Jeudi 6 février 2020
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Table ronde sur les retraites des femmes, enjeux et perspectives
Mme Annick Billon, présidente. - Le sujet de la retraite des femmes est au coeur des préoccupations de la délégation car ces retraites, d'un montant inférieur à celles des hommes, sont le reflet d'inégalités professionnelles qui se jouent dès l'orientation scolaire des jeunes filles. Notre délégation y a travaillé en 2009-2010 avec notre ancienne collègue Jacqueline Panis, puis en 2013 avec notre collègue Laurence Rossignol, en amont d'une autre réforme des retraites portée par Marisol Touraine.
La réforme qui commence cette semaine son marathon parlementaire concerne tout particulièrement notre délégation, car l'équité et la justice à l'égard des femmes sont présentées comme une ambition centrale du projet de loi et du système universel qu'il vise à mettre en place.
Pour que la délégation s'inscrive dans les réflexions en cours sur les retraites, nous avons désigné une équipe de quatre rapporteures qui reflète la diversité politique de notre assemblée : Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Françoise Laborde et Michelle Meunier.
Notre table ronde réunit aujourd'hui :
- notre collègue Laurence Rossignol, qui partagera avec nous les conclusions du rapport qu'elle a présenté au nom de la délégation en 2013. Son titre, Retraite des femmes : tout se joue avant 60 ans, souligne clairement combien les retraites des femmes résultent de parcours professionnels souvent créateurs d'inégalités ;
- Carole Bonnet, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (Ined), qui interviendra en deux temps, d'abord pour nous présenter la thématique globale de la retraite des femmes, puis par la suite sur le sujet de la réversion ;
- Olga Trostiansky, membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et présidente du Laboratoire de l'égalité, qui a publié un Livre vert sur les retraites ;
- Christiane Poirier et Gilberte Duval, qui représentent la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (Favec) ;
- et Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR), accompagné d'Emmanuel Bretin, secrétaire général.
Mme Laurence Rossignol. - Notre rapport de 2013 a montré que la retraite des femmes était la résultante des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes et du poids des responsabilités familiales, qui pèsent majoritairement sur les femmes. Nous avons pu constater d'importantes inégalités en matière de retraite, avec des écarts sensibles de pensions, réduits toutefois par les droits familiaux et conjugaux. À cet égard, il nous était apparu que les droits familiaux demeuraient un moyen efficace pour réduire les inégalités. Autre constat : les femmes étaient plus nombreuses parmi les bénéficiaires des minima contributifs. Elles partaient aussi en retraite à un âge moyen supérieur à celui des hommes, car elles avaient besoin d'accumuler davantage de trimestres pour se constituer une retraite consistante, compte tenu du profil parfois haché de leur parcours professionnel. Cela sera vraisemblablement la même chose dans le système universel annoncé par le Gouvernement, car elles auront toujours besoin d'accumuler, non plus des trimestres, mais des points.
Cinquante ans après l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail, ces inégalités de retraite se réduisent certes, mais beaucoup moins vite que la solidarité et la justice ne l'exigeraient. Ces inégalités vont donc perdurer. La durée d'assurance des femmes va se rapprocher de celle des hommes, mais la maternité et les interruptions liées aux naissances vont continuer d'impacter négativement les carrières et la retraite des femmes.
Les droits familiaux sont en outre mis à l'épreuve par l'évolution des structures familiales : pensons par exemple aux femmes divorcées, dont les ex-maris ne comprennent pas toujours pourquoi elles devraient bénéficier d'une partie de la réversion à leur décès, alors, disent-ils, qu'elles ont déjà perçu des prestations compensatoires et que la séparation est parfois ancienne. Certains contestent l'existence même d'une pension de réversion au motif qu'elle maintiendrait un lien fictif avec l'ex-conjoint, qu'elle ne prendrait pas en compte les parcours de vie ou qu'elle serait contraire à l'autonomie des femmes... Ce point de vue est contestable car la pension de réversion ne maintient aucun lien après un divorce et les couples concernés par la pension de réversion ne sont pas toujours ceux dont le divorce a donné lieu à une prestation compensatoire...
Dans notre rapport, nous avions également étudié les inégalités professionnelles qui perdurent aux dépens des femmes. Mais cela n'est pas le sujet du jour : on ne règlera pas ces inégalités au travers des retraites.
La question qui se pose à nous aujourd'hui est la suivante : le système universel à points tel que proposé par le Gouvernement est-il plus juste pour les femmes que le système actuel ? Manifestement, il ne les exonérera pas de l'exigence d'une carrière complète qui reste un objectif difficile à atteindre pour nombre de femmes. À ce stade, je n'ai donc pas identifié les avantages du nouveau système pour les femmes. En outre, celles-ci ont disparu de l'étude d'impact : la démonstration par l'exemple n'est donc pas faite.
Mme Annick Billon, présidente. - Les rapporteures vont maintenant situer nos attentes à l'égard des différents intervenants, que je remercie d'être venus jusqu'à nous pour participer à cette réunion.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Nous travaillons sur ce sujet depuis de nombreuses années. Souvenez-vous de l'article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 qui modifiait les durées d'assurance. Nous n'avons pas beaucoup avancé depuis.
