Mardi 9 juillet 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 18 heures.
Réforme de l'assurance chômage - Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. Alain Milon, président. - Nous recevons cet après-midi Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, sur la réforme de l'assurance chômage.
J'indique que notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je rappelle brièvement le contexte de cette réforme. Annoncée par le président de la République devant le congrès, elle s'appuie sur l'article 57 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a mis fin à la convention d'assurance chômage conclue quelques mois plus tôt par les partenaires sociaux et défini une nouvelle méthode de négociation sur la base d'une lettre de cadrage transmise par le Gouvernement.
La négociation, ainsi « cadrée », n'ayant pas abouti après plusieurs mois, le Gouvernement a repris la main et des orientations ont été annoncées le 18 juin dernier par le premier ministre et vous-même, Madame la ministre.
Vous avez exposé ces orientations devant nos collègues députés la semaine dernière. Elles ont été précédées d'une réforme du financement de l'assurance chômage qui en a profondément changé la nature : la substitution de la contribution sociale généralisée (CSG) aux contributions salariales et l'introduction des contributions patronales dans le champ des allègements généraux ont mis fin au caractère assurantiel du régime, sa nouvelle nature restant à préciser. Comme annoncé par le président de la République, les nouvelles règles comporteraient un bonus-malus applicable aux entreprises en fonction du nombre d'inscriptions à Pôle Emploi qu'elles génèrent. Elles modifient également les règles d'indemnisation selon des modalités qui, selon une récente note de l'Unédic, auraient des effets sur 1,2 million de personnes si elles devaient s'appliquer aux personnes actuellement au chômage.
A l'approche du débat d'orientation des finances publiques, nous souhaiterions des précisions sur les conséquences financières de la réforme en année pleine ainsi que sur le calendrier de sa montée en charge.
Sur toutes ces questions, je vous donne donc la parole pour un exposé liminaire avant que les membres de la commission puissent à leur tour vous interroger et je vous fais part de mes excuses pour devoir quitter cette réunion avant son terme. Notre collègue Gérard Dériot prendra la suite.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission afin de vous présenter le troisième volet de la transformation en profondeur du marché du travail. En effet, la réforme de l'assurance chômage que le gouvernement propose fait suite à une première transformation du marché du travail via les ordonnances de septembre 2017 qui ont permis de lever certains freins à l'embauche notamment dans les PME et les TPE. Elles donnent également plus de souplesse dans l'organisation du dialogue social dans les entreprises. A cet égard, j'ai réuni le 28 juin dernier quatre cents directeurs des ressources humaines et syndicalistes qui sont venus témoigner de la nouvelle dynamique du dialogue social engendrée par cette réforme ainsi que de la conclusion de nouveaux types d'accords. Nous avons appelé cette rencontre « les réussites du dialogue social ».
La deuxième étape de notre réforme systémique a été la stratégie de développement des compétences, sujet au coeur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018, ainsi que le plan d'investissement dans les compétences de 15 millions d'euros. Celui-ci a pour objectif de former deux millions de jeunes et de demandeurs d'emploi. Comme vous le savez, cette loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoyait une troisième étape : la transformation des règles de l'assurance chômage afin de lutter contre la précarité et d'inciter les demandeurs d'emploi au retour à l'emploi. L'article 57 de cette loi prévoyait que le Gouvernement transmettrait à cette fin un document de cadrage aux partenaires sociaux. Cette transmission s'est faite en septembre dernier. Elle a d'ailleurs été précédée d'une phase de concertation, afin d'établir un diagnostic partagé avec les partenaires sociaux.
Les partenaires sociaux ont ensuite accepté de négocier pour une durée maximale de quatre mois. Vers la fin de ce délai, ils ont demandé à pouvoir bénéficier d'un mois supplémentaire. Puis, à la suite du constat d'échec des négociations en février dernier, le Gouvernement a engagé une nouvelle phase de concertation approfondie et intense, prenant la forme d'échanges bilatéraux avec l'ensemble des acteurs concernés : partenaires sociaux, acteurs de terrain... A l'issue de ceux-ci, le Gouvernement a pris ses responsabilités en présentant le 18 juin dernier, par la voix du Premier ministre, les orientations retenues pour cette troisième étape. Il s'agit ainsi d'une réforme pour l'emploi, contre le chômage et la précarité. Elle propose une transformation en profondeur des règles de notre assurance chômage, mais aussi de l'accompagnement des chômeurs. Les décrets prévus par la loi ont été adressés aux partenaires sociaux, pour consultation, ce matin. Ils disposent d'une douzaine de jours pour nous transmettre leurs avis. Au final, ces trois volets forment un tout cohérent et systémique.
Nous en sommes convaincus : le chômage de masse n'est pas une fatalité. Nous pouvons le vaincre, même si ce mal ronge notre société depuis trente ans maintenant. Mais pour y arriver, seule une approche systémique et en profondeur peut réussir. Notre but est de permettre aux actifs, aux salariés et aux demandeurs d'emploi de mieux se former, d'être mieux accompagnés pour trouver un emploi stable ; et pour les entreprises de trouver les compétences dont elles ont besoin pour se développer. Une entreprise sur deux aujourd'hui - et je tiens à rappeler ce chiffre - éprouve des difficultés de recrutement. Vous en connaissez tous dans vos territoires.
Depuis 1958, nous disposons en France d'un régime d'assurance chômage protecteur. C'est une bonne chose et nous en sommes fiers. Pour autant ce régime doit s'adapter en permanence à l'évolution du marché du travail, pour favoriser le retour à l'emploi et lutter contre la précarité. Cette réforme s'articule autour de trois axes.
Premièrement, il faut arrêter la course à la précarité. Les entreprises qui proposent trop souvent et massivement des contrats très courts doivent être responsabilisées. Les contrats très courts sont une spécificité française, qui ne se justifie pas sur le plan économique. On ne peut pas admettre aujourd'hui que 70 % des embauches soient des contrats d'un mois ou moins et qu'un tiers des contrats à durée déterminée (CDD) soient des contrats d'un jour ou moins. Nous avons en quelque sorte réinventé les journaliers en France, ce qui est choquant.
Le deuxième axe est l'incitation de tous les demandeurs à reprendre un emploi, par des règles d'indemnisation plus justes et un accompagnement renforcé et adapté à chacun. Deux principes simples sont posés : personne ne doit gagner plus au chômage que lorsqu'il travaillait ; et nous ne laisserons personne au bord du chemin. Ainsi, chacun doit pouvoir être accompagné de façon plus proactive et intensive vers un retour à l'emploi. Il faut donc trouver des solutions sur mesure, adaptées à chaque territoire, afin de répondre aux problèmes concrets d'accès à l'emploi : la garde d'enfant, le transport, l'accès à la formation nécessaire afin de répondre à une offre d'emploi disponible... On ne peut pas se satisfaire d'un taux de chômage de 8,7 %, même s'il baisse depuis deux ans. En outre, au moment où la dynamique du marché du travail est encourageante, on ne peut pas admettre que des centaines de milliers d'entreprises peinent à recruter, notamment les TPE et les PME qu'il s'agisse d'artisans, de commerçants ou d'industriels. J'ai même rencontré des entreprises qui ont été obligées de mettre la clé sous la porte et alors même qu'elles ont dû refuser des commandes en raison de difficultés pour embaucher. J'étais récemment à Franconville dans un EHPAD, secteur qui peine à recruter.
Pour gagner la bataille de l'emploi et faire reculer la précarité, nous nous engageons sur plusieurs fronts : une plus forte responsabilisation des employeurs, une modification des règles d'indemnisation afin qu'elles incitent à la reprise d'un emploi stable, de nouveaux droits pour les salariés, et enfin un meilleur accompagnement des demandeurs, des entreprises et des territoires. En effet, il existe aujourd'hui d'importantes différences dans l'accès à l'emploi et aux ressources d'un territoire à un autre. Je vais développer ces points successivement.
Lorsque l'on voit l'explosion des contrats courts, on se rend compte que certaines entreprises les utilisent au-delà de la nécessité de couvrir un besoin ponctuel et imprévisible. Il existe ainsi de très nombreux cas dans lesquels deux entreprises concurrentes de même taille, dans le même territoire n'ont pas le même système de gestion des ressources humaines : alors que l'une fait majoritairement appel à des contrats à durée indéterminée (CDI) et recourt à des CDD pour des surcroits de besoins inopinés, l'autre a plus de la moitié de ses effectifs employés en contrats extrêmement courts. Cette pratique se fait au détriment des salariés évidemment, de la sécurité au travail, car l'on constate que les accidents du travail touchent le plus souvent de tels contrats, et parfois de la qualité des produits et des services. Mais, cela se fait également au détriment de la collectivité, car les contrats courts représentent pour l'assurance chômage un déficit annuel de 9 milliards d'euros. Il n'est donc pas juste que l'entreprise faisant des efforts pour mieux organiser son travail paye les mêmes cotisations d'assurance chômage que l'entreprise qui recourt systématiquement aux contrats précaires. C'est la raison pour laquelle nous allons installer un système de bonus-malus dans les sept secteurs qui ont le plus recours à ces contrats et créent le plus de précarité : l'industrie agroalimentaire, y compris les boissons et le tabac, la production et la distribution d'eau, l'assainissement et la gestion des déchets, la dépollution, la publicité et les sondages, l'hébergement et la restauration, les transports et la logistique, le travail du bois et du papier, la fabrication des produits en caoutchouc et plastiques. Afin de vous donner un ordre d'idées du recours à ces contrats très courts dans ces secteurs, en moyenne les entreprises concernées ont trois contrats précaires pour deux contrats stables, soit par exemple 15 CDD pour 10 CDI ou 150 intérimaires pour 100 CDI.
Les entreprises de moins de 11 salariés ne seront pas concernées par ce bonus-malus et les contrats d'apprentissage, de professionnalisation et d'insertion ne seront pas pris en compte dans le calcul. Le bonus-malus fonctionnera comme ceci : plus le nombre de salariés s'inscrivant à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise est élevé par rapport à son effectif, plus l'entreprise paiera de cotisations patronales à l'assurance chômage. Inversement, plus elle fait d'efforts, moins elle paiera de cotisations. Les cotisations patronales représentent aujourd'hui 4,05 % de la masse salariale. Demain, elles varieront pour les entreprises de ces secteurs entre 3 et 5 % en fonction des pratiques. L'entreprise bénéficie de nombreux leviers pour allier flexibilité et moindre précarité : la négociation sur l'annualisation du temps de travail permise par les ordonnances, les CDI intérimaires que nous avons confortés avec une base juridique plus stable via la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les groupements d'employeurs, les contrats de chantier. Nous commençons des discussions avec chacun des secteurs concernés afin de les aider à trouver des solutions favorisant des emplois stables.
En outre, les CDD d'usage (CDDu) se verront appliquer une taxe forfaitaire de 10 euros par contrat, afin d'inciter les entreprises à proposer des contrats un peu plus long. Il est fréquent qu'une entreprise multiplie parfois jusqu'à 160 ou 200 fois des CDDu avec la même personne et pour exercer la même tâche. Dans un tel cas, on ne peut pas dire que la compétence de cette personne n'est pas reconnue ou que les besoins ne soient pas récurrents.
En contrepartie, les entreprises bénéficieront d'une nouvelle offre de services de la part de Pôle emploi, basée sur une obligation de résultat. Dès lors qu'une offre d'emploi sera restée sans réponse pendant 30 jours, Pôle emploi contactera l'entreprise afin de lui proposer un service adapté : retravailler le contenu de l'offre qui parfois n'est pas clair, est peu motivant ou ne correspond pas au marché ou encore organiser une présélection de candidats avec un engagement ferme sur le délai de mise en oeuvre.
J'en viens maintenant au deuxième axe : transformer les règles d'indemnisation pour inciter au retour à l'emploi stable. Le premier principe que nous posons, je l'ai déjà indiqué, est qu'il ne sera plus possible de gagner davantage au chômage qu'en travaillant. Les règles actuelles aboutissent aujourd'hui à ce que plusieurs centaines de milliers de personnes touchent des allocations chômage supérieures à la moyenne des revenus de son travail. C'est le cas notamment des personnes alternant des contrats très courts, et qui peuvent au chômage toucher une indemnité supérieure de 10, 20 voire 100 % à ce qu'elles gagnaient en travaillant. Ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais les règles. Le bon sens veut qu'un système dans lequel on gagne davantage au chômage qu'en travaillant soit réformé.
Notre conviction est que les indemnités chômage doivent obéir à un principe simple, clair et équitable : à travail égal, allocation égale. Le même montant d'euros gagnés sur la même période doit donner droit à la même indemnisation sur la même durée. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Cette modification signifie concrètement que les allocations chômage ne seront plus calculées en fonction du salaire journalier de référence, mais en fonction du revenu mensuel moyen. Personne ne verra son capital de droits diminuer : ce dernier sera seulement réparti différemment sur la durée. Ainsi, si le montant de l'indemnisation pour ces personnes sera plus faible, elles seront indemnisées plus longtemps. Les indemnités chômage ne pourront jamais être inférieures à 65 % ni supérieures à 96 % du salaire net mensuel moyen. Aujourd'hui, les indemnités peuvent atteindre 200 % de ce salaire. Un salarié qui a gagné en moyenne 1 200 euros net par mois sur un an, que ce soit de façon continue ou fractionnée, percevra une indemnité de 960 euros par mois. Ces nouvelles règles entreront en vigueur au 1er avril 2020, afin de laisser à Pôle emploi le temps d'informer les bénéficiaires et surtout de mettre en place un nouvel accompagnement sur mesure, notamment pour le travail précaire. Nous ne touchons pas aux règles « d'activité conservée » qui concernent notamment les assistantes maternelles.
Le deuxième principe est qu'il faudra travailler davantage pour ouvrir des droits à l'assurance chômage. Aujourd'hui, il faut avoir travaillé 4 mois sur les 28 derniers mois. Ce principe avait été mis en place par les partenaires sociaux en 2009, pour répondre à la crise. Ces règles sont uniques en Europe. Sont-elles toujours justifiées alors que le chômage baisse de manière continue depuis deux ans ? Il est temps d'adapter cette règle au contexte actuel. Nous relevons donc le seuil d'ouverture des droits à 6 mois travaillés sur les 24 derniers mois. Notre régime restera toujours l'un des pays les plus protecteurs d'Europe. Le principe de rechargement des droits, créé par les partenaires sociaux en 2014, sera maintenu, mais le seuil de rechargement sera ramené à six mois, au lieu d'un mois.
Le troisième principe relatif aux modalités d'indemnisation du chômage est la prise en compte du niveau de qualification des salariés. Plus le niveau d'indemnisation est élevé, moins il y a de chômage et moins la durée de chômage est importante. Ainsi, pour les plus hauts salaires, le taux de chômage est de 3,8 % : le chômage qui reste est donc frictionnel et on peut considérer que pour cette catégorie de salariés, nous sommes en plein emploi. Je traiterai du cas des seniors plus tard, car il est spécifique. Il faut admettre qu'un certain niveau d'indemnisation n'incite pas au retour à l'emploi. Là encore, ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais les règles. Demain, les salariés qui touchent un revenu brut supérieur à 4 500 euros par mois verront leur indemnisation baisser de 30 % au bout de 7 mois, avec un niveau plancher fixé à 1 261 euros. Dans ce cas également, le système français reste le plus protecteur d'Europe. Les salariés âgés de 57 ans et plus ne seront pas concernés par cette mesure de dégressivité. Nous savons en effet que le marché du travail des seniors est spécifique. Ils subissent une vraie éviction du marché du travail. C'est la raison pour laquelle nous ouvrirons une concertation avec les partenaires sociaux sur ce thème.
Nous allons également renforcer les droits pour les salariés, les indépendants et les demandeurs d'emploi. Nous allons créer des droits attachés à la personne. Les dispositifs créés par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel sont en train de se mettre en place. Je pense au compte personnel de formation. L'application prévue par la loi permettra à 25 millions d'actifs de choisir librement leur formation. Elle sera pleinement effective d'ici à fin novembre.
Nous allons aujourd'hui plus loin, car nous ouvrons des droits pour les salariés démissionnaires. Ce sujet a déjà été évoqué lors du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : en cas de création ou de reprise d'une entreprise ou de reconversion, les salariés démissionnaires pourront bénéficier de l'assurance chômage dans les mêmes conditions que les autres demandeurs d'emploi. Pour pouvoir en bénéficier, il faudra avoir travaillé cinq ans en continu. En outre, cette possibilité sera offerte plusieurs fois au cours de la vie professionnelle. Les travailleurs indépendants auront désormais droit à une indemnité, sans cotisation supplémentaire. Cette indemnisation sera de 800 euros par mois pendant six mois. Je rappelle qu'aujourd'hui des agriculteurs, des artisans, des commerçants mettant la clé sous la porte se retrouvent du jour au lendemain littéralement sans rien. Ces situations créent des drames. Peut-être faudra-t-il aller un jour plus loin, avec un système de cotisation, mais ce que nous proposons permettra la mise en place d'un premier filet de sécurité le temps de se retourner ou de trouver une solution. Pour pouvoir en bénéficier, il faudra avoir généré un revenu minimum de 10 000 euros en moyenne sur les deux dernières années - cela peut être 15 000 euros une année, et 5 000 euros l'autre.
