont pas respectées, c'est la prime d'assurance qui augmente. À mon sens, il est préférable de poser un cadre légal et de laisser ensuite les parties à un contrat trouver leur propre solution. Si aucune solution ne peut être trouvée, alors l'État doit intervenir.
Par ailleurs, madame la ministre, je trouve que vous passez trop sous silence le rôle primordial joué par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa). N'oubliez pas de les intégrer ! L'État dispose d'outils et de personnel compétent, mobilisé et mobilisable, et vous donnez le sentiment de ne pas en tenir compte.
Enfin, vous parlez du dépôt de suies sur Rouen. La mise en place de nouvelles normes plus draconiennes supposera des aménagements des règles de construction, qui devront être connues des différents acteurs. La loi et les règles d'assurance n'étant pas toujours les mêmes, l'acteur économique peut se trouver pris entre deux feux, entre l'architecte et l'assureur.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - C'est votre liberté que de considérer une augmentation de 50 % comme un effet d'annonce. Celle-ci est parfaitement cohérente avec la nécessité d'inspecter systématiquement les installations classées dans un périmètre de 100 mètres autour des sites Seveso. Je souhaite par ailleurs la réalisation d'exercices de jour comme de nuit. Cela suppose que nous renforcions les contrôles sur site et la présence des inspecteurs, ce qui nous conduit à évaluer le besoin d'augmentation à + 50%.
Je ne peux pas non plus me satisfaire que le nombre de contrôles soit passé de 30 000 en 2006 à 19 725 en 2019, alors même que le nombre d'inspecteurs a augmenté significativement, passant de 848 en 2001 à 1 256 en 2011, et quasiment 1 300 en 2019. Il y a plus d'inspecteurs et moins de contrôles ! Il est de ma responsabilité de les décharger de tâches qui peuvent être effectuées par d'autres pour qu'ils soient présents sur le terrain.
Je suis favorable à la préconisation de la mission d'information de l'Assemblée nationale d'une transmission des recommandations de l'assurance aux inspecteurs. C'est un regard croisé. En revanche, ne mélangeons pas les rôles : le regard des assureurs est différent de celui des inspecteurs. Ce dernier se porte prioritairement sur les risques létaux. Dans l'usine Lubrizol, on a supprimé une cuve GPL présentant un risque important pour les vies humaines. L'assureur peut avoir un regard différent sur les charges qui peuvent incomber à l'exploitant. Les deux sont complémentaires. Néanmoins, il est légitime à vouloir poser des prescriptions plus opérantes sur les conditions de stockage de certaines matières. C'est ce que nous réaliserons par des modifications réglementaires.
Les Aasqa sont au coeur du dispositif mais elles n'effectuent pas toutes des astreintes. Dans ce cas, nous devons trouver d'autres acteurs pouvant intervenir à toute heure du jour ou de la nuit. Je rappelle qu'elles sont non pas sous autorité, mais agréées par l'État. J'ai toute confiance en ce qu'elles produisent. Il y a eu un début de polémique à Rouen quand l'Aasqa a choisi d'arrêter la publication de ses indices, compte tenu du décalage entre des mesures de polluants qui montraient une concentration normale et le ressenti de la population, laquelle pouvait difficilement admettre que la qualité de l'air était satisfaisante alors qu'il y avait des odeurs.
M. Hervé Maurey, président. - Les assurances paraissent parfois plus exigeantes que les services de l'État. Il y a deux heures, l'assureur de Lubrizol nous a dit avoir pointé des défaillances, lesquelles sont malheureusement avérées. Or l'entreprise Lubrizol a répondu qu'elle était en conformité avec la réglementation.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je n'oppose pas la règlementation aux prescriptions. Je dis que la logique n'est pas la même. Les recommandations de l'assureur étaient certainement pertinentes. On aurait tort de se priver de l'expertise des assureurs. Je l'ai dit, je souscris à la proposition de la mission d'information de l'Assemblée nationale de transmission des prescriptions aux Dreal.