Actuellement, les retraites des femmes sont le reflet des inégalités des parcours professionnels masculins et féminins et de la charge des responsabilités familiales et domestiques qui pèsent essentiellement sur les femmes. Les retraites des femmes restent donc inférieures à celles des hommes et les femmes ont davantage que les hommes besoin des dispositifs de solidarité tels que les droits familiaux et la réversion. Même si, nous en avons conscience, la retraite n'est pas là pour gommer les inégalités.
Par ailleurs, les parcours professionnels des femmes sont encore marqués par le temps partiel et les interruptions de carrière. Or le système à points suppose des carrières complètes. Quels mécanismes de compensation sont prévus ? Que peut-on envisager pour limiter les effets des carrières incomplètes, qui concernent majoritairement les femmes ?
Quels seront à votre avis les effets du passage de la majoration de durée d'assurance à un dispositif de majoration de points dès le premier enfant, à hauteur de 5 % ?
Je m'interroge sur les effets de ce nouveau dispositif, qui peut être attribué à l'un des parents ou partagé entre eux. On sait que les salaires des hommes étant plus élevés, le calcul de certains couples pourrait être de choisir le père : donc la réforme pourrait avantager les hommes. De plus, en cas de séparation, un retour en arrière au profit de la mère sera-t-il possible si le couple a choisi de faire bénéficier le père des 5 % ?
Mme Michelle Meunier, co-rapporteure. - Je m'interroge sur les conséquences de la réforme sur l'âge de départ à la retraite pour les femmes. Aujourd'hui, un pourcentage significatif de femmes doit attendre l'âge de 67 ans pour partir à la retraite sans décote. Quelles seraient donc les conséquences d'un âge pivot à 64 ans pour les femmes si cette mesure était à nouveau envisagée ?
Par ailleurs, j'aimerais savoir si vous avez réfléchi à l'incidence de la réforme sur les femmes fonctionnaires. Les primes vont être intégrées aux pensions. Or, d'après une étude du ministère chargé de la fonction publique publiée en mars 2015, les écarts de rémunération entre hommes et femmes sont creusés par les primes, et le différentiel de rémunération lié aux primes, aux dépens des femmes, est plus fort pour les catégories B et C que pour la catégorie A. Le manque à gagner moyen pour les femmes fonctionnaires dû aux primes serait ainsi de 20 % pour la catégorie A, et de respectivement 42 et 38 % pour les catégories B et C. La réforme ne va-t-elle pas contribuer à creuser les écarts de retraites entre hommes et femmes fonctionnaires ? Quels correctifs peut-on envisager à cet égard ?
Les données disponibles dans le projet de loi et l'étude d'impact vous permettent-elles de réaliser des simulations probantes sur les effets concrets de la réforme à l'égard de différents profils de femmes ? Cela pose-t-il des difficultés méthodologiques dans ce travail d'évaluation ? Quelles conséquences en tirez-vous sur l'appréciation des effets de la réforme dans le temps ?
Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Ma principale préoccupation concerne la réversion, qui demeure un élément important de notre dispositif de solidarité puisque sur quatre millions de bénéficiaires, un million n'a semble-t-il que cette prestation pour vivre. Il faut donc préserver cet acquis.
L'articulation de la réversion avec le divorce dans le futur système suscite par ailleurs quelques interrogations. L'article 46 du projet de loi semble à cet égard flou, car il renvoie à une ordonnance pour définir les droits des conjoints divorcés en matière de réversion. L'intention des auteurs du projet de loi serait de réserver la réversion aux personnes mariées et d'en exclure les divorcés. Je rappelle qu'actuellement la réversion des divorcés est attribuée au prorata de la durée du mariage.
La réforme, si elle est confirmée, pose deux problèmes majeurs. Tout d'abord, elle accroîtrait la précarité des femmes divorcées retraitées. Pourtant, selon un récent rapport du COR, les retraitées vivant seules ont un niveau de vie inférieur à celui des retraités vivant en couple ou des hommes veufs, dont la situation est proche de celle des personnes vivant en couple. Priver les femmes divorcées de réversion semble donc problématique. Une personne auditionnée par notre délégation nous a appris que les hommes se remettaient en couple en moyenne six mois après une séparation, mais qu'en revanche, pour les femmes, ce délai pouvait être de trois ans.
D'autre part, en comptant sur le jugement de divorce et sur la prestation compensatoire pour « dédommager » par anticipation les femmes divorcées au moment de la retraite, cette réforme occulte le fait que tous les jugements de divorces ne donnent pas lieu à versement d'une prestation compensatoire et que celle-ci, quand elle existe, n'est pas forcément à la hauteur des besoins d'une personne retraitée. La prestation compensatoire n'a d'ailleurs pas vocation à se substituer à une pension. Qu'en pensez-vous ?
Mme Annick Billon, présidente. - La question des femmes divorcées est majeure.
Permettez-moi de me faire le porte-voix de notre collègue Laurence Cohen qui aurait souhaité vous interroger sur les évolutions annoncées à l'égard du minimum contributif, qui serait porté à 85 % du SMIC net. Ces orientations devraient bénéficier aux femmes, puisqu'elles sont plus nombreuses parmi les bas salaires. Mais si le bénéfice de ce minimum est réservé aux carrières complètes, quelles seront les conséquences de cette restriction pour des femmes qui ont souvent des parcours professionnels heurtés ? Que deviendra, dans le futur système, la majoration de durée d'assurance bénéficiant aux personnes répondant aux critères actuels de pénibilité ?