Enfin, dernier point, mais tout aussi important, nous réformons l'accompagnement. Les partenaires sociaux et l'État ont beaucoup travaillé sur la nouvelle convention tripartite de Pôle emploi, qui sera bientôt signée. Tous les demandeurs d'emploi qui le souhaitent auront droit dans les quatre premières semaines suivant leur inscription à Pôle emploi à deux demi-journées d'accompagnement intensif. Aujourd'hui, la moyenne est de deux rendez-vous dans les deux premiers mois, d'une durée de 45 minutes. Tous les pays qui ont mis en place cet accompagnement précoce ont de très bons résultats. Les raisons sont évidentes. Au bout de six mois de chômage, on perd confiance en soi et il devient de plus en plus difficile de retrouver un emploi. Nous avons testé ce dispositif dans plusieurs agences. Je suis allée à Nice. Les premiers résultats sont spectaculaires. Les demandeurs d'emploi eux-mêmes nous indiquent que cette prise en charge précoce change tout. Ils se sentent accompagnés, soutenus.
En outre, tous les demandeurs d'emploi en situation de précarité bénéficieront d'un accompagnement dédié. Je parle ici de personnes qui alternent des contrats très courts. Aujourd'hui, ces personnes sont à la disposition des employeurs, dans l'attente d'un appel téléphonique parfois la veille pour le lendemain, voire le matin pour l'après-midi. Elles ne sont donc jamais disponibles pour faire des recherches d'emploi, ou participer à des formations, des ateliers de recherche d'emploi. Pour ces personnes, nous allons confier à des opérateurs spécialisés la mise en place d'une aide sur mesure, par exemple par l'organisation de formations et d'un accompagnement en soirée ou le week-end.
Par ailleurs, tout demandeur d'emploi qui reçoit une proposition d'emploi stable, mais nécessitant une formation, aura droit à cette dernière qui sera sur mesure. Vous entendez souvent sur le terrain, je pense, que l'offre d'emploi n'a pas pu être pourvue en raison d'un manque de formation. Aujourd'hui, certains employeurs seraient prêts à embaucher quelqu'un sous réserve qu'il puisse être formé, mais ils n'ont pas toujours le financement pour le faire. Nous allons utiliser une part importante du plan d'investissement dans les compétences, afin de garantir, à chaque fois qu'il y a un écart de formation pour une personne qui serait embauchée si elle possédait la compétence requise, un financement de la formation.
Nous sommes conscients que la situation de l'emploi est très différente d'un territoire à un autre : rural, urbain, métropole, outre-mer. Les taux de chômage varient, ne serait-ce qu'en métropole d'un territoire à un autre. Dans certains départements ce taux est de 5 ou 6 %. On est donc presque en plein emploi. En revanche, dans le département des Pyrénées-Orientales, le taux est de 14 % ; il est de 18 % dans les outre-mer. Aujourd'hui, un nombre important de chômeurs, notamment de demandeuses d'emploi, ne peuvent pas accepter une offre d'emploi pour des raisons de garde d'enfants, de transport ou de logement. Le cas typique est l'obtention d'une place en crèche : pour en avoir une, il faut un CDI, mais pour obtenir un CDI, il y a une période d'essai qui ne permet pas de bénéficier de ce mode de garde. Ces problèmes sont donc extrêmement concrets. Pour y faire face, nous devons proposer des mesures opérationnelles, qui ne passent pas forcément par des mesures nationales. Le Premier ministre a demandé une mobilisation territoriale des partenaires sociaux, des élus locaux, mais aussi des CAF, d'Action logement ; bref de tous les acteurs du territoire. Nous travaillons actuellement sur des solutions concrètes afin de lever ces freins à l'embauche.
La transformation de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des entreprises nécessite 4 000 équivalents temps plein à Pôle emploi. Cette évolution sera possible en raison de plusieurs facteurs. Tout d'abord, nous mettons fin à la diminution des effectifs précédemment envisagée. Par ailleurs des gains de productivité importants en raison de la numérisation sont attendus. Troisièmement, la baisse du chômage permet de libérer du « temps-homme ». Enfin, nous allons recruter 1 000 agents supplémentaires dans les prochaines années.
L'ambition des trois volets de cette réforme est de réduire le chômage d'au moins 150 à 250 000 personnes mais aussi d'améliorer la qualité des emplois retrouvés et donc de réduire la précarité. Nous voulons permettre aux entreprises de trouver la main d'oeuvre qu'elles recherchent, mais nous souhaitons aussi les responsabiliser. Tous les acteurs doivent se mobiliser, ensemble, afin de gagner cette bataille des compétences et de l'emploi. Je pense que nous pouvons y arriver.
Mme Frédérique Puissat. - Madame la ministre, je tiens tout d'abord à saluer votre présence, car cette dernière ne relève d'aucun calendrier législatif, mais répond à une invitation lancée par le Président du Sénat.
Certes, vous ne nationalisez pas l'Unédic, mais force est de constater que le paritarisme est mis à mal, fait renforcé par la disparition progressive des cotisations salariales qui légitiment la place des partenaires sociaux.
Sur le fond, et ces propos n'engagent que moi, certaines des mesures proposées me paraissent intéressantes. Bien évidemment, je serai attentive aux effets qu'elles produiront sur le terrain. Plusieurs points nécessitent néanmoins des éclaircissements.
En ce qui concerne la gouvernance, vous l'avez rappelé madame la ministre, depuis 1958 les partenaires sociaux élaborent les règles de l'assurance chômage. Le pouvoir exécutif intervient à titre subsidiaire. Le Président de la République peut toutefois aujourd'hui s'immiscer dans le débat de l'assurance chômage - nous avons pu le constater lors de son allocution devant le Congrès il y a quelques mois. La négociation désormais est strictement encadrée par l'exécutif. Dans ces conditions, la gouvernance de l'assurance chômage est-elle appelée à évoluer ? Ne vous semble-t-il pas intéressant que le Parlement puisse intervenir dans ce débat ?
Nous l'avions proposé lors du débat sur le projet de loi Avenir professionnel. L'introduction d'une part de CSG ainsi que la création de prestations non contributives pour les indépendants ont brouillé le périmètre financier du régime. Nous avons évoqué ce point la semaine dernière avec la Cour des comptes. Ne serait-il pas cohérent, désormais, d'inclure dans le périmètre du projet de loi de financement de la sécurité sociale les comptes de l'assurance chômage ? Le projet de loi de financement de la sécurité sociale indiquait que sur les 11 milliards d'euros prévus pour l'Unédic, seuls 10 milliards d'euros lui avaient réellement été versés, alors même que cet organisme estimait nécessaire un versement de 14 milliards d'euros pour équilibrer son budget. Or, aujourd'hui, les budgets sont éclatés, et nous ne disposons pas, par conséquent, d'une vision globale en la matière.
Disposez-vous d'une estimation du coût de l'indemnisation des démissionnaires et des indépendants ?
Pouvez-vous nous rappeler les montants retenus pour qualifier un très haut revenu, en matière de dégressivité des allocations chômage ? Lorsque l'on parle de 4 500 euros bruts, cela représente 3 500 euros nets. Dès lors, l'allocation mensuelle serait de 2 600 euros bruts. Pouvez-vous confirmer ces chiffres ? En outre, ne pensez-vous pas qu'une baisse des indemnités au bout de sept mois puisse mettre un certain nombre de cadres en difficulté ? Ces derniers peuvent avoir des charges de famille ou des crédits à rembourser par exemple.
Vous avez retenu sept secteurs pour la mise en place d'un système de bonus-malus sur le recours aux contrats courts. Pourquoi avoir exclu le BTP ou le secteur médico-social ? Comment ce système de bonus-malus va-t-il s'articuler avec les exonérations générales de cotisations sociales des employeurs ?
Enfin, vous avez indiqué à l'Assemblée nationale la semaine dernière que les effets de cette réforme seront évalués par des chercheurs indépendants. Les partenaires sociaux et le Parlement seront-ils associés à cette évaluation ?
Mme Catherine Fournier. - Cette réforme doit permettre l'indemnisation des démissionnaires et des indépendants. Or, le gouvernement cherche à faire des économies sur l'assurance chômage. Pourriez-vous nous indiquer une estimation du coût de cette mesure ?
Vous avez indiqué qu'une manière de sécuriser les travailleurs précaires était le recours au CDI intérimaire. Pour l'application du bonus-malus, les fins de mission d'intérim seront-elles exclues du décompte des fins de contrats de l'entreprise utilisatrice ? Qu'en est-il des démissions, des ruptures conventionnelles, ou encore des licenciements pour faute ?
N'aurait-il pas été plus pertinent de remettre de l'ordre dans les critères de recours du CDD d'usage, plutôt que de créer un nouveau système de bonus-malus éminemment plus complexe ? L'article D. 1242-1 du code du travail établit la liste des secteurs d'activité pouvant avoir recours aux CDD d'usage. Ceux-ci n'offrent aucune sécurité aux salariés. Aussi, certains secteurs et branches utilisatrices de ce type de CDD ont inclus dans leurs négociations collectives des protections supplémentaires pour les salariés. Est-il justifié qu'elles soient pénalisées par la même taxation que les autres CDD d'usage ?
M. Philippe Mouiller. - Ma question porte sur l'emploi des personnes handicapées et sur l'avenir des acteurs chargés de l'insertion et du maintien dans l'emploi de ces personnes. En effet, depuis le vote de la loi relative à la liberté de choisir son avenir professionnel, nous n'avons cessé de recueillir les nombreuses inquiétudes de l'ensemble des acteurs du travail protégé et adapté. Nous souhaitons aujourd'hui connaître vos projets concernant la réforme de l'Agefiph (Association de gestion du Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) et son éventuelle absorption par Pôle emploi. Nous sommes bien conscients des difficultés de son modèle financier actuel et de l'intérêt de faire porter la promotion d'un travail plus inclusif par le service public de l'emploi. Pour autant, l'Agefiph assure des missions spécifiques - comme les missions de conseil et d'expertise, la gestion du contrôle de la déclaration d'obligation d'emploi ou encore le rescrit de toute demande d'un employeur au regard de ses obligations - qu'il serait difficile de transférer à un service public de l'emploi généraliste. Pouvez-vous rassurer les acteurs actuels de l'insertion et du maintien dans l'emploi, dont le travail présente des spécificités difficilement fongibles dans un service généraliste ?
M. René-Paul Savary. - Vous avez indiqué qu'il y aurait une exonération à la dégressivité des indemnités pour les personnes de 57 ans et plus. Comment cette limite d'âge a-t-elle été choisie ? Je mène avec Mme Lubin une mission sur l'emploi des seniors. Or, les difficultés commencent bien avant cet âge. En outre, il existe des préjugés terribles sur la capacité des salariés âgés à s'adapter, alors même que dans les entreprises les salariés et employeurs constatent que les salariés âgés disposent d'une faculté d'adaptation aussi développée que chez les travailleurs plus jeunes. Quelles mesures comptez-vous prendre afin de lutter contre ces préjugés ?
Mme Monique Lubin. - Je m'intéresse aux droits rechargeables. Toutes les observations démontrent que passé 55 ans, il est aujourd'hui quasiment impossible de retrouver un emploi stable. Pourquoi durcir les conditions liées aux droits rechargeables qui pénaliseront principalement les plus de 55 ans ? En outre, les demandeurs d'emploi âgés sont-ils suffisamment accompagnés pour retrouver un emploi ou existe-t-il toujours implicitement une forme de dispense de recherche d'emploi passée un certain âge ? On parle beaucoup des actions de formation et d'accompagnement ciblant les jeunes. Un effort de même nature est-il réalisé en faveur des seniors ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Nous ne changeons pas les principes de la gouvernance de l'assurance chômage qui existent depuis 1958. Ce sont en première instance les partenaires sociaux qui définissent les règles d'indemnisation de l'assurance chômage, sauf lorsqu'ils n'y arrivent pas. Cette situation de blocage n'est pas inédite dans l'histoire de l'Unédic. L'État a été amené à définir les règles de l'assurance chômage au début des années 1980 et au début des années 2000. Il le fait à nouveau aujourd'hui. Tout comme vous, je regrette vivement que la négociation n'ait pas pu aboutir : il est toujours préférable que ce soient les partenaires sociaux qui définissent les règles. Mais il me semble important, en cas de constat d'échec, que le Gouvernement prenne ses responsabilités. Les difficultés de notre système sont nombreuses : elles sont d'ordre financier, les demandeurs d'emploi sont confrontés à des règles inéquitables, et les entreprises éprouvent des difficultés pour trouver les compétences dont elles ont besoin. Je pense qu'il aurait été irresponsable de ne pas prendre nos responsabilités et de ne pas procéder à cette réforme.
Je tiens également à rappeler que l'encadrement de la négociation est prévu par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. En outre, ce système assurantiel n'est pas totalement indépendant. Je ne connais aucun autre système assurantiel qui ait 33 milliards d'euros de dette, garantis par l'État. Par ce biais, l'État est donc depuis longtemps déjà partie prenante de ce sujet. En outre, aux yeux de nos concitoyens, le Gouvernement doit répondre du taux de chômage.
En 2009, notre système a permis d'amortir le choc de la crise, en comparaison à d'autres pays. 470 000 emplois nets ont été créés depuis deux ans, dont 93 000 au premier trimestre, et pourtant une entreprise sur deux ne trouve pas les compétences dont elle a besoin. Il y a une vraie dynamique en termes de créations d'emplois. Aussi, il est normal au moment où le régime va mieux de commencer à se désendetter. Dans le cas contraire, nous ne pourrons pas faire face à une nouvelle crise dans 10 ou 15 ans. La Nation n'aura pas la capacité de réinjecter 10 milliards d'euros supplémentaires. Par ailleurs, nous avons renforcé le pouvoir d'achat des salariés, en supprimant les cotisations salariales à l'assurance chômage. C'est la CSG et donc les contribuables qui payent la part de cotisation des salariés.
Dans les débats budgétaires de fin d'année, l'affectation de la CSG à l'assurance chômage est prévue de façon à compenser intégralement les cotisations salariales supprimées. Mes services travaillent actuellement avec l'Unédic pour ajuster au mieux cette part de CSG affectée. Je tiens également à rappeler qu'il n'est pas envisagé de supprimer les cotisations employeurs.
La question que vous posez sur la gouvernance est réelle. Cette dernière, si elle est claire d'un point de vue juridique, est beaucoup plus hybride dans les faits avec l'État qui est forcément présent : il intervient par l'impôt et la dette. Peut-être est-ce prématuré de discuter aujourd'hui de la gouvernance, mais nous sommes conscients avec les partenaires sociaux qu'il faudra l'évoquer.
La France a le régime le plus favorable pour les personnes les plus qualifiées. Aujourd'hui, on peut toucher jusqu'à 6 600 euros net d'indemnisation par mois pendant deux ans, pour des personnes qui gagnaient 8 000 voire 10 000 euros par mois. Certes, ces cas sont rares, mais il faut savoir que nous sommes largement au-dessus des plafonds des autres pays, dont le montant maximal de l'indemnité avoisine 2 300 euros. Cela ne signifie pas que dans ces pays les cadres gagnent moins, mais on estime que le système assurantiel doit servir d'abord à ceux qui gagnent le moins et en ont le plus besoin. Avec un taux de chômage de 3,8 % chez les cadres, nous sommes pour ainsi dire dans un chômage frictionnel entre deux emplois. Aussi, il est logique que notre système assurantiel et de solidarité s'adresse en priorité à ceux qui en ont le plus besoin. Pour les revenus les plus élevés - ceux qui ont le plus de facilité pour retrouver un emploi -, on arrive à des aberrations, puisque l'indemnisation moyenne est de 575 jours, alors qu'elle est en moyenne de 300 à 350 jours pour l'ensemble des demandeurs d'emploi. Les règles induisent donc des comportements non adaptés. Je tiens également à souligner que les périodes de carence ne sont pas prises en compte dans les sept mois. En pratique, la dégressivité commencera donc plutôt à partir de 9 ou 10 mois.
Pour les salariés de plus de 56 ans, plusieurs éléments doivent être pris en compte. Comme vous l'avez souligné, la qualité de l'accompagnement doit progresser. La mise en place du compte personnel de formation monétisé sera opérationnel à partir de novembre. Les salariés vont donc découvrir les montants disponibles sur ce compte pour se former. En outre, ils auront accès à de l'information dont ils ne disposent pas généralement aujourd'hui. C'est d'ailleurs l'une des difficultés pour la reconversion. Nous constatons également qu'au bout d'un moment, les entreprises diminuent leurs efforts de formation. Or, aujourd'hui, à 55 ou 57 ans, lorsqu'on n'a pas de problème de santé, on est encore jeune. Une concertation va être menée avec Jean-Paul Delevoye et les partenaires sociaux sur l'emploi des seniors. Les entreprises ne peuvent pas à la fois dire ne pas trouver les compétences et en même temps fermer la porte aux jeunes en raison de leur manque d'expérience et aux seniors parce qu'ils en ont trop ou parce qu'ils seraient dépassés par la nouveauté.
Nous avons constaté que le plan d'investissement dans les compétences était très ciblé sur les jeunes et les demandeurs d'emploi de longue durée. Nous avons également fait très attention aux outre-mer et aux personnes en situation de handicap. Mais les seniors ne sont pas ciblés. Nous allons désormais faire des efforts dans ce sens avec une obligation de prendre en compte cette catégorie d'actifs. D'ailleurs, des entreprises qui se sont lancées dans l'embauche des seniors découvrent qu'il est très intéressant d'avoir dans un collectif de travail des personnes d'âges différents, avec des expériences variées. Pôle emploi doit changer son approche, afin que des offres soient clairement proposées à des personnes de 56, 57 ou 60 ans voulant travailler.
Pour le choix des secteurs concernés par le bonus-malus, nous avons ciblés ceux ayant un usage excessif des contrats très courts. Tous ces secteurs ont plus de 150 contrats courts pour un contrat stable. Une évaluation sera faite dans deux ans, pour vérifier si le système produit des effets. Rien n'empêchera de l'adapter ou de le généraliser. Si c'est une nouveauté en France, cette pratique existe depuis plus de vingt ans aux États-Unis - pays que l'on ne peut pas accuser de ne pas être libéral - avec beaucoup de succès. Je crois en la responsabilisation des employeurs. En fin d'année, ou en début d'année prochaine, nous proposerons un simulateur aux entreprises des branches concernées, afin qu'elles puissent connaître les taux de cotisation auxquelles elles seront soumises si elles ne changent pas de pratiques. Il y aura un taux pour chaque secteur. L'hôtellerie-restauration n'a en effet pas les mêmes contraintes que l'industrie du caoutchouc.
