Mercredi 16 octobre 2019
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition de M. Claude Atcher, directeur général du groupement d'intérêt public « Coupe du monde de rugby France 2023 »
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir le directeur général du groupement d'intérêt public (GIP) « Coupe du monde de rugby France 2023 », M. Claude Atcher, accompagné de Mme Lydie Emeraud, directrice déléguée aux affaires juridiques au sein du Comité d'organisation France 2023, et de M. Tanguy Hergibo, chargé des relations institutionnelles et des instances de gouvernance au sein du cabinet du directeur général.
La France est devenue une terre d'accueil des grands événements sportifs internationaux. Ce n'est pas un hasard, mais le fruit d'une réflexion menée après l'échec de l'attribution des jeux de 2012. Pour pouvoir accueillir les jeux un jour - nous savons maintenant que ce sera en 2024 -, il fallait avoir une culture des grands événements, développer les investissements et faire éclore un écosystème favorable.
L'équipe de France de football a été championne du monde en 2018, deux ans après l'accueil de l'Euro 2016. L'équipe de France féminine a réussi à se hisser en quart de finale lors de la coupe du monde de 2019 organisée en France.
Nous vous accueillons alors même que la coupe du monde de rugby est aujourd'hui en cours au Japon, dans des conditions météorologiques compliquées. Nous ne pouvons d'ailleurs pas être insensibles à cette problématique, compte tenu du triste spectacle donné récemment lors des championnats du monde d'athlétisme.
Comment assurer que l'organisation de ces grands événements ne répond pas d'abord à des enjeux financiers ? Comment préserver la santé et la dignité des sportifs ?
Notre commission est celle de la communication et des médias, mais aussi celle de l'éducation et de la culture. Nous restons donc attachés au sport ainsi qu'aux valeurs humanistes.
Je vous laisse présenter les enjeux de l'organisation de la coupe du monde de rugby en termes d'organisation, de territoires, de mobilisation des compétences, puis je laisserai mes collègues vous interroger.
Monsieur le directeur général, vous avez la parole.
M. Claude Atcher, directeur général du groupement d'intérêt public « Coupe du monde de rugby France 2023 ». - Madame la présidente, mesdames et MM. les sénateurs, merci de nous accueillir dans cette magnifique maison. Nous sommes ravis de pouvoir échanger avec vous et faire un point sur la préparation de ce bel événement sportif, en pleine coupe du monde au Japon, qui précède celle qui aura lieu en France. Nous serons définitivement propriétaires de l'événement le 3 novembre. Jusqu'à cette date, les Japonais et nous sommes colocataires.
Ceci me donne l'occasion de prodiguer des encouragements à l'équipe de France qui, après quelques années compliquées, a réussi à atteindre les quarts de finale. J'espère qu'elle ira plus loin, car elle compte parmi elle des joueurs de talent qui ont travaillé dur pour se préparer. Sans faire injure à nos amis Gallois, les quarts de finale ne sont pas les plus compliqués de tous : on a en effet évité les All Blacks, les Anglais et les Sud-Africains. Nous nous faisions la remarque, avec Michel Savin : dans le succès d'une coupe du monde, on trouve une part de préparation et de talent, mais aussi une part de chance. Celle-ci pourrait tourner en faveur de l'équipe de France. En tout cas, nous allons continuer à l'encourager.
Je voudrais revenir un instant sur ce qui s'est passé au Japon et sur les trois matches annulés à cause du typhon Hagibis. Globalement, si l'on en tire un premier bilan, il s'agit d'une coupe du monde extraordinaire, car le Japon n'occupe pas une place de premier plan dans le monde du rugby. Or le pays est mobilisé et les dirigeants ont su trouver les arguments pour inciter les Japonais à assister aux matches. Tous les billets sont vendus. Les recettes de billetterie constituent des repères importants en prévision de 2023.
Le dernier match contre l'Écosse a attiré 34 millions de téléspectateurs. Un Japonais sur quatre était devant sa télévision pour y assister.
En France - même si le Japon compte deux fois plus de population que notre pays -, le record reste la coupe du monde 1998, avec 22 millions de téléspectateurs. C'est dire l'engouement que cette manifestation a suscité au Japon. C'est pour nous un formidable challenge, un beau tremplin que nous offrent les Japonais pour préparer 2023. On va essayer d'en tirer le maximum de leçons.
À quatre ans de l'organisation de la coupe du monde de rugby, vous nous donnez l'occasion de vous exposer la situation en termes de préparation, d'enjeux et de défis sportifs, mais aussi les grands principes généraux qui vont procéder à l'organisation de cet événement.
En 2007, j'étais directeur de la Coupe du monde de rugby. On m'a souvent demandé quelle était la différence entre 2007 et 2023. Une première différence est liée à l'environnement économique de cette manifestation. Seize ans après, cet environnement a évidemment changé, principalement en matière de communication. L'essence même de la démarche réside dans son aspect sportif, mais un tel événement a aussi un impact économique et social sur le pays. Nous ne remplirons pas notre mission si nous passons à côté.
Je rappelle que le Comité d'organisation de la coupe du monde 2023 est un GIP. L'État y figure en tant qu'actionnaire à hauteur de 37 %, la Fédération à hauteur de 62 % et le Comité olympique à hauteur de 1 %.
Nous avons une mission d'intérêt général. Nous ne sommes pas une société privée chargée de réaliser des bénéfices pour le compte des actionnaires. L'objectif est d'équilibrer les comptes et, dans un deuxième temps, d'essayer de ramener le financement nécessaire pour accompagner le développement du rugby.
Le rugby aura 200 ans en 2023. Il est né en 1823, dans le village de Rugby, après un acte disruptif d'un jeune lycéen, William Webb Ellis, qui s'est saisi à pleines mains du ballon lors d'un match de football pour aller le porter dans les cages. Le Trophée Webb Ellis, est la récompense décernée à l'équipe vainqueur de la Coupe du monde de rugby à XV. William Webb Ellis est enterré à Menton. Il adorait en effet la France et y a longtemps vécu.
Les choses se sont compliquées rapidement, les Anglais ayant estimé que, pour avancer, il fallait se passer le ballon en arrière.
En 1995, dans le cadre de la coupe du monde organisée en Afrique du Sud, le rugby a démontré qu'un sport pouvait accompagner les bouleversements vécus par tout un pays. Je me souviendrai toujours de l'image de Nelson Mandela entrant dans le stade, revêtu du maillot des Springboks, qui symbolisait alors l'apartheid, le rugby étant autrefois réservé aux blancs.
Le rugby est ensuite devenu professionnel, avec les avantages et les inconvénients que cela comporte. Il est aujourd'hui, à mon sens, en situation de déséquilibre par rapport à ses valeurs initiales. Je pense que la coupe du monde de 2023 a pour seconde mission de rétablir cet équilibre.
Notre troisième mission concerne bien évidemment l'attractivité de la France. On s'est demandé comment nous avions fait pour obtenir l'organisation de la coupe du monde, alors que tout désignait l'Afrique du Sud comme vainqueur. Je dis souvent que la France est un pays incroyable, doté d'une expérience des événements sportifs unique au monde. Nous sommes les seuls à avoir une délégation interministérielle aux grands événements sportifs, ce qui démontre notre culture en la matière.
Nous disposons par ailleurs de toutes les infrastructures nécessaires en matière de transport ou d'hôtellerie. Nos stades ont tous été rénovés ou récemment construits pour l'euro 2016.
Ce sont ces arguments qui nous ont fait gagner le droit d'accueillir la coupe du monde 2023. Un des objectifs sera de mettre en valeur notre pays, tant sur le plan économique que sur le plan de son image internationale.
Une des ambitions de la coupe du monde sera aussi de participer à la protection de l'environnement et à la lutte contre le réchauffement climatique. Je suppose que tous les organisateurs d'événements sportifs disent la même chose, mais il faut se donner les moyens de diminuer l'impact carbone, même si un impact carbone zéro est impossible. Nous allons mettre en place des mesures afin de protéger concrètement l'environnement et sensibiliser les populations composant la grande famille du rugby mondial à ce sujet.
Si on n'arrive pas à inverser la courbe du réchauffement climatique, les îles Fidji, Samoa et Tonga auront disparu entre 2040 et 2050. Quand on connaît leur place dans la culture du rugby, on se dit qu'on doit impérativement attirer l'attention du monde entier sur ce problème. Nous allons en faire un élément important du positionnement de cet événement.
Il s'agit par ailleurs de se positionner par rapport aux vertus éducatives du rugby. J'ai longtemps travaillé en Asie sur le développement de ce sport. Dans un grand nombre de pays, la pratique du rugby est rattachée au ministère de l'éducation nationale, car beaucoup considèrent que le rugby peut permettre à des jeunes de mieux se structurer dans leur développement personnel - et j'en fais partie.
Il nous faut sortir du sport spectacle et remettre au goût du jour les principes éducatifs portés par le rugby en matière de respect des règles et de solidarité. Nous travaillons avec l'éducation nationale sur ce sujet.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de ce propos liminaire.
La parole est au rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Monsieur le directeur général, après avoir remporté l'organisation de la coupe du monde de rugby pour 2023, il faut maintenant réussir à l'organiser.
Tout le monde vous souhaite une totale réussite en ce domaine, mais je me ferai ici l'avocat du diable pour dire que certains trouvent les matches qui se déroulent au Japon assez déséquilibrés. On retrouve d'ailleurs souvent les mêmes nations et on arrive dans les éliminatoires à des scores assez tranchés. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Chercherez-vous à en tirer des enseignements en vue de la coupe du monde de rugby 2023, ou des jeux Olympiques qui doivent se tenir l'année prochaine à Tokyo avec du rugby à sept ?
Vous mettez la notion d'héritage en avant et vous avez raison de le faire, mais votre objectif est-il bien de faire en sorte que le rugby soit présent partout à travers les événements, la promotion, le sport scolaire, etc. ?
M. Claude Atcher. - Le rugby n'est pas un sport aussi universel que le football, et je pense qu'il ne le deviendra jamais. Il ne pourra pas s'adresser de la même manière à la population mondiale.
Malgré cela, il existe des différences de score concernant les matches de poule. Des nations sont aujourd'hui en quarts de finale pour la première fois de leur histoire. La Géorgie a largement défendu sa place, l'Uruguay a battu les Fidji. L'évolution est donc en marche. Les choses prendront cependant du temps. On peut penser qu'elles auront progressé en 2023. Par ailleurs, la Fédération internationale essaye d'aider certaines équipes du Tier 2 à améliorer leur niveau sportif.
Vous avez par ailleurs évoqué les jeux Olympiques et le rugby à sept. Celui-ci demande moins de joueurs et permet donc à plus de pays de le pratiquer. Les femmes peuvent y jouer plus facilement, car il nécessite des gabarits moins lourds.
Dans les pays asiatiques, l'augmentation du nombre de licenciées pratiquant le rugby à sept est de 37 %. Paradoxalement, les pays qui ont une culture du rugby plus développée le favorisent moins.
Je considère que le rugby à sept est complémentaire du rugby à XV. Certains veulent les opposer, mais c'est une erreur. Le rugby à sept aide à la promotion du rugby à XV. Les deux vont permettre au rugby de grandir et d'être plus populaire. Aujourd'hui, les États-Unis sont candidats à l'organisation de la coupe du monde en 2027, et les Russes ont mené une coupe du monde correcte. Je suis donc optimiste.
La décision d'organiser la compétition internationale au Japon a été prise en 2008. J'ai fait partie des quatre ou cinq personnes qui ont porté ce dossier. Des journalistes me font remarquer qu'il n'est pas très intelligent d'avoir organisé la coupe du monde au Japon en septembre-octobre, en pleine période des typhons.
Entre 1998 et 2008, pas un typhon n'avait dépassé le niveau 1. Notre climat a changé. Malheureusement, les phénomènes climatiques sont aujourd'hui amplifiés. Personne ne pouvait imaginer la puissance du typhon qui a dévasté le Japon le week-end dernier.
Lorsque la Fédération japonaise de rugby a décidé d'organiser le mondial 2019, ce n'était pas pour des raisons financières, comme pour le championnat du monde d'athlétisme, à Doha. Elle pensait même qu'elle allait perdre de l'argent, le Japon n'étant pas culturellement un pays de rugby. Il faut donc replacer les situations dans leur contexte.
La décision a été prise pour développer le rugby sur le continent asiatique. Cette coupe du monde va certes générer beaucoup d'argent, mais ce n'était pas l'objectif initial. Toutefois, 94 % des recettes seront redistribuées aux fédérations pour développer le rugby à travers le monde.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La parole est à présent au président du groupe d'études sur les pratiques sportives.
M. Michel Savin, président du groupe d'études sur les pratiques sportives. - Monsieur le directeur général, à l'inverse des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, très ciblés sur la région parisienne et Paris, la coupe du monde de rugby 2023 va concerner une dizaine de villes, l'objectif étant d'essayer de toucher le plus grand nombre de territoires.
Pouvez-vous nous expliquer le processus des camps de base ? Quels critères avez-vous définis ? Existe-t-il une volonté d'implanter des camps de base sur des territoires qui n'ont pas été retenus pour la compétition, mais qui ont peut-être tout intérêt à avoir une activité autour de la coupe du monde ?
La coupe du monde dure 45 jours, et vous avez proposé de garder l'ensemble des équipes jusqu'à la fin de la compétition. Les équipes éliminées pourront donc demeurer sur le territoire français et y pratiquer des activités. Pouvez-vous nous préciser votre objectif ? Avez-vous la garantie que les joueurs resteront bien sur le territoire ?