Actuellement, les critères de pénibilité définis par le code du travail ne semblent pas correspondre à des métiers traditionnellement associés aux femmes qui sont très difficiles physiquement et émotionnellement. Je pense par exemple au soin des personnes âgées dépendantes. Comment évoluer sur ce point ?
Mme Carole Bonnet, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (Ined). - Mon propos portera sur les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes et leur évolution.
Le sort des femmes en matière de retraite s'améliore, comme en témoigne l'augmentation, au fil des générations, du ratio de la pension moyenne perçue par les femmes sur la pension moyenne perçue par les hommes. Pour les générations qui partent aujourd'hui à la retraite, ce ratio est de deux tiers. Cette réduction des écarts va se poursuivre mais, même à des horizons lointains, ces écarts demeurent assez importants : pour la génération de 1970, qui partira en retraite aux alentours de 2035-2040, cet écart serait encore de l'ordre de 20 %. Comment s'explique-t-il ?
Après une période de réduction importante, nous constatons depuis le milieu des années 1990 une stagnation de la réduction des écarts salariaux entre les femmes et les hommes sur le marché du travail. L'écart des revenus salariaux moyens entre les femmes et les hommes était ainsi de 27 % en 1995 et de 24 % en 2015 : en vingt ans, les progrès n'ont pas été considérables !
La retraite reflète en partie ce qui se passe sur le marché du travail, donc si on ne réduit pas les inégalités constatées sur le marché du travail, il sera difficile de s'attaquer aux inégalités de retraite.
Depuis le milieu des années 1990, le taux de temps partiels est très élevé pour les femmes : il s'établit aujourd'hui à 30 %, ce qui a un impact sur le niveau des retraites.
Les écarts de pension, qui sont de l'ordre de 40 % en moyenne et de 33 % pour les dernières générations, seraient plus importants si l'on ne prenait en compte que les droits acquis au titre de l'activité professionnelle. Les femmes bénéficient en effet d'importants mécanismes redistributifs qui permettent de réduire l'écart des pensions de l'ordre de dix points. Deux de ces mécanismes jouent un rôle particulier pour les femmes : les minima de pension et les droits familiaux. Ils représentent à eux seuls 19 % de la masse des pensions de droits directs versées aux femmes.
Les droits familiaux sont donc un élément très important et, en l'absence de réforme, d'après les projections disponibles, ils seraient montés en charge dans les années à venir.
Les dispositifs de solidarité - droits familiaux, minima de pensions, périodes assimilées pour le chômage - représentent un peu plus de 10 % des pensions de droit direct des hommes, mais un peu plus de 20 % de celles des femmes. La part des dispositifs de solidarité augmente de façon significative avec le nombre d'enfants ; ils représentent ainsi plus du tiers de la pension de retraite d'une femme ayant eu trois enfants. Ces dispositifs devront être particulièrement examinés au sein de la réforme.
Dans le système actuel, à législation inchangée, une convergence entre l'âge de départ à la retraite des femmes et celui des hommes se serait opérée avec le temps. En moyenne, les hommes partent aujourd'hui un peu plus tôt que les femmes, mais à l'avenir, les femmes, notamment celles de la génération 1970, auraient rattrapé l'écart, voire auraient pu partir un peu plus tôt grâce aux trimestres validés, par les effets combinés de leur participation accrue au marché du travail et des droits familiaux.
Les écarts de pensions de droit direct sont importants, mais la vie en couple et les pensions de réversion, notamment, permettent de réduire les écarts de niveau de vie. Le niveau de vie des femmes retraitées atteint 95 % de celui des hommes retraités en 2016. Cependant, nous assistons à des évolutions importantes : l'arrivée à la retraite des « baby-boomers » modifie profondément la structure des populations de retraités : il y aura moins de femmes mariées, plus de personnes seules non veuves - divorcées ou célibataires. Cette population plus hétérogène renforce la nécessité d'acquisition de droits propres par les femmes, via leur activité professionnelle ou les droits familiaux.
Il est très difficile d'évaluer les effets de la réforme, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la réforme transforme complètement le système de retraite. On était auparavant habitué à analyser des réformes paramétriques. Or cette réforme change non seulement le mode de calcul des droits, désormais fondés sur les points, mais les dispositifs de solidarité, les droits familiaux et les doits conjugaux évoluent aussi, et il existera une période de transition où coexisteront les deux systèmes, avec un système de conversion des droits acquis. Il est donc difficile d'appréhender un changement complet de système.
Par ailleurs, la population féminine est plus hétérogène que la population masculine, en raison de la dispersion des carrières et des écarts de salaires. En outre, cette population évolue, sous l'effet de la succession de différentes générations.
Enfin, il faut choisir quels indicateurs regarder : l'âge de départ, le montant des pensions ?
Il manque des éléments dans l'étude d'impact du Gouvernement pour apprécier les effets, en particulier redistributifs, de la réforme. Il manque les effets des nouveaux droits de solidarité, les effets dans la fonction publique - en particulier entre ceux qui ont des primes et ceux qui n'en ont pas, dans les secteurs de la santé et de l'éducation notamment, où les femmes sont surreprésentées. À ce stade, il nous est difficile de juger des effets redistributifs de la réforme. Pourtant, des modèles de micro-simulation existent, mais peu de résultats sont disponibles dans l'étude d'impact.