L'intérim sera bien pris en compte dans le bonus-malus : sont concernés tous les contrats courts et de manière plus générale toutes les inscriptions à Pôle emploi. Les quelques CDI retournant à Pôle emploi restent marginaux dans le nombre total. Il faut prendre en compte l'intérim, sinon nous allons constater un déport des CDD vers l'intérim. En revanche, je rappelle que pour le CDI intérimaire, c'est l'entreprise de travail temporaire qui embauche en CDI et qui place les intérimaires en fonction des besoins. Ces personnes ne s'inscrivent donc pas à Pôle emploi et ne seront pas comptabilisées dans le bonus-malus.
Une solution peut également être les groupements d'employeurs. Le secteur agricole a beaucoup recours à cette solution. Il en existe 3 000 actuellement. Nous souhaitons soutenir leur développement, car le groupement d'employeurs permet une certaine flexibilité pour l'employeur et une sécurité pour le salarié. Cela prend de l'ampleur dans le tourisme par exemple, pour des activités saisonnières : le groupement d'employeurs permet, sur un même territoire ou un territoire différent, d'avoir des activités complémentaires en fonction des saisons.
L'idée n'est pas de laisser les entreprises seules face à ce problème. Nous allons les aider à trouver des solutions pour un management plus raisonné de l'emploi précaire.
Des chercheurs indépendants procéderont à une évaluation économique et en termes d'emploi de cette réforme. Bien évidemment, un débat aura lieu avec les partenaires sociaux et, si vous le souhaitez, je serai ravie de revenir devant vous.
Officiellement, la loi a autorisé les CDD d'usage dans un nombre limité de secteurs. Or, on constate un dérapage complet. Certains secteurs l'utilisent alors qu'ils n'en ont pas le droit. Nous allons intervenir pour y remédier. La taxation de 10 euros sur les CDD d'usage sera la même que le contrat dure 3 ou 6 mois. Cela aura un effet sur ceux qui abusent des contrats extrêmement courts. Il faut savoir que neuf fois sur dix, c'est la même personne qui est embauchée sur le même poste et dans la même entreprise, sans bénéficier d'une prime de précarité. Il faut être raisonnable et avoir une gestion des ressources humaines plus équilibrée. Avec cette taxation des contrats très courts, au lieu d'embaucher une personne pour 3 heures un jour, pour 4 heures le lendemain, et pour 3 heures le surlendemain, l'entreprise se demandera s'il n'est pas mieux de faire un unique contrat de trois jours. D'ailleurs, cette mesure a été proposée par le patronat dans la concertation, et va permettre d'assainir les pratiques.
Pour les personnes handicapées, Pôle emploi et les acteurs spécialisés se sont rapprochés, mais à aucun moment il n'est question d'une fusion. D'ailleurs, on constate une coopération renforcée entre Pôle emploi et les acteurs du handicap qui fonctionne bien. Auparavant, les personnes handicapées souffraient en plus d'un handicap administratif, car elles devaient faire une double démarche et la navette entre les différents acteurs. Une équipe spécialisée sur le sujet du handicap a été constituée en partenariat avec Cap emploi. Cela donne des résultats intéressants. Il ne s'agit pas d'une révolution institutionnelle, mais d'un rapprochement pour mener un travail en commun.
Par ailleurs, l'Agefiph a des fonctions beaucoup plus larges que le retour et maintien dans l'emploi. Avec Sophie Cluzel, secrétaire d'État en charge du handicap, nous menons actuellement des travaux sur le sujet, en lien avec les partenaires sociaux. Tout le monde s'accorde pour dire que la situation actuelle n'est pas satisfaisante et doit être améliorée. Nous prenons le temps d'une concertation approfondie. Nous reviendrons vers vous à ce sujet.
Mme Pascale Gruny. - Concrètement, comment fait un traiteur, chef d'une entreprise de 10 salariés, qui doit assurer un évènement sur deux jours et doit pour cela embaucher 50 personnes ? Ces entreprises vont être soumises à cette taxe sur les contrats courts.
Par ailleurs, pourquoi les intermittents sont-ils exclus de cette réforme de l'assurance chômage ?
Vous nous dites que les cadres peuvent facilement retrouver du travail. Venez dans le département de l'Aisne : la situation est toute autre ! Vous voulez diminuer leurs indemnités. Or, les cadres ont des dépenses adaptées à leurs salaires, ils ont une maison qu'ils ne peuvent pas vendre du jour au lendemain, des charges de familles. Leurs proches risquent d'être encore plus déstabilisés par ce plafonnement des indemnités.
Le discours continu de ces dernières années a été de vouloir diminuer les effectifs à Pôle emploi. On parle beaucoup de bien-être au travail. Le bien-être des agents de Pôle emploi ne doit pas être oublié. Je connais plusieurs cas d'agents de Pôle emploi en difficulté. Ils reçoivent des personnes en situation précaire. S'ils sont trop surchargés, ils ne pourront pas accompagner au mieux les demandeurs d'emploi.
Enfin, il faut prendre en compte les contraintes des bassins d'emploi. Sur mon territoire, la mobilité n'est pas aisée. Ce sont les premiers à subir les taxes sur les carburants, les voitures sont de plus en plus chères et on évoque une diminution de la prime à la casse.
Mme Laurence Cohen. - Je regrette vivement la méthode choisie par votre gouvernement, Madame la ministre dans le cadre de la renégociation de la convention Unédic. Elle s'est faite contrairement au principe du paritarisme. En outre, c'est la première fois que le Gouvernement impose un cadre non seulement politique mais aussi financier à la négociation.
L'essentiel des mesures que vous envisagez de prendre par décret consiste soit en la réduction du nombre de demandeurs d'emploi indemnisés en durcissant les conditions d'accès au droit au chômage, soit en la diminution du montant des indemnités allouées. Dès lors, en quoi cette réforme vise-t-elle à lutte contre la précarité ? 1,2 million de chômeurs verront leur situation se précariser davantage selon les chiffres de l'Unédic. Votre objectif premier est de réaliser 3,4 milliards d'euros d'économie d'ici 2021. Comment allez-vous procéder ?
Vous nous dites que l'abaissement de la condition d'affiliation à 4 mois travaillés sur les 24 derniers mois aurait été décidé en 2008 en raison de la crise financière. Or, cette mesure visait en réalité à assouplir les conditions d'accès au chômage pour les chômeurs de moins de 25 ans. Le nombre de jeunes chômeurs a augmenté d'après les chiffres de la Dares. Pensez-vous vraiment que les mesures proposées vont permettre aux jeunes de sortir de la précarité ?
Vous avez annoncé l'embauche de 1 000 agents à Pôle emploi pour renforcer l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Toutefois le budget pour 2019 annonçait une suppression de 800 postes. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur ces embauches ? S'agit-il de CDI ou de CDD ? Quelles seront les missions de ces personnes ?
Vous avez choisi sept secteurs sur les 38 existants pour le bonus-malus, car il s'agissait de ceux ayant le taux de recours aux contrats courts le plus élevé. Mais, alors que votre réforme vise à faire des économies sur le système d'assurance chômage, pourquoi attribuer un bonus aux employeurs qui respectent tout simplement la loi sur l'utilisation des contrats courts ? Je pose d'autant plus cette question que nous savons à la commission des affaires sociales que les exonérations de cotisations sociales vident les caisses de la Sécurité sociale.
M. Olivier Henno. - J'avoue être assez favorable à l'instauration d'un bonus-malus pour les contrats courts. Il existe en effet un mal français des contrats hyper-courts que l'on ne retrouve pas dans les autres pays européens. Toutefois, j'ai du mal à comprendre la logique des sept secteurs retenus. En effet, des entreprises peuvent abuser de ce système dans d'autres secteurs. Le choix de ces secteurs est-il figé pendant deux ans au terme desquels il sera procédé à une évaluation, ou bien une évolution est-elle possible durant cette période ?
J'ai été en charge du RSA dans le département du Nord. L'accompagnement est un point fondamental. Il doit être rapide et efficace. Toutefois, j'ai un doute sur la capacité de Pôle emploi à mener à bien cet accompagnement compte tenu des objectifs ambitieux que vous fixez. Cet accompagnement sera-t-il fait forcément en interne par Pôle emploi, ou envisagez-vous des délégations de Pôle emploi à d'autres structures ?
Mme Michelle Meunier. - Je souhaite revenir sur la situation des assistantes maternelles. Le mouvement du printemps dernier est inédit, puisque les assistantes maternelles, en marge des gilets jaunes, se sont regroupées pour défendre leurs modalités d'accès à l'assurance chômage. Je salue leur mobilisation, car nous connaissons tous leur rôle, le travail qu'elles effectuent, les faibles revenus qu'elles touchent. Vous avez annoncé des mesures de maintien, ou en tout cas pas de refonte de leurs droits entre la fin d'un contrat et la signature d'un nouveau contrat d'accueil d'un enfant. Pouvez-vous nous assurer de ce point ? En effet, elles se sont réunies en assemblée générale le 29 juin dernier, et des craintes persistaient quant aux règles d'ouverture de leurs droits. Vous évoquez la précarité. Or, ce sont souvent des femmes qui sont concernées ; il en est de même pour tous les services à la personne.
M. Martin Lévrier. - Ma question rejoint celle de notre collègue Olivier Henno. L'accompagnement individualisé me paraît être un élément essentiel. J'ai toujours été gêné par l'expression « d'assurance chômage ». L'objet de l'Unédic, c'est de retrouver du travail, pas d'être protégé dans son chômage.
Vous indiquez deux journées de formation au cours du premier mois. Est-ce que cela sera proposé à tous types de chômeurs, ou est-ce réservé à des publics spécifiques ? En quoi consistera cet accompagnement ? Quel sera le lien avec le compte personnel de formation ?
Enfin, de nombreux employeurs m'indiquent que le logiciel de Pôle emploi est considéré comme obsolète et leur fait perdre beaucoup de temps.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Permettez-moi de revenir sur une question précédente à laquelle je n'ai pas répondu. Seront pris en compte pour le bonus-malus tous les retours à Pôle emploi à l'exception des contrats d'insertion, des contrats d'apprentissage, mais également des démissions, parce que l'on ne peut pas imputer une démission à un employeur. En revanche, un licenciement ou une rupture conventionnelle seront pris en compte. Les secteurs concernés sont figés pour deux ans.
La taxe sur les CDD d'usage concerne très largement des secteurs où le recours aux contrats de très courte durée est très fréquent. Ce que l'on met en cause n'est pas le recours à ce type de contrat, mais le caractère excessif de celui-ci.
Nous mettons en place un bonus, car toutes les entreprises, qu'elles bénéficient d'un bonus ou subissent un malus, respectent la loi. La loi n'interdit pas le recours aux contrats courts et nous ne proposons pas cette interdiction. Il faut laisser au marché une respiration. Une entreprise doit néanmoins accepter les conséquences d'un recours excessif à ces derniers. En effet, leur coût est actuellement porté à la fois par la société et par les salariés qui se retrouvent dans une situation très précaire : ils ne peuvent pas se loger, faire de projets car ils sont suspendus à un appel pour un contrat le lendemain. Les contrats courts génèrent 9 milliards d'euros de déficit à l'assurance chômage. Il est donc normal que ceux qui en abusent - pas au sens législatif ou réglementaire du terme, mais au sens sociétal - payent plus de cotisations d'assurance chômage. Au contraire, ceux qui font des efforts de gestion des ressources humaines, en anticipant les besoins, par l'annualisation du temps de travail, le recours à des groupements d'employeurs ou encore avec des CDI intérimaires, doivent être encouragés : le marché du travail s'en sortira mieux ; les comptes de l'assurance chômage et les salariés précaires aussi.
Il faut savoir que, pour les intermittents du spectacle, il y a une sorte de malus collectif. En effet, la cotisation employeur est de 8 % et non de 4,05 %. En outre, les règles relatives à l'intermittence du spectacle étant spécifiques, il n'est pas possible de changer un critère sans une refonte générale du système. Dès lors, à chaque fois que les partenaires sociaux négocient, ils se demandent s'ils doivent saisir leurs homologues intermittents du spectacle. Les organisations confédérales interprofessionnelles ne déterminent pas les règles de ce système d'assurance chômage. Il y a une sorte de sous-ensemble spécialisé.
Notre priorité est le retour à l'emploi. Vous évoquez la situation des traiteurs. Nous avons procédé à de nombreuses simulations, afin de voir les conséquences pour ceux-ci. Or, nous avons constaté que le recours à de l'emploi précaire dans ce secteur varie de 1 à 40. Des traiteurs se sont organisés à plusieurs en recourant à un groupement d'employeurs, ou via des CDI intérimaires afin de trouver des solutions. Certes, le recours aux contrats courts demeurera plus élevé dans le secteur de l'hôtellerie-restauration que dans le secteur industriel ; le métier est ainsi fait. Mais des solutions existent. Si certaines entreprises y arrivent, il n'y a pas de raison que d'autres n'y parviennent pas.
Je me rends fréquemment sur le terrain à la rencontre des agents de Pôle emploi. Depuis le début de mes fonctions, j'ai été dans plus d'une vingtaine d'agences. Deux points me frappent : tout d'abord le niveau d'engagement de ces personnels est remarquable. Dans toutes les agences que j'ai visitées, je qualifierai le niveau d'engagement d'exceptionnel et j'ai constaté une véritable motivation pour réussir leurs missions - qui n'est pas facile. Par ailleurs, Pôle emploi a beaucoup évolué ces dernières années, et la population n'en a pas toujours consciente. Tous les ans, le même organisme de sondage réalise pour nous deux enquêtes, l'une auprès des demandeurs d'emploi et des entreprises utilisatrices de Pôle emploi et l'autre auprès de la population en général, afin de savoir ce qu'ils pensent de Pôle emploi. 73 % des entreprises utilisatrices et 71 % des demandeurs d'emplois sont satisfaits ou très satisfaits du service de Pôle emploi. Mais, lorsque l'on interroge la population française, 70 % de celle-ci pensent que le service est mauvais. Un peu moins de quatre millions d'offres d'emploi sont déposées tous les ans, et 80 % d'entre elles trouvent preneur. La difficulté d'un métier comme Pôle emploi est que l'on peut toujours faire mieux et que l'on vise 100 %. C'est la raison pour laquelle nous allons proposer aux entreprises ce service au bout de 30 jours sans réponse à la suite du dépôt d'une offre. Nous sommes actuellement dans une dynamique très importante du marché de l'emploi. Aujourd'hui, 726 222 offres sont proposées sur le site de Pôle emploi. Le chiffre aura évolué demain. Il y a également énormément de recrutement dans tout le pays.
Nous avions envisagé une diminution des moyens de Pôle emploi. Mais celle-ci n'aura pas lieu. Au contraire, nous allons recruter 1 000 agents supplémentaires.
Le directeur général de Pôle emploi, Jean Bassères, que vous avez auditionné, et que j'ai renouvelé à son poste, souhaite une déconcentration renforcée, afin d'être au plus près des besoins des territoires. En effet, dans certains bassins d'emplois, de nombreux emplois sont créés, le marché est tendu et il manque de la main d'oeuvre. Dans d'autres bassins d'emploi, la situation est inverse. Entre ces deux cas de figure se situe la zone rurale où en apparence le chômage est faible, mais c'est parce que la population active est partie. La différenciation territoriale fait partie pour moi des voies d'amélioration.
Faire de l'accompagnement précoce et intensif n'a jamais été testé en France jusqu'à présent. Nous avons lancé depuis peu cette opération à Nice et les premiers résultats sont très encourageants. L'accompagnement sera réalisé par les agents de Pôle emploi, à l'exception de formations ou d'accompagnements spécifiques - j'évoquais le soir ou le week-end - où il sera procédé à des appels d'offres. Mais, même ces formations se feront sous la responsabilité de Pôle emploi.
Nous devons également convaincre les entreprises de nous faire confiance. J'étais il y a peu à Villeurbanne dans une agence de Pôle emploi, où étaient présentes une trentaine d'entreprises. L'un des employeurs nous a indiqué qu'il n'avait pas fait appel à Pôle emploi jusqu'au jour où il s'était rendu compte que cet organisme disposait de millions de profils. Personne d'autre en France ne dispose de cette richesse. En quelques semaines, il a trouvé la compétence qu'il recherchait.
Nous allons renforcer notre action en matière d'aides à la mobilité. Vous avez raison, il s'agit d'un enjeu majeur. C'est la raison pour laquelle j'évoquais la mobilisation territoriale. Les territoires ne sont pas égaux en matière de mobilité. La loi d'orientation des mobilités va permettre un certain nombre de progrès. Mais il faut également trouver des solutions locales. Ce vendredi, nous rencontrons avec le Premier ministre l'ensemble des préfets. Quasiment tous les présidents de région ont également accepté de travailler sur ce sujet. Mais évidemment, les solutions seront surtout infra-territoriales. Tant les préfets que les présidents de région auront plutôt un rôle de chef d'orchestre, mais cette thématique doit être traitée au niveau du bassin d'emploi ou de l'intercommunalité.
Certains d'entre vous reprochent au Gouvernement d'avoir eu une démarche contraire au paritarisme. Je me permets de préciser qu'elle est totalement conforme à la loi. La loi a en effet prévu que les partenaires sociaux sont prioritaires pour définir les règles applicables mais à défaut, que le gouvernement puisse intervenir.