Vous espérez réaliser des bénéfices. Comment seront-ils répartis ? Qui, de la Fédération ou du GIP, sera chargé d'attribuer ces fonds ?
Mme Lydie Emeraud, directrice déléguée aux affaires juridiques au sein du Comité d'organisation France 2023. - Cette compétition dure en effet un mois et demi. Les athlètes, qui arriveront avant la compétition, vont rester sur notre territoire un peu plus de deux mois. Ils seront hébergés dans l'un des 53 camps de base qui ont été sélectionnés.
Début 2019, nous avons publié un appel à manifestation d'intérêt auquel pouvaient répondre les collectivités. Les critères étaient assez techniques : il fallait proposer un hôtel, un camp d'entraînement extérieur et intérieur, une salle de musculation, une piscine.
Nous avons demandé que chaque candidature soit portée par un club de rugby, afin que ceux-ci soient au coeur du dispositif. Nous avons reçu 100 propositions. L'appel est aujourd'hui clos. Nous sommes en train de vérifier que chaque candidature répond bien aux exigences qui ont été formulées.
Le GIP procédera à leur visite en 2020. Un choix de 53 camps de base sera effectué en 2022. Les équipes y seront hébergées. Ce sera l'occasion de proposer des actions pour intégrer les équipes à la culture locale.
Treize régions et 56 départements sont représentés dans les camps de base, avec un maillage territorial très large, qui ne comprend toutefois pas l'outre-mer.
M. Claude Atcher. - Si on veut lutter contre le réchauffement climatique, il est difficile de justifier le transport des équipes outre-mer. Les équipes doivent bénéficier des mêmes conditions de préparation pour garantir l'équité sportive. Il est donc compliqué de prévoir des camps de base outre-mer.
Nous avons proposé dans le dossier de candidature d'accueillir les équipes jusqu'à la finale. La règle de la compétition veut que les équipes quittent le territoire dans les 24 heures suivant leur dernier match.
Cette règle budgétaire a tout son sens, mais lorsque j'étais responsable de la coupe du monde 2007, j'ai mis l'équipe des Tonga dans l'avion six heures après leur dernier match ! Ce n'est guère facile à admettre en termes de valeurs sportives. En outre, tous ces joueurs voyaient la finale chez eux, devant leur téléviseur.
On a donc décidé d'inviter toutes les équipes jusqu'à la finale dans le cadre d'une convention avec la Fédération, qui va leur proposer un programme en fonction de leur lieu d'hébergement. Ce programme comprendra des échanges culturels et sportifs, dans les collèges, les lycées, sur le plan musical, etc.
On gardera des équipes dans la région où ils ont séjourné pendant la première phase de la compétition, ou on les enverra dans une autre région participer à l'animation du territoire. On peut même aller jusqu'à des matches de démonstration.
Certaines villes hôtes, qui vont avoir quatre matches, comme Saint-Étienne, n'auront plus de compétition fin septembre. On peut donc garder une équipe dans la région jusqu'à la finale. On invitera tous les joueurs à une grande fête le jour de la finale afin de leur permettre d'y assister dans le stade où ils auront joué.
Quant à la partie financière, je précise qu'un article figure dans la déclaration constitutive du GIP précisant les conditions de distribution du boni de liquidation de la coupe du monde de rugby. On espère tous faire des bénéfices.
En 2007, le bénéfice était de 34 millions d'euros. Sur le budget prévisionnel pour 2023, on est entre 50 et 80 millions d'euros de résultats, si on respecte l'ensemble des objectifs qu'on s'est donné, notamment en matière de contrôle des dépenses et de recettes.
Ce boni de liquidation sera distribué pour financer des actions de développement de projets portés par des associations reconnues d'utilité publique, votés par le conseil d'administration du GIP à la majorité qualifiée. L'État et la Fédération devront obligatoirement se mettre d'accord sur le financement de ces actions.
Ce n'est pas la Fédération française de rugby (FFR) qui attribuera le boni de liquidation. Toutes les collectivités peuvent y prétendre. Une ville peut avoir besoin d'un terrain synthétique du fait de l'augmentation de ses licenciés. Le boni peut servir à financer tout ou partie du terrain.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La parole est aux commissaires.
M. Claude Kern. - Je voudrais revenir sur la notion d'héritage. Comment vont être traités les territoires qui ne sont pas reconnus comme des terres de rugby - même si les clubs sont répartis sur l'ensemble de la France - avant le démarrage de la compétition ?
Par ailleurs, comment avez-vous financé l'achat de l'événement ?
M. Jacques Grosperrin. - Monsieur le directeur général, j'ai apprécié vos propos liminaires sur le Japon. J'en parlais hier avec mon collègue Max Brisson, qui en revient. Nous nous réjouissons que tous les Japonais soient derrière l'événement, mais peut-être est-ce parce qu'ils craignent par-dessus tout de perdre la face. Pour un Japonais, c'est terrible.
Je voudrais également pousser un « coup de gueule » contre Daniel Herrero, et je souhaiterais que vous lui en fassiez part. Il a dressé de l'équipe de France un tableau qui ne fait pas honneur à un ancien rugbyman. Chacun devrait au contraire la soutenir. Je suis ravi que la réussite des Français prouve qu'il ne s'agit pas d'une petite équipe.
En matière sportive, on ne sait jamais ce qui peut se passer, et je suis convaincu que vous êtes en train de construire quelque chose de fort. C'est un ancien judoka qui vous le dit !
D'autre part, le fait de participer à un événement de ce type est fondateur. Les valeurs de la République se partagent à travers ce genre de mouvement.
Par ailleurs, pourquoi n'êtes-vous pas indemnisé comme Tony Estanguet pour les jeux Olympiques de 2024 ?
N'y a-t-il pas quelque chose à faire par rapport aux Jeux handisport pour mettre en valeur des gens qui jouent différemment ?
Enfin, qu'avez-vous prévu en 2023 s'agissant de manifestations comme celles des « gilets jaunes » ou autres ?
M. Antoine Karam. - Monsieur le directeur général, je viens d'un territoire, la Guyane, situé à côté du Brésil, où le rugby n'existait pas. On y préfère en effet le football. Le ballon ovale y est arrivé en 1963 avec un professeur basque, supporter du Biarritz olympique Pays basque. L'élève que je fus a longtemps conservé ce ballon de rugby comme un souvenir inestimable - bien que je sois un « footeux ».
On compte aujourd'hui en Guyane un millier de licenciés et de nombreux clubs. Le président Laporte a lui-même séjourné chez nous l'année dernière. Si la Guyane ne dispose pas de camp de base parce qu'elle est trop éloignée de la métropole, elle a cependant besoin d'équipements. Il faut en effet attendre que les matches de football s'arrêtent pour installer des poteaux, car on estime que le rugby dégrade les terrains. Y aura-t-il des retombées financières pour les petites ligues et pour les clubs, afin que ceux-ci bénéficient d'équipements, car la Guyane compte quelques jeunes espoirs internationaux et même des équipes féminines ?
M. Stéphane Piednoir. - Monsieur le directeur général, la ventilation des bénéfices que vous espérez sur le modèle de l'organisation de 2007 me semble très intéressante, tout comme le mode de désignation des bénéficiaires.
Pour le reste, il faut bien reconnaître que nos victoires sont étriquées, le plus gros exploit de l'équipe de France étant d'avoir fait match nul contre l'Angleterre. Pour générer un engouement comme celui qu'on a connu en 2018 avec le football, il faut des résultats. J'ai bon espoir que cela évolue favorablement.
Je voudrais par ailleurs vous interroger sur la contractualisation que vous envisagez avec l'éducation nationale. Il serait extraordinaire de voir des équipes nationales faire des démonstrations dans les écoles.
M. Max Brisson. - Monsieur le directeur général, sénateur du département des Pyrénées-Atlantiques, terre de rugby, je me devais de prendre la parole. Je n'aurais jamais imaginé, dans mon enfance, que Biarritz puisse être battu par Vannes ou Rouen, preuve que le rugby a évolué dans sa couverture géographique.
J'étais au Japon avec le département des Pyrénées-Atlantiques, à l'invitation du gouverneur de la préfecture de Yamanashi, où le typhon Hagibis nous a empêchés de voir le match France-Angleterre. L'équipe de France s'y trouvait en zone d'acclimatation avant de rejoindre son camp de base et de participer à la coupe du monde.
J'ai été très impressionné par la mobilisation des territoires japonais autour de la coupe du monde, mais aussi par le fait que les préfectures regroupent les opérations autour de la coupe du monde du rugby 2019 et des jeux Olympiques 2024. J'ai d'ailleurs eu le bonheur d'être reçu par le président du Comité olympique japonais, M. Yamashita.
Ne pourrait-on nous aussi envisager de lier les manifestations de 2023 et 2024 qui auront lieu en France, et travailler avec l'éducation nationale, les collèges, à travers les conseils départementaux, les lycées, à travers les conseils régionaux, ou Atout France pour ce qui concerne la promotion des territoires ?
Je vous remercie enfin pour votre intervention très positive, conforme aux valeurs du rugby.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souscris totalement au diagnostic que vous avez formulé à propos du Japon.
Le groupe d'amitié France-Japon, présidé par David Assouline, s'est rendu au printemps dernier au Japon, où nous avons pu faire le même constat. Nous vous ferons parvenir son rapport. Il complétera ce que vient d'expliquer M. Brisson au sujet de la corrélation entre les deux événements, dont nous pourrions nous inspirer.
M. Olivier Paccaud. - Monsieur le directeur général, je commencerai par une remarque à propos de votre slogan. « We are rugby » : la commission de la culture est attachée à la francophonie. Nous avons une très belle langue : autant la faire vivre ! Je suppose que nos camarades anglophones n'auraient rien contre une formule en français.
Vous avez parlé de l'histoire du rugby. Avec M. Manable, nous nous insurgeons : le rugby, d'une certaine façon, est né chez nous avec la soule - ou la chôle qui se pratique encore dans un village appelé Tricot. C'est un rugby de rue assez viril qui consiste à se passer le ballon par-dessus les maisons. Ce jeu remonte au Moyen Âge.
Par ailleurs, j'ai cru vous entendre dire, concernant la répartition des fonds, que vous ne travailleriez pas avec la Fédération...
M. Claude Atcher. - Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit.
M. Olivier Paccaud. - En 1998, lors de la coupe du monde de football, des redistributions avaient été organisées sur tout le territoire par la Fédération qui, avec les ligues, constitue un lien difficilement remplaçable.
Les collectivités et les clubs peuvent directement avoir affaire au GIP, mais j'ai senti une pointe de tension - je me trompe peut-être.
M. Laurent Lafon. - Tout d'abord, je partage la remarque d'Olivier Paccaud concernant le titre de votre document.
Une règle a-t-elle été définie concernant la prise en charge des dépenses des collectivités qui accueilleront des aménagements temporaires, comme les « fans zones » ? Quelle est la participation éventuelle du Comité d'organisation et des collectivités ? S'agit-il d'une règle générale ou cela se négocie-t-il au cas par cas ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le directeur général, vous avez la parole pour répondre à cette première série de questions.
M. Claude Atcher. - Tout d'abord, M. Kern s'est demandé comment sensibiliser les territoires et les animer avant et après la coupe du monde.
Nous avons mis en place, avec la FFR, des comités locaux de coordination. Ils ont trois missions essentielles, animer, mobiliser, promouvoir la coupe du monde de rugby. Y sont représentés les organismes décentralisés de la FFR - ligues régionales, comités départementaux et clubs. Sont également représentées les différentes associations professionnelles comme les chambres de commerce, les chambres d'artisanat, le MEDEF, ainsi que les collectivités - conseils régionaux, conseils départementaux villes -, de façon à nourrir une réflexion permanente.
Que se passera-t-il après la coupe du monde 2023 ? En 2007, le nombre de licenciés avait augmenté de 35 % en moyenne sur l'ensemble du territoire. En 2009, on avait toutefois perdu 50 % de ces 35 %. On travaille donc à un plan qui permette d'identifier club par club les ressources, les infrastructures, les équipements et le matériel nécessaires pour faire face à cette augmentation. Nous avons la faiblesse de croire que la coupe du monde va attirer de nouvelles populations.
Le GIP étudie avec le ministère du travail la mise en place d'un diplôme d'administrateur de club et la signature de 2 023 contrats d'apprentissage répartis entre les 2 000 clubs du territoire français dans le cadre de centres de formations d'apprentis (CFA). Nous allons réaliser une analyse des besoins et identifier les actions nécessaires pour accueillir ces nouvelles recrues dans les meilleures conditions.
À partir de 2023, nous allons pérenniser entre 300 et 400 emplois pris sur le boni de liquidation de la coupe du monde de rugby pour les répartir géographiquement sur l'ensemble du territoire.
Les territoires d'outre-mer seront bien évidemment concernés, même s'ils ne le sont pas par les camps de base.
Combien a coûté l'achat de l'événement ? Ce n'est pas une question taboue. Nous avons acquis les droits d'organisation, le sponsoring et les droits d'hospitalité.
En tant qu'organisateur, nous avons donc aujourd'hui les mains libres. Nous avons payé les droits d'organisation 170 millions d'euros, les droits de sponsoring 30 millions d'euros et les droits d'hospitalité 80 millions d'euros.
Ceci représente un investissement, mais il a été mesuré et calculé en liaison avec l'État et l'inspection générale des finances (IGF), qui a réalisé un audit complet du dossier de candidature.