Selon celle-ci, « les pensions servies par le système de retraites seront en moyennes plus élevées dans le système universel que dans le système actuel, en raison notamment d'un âge moyen de départ plus élevé à la suite de la réforme ». Mais nous ne disposons que de peu d'indicateurs en dispersion à la fois sur les âges de départ et les montants moyens de pension. Par exemple, un graphique de l'étude d'impact montre les effets de la réforme sur les pensions moyennes et médianes : tout le monde gagne, mais pour la génération née en 1980, à la médiane, 50 % des femmes gagneraient seulement un petit peu plus, et nous ne savons pas ce qui se passe, en particulier dans le bas de la distribution des pensions.
D'après ce dont on dispose, on peut cependant penser qu'a priori :
- il y aura une meilleure valorisation des carrières plates, incomplètes ou heurtées ;
- et une amélioration du minimum de pension, qui sera de 85 % du SMIC net à carrière complète. Mais on s'interroge tout de suite sur cette notion de carrière complète ? Quid des carrières incomplètes et du rôle des droits familiaux ? On ne sait pas comment sera proratisé ce minimum, s'il sera proportionnel ou non... Ce point est renvoyé à un décret ;
- l'éligibilité à l'âge de référence pose également question. Le Gouvernement évoque toujours les femmes qui atteindront le taux plein à 65 ans au lieu de 67 ans, ce qui sera un progrès, mais pas les nombreuses personnes qui ont suffisamment validé de trimestres pour prendre leur retraite à taux plein à 62 ans, et qui devront désormais attendre 65 ans...
- s'agissant des droits familiaux, la question du choix du couple est importante. Comme la majoration de 5 % est proportionnelle, le choix rationnel sera de la porter sur la pension de l'homme, souvent plus élevée. Or l'étude d'impact suppose que 80 % des mères bénéficieront de la majoration, et que dans 20 % des cas, le couple choisira un partage. Nous ne savons pas si cette hypothèse est valide ; actuellement, la majoration de la durée d'assurance pour éducation des enfants bénéficie très majoritairement aux mères, alors qu'elle pourrait aussi bénéficier aux pères. Peut-être est-ce le résultat d'un défaut d'information sur cette possibilité ? Si l'on donne davantage d'informations, cela pourrait fortement modifier les choix. Un fléchage sur les mères pourrait être une meilleure solution, même si la Cour de justice de l'Union européenne condamne ces discriminations selon le sexe. Cependant, la Suède, par exemple, a fait le choix de donner une majoration au membre du couple qui a le plus faible revenu avant la naissance. En France, une telle mesure permettrait de flécher la majoration sur la mère.
Lorsque l'on remplace la majoration de durée d'assurance par une majoration par points, cela peut décaler l'âge de départ à la retraite. Auparavant, de nombreuses femmes pouvaient partir à 62 ans grâce aux trimestres validés. Mais si l'on supprime ces majorations de durée d'assurance, un certain nombre de mères avec enfants seront pénalisées et devront prendre leur retraite plus tard.
La réforme est également moins favorable aux salariées du secteur public qui ont un faible niveau de primes, comme dans les secteurs de l'éducation ou de la santé, alors que ce sont ceux qui sont les plus féminisés. Or, la prévision de revalorisation salariale prévue par le Gouvernement en compensation n'est pas encore chiffrée.
Mme Olga Trostiansky, présidente du Laboratoire de l'égalité. -Le Laboratoire de l'égalité est une association créée il y a dix ans, centrée sur l'égalité femmes-hommes au travail. En 2010, dès notre première année d'activité, nous avons travaillé sur les retraites en raison de la réforme Sarkozy. Nos contributions, avec les associations et les syndicats, ont montré un écart de niveau de pensions de retraite de plus de 42 % entre les hommes et les femmes, chiffre alors peu connu du grand public.
Le Gouvernement veut refondre le système de retraites, et l'égalité femmes-hommes est au coeur du sujet. Dans notre Livre vert sur les retraites, nous avons formulé des demandes globales. Il est nécessaire de refonder le système des retraites, actuellement inégalitaire, et il est prioritaire de s'attaquer aux inégalités entre les femmes et les hommes durant leur parcours professionnel.
Première étape, la loi d'août 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dite loi Pénicaud, a créé un Index de l'égalité professionnelle femmes-hommes, qui nous permettra de suivre les effets de la réforme, même si cet outil est perfectible.
Nous sommes très attentifs à la définition de la pénibilité, souvent liée à la force physique, mais peu adaptée aux femmes. Bruno Le Maire et Marlène Schiappa ont lancé une consultation sur l'émancipation économique des femmes. Il est important de prendre en compte la pénibilité et le temps partagé. Les inégalités des retraites reflètent surtout les inégalités de parcours professionnel.
Notre Livre vert, rédigé par nos bénévoles, dresse un état des lieux à la fin de 2019 et pose de nombreuses questions.
Parmi nos demandes prioritaires figure la participation des associations pour l'égalité femmes-hommes à la gouvernance et au pilotage du système de retraite. Dans le même esprit, il faudrait veiller à la présence de femmes dans les instances dirigeantes du Conseil d'orientation des retraites (COR). Aux côtés du Gouvernement et des syndicats, la voix des associations doit être entendue. Nous ne sommes, par exemple, pas associés à la conférence de financement, qui a pourtant un rôle majeur.
Nous souhaitons également que les entreprises, tant publiques que privées, puissent informer les femmes sur les conséquences des carrières incomplètes sur leur niveau de pension. La retraite est un sujet qui se prépare à trente ans, et non à soixante. Il faut que, lorsqu'on s'interroge sur un congé parental, un temps partiel, on soit informée sur les conséquences de ce choix en termes de retraite... Les femmes doivent obtenir des réponses.