Je souhaite revenir rapidement sur les chiffres. L'Unédic a évoqué le chiffre 1,2 million de personnes concernées. Mais il faut comprendre que tous les demandeurs d'emploi, à l'exception de ceux ayant les plus hauts revenus, conserveront l'intégralité de leurs droits. Ces droits seront simplement répartis différemment dans le temps, pour éviter par exemple que l'on puisse gagner plus au chômage qu'en travaillant.
L'objet de cette réforme est de changer les comportements afin qu'un plus grand nombre de personnes trouve un emploi stable. Cela va permettre de désendetter le système d'assurance chômage : en effet, à chaque fois que quelqu'un retrouve un emploi, c'est plus de cotisations et moins de dépenses. Et plus l'emploi est stable, plus les cotisations s'inscrivent dans le temps.
Les témoins de 2008 - je ne travaillais pas dans ce domaine à l'époque - nous indiquent que les réflexions sur l'abaissement du seuil à 4 mois pendant 28 mois pour bénéficier de l'assurance chômage ont émergé entre décembre et février 2008. La décision définitive a été prise en février 2009 au coeur de la crise. Il fallait avant tout protéger à court terme, plutôt qu'investir dans le futur.
Les assistantes maternelles conserveront le système de « l'activité conservée ». Ce terme technique désigne pour une personne qui a plusieurs employeurs - une assistante maternelle gardant plusieurs enfants de parents différents par exemple-, la compensation par l'allocation chômage de la période entre la fin d'un contrat et la signature d'un nouveau contrat. Ce sujet est particulièrement sensible dans des zones en baisse démographique. En outre, les assistantes maternelles sont en très grande majorité des femmes, en général mères de famille. Souvent, il s'agit de femmes seules. Beaucoup de ces femmes sont dans des situations assez précaires et ont des faibles revenus. Aussi, nous avons décidé de ne pas toucher à « l'activité conservée ». Je le dis ici publiquement. Cela sera confirmé par le décret. Nous avons ajouté un cas, puisque les assistantes maternelles n'ont plus le droit aujourd'hui d'accepter des enfants qui ne sont pas vaccinés. On peut comprendre cette interdiction en lien avec la politique affichée en matière de vaccination. Mais par conséquent, elles perdent un contrat et se retrouvent pénalisées. Les parents doivent prendre leurs responsabilités, mais il ne faut pas que l'assistante maternelle en fasse les frais.
Il va y avoir de nombreuses modifications en matière d'accompagnement avec l'application « Mon compte formation » du CPF. Les salariés vont pouvoir découvrir leurs droits et les exercer directement. Nous avançons bien sur ce sujet avec la Caisse des dépôts. Toutes les formations qualifiantes et certifiées seront intégrées dans cette application. Nous sommes le premier pays au monde à le faire. Singapour envisage également de le faire, dans une proportion moindre. Je peux vous dire que tous les pays de l'OCDE et du G7 sont extrêmement intéressés par l'expérience française. Si c'est un succès, je pense que nous ferons des émules.
Les nouvelles modalités du conseil en évolution professionnelle, seront opérationnelles sur tout le territoire au 1er janvier 2020. Tout demandeur d'emploi ou salarié pourra bénéficier d'un conseil en évolution professionnelle gratuit. J'ai également évoqué le droit à une formation sur-mesure à un emploi donné en préparation à la prise de cet emploi qui sera désormais systématique grâce au plan d'investissement dans les compétences. Les moyens que nous mettons en faveur de l'accompagnement sont sans précédent, et sont nécessaires pour que cette réforme soit une réussite.
M. Alain Milon, président. -Madame la Ministre, je vous prie de bien vouloir m'excuser. Je laisse la présidence à M. Gérard Dériot pour la fin de cette réunion.
M. Gérard Dériot, vice-président, assure la présidence de cette réunion en remplacement de M. Alain Milon.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le logiciel de Pôle emploi a été profondément rénové. Je vous invite à regarder Emploi store. Il existe de très nombreuses applications de recherche d'emploi. Par exemple, « La Bonne Boîte » vous propose des offres d'emploi après profilage. C'est très performant. Nous allons progresser en matière de data intelligence pour améliorer encore ces applications.
Mme Corinne Féret. - Cette réforme est importante pour bon nombre de nos concitoyens car elle touche leur vie quotidienne. Vous avez rappelé qu'elle avait pour objectif de gagner la bataille de l'emploi, de faire reculer la précarité, et vaincre le chômage de masse. Une telle réforme n'aurait-elle pas mérité un dialogue ? Vous avez indiqué à ma collègue que la loi vous autorisait à procéder comme vous l'avez fait. Le Gouvernement redéfinit seul les règles d'indemnisation. Toutefois, lorsqu'on est animé par une volonté de dialogue social, on maintient ce dernier. Je ne suis pas la seule à appeler à un développement du dialogue social. Une trentaine d'économistes ont interpellé le Gouvernement en ce sens dimanche dernier. De même, le Parlement n'a pas été sollicité. Et, l'année dernière, c'est par un amendement de dernière minute que nous avons été informés de l'imminence d'une réforme de l'assurance chômage.
La moitié des chômeurs aujourd'hui ne sont pas indemnisés, et la moitié des 2,6 millions de chômeurs indemnisés touchent moins de 860 euros par mois. Il a été indiqué que cette réforme allait impacter 600 000 à 700 000 personnes. Je souhaite rappeler que le chômage n'est jamais un choix, il est subi de différentes façons.
Vous nous dites que trois projets de décrets allaient être rédigés et publiés avant la fin de l'été. J'attire votre attention sur le fait que les associations, les organisations syndicales nous ont alertés, pour les décrets d'application de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel relatifs au contrôle des chômeurs, du fait que ceux-ci sont allés au-delà de la volonté du législateur. C'est un véritable durcissement en matière de radiation et de suppression des allocations qui a été mis en place. Je me permets de rappeler ce fait dans la perspective des décrets qui vont prochainement être pris.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je partage vos regrets d'une absence d'accord entre les partenaires sociaux. Ils avaient su le faire il y a quelques années pour la réforme de l'AGIRC-ARCCO (Association générale des institutions de retraite des cadres - Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés). Je salue votre courage, car il fallait réformer ce système d'assurance chômage.
Mais mon impression reste mitigée. Je salue évidemment les mesures positives concernant les contrats courts et très courts. Vous l'avez dit vous-même. Ces derniers coûtent 9 milliards d'euros à la collectivité. Je salue également les mesures qui s'attaquent aux indemnités supérieures au salaire antérieurement perçu.
En revanche, je suis plus sceptique sur l'effet du durcissement du bénéfice de l'indemnisation, et notamment l'allongement de la période de travail. A mon avis, le système devrait être plus progressif. A minima, une période transitoire ne pourrait-elle pas être mise en place ?
Etes-vous certaine que le marché des cadres soit vraiment au plein emploi ? Il ne me semble pas que cela soit le cas sur tous les territoires, pour toutes les catégories d'âge et dans tous les secteurs. Vous avez évoqué la problématique des seniors. Chez les cadres, c'est un vrai problème. Peut-être que certaines entreprises préfèrent embaucher des plus jeunes qui seraient, soi-disant, plus malléables ?
La suppression des contributions salariales à l'assurance chômage modifie profondément la nature de cette protection. Le sujet de la gouvernance devra donc être traité. C'est une inquiétude qu'il faut rapidement lever, notamment pour rassurer les partenaires sociaux, notamment les représentants des salariés, qui sont d'autant plus fragilisés par cette suppression.
Enfin, vous avez parlé de déconcentration et de territorialisation de Pôle emploi. Je préfèrerais une décentralisation. En effet, la région est responsable du développement économique et de la formation professionnelle. Il me semblerait naturel qu'elle s'occupe aussi de l'emploi. C'est selon moi la clé pour véritablement adapter le système aux réalités du territoire.
M. Jean-Louis Tourenne. - Madame la Ministre, j'adhère totalement au discours que vos tenez. Celui-ci est vertueux, ambitieux, universel et généreux : il s'agit d'avoir demain moins de chômeurs, mois de précarité.
Deux millions sur les quatre millions de démissionnaires pourront bénéficier d'une indemnisation. Cette dernière sera de l'ordre de 800 euros par mois pendant six mois. Selon vous, cette mesure ne va pas grever le budget de l'assurance chômage, même si actuellement aucune indication n'est donnée sur son financement.
En revanche, j'adhère moins à la méthode. Il me semble qu'en février, un accord entre les organisations syndicales et professionnelles avait été trouvé. Mais, vous avez préféré ne pas en tenir compte. Et, de manière ubuesque, alors que nous avions travaillé sur ce sujet en commission, préparé des amendements, le Gouvernement a déposé, juste avant le début de la discussion générale du texte en séance, un amendement rouvrant la négociation.
Certes, faute d'accord, vous indiquez que le gouvernement prend ses responsabilités. Mais, si vous l'aviez voulu, vous auriez pu vous y prendre autrement. Vous avez commencé à dire aux partenaires sociaux qu'il fallait trouver 3,4 milliards d'euros d'économie. Comment voulez-vous qu'une organisation syndicale assume l'impopularité de cette économie que vous leur imposiez ?
Enfin, je trouve dans votre méthode un certain mépris à l'égard des organisations syndicales mais aussi à l'égard du Parlement : nous avions discuté, débattu et même voté des dispositions concernant l'assurance chômage, mais tout a été balayé d'un revers de la main.
Vous indiquez que des chômeurs touchent des indemnités supérieures à leur salaire antérieur. Mais une telle affirmation procède d'une manipulation. En effet, pour une personne travaillant une semaine par mois et qui touche moins que le SMIC, vous divisez son salaire par les 30 jours, et par conséquent le salaire mensuel ainsi calculé est très faible. A partir de ce moment-là vous considérez qu'il touche davantage grâce aux indemnités.
En outre, vous aviez indiqué qu'il y avait chaque année 37 millions d'offres d'emploi. Vous avez aujourd'hui corrigé ce chiffre. En 2018, c'était 37 millions de contrat et aux alentours de 3 millions d'offres offertes chaque année.
Je souhaite également revenir sur les comparaisons internationales dont vous usez abondamment. Vous expliquez qu'en Allemagne les conditions d'indemnisation sont largement moins favorables que les conditions françaises. C'est vrai si on regarde uniquement l'allocation chômage. En Allemagne, elle s'élève à 40 euros pour 100 euros de salaire antérieur. Un Français touche 52 euros. Seulement en Allemagne, le chômeur touche en plus 25 euros de contributions publiques de solidarité nationale, alors qu'elles ne sont que de 10 euros en France. Au final, l'indemnisation en Allemagne est plus élevée qu'en France. Je regrette cet acharnement contre notre système d'assurance chômage.
Vous avez également indiqué qu'il était normal de ponctionner les demandeurs d'emploi ayant des hauts salaires, afin de financer les indemnités de ceux qui en ont le plus besoin. Sauf que ces derniers subissent également une cure d'austérité, car on durcit les conditions d'éligibilité à l'assurance chômage.
En bref, je ne comprends pas que l'on puisse prendre ce type de mesures en se cachant derrière de belles intentions. Ce n'est pas beau pour ceux qui se retrouvent au chômage, qui ont des familles et des enfants à nourrir : ils sont déjà pénalisés car ont été licenciés ; maintenant vous leur enlevez également de quoi survivre.
M. Daniel Chasseing. - Gouverner ce n'est pas toujours être populaire, et il est vrai qu'avec 35 milliards d'euros de dettes, vous étiez obligée de prendre des décisions. Actuellement, plus de 500 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues. Je connais des entreprises, des petites PME qui ne peuvent pas se développer ou sont parfois obligées de recourir à des travailleurs détachés. Votre réforme est donc importante et utile pour aller vers le plein emploi. Je partage également votre avis selon lequel on ne peut pas gagner plus au chômage que lorsqu'on travaille. En outre, la formation tout au long de la vie professionnelle est essentielle. Le bonus-malus est un outil intéressant pour lutter contre la précarité.
Je me félicite également de l'inclusion des indépendants qui peuvent faire faillite et se retrouver en situation de grande précarité. Enfin, notre système reste l'un des plus protecteurs d'Europe. Ainsi, en Allemagne, il faut avoir travaillé 12 mois sur les 24 derniers mois pour bénéficier de l'assurance chômage.
Mais, dans le milieu rural le retour à l'emploi est lié à la mobilité. Vous l'avez dit, tous les territoires ne sont pas égaux. Chez nous, le covoiturage n'est souvent pas possible, il n'y a pas de transports en commun ni de gares. Les gens font attention au prix du carburant. Comment fait-on pour aider ces personnes qui sont obligées de prendre leur voiture pour aller travailler ?
Enfin, vous avez indiqué tout à l'heure en ce qui concerne les entreprises adaptées, être en faveur d'une politique d'inclusion. J'attire toutefois votre attention sur la fragilité de ces entreprises.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Avant l'envoi du document de cadrage prévu par la loi, il y a eu un mois de concertation avec les partenaires sociaux. Des discussions ont eu lieu et je tiens à rappeler que discuter ne veut pas dire que l'on soit d'accord sur tout. Les partenaires sociaux n'ont pas découvert le jour J ce document. Des débats ont eu lieu pour élaborer le diagnostic, les priorités... Ensuite, lorsque nous avons ouvert la négociation, nous avons convenu avec les partenaires sociaux d'un délai de 4 mois. Peu avant l'expiration de celui-ci, les partenaires sociaux ont demandé un mois supplémentaire, car ils pensaient aboutir. Toutefois, cela n'a pas été le cas, et ils nous ont fait savoir qu'ils ne parviendraient pas à un accord. Aussi, je pense que le sénateur Tourenne fait référence, dans ses propos, à un accord précédent. En ce qui concerne l'assurance chômage, les partenaires sociaux ont déclaré en février 2019 qu'ils n'arriveraient pas à trouver un accord.
En outre, depuis sa création, le régime de l'assurance chômage relève du domaine réglementaire. Dans les faits, en cas d'accord, nous transposons dans le décret les termes de celui-ci. Mais si aucun accord n'est trouvé, le Gouvernement rédige lui-même le contenu du décret. On aurait pu, en février, sortir très rapidement un décret. Mais nous ne l'avons pas fait, car nous avons estimé que les partenaires sociaux n'avaient pas discuté pour rien. Aussi, depuis février, nous avons poursuivi les discussions, fait des simulations, posé des questions inédites à l'Unédic. D'ailleurs, nous avons repris un certain nombre d'idées évoquées lors des concertations. Les partenaires sociaux seront consultés le 16 juillet sur les projets de décret. Nous ne sommes pas dans un accord tripartite. Mais je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pas eu de dialogue, ni de concertation. J'en veux pour preuve que sur d'autres sujets et dans le même calendrier, nous avons abouti à un consensus. Je vais présider très prochainement le « G7 social », qui est le G7 des ministres du travail et de l'emploi. Cette réunion va nourrir les travaux du G7 des chefs d'État et de gouvernement au mois d'août. Pour la première fois, dans l'histoire du G7, nous avons une déclaration commune non seulement des pays du G7, mais également du patronat et du syndicat au niveau national et mondial. Il y a quelques jours, à Aix, en Provence, tous ont salué au plan international, la force du dialogue qui s'est déroulé en France sur ce sujet, permettant de faire des avancées significatives sur l'accès universel à la protection sociale, la compétence et l'évolution du numérique, le multilatéralisme et le respect des normes internationales, l'égalité homme-femme. J'ai toujours agi dans la concertation, dans ma vie professionnelle antérieure et en tant que ministre. Toutefois, à un moment donné, le pays a besoin qu'un certain nombre de mesures soient prises.
En outre, il n'est pas vrai de dire que les partenaires sociaux sont incapables de faire faire des économies à l'assurance chômage. Ils l'ont déjà fait à de nombreuses reprises. L'économie de 3,9 milliards d'euros, indiquée dans le document de cadrage, devait se faire sur une durée de trois ans. Faire des économies n'est pas un but en soi, mais la conséquence des mesures prises.
Le phénomène des personnes non indemnisées n'est pas nouveau et je tiens à apporter une précision sur ce point. Des personnes qui ont très peu travaillé s'inscrivent à Pôle emploi. Elles n'ont pas le droit à des indemnités chômage, mais elles peuvent utiliser les services de Pôle emploi. Sont également inscrits à Pôle emploi des salariés en poste mais qui veulent changer d'emploi et utilisent Pôle emploi à cette fin.
Un chômeur sur cinq qui alterne des contrats courts au moment où il devient chômeur gagne plus que ce qu'il a gagné en moyenne dans le mois lorsqu'il travaillait. Par exemple, quelqu'un qui travaille un jour sur deux et touche 1,5 fois le SMIC gagne 880 euros net par mois, soit l'équivalent d'un demi-SMIC. Lorsqu'il entre dans le système de l'assurance chômage aujourd'hui, il touche 1 200 euros d'indemnité, mais sur une période très courte. Demain, il touchera moins mais plus longtemps. J'avoue avoir du mal à comprendre que certains puissent accepter l'idée selon laquelle on puisse toucher plus d'argent au chômage qu'en travaillant.
Pour les entreprises adaptées, Sophie Cluzel a passé un accord en juillet dernier, afin d'augmenter en quatre ans les places disponibles de 40 000 à 80 000, moyennant une évolution du modèle. J'ai d'ailleurs dégagé des moyens dans le plan d'investissement dans les compétences pour les aider. Il y a à Pôle emploi 500 000 personnes en situation de handicap. Le taux d'emploi est aujourd'hui de 3,4 % au lieu des 6 % d'obligation des entreprises. Les raisons sont multiples : problème de qualification, regard, préjugés... Aujourd'hui 80 % des handicaps sont très bien compensés et pour les 20 % restants nous avons les moyens de le faire avec l'Agefiph. Nous allons accompagner les entreprises adaptées, et pour la première fois, nous allons leur permettre de doubler le nombre de personnes qu'elles peuvent accueillir.