M. Hervé Maurey, président. - Les défaillances soulevées par l'assureur avaient été pointées du doigt dès 2008.
Mme Céline Brulin. - Pour recevoir leur indemnisation à la suite de l'incendie, les agriculteurs doivent signer une quittance subrogative et une cession de droits, aux termes desquelles ils reconnaissent que le règlement versé l'est à titre définitif et qu'ils ne pourront intenter aucun recours ultérieur. Or les professionnels de santé soulignent la nécessité d'études au long cours. Je n'accepte pas que Lubrizol fasse signer de tels documents alors qu'on ne connaît pas les conséquences ultérieures !
Quels recours existe-t-il pour des producteurs qui considèrent que le préjudice subi n'a pas été reconnu en totalité ? Cela concernerait la convention entre Lubrizol, Exetech et le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Des agriculteurs ont témoigné qu'Exetech avait opposé une fin de non-recevoir sans aucune justification à leurs demandes d'indemnisation. La puissance publique ne doit pas laisser l'ensemble de ces victimes seules face à Lubrizol ou à son prestataire.
Le projet de loi ASAP nous semble tirer peu d'enseignements de la situation de Lubrizol. Madame la ministre, devant la commission du développement durable, vous aviez vous-même déclaré que cet accident était d'un type nouveau, sans victime immédiate mais avec des conséquences potentielles à plus long terme, qui nécessiterait très certainement une évolution de la réglementation ou de la législation. Le projet de loi pourrait au moins ne pas revenir en arrière en matière de droit de l'environnement. L'un des enseignements à tirer de l'incendie de Lubrizol, c'est la défiance à l'égard de la parole publique. Avoir transcrit dans le projet de loi les seuls éléments de simplification du rapport Kasbarian, et aucun élément sur la culture du risque, la sécurité ou les enquêtes publiques, c'est ne tirer aucune leçon de l'accident !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Les agriculteurs peuvent tout à fait obtenir une réparation au civil. Une procédure transactionnelle a été prévue pour accélérer le processus, mais elle n'est pas satisfaisante : il faut revoir les modalités de l'indemnisation avec Lubrizol. Le ministre de l'agriculture serait le mieux à même de vous répondre.
Le projet de loi ASAP n'est pas la conséquence de l'accident de Lubrizol. Il est issu de réflexions antérieures. Les dispositions qui ont été décidées après l'accident sont, pour l'essentiel, de nature réglementaire. La création d'un bureau enquêtes accidents indépendant facilitant les relations avec l'autorité judiciaire nécessitera une disposition législative.
Je suis sensible au fait qu'une simplification puisse être lue comme une régression. Nous échangerons avec les associations de protection de l'environnement.
Nous mettons en cohérence les règles relatives à la saisine du Coderst, car il est paradoxal que sa consultation soit facultative pour les sites les plus à risque et systématique pour les sites moins à risque. Je continue à penser que les préfets feront preuve de bon sens et ne se dispenseront pas de l'avis de ce conseil sur des projets sensibles.
J'ai également évoqué la possibilité pour des sites sans enjeu concernant l'eau ou les espèces protégées, d'ores et déjà artificialisés, sans besoin d'autorisation de défrichement, de démarrer des travaux, au risque de ne pas obtenir l'autorisation environnementale. Nous ne sommes en aucun cas en train d'assouplir la réglementation des sites ICPE.
M. Hervé Maurey, président. - Vous faites le pari que les préfets auront à coeur, de leur propre initiative, de consulter sur les dimensions environnementales.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Si les préfets n'ont pas une bonne appréciation des dossiers sensibles, alors que l'on a un enjeu d'accessibilité, il y a un problème et il faudra le leur rappeler.
Mme Nelly Tocqueville. - L'article 24 du projet de loi ASAP supprime la consultation systématique du Coderst, au sein duquel les riverains, les associations environnementales, les consommateurs et le monde médical peuvent s'exprimer.