Cela nous laisse les mains libres sur un grand nombre de sujets. Le GIP a ainsi la maîtrise de tous les droits de restauration. C'est un sujet extrêmement important pour la dynamique de mobilisation des territoires. On ne va pas servir à Toulouse les mêmes menus qu'à Lyon, Saint-Étienne ou Lille. On s'approvisionnera auprès d'un circuit court, et on favorisera les métiers de bouche locaux. Personne ne nous imposera de boissons américaines. Nous consommerons des jus de fruits français, des vins français, du champagne français. On mangera des produits français. C'est la raison d'être d'un événement sportif.
Monsieur Grosperrin, j'ai travaillé huit ans au Japon. Je connais donc bien ce pays. C'est moi qui ai fait venir en France le gouverneur de Yamanashi, il y a deux ans et demi pour rencontrer les instances sportives françaises de manière à promouvoir ce territoire. Aujourd'hui, onze équipes de France vont se préparer à Yamanashi pour les jeux Olympiques.
Rien ne peut donc empêcher les équipes, lors de la future coupe du monde de rugby ou des prochains jeux Olympiques, de se préparer en France. Les collectivités ont intérêt à utiliser le rugby comme porte d'entrée dans les fédérations sportives et auprès des comités olympiques pour proposer des camps d'entraînements sur leur territoire. C'est une opportunité à saisir. Le Comité d'organisation favorisera ce genre de contacts à chaque fois qu'il le pourra.
Je reviens sur la mobilisation de la France et les vertus républicaines que vous prôniez. J'ai la faiblesse de penser qu'un événement comme la coupe du monde de rugby va apporter un supplément d'âme à la société française. C'est notre ambition. Certes, nous ne sommes pas des politiques, mais nous avons un discours politique. Cet événement, il faut l'ancrer dans la société française, en faire un acte social, le mettre au service des territoires.
Deux mots s'agissant de l'équipe de France. Je rappelle que notre équipe de moins de vingt ans est deux fois championne du monde. On peut être dubitatif devant les résultats face au Japon, mais on est cependant en quarts de finale. Une génération de joueurs talentueux et ambitieux arrive sur le terrain. Un équilibre a été trouvé. On va découvrir ces jeunes joueurs lors du tournoi des six nations, en 2020. Une compétition reste une compétition, mais je suis très optimiste sur nos capacités d'être champions du monde en 2023. Si ce n'est pas le cas, on aura manqué une opportunité.
S'agissant des Jeux handisport, j'ai rencontré Mme Cluzel il y a quelque temps. C'est l'un des objectifs prioritaires du Comité d'organisation. On a discuté de plusieurs projets, dont celui d'inclure dans le programme des volontaires un nombre important de personnes en situation de handicap. On va aussi réfléchir à la possibilité de faire travailler des centres d'aide par le travail (CAT) sur des objets promotionnels ou publicitaires qui doivent être distribués à différentes populations.
Je rappelle que la FFR a mis en place au stade de France un dispositif destiné à permettre à des personnes aveugles de suivre un match commenté par des commentateurs spécialisés. Nous le reproduirons en 2023.
Par ailleurs, nous avons mis en place depuis mars un plan de gestion de risques extrêmement détaillé en nous basant sur l'expérience de 2007. Nous avons un plan B, un plan C, voire un plan D pour chacun des 48 matches de la coupe du monde de rugby.
Je ne sais ce qui s'est passé au Japon puisque, le mardi précédant le week-end des derniers matches de poule, la manifestation devrait être délocalisée à Ôita. L'équipe de France devait être transférée pour y jouer le match contre les Anglais à huis clos. Le jeudi, la décision était différente. Je n'en connais pas les raisons.
Nous avons quant à nous des solutions de repli pour chaque match. On a la chance, en France, d'avoir des villes qui comptent deux stades. Les solutions sont souples à mettre en oeuvre : le premier scénario prévoit en premier lieu de jouer le match dans un stade en présence de spectateurs, le second de le jouer sans spectateurs mais en le retransmettant à la télévision, le troisième de le jouer à huis clos, avec une simple production télévisée.
Monsieur Karam, concernant les retombées financières, les petits clubs sont évidemment en première ligne. Les décisions qui seront prises par le conseil d'administration favoriseront les clubs amateurs sans ressources, par rapport à des clubs professionnels.
Nous avons engagé des discussions avec l'éducation nationale. En 2007, un programme appelé « scolar rugby », mis en place un an avant la coupe du monde, a permis de distribuer dans les collèges du matériel d'initiation au rugby. Ce programme a touché 370 000 jeunes, qui ont tous été invités aux matches. Nous allons essayer de reconduire ce programme avec l'éducation nationale et de l'améliorer.
Deuxième projet avec l'éducation nationale, faire chanter les hymnes des 48 matches par des collégiens ou des lycéens. L'hymne est un moment important. Les joueurs sont très concernés. Nous allons mettre en place un programme qui va permettre à des jeunes, durant un an, de bénéficier de cours sur le pays dont ils vont interpréter l'hymne.
Nous avons passé un contrat avec l'Opéra-Comique pour que celui-ci mette en oeuvre l'orchestration et la chorégraphie. Cent cinquante jeunes par pays, soit 12 000 personnes au total, deviendront acteurs de la coupe du monde.
Quant au slogan, je rappelle que celui de 2007 était « Aller au contact » et qu'on ne l'a jamais traduit en anglais. On va changer de signature d'ici 2023, et on a bien en tête qu'il faut qu'elle soit en français, la coupe du monde se déroulant en France.
Je n'ai pas dit que la FFR était écartée : j'ai précisé qu'elle n'était pas seule décisionnaire. On a créé un Comité héritage, à propos duquel on a d'ailleurs sollicité le Sénat pour qu'il délègue un sénateur afin de participer aux décisions concernant la distribution des fonds destinés à financer les projets.
Je sais que le président du Sénat s'y est opposé. Je pense que ceci résulte d'une incompréhension. Un député est déjà présent au sein de ce Comité. Il me semble important qu'un sénateur y siège également, ce débat devant présider à l'éligibilité des projets qui seront financés. L'État et la FFR devront tomber d'accord sur le financement. Il y va de l'intérêt général de la collectivité.
Concernant les « fans zones », nous considérons que cette appellation est davantage associée au football qu'au rugby. C'est une notion qui n'est pas toujours valorisante. Nous souhaitons que les villes ou les collectivités mettent en place des espaces d'animation liés au rugby, afin de mettre la culture française en avant. Nous leur laissons le soin de nous proposer des projets autofinancés ou pouvant faire l'objet de financements de partenaires de la FFR. Nous laissons la porte ouverte à leur créativité.
Si la France est en demi-finale, des « fans zones » seront automatiquement mises en place. On n'est pas certain que le faire dès le début de la compétition apporte une grande valeur ajoutée. Lors de l'euro 2016, ces « fans zones » ont coûté une fortune et sont demeurées vides certains jours. On a essayé de meubler avec des jeunes de l'Union nationale du sport scolaire (UNSS), mais ce n'était pas forcément efficace. Pour le reste, on préfère parler de « nuits du rugby », de « festivals du rugby » ou de « villages du rugby ».
Enfin, je suis entièrement avec M. Brisson, je l'ai dit : il me paraît intéressant de proposer aux collectivités d'associer l'accueil des équipes en lien avec les comités olympiques pour assurer la promotion du territoire auprès des autres équipes.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La parole est aux commissaires.
Mme Catherine Dumas. - Tout d'abord, merci de nous avoir communiqué votre charte éthique - même si je fais mienne la réflexion concernant le slogan en anglais. Merci également pour votre volonté de porter cette équipe et ses jeunes talents au plus haut niveau.
Je voudrais savoir, en tant qu'élue de Paris, comment la coupe du monde de rugby de 2023 se positionne par rapport aux jeux Olympiques de 2024, notamment en matière de démarchage des sponsors et de relations avec les collectivités.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur le directeur général, pour avoir joué longtemps au football et l'apprécier profondément, je sais que se saisir du ballon rond à la main constitue un sentiment de liberté à nul autre pareil. Les Anglais ont élaboré une réglementation un peu complexe, mais intéressante, en matière de rugby pour encadrer ce sentiment de liberté.
On parle aujourd'hui beaucoup des valeurs du rugby. Or Vincent Moscato le dit très bien : on ne voit pas pourquoi le rugby véhiculerait plus de valeurs que d'autres sports.
Par ailleurs, comme le football, le rugby a évolué. Il est devenu un sport d'affrontement physique. Les parents répugnent aujourd'hui à y inscrire leurs enfants. Certains sportifs de très haut niveau sont aujourd'hui victimes de cette violence physique sur le terrain. Comment allez-vous traiter cette question dans le cadre de la coupe du monde de rugby ?
Mme Mireille Jouve. - Ma question rejoint celle de M. Hugonet.
Je partage les valeurs du rugby, mais sa pratique connaît un certain essoufflement chez les amateurs, en particulier les plus jeunes. La rudesse du jeu n'y est certainement pas étrangère. La coupe du monde 2023, dont l'une des principales finalités est la promotion de cette discipline dans notre pays, prendra-elle en compte cette composante et saura-elle se faire l'écho d'un rugby d'évitement, dont la finalité n'est pas forcément la percussion, et où l'on ne s'en remet pas toujours au joueur le plus puissant physiquement ?
Il me semble que cette dimension est essentielle si nous souhaitons que cette coupe du monde ait la portée escomptée en matière de pratiques accrues.
Mme Céline Brulin. - Monsieur le directeur général, j'ai particulièrement apprécié que vous fassiez référence à 1995 et à la lutte contre l'apartheid : c'est en effet quelque chose d'assez structurant dans le rugby et au-delà.
Par ailleurs, le fait que les équipes éliminées puissent rester en France ouvre des voies de réflexion extrêmement intéressantes.
D'autre part, vous avez évoqué de nombreux partenariats avec l'éducation nationale, les collectivités, etc., mais je ne vous ai pas entendu parler du ministère des sports. Nous sommes un certain nombre ici à éprouver des inquiétudes sur son devenir à plus ou moins long terme. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? La question mérite d'être posée dans le cadre du montage que vous avez rappelé.
Enfin, quels volumes financiers représentent pour les territoires les infrastructures prévues sur ces derniers ?
M. Christian Manable. - Je voudrais revenir sur les propos de mon collègue Olivier Paccaud. En tant qu'historien, je réfute la thèse selon laquelle le rugby est né en 1823 en Angleterre.
On pratique la chôle dans le village de Tricot, à la limite de la Somme, depuis le Moyen Âge. Cela se joue avec un choulet, qui est l'ancêtre du ballon de rugby. Deux équipes s'affrontent, une équipe d'hommes mariés contre une équipe de célibataires, et c'est la dernière mariée de l'année qui donne le coup d'envoi. On doit faire passer le choulet au-dessus du toit d'une maison, et la violence est plus intense encore que dans les pires matches de rugby. On compte à chaque fois de nombreux blessés, et on prend la précaution de fermer les volets des maisons qui se situent le long de cette rue.
Par ailleurs, j'ai été président du Rugby club amiénois... Section football ! Au risque d'essuyer les lazzis de cette honorable commission, je dois vous avouer que je n'ai pas un goût très prononcé pour le rugby.
Néanmoins, j'ai souvent constaté que les matches de football se terminaient par des coups de poing, alors qu'au rugby, les vaincus font la haie d'honneur aux vainqueurs. C'est ce type de valeurs que je ne retrouve pas dans le football.
Mme Annick Billon. - Monsieur le directeur général, le GIP s'est-il fixé des objectifs en matière de nouveau équipements pour les territoires ? On sait en effet que la pratique de certains sports est freinée par le déficit d'équipements. Or les collectivités ne peuvent pas tout.
Participez-vous par ailleurs à la réflexion sur le sport-santé ?
Concernant le rugby féminin, la pratique ne peut se développer qu'à partir du moment où il existe des structures, mais aussi lorsque les femmes ont la possibilité de s'identifier à des joueuses. Cela signifie des retransmissions et des visages connus dans les médias.
J'en viens à la question que Dominique Vérien m'a demandé de poser. Un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles avant dix-huit ans, qui vont du harcèlement numérique jusqu'au viol. Le sport n'est pas épargné, comme en témoigne l'association Colosse aux pieds d'argile, notamment le sport de haut niveau. Un travail en partenariat avec le ministère de la justice est-il prévu pour prémunir la société contre ce type de dérives ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - On a une équipe nationale de rugby féminine formidable.
M. Jean-Marie Mizzon. - Je souhaiterais revenir sur le boni de liquidation évoqué tout à l'heure. Je rêve d'un futur où les équipes du nord et de l'est de la France battront celles du sud...
M. Claude Atcher. - C'est déjà le cas !
M. Jean-Marie Mizzon. - C'est encore très parcellaire. Il n'y a pas si longtemps, cette partie de l'Hexagone était encore une terre de mission pour le rugby.
Les bonis de liquidation ne pourraient-ils pas faire l'objet d'une répartition territoriale déséquilibrée en faveur des endroits où des progrès sont à accomplir, où les marges de manoeuvre sont encore importantes ? Ce critère pourrait-il être pris en compte ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez la parole, monsieur le directeur général.
M. Claude Atcher. - Il n'y a pas de compétition avec la ville de Paris. Il existe une véritable complémentarité. La maire de Paris s'est engagée par écrit à mettre à disposition de la coupe du monde de rugby des lieux prestigieux pour accueillir le Centre international des médias, le Centre international de télévision, et mettre en place de moyens supplémentaires pour développer le rugby à Paris.