Je souhaite revenir sur la règle selon laquelle aucun demandeur d'emploi ne pourra toucher une indemnisation mensuelle inférieure à au moins 65 % de son salaire net de référence ni plus de 96 % de celui-ci - au lieu des 200 % actuels. Avec notre règle de six mois travaillés lors des 24 derniers mois, nous restons dans les 25 % des pays de l'OCDE ayant les régimes les plus faciles d'accès.
Trois décrets sont prévus. Le premier dresse le constat de la carence. Le deuxième prend les mesures d'application pour les démissionnaires et les indépendants, prévues dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le troisième décret contient la convention modifiée.
L'une de nos priorités est la mobilisation territoriale, y compris en zone rurale, afin de trouver des solutions à la garde des enfants, au logement, à la mobilité. S'il y en a besoin, nous interviendrons au plan national pour aider les territoires qui en auraient le plus besoin. Toutefois, nous souhaitons partir des territoires, car une règle générale unique sera inadaptée à la spécificité de chaque bassin d'emploi.
L'Unédic, dans ses chiffres, ne prend pas en compte les effets de la réforme. Ces derniers sont en effet dus à des changements de comportement. Chaque fois que l'assurance chômage a été réformée, on a constaté des effets sur les comportements, en France comme ailleurs.
L'association Régions de France a récemment écrit au Premier ministre pour indiquer qu'elle ne souhaitait pas une décentralisation de Pôle emploi. Par contre, il est nécessaire de mieux associer les territoires. Lorsque vous regardez les autres pays européens, il y a toujours une agence nationale de l'emploi, y compris dans des pays plus décentralisés que la France. Là encore, les raisons sont nombreuses : des effets d'échelle sur les outils, la technologie, la formation ; mais aussi parce que les gouvernements sont toujours rendus responsables du chômage. Il serait donc compliqué d'en confier la responsabilité à un tiers. En revanche, nous avons discuté la semaine dernière avec les régions et le Premier ministre afin de travailler plus étroitement ensemble et de mieux articuler les compétences de chacun.
Le marché des cadres connaît le plein emploi en ce moment. Le seul point noir concerne les seniors. C'est la raison pour laquelle nous les excluons de la dégressivité et nous allons renforcer leur formation.
L'ensemble de ces mesures ne s'appliquera pas le jour de la publication des décrets. Pour les demandeurs d'emploi actuels, il n'y aura aucune modification. Le calendrier de la réforme comprend trois étapes : au 1er novembre entrent en vigueur les droits des démissionnaires, des indépendants et le plafonnement des hauts revenus. Ainsi, la première dégressivité n'interviendra qu'au mois de mai de l'année prochaine. Les conditions d'éligibilité au bonus-malus et la taxe sur les CDD d'usage entreront en vigueur au 1er janvier pour être sur une pleine année civile. Enfin, au 1er avril 2020 entrera en vigueur le fait que l'on ne puisse pas toucher des indemnités supérieures à son salaire mensuel. Ainsi, dans un premier temps seront mis en place l'accompagnement, la formation. Les nouvelles règles relatives à l'indemnisation ne se comprennent qu'en lien avec le renforcement de l'accompagnement.
Mme Monique Lubin. - Avant de poser ma question, je souhaite vous dire que je suis fatiguée d'entendre que les chômeurs perçoivent plus sans travailler qu'en travaillant. Cela donne l'impression que la majorité des gens au chômage sont dans cette situation. Or, la moitié des demandeurs d'emploi ne sont pas indemnisés, et une part très significative de ceux qui le sont touchent moins de 860 euros par mois.
En outre, comparaison n'est pas raison, surtout dans ce domaine. Nous tenons à notre modèle social français. Nous devrions le défendre plutôt que de répondre à chaque fois qu'il est attaqué, qu'il reste meilleur qu'ailleurs. On trouvera toujours des pays où la situation est moins bonne que la nôtre. En matière sociale, malheureusement, ce n'est pas difficile.
Enfin, qu'adviendra-t-il des associations intermédiaires qui utilisent les CDD d'usage ?
Mme Marie-Pierre Richer. - On parle beaucoup de formation. Mais, au-delà de la formation se pose la question de la valorisation des métiers. On le voit notamment dans le médico-social. Il faut recréer une envie par la valorisation des métiers.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Je tiens à le rappeler. Ce ne sont nullement les personnes qui sont mises en cause, mais les règles. Il faut qu'elles soient cohérentes, efficaces, pour permettre aux personnes de retrouver un emploi.
Nous n'allons pas changer le capital de droits des personnes indemnisées ; ils ne seront en rien diminués, mais seront répartis différemment dans le temps, afin d'éviter l'effet pénalisant que nous connaissons aujourd'hui, qui conduit à une « trappe à précarité ».
Vous avez tout à fait raison concernant la valorisation des métiers. Certains d'entre eux ne trouvent pas preneurs parce qu'ils sont mal connus, parce que les conditions de travail sont très difficiles par rapport à la rémunération, parce que les emplois proposés sont précaires. C'est la raison pour laquelle cette réforme doit permettre une meilleure connaissance des métiers. Je suis frappée de voir à quel point, pour certains emplois, les gens pensent qu'ils ne peuvent pas y postuler. C'est notamment le cas dans le domaine du numérique, où nous recherchons 80 000 personnes. Le plan d'investissement dans les compétences et l'opération #versunmétier, où les entreprises viennent présenter les emplois, ont énormément de succès. J'étais il y a peu à Montreuil dans une formation sur le numérique. Y participaient notamment une boulangère qui avait développé une allergie à la farine, et un jeune en échec scolaire après la troisième. Ils travaillent tous les deux aujourd'hui chez Safran pour faire de la gestion de données, après huit mois de formation intensive. Il faut un déclic chez les employeurs, accompagné par un financement public pour former les gens. La plupart des métiers sont mal connus. Pôle emploi permet de faire se rencontrer des demandeurs d'emploi et des entreprises qui racontent leurs métiers.
En outre, nous menons des discussions dans certains secteurs pour expliquer que, pour que les offres soient pourvues, il serait nécessaire de revoir les conditions de travail ou les rémunérations.
Vous évoquiez le secteur du médico-social dans lequel des personnes sont confrontées à des CDD d'usage extrêmement courts et à répétition. Or, dans ces conditions, il est difficile de trouver un logement, d'élaborer un projet de vie. La ministre des solidarités et de la santé vient de confier à Myriam El Khomri une mission sur ce sujet.
Enfin, la mesure relative aux CDD d'usage sera neutralisée pour les associations intermédiaires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 heures.
Mercredi 10 juillet 2019
La réunion est ouverte à 9 h 30.
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales et de M. Philippe Bas, président de la commission des lois -
Justice prud'homale - Examen du rapport d'information
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, la commission des lois et la commission des affaires sociales ont décidé, il y a maintenant dix-huit mois, de constituer un groupe de travail commun sur la justice prud'homale. Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner son rapport.
M. Gérard Dériot, président. - Je vous prie d'excuser l'absence du président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, qui a dû regagner son département.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Voilà plus de dix-huit mois que vous nous avez confié la mission de travailler sur le fonctionnement de la justice prud'homale. Cette mission se situe dans la continuité des travaux de la mission d'information de la commission des lois sur le redressement de la justice, qui n'avait que partiellement abordé la question de la justice prud'homale compte tenu de son très vaste champ.
Vous le savez, le contentieux de l'exécution et de la rupture du contrat de travail relève en France, et depuis très longtemps, de juridictions particulières que sont les conseils de prud'hommes. Ces juridictions sont fortement ancrées dans le paysage judiciaire français et constituent l'une des plus anciennes institutions de notre pays. Elles incarnent à la fois la proximité - il existe au moins un conseil de prud'hommes dans chaque département, avec un total de 210 - et le paritarisme.
La durée très longue de notre mission nous a permis d'effectuer vingt-huit auditions et tables rondes et d'organiser un vaste programme de déplacements. Nous nous sommes rendus dans le ressort de huit cours d'appel pour y rencontrer les conseillers prud'hommes et les fonctionnaires des greffes : nous avons visité treize conseils et nous avons également rencontré, lors des déplacements, les représentants de treize autres conseils, soit des échanges avec 13 % des conseils de prud'hommes de France métropolitaine, sans compter des contributions écrites spontanées sur la base du questionnaire que nous avions établi et qui a parfois suscité de fortes réactions.
Nous n'avons toutefois pas limité nos travaux aux conseils de prud'hommes, considérant qu'ils étaient l'un des chaînons de la justice du travail, qui ne peut être étudié que dans ses relations avec les autres acteurs - juges départiteurs, conseillers des cours d'appel ou encore avocats. Nous avons également rencontré les organisations professionnelles et syndicales, ainsi que des experts et auteurs de rapports récents sur le sujet.
Nos déplacements ont même dépassé le cadre de l'hexagone, puisque nous nous sommes rendus en Belgique afin d'y étudier l'ordre juridictionnel du travail.
Les conseils de prud'hommes font l'objet de critiques. Certaines sont assises sur des préjugés infondés. On entend parfois que tel conseil de prud'hommes donnerait systématiquement raison aux employeurs, tel autre aux salariés, ou que les décisions rendues seraient aléatoires, non motivées ou infondées en droit.
Néanmoins, les critiques récurrentes traduisent parfois de réelles difficultés.
La fonction de conciliation de la justice prud'homale, pourtant traditionnelle et centrale, est aujourd'hui marginale, avec un taux de conciliation de 8 % au niveau national.
La fonction de jugement semble défaillante, avec des délais de plus de seize mois en moyenne, plus longs que pour toutes les autres juridictions de première instance. Un taux d'appel des deux tiers, qui dépasse, et de loin, celui de toutes les autres juridictions, engorge les cours d'appel et témoigne d'un manque d'acceptabilité des décisions rendues. En outre, le taux d'infirmation en appel est non négligeable. De nombreux conseillers des chambres sociales des cours d'appel nous ont d'ailleurs dit que, si les jugements pouvaient sembler de bon sens dans la solution retenue, ils péchaient en général par un manque de motivation et de raisonnement juridique.
Suite à différents rapports dressant un état des lieux des difficultés de la justice prud'homale, un certain nombre de réformes ont été prévues, en particulier, par la loi « Macron » du 6 août 2015 et par le décret du 20 mai 2016 pris pour son application. Ces réformes sont encore récentes et il est sans doute trop tôt pour en mesurer pleinement les effets. Force est toutefois de constater qu'elles n'ont pas considérablement amélioré la situation et qu'elles sont souvent mal voire pas appliquées.
Nos déplacements et nos auditions ont fait évoluer les idées que nous pouvions, les unes et les autres, avoir au départ et nous ont permis de dresser plusieurs constats.
Premièrement, la justice du travail bénéficie grandement de l'intervention de juges non professionnels, qui connaissent le monde du travail pour en être issus.
Deuxièmement, les statistiques nationales et le prisme parisien cachent des disparités parfois très fortes d'un conseil de prud'hommes à l'autre. Du point de vue du justiciable, de telles disparités ne sont pas satisfaisantes : selon que le conseil de prud'hommes compétent fonctionne bien ou est embolisé, il attendra moins de six mois ou près de deux ans pour que son affaire soit traitée. La situation est très variable, trop variable, d'un conseil à l'autre, en termes de charge de travail, de respect de la procédure, d'implication dans la conciliation, etc. Empiriquement, nous avons vu que les choses fonctionnaient généralement mieux dans les petites et moyennes juridictions, où les conseillers se connaissent et ont l'habitude de travailler ensemble, à la différence des plus grosses, mais ce n'est pas une règle absolue.
Troisièmement, les causes de ces difficultés sont multiples. Les conseils de prud'hommes pâtissent des difficultés dont souffre, d'une manière générale, le service public de la justice, à commencer par le manque de moyens humains et matériels.
Enfin, le rôle de juge à part entière des conseillers prud'hommes est trop souvent insuffisamment intériorisé par les magistrats professionnels, les justiciables, les avocats, mais également par les conseillers prud'hommes eux-mêmes. Nous avons ainsi pu constater que certains conseils de prud'hommes peinent à fonctionner comme de vraies juridictions et tendent à reproduire au sein de ce qui devrait être un lieu de justice impartial les tensions sociales, voire politiques, locales.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Notre rapport formule une série de propositions de nature à améliorer le fonctionnement de la justice prud'homale.
Il nous semble souhaitable de conserver le principe selon lequel des juges issus du monde du travail doivent participer à la justice du travail. Nous recommandons donc de maintenir l'autonomie des conseils de prud'hommes, car nous sommes convaincues de la pertinence de ce modèle pour juger les litiges du travail, à condition bien sûr de le réformer.
La justice prud'homale relève aujourd'hui de la responsabilité croisée de deux ministères. Il conviendrait de simplifier les choses, en confiant la gestion du financement de la formation continue, la gestion des défenseurs syndicaux et le secrétariat du conseil supérieur de la prud'homie au ministère de la justice, le ministère du travail demeurant compétent pour fixer la répartition des sièges entre organisations, sur la base de la mesure de l'audience aux élections professionnelles.
Nous estimons toutefois que, si les conseils de prud'hommes ont historiquement pour mission première de résoudre les litiges par la conciliation et, uniquement à titre subsidiaire, de les juger, cette priorité donnée à la conciliation n'est plus adaptée à l'évolution du contentieux. En effet, la conciliation est aujourd'hui très rare en pratique et apparaît bien souvent, aux yeux de l'ensemble des acteurs, comme une étape préalable fastidieuse et purement formelle. Les causes de cet état de fait sont multiples. Les conseils de prud'hommes connaissent aujourd'hui essentiellement de litiges liés à la rupture du contrat de travail, ce qui a tendance à durcir les positions des parties. La complexification du droit et l'intervention désormais très courante d'avocats ne sont en outre guère favorables à la conciliation. Surtout, la conciliation tend à s'opérer sous d'autres formes, que ce soit par la rupture conventionnelle ou par des transactions en dehors du conseil de prud'hommes.
Nous proposons donc de modifier le circuit de traitement des affaires transmises aux conseils de prud'hommes. Un bureau d'orientation serait ainsi chargé de décider, pour chaque affaire, s'il y a lieu de tenter une conciliation ou s'il convient de passer directement à l'étape du bureau de jugement.
Pour les affaires pour lesquelles une conciliation serait tentée, nous proposons de renforcer ses chances d'aboutir en rendant obligatoire la présence des parties, en spécialisant davantage certains conseillers des prud'hommes et en leur offrant une formation spécifique à la conciliation.
Il serait en outre souhaitable que le défendeur fournisse avant l'audience de conciliation des éléments de réponse au demandeur, afin que les conseillers soient davantage en mesure de préparer cette audience. Enfin, le barème de l'aide juridictionnelle devrait être rendu plus incitatif pour les avocats.
En parallèle, les modes amiables de règlement des différends, notamment la médiation, devraient être encouragés en matière de litiges du travail.
Par ailleurs, nous avons pu constater que les conseils de prud'hommes ne se sont pas emparés de la possibilité qui leur a été offerte par la loi du 6 août 2015 d'orienter les affaires les plus complexes directement devant une formation de départage ou un bureau de jugement restreint. Nous proposons que l'orientation vers une formation de jugement présidée par un magistrat soit de droit si les parties le demandent.
De bonnes relations entre le conseil de prud'hommes et les avocats du ressort permettent d'accélérer les procédures, en fluidifiant les échanges de pièces et en limitant le nombre de renvois. Il convient donc d'encourager les conseils de prud'hommes à conclure des conventions avec les barreaux locaux.
En contrepartie, il faut inciter les présidents de conseils de prud'hommes à faire une application plus stricte des règles de la mise en état, c'est-à-dire de l'organisation de l'échange des pièces et des conclusions qui permettent de mettre l'affaire en état d'être jugée.
Cette réforme de la procédure doit s'accompagner d'une série de mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des conseils de prud'hommes.
Il convient, premièrement, d'assurer l'adéquation entre les moyens humains, matériels et budgétaires de la justice prud'homale et sa mission. Cela suppose d'adapter le nombre de conseillers au sein de chaque conseil afin de tenir compte des évolutions démographiques, économiques et contentieuses, mais également de pourvoir suffisamment de postes de greffiers et de juges départiteurs. Raccourcir les délais globaux suppose également de pourvoir suffisamment de postes de conseillers au sein des cours d'appel.
Il serait également souhaitable de permettre le recrutement, au sein des conseils de prud'hommes, d'assistants de justice et de juristes assistants pour assister les conseillers et les juges départiteurs dans la préparation des audiences et la rédaction des jugements.
Certains conseils de prud'hommes sont locataires de leurs locaux depuis de nombreuses années et les loyers payés à ce titre représentent parfois des sommes considérables. Nous avons pu visiter des locaux vétustes, exigus ou à l'inverse surdimensionnés. La stratégie immobilière de la justice prud'homale doit être optimisée ; cela est d'ailleurs vrai pour la justice au sens large, sans remettre en cause pour autant la carte judiciaire prud'homale.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Il convient également d'insister sur l'idée selon laquelle les conseillers prud'hommes sont des juges à part entière. Cela peut passer par des symboles, comme le port de la robe en lieu et place de la médaille, à même de réduire l'ascendant que peuvent parfois prendre les avocats sur les conseillers, mais aussi de lisser la différence de fonction qui peut être perçue avec les magistrats professionnels.
Certaines d'entre nous estiment que nous pourrions même aller jusqu'à appeler les conseils de prud'hommes des tribunaux de prud'hommes et les conseillers des juges, afin de réaffirmer leur nature juridictionnelle.