Certes, ce projet de loi n'est pas né de l'accident de Lubrizol, mais considérez que sur le terrain, l'émotion et l'inquiétude sont toujours très vives quant à ses conséquences sanitaires ! Le Gouvernement n'aurait-il pas pu aligner la législation vers le haut en rendant obligatoire la consultation du Coderst et de la CDNPS ? Qui peut le plus peut le moins. Cela va dans le sens de la démocratie environnementale à laquelle nos concitoyens sont attachés.
Je reviens aussi sur l'axe 4 des retours d'expérience : le renforcement des contrôles. On note qu'une réflexion sera menée pour maintenir les compétences rares et l'attractivité des postes d'inspecteur d'installations classées. Si les personnes affectées à des tâches administratives vont sur le terrain, nous devrons nous assurer qu'elles disposent de ces compétences rares.
Pour constituer dans les cinq ans ce corps d'inspecteurs qui devront contrôler ces installations classées et assurer des contrôles ciblés des sites Seveso, il faut un personnel nombreux. Quels crédits seront affectés à la formation de ces personnels ? A-t-on estimé leur effectif ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Une installation soumise à déclaration ou enregistrement peut être un site de tri de déchets non dangereux ou un entrepôt de cartons en zone artificialisée. Je pense qu'il n'est pas inutile de consacrer les débats du Coderst aux dossiers les plus sensibles, à l'appréciation du préfet. Si l'on part de l'idée que les préfets vont mal utiliser ce pouvoir d'appréciation, il y a effectivement un problème... Faisons leur confiance !
Il ne s'agit pas d'affecter à l'inspection des agents compétents qui se consacrent aujourd'hui à des tâches administratives. Je fais le constat que, malgré la hausse sensible des effectifs d'inspecteurs, le nombre de contrôles a diminué. Je l'explique par le fait qu'ils réalisent des tâches administratives dont on peut les décharger. On pourra ainsi recentrer les inspecteurs sur leur coeur de métier.
M. Jean-Pierre Vial. - Nous arrivons au terme de nos auditions. Le contrôle a été longuement évoqué. On voit bien qu'il y a le champ de la loi et celui du règlement. Le droit commun, c'est le principe de responsabilité. Il a évolué au cours des événements, après Seveso, AZF, Erika et Lubrizol. Jusqu'à récemment, le principe était celui de l'article 1382 du code civil hérité de Napoléon. Le principe pollueur-payeur a été instauré après le naufrage de l'Erika. Plus récemment, la loi du 8 août 2016 a créé le préjudice écologique. Le principe de responsabilité s'est affiné.
Il y a eu des propositions d'indemnisation des victimes de Lubrizol. On se demande si l'industriel ne fait pas un geste de psychologie commerciale pour montrer sa bonne foi, tout en essayant de passer des conventions pour solde de tout compte.
Au regard de l'affaire Lubrizol, peut-on considérer que le cadre législatif est satisfaisant ?
La presse a beaucoup évoqué l'indemnisation, mais nous savons peu comment les choses ont été mises en oeuvre. Il faut des versements rapides tout en évitant de priver les agriculteurs de leurs droits.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Aujourd'hui, l'arsenal juridique est important. Il affirme très clairement la responsabilité de l'exploitant.
Les procédures et les jugements peuvent intervenir tardivement, d'où l'idée que l'industriel assume l'indemnisation sans attendre de décision au civil. Je n'ai connaissance ni des conditions qu'impose Lubrizol ni de la façon dont les préjudices ont été évalués.
Les procédures de réparation des préjudices par l'industriel en cause fonctionnent bien. Vous avez sans doute débattu de la convention judiciaire écologique : elle nous semble une voie intéressante à creuser, par analogie avec ce qui existe en matière de fraude. C'est ce qui a conduit récemment Airbus à payer 3,6 milliards d'euros de pénalités. On voit que ces outils sont très puissants pour obtenir des réparations larges des préjudices. Je pense qu'il est important de se doter d'outils complémentaires.