Il n'y a par ailleurs aucune interaction avec les jeux Olympiques.
J'ai trouvé la question de M. Hugonet extrêmement intéressante. Il ne faut pas nier l'intensité de ce sport de combat collectif. Cela signifie des chocs d'une certaine intensité entre les différents acteurs, ce qui nécessite une autorité incontestable de l'arbitre.
Au rugby, vous ne verrez pas ses décisions remises en cause par les joueurs. Je pense que c'est la meilleure école de droit. Si jamais un joueur n'accepte pas la sanction - c'est assez rare, mais cela peut arriver -, on applique une punition collective qui concerne toute l'équipe : il recule en effet de dix mètres. C'est un élément important dans la façon de contrôler cette liberté dont vous avez fait état.
Je n'ai toujours pas compris pourquoi le football n'a pas matérialisé le carton jaune par une expulsion temporaire. Au rugby, c'est un élément fondamental du respect de la règle. C'est souvent lorsqu'un joueur doit sortir dix minutes que s'établit la différence. Si les footballeurs devaient jouer à neuf contre onze, cela pourrait changer leur comportement. Cette règle s'applique également au hand-ball et au basket-ball.
D'autre part, je préfère quant à moi parler de vertus que de valeurs. En effet, les valeurs du rugby sont celles du sport en général, même si le rugby possède quelques valeurs particulières, notamment du fait de la notion de sport de combat collectif.
Mme Jouve a demandé si la coupe du monde prendrait en compte la notion de contact par rapport à l'évitement. Je vais être très honnête : je ne suis pas à l'aise avec l'évolution de ce sport. Au départ, le rugby est un sport d'évitement. Malheureusement, le sport professionnel a fabriqué des joueurs qui font 1,95 mètre, pèsent 120 kilos et qui se rentrent dedans. Ce n'est pas du rugby ! L'évitement est aussi important que l'affrontement.
Autrefois, des joueurs comme les frères Boniface, Jo Maso, ou Jean Gachassin n'avaient pas les mêmes gabarits que ceux d'aujourd'hui, mais étaient capables de semer le désordre sur un terrain grâce à leur sens de l'évitement et à leurs qualités techniques.
Je fais partie de ceux qui estiment qu'il faut redonner un équilibre à ce sport. Le sport professionnel a souvent privilégié la tactique par rapport au jeu. Le premier geste essentiel, au rugby, c'est la passe. Or on en voit moins. Pourtant les meilleures équipes sont celles qui se font le plus de passes ! Ce sont des questions qu'il faut se poser pour redonner envie aux jeunes de pratiquer ce sport et aux spectateurs de se rendre dans les stades. Olivier Mantei, directeur de l'Opéra-Comique, dit que le rugby est, comme la danse, un spectacle vivant. Il nous faut donc absolument travailler dans cette direction.
Les équipes éliminées pourront soit rester dans la région qui les hébergera pendant les matches de poule, soit être déplacées dans d'autres régions. Dans le Grand Est, on n'a malheureusement pas trouvé de stades.
J'avais organisé, il y a quelques années, un match à Sochaux entre l'équipe de France et les joueurs du Pacifique. C'est une enceinte intéressante, mais on n'a pas suffisamment d'infrastructures hôtelières pour accueillir des matches de la coupe du monde. Nous avons cependant un devoir de déplacer des équipes pour réaliser des animations et créer la mobilisation.
Quant au ministère des sports, je ne sais pas trop quoi dire. Notre interlocuteur privilégié, vous l'avez compris, est la Délégation interministérielle aux grands événements sportifs. C'est elle qui fait le lien avec tous les ministères. Ce sont nos interlocuteurs quotidiens. Nous n'avons pas vraiment de missions identifiées avec le ministère des sports. Nous essayons de les tenir au courant de la préparation.
Nous travaillons avec eux sur l'augmentation de la pratique sportive. On se doit de mesurer la façon dont celle-ci évolue dans les différentes couches de la population. C'est la seule véritable collaboration que nous partageons avec le ministère des sports.
S'agissant du sport féminin, je suis fan de l'équipe de France de rugby féminine. C'est une équipe exceptionnelle, numéro deux mondiale. Certaines joueuses ont des personnalités incroyables. Nous publions un manifeste, quatre ans avant la finale, en association avec Le Journal du Dimanche. Je vous recommande de lire l'interview de Safi N'Diaye, qui dit que le rugby est un sport d'homme qui lui a permis de devenir une femme. Tout est presque dit dans une phrase !
Bien évidemment, le rugby féminin est une des priorités du développement de ce sport en matière d'image, de relations mères-joueuses et de pratiques. L'équipe de France a l'intention de devenir championne du monde de la Coupe de rugby féminine, qui aura lieu en 2021 en Nouvelle-Zélande. Nos joueuses en ont parfaitement les moyens.
S'agissant de la violence dans le rugby, on vient de vivre une année catastrophique, inacceptable, parsemée d'accidents mortels qui ont touché de jeunes joueurs. Le rugby est l'un des sports où les blessures par commotion sont le plus analysées, avec des médecins et des vidéos qui examinent toutes les situations. Un médecin a la capacité de faire sortir un joueur du terrain à tout moment s'il suspecte une commotion.
On a créé un carton bleu dans les championnats amateurs pour obliger le joueur chez qui l'arbitre suspecte une commotion à sortir du terrain. Ce problème est bien pris en compte pas la Fédération. Les commotions ont baissé de 16 %, même si ce n'est pas le débat, étant donné les décès qui ont eu lieu.
Par ailleurs, la FFR a mis en place cette année de nouvelles règles dans les écoles de rugby. Aujourd'hui, on y sanctionne le passage en force, comme au basket-ball. Au bout de deux contacts, les jeunes doivent rendre le ballon à l'adversaire. La prise de conscience et la volonté de diminuer les accidents sont réelles.
Concernant les violences faites aux enfants, le rugby n'est à l'abri de rien. L'association Colosse aux pieds d'argile, dont le président est un ancien joueur de rugby lui-même victime de violences sexuelles dans son enfance, essaie de sensibiliser les jeunes dans les écoles et les collèges à ce sujet.
Je ne sais comment la législation peut nous aider dans ce domaine. Je ne pense pas posséder la compétence requise pour en parler, mais je pense qu'il est nécessaire que l'État se penche sur le sujet.
Je rêve moi aussi que les équipes du nord battent celles du sud. Rouen en est un excellent exemple. Vannes est une équipe remarquable. J'espère que le stade de La Meinau, qui va être rénové, pourra à l'avenir accueillir de grands matches de rugby. Strasbourg a une très bonne équipe. Ils ont malheureusement eu quelques ennuis financiers l'année dernière.
Il n'y a aucune raison pour qu'il n'existe pas une très bonne équipe de rugby dans l'est de la France. C'est le voeu que je forme. Plus le rugby rayonnera sur ces territoires, mieux on assurera la promotion du sport.
On a assisté depuis quelques années à une évolution des typologies de joueur qui pratiquent le rugby. Celui-ci a longtemps été installé dans la ruralité, les petites villes et villes moyennes. Aujourd'hui, il s'implante de plus en plus dans les quartiers des grandes villes. On le voit au niveau des joueurs de l'équipe de France, qui viennent de Bobigny, Sarcelles ou Massy. Mathieu Bastareaud a été un des précurseurs. Aujourd'hui, on compte des joueurs comme Sekou Macalou. Je suis convaincu que le fait de mettre en place des actions de développement ou de promotion des vertus éducatives du rugby dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP) constitue un élément important pour atteindre les objectifs de la coupe du monde.
La coupe du monde a la chance de maîtriser son organisation. La FFR, c'est aujourd'hui 1 200 matches par week-end. C'est chronophage, et elle n'a pas toutes les ressources pour développer ce genre d'action. Nous, nous disposons de ce temps pour rééquilibrer l'image du rugby et assurer la promotion du sport.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci d'avoir répondu à nos questions. Nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir. Vous avez tout notre soutien. Il n'y a ici que des passionnés.
La réunion est close à 11 heures 20.
Jeudi 17 octobre 2019
- Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 45.
Proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du Patrimoine - Procédure de législation en commission (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi n° 381 (2018-2019) déposée par notre collègue Dominique Vérien le 15 mars dernier visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine. Lors de sa réunion du 17 octobre, la Conférence des présidents a décidé que ce texte serait intégralement examiné selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat, en vertu de laquelle le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission. L'examen en séance plénière est programmé mercredi prochain à 22 heures...
M. André Gattolin. - Ce sera la nuit du patrimoine !
Mme Catherine Dumas, présidente. - Il sera réservé aux explications de vote et au vote du texte que nous aurons élaboré aujourd'hui.
Notre réunion est ouverte à l'ensemble des sénateurs - seuls les membres de la commission de la culture étant autorisés à prendre part aux votes - et au public. Elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.
Mme Dominique Vérien, auteure de la proposition de loi. - Nouvelle sénatrice, c'est la première proposition de loi que je dépose. J'espère que nos débats l'enrichiront. La Fondation du patrimoine est un acteur majeur du territoire, comme l'a encore montré l'initiative de Stéphane Bern et le loto du patrimoine dont la gestion des recettes lui a été confiée. Elle a besoin de moderniser ses outils, conformément aux recommandations formulées par la Cour des comptes.
Le label délivré par la Fondation du patrimoine permet à des propriétaires privés de déduire de leurs revenus 50 % du montant des travaux d'embellissement des façades extérieures des immeubles, dans certaines conditions : accord de l'architecte des Bâtiments de France (ABF) pour l'octroi du label, ou encore visibilité de l'immeuble depuis la rue. Alors que la loi n'avait pas posé de limites à ce label lors de la création de la Fondation du patrimoine, Bercy a petit à petit restreint ses conditions d'octroi, par un rescrit fiscal, le réservant aux immeubles situés dans les seuls sites patrimoniaux remarquables, ou dans des communes rurales au sens de l'Insee, c'est-à-dire de moins de 2 000 habitants. Or la ruralité, dont nous débattons souvent, ne se résume pas aux communes de moins de 2 000 habitants, surtout aujourd'hui avec la multiplication des communes nouvelles. Nous avons donc pensé qu'élargir le seuil aux communes de moins de 20 000 habitants serait plus adapté.
Le conseil d'administration de la Fondation compte 25 membres. Celle-ci souhaite réduire cet effectif. Ma proposition prévoit 16 membres. Notre rapporteur proposera en outre de supprimer les sièges revenant à des parlementaires, car le Sénat souhaite que ceux-ci se concentrent sur les activités parlementaires stricto sensu.
Autre outil à la disposition de la Fondation : le lancement de souscriptions populaires. Les porteurs de projets peuvent solliciter la Fondation pour recueillir des dons ; cela donne lieu à défiscalisation. Mais certains projets ne voient jamais le jour, ou trouvent un autre financement, assurantiel par exemple, avec pour conséquence le fait que l'argent de la souscription n'est jamais utilisé. Ma proposition prévoit un mécanisme pour débloquer cet argent - dix millions d'euros sont ainsi bloqués - et le réaffecter à d'autres projets patrimoniaux.
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
Mme Dominique Vérien. - La Fondation ayant été créée au Sénat, il est logique que cette proposition de loi y soit examinée en premier lieu. Je remercie la présidente d'avoir bien voulu l'inscrire à l'ordre du jour.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Les liens entre la Fondation du patrimoine et le Sénat ont toujours été étroits. Souvenons-nous que la Fondation a été créée en 1996 sur la base d'une idée de notre ancien collègue, Jean-Paul Hugot, sénateur-maire de Saumur. C'est ensuite une initiative de notre ancien collègue Yann Gaillard qui a permis d'attribuer une fraction du produit des successions en déshérence au financement d'actions de sauvegarde du patrimoine et, particulièrement, du patrimoine public non protégé au titre des monuments historiques.
Nous ne sommes donc pas surpris que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui vise à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, émane une nouvelle fois de la Haute Assemblée.
Elle s'inscrit dans le cadre d'un nouvel élan en faveur du patrimoine, que nous avons bien ressenti au sein de notre commission ces dernières années. Nous avons pu observer que les Français apparaissent de plus en plus soucieux de la protection de leur patrimoine, comme l'a montré le succès du tirage spécial du loto mis en place pour la première fois en 2018. Nous avons également constaté à quel point la restauration du patrimoine devenait un enjeu de politique publique, compte tenu du rôle clé que celui-ci peut jouer pour l'attractivité des territoires, le développement économique, l'identité et la cohésion sociale.
Or, la Fondation du patrimoine est devenue, depuis sa création il y a 23 ans, un acteur incontournable de la protection du patrimoine dans notre pays, aux côtés de l'État, des collectivités territoriales et des associations qui oeuvrent également sur le terrain. Fondation de droit privé reconnue d'utilité publique en 1997, elle est chargée de mobiliser le secteur privé pour compléter l'action de l'État en matière de protection du patrimoine, centrée principalement, faute de moyens, sur les monuments historiques.
Or la Fondation est à la croisée des chemins. Depuis sa création, ses missions se sont élargies, grâce à l'essor du mécénat à la suite de la loi du 1er août 2003. Une part centrale de son activité repose sur l'organisation de souscriptions populaires en faveur de projets de restauration du patrimoine portés par les communes et des associations. Elle conclut de multiples partenariats avec des entreprises aux niveaux national et local pour faciliter la mobilisation des fonds privés en faveur de la sauvegarde du patrimoine. Elle s'est également vue confier l'an passé la gestion des recettes perçues sur le loto du patrimoine, qui doivent financer la restauration des sites en péril identifiés comme prioritaires dans le cadre de la mission de Stéphane Bern.