Il convient enfin d'assurer dans chaque conseil de prud'hommes l'existence d'une salle d'audience conforme à sa fonction juridictionnelle, ce qui est parfois loin d'être le cas.
Il semble souhaitable que les fonctions de président ou de vice-président de conseil ne soient pas toujours confiées aux mêmes personnes durant des décennies. Nous proposons donc d'instaurer une limitation dans le temps du nombre de mandats consécutifs de président ou de vice-président de conseil de prud'hommes.
En outre, les magistrats professionnels et les juges consulaires se sont vu imposer une obligation de déclaration d'intérêts pour prévenir en amont les risques de conflits d'intérêts. Il nous semble que cette obligation devrait être étendue aux conseillers prud'hommes.
La revalorisation du rôle des conseillers prud'hommes doit également passer par un changement du regard porté sur eux par les magistrats professionnels.
Il convient à cet effet que les chefs de cours accordent au bon fonctionnement des conseils de prud'hommes la même attention que celle qu'ils accordent aux autres juridictions de leur ressort, afin de favoriser le sentiment d'appartenance des conseillers prud'hommes à l'institution judiciaire, avec les responsabilités et les exigences que cela implique.
Les chefs de cours pourraient dans cet esprit organiser des échanges réguliers entre les magistrats professionnels et les conseillers prud'hommes de leur ressort et permettre à ces derniers d'assister aux audiences et aux délibérés des chambres sociales des cours d'appel. Un conseiller référent pourrait à cet effet être désigné dans chaque cour d'appel.
En ce qui concerne les relations entre les conseillers prud'hommes et les juges départiteurs, il conviendrait qu'un cadre clair soit fixé au niveau national, proposant de bonnes pratiques, pour que les juges départiteurs puissent fournir un appui juridique et procédural aux conseillers prud'hommes, sans remettre en cause leur liberté de jugement ni le secret du délibéré.
Dans cette même logique, il serait souhaitable que les conseillers prud'hommes participent effectivement aux audiences de départage afin que la décision rendue soit collégiale. De plus, les décisions de renvoi à la formation de départage devraient être motivées, afin que les points sur lesquels les conseillers n'ont pu se mettre d'accord soient clairement identifiés.
Les conseillers prud'hommes doivent être en mesure d'exercer au mieux leur mission. Cela passe par une réévaluation de leurs conditions d'indemnisation, leur permettant de mieux préparer les audiences en amont, de prendre connaissance des dossiers et de participer à des réunions de travail pour améliorer leurs pratiques. La gestion de cette indemnisation devrait en outre être automatisée pour alléger et simplifier la charge de travail des greffes des conseils.
Nous recommandons également la mise en place d'une obligation de formation continue, assurée par l'école nationale de la magistrature (ENM). Cette formation continue obligatoire ne remettrait pas en cause la possibilité pour les organismes agréés relevant des organisations syndicales et professionnelles de proposer des formations aux conseillers prud'hommes, mais le programme de ces formations, défini par un arrêté datant de 1981, devra en tout cas être actualisé. En complément, il nous semble souhaitable que les formations dispensées par l'ENM aux magistrats professionnels, et qui sont déjà ouvertes à d'autres publics, soient également rendues accessibles aux conseillers prud'hommes, dans la limite des places disponibles.
Enfin, il est indispensable d'accroître les moyens informatiques des conseils de prud'hommes, ne serait-ce que pour développer l'accès aux ressources juridiques en ligne internes au ministère de la justice et mettre à disposition des conseillers prud'hommes des trames de jugement et de motivation. Ces outils font cruellement défaut à ce jour.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Afin d'améliorer le fonctionnement des conseils de prud'hommes, nous recommandons d'accroître les prérogatives de leurs président et vice-président, pour en faire de vrais chefs de juridiction et renforcer leur autorité auprès des autres conseillers, en leur confiant expressément la responsabilité du bon fonctionnement du conseil et du respect de la procédure et des délais de jugement. Cela leur permettrait notamment d'organiser la juridiction, de rappeler la procédure et d'harmoniser les pratiques entre les sections. Ces nouvelles tâches impliqueraient d'adapter en conséquence leur statut matériel.
Le fonctionnement interne des conseils de prud'hommes pourrait être fluidifié par la mise en place d'une instance, qui pourrait être nommée conférence des présidents, chargée notamment de délibérer des sujets d'intérêt commun et d'harmoniser les pratiques, regroupant les présidents et vice-présidents du conseil et des sections sous l'autorité des premiers.
L'organisation des conseils de prud'hommes en sections correspond au principe du jugement par les pairs. Toutefois, la répartition des conseillers entre les différentes sections n'apparaît pas toujours adaptée aux évolutions sociales et économiques. Nous proposons donc d'aller plus loin dans l'assouplissement qui a déjà été permis, en autorisant le président et le vice-président du conseil de prud'hommes à transférer de façon définitive un conseiller d'une section à l'autre, selon des modalités simplifiées.
La dernière campagne de désignation des conseillers prud'hommes a mis en lumière une certaine crise des vocations. Les règles de candidature pourraient être assouplies pour permettre par exemple aux retraités de se porter candidats dans les conseils de prud'hommes de ressorts voisins de celui de leur domicile.
La justice prud'homale est, et doit rester, une justice de proximité. La question de l'accessibilité ne se résume toutefois pas à la proximité géographique. En effet, la complexification du droit du travail rend parfois difficile pour certains de nos concitoyens, en particulier pour les plus fragiles, la saisine du conseil de prud'hommes.
À cet égard, le nouveau formulaire de saisine mis en place depuis 2016 a fait l'objet de nombreuses critiques. Toutefois, il convient de rappeler que ce formulaire n'est pas obligatoire, mais qu'il vise uniquement à aider le justiciable à rédiger une demande comportant tous les éléments nécessaires à sa recevabilité. Plutôt que de revenir sur ce formulaire, nous considérons qu'il est nécessaire que les conseils de prud'hommes développent des partenariats avec les différentes structures d'accès au droit que sont notamment les conseils départementaux d'accès au droit et les maisons de la justice et du droit, afin que les justiciables soient mieux accompagnés.
Dans le cadre de la carte judiciaire actuelle, il pourrait par ailleurs être intéressant de développer les audiences foraines afin de renforcer la proximité de la justice du travail dans des sites judiciaires dépourvus de conseil de prud'hommes. Nous l'avons, par exemple, vu en Belgique, où la réduction du nombre de juridictions, opérée il y a quelques années, s'est accompagnée d'un maintien des lieux de justice.
La création des défenseurs syndicaux par la loi de 2015 a visé à renforcer une possibilité qui existait déjà. Il existe un nombre important de défenseurs syndicaux, mais il semble qu'ils interviennent peu auprès des conseils de prud'hommes. Afin d'être en mesure d'évaluer cette réforme et surtout d'appliquer réellement la règle selon laquelle un défenseur syndical est rayé de la liste régionale s'il n'a aucune activité pendant un an, il conviendrait de mettre en place un suivi de l'activité des défenseurs syndicaux, en demandant aux greffes de tenir des statistiques relatives à la participation des défenseurs syndicaux aux audiences.
Le contentieux de l'inaptitude, qui concerne des décisions du médecin du travail, a été transféré aux conseils de prud'hommes. Il nous semble qu'il serait souhaitable qu'il soit transféré aux tribunaux judiciaires, les magistrats professionnels étant plus habitués à demander des expertises médicales.
L'ensemble de ces mesures vise in fine à poursuivre deux grands objectifs, alors que la justice prud'homale nous semble aujourd'hui au milieu du gué, compte tenu des réformes passées et des difficultés persistantes.
D'une part, l'ancrage de la justice prud'homale dans l'institution judiciaire doit être renforcé et le mouvement de professionnalisation des conseillers prud'hommes poursuivi. De nombreuses propositions y contribuent.
D'autre part, il est indispensable de remédier aux difficultés de fonctionnement de la justice prud'homale, laquelle est d'abord rendue dans l'intérêt du justiciable. Cela concerne la procédure autant que l'organisation interne ou les moyens matériels.
Au-delà de ces mesures, qui nous apparaissent nécessaires, il nous semble qu'un certain nombre de réformes plus profondes pourraient être expérimentées afin que leurs effets puissent faire l'objet d'une évaluation objective.
La répartition des sections des conseils de prud'hommes apparaît parfois inadaptée aux évolutions du tissu économique local. En tout état de cause, le découpage en sections et les effectifs de chaque section relèvent aujourd'hui de la loi et du décret, ce qui est une source de grande rigidité. Il pourrait être permis, à titre expérimental, de laisser aux présidents et vice-présidents de conseils de prud'hommes la possibilité de supprimer ou de regrouper certaines sections.
Certains litiges complexes pourraient justifier l'intervention d'un magistrat professionnel, non pas pour décider à la place des conseillers prud'hommes, mais pour les aider à décider. Nous recommandons donc que soit expérimenté, dans le ressort de deux ou trois cours d'appel, le renvoi systématique devant une formation de départage de certaines affaires. Il pourrait s'agir, par exemple, des affaires portant sur un montant supérieur à un certain seuil ou des licenciements dont la nullité est alléguée.
Enfin, notre déplacement en Belgique nous a permis d'étudier le modèle belge, qui nous a paru particulièrement intéressant. La Belgique avait jusqu'aux années 1970 un système proche du nôtre, mais l'a réformé en introduisant, d'une part, des magistrats professionnels en première instance et, d'autre part, des juges non professionnels en appel. Ce système semble donner satisfaction à tous les acteurs de la justice du travail, chacun constatant la complémentarité que l'autre peut lui apporter. Nous recommandons donc d'expérimenter, dans le ressort de deux ou trois cours d'appel, la présence systématique de magistrats professionnels dans les formations de jugement des conseils de prud'hommes et, dans le même temps, l'introduction de conseillers prud'hommes au sein des cours d'appel, quand elles ont à connaître de recours contre des jugements de conseils de prud'hommes, permettant de combiner la connaissance du monde du travail et les compétences juridiques et juridictionnelles.
Pour conclure, les quarante-six propositions du groupe du travail s'inscrivent dans la philosophie de la justice prud'homale. Si certaines organisations affirment craindre la disparition des prud'hommes, a fortiori avec l'amendement adopté par nos collègues députés pour mutualiser les greffes des conseils de prud'hommes et des futurs tribunaux judiciaires, qui regrouperont les tribunaux de grande instance avec les tribunaux d'instance de leur ressort, dans le cadre de la loi de programmation et de réforme de la justice, tel n'est pas le postulat duquel nous sommes parties et telle n'est pas non plus la conclusion à laquelle nous sommes parvenues.
Rien ne pourra remplacer les spécificités de cette justice du travail. Pour autant, la réforme est aujourd'hui nécessaire pour conforter, peut-être malgré elle, cette juridiction en difficulté.
M. Philippe Bas, président. - Je trouve formidable ce travail en commun sur un sujet aussi compliqué, d'autant qu'il aboutit à des propositions qui paraîtront sans doute assez révolutionnaires, compte tenu des traditions de ces juridictions.
Quelles ont été les réactions des organisations syndicales devant ces propositions ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous avons reçu les organisations syndicales au début et à la fin de cette mission : elles sont très attachées au paritarisme et à l'ancrage dans le tissu social. Nous sommes convaincues qu'il est nécessaire de conserver ce lien. Toutefois, les organisations d'employeurs sont plus à même d'accepter une évolution vers une justice partagée avec les magistrats, sans aller jusqu'à l'échevinage, qui a été brandi comme une sorte de chiffon rouge.
Nous avons constaté une incompréhension mutuelle entre les conseillers et les juges professionnels. C'est pourquoi la professionnalisation fait partie des propositions du rapport d'information. Sur le principe même d'une professionnalisation accrue, de l'accès à la formation, de la spécialisation, l'accueil a été plutôt favorable.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Les demandes portent surtout sur la formation, que les anciens réclament - les nouveaux conseillers prud'hommes reçoivent une formation initiale minimale par l'ENM. C'est pourquoi le rapport d'information insiste sur la formation, qui permettrait des échanges plus faciles entre les juges professionnels et les juges du monde du travail.
M. André Reichardt. - La mission d'information s'est rendue en Belgique, où les modalités de fonctionnement sont différentes.
Il existe un doit local alsacien-mosellan, qui a permis pendant longtemps un fonctionnement des prud'hommes totalement différent, l'échevinage, qu'il a fallu abandonner de force. Nonobstant la nostalgie provoquée par la perte d'une spécificité, il y a quelques raisons de ne pas se satisfaire de la mise en place des conseils de prud'hommes dans nos trois départements. Vous êtes-vous rendues en Alsace pour savoir comment cela se passait avant et comment cela se passe maintenant ? À l'époque, l'accent était mis sur la professionnalisation de l'instance prud'homale. Il aurait été utile de s'inspirer de ce qui se passait dans le passé.
M. Philippe Bonnecarrère. - Quid de l'évolution du volume du contentieux prud'homal ? On sait qu'il s'est considérablement réduit, mais est-ce une tendance durable ? Est-elle de nature à réduire l'allongement des délais ?
La réorganisation de la justice de première instance figurant dans les dispositions de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit la fusion des tribunaux d'instance (TI) et des tribunaux de grande instance (TGI). Cela vous paraît-il de nature à dégager une forme de spécialisation supplémentaire des magistrats ayant une expertise juridique en matière de droit social ?
M. Michel Forissier. - Ce rapport magnifique expose une situation que nous connaissons bien, la spécificité des conseils de prud'hommes, lesquels devraient à mon sens devenir des lieux de médiation et de conciliation et non plus être considérés comme un tribunal secondaire. Aujourd'hui, il faut aller vers une professionnalisation des conseillers et un effort de formation, à l'instar de ce qui se passe dans le monde des élus. L'amateurisme n'est plus de mise. Le conseil de prud'hommes a désormais pour fonction davantage de rapprocher des points de vue et d'éviter ou d'anticiper les conflits, dans une législation très évolutive, que de prononcer des sanctions.
En parallèle, il est nécessaire d'approfondir les recommandations du rapport d'information qui vont dans le sens de l'histoire et de l'amélioration des relations dans le monde du travail.
M. Vincent Segouin. - Du côté des chefs d'entreprise, on considère depuis de nombreuses années que les conseils de prud'hommes manquent d'objectivité dans leurs décisions. C'est pourquoi on préfère aller systématiquement en appel pour bénéficier du jugement de magistrats professionnels et d'une meilleure objectivité.
Les recommandations du rapport d'information casseront-elles cette dynamique ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit une fusion des greffes du tribunal judiciaire et du conseil des prud'hommes lorsqu'ils se trouvent dans la même commune. Cette mesure ne va-t-elle pas éloigner les salariés de la justice ?
En matière prud'homale, les délais sont souvent longs. En 2004, une procédure durait environ douze mois et demi, contre seize mois et demi en 2018. La fusion ne va-t-elle pas aggraver ces délais ? Nombreux sont les conseillers prud'homaux qui craignent cette fusion, laquelle anticipe selon nous la fin des conseils de prud'hommes. Or il s'agit d'une juridiction composée paritairement par des conseillers salariés et employeurs. La loi de programmation constitue-t-elle une étape vers la professionnalisation de la justice prud'homale ? Cette situation ne va-t-elle pas créer plus d'inégalités pour les salariés ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce rapport d'information conserve l'idée fondamentale de ce qu'est la justice prud'homale et de ce qui constitue sa particularité. J'approuve cette lecture.
Je sais bien que la manie est à la professionnalisation, comme si, en devenant professionnel, on devenait plus apte à juger les conflits du travail. Or, ce qui fait l'intérêt de cette juridiction, c'est cette particularité.
Quels sont les principaux motifs de contestation des décisions prud'homales ? Le niveau d'indemnisation ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous ne nous sommes pas rendues en Alsace, puisque le système y est dorénavant le même que dans le reste de la France, à savoir une justice prud'homale paritaire. En revanche, nous nous sommes rendues en Belgique, à Mons plus précisément. La Belgique est passée d'un système paritaire, avec des conseillers issus exclusivement du monde du travail, à un système écheviné, en première et en deuxième instance, à l'instar de tous les autres pays européens. La France est le seul pays qui a encore recours à une justice spécialisée sans la participation d'un magistrat professionnel en première instance.
Nous aurions aimé nous rendre à Mayotte, où existe un système particulier aussi...
En Belgique, l'entente entre les juges professionnels et les juges issus du monde du travail est réelle : chacun a sa place et travaille en collaboration étroite dans l'intérêt du justiciable. C'est la raison pour laquelle nous proposons une expérimentation pour tester plus de rapprochements en première ou en deuxième instance entre les juges professionnels et les juges issus du monde du travail.
Sur la question des motifs de contestation des jugements, le problème, c'est l'acceptabilité de la décision rendue par les conseils des prud'hommes, sa motivation et le raisonnement juridique qui en est à l'origine. C'est tout le paradoxe de la justice prud'homale ! On lui demande à la fois d'être ancrée dans le monde de l'entreprise, donc de rendre des décisions qui correspondent aux pratiques entrepreneuriales, et d'acquérir un raisonnement juridique. Or la formation actuelle est insuffisante pour permettre aux conseillers prud'homaux de tous produire une décision argumentée en droit. C'est l'un des principaux facteurs d'infirmation des décisions rendues en appel : si 66 % des décisions rendues en première instance font l'objet d'un appel, seuls 17 % d'entre elles sont entièrement confirmées. L'insatisfaction porte aussi sur le montant des indemnités prononcées.
Ce constat s'explique aussi par le fait que les situations qui arrivent devant les conseils de prud'hommes sont souvent très conflictuelles et n'ont pu se résoudre par le biais d'une rupture conventionnelle.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - On note une baisse du contentieux de l'ordre de 43 % entre 2005 et 2018. Cependant, on constate une grande disparité entre les conseils de prud'hommes. La réforme de 2015 est encore trop récente pour se traduire dans les chiffres, mais je pense que ceux-ci vont s'améliorer.