Il y a peut-être des trous dans la raquette pour ce qui concerne les sanctions des atteintes à l'environnement, qui justifieraient de créer un délit d'atteinte générale à l'environnement sur le modèle du délit de mise en danger de la vie d'autrui. Dans un certain nombre de cas, les sanctions encourues pour non-respect de prescriptions sont insuffisantes au regard de l'ampleur du préjudice.
Il ne s'agit pas non plus de créer une instabilité juridique pour les industriels qui se sont conformés en toute bonne foi aux prescriptions. J'ai en tête le cas d'un industriel, dans le centre de la France, dont les stockages ont brûlé pendant trois mois d'affilée. Il est aujourd'hui passible d'une sanction au titre du non-respect des capacités de stockage de son site. Ce n'est pas à la hauteur du préjudice.
M. Pascal Martin. - Vous souhaitez apporter des améliorations aux politiques de prévention et de prévision. Ce sont deux choses totalement différentes. En matière de prévention, je souscris à l'obligation d'éviter l'effet domino, c'est-à-dire la propagation d'un incendie d'un établissement à un autre. Imposer des compartimentages plus importants m'agrée complètement. En matière de prévention, les exercices me tiennent à coeur. Les établissements recevant du public organisent régulièrement des exercices, notamment les établissements scolaires, en association avec le maire, au titre des pouvoirs de police administrative générale dont il dispose. Pour les établissements classés, les pouvoirs relèvent du préfet.
En Seine-Maritime, département qui accueille le plus grand nombre de sites Seveso, le développement de la culture du risque est très différent dans la métropole rouennaise, d'un côté, et Port-Jérôme-sur-Seine et Le Havre, de l'autre, où des exercices sont régulièrement organisés. Ils sont indispensables pour que les populations, notamment les plus jeunes, intègrent cette culture. Dans la métropole rouennaise, les habitants des communes concernées n'avaient pas totalement réalisé ce que l'implantation de sites Seveso impliquait. Il faut en permanence rappeler aux habitants et aux entreprises la conduite à tenir, en association avec le maire, puisque l'un des premiers réflexes est de se tourner vers lui. Je souhaite que ces exercices soient réguliers.
Pour éteindre les feux d'hydrocarbures, on utilise des émulseurs. Mais aucun service départemental d'incendie ou de secours (SDIS) ni aucune entreprise n'a aujourd'hui, seul, les capacités en émulseurs pour éteindre un sinistre comme celui de Lubrizol. Bien entendu, il existe des conventions de solidarité.
Je voudrais que l'ensemble des coûts de ces exercices, supportés par la puissance publique ou les entreprises, soient intégralement financés par les exploitants des sites Seveso. En effet, un émulseur coûte très cher ; or l'on connaît la situation financière tendue des SDIS.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Pour limiter l'effet domino, nous avons prévu la révision de la réglementation sur les stockages dans les entrepôts - des concertations sont engagées avec les fédérations professionnelles - ainsi que l'inspection de la zone de 100 mètres autour des sites Seveso seuil haut.
Nous attendons les retours d'une mission d'inspection sur la gestion de crise et la culture du risque. En outre, je rappelle le passage à des exercices obligatoires tous les ans sur les sites Seveso seuil haut, et non tous les trois ans comme aujourd'hui.
Je suis frappée par ce que vous dites sur la différence de culture du risque selon le bassin industriel. Les maires ont vraiment pris à bras le corps la question des risques naturels dans le cadre des plans communaux de sauvegarde. Si le nombre de victimes des inondations de l'automne dernier est resté relativement limité, c'est parce que les maires se sont saisis de cette culture. C'est nettement moins le cas pour les risques industriels. On doit certainement réfléchir à la façon de renforcer la culture du risque industriel. Les instances de concertation existantes, les commissions de suivi de sites, ne me semblent pas répondre à la question de la diffusion des informations aux riverains.
M. Pascal Martin. - Quid du financement des exercices ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Pour moi, ce sont les industriels qui financent les émulseurs et non les SDIS.