L'élargissement de ses missions n'est pas une mauvaise chose, tant les attentes en matière de protection du patrimoine sont multiples. Mais il nourrit la crainte que la Fondation ne finisse par trop s'éloigner de ce qui constitue son coeur de métier : la protection du patrimoine non protégé. Nous avons tous à l'esprit des images de ce patrimoine, dit « de proximité », qui, sans justifier une protection au titre des monuments historiques, présente un intérêt artistique, historique ou ethnologique suffisant pour donner à nos territoires son cachet et rendre souhaitable sa conservation. C'est pour garantir la protection de ce patrimoine, dont l'État ne peut pas se charger, et qui est souvent entre les mains de propriétaires privés, que le législateur a autorisé la Fondation à délivrer un label permettant de mieux l'identifier et d'inciter les propriétaires à le restaurer grâce à la déduction fiscale qui lui est associée, et qui s'applique pour les travaux réalisés sur lui.
Dans le même temps, la Fondation n'a jamais fait usage de certaines prérogatives que lui avait confiées la loi, telle la possibilité d'acquérir des biens menacés de destruction, de dégradation, ou de dispersion, pour en assurer le sauvetage à titre temporaire. Les raisons pour lesquelles la Fondation ne s'est pas lancée sur cette voie ne sont pas claires : une question d'ADN, m'a-t-il été répondu ; une question de moyens aussi, sans doute.
La Fondation du patrimoine n'a clairement pas les moyens du National Trust britannique qui lui servait de modèle ; les recettes provenant du dispositif d'adhésion restent limitées ; celles provenant du produit des successions en déshérence se réduisent chaque année ; la reconduction du Loto du patrimoine au-delà de 2020 n'est pas assurée.
D'où les objectifs de cette PPL : d'une part, redonner de la pertinence au label « Fondation du patrimoine » ; d'autre part, redonner du souffle à la Fondation.
La réforme du label fait l'objet des articles 1er et 2.
La délivrance du label est aujourd'hui conditionnée au respect d'un certain nombre de critères fixés par une instruction fiscale ; ils portent tant sur la nature du patrimoine éligible que sur les zones géographiques dans lesquelles celui-ci peut être labellisé. L'instruction fiscale en a notamment restreint l'octroi en l'orientant vers la sauvegarde du patrimoine rural.
Lors des deux contrôles de la Fondation du patrimoine que la Cour des comptes a effectués, pour son rapport public annuel en 2013 et pour son rapport sur le soutien au mécénat des entreprises en 2018, la Cour a préconisé une adaptation du dispositif du label afin de permettre à la Fondation de mieux soutenir le patrimoine non protégé dans son ensemble. Après avoir souligné, en 2013, la nécessité de « mieux prendre en compte le patrimoine non protégé urbain et industriel » dans le cadre du label, elle a recommandé, dans son rapport de 2018, d'en modifier le périmètre d'application et de « rechercher une meilleure répartition territoriale des labels » pour assurer davantage d'équité.
Sur la base de ces observations, la proposition de loi opère deux modifications relatives au label.
À l'article 1er, elle délimite un nouveau périmètre géographique en autorisant la labellisation dans les communes de moins de 20 000 habitants, dans les sites patrimoniaux remarquables et dans les sites protégés au titre de l'environnement.
Il ne vous a pas échappé que cette délimitation a beau assouplir les règles fixées par l'instruction fiscale, elle n'en reste pas moins plus restrictive que les dispositions législatives en vigueur, qui font référence à un label en faveur du patrimoine non protégé, sans aucune condition de délivrance.
J'estime néanmoins qu'il ne serait pas raisonnable de supprimer l'ensemble des conditions fixées par l'instruction fiscale pour en revenir à la lettre de la loi. Il en résulterait une augmentation massive du coût de la dépense fiscale qui serait préjudiciable aux finances publiques ; cela pourrait fragiliser, à terme, le maintien de l'avantage fiscal, ce qui n'est pas souhaitable. Cet avantage constitue sans doute le facteur déterminant pour le dépôt, par les propriétaires, d'une demande de label.
Dès lors, que penser du seuil des communes de moins de 20 000 habitants retenu par la proposition de loi ?
Retenir un tel seuil présenterait l'avantage de couvrir l'ensemble du territoire à dominante rurale, y compris les petites villes exerçant sur les zones rurales une forte influence. Il permettrait également au label de devenir un instrument au service de la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Il pourrait ainsi concerner plusieurs villes sélectionnées dans le cadre du plan Action coeur de ville. Il pourrait également être mobilisé dans le cadre du programme d'appui aux petites centralités que le ministère de la cohésion des territoires devrait lancer dans les prochains mois.
Le coût de la dépense fiscale ne serait pas négligeable, tout en restant modéré. Dans l'hypothèse où la Fondation doublerait, d'ici à 2023, le nombre de labels qu'elle octroie chaque année, le surcoût pour les finances publiques serait de l'ordre de 5,5 millions d'euros. Cette dépense fiscale pourrait par ailleurs être compensée par les recettes de TVA perçues sur les travaux de restauration entrepris à la suite de la délivrance du label.
La Fondation du patrimoine m'a indiqué être en mesure de doubler le nombre de labels qu'elle délivre chaque année. C'était une garantie qui me paraissait nécessaire pour éviter que la protection du petit patrimoine rural ne se retrouve marginalisée par l'extension du périmètre d'application. La Fondation nous a assuré que l'augmentation de la délivrance de labels n'aurait pas d'impact sur son activité en matière de souscription. Elle a insisté sur le fait qu'elle pourrait piloter la délivrance des labels, de manière à assurer une meilleure répartition géographique des labels octroyés et à garantir que la protection du petit patrimoine rural reste assurée.
Je vous proposerai néanmoins d'adopter plusieurs amendements visant à préciser la rédaction de l'article 1er, à renforcer la qualité du label et surtout à garantir que le patrimoine rural ne soit pas la victime collatérale de l'extension du périmètre géographique.
J'en viens maintenant à l'article 2, qui prévoit expressément que les parcs et jardins et le patrimoine industriel seront bénéficiaires du label. Concernant les parcs et jardins, j'y suis d'autant plus favorable que cette précision correspond à l'intention du législateur au moment de la création de la Fondation, en 1996 : ceux-ci, ainsi que les sites naturels, avaient été cités dans les débats comme des bénéficiaires potentiels du label !
En revanche, l'introduction dans la loi d'une référence spécifique au patrimoine industriel me paraît présenter un danger réel d'exclure a contrario d'autres formes de patrimoines qui ont vocation à être protégés par le label, comme le patrimoine de la reconstruction ou le patrimoine du vingtième siècle, par exemple.
Les autres articles de la proposition de loi tendent à redonner du souffle à la Fondation du patrimoine.
L'article 3 réforme la composition de son conseil d'administration et en réduit l'effectif, afin de faciliter l'organisation des débats et la prise de décision. La composition qu'elle prévoit reste très dérogatoire à celle des fondations reconnues d'utilité publique, avec une majorité de sièges octroyés aux représentants des entreprises privées - les fondateurs, auxquels s'ajoutent les mécènes - et des personnalités qualifiées toujours nommées par des ministères. Je vous proposerai, là aussi, une série d'amendements destinés à rapprocher, dans la mesure du possible, la composition du conseil d'administration de la Fondation du patrimoine de celle des fondations reconnues d'utilité publique et à améliorer la représentation des partenaires les plus essentiels de la Fondation en son sein.
Les articles 4 et 5 visent à améliorer les capacités financières de la Fondation.
L'article 4 l'autorise à bénéficier de dotations en actions ou parts sociales d'entreprises pour diversifier ses ressources financières.
L'article 5 lui permet de réaffecter près de 10 millions d'euros qu'elle a collectés à l'occasion de souscriptions de mécénat populaire pour des projets aujourd'hui achevés ou devenus caducs et qui se trouvent aujourd'hui immobilisés dans ses caisses, faute de dispositions précises fixant les conditions dans lesquelles elle peut procéder à une réaffectation.
Cet article soulève néanmoins un certain nombre de problèmes juridiques dans la mesure où il remet en cause les termes de contrats passés entre la Fondation du patrimoine et des maîtres d'ouvrage. Il me paraît important qu'une solution soit trouvée, car la situation actuelle, dans laquelle des dons qui ont bénéficié d'une défiscalisation sont immobilisés plutôt que de servir l'intérêt général, est inacceptable.
J'ai été guidé dans mon travail par deux objectifs.
Le premier est de conforter la mission de la Fondation en matière de protection du patrimoine de proximité. J'estime en effet que c'est dans ce domaine que l'action de la Fondation est la plus décisive et la plus attendue. Avec la disparition de la réserve parlementaire, en 2017, les communes, en particulier rurales, et les associations ont perdu un outil qui contribuait chaque année à la restauration du petit patrimoine. J'estime important que la Fondation ne se détourne pas de sa mission première, qui demeure la protection du patrimoine de proximité.
Le second objectif est d'aligner davantage la Fondation du patrimoine sur les statuts-types des fondations reconnues d'utilité publique, lorsque sa mission ne justifie pas de dérogations particulières.
M. Franck Riester, ministre de la culture. - Le patrimoine, qui est au coeur de la mission de votre commission, revêt depuis quelque temps une importance toute particulière pour nos compatriotes. C'est une part de notre histoire, de notre mémoire et de notre identité, présente sur tous nos territoires. C'est un levier de revitalisation et de cohésion. C'est aussi un moteur de développement économique, d'attractivité touristique, de croissance et d'emploi. Il nous revient donc de le valoriser et de le protéger pour le transmettre aux générations futures. C'est ce que contribue à faire le ministère de la culture depuis plus de 60 ans. L'an prochain, il consacrera un milliard d'euros au patrimoine : monuments historiques, musées, archéologie, archives et architecture.
Dans cette action, le ministère de la culture n'est pas seul. Il a su, au fil des années, se doter d'outils et de partenaires essentiels, parmi lesquels, bien sûr, les collectivités territoriales, mais aussi les fondations. La Fondation du patrimoine est un partenaire très important de mon ministère. Voilà 25 ans que M. Jean-Paul Hugot remettait au ministre de la culture, M. Jacques Toubon, un rapport sur les conditions de création d'une fondation du patrimoine français. Ce rapport préconisait la création d'une structure de mobilisation des entreprises et du grand public en faveur du petit patrimoine non protégé, inspirée du modèle du National Trust britannique. Deux ans plus tard, cette structure devenait réalité : la loi du 2 juillet 1996 créait la Fondation du patrimoine, qui serait reconnue d'utilité publique quelques mois plus tard. J'ai une pensée pour le Président de la République, Jacques Chirac, et pour son ministre de la culture de l'époque, M. Philippe Douste-Blazy, qui ont permis cette création.
La Fondation est très mobilisée depuis sa création, sous les présidences successives de MM. Édouard de Royère, Charles de Croisset et Guillaume Poitrinal, que je remercie pour leur engagement. Elle a su développer son action en engageant des campagnes de souscriptions publiques et des campagnes de financement participatif, en mobilisant le mécénat d'entreprise ou en délivrant son propre label. Dès sa création, l'État lui a en effet confié la mission de délivrer un label en faveur du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques. Ce label donne droit à un régime de déductions fiscales au titre de l'impôt sur le revenu. La Fondation a aussi contribué à l'initiative du loto du patrimoine, dont le succès ne se dément pas, et dont elle continue à assurer le pilotage, en lien avec Stéphane Bern et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC).
La Fondation du patrimoine se charge de la présélection des projets, en liaison avec le ministère et Stéphane Bern ; c'est elle qui assure la gestion du fonds « Patrimoine en péril », abondé par les recettes issues de ce loto. Elle a participé, dès le 16 avril dernier, à la mobilisation en faveur de Notre-Dame ; elle est l'une des trois fondations reconnues d'utilité publique qui aident l'État à opérer la souscription nationale. Son intervention a été décisive ; je souhaite ici l'en remercier. Forte de l'expérience qu'elle a acquise et de son modèle original, la Fondation du patrimoine est devenue un acteur essentiel de la protection du patrimoine.
Dans un rapport de novembre dernier, la Cour des comptes en a pris acte et a formulé une série de recommandations : renforcer l'activité de la Fondation dans les régions où elle demeure faible ; faire attester par un ABF ou, à défaut, par un délégué de la Fondation, la conformité des travaux aux projets ; instaurer une plus grande sélectivité des dossiers, dans un contexte de baisse des ressources, en veillant à maintenir un taux significatif de cofinancement de la Fondation ; améliorer la présentation du compte d'emploi des ressources afin de le rendre plus intelligible pour les donateurs. Plus globalement, la Cour recommandait de réexaminer le dispositif de labels pour le rendre plus efficient. Dans le même rapport, elle estimait que simplifier la composition du conseil administration de la Fondation irait également dans le sens d'une plus grande efficacité.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit dans la lignée de ces recommandations. Je remercie Mme Vérien, membre du conseil d'administration de la Fondation du patrimoine, de l'avoir déposée. Je salue également le sénateur Alain Schmitz, délégué régional de la Fondation pour l'Île-de-France.