Pour raccourcir les délais - environ seize mois actuellement -, nous avons proposé le passage devant un bureau d'orientation, qui dira si une conciliation est possible ou non. Or les parties se prêtent rarement à la conciliation aujourd'hui obligatoire, ce qui allonge encore les délais.
Selon nous, la fusion des TI et des TGI n'aura pas d'incidence sur la justice prud'homale.
Dans le cadre de cette mission d'information commune à la commission des lois et à la commission des affaires sociales, nous avions la volonté de conserver la spécificité d'un système qui implique le monde du travail, monde inconnu des magistrats. Certes, comme l'a souligné Vincent Segouin, certains font systématiquement appel, car ils pensent ne pas avoir le jugement attendu. Je ne partage pas ce point de vue : selon moi, on est dans un monde où l'on pense que l'on peut certainement avoir plus et c'est pour cela que l'on fait appel.
Pour les tribunaux de commerce, le taux d'appel est de 14,5 %, contre 5,7 % pour les tribunaux d'instance. En appel, 17 % des décisions rendues par les conseils de prud'hommes en première instance sont confirmées. La juridiction prud'homale n'a donc pas à rougir.
Par conséquent, pour conserver la spécificité des conseils de prud'hommes, la formation est capitale, pour que les jugements rendus soient plus conformes au droit, plus acceptables et plus conformes aux attentes des parties.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Les contentieux sont de plus en plus conflictuels, car ils portent presque exclusivement sur la rupture du contrat de travail. Pour autant, les volumes de saisine ont diminué.
Je rappelle également cette évolution, à savoir que de très nombreux demandeurs sont accompagnés d'avocats.
Ainsi, le contentieux devient plus conflictuel, alors que le coeur de métier du conseiller prud'homal était la conciliation. Aujourd'hui, la conciliation apparaît très en amont, au moment de la rupture conventionnelle. Les parties saisissent les prud'hommes parce qu'elles considèrent que tout a déjà été tenté et qu'il faut en passer par un jugement.
Un certain nombre de raisons expliquent la baisse du contentieux : la diminution du nombre de licenciements au profit de la rupture conventionnelle, les effets potentiels des nouvelles modalités de saisine - la nécessité de remplir un formulaire très complet peut être dissuasive et freiner le recours -, les problèmes de proximité géographique et le manque d'accès numérique à la saisine et à la justice.
La fusion des greffes, qui n'a pas été acceptée par le Sénat, est aujourd'hui prévue par la loi. Nous recommandons que des moyens suffisants soient assurés pour que cette évolution puisse se faire dans de bonnes conditions.
Nous sommes très attachées à la spécificité de la justice prud'homale à la française et au paritarisme. Notre rapport d'information ne remet absolument pas en cause cette particularité. Nous tenons à ce que le monde de l'entreprise soit présent au sein de la justice du travail.
Certaines d'entre nous ont proposé une évolution et un changement de nom du conseil de prud'hommes - ce n'est pas mon cas.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je remercie les présidents de la commission des lois et de la commission des affaires sociales de nous avoir confié cette mission d'information. Sur un sujet aussi complexe, il fallait bien quatre rapporteurs et le long temps qui nous a été accordé. Nous avons rencontré 26 conseils de prud'hommes, soit en leur rendant visite soit en procédant à des auditions. C'était indispensable.
Cette mission d'information a suscité beaucoup de méfiance. Les premières rencontres ont été difficiles : « circulez, y a rien à voir », nous répondait-on en quelque sorte ! Il a fallu faire fi de positions syndicales un peu figées pour instaurer un climat de confiance. Après quelques heures d'auditions, nous y sommes parvenues.
Tout ne va pas bien dans la justice prud'homale. C'est pourquoi nous avons formulé tant de recommandations, malgré la récente réforme de la loi « Macron ».
Si nous avions chacune au départ des idées reçues, les auditions les ont balayées et nous sommes facilement parvenues à un compromis. La vérité n'est ni dans un système ni dans un autre, mais bien dans l'évolution que nous préconisons.
Oui, monsieur Forissier, la base de la justice prud'homale, c'est la conciliation, mais la loi « Macron » l'a rendue de plus en plus difficile. Ce qui est conciliable l'est en amont, notamment par la rupture conventionnelle. Aujourd'hui, les affaires qui arrivent devant les conseils de prud'hommes concernent ce qu'il y a de plus difficile à concilier. Il faut donc spécialiser des conseillers prud'homaux en matière de conciliation.
La conciliation doit devenir facultative : il faut qu'un juge, dans son intime conviction, puisse dire que la conciliation est possible ou, au contraire, qu'il est préférable d'aller vers un départage. Il faut un système très souple avec des conseillers prud'homaux spécialisés pour traiter au mieux des affaires qui sont portées devant le conseil de prud'hommes. C'est pourquoi nous encourageons les expérimentations.
Certains conseils de prud'hommes fonctionnent bien, d'autres non. Des adaptations sont nécessaires et chaque conseil doit trouver sa propre organisation et son propre écosystème en fonction de l'état des entreprises et des forces syndicales en présence. Nous avons beaucoup insisté pour que les magistrats professionnels soient très présents, dans un rôle de conseil, tout en respectant l'indépendance des conseillers prud'homaux.
Selon nous, la fusion des TGI et des TI n'entraînera pas une spécialisation plus importante des juges départiteurs. Il n'y a pas une grande marge de manoeuvre à attendre de ce côté-là, pour répondre à Philippe Bonnecarrère.
Mme Frédérique Puissat. - Loin de moi l'idée de me faire le porte-parole du Gouvernement, mais force est pourtant de constater que la position de certains conseillers prud'homaux sur le plafond des indemnités prud'homales pour licenciement abusif, issu des ordonnances réformant le code du travail, a posé un certain nombre de questions. Certains conseillers prud'homaux se sont opposés aux ordonnances en appliquant leur propre barème, ce qui n'est pas allé sans poser un problème d'image pour les prud'hommes.
Vous avez relevé une crise des vocations. Comment les conseillers prud'homaux entendent-ils renforcer leur image ? Le rapport d'information formule-t-il des recommandations en ce sens ?
M. André Reichardt. - Il ne faut absolument pas prendre ma question concernant l'Alsace pour un reproche ! L'Alsace-Moselle est la seule région à être passée de l'échevinage à un système classique. Certains conseillers qui ont connu l'échevinage sont encore en fonction : il aurait donc été intéressant d'entendre les observations de ceux qui ont connu les deux systèmes !
Je précise que les tribunaux de commerce n'existent pas en Alsace. Il y a une chambre commerciale du TGI, qui s'occupe non des conflits du travail mais des conflits commerciaux. Là aussi, il aurait été utile de s'y intéresser. J'invite Agnès Canayer à venir en Alsace voir comment cela se passe...
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je constate qu'il y a beaucoup de points communs entre l'Alsace et Mayotte... Une session de rattrapage peut sans doute être organisée pour se rendre sur ces deux territoires, qui pourraient faire l'objet d'un examen particulier !
Je souhaite appeler l'attention sur le système d'échevinage qui se pratique encore à Mayotte, même s'il est voué à disparaître pour laisser la place au droit commun. Je ne sais pas si c'est une bonne solution, car le système actuel fonctionne assez bien, avec un magistrat professionnel et des représentants des partenaires sociaux.
Ne va-t-on pas détricoter à Mayotte un système qui fonctionne pour se rendre compte qu'il était plus efficace que le système qui le remplace ? Je n'ignore pas cependant que ce changement a été demandé par l'ensemble des partenaires sociaux.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Sans faire le tour de la France, nous avons rencontré 13 % des conseils de prud'hommes, ce qui nous a permis d'avoir une vision globale, mais je me propose d'aller en Alsace bientôt ! Pour Mayotte, il est intéressant de voir comment s'opère le basculement. Des expérimentations d'échevinage peuvent être réalisées pour tenir compte des spécificités locales.
Lors de nos rencontres, nous nous sommes rendu compte que les avocats étaient les plus conservateurs : tous défendent les conseils de prud'hommes dans leur forme actuelle.
La barémisation est un sujet d'actualité, qui montre la différence d'appréciation entre les conseils de prud'hommes. Chaque conseil applique comme il l'entend les lois ou la jurisprudence. Certains ne tiennent pas compte de la jurisprudence, considérant que c'est leur interprétation de la loi qui compte. Certains font de la barémisation un objet de réaction fort. Le conseil de prud'hommes de Louviers a saisi la Cour de cassation ; elle doit rendre son avis le 17 juillet prochain. Nous saurons alors ce qu'il en est de l'harmonisation des pratiques, puisque cette interprétation devrait s'imposer à tous les conseils de prud'hommes.
La crise des vocations s'explique par plusieurs facteurs. Pour certaines organisations professionnelles, notamment du côté des employeurs, la parité pose problème : il leur est difficile de recruter des femmes employeurs dans certains territoires. De nombreuses démissions ont également été enregistrées depuis début 2018, car les conseillers n'ont mesuré ni l'engagement que requérait leur mission ni l'ampleur de la tâche. Par ailleurs, dans certains conseils de prud'hommes se jouent encore des luttes dogmatiques ou politiques qui créent des ambiances très conflictuelles, peu propices à l'engagement.
Nous proposons plus de professionnalisation et plus de moyens. Nous préconisons par exemple le port de la robe. Cela donnerait plus de solennité et de lustre aux audiences des conseils de prud'hommes. En Belgique, les juges professionnels et les juges issus du monde du travail portent tous la même tenue, ce qui empêche toute distinction : il s'agit bien d'une formation de jugement. Nous espérons que cette solennisation contribuera à un plus fort engouement pour ces fonctions.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - La crise des vocations s'explique aussi par la rigidité des sections. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons laisser aux présidents des conseils de prud'hommes la possibilité de réduire le nombre de sections. Dans à peu près tous les territoires, la section agriculture n'est presque jamais en formation, ce qui entraîne un manque de professionnalisation de ses conseillers. En outre, les conseillers de cette section pourraient sans doute venir renforcer les autres sections.
Par ailleurs, les salariés qui veulent être conseillers prud'hommes n'ont pas la possibilité de dégager beaucoup de temps pour aller siéger dans les conseils de prud'hommes.
L'exemple de la Belgique nous a séduites et l'échevinage nous fait moins peur : les juges professionnels et les conseillers prud'homaux sont considérés comme étant de même niveau. Or ce n'est pas le cas en France. C'est pourquoi l'idée de leur faire porter une robe et de leur donner le nom de juge, afin de les mettre tous sur un pied d'égalité et de faciliter la communication et les échanges entre eux, nous semble importante.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je veux aussi insister sur l'archaïsme des moyens informatiques, qui est un problème central. À Paris, on ne compte que deux ou trois postes informatiques pour plus de 800 conseillers prud'homaux ! Il est impossible de se connecter de chez soi et d'accéder aux services en ligne des magistrats professionnels. Par ailleurs, les codes ne sont même pas fournis !
Certes, les magistrats professionnels se plaignent de l'absence de motivation ou de la mauvaise qualité des décisions rendues, mais de quels moyens disposent les conseillers prud'homaux pour rendre des décisions de meilleure qualité ? Il y a une vraie différence de traitement entre les magistrats professionnels et les conseillers prud'homaux dans les moyens informatiques alloués. Il y a une révolution considérable à faire en la matière ; c'est urgent.
Comme le disait Agnès Canayer, il est nécessaire que les conseillers prud'hommes aient le même statut que les magistrats, qu'ils portent la robe, voire changent de nom pour s'appeler juges de prud'hommes, dans un tribunal de prud'hommes, pour être considérés et reconnus par l'institution judiciaire. Actuellement, les conseillers sont écartelés entre le ministère de la justice et celui des affaires sociales ; le ministère de la justice doit prendre son entière responsabilité. Les justiciables veulent souvent demander des conseils, or les conseillers sont là pour juger, et non conseiller. Le changement de nom leur permettrait d'asseoir leur rôle.
M. Gérard Dériot, président. - Merci et félicitations pour ce travail détaillé.
M. Philippe Bas, président. - Merci également.
Les commissions autorisent la publication du rapport d'information.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
Application de la LFSS pour 2018 et situation et perspectives des comptes sociaux - Examen du rapport d'information
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Comme chaque année depuis 2015, la Mecss m'a chargé de faire un bilan sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Il s'agit d'une tradition heureuse car, comme nos collègues députés l'ont eux aussi perçu en lançant à leur tour un « printemps de l'évaluation », quand une LFSS est votée, rien n'est bouclé et tout commence en quelque sorte : les recettes sont évaluatives, tout comme les dépenses, nos objectifs n'ayant pas le caractère normatif des crédits des lois de finances.
Or, une fois l'automne venu, reconnaissons que nous ne focalisons pas l'essentiel de nos débats sur l'approbation des comptes de l'année écoulée, objet de la première partie de chaque PLFSS...
C'est pourquoi il me semble important de faire le point avec vous sur l'état des comptes sociaux, les perspectives financières de la sécurité sociale et l'état de l'application des principales mesures de la LFSS pour 2018, à la suite des auditions sur ces sujets menées par la Mecss ou par la commission ces dernières semaines.
Les comptes sociaux tout d'abord.
Ils se sont une nouvelle fois améliorés en 2018. Le déficit du régime général de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a été de « seulement » 1,2 milliard d'euros, contre 5,1 milliards en 2017 et, rappelons-nous, 10,8 milliards en 2015. Ce résultat, quoique déficitaire une nouvelle fois, est donc meilleur que celui des années précédentes. Il est également meilleur que le solde que nous avons voté lors de l'examen du PLFSS pour 2018 puisque c'est un déficit de 2,2 milliards d'euros qui était alors prévu.
En élargissant notre vision à l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et au FSV, le déficit est un peu aggravé, à 1,5 milliard d'euros, essentiellement du fait du résultat dégradé de la CNRACL.
Néanmoins, le constat demeure : les comptes de la sécurité sociale ont poursuivi leur rétablissement, mieux encore que nous ne l'avions prévu en votant le PLFSS, et le retour à l'équilibre paraissait à portée de main.
Comment expliquer ce retour à meilleure fortune ?
Avant tout par l'évolution des recettes de la sécurité sociale, qui ont augmenté de 3,4 % pour ce qui concerne le régime général pour atteindre 394,5 milliards d'euros.
Plusieurs facteurs ont joué dans le sens de cette hausse.
Le dynamisme de la masse salariale tout d'abord. Celle-ci a augmenté de 3,5 % en 2018, comme en 2017, ce qui a fait croître dans les mêmes proportions ou presque l'assiette de la plupart des recettes sociales.
Les prélèvements sur les revenus patrimoniaux ont également augmenté davantage que prévu, le prélèvement forfaitaire unique ayant joué un rôle d'accélérateur -par exemple pour la réalisation de plus-values.
Enfin, comme nous l'avons évoqué avec la Cour des comptes, les droits tabac aussi ont affiché un rendement supérieur à la prévision, la hausse des prix n'ayant pas fait baisser la consommation autant qu'initialement escompté.
Face à ces recettes, les dépenses (soit 395,7 milliards d'euros pour le régime général et le FSV) ont également augmenté, à un rythme moindre que les recettes certes (+ 2,4 %), mais, là aussi, plus que ce que nous avions voté. Et, une nouvelle fois, plus que la croissance du PIB (+ 1,7 %) : la part des dépenses de la sécurité sociale dans la richesse nationale a donc continué de croître.
Dans le détail, les dépenses de la branche famille sont restées stables par rapport à 2017.
L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a une nouvelle fois été respecté, les dépenses relevant de son périmètre ayant progressé de 2,2 %. Comme l'année dernière, un versement de 300 millions d'euros a même pu être effectué en toute fin de gestion en faveur des établissements publics de santé.
Mais on note une augmentation des dépenses de retraite plus importante que les années passées (+ 2,9 %). Ceci s'explique :
- d'une part, par l'effet en 2018 de la revalorisation de 0,8 % des pensions intervenue en octobre 2017 ;
- et d'autre part, par la fin des effets du recul progressif de l'âge de départ à la retraite. Ainsi, de nouveau, une génération entière part à la retraite une année donnée.
Si les choses se sont améliorées pour les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et le FSV, qu'en est-il des administrations de sécurité sociale (ASSO), au sens du droit communautaire, prises dans leur ensemble ?
Encore mieux, pourrait-on dire puisque, après que les ASSO ont renoué avec l'équilibre l'année dernière, leur excédent s'est renforcé, passant de 0,2 à 0,5 point de PIB (+ 10,8 milliards d'euros).
Néanmoins, il est plus honnête de tempérer l'enthousiasme que pourrait susciter cette statistique brute. En effet, à elle seule, la Cades a dégagé un excédent de 15,4 milliards d'euros qui correspond au montant de la dette qu'elle a amortie l'année dernière ; soit un peu moins de 0,7 point de PIB...
Alors certes, « qui paie ses dettes s'enrichit ». Mais, hors Cades, il est plus juste de parler, comme nous l'avons fait pour la sécurité sociale, de déficits amoindris que de capacités d'autofinancement pleinement rétablies. C'est exactement le cas pour des organismes comme l'Unédic ou l'Agirc-Arrco dont nous avons entendu les dirigeants dans le cadre de la Mecss.
Dans ces conditions, nous pourrions croire que nous touchons enfin au but et que les comptes sociaux vont enfin repasser dans le vert dès cette année, comme le Gouvernement l'avait annoncé avec force publicité à l'automne dernier.
Hélas, les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, confirmées par la Cour des comptes lors de notre audition de la semaine dernière, annoncent une rechute dès 2019 pour les comptes de la sécurité sociale.