Nous proposons de développer ce que font déjà certaines entreprises, qui permettent aux femmes exerçant à temps partiel de cotiser pour leur retraite sur la base d'un temps plein. Le temps partiel est concentré dans certains secteurs comme le « care » ou la distribution, dans lesquels les femmes travaillent souvent 32 heures par semaine, mais avec une telle pénibilité qu'elles sont épuisées et ne peuvent pas passer à 35 heures. Un délai, de trois à cinq ans, serait accordé à ces entreprises pour mettre en oeuvre la réforme, car les effets pour les entreprises du privé pourraient être lourds. De plus, l'impact de cette mesure serait moins important dans le secteur public, puisque lorsque les femmes travaillent à 80 %, elles sont payées 90 %.
S'agissant des droits familiaux, le système actuel prévoit une majoration de 10 % à partir du troisième enfant ; nous avons demandé une majoration à partir du premier enfant, notamment pour les familles monoparentales. Dans le système actuel, la majoration de 10 % favorise surtout les hommes, car elle est proportionnelle au salaire. Une majoration de 5 % dès le premier enfant est intéressante, mais elle reste proportionnelle. Réfléchissons plutôt à un système de forfait. Cela n'avantagerait pas plus les femmes, mais au moins ce système ne creuserait pas la discrimination.
Le montant de retraite minimum à 1 000 euros est avantageux, mais cela nous interroge si cela s'applique à des carrières complètes... Seulement 45 % des femmes prennent leur retraite à carrière complète contre 74 % des hommes. Qu'en est-il des femmes prenant leur retraite à 62 ans ?
Sur les pensions de réversion, nous pensons qu'à terme se posera la question de leur éventuelle suppression. Toutefois, ce sont des éléments importants pour les femmes à la retraite. Nous voulons aller vers davantage de droits directs. Les générations ayant 25 ou 30 ans s'interrogent sur le principe d'une réversion uniquement au sein de couples mariés. Actuellement, les personnes pacsées ont un système différent. Pourquoi cotiseraient-elles pour les couples mariés ? La réversion était comprise comme une compensation de pouvoir d'achat. Nous sommes pour l'autonomie et l'indépendance des femmes, et donc pour que celles-ci travaillent. Cela pose la question des femmes qui s'arrêtent pour éduquer leurs enfants. Ayons cela en tête pour avoir un système de retraites en cohérence avec la société que nous voulons.
- Présidence de Mme Michelle Meunier -
M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR). - Le Conseil d'orientation des retraites réunit des parlementaires, des partenaires sociaux, des représentants des agriculteurs, des professions libérales, des personnalités qualifiées et des experts, ainsi que des représentants d'administrations comme la Direction générale du Trésor, la Direction générale de la fonction publique, l'Insee ou la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Nous n'avons pas de représentation spécifique des femmes, mais la parité s'applique dans les désignations.
Le COR rassemble des personnes aux opinions extrêmement divergentes, qui réfléchissent aux enjeux de la réforme. En introduction, je souligne qu'il est difficile de parler des femmes et de la retraite sans considérer la diversité des emplois occupés par les femmes. L'impact de la réforme sur les femmes passe en premier lieu par l'impact de la réforme sur l'emploi qu'elles occupent. Ainsi, au sein des catégories actives de la fonction publique, la possibilité de départ anticipée est maintenue pour les fonctions régaliennes - police, armée, surveillants de prison... - qui sont principalement masculines, alors que l'hôpital public ou l'éducation sont des secteurs plutôt féminins. Des évolutions qui n'ont rien à voir avec le genre ont finalement un impact genré.
J'évoquerai maintenant les droits familiaux. La législation actuelle prévoit des majorations de durée d'assurance par enfant, sous forme de trimestres validés, avec des différences entre la fonction publique et le régime général, et des majorations de pension à partir de trois enfants, qui bénéficient autant aux hommes qu'aux femmes.
Le nouveau dispositif prévoit une majoration de points de 5 % par enfant, dès le premier enfant. Cette majoration sera attribuée par défaut à la mère, mais pourra être partagée entre les parents. Une majoration supplémentaire de 1 % sera attribuée à chaque parent à partir du troisième enfant. Ce système est très différent du précédent ; les majorations en termes de durée d'assurance n'avaient plus de sens dans un système par points fondé sur les cotisations acquittées et les points acquis.
Désormais les avantages dépendront du nombre d'enfant et seront proportionnels au revenu salarial de carrière. L'Insee estime que l'arrivée d'un enfant a un impact significatif sur le revenu salarial des femmes, celui-ci connaît une baisse de 20 % en moyenne au bout de cinq ans, car les femmes se retirent parfois du marché du travail, passent à temps partiel, refusent des promotions ou des mutations géographiques, etc. On constate aussi une baisse du salaire horaire de 5 % en moyenne. Cet impact est toutefois inégal en fonction des niveaux de revenu des femmes. La baisse de revenus serait de 40 % pour les femmes du premier décile, celles qui ont les revenus les plus modestes, et serait très faible pour les femmes du dernier décile, les plus aisées. À cet égard, l'hypothèse d'une compensation forfaitaire peut apparaître plus juste et plus redistributive.