Le code du patrimoine dispose que la Fondation peut attribuer un label au patrimoine non protégé et aux sites. Les conditions de son octroi sont aujourd'hui uniquement définies par le bulletin officiel des finances publiques. Le label peut être délivré pour trois types d'immeubles : ceux qui constituent le patrimoine de proximité, en zone urbaine ou rurale - pigeonniers, lavoirs, fours à pain, chapelles ou moulins -, ceux qui sont les plus caractéristiques du patrimoine rural, situés dans des communes de moins de 2 000 habitants - fermes, granges, maisons de village, petits manoirs ruraux - et ceux qui sont situés dans un site patrimonial remarquable. Les jardins sont exclus du bénéfice du label.
La proposition de loi change ces critères. Son article 1er modifie le code du patrimoine pour expliciter le champ d'application du label, qui pourrait être délivré pour les immeubles situés dans les sites patrimoniaux remarquables, les immeubles situés dans les sites protégés par le code de l'environnement, et les immeubles situés dans les zones rurales - bourgs et petites villes de moins de 20 000 habitants. Cette mesure est aussi attendue dans le cadre des programmes de revitalisation des territoires. Elle sera en parfaite cohérence avec le programme Petites villes de demain que le Gouvernement est en train de mettre en place et qui cible les villes de moins de 20 000 habitants.
L'article 2 étend le bénéfice du label aux jardins, aux parcs et au patrimoine industriel, c'est-à-dire à tous les immeubles bâtis ou non bâtis situés en zone rurale et non protégés au titre des monuments historiques.
Ces deux articles aboutissent à une extension importante du champ d'application du label. C'est donc une part plus large de notre patrimoine qui sera valorisée et protégée. C'est bienvenu, d'autant que cela ne créerait qu'une dépense fiscale raisonnable au regard de l'impact de cette mesure pour les territoires et l'économie. En effet, la Fondation délivre entre 1 000 et 1 200 labels chaque année ; la Cour des comptes estime que le montant des travaux réalisés par les particuliers représente 60 millions d'euros, pour une dépense fiscale de 6,4 millions d'euros par an. L'élargissement du périmètre d'intervention de la Fondation devrait doubler à peu près le volume des interventions de la Fondation, et donc le montant de la dépense fiscale qui lui est associée.
Afin d'accompagner ces évolutions, le Gouvernement a déposé à l'article 1er un amendement visant à clarifier, par décret, les critères et les modalités d'octroi du label, notamment pour fixer le taux de cofinancement de la Fondation du patrimoine.
Cette proposition de loi modernise la gouvernance de la Fondation. L'objectif de son article 3 est de modifier la composition de son conseil d'administration pour le resserrer. Il semble en effet très souhaitable de la rapprocher du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique. La modification envisagée s'inscrit dans une modification plus globale des statuts, qui relèvent à la fois de dispositions législatives et réglementaires. Le nombre de membres du conseil d'administration serait réduit, passant de 25 à 16.
Le Gouvernement propose d'aller plus loin, par un amendement simplifiant les différentes catégories de membres. Nous retiendrions trois catégories : les représentants des fondateurs, mécènes et donateurs, qui détiendraient la majorité des sièges au sein du conseil administration, conformément à l'esprit du projet de la Fondation ; des personnalités qualifiées pouvant venir de différents horizons ; et des représentants des collectivités territoriales. Comme cela est d'usage, le nombre de sièges pour chacune de ces catégories a vocation à être défini par décret. L'État renoncerait à son pouvoir de nomination des personnalités qualifiées, qui seraient désormais cooptées par les autres membres du conseil, à l'instar de ce qui se passe dans d'autres fondations reconnues d'intérêt public. Le président de la Fondation aura vocation à être désigné parmi elles. Le Gouvernement est également favorable à la proposition de M. Jean-Pierre Leleux visant à supprimer les sièges réservés à des parlementaires au sein du conseil, conformément à la réflexion menée depuis 2015 par le Sénat sur les organismes extérieurs au Parlement.
Le Gouvernement souscrit aussi à l'amendement de M. Jean-Pierre Leleux à l'article 4, car la possibilité pour les fondations reconnues d'utilité publique de détenir de telles valeurs mobilières est prévue par la loi de 1987 sur le développement du mécénat, qui a été modifiée par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.
L'article 5 concerne la possibilité pour la Fondation de réaffecter des dons devenus sans objet parce que les projets seraient devenus caducs ou auraient déjà été intégralement financés. La rédaction actuelle de cet article pose question. En l'état, elle présente des fragilités au regard du respect de l'intention du donateur, et comporte de ce fait un risque fort d'inconstitutionnalité. Elle permettrait en effet à la Fondation de modifier unilatéralement l'affectation des dons à certains projets sans disposer nécessairement du consentement explicite du donateur ni de celui des maîtres d'ouvrages concernés. Il importe notamment que le consentement des donateurs soit donné explicitement, soit au moment du don, soit au moment de sa réaffectation, comme l'ont bien montré nos échanges autour de la loi pour la conservation et la restauration de Notre-Dame de Paris. Le Gouvernement propose donc la suppression de cet article, mais je m'engage à ce que nous poursuivions les échanges à ce sujet pour trouver une solution au problème.
Enfin, l'article 6 concerne la suppression de dispositions propres à la Fondation qui n'ont jamais été mises en oeuvre. Il s'agit de l'insaisissabilité des biens acquis par la Fondation pour les sauvegarder et de la procédure d'expropriation au bénéfice de la Fondation. Le Gouvernement est favorable à ces suppressions.
La Fondation du patrimoine a vocation à compléter l'action du ministère de la culture avec ambition et efficacité. Le ministère est en train de se transformer. Il est bon que le Sénat propose d'adapter également l'organisation de la Fondation du patrimoine. Sous les réserves que j'ai mentionnées, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi. J'ai même négocié avec le ministère du budget pour qu'un accompagnement fiscal et financier soit mis en place afin de pallier l'accroissement de cette dépense fiscale. Il ne faudrait pas qu'en ouvrant davantage le nombre de labels, les petites communes soient pénalisées.
M. André Reichardt. - Membre de la commission des lois, je suis venu spécialement parce qu'il s'agit d'un texte sur la Fondation du patrimoine, à laquelle je souhaite rendre hommage ; et je voudrais tout particulièrement insister sur le travail remarquable de son délégué régional en Alsace. Un amendement de Mme Sittler vise à ne pas limiter aux habitants des communes de moins de 20 000 habitants l'éligibilité au label.
Je comprends la nécessité de veiller à l'impact financier, comme l'a rappelé le rapporteur. Cela dit, certaines communes de plus de 20 000 habitants ont des projets très importants, dont la réalisation serait utile au pays. Vous dites qu'on pourra compenser le surcoût pour les finances publiques par les rentrées de TVA liées aux travaux. Cela a-t-il été chiffré ? Qui y gagne ? Qui y perd ? Acceptons le pari de l'aventure : faisons un essai !
Mme Sylvie Robert. - Je vous prie d'excuser l'absence de notre collègue Marie-Pierre Monier. Le patrimoine suscite désormais l'intérêt de tous nos concitoyens. On ne peut que s'en réjouir. Cette proposition de loi vient donc à point nommé pour faire entrer la Fondation dans le vingt et unième siècle. Nos amendements ont pour objectif d'en enrichir le texte.
Je comprends qu'on souhaite passer de 2 000 habitants à 20 000 ; c'est cohérent avec plusieurs projets du Gouvernement que nous soutenons, notamment sur la revitalisation des coeurs de ville. Qu'est-ce que la ruralité aujourd'hui ? Cette proposition de loi pose la question. On pourrait aller au-delà de 20 000 habitants, tant c'est l'environnement qui importe. Mais cela renvoie aussi aux débats sur le périurbain et les métropoles... Encore faudrait-il que Bercy l'accepte, cela dit. Pouvez-vous nous le garantir ? Nous soutenons, en tous cas, les objectifs de cette proposition de loi.
M. Pierre Ouzoulias. - Prenons le cas de la commune d'Arles : 52 000 habitants, mais 750 kilomètres carrés, dont les trois quarts complètement sauvages. Il serait aberrant de considérer qu'Arles est une métropole qui ne comporterait pas un patrimoine rural exceptionnel : la Camargue. Définir un seuil adapté n'a rien d'évident.
Je souhaite que le label, tel que nous le redéfinissons, ne soit pas limité au seul patrimoine immobilier. Il y a en effet un patrimoine mobilier rural de proximité qui ne bénéficie d'aucune protection, alors qu'il doit être soutenu. Certes, nous sommes à la recherche d'un équilibre fiscal difficile : ajouter ce poids dans l'un des plateaux de la balance pourrait le compromettre. Mais, prenons en considération toute une civilisation agraire qui est en train de disparaître, mais qui nous a laissé des biens mobiliers - moissonneuses-batteuses, tracteurs - qui ne sont ni inventoriés ni protégés. C'est maintenant que nous devons nous occuper de ce patrimoine, avant qu'il ne disparaisse complètement, dans cinq ou dix ans.
Je ne désapprouve pas le fait que nous ayons de multiples opérateurs du patrimoine en sus du ministère de la culture et des collectivités territoriales. Je ne souhaite pas une renationalisation pour revenir aux « tables de la loi » telles qu'André Malraux les a reçues ou transmises... Mais il serait bon qu'une enquête nationale fasse un bilan des formes de protection et de la nature des patrimoines qui, malgré tous ces réseaux et toutes ces institutions, ne bénéficient d'aucune protection et d'aucune aide.
J'ai un regret : c'est que le ministère de l'environnement soit sorti du dispositif, alors qu'il y avait toute sa place. Quid, dès lors, du patrimoine situé dans les parcs régionaux naturels et dans les grands sites de France ?
En tous cas, nous sommes très favorables à ce texte.
Mme Annick Billon. - Ce texte est attendu, aussi bien par la Fondation que par les territoires. Ses objectifs sont louables : moderniser, adapter, simplifier. Le patrimoine est essentiel à l'attractivité et au développement de nos territoires. Or, bien souvent, lorsque des communes ont des difficultés, sa rénovation et sa mise en valeur leur permettent de regagner en attractivité. Une autre proposition de loi, sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, déposée par nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin, avait été, dans mon souvenir, adoptée à l'unanimité. Elle a eu beaucoup d'écho sur les territoires, puisqu'elle a mis en place une boîte à outils qui a inspiré la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).
Il est bienvenu de permettre à la Fondation d'attribuer son label dans des zones rurales, des bourgs et des petites villes de moins de 20 000 habitants. Bien sûr, dès qu'on parle d'un seuil, on crée des crispations. Mais nos territoires ont évolué ; les communes nouvelles sont passées par là, et de petites communes qui étaient identifiées comme telles ne le sont plus aujourd'hui. Modifier l'organisation de la Fondation pour faciliter son fonctionnement est aussi une bonne chose. De même, il est bienvenu de définir des modalités de réaffectation des dons non affectés ou impossibles à affecter.
Cette proposition de loi et les propositions du rapporteur seront en grande majorité accueillies favorablement par le groupe Union centriste.
Mme Mireille Jouve. - Le Sénat démontre une nouvelle fois qu'il est à l'écoute des territoires et soucieux de préserver la richesse de notre patrimoine culturel local. La modernisation de la gouvernance et des outils de la Fondation du patrimoine s'inscrit dans ce cadre. Les membres du groupe du RDSE accueillent très favorablement la possibilité de délivrer des labels au sein de nos communes rurales. Il s'agit là d'une attente forte des communes concernées, et d'une composante essentielle dans nos efforts de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.
Mme Colette Mélot. - Cette proposition de loi vise à moderniser les statuts et la gouvernance de la Fondation du patrimoine. Les actions de sauvegarde du patrimoine bénéficient à l'ensemble des territoires. Nous mesurons tous l'importance des restaurations qui peuvent être entreprises sur le patrimoine vernaculaire ou d'anciens sites industriels. Mon groupe sera donc favorable, dans l'ensemble, à cette proposition et, notamment, à l'élargissement de la portée du label aux jardins remarquables, aux parcs et aux sites industriels, ainsi qu'à l'instauration du mécanisme de réaffectation des dons en cas de non-réalisation des travaux financés. Nous avons toutefois une réserve : est-il pertinent d'inscrire dans la loi une limite démographique pour l'attribution du label ?
Nous avons également une réserve sur l'article 6, qui supprime la possibilité pour la Fondation de gérer un bien menacé de péril qui aurait fait l'objet d'une procédure d'expropriation par l'État. Cette disposition prévoyait une gestion temporaire visant à accomplir des actions de sauvegarde immédiate du monument, contrairement aux acquisitions du Centre des monuments nationaux ou encore du Conservatoire du littoral. Nous sommes donc loin du National Trust anglo-saxon, doté de compétences bien plus larges et de moyens humains et financiers d'un autre niveau, avec un budget de plus de 400 millions d'euros et 5 000 salariés. Le risque serait de confondre la politique menée par la Fondation et l'objectif inscrit à l'article 2 de ses statuts : la sauvegarde des monuments, édifices, ensembles immobiliers ou éléments remarquables des espaces naturels ou paysagers menacés de dégradation, disparition, ou dispersion. Est-il nécessaire de légiférer pour supprimer cette disposition jugée inutile en France, mais largement employée outre-Manche par le National Trust ?
EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION
M. Claude Kern. - L'amendement COM-20 rectifié a été présenté par M. Reichardt. Il vise à assouplir les critères d'éligibilité au label. L'instruction fiscale a restreint le champ d'application géographique du label aux communes de moins de 2 000 habitants, critère non prévu par la loi. Or ce critère ne reflète pas la réalité et la diversité du patrimoine concerné. Même en élargissant le seuil aux communes de moins de 20 000 habitants, de nombreux projets de rénovation risquent d'être exclus du dispositif fiscal. Cet amendement supprime le critère reposant sur le nombre d'habitants, tout en indiquant que les conditions d'éligibilité seront précisées par décret.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Il n'est pas souhaitable, à ce stade de la navette, de lever toutes les conditions géographiques fixées par l'instruction fiscale. Cela risquerait d'accroître massivement le coût de la dépense fiscale, avec pour conséquence potentielle la disparition pure et simple de l'avantage fiscal associé au label. Or cet avantage est à l'origine de la plupart des demandes de label ; il constitue une réelle incitation à engager des travaux, en particulier pour les immeubles non habitables. Il me paraît également dangereux, au regard de l'expérience que nous tirons du principe général posé par la loi actuelle et des interprétations qu'en a tirées l'instruction fiscale, de renvoyer à un décret le soin de fixer les conditions d'application du label. Retrait, ou avis défavorable.
M. Franck Riester, ministre. - Même avis. Dans une ville de plus de 20 000 habitants, on n'est plus vraiment dans un périmètre rural... De plus, l'argent public se fait rare et il faut être attentif aux équilibres de la nation quand on touche à la dépense fiscale. Le Gouvernement est d'accord pour accompagner financièrement la montée en puissance du dispositif. Il faut faire les choses d'une façon progressive et équilibrée. En outre, pour les communes de plus de 20 000 habitants, il existe déjà des avantages fiscaux en matière patrimoniale.
M. Olivier Paccaud. - Je voterai en faveur de cet amendement. Tout tourne autour de la problématique d'équilibre fiscal. Nous avons bien entendu les explications de notre rapporteur, mais je n'aime pas l'expression de « dépense fiscale » qu'a utilisée M. le ministre. On pourrait tout aussi bien parler d'« investissement patrimonial » ! On ne peut vouloir d'un côté plus rénover et, de l'autre, se soumettre aux griffes de Bercy ! De nombreux exemples tirés de notre histoire fiscale montrent que certaines incitations peuvent s'avérer très vertueuses pour l'économie.
M. Franck Riester, ministre. - Bien sûr, c'est un investissement, mais il se trouve que, techniquement, on appelle cela une « dépense fiscale ». Quant aux dispositifs complémentaires qui peuvent être utilisés dans les communes de plus de 20 000 habitants, je pense par exemple au dispositif Malraux applicable à l'ensemble des sites patrimoniaux remarquables. L'éventail d'outils fiscaux qui encouragent l'investissement dans le patrimoine est de nature à répondre à beaucoup de problématiques.
Mme Dominique Vérien. - J'avais moi-même réfléchi à fixer un seuil supérieur à 20 000 habitants, mais il m'a semblé qu'une ville de 30 000 habitants disposait déjà de l'ingénierie nécessaire pour créer un site patrimonial remarquable. C'est le cas d'Arles, par exemple. Une plus petite ville aura plus de mal à le faire. Ce seuil a fait l'objet d'une négociation compliquée. Le mieux est souvent l'ennemi du bien. Je voterai donc contre cet amendement.
M. Claude Kern. - Je comprends les explications de notre rapporteur et de M. le ministre. Malheureusement, n'étant que cosignataire de cet amendement, il m'est délicat de le retirer.
Mme Annick Billon. - Je voterai contre cet amendement. Certes, je connais les travers qu'engendrent les seuils, mais j'estime qu'il est important de maintenir le texte tel quel à ce stade de la réflexion.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'adoption de cet amendement poserait un vrai risque. Ce serait conduire la Fondation du patrimoine vers des objectifs différents de ceux qui lui sont fixés. Une telle diversification serait préjudiciable au patrimoine réellement rural qui est son principal objet.
Un second risque existe. J'ai cru comprendre que la négociation interministérielle pour obtenir l'aval de Bercy sur l'augmentation de cette « dépense fiscale » a été assez compliquée. En voulant aller plus loin, on risquerait de faire tout tomber à l'Assemblée nationale.
Mme Sylvie Robert. - Notre groupe suivra l'avis du rapporteur. Le risque de voir ce texte rejeté à l'Assemblée nationale est réel !
Mme Colette Mélot. - Je suis moi aussi sensible à l'argument du rapporteur, je voterai donc contre cet amendement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Tout est question d'équilibre ; je soutiens la position prudente de notre rapporteur et de M. le ministre. Il ne faudrait pas non plus s'éloigner de l'ADN de la Fondation du patrimoine. Dans tous nos territoires, de petites communes isolées doivent faire face à l'entretien de leur patrimoine, notamment des églises ; la Fondation du patrimoine est efficace dans ce contexte. Élargir le périmètre serait dangereux.
M. Claude Kern. - Je partage les arguments qui ont été développés ; je prends sur moi de retirer l'amendement.
L'amendement COM-20 rectifié est retiré.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à ouvrir aux immeubles non bâtis, dont les parcs et jardins, le bénéfice de l'avantage fiscal, dont ils sont aujourd'hui exclus. Cette ouverture correspond à l'intention du législateur au moment de la création de la Fondation du patrimoine, en 1996 : il entendait que le label puisse être attribué à des parcs et jardins, ou encore à des sites naturels. Les parcs et jardins bénéficiaient d'un avantage fiscal jusqu'en 2014 dans le cadre du label « Jardins remarquables », attribué par le ministère de la culture. L'avantage fiscal associé au label a été supprimé depuis lors.
L'amendement tend également à préciser que les termes « non protégé » désignent les immeubles non protégés au titre des monuments historiques, ce qui renvoie aux biens qui ne sont ni classés ni inscrits à ce titre.
L'amendement COM-1, accepté par le Gouvernement, est adopté à l'unanimité.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-2 tend à restreindre le champ d'application du label aux sites classés au titre du code de l'environnement, qui sont les plus significatifs d'un point de vue patrimonial. L'ouverture aux sites inscrits a peu de sens dans la mesure où il s'agit d'un label destiné principalement à la protection du petit patrimoine, compte tenu de la forte urbanisation d'un grand nombre de ces sites. La Ville de Paris comporte un site inscrit.
L'amendement COM-2, accepté par le Gouvernement, est adopté à l'unanimité.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à faciliter la labellisation de tous les biens non habitables - fontaines, puits, pigeonniers, lavoirs, fours à pain, chapelles, ou encore moulins - qui présentent un intérêt patrimonial, sans aucune restriction géographique. C'est déjà ce que prévoit l'instruction fiscale. Cette disposition est importante : l'avantage fiscal joue en effet un rôle incitatif fort pour la préservation de ce type de biens, pour lesquels les propriétaires privés n'ont généralement que peu d'intérêt à engager une dépense.
M. Franck Riester, ministre. - Je serai plus nuancé que M. le rapporteur. Il est difficile d'évaluer l'impact qu'aurait l'octroi de cette exception à une catégorie très vaste. Je m'en remets à votre sagesse.
M. André Gattolin. - Je voterai contre cet amendement, car la définition d'un bien non habitable est trop large : la tour Eiffel est non habitable ! Qui trop embrasse, mal étreint.
Mme Dominique Vérien. - Cette catégorie fait déjà partie du rescrit fiscal : Bercy l'a déjà accepté de longue date. Nous ne voulons pas qu'une restriction s'applique soudainement.
Mme Colette Mélot. - Cet amendement me semble être un bon compromis. Cela ne doit pas concerner trop d'objets patrimoniaux.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - On voulait tout à l'heure assouplir le critère de population ; il serait paradoxal de vouloir à présent exclure ces éléments de patrimoine rural qui subsistent même en milieu urbain !
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à fixer deux conditions pour l'application de la déduction fiscale. D'une part, elle ne s'appliquerait qu'aux travaux réalisés sur des immeubles visibles depuis la voie publique. D'autre part, la Fondation du patrimoine devrait cofinancer les travaux au moins à hauteur de 2 % de leur montant, ce qui constituerait une garantie supplémentaire de qualité du label.
M. Franck Riester, ministre. - Nous ne sommes pas défavorables à cet amendement sur le fond, mais cela nous paraît relever du domaine réglementaire, et non de celui de la loi. Renvoyer ces précisions au décret d'application nous donnerait en outre plus de souplesse. Le Gouvernement souhaite donc le retrait de cet amendement.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Nous sommes quelque peu échaudés par certaines mesures prises dans des décrets d'application. C'est pourquoi je souhaite que ces éléments soient inscrits dans la loi.
M. Franck Riester, ministre. - Le décret peut aller dans un sens comme dans l'autre. Il y a une hiérarchie des normes : certaines dispositions trouvent mieux leur place dans les textes réglementaires. Pour une bonne législation, il ne faut pas tout mettre dans la loi. Les décrets ne vont pas forcément dans le mauvais sens ; il serait dommage de se priver de cette possibilité.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Les représentants de Bercy nous ont recommandé de faire figurer cela dans la loi : ils nous ont dit qu'il leur serait difficile de le réaffirmer par décret si le législateur ne le mentionnait pas expressément.
L'amendement COM-4 est adopté à l'unanimité.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à garantir que la protection du patrimoine rural ne sera pas délaissée par la Fondation du patrimoine sous l'effet du nouveau périmètre d'application du label.
S'il est souhaitable que le label puisse contribuer à la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, il ne serait pas acceptable que la Fondation du patrimoine se détourne de sa mission première, pour lequel son intervention est essentielle, a fortiori depuis la disparition de la réserve parlementaire.
M. Franck Riester, ministre. - Cela nous apparaît relever plutôt du domaine réglementaire. Je m'en remets à votre sagesse.
Mme Sylvie Robert. - Cet amendement est très intéressant : il fait écho à nos débats sur la question de la ruralité et tend à rappeler la finalité première de la Fondation du patrimoine. Nous voterons en sa faveur.
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Franck Riester, ministre. - L'amendement COM-27 vise à renvoyer à un décret les conditions d'attribution du label que M. le rapporteur propose d'inscrire dans la loi. Nous souscrivons aux critères qu'il retient, mais cela relève, selon nous, du domaine réglementaire.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Chat échaudé craint l'eau froide ! Les critères fixés par l'instruction fiscale, qui ont eu pour effet de restreindre considérablement l'intention initiale du législateur, ne nous invitent pas à accueillir favorablement la perspective d'un décret à ce sujet. Par ailleurs, cet amendement me paraît sans objet, maintenant que nous avons inscrit à la fois le critère de visibilité depuis la voie publique et l'impératif de cofinancement des travaux de la part de la Fondation du patrimoine. Ces raisons justifient l'avis défavorable de la commission.
L'amendement COM-27 n'est pas adopté.
L'amendement de coordination COM-25, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à supprimer cet article. En effet, la rédaction de l'article 1er issue de nos travaux ouvre déjà le bénéfice du label aux parcs et jardins, puisque les immeubles non bâtis y sont éligibles.
Quant à l'introduction dans la loi d'une référence spécifique au patrimoine industriel, elle ne paraît pas souhaitable. D'abord, elle est inutile en ce qui concerne les bâtiments industriels, qui sont déjà éligibles au label. Ensuite, elle pourrait laisser à penser que d'autres types de patrimoine, tels que le patrimoine de la reconstruction ou le patrimoine du XXe siècle, ne seraient a contrario pas éligibles. Enfin, elle aurait pour effet d'étendre l'éligibilité au label à des objets mobiliers, alors que l'avantage fiscal prévu à l'article 156 du code général des impôts, qui justifie dans une grande majorité des cas la demande de label, n'est applicable qu'aux immeubles, puisqu'il permet seulement de déduire des charges foncières.
L'amendement COM-6, accepté par le Gouvernement, est adopté. L'article 2 est supprimé et l'amendement COM-15 devient sans objet.
Article 3
M. Franck Riester, ministre. - L'amendement COM-28 tend à reprendre les propositions de M. Leleux relatives au conseil d'administration de la Fondation du patrimoine. Conformément aux réflexions engagées par le Sénat sur la participation des parlementaires à des organismes extérieurs au Parlement, il est proposé de ne plus faire siéger de parlementaire au conseil d'administration de la Fondation. Nous entendons rapprocher la composition de ce conseil de celle des conseils d'administration d'autres fondations reconnues d'utilité publique, tout en prenant en compte la spécificité de celle-ci.
Cet amendement vise également, dans ce même esprit, à mettre fin à la désignation par l'État des personnalités qualifiées amenées à siéger à ce conseil. Son objet est simplement d'inscrire dans la loi les différentes catégories de membres du conseil d'administration, tout en renvoyant le nombre de membres de chaque catégorie aux statuts de la Fondation, texte réglementaire.
Le conseil d'administration serait constitué de trois catégories : les représentants des fondateurs, des mécènes et des donateurs ; les personnalités qualifiées ; enfin, les représentants des collectivités territoriales. Il est prévu de réserver la majorité des sièges à la première catégorie.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Je suis sensible à votre proposition, monsieur le ministre. Elle a le mérite de réduire l'effectif du conseil d'administration et de se contenter de fixer, dans la loi, les grandes catégories de représentants ayant vocation à siéger au sein du conseil d'administration. Cela devrait contribuer à mon objectif de rapprocher davantage la composition du conseil d'administration de celle des autres fondations reconnues d'utilité publique.