En premier lieu, parce que la croissance ralentit. La prévision du Gouvernement est désormais de + 1,4 % en 2019 comme en 2020. Dès lors, la croissance de la masse salariale devrait, elle aussi, être moins forte (3,1 % au lieu de 3,5 %, et même 2,9 % en enlevant l'effet « prime exceptionnelle » qui, par définition, n'apportera aucune recette). Dans le même temps, les dépenses poursuivront leur hausse, avec notamment un Ondam légèrement desserré. Ce seul « effet croissance » suffira à provoquer une légère rechute du « patient sécurité sociale » en 2019, avec un déficit du régime général et du FSV qui se creuserait à 1,7 milliard d'euros sans mesure nouvelle.
Cette rechute pourrait être beaucoup plus sérieuse en cas d'absence de compensation des mesures d'urgence économiques et sociales prises dans le cadre de la crise des gilets jaunes. Le déficit pourrait alors atteindre 4,4 milliards d'euros, effaçant presque les gains de 2018 et rendant plus complexe les perspectives de retour à l'équilibre à brève échéance.
Demain se tiendra au Sénat le débat d'orientation des finances publiques. Si les mots ont un sens, ce sera le moment pour le Gouvernement de dévoiler enfin clairement ses intentions sur cette question importante de la compensation des mesures d'urgence. Comptez sur moi pour la soulever.
De plus, comme l'a déjà souligné le président de la Mecss, Jean-Noël Cardoux, un déficit du régime général et du FSV compromettrait le transfert à la Cades de 15 milliards d'euros de dette actuellement portée par l'Acoss et, plus généralement, l'objectif de reboucher complètement le « trou de la sécurité sociale » d'ici à 2024.
Alors bien sûr, certains soulignent à quel point il est facile d'emprunter en ce moment pour les émetteurs publics français. C'est vrai : le directeur de l'Acoss nous a dit lui-même que l'agence, qui peut lever des fonds à taux négatif, allait une nouvelle fois être rémunérée pour emprunter ! Mais nous savons bien que céder à cette facilité ne serait pas de bonne politique et qu'il vaudrait mieux avoir traité la question de la dette le jour où les marchés se retourneront.
Dans ces conditions, est-il bien raisonnable de mettre en oeuvre, à partir de 2020, les réductions successives de la part de TVA dévolue à la sécurité sociale prévues par la loi de finances pour 2019 ? Là encore, le débat d'orientation des finances publiques est le bon moment pour que le Gouvernement prenne une position claire sur cette question.
En résumé, on pourrait dire que les comptes de la sécurité sociale ont connu une rémission en 2018. Hélas, une rechute est attendue pour cette année mais sa gravité reste à déterminer. Elle dépendra en partie des choix que nous ferons lors de l'examen des prochains textes financiers.
Par ailleurs, j'ai souhaité profiter de ce rapport sur l'application de la LFSS pour 2018 pour revenir sur deux mesures fortes votées au sein de ce texte : les mesures de pouvoir d'achat en faveur des actifs ; et l'intégration du Régime social des indépendants dans le régime général de la sécurité sociale.
Vous vous souvenez des mesures relatives au pouvoir des achats des actifs. Il s'était agi de :
- supprimer, à compter du 1er janvier 2018, les cotisations des salariés au titre de l'assurance maladie, dont le taux s'élevait alors à 0,75 % ;
- réduire de 1,45 point à compter du 1er janvier, puis supprimer complètement à partir du 1er octobre 2018, les contributions des salariés à l'assurance chômage, dont le taux était alors de 2,40 % sur les rémunérations en-deçà de quatre fois le plafond de la sécurité sociale ;
- réduire, dès le 1er janvier, le taux de cotisation à la branche famille des travailleurs indépendants de 2,15 points et renforcer à la même date l'exonération dégressive de cotisation à l'assurance maladie ;
- augmenter en revanche, dès le 1er janvier 2018, de 1,7 point le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité, les revenus du capital, et les pensions de retraite ou d'invalidité perçues par les personnes dont le revenu fiscal de référence (RFR) du foyer dépasse un certain plafond.
Le premier bilan de ces mesures est contrasté.
Le premier paradoxe réside dans le constat que ces mesures de « pouvoir d'achat » ont amélioré le solde des finances publiques de 5,6 milliards d'euros en 2018, en pratique essentiellement au bénéfice de l'État.
En effet, les revenus d'activité, cibles du dispositif, ont bien été « gagnants » mais de « seulement » 1,1 milliard d'euros car les baisses de cotisations se sont étalées entre janvier et octobre 2018 alors que la hausse de la CSG est intervenue, elle, dès le 1er janvier. Ce n'est donc qu'en 2019 que le gain de pouvoir d'achat des actifs sera complètement sensible.
À l'inverse, les titulaires de pensions, moins nombreux que les actifs, ont, eux, subi de plein fouet la hausse de la CSG, à hauteur de 4,3 milliards d'euros. À tel point que, dès l'automne dernier, nous avons corrigé par deux fois ce dispositif :
- dans le PLFSS, pour prévoir qu'il faudrait désormais dépasser deux années de suite le seuil de revenu à partir duquel on sort de la CSG à 3,8 % pour réellement se voir appliquer le taux supérieur ;
- puis, dans la loi MUES, en rétablissant une tranche de revenus au sein de laquelle les pensions de retraites ou d'invalidité subissent la CSG au taux de 6,6 % en gros, pour les retraités percevant entre 1 200 et 2 000 euros de revenus par mois.
S'agissant des bénéficiaires de revenus du capital pour lesquels l'augmentation de CSG a représenté 2,4 milliards d'euros, je ne dispose pas de leur répartition entre actifs, retraités, etc. En outre, l'effet global de cette augmentation combinée avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique serait difficile à réaliser. Mais cela a pu minorer encore le gain des actifs et majorer la perte des retraités.
Il ne s'agit, encore une fois, que des effets de la première année du dispositif. Dès 2019, le gain des actifs sera renforcé et la perte des retraités atténuée par les mesures de l'automne dernier. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir.
Au-delà de ce seul effet « pouvoir d'achat », ce nouveau système pourrait avoir à terme des conséquences en termes de droits pour les assurés sociaux, tout particulièrement sur l'assurance chômage. Nous l'avons d'ailleurs dit en adoptant un amendement rétablissant, en droit tout au moins, les contributions salariales chômage dans le dernier PLFSS. Pour prendre un exemple récent, les allocations des cadres subiraient-elles une dégressivité de 30 % dès le septième mois si elles étaient perçues par des cadres ayant personnellement cotisé sur la base de quatre fois le plafond de la sécurité sociale ? Ce n'est pas certain...
Enfin, comme nous l'avons vu lors de plusieurs auditions de ce printemps, l'Acoss a subi un déficit de 103 millions d'euros dans le système de compensation des contributions manquantes à l'Unédic qu'il lui revenait d'assurer. Ce montant peut sembler faible en le comparant aux 9,6 milliards d'euros qu'il a fallu financer. Mais il n'est pas négligeable au regard du solde du régime général. La répartition des pertes a été la suivante :
- 42,2 millions d'euros pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles ;
- 40,7 millions d'euros pour la branche vieillesse ;
- et 20,1 millions d'euros pour la branche famille.
Je serai plus bref sur l'intégration du RSI dans le régime général car vous avez sans doute encore en mémoire nos tables rondes du 12 juin et parce que les choses se passent globalement bien.
Je vous renvoie donc au rapport écrit, en indiquant simplement les éléments suivants.
Comme l'avait souhaité notre commission, les travailleurs indépendants continuent de bénéficier d'un accueil dédié au sein des branches retraite et recouvrement du régime général. S'agissant de la retraite, cela représentera d'ailleurs une simplification, l'interlocuteur dédié étant compétent sur leur retraite de base et complémentaire en tant qu'indépendant mais aussi, le cas échéant, sur leur retraite de base de salarié. En outre, une expérimentation est en cours à Bordeaux en vue de tester la mise en place d'un nouveau point d'accueil dit « de premier niveau » afin de répondre aux préoccupations des indépendants dépassant les seuls motifs de sécurité sociale.
Pour ce qui concerne la gouvernance, des représentants des travailleurs indépendants restent impliqués, à partir de désignations sur une base représentative et non plus d'élections. C'est ainsi que depuis le 1er janvier ont été mises en place :
- au niveau national, l'assemblée générale du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) ;
- au niveau local, les quinze instances régionales de la protection sociale des travailleurs indépendants.
Néanmoins, comme nous avons pu le constater, des tensions subsistent entre organisations représentatives des indépendants.
S'agissant des ressources humaines, le transfert des personnels du RSI est en voie de finalisation. Après deux phases au cours desquelles des propositions ont été faites aux salariés du RSI, au 30 juin, seuls 1 à 3 % d'entre eux demeurent sans proposition qu'ils ont acceptée. De plus, comme le Gouvernement s'y était engagé, le salaire de chaque salarié du RSI est maintenu. Les caisses du régime général déploient désormais un programme de formation ambitieux pour accueillir les nouveaux salariés.
Pour l'informatique, nous avons vu que des précautions avaient été prises afin d'éviter un nouveau « big bang », comme au moment de la mise en place de l'interlocuteur social unique.
Les choses sont donc bien engagées sur ce dossier.
Reste évidemment le problème de la simplification des modalités de calcul des cotisations des indépendants mais cela dépasse le cadre de cette réforme. Nous serons, bien sûr, attentifs à ce que cette simplification se poursuive.
M. Yves Daudigny. - Je remercie notre rapporteur général de son rapport et souhaite souligner trois points. En premier lieu, nous sommes toujours en attente de la stratégie du Gouvernement s'agissant de la compensation par le budget de l'État des 3 à 4 milliards de mesures d'urgence consécutives au mouvement des « gilets jaunes » qui sont venus grever le déficit de la Sécurité sociale. Ensuite, je remarque que l'influence de la conjoncture est toujours aussi grande sur les comptes de la Sécurité sociale, qui demeurent très sensibles à la progression de la masse salariale. Enfin, je rappelle qu'en 2018 les effets dommageables de calendrier entre les mesures d'augmentation de la CSG - advenues dès le début de l'année - et les réductions de cotisations sociales - advenues progressivement - ont conduit à des excédents factices, essentiellement portés par les retraités, qui ont seuls assumé le financement à hauteur de 5 milliards d'euros de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Mme Catherine Deroche. - Avec notre collègue René-Paul Savary, nous menons un travail pour notre commission sur la méthodologie de construction de l'Ondam. Avez-vous des remarques sur ce sujet ?
Mme Laurence Cohen. - Je m'associe aux remerciements exprimés par nos collègues, mais je tiens à souligner que le retour à l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale en 2018 repose sur des mesures que mon groupe considère comme régressives. L'excédent de la Cnav est un résultat du recul de l'âge de la retraite, que la majorité sénatoriale a certes appelé de ses voeux mais que nous déplorons pour notre part. La baisse du déficit de la branche famille s'explique quant à elle par la modulation des allocations familiales et par le transfert des allocations logement au budget de l'État, dont les conditions d'attributions ont par ailleurs été durcies. La baisse du reste à charge des dépenses de santé pour les ménages masque difficilement la baisse du taux de remboursement des dépenses de santé non liées à des affections de longue durée. Enfin, les excédents de la branche ATMP ne sont pas consacrés, comme ils devraient l'être, à des dépenses de prévention. En outre, je maintiens l'alerte de mon groupe sur les suppressions de postes au sein des organismes de Sécurité sociale et du secteur de la santé de façon plus générale.
Ainsi, je souhaiterais avoir des éléments précis sur le manque à gagner des caisses de sécurité sociale, qui pâtissent d'un changement dommageable de paradigme, avec un recours croissant aux exonérations de cotisations patronales et une fiscalisation des recettes.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je confirme que la réponse du Gouvernement sur la compensation des 3 à 4 milliards d'euros des mesures prises en fin d'année dernière est particulièrement attendue.
Quant au solde de la Sécurité sociale, je rappelle que les prévisions de croissance sont estimées par le Gouvernement à 1,4 %, alors qu'elles devraient être, de façon plus réaliste, situées autour de 1,2 %. L'essentiel des projections d'amélioration des comptes de la Sécurité sociale repose donc sur des hypothèses particulièrement sujettes à caution.
M. René-Paul Savary. - En prolongement du propos de notre rapporteur général, je me permettrai d'être encore plus explicite sur le talent que déploie ce Gouvernement à afficher de supposés excédents lorsque ceux-ci ne sont en réalité que le résultat d'habiles vases communicants. J'en veux pour preuve le système des retraites, sans cesse retouché au gré de réformes paramétriques... Je suis par ailleurs particulièrement inquiet pour les comptes de la Sécurité sociale au sujet des annonces, probablement matérialisées dans le prochain PLFSS, relatives à l'indexation des plus petites pensions sur les salaires, et non plus sur les prix.
Mme Jocelyne Guidez. - Je souhaiterais aborder le sujet des proches aidants. La ministre des solidarités et de la santé a enfin annoncé l'indemnisation du congé de proche aidant, ce dont je ne peux que me féliciter eu égard à l'important travail récemment mené par le Sénat en la matière. Je suis toutefois un peu inquiète : le congé de proche aidant sera vraisemblablement indemnisé par la branche famille, et je trouverais dommageable que cela se fasse au détriment de mesures déjà financées.
Mme Élisabeth Doineau. - Je rejoins mes collègues et remercie à mon tour le rapporteur général sa présentation très claire, ce qui n'est pas le cas des comptes de la sécurité sociale ! On peut certes dire que le trou de la sécurité sociale est moins important et retrouverait son niveau de 2001. Sauf que si l'on constate des améliorations, les mesures prises dans le cadre de la crise des « gilets jaunes » accentuent le déficit. On se demande finalement si on comblera un jour le trou de la sécurité sociale. Il faut toujours faire des choix. Concernant la branche famille, les dispositifs se sont progressivement concentrés vers les familles les plus en difficulté, notamment les familles monoparentales, au détriment de l'ensemble des familles. Nous l'avons vu aussi concernant la CSG : nous avions averti le Gouvernement sur le fait que son augmentation allait atteindre des personnes âgées qui allaient être pénalisées par ces mesures. Le Gouvernement a finalement revu ses orientations. S'il faut donc faire des choix pour concilier des objectifs parfois contradictoires, on pourrait au moins changer de méthode pour choisir ensemble les mesures ayant un impact sur l'avenir des français.
M. Gérard Dériot, président. - Si, lorsque nous étions élus locaux, nous avions géré ainsi les finances des collectivités locales, on nous aurait retiré leur gestion !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je vous remercie pour vos appréciations sur la clarté du rapport.
Sur les compensations, je poserai la question au Gouvernement. J'espère que nous aurons une réponse mais je ne suis pas sûr que les arbitrages soient tous rendus. J'espère au moins que nous aurons une réponse avant la fin de l'été, dans le cadre d'une rencontre avec les ministres, pour clarifier la situation.
Je vous rejoins sur le fait que les retraités ont été largement mis à contribution. Nous l'avions indiqué au Gouvernement dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. J'avais souligné le problème que posait l'augmentation de la CSG, raison pour laquelle le Sénat s'y était opposé.
Sur l'Ondam, ce qui m'intéresserait serait de savoir comment sont établies les prévisions d'augmentation des dépenses d'assurance maladie. On nous dit toujours qu'en raison de la démographie et de la progression des mesures de santé, il y a une progression tendancielle des dépenses, de 4,4 % l'année dernière. On ramène alors brutalement l'objectif de dépense à 2,5 % cette année. Mais comment en arrive-t-on à estimer une progression de 4,4 % ? Nous n'avons pas de détail sur ce point, hormis quelques informations figurant dans les annexes au PLFSS. Les travaux de nos collègues Catherine Deroche et René-Paul Savary pourraient donc être l'occasion de proposer une clarification sur les prévisions. Plus globalement, on ne peut que se féliciter qu'il existe un Ondam car il permet de voter le PLFSS avec davantage de visibilité. L'Ondam est respecté : c'est une performance, qui signifie que l'évaluation est relativement bonne.
M. René-Paul Savary. - Mais à quel prix !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Oui, à quel prix parfois...
Concernant le reste à charge, il serait intéressant de s'y pencher plus précisément car les dépenses les plus importantes sont celles qui sont couvertes à 100 % par la sécurité sociale. Nous pourrions néanmoins regarder cela plus en détail et mieux analyser les manques à gagner.
La Cour des comptes nous a signalé il y a deux ans que la sécurité sociale avait bénéficié de 3 milliards d'euros au titre des mesures de compensations. L'État a déjà repris 2 milliards d'euros l'an dernier. Nous devrons aussi poser la question au Gouvernement sur la dette.
Sur les retraites, il est vrai que les propositions de la majorité du Sénat visaient à ajuster les paramètres pour maintenir l'équilibre. J'ignore si le Gouvernement sera tenté de modifier ces paramètres avant d'engager la réforme systémique. Est-ce une bonne solution ? Je ne sais pas quelles sont les intentions du Haut-Commissaire à la réforme des retraites sur ce point. Sa volonté était de procéder à cette réforme systémique hors d'un cadre financier. Sauf que lorsque les comptes sont dans le rouge, cela change la donne. J'aimerais donc avoir l'avis du Haut-Commissaire sur cette affaire car on risque de tout mélanger, et de faire passer des modifications paramétriques pour des ajustements sur le dos des actifs et des retraités.
Concernant le congé de proche aidant, annoncé par la ministre des solidarités et de la santé, il représenterait environ 500 millions d'euros. Le faire financer par la branche famille ne me semble pas une bonne idée. Nous devrons interroger le Gouvernement sur ce point.
Enfin, je partage tout à fait les remarques formulées par notre collègue Élisabeth Doineau.
M. Gérard Dériot, président. - Je vous remercie. La commission est-elle favorable à la publication du rapport d'information ?
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 35.