Une autre question concerne la possibilité d'option ouverte entre les parents. L'option ouverte été privilégiée car la Cour de justice de l'Union européenne aurait pu considérer qu'attribuer le bénéfice de la majoration uniquement aux femmes constituait une discrimination à raison du sexe. Dans le système actuel, très complexe, les options sont peu utilisées et dans la majorité des couples, les majorations de durée d'assurance sont attribuées aux femmes. On peut faire l'hypothèse qu'il continuera à en être de même dans le nouveau système proposé et que les femmes continueront à bénéficier de la majoration. Toutefois, si l'homme a un revenu, et donc une retraite potentielle, nettement plus élevé que sa femme, le couple peut avoir intérêt à le faire bénéficier de la majoration de 5 %. Cependant cela présente un risque pour la femme en cas de divorce, car il n'est pas possible de revenir sur ce choix. Il est très difficile de prévoir ce que seront les comportements futurs. Je ne sais pas quel sera l'effort de communication autour des options, ni dans quelle mesure les couples seront tentés de maximiser le dispositif. L'étude d'impact repose sur l'hypothèse que 90 % des majorations seront attribuées aux femmes. Mais c'est une hypothèse « arbitraire ».
J'en viens aux droits conjugaux. Le changement de philosophie du système est considérable, à tel point que l'on peut hésiter à parler encore de pension de réversion. Actuellement la pension de réversion consiste en un reversement au conjoint survivant d'une partie de la pension du conjoint décédé. Désormais, le système prévoit une garantie financière représentant 70 % des droits à retraite des deux époux.
La législation actuelle poursuit en fait deux objectifs, sans les distinguer : celui de correction des rôles sociaux et celui du maintien du niveau de vie du survivant. L'idée sous-jacente était qu'il existe une répartition genrée des tâches, que les femmes assument davantage le travail domestique au détriment de leur carrière professionnelle et qu'elles acquièrent donc moins de droits à la retraite. La pension de réversion visait à compenser cet écart. Mais elle permettait aussi de maintenir le niveau de vie du conjoint survivant, à un âge où il n'est pas facile de refaire sa vie ni de retrouver du travail. Les deux objectifs étaient mêlés, si bien que parfois la pension de réversion permettait d'améliorer le niveau de vie du conjoint survivant, mais pas toujours.
Désormais, le second objectif est clairement privilégié et cette réforme transforme, selon moi, la réversion en un dispositif que l'on pourrait qualifier d'assurance veuvage.
Mme Christiane Poirier, présidente de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (Favec). - Mais la réversion et l'allocation de veuvage sont deux choses différentes !
M. Pierre-Louis Bras. - En effet, mais la réversion, dans l'ancien système, mêlait les deux dimensions. Dans le nouveau dispositif, on affirme clairement que chaque personne veuve de plus de 55 ans aura droit à une prestation de la collectivité permettant de garantir son niveau de vie.
Se pose alors la question des divorces avant 55 ans. Les femmes pourraient être pénalisées en cas de divorce. Pour compenser les écarts dans l'acquisition de droits à la retraite, le rapport Delevoye de juillet 2019 s'appuyait sur le juge des affaires familiales pour moduler la prestation compensatoire versée en cas de divorce. Mais comment le juge pourrait-il évaluer, lors d'un divorce survenant par exemple à 45 ans, le montant futur de la retraite ? Selon quels taux actuariels ? Comment évaluer la part de travail parental réalisé par chacun ? Finalement, M. Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et Anne-Marie Leroyer, spécialiste du droit de la famille, devront formuler des propositions qui serviront de base au Gouvernement pour rédiger une ordonnance sur le sujet. Le problème est important. Prenons l'exemple de deux personnes qui ont vécu maritalement entre 25 et 45 ans et ont eu des enfants, la femme ayant accepté de travailler à mi-temps pour les élever : si le couple divorce à 45 ans, la femme aura acquis deux fois moins de droits à la retraite ! Une des hypothèses évoquées dans les travaux du COR consistait à partager à égalité, en cas de divorce, les droits à la retraite acquis pendant la période maritale. On peut aussi imaginer que le partage soit le droit commun mais en laissant la possibilité aux couples qui le souhaitent de prévoir dans le contrat de mariage que cette règle ne s'appliquera pas...
Mme Laurence Rossignol. - Et l'on appliquerait ce partage des droits acquis en cas de remariage ?
M. Pierre-Louis Bras. - En effet, et à chaque mariage s'il y a lieu.
Les personnes acquièrent des droits à la retraite pendant le mariage. Si les personnes ne se remarient pas, elles bénéficieront des droits à la retraite acquis pendant le mariage, avec la règle du partage des droits. En cas de remariage, on partagera les droits acquis durant le nouveau mariage, les droits acquis durant le mariage précédent restant partagés entre les anciens époux. Un conjoint ne pourra faire bénéficier son nouveau conjoint des droits acquis lors d'un précédent mariage.
Mme Laurence Rossignol. - Mais comment articuler ce système avec la règle selon laquelle la pension de réversion sera d'un montant de 70 % du total des pensions du couple ?
M. Pierre-Louis Bras. - Il faut avoir en tête que la réversion constitue une forme de solidarité à laquelle participent les gens non mariés au profit des personnes mariées.