Cet amendement tend à conserver une majorité de sièges pour les représentants de la sphère privée, ce qui me paraît indispensable pour garantir leur engagement au sein de cette Fondation. Il tend également à supprimer la présence d'un député et d'un sénateur au sein du conseil d'administration, ce que je souhaitais vous proposer pour tenir compte de la position exprimée par le Sénat concernant la présence de parlementaires au sein des organismes extraparlementaires. Les personnalités qualifiées dont la présence reste prévue seraient désormais nommées directement par le conseil d'administration, et non plus par le ministère. Cette évolution significative permet de se rapprocher des statuts types des fondations reconnues d'utilité publique. La présence de représentants des collectivités territoriales serait en revanche maintenue. En revanche, l'amendement tend à supprimer le collège des adhérents, comme le faisait déjà le texte de Mme Vérien.
Je sais que cet amendement a fait l'objet de discussions avec la Fondation du patrimoine. Sous réserve de l'adoption de deux sous-amendements que je vais vous présenter, je suis enclin à donner un avis favorable dans un esprit de compromis. Je retirerai dans ces conditions mes amendements à cet article ; je crois que les amendements du groupe socialiste seraient satisfaits par mes sous-amendements.
Le sous-amendement COM-29 vise à permettre que plusieurs niveaux de collectivités territoriales disposent d'un représentant au sein du conseil d'administration, y compris les communes rurales, au même titre que les communes, les départements et les régions. C'est un moyen de rappeler la vocation de la Fondation du patrimoine en matière de protection du patrimoine de proximité.
Le sous-amendement COM-30 vise, pour sa part, à pallier la disparition du collège des adhérents, qui remet en cause la présence du tissu associatif en charge de la préservation du patrimoine au sein du conseil d'administration. Les trois sièges des adhérents sont aujourd'hui occupés par des représentants d'associations de défense du patrimoine. Compte tenu du rôle important joué par les associations au niveau local en tant que relais de la Fondation du patrimoine et de leur connaissance du terrain et des enjeux patrimoniaux, cet amendement vise à assurer la présence d'un représentant d'associations de sauvegarde du patrimoine au sein du conseil d'administration.
M. Franck Riester, ministre. - Merci pour votre état d'esprit constructif ; je m'excuse pour le dépôt tardif de l'amendement du Gouvernement. Nous sommes favorables au sous-amendement COM-29, qui vise à mieux prendre en compte la ruralité. En revanche, le Gouvernement est défavorable au sous-amendement COM-30, qui tendrait à créer une catégorie supplémentaire.
M. Jean-Pierre Leleux. - Nous nous sommes rapprochés de la position du Gouvernement : nous souscrivons à son intention de préciser les trois catégories de membres et de limiter le nombre d'administrateurs.
Mme Dominique Vérien. - Je comprends qu'on partage les membres du conseil d'administration entre trois catégories. Mais il me semble important, à tout le moins, qu'un représentant d'une association de défense du patrimoine figure parmi les personnalités qualifiées. La Fondation du patrimoine ne doit pas se couper de ce qu'elle est : sa représentation locale par les associations qui maillent le territoire est, de ce point de vue, essentielle.
Mme Sylvie Robert. - Les deux sous-amendements sont similaires aux amendements que nous avions déposés. Nous sommes très attachés à la présence d'un représentant des associations de défense du patrimoine. Cela me gênerait en revanche que le nombre de membres du conseil d'administration ne soit pas limité.
M. Franck Riester, ministre. - Nous pourrions préciser, pour la deuxième catégorie prévue par l'amendement COM-28 : « de personnalités qualifiées, dont un représentant d'une association nationale de protection et de mise en valeur du patrimoine. »
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Je n'y suis pas favorable. En les distinguant du collège des personnalités qualifiées, cooptées par les autres membres du conseil d'administration, nous voulons rendre possible l'autodésignation de ce représentant par le monde associatif.
M. Franck Riester, ministre. - L'argument est convaincant.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Mme Robert a raison de souligner qu'aucun nombre maximal de membres n'est fixé. Les statuts-types prévoient un effectif de quinze membres, mais, s'il devait y avoir une personne en plus, cela resterait convenable.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les collectivités territoriales financent la Fondation de façon très substantielle ; il est donc important de prévoir leur représentation. En mentionnant les maires ruraux, nous insistons sur la nécessité de prêter une attention particulière à leurs territoires.
Les sous-amendements COM-29 et COM-30 sont adoptés. L'amendement COM-28, ainsi modifié, est adopté ; les amendements COM-7, COM-8, COM-9, COM-10, COM-11, COM-19 et COM-16 sont retirés.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-12 tend à tirer les conséquences de la loi Pacte du 22 mai 2019, qui a modifié les dispositions fixant les conditions dans lesquelles les fondations reconnues d'utilité publique peuvent se voir donner des actions et parts sociales d'entreprises et les modalités selon lesquelles elles doivent les gérer.
Ces nouvelles règles, inscrites à l'article 18-3 de la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, visent le même objectif que celles prévues par le présent article : autoriser les fondations reconnues d'utilité publique à détenir des parts sociales ou des actions d'une société ayant une activité industrielle ou commerciale, quelle qu'elle soit, et garantir que, dans le cas où une fondation se retrouverait actionnaire majoritaire d'une société, elle fixe dans ses statuts les modalités de gestion des parts et actions, afin de ne pas s'immiscer dans la gestion de la société.
Dès lors, il paraît inutile de prévoir des dispositions spécifiques à la Fondation du patrimoine. En revanche, les nouvelles règles rendent nécessaire la suppression de la seconde phrase de l'article L. 143-7 du code du patrimoine, incompatible avec les dispositions de la loi Pacte.
L'amendement COM-12, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
M. Franck Riester, ministre. - L'amendement COM-26 tend à supprimer l'article 5. Le risque d'inconstitutionnalité du dispositif envisagé est trop élevé, car il méconnaît le principe du consentement des parties, fondateur du droit des contrats. Avant toute réaffectation, il appartient à la Fondation du patrimoine d'entrer en contact avec les donateurs pour solliciter leur consentement, même si je comprends bien que l'opération peut être lourde. Il appartient aussi à la Fondation de s'entendre avec le maître d'ouvrage sur la possibilité d'apporter une modification au contrat qui les lie.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Je comprends les difficultés juridiques soulevées, mais elles me paraissent concerner surtout le porteur de projet. La Fondation du patrimoine informe ses donateurs depuis plus de quinze ans, sur internet comme sur les bulletins de souscription, de la possibilité d'une réaffectation.
Il est vrai que le dispositif prévu aura pour effet de modifier les termes des conventions conclues entre la Fondation et les porteurs de projet. Je trouve néanmoins aberrant que 10 millions d'euros restent immobilisés dans les caisses, au lieu de servir au financement d'autres projets de sauvegarde du patrimoine, d'autant que ces fonds ont bénéficié de l'avantage fiscal en matière de mécénat.
C'est pourquoi, malgré les réserves juridiques qui ont été exposées, je trouverais politiquement regrettable que nous supprimions cet article. Je souhaite que, d'ici à la prochaine lecture, le Gouvernement parvienne à trouver une solution juridique satisfaisante à laquelle nous puissions nous rallier.
M. Franck Riester, ministre. - Je souhaite le maintien d'un dispositif de vérification du consentement. S'agissant des 10 millions d'euros dont le rapporteur a parlé, il est vrai qu'on devrait pouvoir les utiliser ; mais faut-il modifier un principe fondamental pour ce problème spécifique ? Quand bien même on le ferait, un second problème constitutionnel se poserait, lié à la rétroactivité de la loi. Essayons de trouver des solutions qui ne remettent pas en cause des principes essentiels.
Mme Maryvonne Blondin. - Supprimer l'article irait trop loin. Nous proposons, à travers notre amendement COM-17, d'en supprimer deux phrases. On comprend bien que la Fondation peut avoir un certain intérêt à ce qu'il n'y ait pas d'accord trouvé entre les deux parties, puisqu'elle disposerait librement du restant de la collecte.
M. André Gattolin. - Je voterai l'amendement du Gouvernement pour des raisons de sécurité juridique. Récemment, aux États-Unis, une fondation qui avait octroyé un prêt à un organisme similaire à partir de ses dons a été déboutée. Un don est consenti par un donateur pour une action ; il est fléché et il a un sens. Les 10 millions d'euros dont on parle ne sont pas inutiles : ils donnent à la Fondation une assise pour emprunter.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Nous savons bien que l'article est imparfait, mais tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il faudra trouver une solution pour les dons qui dorment sur les comptes de la Fondation. Mon amendement COM-13 précise les cas de réaffectation et les délais dans lesquels elle peut intervenir.
Je reconnais que le dispositif est fragile, mais supprimer l'article n'est pas souhaitable. La procédure accélérée n'a pas été engagée - nous sommes, de façon exceptionnelle, en procédure normale... Nous avons donc le temps. Notre commission ne peut pas ne pas traiter de ce sujet, même imparfaitement à ce stade de la navette.
M. Franck Riester, ministre. - Madame Blondin, le système actuel permet évidemment la réaffectation, en demandant le consentement du donateur.
M. le rapporteur a raison : les votes du Sénat sont des signaux. Je continue de penser qu'un retour en arrière sur le principe du consentement ou une mesure rétroactive serait un signal bien plus mauvais que l'annonce d'un travail avec la Fondation du patrimoine sur les 10 millions d'euros qui posent problème.
Au reste, comme l'a signalé M. Gattolin, un des avantages de cette réserve est qu'elle peut servir à l'obtention d'autres financements ; elle représente aussi une trésorerie pour la Fondation.
Mme Dominique Vérien. - La question concerne beaucoup plus les porteurs de projets que les donateurs. En matière de dons, la Fondation du patrimoine indique depuis bien longtemps aux donateurs au moment de leur souscription que leurs dons sont susceptibles de faire l'objet d'une réaffectation. En revanche, ce n'est que depuis 2015 que la Fondation signe une convention avec les porteurs de projet prévoyant que ceux-ci, si le projet ne se réalise pas, auront un délai donné pour flécher les fonds autrement, avant que la Fondation ne les réaffecte.
L'amendement COM-26 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-13 vise à clarifier les délais dans lesquels les fonds collectés par la Fondation du patrimoine dans le cadre d'une souscription peuvent être réaffectés à un autre projet de sauvegarde du patrimoine et à donner au maître d'ouvrage une plus grande latitude pour choisir le projet auquel les fonds collectés sont intégralement ou partiellement réaffectés.
Mme Maryvonne Blondin. - L'amendement COM-17, que j'ai annoncé il y a quelques instants, vise à supprimer deux phrases seulement de l'article 5. Il s'agit de favoriser un accord sur la réaffectation.
M. Franck Riester, ministre. - Le Gouvernement est défavorable à ces amendements. Si le projet n'aboutit pas conformément au dossier présenté par le maître d'ouvrage, il y a inexécution contractuelle ou caducité. Des sanctions peuvent être mises en oeuvre par la Fondation sans qu'il soit nécessaire qu'elles figurent dans une clause de convention. Le contrat peut même éventuellement être cassé.
L'amendement COM-13 est adopté ; l'amendement COM-17 devient sans objet.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Maryvonne Blondin. - L'amendement COM-18 vise à maintenir les dispositifs prévoyant une interdiction de saisine des biens de la Fondation par ses éventuels créanciers et une procédure d'expropriation de préemption par l'État en faveur de la Fondation. Que ces dispositifs n'aient jamais été utilisés n'est pas une raison pour les supprimer.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Ces prérogatives de puissance publique ne sont pas justifiées à l'égard d'une fondation de droit privé. Nous voulons la recentrer sur sa mission principale ; d'autres structures, comme le Centre des monuments nationaux, ont d'autres compétences. Avis défavorable.
M. Franck Riester, ministre. - Même avis.
L'amendement COM-18 n'est pas adopté. L'article 6 est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 6
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'amendement COM-14 tend à me faire pardonner la suppression des parlementaires dans le conseil d'administration... Il s'agit de faciliter le contrôle du Parlement en prévoyant la remise aux commissions de la culture d'un rapport annuel sur les activités et les orientations de la Fondation du patrimoine.
M. Franck Riester, ministre. - Avis favorable. Au reste, monsieur le rapporteur, vous n'avez rien à vous faire pardonner : ce que vous avez proposé est de bonne politique. S'agissant d'une telle fondation d'utilité publique, le rôle du Parlement est de contrôler plus que de participer à la gouvernance.
L'amendement COM-14 est adopté et devient article additionnel après l'article 6.
Article 7
L'article 7 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je remercie Mme Vérien, auteure du texte, M. le rapporteur, qui a fort bien travaillé dans un délai très court, et M. le ministre, qui a participé à cette législation en commission. C'est la deuxième fois seulement que nous pratiquons cet exercice important, qui doit recevoir la solennité qu'il mérite.
M. Franck Riester, ministre. - Je remercie l'auteure du texte, le rapporteur et l'ensemble de la commission. Je constate que, une fois de plus, le Gouvernement accompagne favorablement une initiative du Sénat. Ce fut déjà le cas, notamment, pour la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, dont M. Assouline est à l'origine. À ce propos, lors du conseil des ministres franco-allemand d'hier, le Président de la République a réaffirmé avec la chancelière Angela Merkel la nécessité de défendre le droit d'auteur et les droits voisins ; le Gouvernement se mobilisera, au côté des éditeurs de presse et du Sénat, pour que Google se conforme au texte proposé et voté par le Parlement.
Mme Laure Darcos. - Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - C'est une excellente chose.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 50.