M. Jean-Claude Tissot. - L'assureur de Lubrizol que nous avons entendu m'a confirmé qu'une fois l'état des lieux fait et les améliorations apportées, la prime d'assurance serait moins élevée. Quel intérêt a-t-il à encourager les modifications ?
Dans cette même salle, M. Castaner a confirmé que l'eau stockée dans la darse, qui avait servi à éteindre l'incendie, était polluée. Qu'est devenue cette eau ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - La réglementation nationale fixe des règles à tous les industriels. Les préfets peuvent les renforcer. La lecture des assureurs est différente, puisqu'ils sont intéressés par la réduction du risque économique. Leurs recommandations peuvent toutefois être précieuses. Recevoir moins de primes mais ne pas avoir à gérer un sinistre reste, certainement, très utile financièrement.
Les opérations de dépollution sont terminées. L'eau a été confinée. Des protections ont été mises en place grâce, notamment, aux services du port. La destruction de la faune était liée à une sous-oxygénation de l'eau. La situation est revenue à la normale. Compte tenu de l'évacuation des eaux de destruction de l'incendie, un travail important de dépollution et de nettoyage des quais a été mené.
M. Jean-Claude Tissot. - L'eau polluée a-t-elle été rejetée à la Seine ? C'est une question fondamentale.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je vais vérifier mais je ne pense pas que l'eau polluée ait été rejetée ainsi à la Seine.
M. Hervé Maurey, président. - Je doute que cette eau se soit intégralement évaporée.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - L'eau d'extinction aurait dû être stockée dans des bassins de rétention. Cela n'a pas été le cas. Pour moi, l'eau collectée a été envoyée dans des sites de dépollution de la région. Je vais vérifier.
M. Jean-Claude Tissot. - Ce n'est pas ce que l'on nous a dit.
M. Hervé Maurey, président. - Compte tenu des volumes, il paraît compliqué que l'on ait pu tout stocker et transférer.
Mme Françoise Cartron. - On a évoqué la non-culture du risque dès le début des auditions. J'ai effectué des visites en Gironde, où sont implantés un certain nombre de sites Seveso seuil haut. La prise en compte de la culture du risque et de l'information aux populations est très différente selon les communes. L'information est bonne quand l'usine est en coeur de cité. Lorsqu'elle se trouve dans la campagne, à côté d'un village, ce n'est pas le cas. Il est nécessaire d'accompagner fortement les maires qui ont peur d'inquiéter de façon abusive ou de stigmatiser leur commune. Les habitants doivent pouvoir s'approprier la culture du risque en toute quiétude.
Quelle procédure est-elle prévue quant à la remise en marche de l'usine ? Qu'en est-il des phases suivantes ? Avec quel accompagnement ? Qui prendrait les décisions ?
Je partage les doutes de mes collègues concernant le projet de loi ASAP : c'est un mauvais signal. Ne laissons pas croire que nous baissons la garde. Il est bien de faire confiance aux préfets mais ensuite, c'est parfois compliqué.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le Parlement est souverain pour le vote de la loi. Je vous ai exposé un point de vue strictement technique. Je ne pense pas que nous baissions la garde. Il y a aussi des symboles et je l'entends.
J'entends vos propos sur la culture du risque. C'est l'objet de la deuxième mission inter-inspections en cours. Il existe des structures de concertation, les commissions de suivi de site, les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels. Je ne pense pas que cela favorise l'appropriation de ces enjeux par la population, comme on pourrait le souhaiter. Il faut certainement progresser dans ce domaine. Le Japon organise des journées sur le risque. Nous y avons réfléchi dans les outre-mer pour les risques naturels.
L'industriel a demandé un redémarrage de l'installation, sur une partie strictement limitée. À ce stade, nous n'avons, à ma connaissance, pas reçu d'autre demande d'autorisation de sa part. Par ailleurs, l'enquête judiciaire est toujours en cours.
M. Hervé Maurey, président. - Merci, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 30.