Un mot enfin sur l'âge du bénéfice de la réversion. Le rapport Delevoye prévoyait que cette garantie financière ne pouvait prendre effet qu'à partir de 62 ans. L'âge a été abaissé à 55 ans dans le projet du Gouvernement, comme pour la pension de réversion actuelle. C'est une manière d'évacuer le débat sur ce sujet, mais il me semble que la question de l'âge devrait être posée, car c'est la collectivité qui attribue un droit au maintien d'un niveau de vie à certaines personnes. Autant on comprenait bien la logique à 62 ans, âge minimum de départ à la retraite, autant c'est plus discutable à 55 ans, car les personnes peuvent continuer à travailler.
Enfin, l'affiliation à l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) ne sera plus possible dès lors que le dernier enfant aura plus de six ans, alors que dans le système actuel elle est liée au complément familial, qui peut être versé jusqu'à la majorité de l'enfant, voire jusqu'à ses 20 ans.
Mme Olga Trostiansky. - Cela n'entre pas dans le budget des retraites stricto sensu.
M. Pierre-Louis Bras. - Les cotisations sont prises en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), mais influent sur la retraite. Cette restriction d'ouverture des droits visera environ 100 000 personnes selon l'étude d'impact. Certains perçoivent cette mesure comme une incitation au retour au travail des femmes, et donc à leur émancipation.
Mme Christiane Poirier. - La Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins défend les droits des veuves, des veufs et des parents d'orphelins depuis soixante-dix ans. Nous avons écrit au Premier ministre pour nous inquiéter de la fixation à 62 ans, et non 55 ans, de l'âge d'éligibilité à la pension de réversion. Actuellement, les veuves peuvent toucher une pension de réversion à 55 ans, et une allocation de veuvage si elles ont moins de 55 ans. Que deviendront ces femmes dans le nouveau système ? Celui-ci risque de consacrer la disparition de l'assurance veuvage.
Nous nous battons aussi depuis 2008 pour supprimer le plafond de ressources. Une veuve touche une pension de réversion au régime général égale à 54 % de la pension de son conjoint, avant une déduction éventuelle à la hauteur du dépassement du plafond de ressources depuis 2008. Les femmes qui ont eu un parcours professionnel, les plaçant au-dessus du plafond de ressources, sont donc pénalisées.
Nous avons aussi du mal à percevoir à quoi correspondra le nouveau taux, 70 % des pensions cumulées du ménage. Quelle sera la valeur du point ? En outre, d'après nos calculs, le nouveau taux nous pénalisera, avec des pertes qui pourraient être de 30 à 120 euros, en fonction des ressources.
Les dernières propositions du Gouvernement nous ont rassurés : l'âge d'éligibilité a été abaissé à 55 ans ; la pension ne sera plus soumise à condition de ressources. La question qui nous inquiète est donc la situation des femmes veuves avant 55 ans. Il n'est pas toujours facile, loin s'en faut, de trouver un travail dans cette situation. Nous sommes donc préoccupés par l'assurance veuvage en cas de veuvage précoce.
On constate aussi, malheureusement, que les plus jeunes ne s'intéressent pas à leurs droits, comme si cela ne les concernait pas.
Mme Gilberte Duval, secrétaire générale de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (Favec). - Nous avons une inquiétude sur la date d'application de la réforme. La difficulté est accrue du fait que certaines personnes auront une retraite calculée selon l'ancien système, tandis que d'autres entreront dans le système à points. Les jeunes perçoivent mal les effets de la réforme. La période de transition semble particulièrement complexe.
Mme Christiane Poirier. - Comme nos anciennes qui, en 1945, se battaient pour les droits des veufs et des veuves, nous nous battons pour les plus jeunes. Toutefois, il importe que les plus jeunes se saisissent de la question.
Mme Carole Bonnet. - Je suis d'accord avec ce qu'a dit Pierre-Louis Bras, le COR a beaucoup travaillé sur ces questions. On peut en particulier se référer aux documents produits par le Conseil lors de sa séance de janvier 2019.
Le problème central est effectivement celui du divorce : comment dans ce cas traiter la question de la pension de réversion ? La solution du partage à égalité des droits me semble séduisante, donc j'aurais tendance à la promouvoir. En effet, la réversion qui est versée plusieurs années après un divorce me semble un peu étrange. Si les femmes divorcées risquent de subir une certaine précarité au moment de la retraite, il vaut peut-être mieux leur donner des droits supplémentaires dès la liquidation de leur retraite, plutôt que les faire attendre, un jour, le décès de leur ancien mari, qui peut arriver longtemps après la liquidation de leurs droits propres.
De même, il me paraît problématique qu'une femme divorcée perçoive l'intégralité de la réversion de son ex-mari si celui-ci ne s'est pas remarié, même si le mariage a été très court.
Mais il faut garder à l'esprit que si on met en oeuvre le partage des droits, cela signifie que l'on internalise le coût au sein du couple, alors que la réversion pour les divorcés est payée par l'ensemble des cotisants. Il y aura donc une perte en ligne pour le financement des pensions de réversion.
Cette question du divorce et de la réversion est complexe. La mission Fragonard-Leroyer me paraît donc bienvenue. On n'a pas encore trouvé, semble-t-il, de solution satisfaisante.
En revanche, le taux unique de 70 % de la somme des retraites du couple me semble constituer une évolution plutôt positive.
Mme Gilberte Duval. - Tout à fait, mais pas tous ceux aux ressources modestes.
Mme Carole Bonnet. - On a évoqué le régime général, mais, ne l'oublions pas, les salariés du privé ont aussi des régimes complémentaires sans plafond de ressources. En outre, la condition de ressources du régime de base n'est pas très basse, avec un total de pension personnelle et de réversion de base égal à 1 700 euros. Par conséquent, peu de femmes sont aujourd'hui exclues de la réversion en raison de cette condition de ressources.
Cela dit, l'institution de ce taux de 70 % aura des effets redistributifs, puisque la formule favorise les couples ayant des différences importantes de revenus. Les couples ayant le même niveau de pension auront moins de pensions de réversion.
Mme Michelle Meunier, présidente, co-rapporteure. - Vous avez esquissé des sujets importants, mais nous aurons le temps d'y revenir, puisque nous recevons M. Fragonard le 20 février prochain. Nous pourrons prolonger cette question.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Madame Trostiansky, j'ai une question relative aux bonifications pour enfants de 5 %. Je voudrais revenir sur votre proposition de forfait, que vous considérez comme plus égalitaire. En effet, en dépit de la jurisprudence interdisant les discriminations entre hommes et femmes, on peut s'attacher à améliorer la situation de celui qui a le plus faible salaire, ce qui n'est pas une discrimination de genre. On tendrait ainsi vers l'égalité. Qu'en pensez-vous ?
La différence de traitement entre couples mariés et couples pacsés doit être étudiée. Le statut conjugal ne devrait pas prévaloir en matière de droits.
Il faudrait travailler davantage sur la communication autour de la retraite minimale de 1 000 euros pour les femmes. Cette communication est à mon avis trompeuse, parce que, étant donnés tous les critères requis, peu de femmes en bénéficieront. Par exemple, les agricultrices rempliront-elles les critères pour en bénéficier ?
Sans doute y a-t-il des évolutions très intéressantes dans le projet de loi, mais combien de personnes en bénéficieront-elles ? Mme Schiappa elle-même semble se poser des questions sur la réforme.
Mme Laurence Rossignol. - Merci pour la qualité de vos propos.
Toute hypothèse d'amélioration de la réforme est un exercice essentiellement intellectuel, puisque le Gouvernement est hostile à toute évolution parlementaire du texte, d'autant qu'une partie importante de celui-ci consiste en des habilitations à légiférer par ordonnances. Nous aimerions améliorer le texte, mais la démarche ne me semble pas vouée à réussir, d'où cette démarche défensive : on ne peut que défendre ce qui peut l'être, en faisant connaître aux Français ce que contient cette réforme. Voilà à quoi se résume aujourd'hui le rôle du Parlement, et je le déplore.
Les projections du montant des dépenses consacrées aux droits familiaux dans le système actuel montrent une augmentation forte. Serait-il possible qu'une partie des mesures de cette réforme vise à maîtriser non seulement le volume des dépenses de retraites, mais encore cette augmentation des droits familiaux ?
L'allocation veuvage est-elle supprimée par la réforme ou, cette allocation ayant une place à part dans le système des retraites, va-t-elle survivre dans le nouveau système ?
Monsieur Bras, le système que vous évoquez consisterait à additionner et à diviser par deux les droits acquis au moment de la séparation du couple, avec ou sans décès, est-ce bien cela ?
M. Pierre-Louis Bras. - Oui, pour le divorce.
Mme Victoire Jasmin. - Je ne suis pas rassurée par cette audition. Je me pose des questions sur les inégalités entre les femmes qui ont été mariées et les autres. Je m'interroge également sur les différences de traitement, au sein de la fonction publique, entre les fonctionnaires relevant du régalien et ceux qui, dans la santé ou l'éducation, devront travailler plus tard et ne bénéficient pas de primes. Même avec la réforme, de grandes disparités subsisteront, d'où de grandes inégalités dans le système de retraites.
M. Pierre-Louis Bras. - Je précise que je ne fais aucune proposition, en tant que président du COR. J'ai posé des questions, des hypothèses ; je participe au débat, mais le COR ne propose rien.
Mme Olga Trostiansky. - Cette refonte du système des retraites est importante car elle permettrait d'amorcer l'égalité entre hommes et femmes. Elle améliorerait la situation de 3 % à 5 % pour les femmes, ce qui est toutefois insuffisant. En outre, toutes les femmes ne seront pas dans la même situation. Nous manquons de simulations pour en apprécier tous les effets.
Pour ce qui concerne le taux de 5 % par enfant, le forfait me semble constituer un minimum, mais instaurer une compensation réelle serait préférable. Au minimum, le système ne doit pas continuer à avantager les hommes. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes va formuler des propositions visant à mieux compenser la situation des femmes.
Enfin, en ce qui concerne le partage des droits au sein du couple au moment du divorce, une telle méthode existe en Suède ou ailleurs en Europe ; ce sont des méthodes que l'on peut étudier pour concevoir le futur système par points. Des études d'experts de l'OCDE s'y sont intéressées.
Mme Laurence Rossignol. - Peut-on dire que le slogan gouvernemental, selon lequel les femmes sont « les grandes gagnantes de la réforme des retraites », est inexact ? Je ne dirais pas qu'elles sont les grandes perdantes, mais cette affirmation me semble exagérée.
Mme Gilberte Duval. - On ne peut pas le dire, non. Les femmes ne sont toujours pas les bénéficiaires du système, même si elles ont acquis des droits propres, elles en sont la variable d'ajustement, des informations précises nous manquent.
Mme Michelle Meunier, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie de vos interventions.